Hydro-Québec |
2014 QCCLP 957 |
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[1] Le 23 juillet 2013, Hydro-Québec (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l'encontre d'une décision rendue le 4 juillet 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST réitère celle qu'elle a initialement rendue le 30 mai 2013 et déclare que l'imputation au dossier de l'employeur demeure inchangée.
[3] Une audience était prévue à Saint-Jérôme le 9 janvier 2014 laquelle n'a pas eu lieu puisque la procureure de l'employeur a demandé au tribunal de rendre une décision sur dossier. Elle a transmis une argumentation écrite et le dossier a été pris en délibéré le 9 janvier 2014.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la totalité du coût des prestations postérieures au 2 décembre 2010 qui ont été versées à madame Doris Malenfant (la travailleuse) en lien avec son accident du travail du 7 avril 2010 doit être transférée aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS
[5] Le 7 avril 2010, la travailleuse occupe un emploi de représentante et agente de recouvrement chez l'employeur. À cette date, elle déclare être victime d'une lésion professionnelle, soit un trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive. Elle invoque avoir été l'objet de harcèlement et de violence verbale sur son lieu de travail de la part de son gestionnaire.
[6] À compter de cette date, la travailleuse est suivie par le docteur T. Pham lequel recommande un arrêt de travail et un suivi auprès du psychologue.
[7] Le 5 octobre 2010, la travailleuse est examinée par le docteur André Gamache, psychiatre, à la demande de l'employeur. Lors de cette rencontre, la travailleuse déclare avoir une amélioration d'environ 50 %. Elle se sent prête à un retour au travail, mais ne veut plus travailler sous les pouvoirs de son gestionnaire.
[8] À la suite de son examen, le docteur Gamache pose un diagnostic de trouble d'adaptation avec humeur mixte en voie de résolution. Il considère que la travailleuse est apte à un retour au travail, et ce, à temps plein. Par ailleurs, il recommande qu'elle ne travaille pas sous le contrôle de son ancien gestionnaire. Il émet cette restriction fonctionnelle pour une période de trois mois.
[9] À compter du 5 août 2010, le docteur Pham mentionne dans ses rapports médicaux transmis à la CSST que la travailleuse ne doit pas être sous la supervision de son ancien gestionnaire lors d'un retour éventuel. Il maintient sa recommandation quant à un arrêt de travail.
[10] Le 4 novembre 2010, le docteur Pham mentionne dans son Rapport médical que la travailleuse peut effectuer un retour au travail seulement si elle n'est pas sous la supervision de son ancien gestionnaire et qu'à défaut, il maintient sa recommandation quant à un arrêt de travail.
[11] Le 16 novembre 2010, la CSST à la suite d'une révision administrative, reconnaît que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 7 avril 2010, soit un trouble d'adaptation avec humeur anxieuse.
[12] Le 7 décembre 2010, une agente d'indemnisation de la CSST communique avec la travailleuse et à cette occasion, elle note que cette dernière n'a pas de limitation concernant son emploi et qu'elle désire intégrer ce dernier. La seule restriction demeure celle de ne pas être sous la supervision de son ancien gestionnaire.
[13] Le 27 janvier 2011, l'agent d'indemnisation de la CSST communique avec une représentante de l'employeur, laquelle souhaite discuter de l'assignation temporaire qui aurait été refusée par le médecin traitant. La représentante de l'employeur mentionne ne pas comprendre pourquoi le médecin traitant a refusé cette assignation alors que la limitation actuelle de ne pas travailler sous la supervision de l'ancien gestionnaire est respectée. Elle déclare avoir fait plusieurs propositions à la travailleuse pour le travail, mais que celle-ci refuse toute alternative. Elle confirme également que l'ancien gestionnaire restera à son poste actuel et que cela ne changera pas. Il est donc constaté que la travailleuse devra postuler sur un autre poste ou encore que l'ancien gestionnaire postule sur un autre poste, ce qui est complètement imprévisible.
[14] L'agente d'indemnisation demande à la représentante de l'employeur s'il existe une possibilité que la travailleuse effectue son travail sous la supervision d'un autre gestionnaire tout en conservant son poste prélésionnel. La représentante affirme que cela n'est pas possible.
[15] Au cours des semaines suivantes, l'agente communique avec le représentant de la travailleuse ainsi que l'employeur au sujet d'un éventuel retour au travail de la travailleuse. Il est alors discuté de la possibilité que la travailleuse effectue son emploi sans être sous la supervision de son ancien gestionnaire. La représentante de l'employeur affirme que cela ne sera pas possible. Elle déplore le fait que la travailleuse semblait vouloir décider de tout et n'avoir qu'une solution alors que l'employeur en a proposé plusieurs et démontre de l'ouverture.
[16] Le 3 février 2011, le docteur B. N. Nguyen, psychiatre, examine la travailleuse à la demande de l'employeur. Lors de cette rencontre, la travailleuse soumet entre autres qu'elle serait prête à retourner au travail, mais qu'elle est incapable de travailler avec son ancien gestionnaire à cause de l'anxiété et des craintes de représailles. Son médecin a demandé qu'elle ne travaille pas avec le gestionnaire et l'employeur a voulu la retourner à son ancien poste au service à la clientèle, ce qu'elle n'a pas voulu faire. Elle trouve injuste d'être pénalisée à cause du gestionnaire et estime que ce n'est pas à elle d'être rétrogradée, de retourner à des tâches qu'elle ne voulait plus faire alors que le gestionnaire continue son travail comme si de rien n'était, et ce, sans conséquence.
[17] Le docteur Nguyen note que la travailleuse a refusé l'assignation temporaire qui respectait les restrictions de son médecin, soit de ne pas travailler sous la supervision de son ancien gestionnaire, trouvant injuste qu'il lui faille retourner à l'ancien poste. À la suite de son examen, il pose un diagnostic de trouble d'adaptation avec humeur anxieuse. À l'Axe IV, il conclut à la présence de stresseurs précipitants soient les difficultés au travail avec son gestionnaire et à la présence d’un stresseur perdurant soit une incertitude au niveau de sa plainte et de son poste. Il considère que la lésion n'est toujours pas consolidée. Il recommande le maintien de la psychothérapie.
[18] Il est également d'avis que la travailleuse ne devrait pas travailler sous la supervision de son ancien gestionnaire, restriction qui a d'ailleurs été recommandée par son médecin traitant. Il n'identifie aucune autre limitation fonctionnelle. Il constate que le refus de l'assignation tant par la travailleuse que par le médecin traitant lui apparaît davantage motivé par des considérations personnelles et administratives. Sur cet aspect, il réitère que la travailleuse ne veut pas retourner à son ancien emploi qui constituerait en une rétrogradation selon elle et qu'elle veut retourner à son poste habituel, trouvant injuste d'être pénalisée alors que le gestionnaire reste en poste sans conséquence. Il estime donc que ce refus n'est pas en lien avec une condition psychiatrique.
[19] En mars 2011, l'agente d'indemnisation communique avec une psychoéducatrice qui effectue le suivi de la travailleuse. Selon cette dernière, la travailleuse serait en mesure éventuellement de réintégrer ses fonctions, et ce, même sous les ordres de son ancien gestionnaire.
[20] Le 8 mars 2011, la représentante de l'employeur déclare avoir fait quatre différentes propositions d'assignation temporaire au médecin traitant. Il est également discuté d'une demande au Bureau d'évaluation médicale.
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Le 17 mars 2011, l'employeur dépose à la CSST une demande de transfert du coût des prestations en vertu de l'article
[22] Le 4 avril 2011, le docteur Pham refuse une demande d'assignation temporaire de l'employeur quant à un poste de représentante et agente de recouvrement basé à Blainville avec charge de travail clérical. Il refuse également une autre demande d'assignation temporaire pour un poste de releveur de compteurs lequel serait effectué sur le territoire de Blainville. Enfin, il refuse une demande d'assignation temporaire à un poste de commis relève et refonte. Le travail serait également exercé à Blainville.
[23] Le 5 juillet 2011, le docteur Nguyen examine de nouveau la travailleuse. Il note que les assignations temporaires proposées par l'employeur ont toutes été refusées par le médecin traitant. La travailleuse disant notamment ne pas vouloir retourner à son ancien poste au service à la clientèle puisqu'il s'agirait d'une rétrogradation selon elle. La travailleuse ne voulait pas non plus être mutée à Blainville, ce qui l'éloigne de son lieu de résidence. Elle estime que ce n'est pas à elle d'être pénalisée. À la suite de son examen, le docteur Nguyen consolide la lésion et ne recommande pas de continuer la psychothérapie. Il prévoit une atteinte permanente de 5 % ainsi qu'une limitation fonctionnelle, soit de ne pas travailler sous la supervision de son ancien gestionnaire.
[24] Le 10 août 2011, le docteur Pham recommande un retour au travail progressif à raison de deux jours par semaine non consécutifs dans le même emploi en évitant de se retrouver seule avec son ancien gestionnaire.
[25] Le 15 septembre 2011, le docteur Pham autorise une assignation temporaire de l'employeur, laquelle est conforme à la recommandation qu'il a émise le jour même.
[26] À cette date, il rédige également une note où il fait mention que le fait que la travailleuse travaille sur la route satisfait à l'exigence d'éviter d'être seule avec le gestionnaire. Il ajoute que la travailleuse a aussi des stratégies pour éviter d'être seule avec le gestionnaire. Il considère que le fait de travailler à Montréal augmente son stress de façon importante. Il recommande donc qu'elle puisse travailler dans son territoire prélésionnel.
[27] Le 12 janvier 2012, la docteure H. Fortin, psychiatre, émet son avis à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale. Lors de cette rencontre, la travailleuse décrit les propositions faites par l'employeur de retourner au travail avec la limitation fonctionnelle de son médecin lesquelles se sont soldées par des échecs dans un contexte où elle se sentait injustement traitée par ces propositions qui impliquaient pour elle une rétrogradation ou un changement du lieu de travail causant préjudice ou encore l'acceptation d'un poste qui rendait précaire son avenir professionnel chez l'employeur. Elle déclare qu'elle aurait pu travailler si on lui avait proposé des postes où elle ne se serait pas sentie lésée. À la suite de son examen clinique, la docteure Fortin consolide la lésion le 22 décembre 2011 et ne recommande aucun soin ou traitement additionnel. Elle suggère de diminuer de façon progressive le Celexa afin qu'il soit cessé d'ici quelques semaines. Elle ne recommande aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[28] Le 18 janvier 2012, la CSST entérine l'avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale. Elle conclut que les soins ou traitements ne sont plus justifiés depuis le 22 décembre 2011 et que la lésion n'a entraîné aucune atteinte permanente. De plus, en raison de la consolidation de la lésion et de l'absence de limitations fonctionnelles, elle conclut que la travailleuse est capable d'exercer son emploi et qu'elle doit cesser de lui verser une indemnité de remplacement du revenu à compter du 17 janvier 2012.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[29] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le coût de l'indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à compter du 2 décembre 2010 doit être imputé au dossier de l'employeur.
[30] Dans le présent dossier, l'employeur soutient être obéré injustement par l'imputation du coût de cette prestation versée à la travailleuse, et ce, à la suite du refus non motivé des assignations temporaires qu'il a proposées à la travailleuse à compter de cette date.
[31] Or, l'analyse de la jurisprudence récente du tribunal révèle que la situation invoquée par l'employeur doit être analysée en vertu du premier alinéa de l'article 326 de la loi, puisqu'il s'agit d'une demande de transfert partiel du coût des prestations.
[32] Ainsi, dans l’affaire Supervac 2000[2], le tribunal a analysé l’ensemble de la jurisprudence et a conclu que le premier alinéa de l’article 326 de la loi pouvait recevoir application dans le cadre d’une demande de transfert partiel du coût des prestations comme celle qui est actuellement en litige dans le cadre de la présente contestation.
[33] Dans l’affaire Centre d’éveil Devenir Grand[3], le tribunal souscrit à cette interprétation et souligne ce qui suit :
[37] Dans l’affaire Supervac 20003 rendue le 28 octobre 2013, la Commission des lésions professionnelles écrit qu’afin de mieux cerner la portée de l’article 326 de la loi relativement au litige dont elle est saisie, soit que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur en raison de l’interruption de l’assignation temporaire occasionnée par son congédiement pour cause juste et suffisante ne devrait pas lui être imputé, il faut procéder à une analyse contextuelle globale de la loi.
[38] Par la suite, le tribunal fait une revue de la jurisprudence en la matière et relate que traditionnellement et de façon majoritaire, la Commission des lésions professionnelles a analysé les demandes de transfert au motif d’interruption ou d’impossibilité d’exécution de l’assignation temporaire pour une condition personnelle selon le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi exigeant que l’employeur fasse la preuve qu’il est « obéré injustement »4.
[39] La Commission des lésions professionnelles rapporte que depuis 2003 quelques décisions ont été rendues5 traitant de ce type de demande en ayant recours au premier alinéa de l’article 326 de la loi plutôt qu’au deuxième alinéa au motif que le coût des prestations que l’employeur désire voir retirer de son dossier financier n’est pas directement dû en raison de l’accident du travail subi par le travailleur.
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4 Voir notamment : Hôpital Laval et CSST, C.A.L.P.
5 Groupe Admari inc. et CSST, C.L.P.
[40] Elle estime donc qu’il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’intention réelle du législateur et s’exprime comme suit :
[99] Par conséquent, il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’intention réelle du législateur lorsqu’il a édicté le principe général d’imputation au premier alinéa de l’article 326 de la loi et les exceptions à ce principe, notamment au deuxième alinéa du même article.
[100] Pour y parvenir, il est essentiel de revenir à l’analyse contextuelle globale de la loi qui fait ressortir que le principe général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi vise à s’assurer que le coût des prestations versées en raison d’un accident survenu chez un employeur lui soit imputé.
[101] Cependant, lorsqu’une partie de ces coûts est générée par une situation étrangère n’ayant pas de lien direct avec la lésion professionnelle, comme c’est notamment le cas du congédiement ou encore de la condition intercurrente ou personnelle interrompant une assignation temporaire, est-il justifiable que ces sommes demeurent imputées au dossier de l'employeur?
[102] Dans de telles circonstances, ne serait-ce pas le premier alinéa de l’article 326 de la loi qui devrait s’appliquer plutôt que le second?
[103] En vue de se prononcer à cet égard, le tribunal a analysé le libellé même de l’article 326 de la loi et en dégage les principes suivants.
[104] Le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi semble référer à un transfert total du coût des prestations. Pour en venir à cette conclusion, le tribunal se base notamment sur l’expression retenue par le législateur, soit d’imputer « le coût des prestations ».
[105] Or, si l’on compare le libellé de cet alinéa à celui de l’article 329 de la loi où il est spécifiquement mentionné que la CSST peut imputer « tout ou partie du coût des prestations », il est possible de faire une distinction importante entre la portée de ces deux dispositions.
[106] D’ailleurs, dans l’affaire Les Systèmes Erin ltée, la Commission des lésions professionnelles s’est penchée sur la portée du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Il apparaît pertinent d’en citer certains passages :
[26] Finalement, il importe de souligner que l’article 326 de la loi permet un transfert du coût des prestations dues en raison d’un accident du travail, et ce, aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités afin de prévenir que l’employeur ne soit obéré injustement.
[27] Cela implique, comme dans le cas de l’article 327, qu’il y a transfert de coût et non partage, comme c’est le cas en application des articles 328 et 329. Cette dernière disposition prévoit que la CSST « peut [...] imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités » alors que l’article 326 prévoit que la CSST « peut [...] imputer le coût des prestations [...] aux employeurs [...] ». Ainsi, lorsqu’il y a matière à application de l’article 326 alinéa 2, la totalité du coût des prestations ne doit plus être imputée à l’employeur, un transfert devant être fait: il ne saurait être question de ne l’imputer que d’une partie du coût. C’est, en quelque sorte, tout ou rien.
[28] D’ailleurs, lorsqu’il est question d’un accident du travail attribuable à un tiers, la totalité du coût des prestations est toujours transférée ; il n’est jamais question de partage ou de transfert du coût pour une période donnée.9 Il a d’ailleurs déjà été décidé à plusieurs reprises qu’il devait obligatoirement en être ainsi.
[29] Étonnamment, lorsqu’il est question d’éviter que l’employeur soit obéré injustement, un transfert du coût des prestations pour une période donnée, soit un transfert d’une partie seulement du coût total, a régulièrement été accordé, sans, par contre, qu’il semble y avoir eu discussion sur cette question.10
[30] Avec respect pour cette position, la commissaire soussignée ne peut la partager, pour les motifs exprimés précédemment. Il en va des cas où l’on conclut que l’employeur serait obéré injustement comme de ceux où l’on conclut à un accident attribuable à un tiers : l’employeur ne saurait alors être imputé ne serait-ce que d’une partie du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail.
[31] Il importe cependant de préciser qu’il est possible, en application de l’article 326 (mais alinéa 1), de ne pas imputer à l’employeur une partie du coût des prestations versées au travailleur, pour autant que cette partie du coût ne soit pas due en raison de l’accident du travail. Un bon exemple de cette situation est la survenance d’une maladie personnelle intercurrente (par exemple, le travailleur fait un infarctus, ce qui retarde la consolidation ou la réadaptation liée à la lésion professionnelle) : les prestations sont alors versées par la CSST, mais comme elles ne sont pas directement attribuables à l’accident du travail elles ne doivent, par conséquent, pas être imputées à l’employeur. L’article 326, 1er alinéa prévoit en effet que c’est le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail qui est imputé à l’employeur.
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9 Voir notamment : General Motors du Canada ltée
et C.S.S.T.
10 Ville de St-Léonard et C.S.S.T. C.A.L.P.
(nos soulignements]
[107] La soussignée souscrit au raisonnement et aux motifs retenus dans cette décision de même qu’à l’interprétation qui en est faite du second alinéa de l’article 326 de la loi.
[108] De plus, un autre élément permet au tribunal de conclure que le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi vise un transfert total des coûts et non un transfert partiel. Il s’agit du délai prévu pour effectuer une telle demande.
[109] En effet, le législateur a spécifiquement prévu que l'employeur doit présenter sa demande dans l’année suivant la date de l’accident. Ceci s’explique, de l’avis du tribunal, par le fait que les demandes de transfert total de coûts visent généralement des motifs liés à l’admissibilité même de la lésion professionnelle. C’est clairement le cas à l’égard des accidents attribuables à un tiers et le libellé même de cet alinéa ne permet pas de croire qu’il en va autrement à l’égard de la notion d’obérer injustement. D’autant plus que l’application de ce deuxième alinéa à des demandes de transfert partiel a donné lieu à des interprétations variées de cette notion « d’obérer injustement » et mené à une certaine « incohérence » relativement à l’interprétation à donner à cette notion et à la portée réelle de l’intention du législateur.
[110] La soussignée est d’opinion que le législateur visait clairement, par les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, les situations de transfert total du coût lié à des éléments relatifs à l’admissibilité même de la lésion professionnelle, ce qui justifie d’ailleurs le délai d’un an prévu au troisième alinéa de cet article. S’il avait voulu couvrir les cas de transfert partiel de coûts, le législateur aurait vraisemblablement prévu un délai plus long, comme il l’a fait à l’égard de la demande de partage de coûts prévue à l’article 329 de la loi qui ne vise pas des situations directement reliées à l’admissibilité, mais plutôt celles survenant plus tard, en cours d’incapacité.
[111] Ceci semble d’autant plus vrai que la plupart des demandes de transfert total de coûts, liées principalement à l’interruption de l’assignation temporaire ou à la prolongation de la période de consolidation en raison d’une situation étrangère à l’accident du travail, surviennent fréquemment à l’extérieur de cette période d’un an puisqu’elles s’inscrivent au cours de la période d’incapacité liée à la lésion professionnelle. Il s’agit donc là d’un autre élément militant en faveur d’une interprétation selon laquelle les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi visent un transfert total et non un transfert partiel.
[112] Dans le cas à l’étude, puisqu’il ne s’agit pas d’une demande de transfert total, le tribunal en vient à la conclusion qu’il faut l’analyser en vertu du principe général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[41] La soussignée souscrit entièrement à ce raisonnement et fait siennes l’analyse et les conclusions de la Commission des lésions professionnelles dans cette affaire et, par conséquent, estime que la demande de l’employeur doit être analysée sous l’angle du premier alinéa de l’article 326.
[34] Dans l’affaire Arneg Canada inc.[4], le tribunal souscrit également à cette interprétation et soumet ce qui suit :
[23] À l’instar de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Supervac 20003, le présent tribunal est donc d’avis que le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi vise le transfert total des coûts et que les demandes de transfert partiel de coûts relèvent plutôt de l’application du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[24] La Commission des lésions professionnelles a également rendu une autre décision4 traitant d’une demande de transfert partiel de coûts déposée en raison d’une assignation temporaire cessée par la survenance d’une invalidité non reliée à la lésion professionnelle. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles retient aussi que les demandes de transfert partiel pour maladie intercurrente doivent être analysées à la lumière du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[25] Il en va de même dans la décision impliquant Centre de santé et de services sociaux de Rivière-du-Loup5 rendue depuis peu. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles accorde le transfert du coût des prestations versées et imputées au dossier de l’employeur pour la période où il lui a été impossible de maintenir la travailleuse en assignation temporaire en raison d’une invalidité étrangère à la lésion professionnelle. La Commission des lésions professionnelles reprend l’analyse développée par le juge administratif dans la décision Commission scolaire des Samares6 et applique le principe général édicté au premier alinéa de l’article 326 de la loi pour conclure que l’employeur ne doit pas être imputé du coût des prestations dues en raison d’un accident personnel sans lien avec l’accident du travail reconnu.
[26] En résumé, la lecture de l’article 326 de la loi amène le présent tribunal à conclure qu’en vertu du premier alinéa, un employeur peut demander que les coûts qui ne sont pas dus en raison de l’accident du travail ne lui soient pas imputés puisque l’imputation à son dossier de ces coûts contrevient au principe général d’imputation édicté par la loi. Une telle demande vise nécessairement un transfert partiel des coûts.
[27] Aux fins de statuer sur la présente requête, le tribunal doit donc déterminer si le coût des prestations versées à la travailleuse et imputées au dossier de l’employeur, pour la période du 6 décembre 2012 au 2 janvier 2013, est dû en raison de l’accident du travail subi par la travailleuse le 6 novembre 2012.
[28] C’est à l’employeur que revient le fardeau de démontrer que le coût des prestations versées et imputées durant cette période n’est pas dû en raison de l’accident du travail de la travailleuse.
[29] Qu’entend le législateur lorsqu’il fait référence au « coût des prestations dues en raison d’un accident du travail »?
[30] La Commission des lésions professionnelles a également analysé la notion de « prestations dues en raison de » dans l’affaire Supervac 20007, le tout à la lumière des définitions provenant de dictionnaires et de la jurisprudence pour retenir les principes suivants :
[122] À la lumière des définitions énoncées plus haut et des décisions auxquelles il est fait référence, le tribunal est d’avis que l’utilisation du terme « due en raison d’un accident du travail » que l’on retrouve au premier alinéa de l’article 326 de la loi présuppose qu’il doit exister un lien direct entre l’imputation des prestations versées et l’accident du travail.
[123] Ainsi, toute prestation imputée qui n’est pas due en raison d’un accident du travail devrait être retirée du dossier financier de l’employeur.
[31] Le présent tribunal souscrit entièrement à ce raisonnement.
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3 Id.
4 Commission
scolaire des Samares,
5
6 Précitée, note 4.
7 Précitée, note 2.
[35] Après analyse de la jurisprudence récente, le tribunal partage cette interprétation de l’article 326 de la loi.
[36] Ainsi, l'employeur devait démontrer par une preuve prépondérante que l'indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à compter du 2 décembre 2010 ne constituait pas une prestation due en raison d'un accident du travail, et ce, en raison du refus des demandes d'assignation temporaire de la part du médecin qui a charge.
[37] À l'appui de son argumentation, la procureure de l'employeur dépose la décision rendue par le tribunal dans l'affaire Hvac inc.[5] où il est analysé une demande de transfert de coûts en vertu du deuxième alinéa de l'article 326 de la loi. L'employeur invoquait le refus du médecin qui a charge de signer les demandes d'assignation temporaire. Sur ce sujet, le tribunal conclut ce qui suit :
[24] De plus, le tribunal constate qu’aucun formulaire refusant l’assignation temporaire n’est présent au dossier. Dans les faits, il n’y a aucun formulaire signé par le docteur Charles qui a tout simplement ignoré les demandes de l’employeur. Le tribunal retient que l’employeur n’a pu, dans ces circonstances, discuter avec le médecin pour bonifier s’il y avait lieu l’assignation temporaire ou pour connaître les motifs du refus d’assigner le travailleur à des travaux légers. Le dossier ne révèle pas les motifs pour lesquels le docteur Charles refusait l’assignation temporaire si tel est le cas, la preuve révélant plutôt un manque total et flagrant de collaboration de sa part.
[25] Ce n’est donc pas le refus motivé d’une assignation temporaire qui obère injustement l’employeur dans le présent cas, mais bien le refus systématique du médecin qui a charge de compléter ces formulaires qui obère l’employeur, ce dernier ne pouvant ajuster ses demandes en conséquence des motifs du médecin de refuser une telle assignation.
[26] Comme mentionné dans la cause Centre d’hébergement et de soins de longue durée Émilie-Gamelin, Armand-Lavergne[6], un employeur ne reçoit pas nécessairement de réponse favorable lorsqu’il formule une demande d’assignation temporaire. Cependant, si la réponse est négative, il peut alors s’ajuster et soumettre une nouvelle demande en offrant un travail différent que le travailleur sera en mesure d’effectuer. Dans cette cause, la Commission des lésions professionnelles indiquait plus précisément que :
[25] Si la réponse demeure négative, cela ne fait pas en sorte que l’employeur est obéré injustement, car les coûts résultent alors de la simple application d’une disposition de la loi, tel que le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Centre hospitalier Royal Victoria 3. La situation est toutefois différente lorsqu’elle résulte de l’omission du médecin qui a charge de répondre à la demande d’assignation temporaire.
[26] L’employeur qui, de façon diligente, prend les mesures nécessaires pour limiter le coût des prestations reliées à l’accident du travail, dans la mesure qui lui est permise par la loi, peut certainement prétendre qu’il est obéré injustement, suivant les termes du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, lorsque l’omission du médecin qui a charge, de répondre à sa demande d’assignation temporaire l’empêche d’assigner temporairement un travail à la travailleuse.
[27] Cette situation constitue une injustice dans la mesure où elle crée une impossibilité pour l’employeur de se prévaloir d’une disposition prévue à la loi qui pourrait lui permettre de diminuer les coûts de la lésion professionnelle et se voir, par le fait même, injustement imputé du coût des prestations pour une période donnée.
[28] La Commission des lésions professionnelles estime que cette situation particulière pour l'employeur est comprise dans la notion d’injustice qui, selon la jurisprudence récente et majoritaire de la Commission des lésions professionnelles doit recevoir une interprétation large et libérale. La présence d'une telle injustice constitue une condition d’ouverture à l’application du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[29] En effet, il est maintenant retenu de façon majoritaire par la Commission des lésions professionnelles que l'employeur sera obéré injustement s'il doit supporter un fardeau financier disproportionné ou injustement onéreux eu égard aux circonstances du dossier.
[38] Dans le présent cas, l'omission ou l'inaction du médecin qui a charge entraîne des délais importants pour l'employeur, lui faisant encourir des coûts inutiles et l'empêchant d'assigner temporairement un travail à la travailleuse.
[44] En l'espèce, le défaut du médecin qui a charge, ne crée pas seulement un délai supplémentaire mais engendre une impossibilité, pour l'employeur, de se prévaloir des dispositions prévues à l'article 179 de la loi. Au surplus, non seulement l'employeur ne dispose d'aucun recours pour contrer cette situation mais la CSST elle-même n'a pas réussi à obtenir la collaboration du médecin qui a charge.
[…]
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3
C.L.P.
[27] Le tribunal conclut que la situation décrite dans cette décision et pour laquelle la Commission des lésions professionnelles accordait un transfert d’imputation s’applique en l’espèce, les circonstances étant plus que similaires sinon identiques.
[38] Dans son argumentation, la procureure de l'employeur invoque également la décision rendue dans l'affaire Camions Laguë inc.[7] où le tribunal a considéré que le travailleur avait été obéré injustement du fait du report d'une chirurgie laquelle était liée à l'attitude inexplicable d'un travailleur quant à son choix personnel de la refuser qui ne relevait pas de la responsabilité de l'employeur.
[39] Or, les faits du présent dossier diffèrent de ceux qui sont décrits dans ces décisions. En effet, dans le présent dossier, le médecin qui a charge n'a pas négligé de donner suite aux demandes d'assignation temporaire, mais les a plutôt refusées.
[40] Certes, ce refus des assignations temporaires s'explique en partie par la perception de la travailleuse en regard des tâches que voulait lui faire exécuter l'employeur dans le cadre de l'assignation temporaire. Toutefois, le dossier ne contient aucune information additionnelle du médecin qui a charge quant à son refus des assignations temporaires.
[41] Dans ce contexte, le tribunal peut difficilement conclure que la décision du médecin qui a charge n’était pas conforme aux exigences de l’article 179 de la loi.
[42] L'article 179 de la loi prévoit ce qui suit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le
médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles
__________
1985, c. 6, a. 179.
[43] En vertu de cette disposition, il appartient au médecin qui a charge de se prononcer sur une demande d'assignation temporaire et de prendre en considération les trois aspects qui sont prévus par le législateur. Lorsque le médecin refuse une demande, il n’a pas à émettre une opinion détaillée afin que sa décision soit considérée valide.
[44] Ainsi dans le présent dossier, le médecin qui a charge a refusé les demandes d'assignation temporaire. Lors de ces refus, il n’a pas émis d’opinion détaillée. Certes, l’employeur invoque que l'assignation temporaire proposée respectait la limitation fonctionnelle du médecin qui a charge. Or, cela ne suffit pas à démontrer que la décision du médecin n’était pas fondée.
[45] De façon plus spécifique, le dossier ne comporte aucune note clinique du docteur Pham. Ainsi, le dossier ne permet pas de constater si le médecin a considéré plusieurs facteurs afin de déterminer si l'assignation temporaire remplissait les conditions émises par le législateur.
[46] L’employeur soumet que la décision du médecin qui a charge quant aux demandes d'assignation temporaire était fondée sur les déclarations de la travailleuse. Il se réfère à la conclusion du docteur Nguyen lequel fait valoir les motivations de la travailleuse pour expliquer son refus des demandes d’assignation temporaire.
[47] Or, il convient de réitérer que le législateur a prévu que la décision d'autoriser une assignation temporaire appartenait au médecin qui a charge et non au travailleur. Ainsi, l'employeur ne peut invoquer le refus de la travailleuse d'accepter une assignation temporaire puisque cette décision ne lui revenait pas.
[48] Dans le contexte où le médecin qui a charge a refusé l'assignation temporaire demandée par l'employeur, le tribunal ne peut prendre en considération l'attitude de la travailleuse afin de déterminer si l'employeur est obéré injustement par l'imputation du coût de l'indemnité de remplacement du revenu qui a été versée au-delà du 2 décembre 2010.
[49] Le dossier démontre qu’à compter de cette période, il y a eu divers échanges téléphoniques entre la CSST, la travailleuse et l'employeur au sujet d'un éventuel retour au travail. Toutefois, il n'a pas été effectué de communication auprès du médecin qui a charge afin d'obtenir des précisions de sa part à la suite de ses refus des demandes d'assignation temporaire.
[50] Ainsi, le tribunal ne peut conclure comme le suggère l'employeur que le médecin qui a charge a refusé les demandes d'assignation temporaire sur la base de considération personnelle ou administrative. Une telle conclusion n'est pas supportée par une preuve prépondérante au dossier.
[51] Il n’a pas été démontré que le médecin qui a charge a refusé sans motif valable les demandes d'assignation temporaire de l'employeur. Cette décision lui appartenait et rien dans la loi ne prévoyait l'obligation de sa part de motiver de façon détaillée sa décision.
[52] Il est possible que le docteur Pham ait pris en considération divers facteurs avant de prendre sa décision de refuser les demandes de l’employeur. Le respect d’une limitation fonctionnelle ne suffit pas à lui seul pour conclure que l'assignation temporaire proposée par l'employeur rencontrait les trois conditions édictées à l'article 179 de la loi.
[53] Dans ce contexte, le tribunal est d'avis que l'employeur n'a pas démontré que l'indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à compter du 2 décembre 2010 n'est pas due en raison de son accident du travail. Il doit donc être imputé du coût de ces prestations.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par Hydro-Québec (l'employeur) ;
CONFIRME pour d'autres motifs la décision rendue le 4 juillet 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative ;
DÉCLARE que l'employeur doit être imputé de l'ensemble des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par madame Doris Malenfant (la travailleuse) le 7 avril 2010.
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Daniel Martin |
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Me Alexandra Plante |
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McGovern, Fréchette, Avocats |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] 2013 QCCLP 6341, requête en révision judiciaire actuellement pendante.
[3] 2013 QCCLP 6610; voir au même effet : 1641-9749
Québec inc.,
[4] 2013 QCCLP 6474; voir au même effet : Provigo
Distribution (Division Maxi)
[5] C.L.P.
[6] Centre d’hébergement et de soins de longue durée Émilie-Gamelin,
Armand-Lavergne,
C.L.P.
[7] 2010 QCCLP 7881.
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du plumitif s'avère une précaution utile.