Décision

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                                                         COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE

                                                         LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

QUÉBEC                                          QUÉBEC, le 19 janvier 1998

 

 

 

DISTRICT D'APPEL                     DEVANT LA COMMISSAIRE:    GINETTE GODIN

DE QUÉBEC

 

 

RÉGION:  Québec

 

 

DOSSIER:

88518-03-9705

 

DOSSIER CSST:                            AUDITION TENUE LE:        4 novembre 1997

111407979                                      

 

 

DOSSIER BRP:                              À:        Québec

62443660                                        

 

                                                                                                                                                

 

 

                                                         MONSIEUR SYLVAIN GIRARD

                                                         14, rue des Pruches                             

                                                         Sainte-Brigitte-de-Laval (Québec)

 

                                                                                                         PARTIE APPELANTE

 

 

                                                         et

 

 

                                                         SICO INC.

                                                         2505, rue de la Métropole

                                                         Longueuil (Québec)

                                                         J4G 1E5

 

                                                                                                          PARTIE INTÉRESSÉE


                                                D É C I S I O N

 

Le 15 mai 1997, le travailleur, M. Sylvain Girard, dépose auprès de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d’appel à l’encontre d’une décision majoritaire du bureau de révision, le membre représentant les travailleurs étant dissident, rendue le 21 avril 1997.

 

Cette décision conclut que le travailleur ne fut pas victime de mesures discriminatoires en raison de l’exercice d’un droit reconnu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).

 

 

OBJET DE L’APPEL

 

Le travailleur demande à la Commission d’appel d’infirmer la décision du bureau de révision pour déclarer qu’il fut victime de mesures discriminatoires en raison de l’exercice d’un droit reconnu par la loi.

 

 

LES FAITS

 

En février 1996, le travailleur occupe l’emploi d’opérateur de chariot élévateur.

 

Le 29 février 1996, il est victime d’une lésion professionnelle reconnue comme telle par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission).

 

L’employeur offre au travailleur une assignation temporaire pour la période du 3 au 15 mars 1996.  Cette assignation consiste à former le travailleur devant le remplacer pour son arrêt de travail.

 

Pendant cette période, le remplaçant que le travailleur formait a effectué du temps supplémentaire les 1, 4, 5, 7 et 11 mars 1996 pour un salaire de 650,78 $.

 

Le 14 avril 1996, le travailleur dépose une plainte à la Commission alléguant avoir été victime d’une mesure discriminatoire au sens de l’article 32 de la loi.  Cette plainte est ainsi formulée:

 

«Suite à un accident du travail le 29 février 1996, mon employeur m’a assigné temporairement.  Je devais former l’employé qui me remplaçait à mon poste de travail.  Le 4,5,7 et 11 mars 1996, l’employeur refuse de me faire faire du temps supplémentaire et refuse aussi de me payer alors que j’étais assigné à mon propre poste de travail, comme formateur d’un employé qui me remplaçait.»

 

 

 

Le 8 octobre 1996, le conciliateur-décideur de la Commission reconnaît comme bien fondée la plainte du travailleur et l’employeur se prévaut de son droit à révision.

 

Lors de son témoignage devant la Commission d’appel, le travailleur précise occuper un emploi d’opérateur de camion élévateur spécialisé dans la réception de marchandises premières.

 

L’assignation temporaire offerte par l’employeur consistait à donner la formation requise à la personne devant le remplacer pendant son incapacité à exécuter son travail habituel.

 

Pendant cette période, la possibilité de faire du temps supplémentaire fut offerte au remplaçant les journées du 1, 4, 5, 7 et 11 mars 1996.

 

Cette possibilité ne lui fut pas offerte mais le remplaçant a accepté et fut rémunéré pour ce temps supplémentaire.

 

Le travailleur affirme qu’il aurait accepté de faire du temps supplémentaire pour les journées en cause.

 

Le travailleur affirme que de façon générale, il effectue de 150 à 175 heures de temps supplémentaire par année.

 

Le temps supplémentaire est rarement planifié et il est offert le jour même où il est requis.

 

La convention collective régissant les travailleurs et l’employeur prévoit que le temps supplémentaire requis doit prioritairement être offert aux travailleurs occupant l’emploi pour lequel ce travail est nécessaire.

 

En cas d’impossibilité pour le travailleur d’effectuer ce temps supplémentaire, cette opportunité est par la suite offerte aux autres travailleurs de la même classe d’emploi.

 

L’offre s’effectue alors en favorisant les travailleurs ayant effectué en cours d’année le moins de temps supplémentaire.

 

Le temps supplémentaire refusé est considéré comme du temps supplémentaire effectué pour les fins de déterminer l’ordre d’octroi de temps supplémentaire lors de refus des travailleurs réguliers.

 

Le travailleur déclare avoir pratiquement toujours accepté de faire du temps supplémentaire lorsque celui offert correspondait à son travail régulier.  Ses rares refus le furent pour du temps supplémentaire demandé dans un travail autre que le sien.

 

M. Gilles Fortin, supérieur du travailleur, a également témoigné devant la Commission d’appel.

 

Il corrobore le témoignage du travailleur en ce qui concerne le fonctionnement d’attribution de temps supplémentaire.

 

Une politique de l’employeur consiste à ne pas offrir de temps supplémentaire à un travailleur en assignation temporaire.

 

Avec documents à l’appui, ce témoin démontre que le travailleur refuse de façon générale d’effectuer environ 25 % du temps supplémentaire offert.  Ce document ne précise cependant pas si ces refus correspondant à du temps supplémentaire relatif à son travail régulier ou à un autre.

 

M. Fortin précise que le travailleur était en congé autorisé le 1er mars 1996 et qu’il était alors impossible de lui offrir d’exécuter du temps supplémentaire.

 

 

ARGUMENTATION

 

Le travailleur soutient que la possibilité d’effectuer du temps supplémentaire constitue un avantage prévu par l’article 180 de la loi.

 

Cette prétention est renforcée par la lecture de l’article 67 de la loi qui prévoit que le salaire gagné en temps supplémentaire doit être inclus dans le calcul du revenu servant de base au calcul d’une indemnité de remplacement du revenu.

 

Selon le travailleur, la preuve démontre qu’il a toujours accepté d’effectuer du temps supplémentaire à son travail régulier et qu’il fut pénalisé par l’omission de l’employeur de lui offrir une telle possibilité pour les jours visés par le présent appel.

 

Pour l’employeur, l’exécution de temps supplémentaire sur une base volontaire relève d’une éventualité non couverte par l’article 180 de la loi.

 

La preuve révèle que le travailleur refuse dans une proportion de 25 % une telle possibilité et rien ne prouve qu’il aurait accepté d’exécuter le temps supplémentaire requis pour les journées visées par le présent appel.

 

Par ailleurs, l’employeur nie que le travailleur soit pénalisé par son omission de lui offrir d’effectuer du temps supplémentaire, car cette omission a pour conséquence de le situer à un plus haut niveau sur la liste des personnes susceptibles d’en exécuter dans le futur.  Le travailleur pourra ainsi reprendre le manque à gagner s’il le désire.

 

De façon subsidiaire, l’employeur soumet que si la Commission d’appel donne gain de cause au travailleur, elle doit prendre en considération que le travailleur refuse de façon générale dans une proportion de 25 % d’effectuer du temps supplémentaire.

 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

La Commission d’appel doit déterminer si le travailleur fut victime d’une sanction ou d’une mesure visée à l’article 32 de la loi qui se lit ainsi:

 

32.  L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.

 

Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.

 

 

 

La jurisprudence de la Commission d’appel est à l’effet de considérer comme mesure prohibée par l’article 32 précité une transgression d’une disposition prévue par la loi.

 

L’article 180 de la loi stipule ce qui suit:

 

180.  L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.

 

 

 

La soussignée ne croit pas que de façon générale, l’opportunité d’exécuter du temps supplémentaire constitue un avantage prévu par cet article.

 

Le caractère aléatoire de cette rémunération joint à la possibilité pour un travailleur de refuser une telle possibilité en atténue le caractère d’un avantage dont peut être privé un travailleur assigné temporairement à un autre emploi.

 

Le parallèle que tente d’effectuer le travailleur entre l’article 180 précité et l’article 67 de la loi n’influe en rien sur cette prémisse.

 

Cet article 67 se lit ainsi:

 

67.  Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.

 

Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations d'assurance-chômage.

 

 

 

La Commission d’appel considère que pour les fins d’établir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle a droit un travailleur victime d’une lésion professionnelle, il est tout à fait normal que le temps supplémentaire exécuté pendant l’année de référence soit inclus.

 

Le temps supplémentaire n’est plus alors hypothétique mais réel et la lésion professionnelle dont est victime un travailleur a pour conséquence de le priver d’un avantage quantifiable.

 

L’indemnité de remplacement du revenu devant être versée au travailleur tiendra compte de ce manque à gagner et ainsi l’objet prévu par l’article 1 de la loi est respecté.  Cet article se lit comme suit:

 

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation de lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour dommages corporels et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

 

 

 

Ainsi, la Commission d’appel ne croit pas que de façon générale, il soit possible de qualifier davantage au sens de l’article 180 précité la seule possibilité pour un travailleur d’effectuer du temps supplémentaire.

 

Cependant, lorsque cette possibilité devient une probabilité dont est privé un travailleur, le caractère facultatif ou aléatoire de la prestation à gagner revêt une dimension pouvant facilement être assimilée à un avantage inclus dans l’article 180.

 

Il en est ainsi dans la présente cause.

 

Le temps supplémentaire est offert en premier lieu aux travailleurs exerçant le travail pour lequel ce temps supplémentaire est justifié.

 

Le travailleur affirme toujours accepter d’effectuer un tel temps supplémentaire ce que ne contredit pas l’employeur.

 

Le fait que le travailleur refuse environ 25 % du temps supplémentaire offert ne démontre aucunement que ce temps supplémentaire correspond à son travail régulier.  Au contraire, le travailleur déclare ne refuser que le temps supplémentaire offert pour un travail autre que le sien.

 

Ainsi, la Commission d’appel considère que n’eut été la lésion professionnelle dont fut victime le travailleur ce dernier aurait selon toute probabilité effectué le temps supplémentaire qui fut offert à son remplaçant et en tant que travailleur, il fut privé d’un avantage couvert par l’article 180 de la loi.

 

Le travailleur fut donc victime d’une mesure prohibée par l’article 32 de la loi et l’employeur doit verser au travailleur l’équivalent du temps supplémentaire que le travailleur aurait perçu pour les journées des 4, 5, 7 et 11 mars 1996.

 

La Commission d’appel exclut la journée du 1er mars 1996, car à cette date, le travailleur était en congé autorisé et aucun temps supplémentaire ne lui aurait été offert.

 

La Commission d’appel n’adhère pas à la prétention subsidiaire de l’employeur à l’effet de tenir compte d’une proportion de 25 % de temps supplémentaire refusé, car la preuve révèle que le temps supplémentaire en cause dans le présent litige ne concernait que le travail régulier du travailleur et que ce dernier acceptait toujours d’effectuer ce type de temps supplémentaire.

 

Par ailleurs, le travail exercé par le travailleur lors des journées visées par le présent appel en était un d’assignation temporaire correspondant à donner de la formation au travailleur devant le remplacer et à celui de qui fut requis du temps supplémentaire.

 

La Commission d’appel comprend que l’employeur ne croyait pas que la personne devant remplacer le travailleur avait la formation requise pour exécuter seul le travail normalement effectué par le travailleur.

 

C’est pour cette raison que le travailleur fut assigné temporairement à un rôle de formateur.

 

Si une telle formation était nécessaire en temps régulier, elle l’était également en temps supplémentaire.

 

Ainsi, la Commission d’appel ne s’explique pas que l’employeur n’ait pas au moins offert au travailleur la possibilité de continuer d’effectuer en temps supplémentaire son travail de formateur.

 

M. Fortin, lors de son témoignage devant la Commission d’appel précise qu’une politique de l’employeur consiste à ne pas offrir d’effectuer du temps supplémentaire à un travailleur en assignation temporaire.

 

Cette politique apparaît à la Commission d’appel discriminatoire envers un travailleur incapable d’exécuter son travail régulier mais capable d’effectuer le travail sur lequel il est assigné temporairement.

 

Si ce travail temporaire requiert du temps supplémentaire, le travailleur a le droit de pouvoir bénéficier de cette possibilité et nier un tel droit équivaut également à imposer au travailleur une mesure interdite par l’article 32 de la loi.

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D’APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

ACCUEILLE l’appel du travailleur, M. Sylvain Girard;

 

 

INFIRME la décision du bureau de révision rendue le 21 avril 1997;

 

 

DÉCLARE que le travailleur fut victime d’une mesure prohibée par l’article 32 de la loi;

 

DÉCLARE que le travailleur a droit à l’équivalent du temps supplémentaire qu’il aurait normalement exécuté les 4, 5, 7 et 11 mars 1996.

 

 

 

 

                                                                                            

                                                            Ginette Godin

                                                            Commissaire

 

 

C.S.N.

(Me Georges-Etienne Tremblay)

155, boul. Charest Est

Québec (Québec)

G1K 3G6

 

Représentant de la partie appelante

 

 

LAVERY, DE BILLY

(Me Claudia P. Prémont)

925, ch. St-Louis, #500

Québec (Québec)

G1S 1C1

 

Représentant de la partie intéressée

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