Brosseau c. Messageries Sans Limites inc.

2016 QCCQ 3349

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-142625-146

 

 

 

DATE :

25 janvier 2016

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE NATHALIE CHALIFOUR, J.C.Q.

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GÉRALD BROSSEAU

 

           Demandeur

c.

 

LES MESSAGERIES SANS LIMITES INC.

 

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]   Dans cette instance et dans l’instance 500-32-140589-138, le demandeur, Gérald Brosseau, demande réparation pour la violation de ses droits d’auteur sur une photographie. Les motifs du Tribunal étant presque identiques dans les deux instances, les deux jugements comportent beaucoup de similitudes. Néanmoins, le Tribunal a préféré rendre les jugements distinctement.

[2]   Dans la présente instance, M. Brosseau réclame 4 140 $ à titre de dommages et de dommages punitifs pour l’utilisation sans son consentement d’une de ses photographies à des fins commerciales par la défenderesse. Il reproche à  la défenderesse, Les Messageries Sans Limites Inc. (ci-après : MSL), une entreprise de messageries, d’avoir intégré sa photographie à un site Web servant à la promouvoir.

[3]   MSL nie avoir violé les droits d’auteur de M. Brosseau et soutient qu’il lui était impossible de savoir que la photographie, disponible sur le Web, n’était pas libre de droits.

Questions en litige :

1.            Les droits d’auteur de M. Brosseau dans la photographie ont-ils été violés?

2.            Dans l’affirmative, quels sont les dommages qui peuvent être réclamés?

3.            Des dommages punitifs peuvent-ils également être attribués?

 

Les faits :

[4]   En avril 2008, M. Brosseau réalise un montage de huit photographies de la ville de Montréal qu’il assemble de manière à en créer qu’une seule et qu’il intitule Montréal sur le fleuve[1].

[5]   Il rend ensuite cette photographie disponible sur son blogue La photo du jour[2]. La mention suivante est inscrite au bas de l’écran :

« Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons. »[3]

[6]   En cliquant sur la mention, l’internaute est informé que[4] :

i)             M. Brosseau souhaite conserver la paternité de son œuvre et exige d’être identifié par son nom;

ii)            aucune utilisation commerciale de ses photographies n’est autorisée;

iii)           ses photographies ne peuvent être modifiées, transformées ou adaptées.

[7]    Aucune autre mention de droits d’auteur ou de mesures de protection n’est mise en place et il est possible de télécharger les photographies en différents formats.

[8]   M. Brosseau explique être favorable à la libre circulation de ses œuvres à des fins privées. Cependant, il souhaite contrôler les exploitations commerciales, le cas échéant. Ainsi, il évalue chaque demande d’utilisation de ses photographies à des fins commerciales afin de fixer un prix adéquat et de s’assurer que l’usage de chacune lui convienne.

[9]   À titre d’exemple, il a déjà autorisé un bureau d’évaluateurs agréés à intégrer la photographie en litige à son site Internet moyennant le paiement de 100 $.

[10]        Au début de 2013, c’est d’ailleurs un représentant de ce même bureau d’évaluateurs agréés qui le contacte pour l’informer de l’utilisation de la même photographie dans le site Internet d’un bureau concurrent.

[11]        M. Brosseau constate alors que d’autres entreprises utilisent la photographie pour illustrer leur site Internet ou leur blogue promotionnel, dont MSL. Ainsi, MSL a utilisé la photographie Montréal sur le fleuve pour illustrer sur son site Web la page de présentation de ses services[5].

[12]        Le 29 avril 2013, M. Brosseau met en demeure MSL de cesser d’utiliser illégalement sa photographie et réclame une indemnisation[6]. Il se plaint aussi que MSL a modifié son œuvre puisque sa photographie apparaît dans un encadrement particulier qui lui donne un effet bombé.

[13]        Sur réception de la mise en demeure, MSL retire la photographie de son site Web. Ayant été mise en ligne en février 2013, la photographie n’a été utilisée que pour une durée de trois mois.

[14]        M. Brosseau fixe le montant des dommages qu’il réclame dans cette instance en se référant à la grille tarifaire de l’Association canadienne des créateurs professionnels de l’image (ci-après: CAPIC ). La CAPIC représente des photographes professionnels et diffuse leur grille tarifaire respective.

[15]        Ainsi, pour une photographie qui apparaît sur ¼ de l’écran après un clic d’un icône ou d’un bouton d’un site Web, la CAPIC demande 414 $ pour une durée d’un an.[7]

[16]        Tenant compte qu’il a été mis devant le fait accompli, M. Brosseau a multiplié ce cachet par dix (10) pour un total de 4 140 $. Cette méthode de calcul comporte, selon lui, un aspect punitif.

[17]        M. Anthony Beaulieu, directeur des ventes de MSL, témoigne avoir lui-même réalisé le site Internet de l’entreprise. Pour l’illustrer, il explique avoir utilisé la banque de photographies iStock[8] et avoir payé les tarifs réclamés, soit une quarantaine de dollars pour quatre photographies[9].

[18]         M. Beaulieu a fortuitement trouvé la photographie en litige sur le site Web d’une fédération de tournois d’échecs, puis l’a téléchargée. Il affirme avoir contacté la fédération pour s’informer quant aux références de la photographie, mais dit n’avoir obtenu aucune information eu égard à l’identité de M. Brosseau. Étant alors confiant que la photographie était libre de droits, il l’a utilisée pour le site de MSL.

[19]       M. Beaulieu témoigne qu'il aurait accepté de rémunérer M. Brosseau s’il avait su que la photo n’était pas libre de droits, mais il considère sa réclamation grossièrement exagérée.

Analyse :

1.         Les droits d’auteur de M. Brosseau dans la photographie ont-ils été violés?

[20]        La photographie de M. Brosseau est le résultat de ses efforts, de son talent et de l’exercice de son jugement. Son originalité, au sens de la Loi sur le droit d’auteur (ci-après : LDA )[10], lui permet de profiter de la protection offerte par cette loi.

[21]       En vertu de l’article 3 (1) de la LDA :

« Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

(…)

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique

(…)

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes. »

(le Tribunal souligne)

[22]        Le terme télécommunication est défini à l’article 2 de la LDA comme suit:

« toute transmission de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature par fil, radio, procédé visuel ou optique, ou autre système électromagnétique. »

[23]        Il est établi que la transmission d’une œuvre par Internet est un acte de communication au public par télécommunication.[11]

[24]        Il est également reconnu que le fait de rendre une œuvre disponible sur Internet ne dépouille pas le titulaire de droits d’auteur de ses droits.

[25]         Comme l’explique l’auteur Sébastien Pigeon :

« Le fonctionnement même de l’Internet, l’échange constant de fichiers numériques, revient à faciliter la copie et contribue probablement à banaliser celle-ci. Il n’en demeure pas moins que les règles du droit d’auteur sont applicables dans l’environnement numérique, la Loi enchâssant même ce principe de neutralité technologique. Ainsi, un auteur ne perd pas ses droits du seul fait qu’une œuvre est dématérialisée et utilisée ou distribuée sans support physique. »[12]

(le Tribunal souligne)

[26]       En rendant sa photographie disponible sur son blogue, M. Brosseau n’a pas perdu son droit exclusif de la communiquer au public, de même que tous les autres droits exclusifs prévus à la LDA.

L’absence d’une mention de droits d’auteur sur la photographie ou d’une mesure de protection empêchant son téléchargement est-elle un moyen de défense?

[27]        MSL reproche à M. Brosseau de n’avoir pris aucune mesure pour empêcher le téléchargement de la photographie et de ne pas avoir apposé une mention de droits d’auteur directement sur la photographie.

[28]        Or, le droit d’auteur naît de la seule création d’une œuvre originale au sens de la LDA. Il n’est pas conditionnel à l’inscription d’une mention sur l’œuvre ou à la mise en place d’une mesure de protection.

[29]        L’auteur Normand Tamaro rappelle qu’on ne peut ignorer le droit et que l’on est réputé « avoir un doute raisonnable qu’un droit d’auteur existe sur une œuvre ». De plus, il souligne l’existence d’une « présomption permettant de conclure qu’une œuvre, même non enregistrée, fait l’objet de la protection. »[13].

[30]        L’absence d’une mention de droits d’auteur ou d’une mesure de protection directement sur la photographie ne peut justifier MSL et constituer une défense.

 

[31]        Par ailleurs, le fait que d’autres personnes aient utilisé la photographie sans droits, ailleurs sur divers sites ou pages Web, n’est pas non plus un moyen de défense. Comme Me Tamaro l’enseigne:

« ce n’est pas parce qu’il est en preuve qu’une œuvre a fait ou fait encore l’objet d’une contrefaçon qu’une personne peut s’autoriser de cette pratique pour contrefaire l’œuvre impunément » [14].

[32]        Dans Les Salons Marcel Pelchat Inc. c Breton et als[15], la Cour supérieure souligne le devoir de celui qui souhaite utiliser une œuvre d’agir activement pour s’assurer de respecter les droits de l’auteur. Traitant d’une utilisation à des fins commerciales d’une photographie, la même Cour explique à ce sujet :

 « (…) la législation actuelle ne peut plus être invoquée pour cautionner une forme quelconque d’aveuglement volontaire, ce qui emporte comme corollaire une obligation de diligence raisonnable de la part de celui qui s’apprête à utiliser pour lui-même un document sur lequel un tiers pourrait détenir un droit d’auteur. En d’autres termes, celui à qui l’on reproche la reproduction ou l’utilisation non autorisée d’une œuvre protégée par la Loi doit non seulement établir sa bonne foi et son ignorance de droits pouvant appartenir à des tiers, mais il doit démontrer aussi qu’il a pris au départ des précautions raisonnables pour éviter de s’approprier l’œuvre d’un autre. »

(le Tribunal souligne)

[33]        Ayant eu accès à la photographie sur un site Web, mais ne pouvant retracer son auteur, MSL aurait dû s’abstenir de l’utiliser. MSL ne pouvait présumer que la photographie était dans le domaine public; par exemple, son aspect moderne témoigne du fait que la durée de la protection ne pouvait être échue.

[34]        Par ailleurs, M. Beaulieu est bien au fait des restrictions entourant l’utilisation d’une photographie, ayant fait affaires avec des banques d’images.

[35]        Les droits d’auteurs de M. Brosseau ont été violés et il a droit d’être compensé.

2.         Dans l’affirmative, quels sont les dommages qui peuvent être réclamés?

[36]       Tenant compte que M. Brosseau a déjà autorisé une utilisation commerciale de sa photographie moyennant 100 $, du fait que MSL a retiré la photographie de son site Web sur réception de la mise en demeure et que la photographie a été utilisée pendant une courte période, le Tribunal estime qu’un montant de 125 $ est suffisant pour compenser tous les dommages pécuniaires et moraux subits par M. Brosseau.

3.         Des dommages punitifs peuvent-ils également être attribués?

[37]       Le caractère intentionnel de la violation ou de la mauvaise foi de MSL n’ayant pas été établi, aucun dommage punitif ne peut être accordé[16].

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie la demande du demandeur ;

CONDAMNE la défenderesse, Les Messageries Sans Limites inc., à payer au demandeur, Gérald Brosseau, la somme de 125 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de la mise en demeure, soit du 29 avril 2013;

AVEC LES FRAIS DE JUSTICE, soit le timbre judiciaire de 137 $ payés par le demandeur.

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

NATHALIE CHALIFOUR, J.C.Q.

 

Date d’audience : 24 novembre 2015.

 



[1]     P-1.

[2]     P-2.

[3]     P-2.

[4]     P-2.

[5]     P-4.

[6]     P-5.

[7]     P-7

[8]     D-1.

[9]     D-1.

[10]   Voir CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13 et Art.5 (1), L.R.C. (1985), ch. C-42

[11] Voir Association canadienne des fournisseurs Internet et als. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique et als, 2004 CSC 45

[12] Droit d’auteur et droit des technologies, Barreau du Québec-Service de la formation continue, Montréal, 2008

[13] TAMARO Normand, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 7e édition, Thomson Carswell, pp. 710 à 716

[14] TAMARO Normand, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 7e édition, Thomson Carswell, pp. 710 à 716

[15] 3 février 2004, 200-05-014537-018; voir aussi : Santo Limousines Inc. c Simonetti, C.Q., 2006 QCCQ 16908

[16] Voir, Droit d’auteur et droit des technologies, Barreau du Québec-Service de la formation continue, Montréal, 2008

 

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