Décision

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Delapaz et STM (Réseau des autobus)

2010 QCCLP 173

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

12 janvier 2010

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

354193-71-0807-R

 

Dossier CSST :

132973181

 

Commissaire :

Santina Di Pasquale, juge administratif

 

Membres :

Christian Tremblay, associations d’employeurs

 

Roland Meunier, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Sherrie Maye Delapaz

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

S.T.M. (Réseau des Autobus)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 6 juillet 2009, la Société de transport de Montréal (S.T.M.) (l’employeur) dépose une requête en révision ou en révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 21 mai 2009.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de madame Sherrie Maye Delapaz (la travailleuse), infirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 juillet 2008 à la suite d’une révision administrative et déclare qu’elle a subi une lésion professionnelle sous la forme d’un accident du travail le 13 février 2008.

[3]           L’audience de la présente requête s’est tenue le 6 octobre 2009. L’employeur était représenté par avocat. La travailleuse était également représentée.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande la révocation de la décision rendue le 21 mai 2009 au motif qu’il n’a pu se faire entendre et demande d’être convoqué à nouveau pour être entendu sur le fond du litige.

[5]           Subsidiairement, il demande de réviser la décision du 21 mai 2009 au motif qu’elle est entachée de vices de fond de nature à l’invalider.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête en révocation. L’employeur a démontré par une preuve prépondérante qu’il n’a pu être entendu pour une raison suffisante.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer dans un premier temps s’il y a lieu de révoquer la décision rendue le 21 mai 2009.

[8]           L’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit que la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue pour les motifs qui y sont énoncés. Cette disposition se lit comme suit :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

[9]           En l’espèce, l’employeur demande la révocation de la décision en vertu du deuxième alinéa de l’article 429.56, soit qu’il n’a pu se faire entendre pour des raisons jugées suffisantes. Il allègue aussi que la violation de la règle audi alteram partem suite à l’erreur d’un représentant constitue un motif justifiant la révocation.

[10]        En effet, la prétention de l’employeur est qu’en raison d’une erreur administrative interne il n’a pu se présenter à l’audience, et faire valoir ses prétentions. Il a toujours eu l’intention de contester la demande de la travailleuse et ainsi de se présenter à l’audience. Toutefois, l’avis d’enquête et audition a été, par erreur, classé avec les dossiers qui devaient être entendus en juillet 2009 et il n’a pu se présenter à l’audience.

[11]        Le droit d’être entendu est une règle de justice fondamentale. Toutefois, cette règle n’a pas un caractère absolu. Un individu peut y renoncer, soit expressément, soit implicitement ou par sa négligence. Aussi, lorsqu’une partie renonce à son droit d’être entendue, elle ne peut se plaindre par la suite d’un manquement à cette règle.

[12]        Dans l’affaire Gaggiotti et Domaine de la Fôret[2], la Commission des lésions professionnelles énonce que le droit d’être entendu doit primer dans l’appréciation des raisons qui font qu’une partie n’a pu se faire entendre.

[13]        Dans Lussier et Pomerleau[3], la Commission des lésions professionnelles souligne que la notion de « raisons jugées suffisantes » prévue à l’article 429.56 de la loi est beaucoup plus souple que l’impossibilité d’exercer son droit d’être entendu.

[14]        Et dans l’affaire Tzelardonis et Ameublement Lafrance[4], le tribunal affirme que « les règles de justice naturelle et particulièrement celles consacrant le droit d’être entendu doivent primer par rapport à une certaine imprudence ou insouciance dont a pu faire preuve le travailleur ».

[15]        En l’espèce, l’employeur n’a pas été entendu puisqu’il ne s’est pas présenté à l’audience. Le tribunal doit alors décider si les motifs invoqués pour expliquer son absence sont des « raisons jugées suffisantes ».

[16]        Madame Hélène Gravel, conseillère à la gestion des lésions professionnelles chez l’employeur, témoigne à la demande de l’employeur. Elle est responsable de la gestion des dossiers d’accidents du travail. Elle s’occupe de la préparation des dossiers et du volet conciliation. Cependant, les dossiers qui ne sont pas réglés sont remis à un procureur pour être plaidés à la Commission des lésions professionnelles.

[17]        Elle traite entre 800 et 900 dossiers par année. Environ 30 % de ces dossiers sont plaidés devant la Commission des lésions professionnelles. Les autres se règlent en conciliation sinon une argumentation écrite est déposée. Un seul conciliateur de la Commission des lésions professionnelles est attitré à ces dossiers. Il y a 3 ou 4 rencontres par année avec ce conciliateur afin de réviser les dossiers à venir et de tenter de les concilier. Elle parle donc régulièrement au conciliateur de la Commission des lésions professionnelles.

[18]        Le dossier de la travailleuse était sur la liste des dossiers à discuter pour la rencontre en conciliation prévue en novembre 2008, mais finalement il a été question de ce dossier lors de la rencontre du 12 mars 2009. L’employeur s’était toujours opposé à cet accident du travail et madame Gravel précise qu’elle attendait donc, après cette rencontre, de recevoir une offre ou un désistement. Le dossier ne s’est pas réglé et le conciliateur l’a avisé qu’il sera mis au rôle pour une enquête et audition. L’avis de convocation a été transmis et reçu chez l’employeur. La personne qui a reçu cet avis et qui est responsable du classement des documents a classé l’avis d’enquête et audition comme s’il s’agissait d’un dossier fixé pour enquête et audition en juillet 2009.

[19]        Madame Gravel explique qu’il n’existait pas à cette époque un système de classement pour les audiences. Un tel système a été introduit seulement après cet incident.

[20]        De plus, le témoin explique que de façon habituelle le conciliateur communique avec les parties une semaine avant l’audience pour une dernière tentative de conciliation, mais que dans présent cas il ne l’a pas fait.

[21]        Elle ajoute que l’employeur ne s’absente pas habituellement sans aviser le tribunal. Dans ce dossier, elle avait le mandat de le confier à un procureur pour le plaider devant la Commission des lésions professionnelles. Malheureusement, elle n’a jamais vu l’avis d’enquête et audition. Elle a simplement reçu la décision et n’a pu donner le mandat à un procureur.

[22]        Madame Sylvie Mainella est chauffeuse d’autobus et elle plaide les dossiers CSST devant la Commission des lésions professionnelles depuis 5 ans. Elle témoigne à la demande de la travailleuse. Elle déclare avoir plaidé environ 47 dossiers à la Commission des lésions professionnelles à ce jour et que l’employeur n’était pas présent à 6 reprises,  bien qu’il ait avisé de son absence à 5 reprises.

[23]        Madame Mainella explique que ce dossier a été mis au rôle à la fin mars.

[24]        Monsieur Eric Lauzier a également témoigné. Il a représenté la travailleuse à l’audience tenue le 29 avril 2009. Il a plaidé 19 dossiers devant la Commission des lésions professionnelles  et à une occasion en plus de ce présent cas, l’employeur ne s’est pas présenté et n’a pas avisé de son absence.

[25]        De cette preuve, le tribunal retient que l’employeur avait l’intention d’être représenté à l’audience et d’offrir une preuve démontrant que la travailleuse  n’a pas subi un accident du travail. Le témoignage de madame Gravel est clair, précis et crédible. En raison d’une erreur administrative interne, la personne responsable des dossiers CSST n’a jamais vu l’avis d’enquête et audition. Cet avis a été classé, par erreur, avec les dossiers qui devaient être entendus en juillet 2009. Ainsi, l’employeur n’a pu se faire représenter à l’audience du 29 avril 2009. Dès la réception de la décision du 21 mai 2009, l’employeur agit avec célérité et, le 6 juillet 2009, demande la révocation de la décision.

[26]        La Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’employeur a démontré, par une preuve prépondérante, qu’il n’a pu, pour des raisons suffisantes, se faire entendre.

[27]        Le représentant de la travailleuse allègue que l’employeur a été négligent et il a donc renoncé à son droit d’être entendu.

[28]        Or, la preuve offerte démontre qu’une erreur a été commise et que l’avis d’enquête et audition n’a pas été porté à l’attention de la personne responsable des dossiers CSST avant l’audience. Toutefois, la preuve ne permet pas de conclure que l’employeur a été négligent.

[29]        La preuve démontre que de façon générale l’employeur se présente à l’audience devant la Commission des lésions professionnelles ou avise de son absence. Il est arrivé à l’occasion qu’il ne s’est pas présenté et qu’il n’a pas donné d’avis, mais cela n’est arrivé qu’à quelques occasions seulement. De plus, la preuve doit être appréciée dans chaque dossier afin de déterminer s’il y a eu négligence. Or, il appert des notes sténographiques de la première audience que dans ce dossier le représentant de la travailleuse s’étonnait de l’absence de l’employeur à l’audience et il a pris la peine de demander au premier juge administratif si l’employeur avait produit une argumentation écrite. Il savait donc pertinemment que l’employeur contestait la demande de la travailleuse.

[30]        Le premier juge administratif répond qu’aucun document n’a été produit par l’employeur et qu’elle n’a pas eu de ses nouvelles. Dans la décision du 21 mai 2009, il est indiqué que l’employeur a avisé qu’il serait absent. Or, l’employeur n’a transmis aucun document à la Commission des lésions professionnelles avant l’audience comme l’indique d’ailleurs le premier juge administratif à l’audience. De toute évidence, il y a une erreur dans la décision relativement à la mention que l’employeur a avisé de son absence. Cependant, cette erreur n’a aucune incidence.

[31]        Le tribunal considère que l’employeur a fait la preuve qu’il n’a pu être entendu pour des raisons jugées suffisantes. Dès lors, l’employeur n’a pas à démontrer que la décision aurait pu être différente s’il avait été entendu. Le seul remède possible est la révocation de la décision[5].

[32]        Considérant l’issu de la présente requête, le tribunal ne juge ni nécessaire ni pertinent de répondre aux autres arguments invoqués par le représentant de l’employeur, notamment les arguments relatifs à la « courtoisie et la prudence judiciaire » et les autres motifs de révision.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révocation déposée le 6 juillet 2009 par la Société de transport de Montréal (S.T.M.), l'employeur;

RÉVOQUE la décision rendue le 21 mai 2009 par la Commission des lésions professionnelles;

CONVOQUERA à nouveau les parties à une audience sur la requête déposée par madame Sherrie Maye Delapaz, la travailleuse, le 21 juillet 2008, à l’encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 10 juillet 2008 à la suite d’une révision administrative.

 

 

__________________________________

 

Santina Di Pasquale

 

 

Monsieur Sylvain Pilon

S.C.F.P. (local 1983)

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean-François Séguin

LE CORRE ASSOCIÉS, AVOCATS

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           C.A.L.P. 86666-71-9703, 22 janvier 1999, M. Duranceau

[3]           C.L.P. 88066-71-9704, 8 octobre 2008, L. Nadeau

[4]           C.L.P. 208378-71-0305, 7 mars 2008, S. Sénéchal

[5]           Casino de Hull et Gascon, [2000] C.L.P. 671 ; Dallaire et Jeno Newman & Fils inc., [2000] C.L.P. 1146 ; Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471

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