Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Lopraino et Systèmes de contrôle Goodrich ltée

2012 QCCLP 8195

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

28 décembre 2012

 

Région :

Laval

 

Dossier :

450736-61-1110-R

 

Dossier CSST :

130010770

 

Commissaire :

Suzanne Séguin, juge administrative

 

Membres :

Jean Litalien, associations d’employeurs

 

Richard Fournier, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

David Lopraino

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Systèmes de Contrôle Goodrich ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 12 juillet 2012, la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte en rĂ©vision d’une dĂ©cision rendue le 29 mai 2012 par la Commission des lĂ©sions professionnelles.

[2]           Par cette dĂ©cision, la Commission des lĂ©sions professionnelles accueille en partie la requĂŞte de monsieur David Lopraino (le travailleur), modifie la dĂ©cision rendue par la CSST le 15 septembre 2011 et dĂ©clare que la lĂ©sion professionnelle subie par le travailleur le 21 juillet 2006 est consolidĂ©e le 12 dĂ©cembre 2008; que les soins et traitements Ă©taient justifiĂ©s jusqu’au 12 dĂ©cembre 2008; que le travailleur conserve une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique de 2,20 % lui donnant droit Ă  une indemnitĂ© pour prĂ©judice corporel de 1 783,54 $ et les intĂ©rĂŞts et que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :

Le travailleur doit Ă©viter d’accomplir de façon rĂ©pĂ©titive ou frĂ©quente les activitĂ©s qui impliquent de :

-         Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 25 kilogrammes;

-         Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrĂŞmes de flexion, extension ou de torsion de la colonne lombaire.

 

 

[3]           Par la mĂŞme dĂ©cision, la Commission des lĂ©sions professionnelles rejette la requĂŞte du travailleur dans le dossier 389651-61-0909 qui ne fait pas l’objet de la prĂ©sente requĂŞte en rĂ©vision ou en rĂ©vocation. Elle confirme la dĂ©cision rendue par la CSST le 12 aoĂ»t 2009 et dĂ©clare que le travailleur est apte Ă  occuper l’emploi convenable de commis au service Ă  la clientèle, et ce, Ă  compter du 23 avril 2009.

[4]           L’audience sur la prĂ©sente requĂŞte s’est tenue le 8 novembre 2012 Ă  Laval en prĂ©sence du travailleur qui n’est pas reprĂ©sentĂ©. Système de ContrĂ´le Goodrich ltĂ©e (l’employeur) a informĂ© la Commission des lĂ©sions professionnelles qu’il ne serait ni prĂ©sent ni reprĂ©sentĂ© Ă  l’audience. Quant Ă  la CSST, elle y est reprĂ©sentĂ©e par procureur. La cause est mise en dĂ©libĂ©rĂ© Ă  la date de l’audience, soit le 8 novembre 2012.

[5]           Afin de rendre la prĂ©sente dĂ©cision, la soussignĂ©e a pris connaissance du dossier, a Ă©coutĂ© l’enregistrement de l’audience du 9 fĂ©vrier 2012, a pris connaissance des documents de la clinique mĂ©dicale obtenus par le tribunal le 9 mars 2012 Ă  la suite d’une ordonnance et des commentaires du procureur de la CSST reçus le 4 avril 2012 concernant le prĂ©sent dossier, mais ayant Ă©tĂ© classĂ©s dans le dossier portant le numĂ©ro 389651-61-0909 joint au prĂ©sent dossier lors de l’audience du 9 fĂ©vrier 2012.

[6]           La soussignĂ©e a aussi pris en considĂ©ration les argumentations des parties et la jurisprudence dĂ©posĂ©e par la CSST.

 

 

 

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[7]           La CSST demande de rĂ©viser la dĂ©cision rendue par la Commission des lĂ©sions professionnelles le 29 mai 2012 et de dĂ©clarer que la lĂ©sion professionnelle subie par le travailleur le 21 juillet 2006 est consolidĂ©e le 29 septembre 2008 ou, subsidiairement, le 27 mars 2009 avec suffisance de soins et de traitements et que la lĂ©sion professionnelle entraĂ®ne une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique dont le dĂ©ficit anatomo-physiologique est de 0 % pour une entorse lombaire sans sĂ©quelle fonctionnelle objectivĂ©e.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[8]           Le membre issu des associations d’employeurs accueillerait la requĂŞte de la CSST puisque, selon lui, le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et dĂ©terminante en concluant que la lĂ©sion professionnelle est consolidĂ©e le 12 dĂ©cembre 2008, que les soins et traitements Ă©taient nĂ©cessaires jusqu’à cette date et que la lĂ©sion professionnelle entraĂ®ne une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique dont le dĂ©ficit anatomo-physiologique est de 0 % pour une entorse lombaire sans sĂ©quelle fonctionnelle objectivĂ©e.

[9]           Quant au membre issu des associations syndicales, il est d’avis contraire. Il estime que la CSST n’a pas dĂ©montrĂ©, par une preuve prĂ©pondĂ©rante dont le fardeau lui incombe, que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et dĂ©terminante pouvant donner lieu Ă  la rĂ©vision de sa dĂ©cision. Il estime qu’il s’agit de l’apprĂ©ciation de la preuve qui incombe au premier juge administratif.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]        La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©terminer s’il y a lieu de rĂ©viser ou de rĂ©voquer la dĂ©cision rendue le 29 mai 2012.

[11]        L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prĂ©voit qu’une dĂ©cision rendue par la Commission des lĂ©sions professionnelles est finale et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la dĂ©cision de la Commission des lĂ©sions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]        Par ailleurs, une dĂ©cision de la Commission des lĂ©sions professionnelles pourra ĂŞtre rĂ©visĂ©e ou rĂ©voquĂ©e selon les conditions strictes de l’article 429.56 de la loi :

429.56.  La Commission des lĂ©sions professionnelles peut, sur demande, rĂ©viser ou rĂ©voquer une dĂ©cision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est dĂ©couvert un fait nouveau qui, s'il avait Ă©tĂ© connu en temps utile, aurait pu justifier une dĂ©cision diffĂ©rente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugĂ©es suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procĂ©dure est de nature Ă  invalider la dĂ©cision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[13]        Cet article permettant la rĂ©vision ou la rĂ©vocation d’une dĂ©cision a une portĂ©e restreinte et doit ĂŞtre interprĂ©tĂ© restrictivement en tenant compte des objectifs visĂ©s Ă  l’article 429.49 de la loi afin d’assurer la stabilitĂ© juridique des dĂ©cisions rendues par le tribunal[2].

[14]        Donc, afin de rĂ©ussir dans son recours en rĂ©vision ou en rĂ©vocation, la partie devra dĂ©montrer, par une preuve prĂ©pondĂ©rante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs Ă©numĂ©rĂ©s Ă  l’article 429.56 de la loi.

[15]        Dans la prĂ©sente affaire, la CSST invoque le troisième paragraphe de l’article 429.56, soit un vice de fond de nature Ă  invalider la dĂ©cision.

[16]        Dans l’affaire Bourassa[3], la Cour d’appel rappelle que la notion de vice de fond peut englober une pluralitĂ© de situations. Elle ajoute que :

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la rĂ©vocation de toute dĂ©cision entachĂ©e d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet dĂ©terminant sur le litige. Ainsi, une dĂ©cision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prĂ©texte d'un vice de fond, le recours en rĂ©vision ne doit cependant pas ĂŞtre un appel sur la base des mĂŞmes faits. Il ne saurait non plus ĂŞtre une invitation faite Ă  un commissaire de substituer son opinion et son apprĂ©ciation de la preuve Ă  celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)    Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procĂ©dure et preuve. MontrĂ©al : Éd. ThĂ©mis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative Â», dans École du Barreau du QuĂ©bec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y.  Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[17]        Le vice de fond de nature Ă  invalider une dĂ©cision a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ© par la Commission des lĂ©sions professionnelles comme Ă©tant une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet dĂ©terminant sur l’objet de la contestation. Il peut s’agir, entre autres, d’une absence de motivation, d’une erreur manifeste dans l’interprĂ©tation des faits lorsque cette erreur constitue le motif de la dĂ©cision ou qu’elle joue un rĂ´le dĂ©terminant, du fait d’écarter une règle de droit qui est claire ou du fait de ne pas tenir compte d’une preuve pertinente[4].

[18]        Dans l’affaire Franchellini prĂ©citĂ©e, la Commission des lĂ©sions professionnelles prĂ©cisait que « la rĂ©vision pour cause n’est pas un appel et il n’est pas permis Ă  un commissaire qui siège en rĂ©vision de substituer son apprĂ©ciation de la preuve Ă  celle qui a Ă©tĂ© faite par le premier commissaire Â»; ce recours ne peut constituer un appel dĂ©guisĂ© Ă©tant donnĂ© le caractère final des dĂ©cisions du tribunal.

[19]        La jurisprudence Ă©nonce aussi que ce recours en rĂ©vision pour vice de fond ne doit pas ĂŞtre l’occasion pour une partie de complĂ©ter ou de bonifier la preuve ou l’argumentation dĂ©jĂ  soumise[5].

[20]        La Cour d’appel souligne que la dĂ©cision attaquĂ©e pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une rĂ©vision interne que lorsqu’elle est entachĂ©e d’une erreur dont la gravitĂ©, l’évidence et le caractère dĂ©terminant ont Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©s par la partie qui demande la rĂ©vision[6]. Elle invite donc la Commission des lĂ©sions professionnelles Ă  faire preuve d’une très grande retenue, c’est ce que souligne la Commission des lĂ©sions professionnelles dans l’affaire Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation[7] alors qu’elle s’exprime ainsi :

[22]      Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin16, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.

__________

16           PrĂ©citĂ©e, note 8

 

 

[21]        Par ailleurs, une divergence d’opinions quant Ă  l’interprĂ©tation du droit ne constitue pas un motif de rĂ©vision[8].

[22]        Avant d’analyser les reproches invoquĂ©s par la CSST, rappelons brièvement les faits du prĂ©sent litige et les conclusions du premier juge administratif.

[23]        Le travailleur subit un accident du travail le 21 juillet 2006 qui entraĂ®ne une entorse lombaire. Le 18 juin 2007, il est Ă©valuĂ© par le docteur Jacques Toueg Ă  la demande de la CSST qui recommande des traitements de physiothĂ©rapie et d’ergothĂ©rapie. Le docteur Jean-Pierre Paquette, mĂ©decin ayant pris charge du travailleur, se range Ă  cette suggestion.

[24]        Par ailleurs, le travailleur commence un programme de reconditionnement Ă  l’emploi le 14 juillet 2008 recommandĂ© par la CSST. Ce programme est dispensĂ© conjointement par des physiothĂ©rapeutes, des ergothĂ©rapeutes et des kinĂ©siologues. Ceux-ci produisent des rapports toutes les quatre semaines.

[25]        Le 29 septembre 2008, le travailleur est examinĂ© par le docteur Paul MoĂŻse Ă  la demande de la CSST. Les amplitudes articulaires sont normales et le docteur MoĂŻse conclut que la lĂ©sion professionnelle est consolidĂ©e sans nĂ©cessitĂ© de soins et de traitements tout en Ă©tant d’avis que le travailleur devrait suivre un programme d’exercices de renforcement en raison de son dĂ©conditionnement lombaire. Il estime que la lĂ©sion professionnelle n’entraĂ®ne ni atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique ni limitations fonctionnelles.

[26]        Le rapport d’évolution du programme de reconditionnement Ă  l’emploi du 12 dĂ©cembre 2008 dĂ©montre une amĂ©lioration des mouvements de la charnière lombaire, mais une limitation de la rotation gauche et de la flexion antĂ©rieure.

[27]        Le travailleur est Ă©valuĂ©, le 27 mars 2009, par le docteur Alain Jodoin, membre du Bureau d’évaluation mĂ©dicale. Ce dernier constate une absence d’ankylose du rachis lombaire et conclut que la lĂ©sion professionnelle est consolidĂ©e le 29 septembre 2008; que les traitements administrĂ©s sont suffisants et qu’il n’y a pas d’indication qu’ils soient poursuivis; que la lĂ©sion professionnelle entraĂ®ne une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique, dont le dĂ©ficit anatomo-physiologique est de 0 % pour une entorse lombaire sans sĂ©quelles fonctionnelles objectivĂ©es, et des limitations fonctionnelles.

[28]        Le premier juge administratif Ă©carte les opinions des docteurs MoĂŻse et Jodoin et retient les constatations des physiothĂ©rapeutes qui apparaissent dans le rapport d’évolution du programme de reconditionnement Ă  l’emploi du 12 dĂ©cembre 2008. Il en conclut que la lĂ©sion professionnelle est consolidĂ©e Ă  cette date et que les soins et traitements Ă©taient nĂ©cessaires jusqu’à cette date. Il en conclut aussi que la lĂ©sion professionnelle entraĂ®ne une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique, dont le dĂ©ficit anatomo-physiologique est de 2 % pour une entorse lombaire avec sĂ©quelles fonctionnelles objectivĂ©es, Ă©tant donnĂ© les pertes d’amplitude articulaires constatĂ©es par les physiothĂ©rapeutes.

[29]        Devant le prĂ©sent tribunal siĂ©geant en rĂ©vision, la CSST reproche au premier juge administratif d’avoir omis d’appliquer une règle de droit et d’avoir dĂ©cidĂ© en l’absence totale de preuve mĂ©dicale. Elle allègue Ă©galement une erreur quant Ă  l’interprĂ©tation des faits et, finalement, elle prĂ©tend que le premier juge administratif a omis de tenir compte d’un Ă©lĂ©ment de preuve, qu’en est-il?

Omission d’appliquer une règle de droit et absence totale de preuve médicale

[30]        La CSST prĂ©tend que la dĂ©cision du premier juge administratif de fixer la date de consolidation de la lĂ©sion professionnelle au 12 dĂ©cembre 2008 et d’évaluer l’atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique Ă  2,2 % est entachĂ©e d’un vice de fond manifeste en ce qu’il omet d’appliquer une règle de droit et que la dĂ©cision est prise en l’absence totale de preuve mĂ©dicale la supportant tout en Ă©cartant la preuve mĂ©dicale disponible.

[31]        Essentiellement, la CSST plaide que la Commission des lĂ©sions professionnelles ne peut en arriver Ă  ces conclusions si aucun mĂ©decin n’a Ă©mis d’opinion en ce sens. Elle s’inspire des articles 204, 209 et 212 de la loi et de la dĂ©finition du terme « professionnel de la santĂ© Â» prĂ©vue Ă  son article 2.

[32]        Les articles 204, 209 et 212 de la loi se lisent ainsi :

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lĂ©sion professionnelle qu'il se soumette Ă  l'examen du professionnel de la santĂ© qu'elle dĂ©signe, pour obtenir un rapport Ă©crit de celui-ci sur toute question relative Ă  la lĂ©sion. Le travailleur doit se soumettre Ă  cet examen.

 

La Commission assume le coĂ»t de cet examen et les dĂ©penses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle dĂ©termine en vertu de l'article  115 .

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

209.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lĂ©sion professionnelle dont a Ă©tĂ© victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette Ă  l'examen du professionnel de la santĂ© qu'il dĂ©signe, Ă  chaque fois que le mĂ©decin qui a charge de ce travailleur fournit Ă  la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnĂ©s aux paragraphes 1° Ă  5° du premier alinĂ©a de l'article  212 .

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

 

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lĂ©sion professionnelle dont a Ă©tĂ© victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du mĂ©decin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santĂ© qui, après avoir examinĂ© le travailleur, infirme les conclusions de ce mĂ©decin quant Ă  l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la pĂ©riode prĂ©visible de consolidation de la lĂ©sion;

 

3° la nature, la nĂ©cessitĂ©, la suffisance ou la durĂ©e des soins ou des traitements administrĂ©s ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'Ă©valuation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport Ă  la Commission dans les 30 jours de la date de la rĂ©ception de l'attestation ou du rapport qu'il dĂ©sire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

[33]        L’article 2 de la loi dĂ©finit le « professionnel de la santĂ© Â» comme Ă©tant un professionnel de la santĂ© au sens de la Loi sur l’assurance maladie[9] qui Ă©dicte qu’il s’agit de tout mĂ©decin, dentiste, optomĂ©triste ou pharmacien lĂ©galement autorisĂ© Ă  fournir des services assurĂ©s.

[34]        La CSST s’inspire aussi du Règlement sur le barème des dommages corporels[10] qui prĂ©voit que c’est un professionnel de la santĂ© qui fait l’évaluation du pourcentage de l’atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique.

[35]        La CSST plaide qu’en basant sa dĂ©cision sur des constatations faites par des physiothĂ©rapeutes et en Ă©cartant le rapport mĂ©dical du docteur MoĂŻse et l’avis du docteur Jodoin, membre du Bureau d’évaluation mĂ©dicale, le premier juge administratif a commis une erreur de droit.

[36]        Pour appuyer cette affirmation, elle dĂ©pose la dĂ©cision SociĂ©tĂ© d’électrolyse et de chimie Alcan limitĂ©e (SECAL) et Girard[11]. Le prĂ©sent tribunal estime que cette dĂ©cision est de peu d’utilitĂ© dans le dĂ©bat, puisque la Commission des lĂ©sions professionnelles devait statuer sur le pourcentage d’atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique Ă©tabli par le mĂ©decin ayant pris charge du travailleur et qui n’avait pas Ă©tĂ© contestĂ© selon la procĂ©dure de contestation mĂ©dicale prĂ©vue Ă  la loi.

[37]        Ce n’est pas le cas en l’espèce alors que la procĂ©dure de contestation mĂ©dicale a Ă©tĂ© suivie et que l’avis du membre du Bureau d’évaluation mĂ©dicale a Ă©tĂ© dĂ»ment contestĂ©.

[38]        Les faits de la prĂ©sente affaire se distinguent aussi des faits Ă  l’origine de la dĂ©cision Courrier Purolator ltĂ©e et Paquin[12] dĂ©posĂ©e par la CSST. Dans cette affaire, le mĂ©decin traitant Ă©crit dans un Rapport mĂ©dical du 15 juin 1993 que la lĂ©sion professionnelle sera consolidĂ©e le lendemain. Le travailleur tĂ©moigne que son mĂ©decin aurait indiquĂ© que sa capacitĂ© de travail serait dĂ©cidĂ©e par la chiropraticienne. La Commission d’appel en matière de lĂ©sions professionnelles conclut que le mĂ©decin du travailleur ne pouvait pas « dĂ©lĂ©guer Â» Ă  la chiropraticienne la responsabilitĂ© prĂ©vue Ă  la loi au chapitre de la procĂ©dure d’évaluation mĂ©dicale. Le tribunal n’était pas saisi d’une contestation d’un avis du membre du Bureau d’évaluation mĂ©dicale.

[39]        La CSST dĂ©pose Ă©galement Ă  l’appui de sa prĂ©tention la dĂ©cision Centre Bell et Gagnon[13] dans laquelle la Commission des lĂ©sions professionnelles s’exprime ainsi :

[37]      Au même titre que le diagnostic et le pronostic, l’élaboration d’un plan thérapeutique, sa mise en œuvre et le suivi médical qui en découle, lequel implique, entre autres, l’évaluation continue de l’état de santé du patient, sont des actes nécessitant des connaissances médicales.  Ils requièrent notamment que la condition du sujet concerné soit comparée à des normes biomédicales reconnues, absolues et universelles dans leur essence.  Cette analyse est complète en soi, via les examens cliniques et para cliniques.

 

[38]      En vertu des dispositions pertinentes de la Loi, l’accomplissement de cette tâche est exclusivement réservée à des médecins, celui qui a charge du travailleur en premier lieu, et les autres, désigné par l’employeur et membre du Bureau d’évaluation médicale, ensuite, au cas de divergence d’opinion.

 

[…]

 

[42]      Pour ces motifs, aux fins de rendre sa décision, le tribunal choisit de s’en tenir à cette portion de la preuve offerte, relevant du cadre médical, qui offre une garantie de fiabilité suffisante en raison des fondements objectifs sur lesquels elle s’appuie.

 

[Soulignement ajouté]

 

[40]        La CSST dĂ©pose aussi la dĂ©cision Chabot et Sel Warwick inc.[14]. Dans cette affaire, la Commission des lĂ©sions professionnelles Ă©crit que l’espoir d’amĂ©lioration de l’état d’un travailleur doit s’appuyer sur des règles mĂ©dicales objectives. La Commission des lĂ©sions professionnelles se rĂ©fère au jugement de la Cour supĂ©rieure dans l’affaire CSN Construction, FĂ©dĂ©ration des employĂ©es et employĂ©s de service public CSN et ConfĂ©dĂ©ration des syndicats nationaux c. C.L.P.[15], jugement maintenu par la Cour d’appel qui souscrit au motif de la Cour supĂ©rieure.

[41]        Dans cette dernière affaire, la Commission des lĂ©sions professionnelles avait statuĂ© que la lĂ©sion professionnelle de nature psychologique n’était pas consolidĂ©e en se basant sur l’opinion du mĂ©decin traitant de la travailleuse voulant que la consolidation n’ait lieu que lorsqu’on aura fini de rĂ©gler de l’ensemble du dossier et sur l’opinion du psychiatre traitant selon lequel la reconnaissance des torts causĂ©s Ă  la travailleuse et le recouvrement de sa dignitĂ© sont des conditions de sa guĂ©rison.

[42]        La Cour supĂ©rieure est d’avis que la « consolidation Â» ne peut ĂŞtre attachĂ©e qu’à des Ă©lĂ©ments de nature mĂ©dicale et que l’espoir d’amĂ©lioration doit ĂŞtre fourni par un avis de nature mĂ©dicale.

[43]        Avec respect, la soussignĂ©e estime que, par cette dĂ©cision, la Cour supĂ©rieure n’a pas Ă©noncĂ© que, pour Ă©tablir une date de consolidation, il faut Ă  tout prix obtenir une opinion d’un mĂ©decin Ă  cet effet, mais que la preuve doit ĂŞtre de « nature mĂ©dicale Â». Les conclusions des physiothĂ©rapeutes, des ergothĂ©rapeutes et des kinĂ©siologues sont des Ă©lĂ©ments de « nature mĂ©dicale Â».

[44]        Dans la prĂ©sente affaire, le premier juge administratif Ă©value la preuve mĂ©dicale, dont les rapports des physiothĂ©rapeutes, et conclut que la lĂ©sion professionnelle n’est pas consolidĂ©e. Il s’exprime ainsi :

[52]      Est-ce que la preuve médicale supporte cette conclusion selon laquelle l’entorse lombaire subie par le travailleur était guérie à cette date ou qu’elle était stabilisée sans possibilité d’amélioration prévisible ?

 

[53]      La Commission des lésions professionnelles ne le pense pas. En effet, à cette date, le travailleur avait bénéficié d’un programme de reconditionnement à l’emploi s’étant échelonné sur une période de quatre semaines, soit du 14 juillet au 12 août 2008. À la fin de cette période de quatre semaines, les intervenants du programme constataient toujours des ankyloses du rachis lombaire et recommandaient la poursuite du programme pour une période supplémentaire de quatre semaines à raison de cinq demi-journées par semaine. La prolongation de ce programme a finalement été autorisée par la CSST le 30 octobre 2008.

 

[54]      Dans le rapport d’évolution dudit programme de reconditionnement à l’emploi produit le 12 décembre 2008, les intervenants mentionnent qu’il y a eu une amélioration des mouvements de la charnière lombaire depuis l’évaluation du 12 août 2008. En effet, l’évaluation du 12 décembre 2008 démontre que seules [sic] une limitation de la flexion antérieure ainsi qu’une limitation de la rotation gauche persistent à cette date. Les ankyloses au niveau de l’extension et de la flexion latérale gauches s’étant, quant à elles, résorbées depuis l’évaluation du 12 août 2008.

 

[55]      Dans les circonstances, la Commission des lĂ©sions professionnelles conclut que la lĂ©sion du travailleur n’était pas stabilisĂ©e sans possibilitĂ© d’amĂ©lioration le 29 septembre 2008 puisque la preuve rĂ©vèle que l’état du travailleur a continuĂ© Ă  s’amĂ©liorer durant la deuxième partie du programme de reconditionnement Ă  l’emploi, qui s’est Ă©chelonnĂ©e sur les mois de novembre et dĂ©cembre 2008.

 

[56]      La Commission des lésions professionnelles retient donc la date du dernier rapport d’évolution du programme de reconditionnement à l’emploi comme constituant la consolidation de la lésion professionnelle du travailleur, soit le 12 décembre 2008. En effet, la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur a reçu de nouveaux traitements qui auraient permis une amélioration de son état de santé après cette date. Le travailleur admet d’ailleurs, dans le cadre de son témoignage, que sa condition est relativement stable depuis ce temps.

 

[Soulignement ajouté]

 

[45]        Il appert donc que le premier juge administratif a soupesĂ© la preuve tant factuelle que mĂ©dicale et qu’il en a conclut que la lĂ©sion professionnelle n’est pas consolidĂ©e. Il est donc au cĹ“ur de sa fonction d’adjudication. Le rĂ´le de la Commission des lĂ©sions professionnelles ne peut se limiter Ă  trancher entre deux opinions mĂ©dicales. Elle doit prendre en considĂ©ration l’ensemble de la preuve, l’évaluer et la soupeser afin de rendre la dĂ©cision qui s’impose.

[46]        C’est en ce sens que conclut la Commission d’appel en matière de lĂ©sions professionnelles dans l’affaire Le Grand HĂ´tel et Frazao[16] dans un cas oĂą elle doit dĂ©cider de la date de consolidation, de la nĂ©cessitĂ© des traitements, de l’existence ou non d’une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique et des limitations fonctionnelles :

Avant d’aborder le mérite des prétentions des parties, il convient de rappeler ici pour disposer des questions qui lui sont soumises, la Commission d’appel doit, de façon concomitante avec les affirmations du travailleur, analyser la preuve médico-administrative qui est versée au dossier, en extirper les éléments de faits et constatations médicales qui sont pertinentes et finalement en retenir les conclusions qui lui apparaissent les plus probantes. L’évaluation de la prépondérance de la preuve médicale s’établit non pas par un nombre d’expertises favorisant une thèse ou l’autre, mais bien plutôt par la force probante ou la crédibilité que la Commission d’appel accorde aux différentes expertises déposées par les médecins et spécialistes, au(x) témoignage(s) qu’elle recueille à l’audition et aux données médicales versées au dossier.

 

 

[47]        D’autre part, il est de jurisprudence constante que le tribunal n’est pas tenu de retenir la preuve d’un expert, mĂŞme si cette preuve n’est pas contredite. C’est ce que nous rappelle la Commission des lĂ©sions professionnelles dans l’affaire Bermex International inc. et Rouleau[17] :

[54]      De plus, la commissaire assisté [sic] d’un médecin, est à même d’apprécier la vidéo du poste de travail, le témoignage de la travailleuse et l’ensemble de la preuve factuelle et médicale. Nous sommes ici au cœur de l’exercice de sa compétence spécialisée. Elle n’est pas liée par le témoignage des deux experts de l’employeur. Il lui appartient de les apprécier, ce qu’elle a fait de toute évidence. Écarter une opinion ne signifie pas pour autant que l’on substitue sa propre opinion à celle des experts.

[55]      Dans l’affaire Pelletier c. Commission des lĂ©sions professionnelles16, la Cour supĂ©rieure expose bien les principes applicables Ă  ce sujet :

 

[38] L'appréciation du témoignage d'un expert médical est au cœur de la compétence de la CLP.

 

[39] Or, une preuve médicale peut être contredite ou nuancée par autre chose qu'une autre preuve médicale. Elle peut l'être par les faits mis en preuve qui peuvent venir corroborer, nuancer ou encore contredire l'opinion de l'expert.

 

[40] S'il fallait conclure, chaque fois qu'un tribunal ne retient pas l'opinion d'un expert, que c'est parce qu'il se fonde nécessairement sur une autre opinion d'expert (la sienne) qui serait irrecevable, cela aurait pour effet de forcer les tribunaux à retenir, dans tous les cas, une preuve d'expert unique qui lui serait présentée.

 

[41] Comme on le sait, un tribunal n'est jamais tenu de retenir l'opinion d'un expert, fĂ»t-elle non contredite. Dans l'arrĂŞt Roberge[3], la juge L'Heureux-DubĂ© ne laisse pas de doute Ă  cet Ă©gard :

 

Le juge, cependant, reste l'arbitre final et n'est pas lié par le témoignage des experts[4].

__________

            [3]    Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374

               [4]    Id., 430

 

 

[56]      Tout récemment la Cour supérieure reprenait avec approbation ces propos dans l’affaire Solaris Québec inc. c. Commission des lésions professionnelles17 dans laquelle elle rejette la requête en révision judiciaire d’un employeur qui reprochait à la Commission des lésions professionnelles d’avoir écarté la seule opinion médicale motivée portant sur la relation causale entre le travail du travailleur et la lésion.

 

[57]      La Commission des lésions professionnelles elle aussi a repris ces principes  dans le cadre d’une requête en révision dans Whitty et Centre hospitalier régional de Sept-Iles18:

 

            [Citation omise par le présent tribunal]

 

__________

                16          [2002] C.L.P. 207 (C.S.)

                17                   [2006] C.L.P. 295 (C.S.)

            18          C.L.P. 194088-09-0211, 17 août 2004, G. Marquis, (04LP-93)

 

 

[48]        Dans l’affaire Pièces d’Auto Cgn ltĂ©e et Martin[18], dont la dĂ©cision est dĂ©posĂ©e par la CSST, la Commission des lĂ©sions professionnelles Ă©crit que la dĂ©cision portant sur la date de consolidation doit ĂŞtre fondĂ©e sur une preuve de « nature mĂ©dicale Â» et non seulement sur les plaintes subjectives du travailleur. Elle prĂ©cise Ă©galement que « le premier juge administratif devait donc dĂ©cider de la date de consolidation de la lĂ©sion professionnelle et bien qu’il pouvait choisir une date autre que celles mentionnĂ©es dans les expertises et les dĂ©cisions au dossier, sa dĂ©cision doit ĂŞtre fondĂ©e sur la preuve administrĂ©e. Â»

[Soulignement ajouté]

[49]        Le prĂ©sent tribunal estime que la dĂ©cision du premier juge administratif est fondĂ©e sur la preuve administrĂ©e et qu’il n’a pas dĂ©rogĂ© Ă  une règle de droit en dĂ©duisant de la preuve au dossier que la lĂ©sion du travailleur n’était pas stabilisĂ©e sans possibilitĂ© d’amĂ©lioration, puisque l’état du travailleur a continuĂ© Ă  s’amĂ©liorer de façon objective[19] durant la deuxième partie du programme de reconditionnement Ă  l’emploi qui s’est Ă©chelonnĂ© sur les mois de novembre et dĂ©cembre 2008, et ce, mĂŞme si le docteur MoĂŻse estime que la condition du travailleur est normale le 29 septembre 2008. La conclusion du premier juge administratif repose sur la preuve et n’est pas irrationnelle; il s’agit d’une des issues possibles.

[50]        La CSST prĂ©tend, jurisprudence Ă  l’appui[20], que les traitements reçus ne visaient pas Ă  amĂ©liorer l’état de santĂ© du travailleur, mais qu’il s’agit de mesures ayant pour but de dĂ©velopper sa capacitĂ© rĂ©siduelle pour attĂ©nuer ou faire disparaĂ®tre les consĂ©quences d’une lĂ©sion professionnelle.

[51]        Soulignons qu’il est Ă©crit dans le Rapport d’évaluation initiale que le programme consiste en une approche multidisciplinaire incluant un programme de thĂ©rapie active incluant des activitĂ©s fonctionnelles stimulant le renforcement du dos sans compensation et l’entraĂ®nement physique global.

[52]        Mais, peu importe la qualification des traitements reçus, le premier juge administratif a conclu que la lĂ©sion du travailleur n’était pas stabilisĂ©e sans possibilitĂ© d’amĂ©lioration le 29 septembre 2008 en se rapportant Ă  la preuve.

[53]        Notons, que c’est aussi l’avis exprimĂ© par le docteur Paquette, mĂ©decin ayant pris charge du travailleur, qui Ă©crit dans le Rapport complĂ©mentaire qu’il rĂ©dige le 3 dĂ©cembre 2008 : « dĂ©conditionnement pt. AmĂ©liorĂ© en dĂ©c. 08 Â».

[54]        Le prĂ©sent tribunal estime aussi que, lorsque le premier juge administratif conclut que la lĂ©sion professionnelle entraĂ®ne une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique en retenant les pertes d’amplitude articulaire de la colonne lombaire constatĂ©es par les intervenants du programme de reconditionnement Ă  l’emploi, il s’appuie sur la preuve qui lui est soumise; nous y reviendrons.

[55]        Mentionnons que le recours en rĂ©vision n’est pas l’occasion pour une partie de soumettre une nouvelle argumentation et que le premier juge administratif a invitĂ© le reprĂ©sentant de la CSST Ă  faire ses commentaires sur les constatations des intervenants du programme de reconditionnement au travail quant Ă  l’amĂ©lioration des amplitudes articulaires entre le mois d’aoĂ»t 2008 et le 12 dĂ©cembre 2008 et a demandĂ© au reprĂ©sentant de la CSST comment il conciliait le rapport du 12 dĂ©cembre 2008 et les rapports des docteurs MoĂŻse et Jodoin.

[56]        Celui-ci plaidait alors que le tribunal devrait retenir les rapports des mĂ©decins d’autant plus que le docteur Jodoin est un chirurgien orthopĂ©diste, mais il ne plaidait pas, comme il le fait maintenant, qu’il faille absolument que le tribunal retienne une conclusion Ă©mise par un mĂ©decin, soit un professionnel de la santĂ©.

[57]        D’une part, il s’agit d’une interprĂ©tation de la loi et une divergence d’opinions quant Ă  l’interprĂ©tation du droit ne constitue pas un motif de rĂ©vision et, d’autre part, le recours en rĂ©vision pour vice de fond ne doit pas ĂŞtre l’occasion de complĂ©ter ou de bonifier l’argumentation dĂ©jĂ  soumise[21].

[58]        Par consĂ©quent, la Commission des lĂ©sions professionnelles estime que la CSST n’a pas dĂ©montrĂ© que le premier juge administratif a commis une erreur en omettant d’appliquer une règle de droit et en disposant du litige en l’absence totale de preuve mĂ©dicale.

Erreur quant à l’interprétation des faits

[59]        La CSST plaide que le premier juge administratif a commis une erreur quant Ă  l’interprĂ©tation des faits lorsqu’au paragraphe 61 de sa dĂ©cision, il Ă©crit que les examens des docteurs MoĂŻse ou Jodoin se sont Ă©chelonnĂ©s sur quelques minutes seulement :

[61]      En effet, le tribunal est d’avis d’accorder une valeur probante aux constatations faites par les intervenants du programme de reconditionnement à l’emploi (ergothérapeute, physiothérapeute et kinésiologue) en ce qui concerne les limitations de mouvements de la colonne lombaire du travailleur. Ces intervenants ont eu l’occasion de suivre le travailleur de façon quotidienne pendant deux périodes de quatre semaines. La Commission des lésions professionnelles considère donc que leurs constatations apparaissent plus probantes que celles effectuées par les docteurs Moïse ou Jodoin lors d’un examen qui s’est échelonné sur quelques minutes seulement.

 

 

[60]        La soussignĂ©e a pu constater, lors de l’écoute de l’enregistrement de l’audience tenue devant le premier juge administratif et lors de la lecture de la preuve documentaire, que cette affirmation n’est pas basĂ©e sur la preuve, mais le prĂ©sent tribunal estime que cette erreur n’est pas dĂ©terminante.

[61]        En effet, il appert de la lecture du paragraphe 61 de la dĂ©cision du premier juge administratif qu’il estime que les constatations des intervenants du programme de reconditionnement Ă  l’emploi sont plus probantes, non seulement Ă  cause de la durĂ©e de la prise des mesures des amplitudes articulaires de la colonne lombaire, mais surtout parce que « ces intervenants ont eu l’occasion de suivre le travailleur de façon quotidienne pendant deux pĂ©riodes de quatre semaines. Â»

[62]        La CSST affirme que chacune des trois Ă©valuations a Ă©tĂ© effectuĂ©e par une physiothĂ©rapeute diffĂ©rente et que la façon de rapporter les mesures d’amplitude articulaires diffère de rapport en rapport.

[63]        Or, cette affirmation ne dĂ©montre pas en quoi le premier juge administratif aurait fait une erreur quant Ă  l’interprĂ©tation des faits. Il en est de mĂŞme de l’allĂ©guĂ© de la CSST voulant qu’il est impossible de dĂ©terminer Ă  quoi correspond les mesures d’amplitudes articulaires rapportĂ©es dans le rapport du 12 dĂ©cembre 2008, puisque la physiothĂ©rapeute ne les rapporte pas en degrĂ©s.

[64]        D’ailleurs, le règlement prĂ©voit qu’un dĂ©ficit anatomo-physiologique de 2 % est accordĂ© en prĂ©sence d’une entorse lombaire avec sĂ©quelles fonctionnelles objectivĂ©es et ne fait pas rĂ©fĂ©rence d’un nombre de degrĂ©s d’amplitude articulaire perdus.

[65]        Alors, lorsque le premier juge administratif retient du rapport d’évolution du programme de reconditionnement Ă  l’emploi qu’il persiste une limitation de 25 % de la rotation gauche ainsi qu’une lĂ©gère limitation de la flexion antĂ©rieure et qu’il en conclut qu’il y a prĂ©sence de sĂ©quelles fonctionnelles objectivĂ©es, il apprĂ©cie la preuve qui lui est soumise et le prĂ©sent tribunal ne peut y substituer son apprĂ©ciation.

[66]        La CSST ajoute que les professionnels rĂ©digeant le rapport du 12 dĂ©cembre 2008 ne se prononcent aucunement sur l’atteinte d’un plateau thĂ©rapeutique, mais la soussignĂ©e ne voit pas en quoi ce constat peut dĂ©montrer une erreur quant Ă  l’interprĂ©tation des faits alors que le premier juge administratif conclut que le travailleur a continuĂ© Ă  s’amĂ©liorer durant la deuxième partie du programme de reconditionnement Ă  l’emploi et que « la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur a reçu de nouveaux traitements qui auraient permis une amĂ©lioration de son Ă©tat de santĂ© après cette date. Â»

[67]        Dès lors, le prĂ©sent tribunal estime que la CSST n’a pas dĂ©montrĂ©, par une preuve prĂ©pondĂ©rante dont le fardeau lui incombe, que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et dĂ©terminante dans l’apprĂ©ciation des faits.

Omission de tenir compte d’un élément de preuve

[68]        De façon subsidiaire, la CSST plaide qu’après avoir conclu que la lĂ©sion professionnelle n’est pas consolidĂ©e le 29 septembre 2008, le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et dĂ©terminante en omettant de tenir compte, pour dĂ©cider de la date de consolidation et de l’évaluation de l’atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et psychique, du rapport d’expertise mĂ©dicale du docteur Jodoin.

[69]        Le reprĂ©sentant de la CSST allègue maintenant que la preuve dĂ©montre que la condition du travailleur s’est amĂ©liorĂ©e le 27 mars 2009, puisque le docteur Jodoin constate que les amplitudes articulaires du rachis lombaire sont complètes Ă  cette date. Or, le premier juge administratif a Ă©cartĂ© cette conclusion.

[70]        Le juge administratif doit apprĂ©cier le rapport d’expertise mĂ©dicale Ă  la lumière de l’ensemble de la preuve et cette preuve ne doit pas ĂŞtre Ă©cartĂ©e de façon capricieuse, voire arbitraire, et sans motif[22]. Il se doit de motiver sa dĂ©cision, tel que prĂ©vu Ă  l’article 429.50 de la loi, et le dĂ©faut de motivation constitue une erreur de droit dans l’exercice de la compĂ©tence du tribunal qui n’aurait pas vidĂ© une question[23].

[71]        Par contre, il faut distinguer entre l’absence totale de motivation et une motivation succincte ou abrĂ©gĂ©e pourvu que la dĂ©cision soit intelligible et permette d’en comprendre les fondements[24]. La Commission des lĂ©sions professionnelles n’est pas tenue de commenter tous les faits ni de trancher tous les arguments, pourvu que le lecteur comprenne son raisonnement[25].

[72]        Or, le premier juge administratif a Ă©cartĂ© l’opinion du docteur Jodoin et s’en est expliquĂ© tant pour statuer sur la date de consolidation que pour Ă©valuer les sĂ©quelles entraĂ®nĂ©es par la lĂ©sion professionnelle. Il n’a pas Ă©cartĂ© cette preuve de façon capricieuse, voire arbitraire, et sans motif. Sa dĂ©cision est claire Ă  cet Ă©gard et est motivĂ©e.

[73]        Il appert que la CSST est insatisfaite des conclusions auxquelles le premier juge administratif en est arrivĂ©, mais la soussignĂ©e ne peut substituer son apprĂ©ciation de la preuve Ă  la sienne.

[74]        Dès lors, la soussignĂ©e estime que les arguments de la CSST ne peuvent donner ouverture Ă  la rĂ©vision ou Ă  la rĂ©vocation de la dĂ©cision de la Commission des lĂ©sions professionnelles du 29 mai 2012, la CSST n’ayant pas dĂ©montrĂ© que cette dĂ©cision est entachĂ©e d’une erreur manifeste et dĂ©terminante; elle n’a pas fait la preuve d’un vice de fond de nature Ă  invalider cette dĂ©cision.

[75]        Par consĂ©quent, la Commission des lĂ©sions professionnelles conclut que la requĂŞte en rĂ©vision ou en rĂ©vocation doit ĂŞtre rejetĂ©e.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

__________________________________

 

Suzanne Séguin

 

 

Me Érik Sabbatini

Fasken Martineau DuMoulin, avocats

Représentant de la partie intéressée

 

Me Guillaume Lavoie

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentant de la partie intervenante

 


 

 

 

JURISPRUDENCE

DÉPOSÉE PAR LA CSST

 

 

 

Centre Bell et Gagnon, C.L.P. 352073-71-0806, 14 avril 2010, J.-F. Martel.

 

SociĂ©tĂ© d’électrolyse et de chimie Alcan LimitĂ©e (Secal) et Girard., C.L.P. 124668-02-9910, 21 fĂ©vrier 2001, P. Ringuet.

 

CSN Construction, FĂ©dĂ©ration des employĂ©es et employĂ©s de service public CSN et ConfĂ©dĂ©ration des syndicats nationaux c. C.L.P., [2000] C.L.P. 43 (C.S.), appel rejetĂ©, C.A. MontrĂ©al, 500-09-009666-009, 14 janvier 2003, jj. Brossard, Morin, Rayle.

 

Chabot et Sel Warwick inc., C.L.P. 322636-04B-0707, 6 mars 2009, M. Watkins.

 

Pièces d’Auto Cgn ltée et Martin, 2012 QCCLP 1656 .

 

Placements Arden inc. et Dumas., C.L.P. 256877-04B-0503, 31 aoĂ»t 2005, J.-F. ClĂ©ment.

 

Costco Marché Central (Division Entrepôt) et Estrada, 2012 QCCLP 3779 .

 

Courrier Purolator ltĂ©e et Paquin, C.A.L.P. 67585-60-9503, 14 juin 1996, A. Suicco.

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

 

[2]           Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[4]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 .

[5]           Voir notamment : Moschin et CommunautĂ© Urbaine de MontrĂ©al, [1998] C.L.P. 860 ; Lamarre et Day & Ross inc., [1991] C.A.L.P. 729 ; Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P.180; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix, PĂ©trin c. C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, C.S. MontrĂ©al 550-05-008239-991, 15 novembre 1999, j. Dagenais.

[6]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. (C.A.).

[7]           C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).

[8]           Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.).

[9]           L.R.Q., c. A-29.

[10]         R.R.Q., c. A-3.001, r. 2.

[11]         C.L.P. 124668-02-9910, 21 février 2001. R. Ringet.

[12]         C.A.L.P. 67585-60-9503, 14 juin 1996, A. Suicco.

[13]         C.L.P. 352073-71-0806, 14 avril 2010, J.-F. Martel.

[14]         C.L.P. 322636-04B-0707, 6 mars 2009, M. Watkins.

[15]         [2000] C.L.P. 43 (C.S.), appel rejetĂ©, C.A. MontrĂ©al, 500-09-009666-009, 14 janvier 2003, jj. Brossard, Morin, Rayle.

[16]         C.A.L.P. 72594-60-9508, 16 octobre 1997, B. Lemay.

[17]         C.L.P. 233846-04-0405, 19 mars 2007, L. Nadeau.

[18]         2012 QCCLP 1656 .

[19]         Placements Arden inc. (Les) et Dumas, C.L.P. 256877-04B-0503, 31 août 2005, J.-F. Clément.

[20]         Costco Marché Central (division entrepôt) et Estrada, 2012 QCCLP 3779 .

[21]         Jurisprudence précitée à la note 5.

[22]         Bouchard c. Commission des lĂ©sions professionnelles, C.S. QuĂ©bec, 200-17-006717-060, 12 juillet 2006, j. Hardy-Lemieux; Rodrigue et Commission des lĂ©sions professionnelles, C.S. MontrĂ©al, 500-17-035647-075, 12 dĂ©cembre 2007, j. LĂ©ger.

[23]         Cité de la santé de Laval et Heynemand, C.L.P. 69547-64-9505, 26 octobre 1999, Anne Vaillancourt.

[24]         Mitchell inc. c. Commission des lĂ©sions professionnelles, C.S. MontrĂ©al, 500-05-046143-986, 21 juin 1999, j. Courville, D.T.E. 99T-711 ; Beaudin et Automobile J.P.L. Fortier inc., [1999] C.L.P. 1065 , requĂŞte en rĂ©vision judicaire rejetĂ©e, [2000] C.L.P. 700 (C.S.); Manufacture Lingerie Château inc. c. Commission des lĂ©sions professionnelles, C.S. MontrĂ©al 500-05-065039-016, 1er octobre 2001, j. Poulin, (01LP-92).

[25]         Langlois et C.L.S.C. Hochelaga-Maisonneuve, C.L.P. 89822-63-9706, 21 janvier 1999, C. Demers.

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