Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

25 janvier 2005

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

233603-02-0405

 

Dossier CSST :

123681827

 

Commissaire :

Me Jean-François Clément

 

Membres :

André Beaulieu, associations d’employeurs

 

Gilles Gagnon, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Yvan-Marcel Bélanger

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Corporation minière Inmet (Troilus)

 

Ressources M.S.V.

 

 

Parties intéressées

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 4 mai 2004, monsieur Yvan-Marcel Bélanger, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 29 avril 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 13 février 2004 et déclare que la réclamation du travailleur pour asthme professionnel ne peut être acceptée puisqu’il n’a pas été reconnu porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire par le Comité spécial des présidents. Elle déclare aussi que le travailleur doit la somme de 1 232.06 $ à la CSST.

[3]                Une audience est tenue à St-Félicien le 24 janvier 2005 en présence des parties et de leurs représentants.

[4]                En début d’audience le Tribunal soulève d’office le fait que certains employeurs chez qui le travailleur a exercé la tâche de soudeur n’ont pas été convoqués à l’audience malgré qu’ils puissent éventuellement être imputés d’une partie des coûts de la lésion professionnelle en vertu de l’article 328 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ( la Loi )[1].

[5]                Après certaines vérifications, notamment auprès du service des employeurs de la CSST, il appert que l’employeur J.-H. Albert Girard a fait faillite et n’existe donc plus. Quant à Minnova division Lac Short, cet employeur n’existe plus et c’est maintenant l’employeur au présent dossier, Corporation minière Inmet, qui lui a succédé.

[6]                Quant à Ressources MSV, cet employeur existe toujours et il possède un dossier  à la CSST. Cependant, c’est l’entreprise Ressources Campbell qui est l’actionnaire de cette entreprise et qui supportera donc ultimement d’éventuels coûts dans ce dossier. Le directeur des ressources humaines de cette entreprise a transmis au Tribunal par télécopieur un document informant que Ressources MSV ne serait pas présente ni représentée pour l’audition du présent dossier. (Pièce E-1).  Le Tribunal a donc conclu qu’il pouvait procéder à l’audience de cette affaire.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il est victime d’asthme professionnel, lequel constitue une maladie professionnelle en date du 10 mars 2003.

[8]                Cependant, constatant que la demande du Comité des maladies professionnelles pulmonaires à ce que des tests soient effectués sur les lieux mêmes de l’usine n’a pas été respectée, il demande au Tribunal de retourner le dossier à la CSST pour que ces tests soient faits et que le dossier suive son cours par la suite.

[9]                Après une séance de négociations entre les parties, elles demandent conjointement au Tribunal d’ordonner que le dossier soit retourné à la CSST pour que les tests de provocation en usine soient effectués tels que requis par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

L’AVIS DES MEMBRES

[10]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires a demandé que des tests soient faits à l’usine où travaille le travailleur. Ces tests ont plutôt été faits en laboratoire ce qui n’est pas la même chose. Il y a lieu de retourner le dossier à la CSST afin que les tests en milieu de travail soient effectués et que le dossier suive son cours par la suite. Il y a donc lieu de donner suite à la demande conjointe faite par les parties.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[11]           Le 12 mars 2003, le travailleur dépose à la CSST une réclamation alléguant être victime d’asthme dû à son métier de soudeur.

[12]           Le 11 mars 2003, le docteur M.-P. Gagnon diagnostique un asthme à la soudure probable. Dans sa note de consultation il mentionne que la spirométrie pratiquée ce jour-là donne un VEMS à 68% de la prédite ce qui a significativement diminué par rapport à la spirométrie normale effectuée en février 2003. Il conclut donc à un diagnostic d’asthme dont la composante professionnelle reste à évaluer.

[13]           Le 6 juin 2003, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires  de Québec se réunit pour étudier le dossier du travailleur. Il est noté que de 1996 à 2002 le travailleur n’a pas porté d’équipements de protection. À l’histoire de la maladie, on note que les symptômes du travailleur augmentaient progressivement lors du travail pour diminuer pendant les périodes de congé. Les pneumologues membres du Comité procèdent ensuite à l’examen physique du travailleur et procèdent également à des épreuves de fonction respiratoire. Le bilan de base s’avère normal de même que la provocation bronchique à la méthacholine. Le Comité constate qu’il n’y a pas eu de mesure de débit de pointe sur les lieux du travail.

[14]           En conclusion, le Comité affirme qu’il s’agit d’un cas complexe et il estime que les symptômes tels que décrits par le travailleur sont évocateurs d’asthme. Il semble cependant selon le comité qu’on n’ait pas objectivé d’asthme comme tel dans le passé, le Comité oubliant ainsi ou n’étant pas renseigné sur le fait que ce diagnostic aurait été objectivé par le Dr Michel P. Gagnon.  Le Comité conclut son avis comme suit :

«Dans les circonstances, compte tenu du genre d’emploi qu’il occupe et des symptômes qu’il nous décrit ainsi que des informations disponibles au dossier, les membres du Comité recommandent qu’on procède à un test de provocation spécifique en usine. Des mesures de spirométrie sériée devraient être faites sur les lieux du travail.

 

Par la suite, le dossier devra nous être soumis à nouveau pour complément d’expertise.»

 

 

[15]           Le 19 août 2003, le Centre de pneumologie de l’hôpital Laval adresse une lettre au travailleur dont il y a lieu de reproduire un extrait.

« À la demande des membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Québec en date du 6 juin 2003, les docteurs Francis Laberge, Serge Boucher et Jean-Guy Parent, veuillez vous présenter à l’Hôpital Laval pour effectuer des tests de provocation bronchique spécifique à la soudure :

 

«Date : 6-7-8-9-10 octobre 2003, de 7 h 45 à 16 h, plus 3 heures d’observation.

 

«Endroit : Laboratoire de physiologie respiratoire, 1er étage, porte 1215.» (nos soulignés)

 

[16]           Le 21 octobre 2003, la Dre Johanne Côté, pneumologue à l’Hôpital Laval résume les résultats du test de provocation spécifique à la soudure sur acier inoxydable. Le travailleur est exposé aux émanations de soudure sur acier doux de même que sur acier inoxydable. La Dre Côté conclut que le test de provocation spécifique à l’acier inoxydable n’a pas démontré de réaction asthmatique en contact avec le nickel et le chrome.

[17]           Le 21 novembre 2003, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires  de Québec se réunit. Il est alors formé des pneumologues Jean-Guy Parent, Serge Boucher et Marc Desmeules. Le docteur Desmeules remplace le docteur Francis Laberge qui était présent lors de l’examen du travailleur et de la première rencontre. Le rapport du Comité se lit comme suit :

«Ce rapport complète l’expertise du 6 juin 2003. Nous avions recommandé qu’un test de provocation en usine soit pratiqué. Le docteure Johanne Côté, qui est chargée des tests de provocation spécifique, a préféré plutôt procéder avec un test de provocation spécifique en laboratoire à la soudure. Le patient a subi des tests d’exposition aux émanations de soudure sur acier inoxydable à l’Hôpital Laval dans la semaine du 6 octobre 2003. Ces tests sont demeurés entièrement négatifs.

 

À la lumière de ces données, le Comité estime donc qu’il n’a pas de base pour reconnaître un asthme professionnel chez ce réclamant. Aucun déficit anatomo-physiologique ne peut être justifié.»(nos soulignés)

 

 

[18]           Le 18 décembre 2003, le Comité spécial des présidents rend l’avis suivant :

«À leur réunion du 18 décembre 2003, les membres soussignés du Comité Spécial des présidents ont étudié le dossier de ce réclamant.

 

«Ils ont pris connaissance des conclusions de l’expertise antérieure du 6 juin 2003 et le rapport complémentaire du 21 novembre 2003.

 

«L’investigation qui a comporté une épreuve de provocation bronchique spécifique à la soudure en laboratoire n’a fourni aucun argument objectif supportant diagnostic d’asthme professionnel.

 

«L’exposition aux émanations de soudure sur acier doux et sur acier inoxydable n’a entraîné aucune réaction de l’arbre respiratoire.

 

«Le comité conclut donc en l’absence d’asthme professionnel.

 

«DAP :

 

«Aucun DAP ne peut se justifier sur cette base actuellement. »

 

 

[19]           Le 22 février 2004, la Dre Chantale Lafond, médecin qui a charge du travailleur, adresse une lettre au Comité Spécial des présidents. Il y a lieu d’en reproduire de larges extraits :

«(…)

 

«Le diagnostic d’asthme a été posé hors de tout doute et appuyé par la consultation du pneumologue dr Michel P. Gagnon le 03/03/11. La spirométrie effectuée le 03/03/11 donne un VEMS à 68% de la prédite. Vous pourrez comparer avec les VEMS passés lors des tests effectués par votre service qui sont évalués à 82% le 03/10/06 (soit un delta de 14%) alors que le patient prend la médication pour asthme : flovent 250, 2 inhalation BID. (advair ayant été cessé préalablement.)

 

«(…)

 

«Vos recommandations n’ont pas été respectées, les tests ont eu lieu en laboratoire avec des substances bien précises (nickel et chrome) qui ne tiennent pas compte de l’environnement global au travail incluant la poussière, les odeurs de solvant et la soudure. Je crois qu’il n’a pas été exposé aux bonnes substances. Le patient effectue de l’oxycoupage avec l’acétylène et oxygène.

 

«(…)

 

«Le test de provocation bronchique du 2003/06/09 a été effectué alors que le patient prend la médication ADVAIR 250 2 inhalations BID. Les stéroïdes ont l’effet de diminuer l’inflammation bronchique du patient et le bronchodilatateur de longue action de ce médicament modifie la réaction des bronches au stimulation extérieure. Ce test de provocation bronchique alors que ce patient prend cette médication ne peut mesurer la réaction réelle des bronches et ne doit pas être pris en considération pour exclure la problématique du patient. Si vous n’avez pas cru au diagnostic d’asthme chez ce patient, alors pourquoi n’avez-vous pas cessé ADVAIR avant ce test?

 

«(…)»

 

[20]           Le 11 octobre 2000, monsieur André Guay, technicien en hygiène du travail au service du Centre régional de santé et de services sociaux de la Baie James prépare un rapport de mesures environnementales.

[21]           Cette évaluation vise la fumée de soudure de type personnel sur les soudeurs dans l’atelier. L’analyse des métaux est également demandée au niveau des tests d’air ambiant. Au niveau de l’interprétation des résultats il mentionne ce qui suit :

«Avec les résultats que nous avons obtenus, soit 38 et 39 mg/m3 pour l’échantillonnage de type personnel et de 14 et 4.3 mg/m3 à poste fixe pour l’air ambiant, nous considérons que ces postes de travail sont très à risque pour les travailleurs de développer une maladie professionnelle.

 

«Pour ce qui est des résultats pour les métaux, seul le fer est au-dessus de la norme de 5 mg/m3.

 

«Nous constatons que le système de captation à la source n’est vraiment pas assez efficace pour ce type de travail.»

 

«Nous avons demandé l’analyse des métaux au poste de soudeur. Ceci comprend l’analyse de six (6) métaux différents, dont les normes et les résultats pour une durée de huit (8) heures sont :

 

MÉTAUX                      NORME                       RÉSULTATS

Cadmium                     0.05 mg/m3                   <VMR              

Cobalt                          0.05 mg/m3                                      <VMR  

Chrome                        0.05 mg/m3                                      <VMR  

Fer                              5 mg/m3                                               7.1 mg/m3

Manganèse                  5 mg/m3                                               0.12 mg/m3

Nickel                          1 mg/m3                                               0.0041 mg/m3

 

«Abréviation standard

 

«VMR = Valeur Minimum Rapportée

 

«Suite aux résultats obtenus, seul le fer est au-dessus de la norme. Pour les autres métaux, les mesures prises sont sous leur norme respective.»

 

 

[22]           Le tableau d’échantillonnage de fumée de soudure au garage de mécanique indique un dépassement des concentrations de fumée par rapport à la norme établie.

[23]           Le 4 juin 2002, monsieur André Guay fait une nouvelle étude environnementale chez l’employeur. Il est d’avis que tous les tests obtenus respectent la réglementation en vigueur au Québec.

[24]           À la lumière de ces éléments et de l’accord des parties, le Tribunal doit décider s’il peut faire suite à leur requête conjointe en ordonnant le retour du dossier à la CSST.

[25]           Les articles 226 à 233 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles contiennent des dispositions particulières aux maladies professionnelles pulmonaires.

[26]           Selon l’article 226, la production d’une réclamation à la Commission alléguant l’existence d’une maladie professionnelle pulmonaire entraîne la référence du dossier à un Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

[27]           L’article 227 mentionne que ces comités ont pour fonction de déterminer si un travailleur est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[28]           L’article 230 prévoit pour sa part que le Comité des maladies professionnelles pulmonaire à qui la CSST réfère un travailleur doit l’examiner dans les vingt jours de la demande de la Commission :

230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.

 

Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.

__________

1985, c. 6, a. 230.

 

 

[29]           Par la suite, la CSST soumet le dossier à un Comité Spécial des présidents tel que prévu à l’article 231 de la loi. Ce comité spécial peut infirmer ou confirmer le diagnostic et les autres conclusions du premier comité.

[30]           L’article 233 indique qu’aux fins de rendre une décision en vertu de la Loi, la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établies par le Comité Spécial des présidents.

[31]           Le législateur a donc décidé, en matière de maladies professionnelles pulmonaires, de prévoir un processus d’évaluation médicale différent de la norme qui est prévue aux articles 199 et suivants de la Loi.

[32]           Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires  de même que le Comité des présidents possèdent donc des pouvoirs importants puisque l’avis du Comité Spécial qui en pratique, dans la majorité des cas, confirme l’avis du comité initial, liera la CSST aux fins de rendre des décisions concernant les droits du travailleur. Il est donc important et primordial que ce comité bénéficie de tout l’éclairage approprié afin que les avis qu’il doit rendre soient aussi  justes et éclairés que possible.

[33]           Le premier comité, dans le but d’exercer sa fonction de déterminer si le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, a avec justesse demandé qu’on procède à un test de provocation spécifique en usine avec des mesures de spirométrie sériée devant être effectuées sur les lieux du travail. Ce comité demandait de revoir le dossier par la suite pour complément d’expertise. Cette décision est d’autant bien fondée que le milieu de travail du travailleur semble contenir plusieurs éléments pouvant possiblement influer sur sa condition.

[34]           Comme ce comité devait en arriver à un diagnostic qui pouvait par la suite entraîner l’acceptation ou le refus de la réclamation du travailleur, il était donc important qu’il puisse détenir toutes les informations nécessaires.

[35]           Cependant, la pneumologue Johanne Côté en a décidé autrement. Pour des raisons inexpliquées, elle a «préféré plutôt procéder avec un test de provocation spécifique en laboratoire à la soudure» comme le mentionne le rapport complémentaire du Comité des maladies professionnelles pulmonaires. Il n’appartenait pas à la Dre Côté de prendre une décision à cet effet puisque c’est le Comité des maladies professionnelles pulmonaires qui doit rendre un avis et à cette fin examiner le travailleur et obtenir les renseignements et documents pertinents.

[36]           La Dre Côté aurait donc dû faire suite à la recommandation du premier comité et non procéder comme elle l’a fait en substituant son opinion sur la nature des tests à celle du comité. Ce faisant, elle s’ingérait dans le processus recommandé par le premier comité et prenait part ni plus ni moins au processus prévu par la loi alors que ce processus ne prévoit l’intervention que d’un premier comité puis d’un Comité Spécial des présidents. Nulle part dans la Loi ne trouve-t-on la possibilité pour un autre pneumologue d’intervenir au dossier pour lui donner une tangente différente de celle voulue par les six pneumologues prévus par la Loi. Le processus prévu par le législateur a donc été entaché et vicié.

[37]           Même si un Comité peut demander à un pneumologue de procéder à certains tests et à des investigations sans qu’on puisse conclure à une délégation illégale de pouvoirs ou à une abdication de ses pouvoirs, il n’en reste pas moins que ce tiers pneumologue doit respecter le mandat confié par le comité et non s’en écarter. Ceci différencie donc la présente affaire de la décision rendue dans Reid et Compagnie chimique Ahuntsman Canada inc. [2] D’ailleurs, le Commissaire Duranceau rappelle dans cette affaire que l’obligation qu’a un comité d’examiner un travailleur qui lui est référé lui permet de requérir des tests comme dans le présent cas.

[38]           Il est évident que les tests administrés par la Dre Côté n’ont aucune commune mesure avec ceux qui auraient dû être pratiqués sur les lieux de travail. Le Tribunal réfère à l’avis de la Dre Chantale Lafond à ce sujet. Les tests en laboratoire ne semblent avoir visé que le nickel et le chrome alors que le dossier démontre que d’autres substances se trouvent sur les lieux de travail. Il n’y a qu’à lire les rapports du technicien André Guay pour s’en convaincre.

[39]           En plus d’être incomplets et de ne pas représenter les conditions qu’on retrouve au travail, ces tests ont été administrés alors que le travailleur était sous médication. Il faut aussi tenir compte que les tests effectués par la Dre Côté le sont plusieurs mois après le retrait total du travail de monsieur Bélanger.

[40]           En conséquence, autant le rapport du Comité des maladies professionnelles pulmonaires que celui du Comité Spécial des présidents ne peuvent être retenus puisque basés sur des résultats inadéquats et incomplets. Si le Comité des maladies professionnelles pulmonaires  a pris la peine de recommander un test en milieu de travail et de suspendre son avis en attendant les résultats, c’est que ces tests étaient importants voire même essentiels. On ne peut donc considérer tout à coup qu’ils sont devenus superflus et non importants parce qu’une autre pneumologue a décidé de faire passer des tests en laboratoire alors qu’elle ne possède aucun statut reconnu par la Loi. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires autant que le Comité Spécial des présidents aurait donc dû aller jusqu’au bout des recommandations exprimées en premier lieu et demander que les tests en usine soient bel et bien faits avant de se prononcer.

[41]           D’aucuns pourraient affirmer que le travailleur aurait pu faire exécuter lui-même de tels tests et les déposer en preuve. Peut-on reprocher à monsieur Bélanger de ne pas avoir les sommes considérables requises pour effectuer de tels tests? Ne serait-ce pas rendre illusoire des réclamations pour maladie professionnelle que d’exiger des travailleurs qu’ils effectuent à leurs frais des tests d’une telle envergure? Pourquoi le travailleur devrait-il acquitter de telles sommes alors que le premier comité lui-même a fait la recommandation de ces tests?

[42]           Le Tribunal estime que le premier comité a abdiqué ses pouvoirs et oublié sa mission en se contentant des tests en laboratoire imposés par la Dre Côté.

[43]           Pour que les deux comités puissent rendre des avis éclairés et par le fait même que le présent Tribunal puisse en faire autant, les tests requis par le premier comité sont nécessaires et permettront qu’une solution juste soit apportée dans ce dossier et ce conformément à la lettre et à l’esprit de la Loi qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et de leurs conséquences.

[44]           Il n’est pas inutile de rappeler les termes de l’article 351 de la loi.

351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

 

[45]           Pour évaluer le mérite réel, la justice du cas et agir avec équité, le Tribunal estime nécessaire de donner suite à la recommandation du Comité des maladies professionnelles pulmonaires  puisqu’il va de soi que la meilleure preuve en l’instance sera de voir si, dans son milieu de travail, le travailleur réagit aux substances qu’il contient en réalité, plutôt que de se contenter de l’exercice théorique du laboratoire.

[46]           Le Tribunal estime que dans les circonstances très particulières de ce dossier, une personne raisonnable pourrait douter de la validité des constatations des deux comités alors que des tests spécifiquement recommandés n’ont pas été faits.

[47]           Il ne faut pas non plus oublier que les dispositions de la section I du chapitre VI de la Loi  en matière de procédure d’évaluation médicale s’appliquent à toute évaluation médicale y compris à celles faites en vertu de la section II au niveau des maladies professionnelles pulmonaires. Ce n’est qu’en cas d’incompatibilité d’une disposition générale de la section I avec une disposition particulière de la section II que cette dernière doit prévaloir. [3]  En conséquence, l’article 220 de la loi s’applique au processus particulier aux maladies professionnelles pulmonaires et les deux comités peuvent donc requérir tout renseignement ou document détenu par la CSST ou pouvant être obtenu par elle au sujet du travailleur. C’est ce qu’a fait le premier comité en recommandant un test de provocation en milieu de travail et sa volonté doit être respectée.

[48]           Le Tribunal estime que les articles 378 et 429.20 de la Loi constituent une assise appropriée pour faire droit à la demande conjointe des parties. Ces articles se lisent comme suit :

378. La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.

 

Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.

 

Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.

__________

1985, c. 6, a. 378; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

429.20. En l'absence de dispositions applicables à un cas particulier, la Commission des lésions professionnelles peut y suppléer par toute procédure compatible avec la présente loi et ses règles de procédure.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[49]           Le Tribunal estime que l’ordonnance visant à retourner le dossier à la CSST est propre à sauvegarder les droits des parties et à assurer la sanction adéquate de ces droits. Plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles ont ordonné à un travailleur de se soumettre à un examen médical. [4] Le plus comprenant le moins, le Tribunal estime qu’il a les pouvoirs de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle obtienne les tests de provocation suggérés par le premier comité, ces tests permettant de faire la lumière sur le litige et, possiblement, d’éviter le retour des parties devant le présent tribunal. Ces tests seront possiblement favorables à la thèse du travailleur ou encore à celle de l’employeur. Dans un cas comme dans l’autre, les résultats seront un élément essentiel voire même péremptoire à l’issue du dossier.

[50]           L’article 377 de la loi prévoit ce qui suit :

377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[51]           En se basant sur cet article, le présent Tribunal aurait pu rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu malgré les omissions du Comité sur les maladies professionnelles pulmonaires. Cependant, le Tribunal ne croit pas qu’il doit exercer ce pouvoir en l’instance étant donné qu’il manque un élément essentiel au dossier à savoir les tests de provocation en milieu de travail.

[52]           Dans un autre ordre d’idées, le processus d’évaluation par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires et par le Comité Spécial des présidents devrait être annulé pour un autre motif. En effet, le comité qui a examiné le travailleur n’est pas constitué des mêmes personnes que celui qui a rendu l’avis complémentaire suite aux tests effectués par la Dre Côté. De l’avis du Tribunal, il s’agit là d’un vice fatal au processus d’évaluation médicale. Il faut se rappeler que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi d’ordre public et le Tribunal ne croit pas qu’il s’agisse ici d’une simple question de procédure mais plutôt d’une question de fond. [5] En effet, il apparaît indispensable au présent Tribunal que le Comité des maladies professionnelles pulmonaires qui évalue un travailleur soit le même du début à la fin du processus. En effet, le comité initial a examiné le travailleur, l’a interrogé, s’est concerté et a demandé des tests additionnels. Il est inacceptable que le comité qui donne l’avis complémentaire ne soit pas formé de toutes les personnes qui le constituaient initialement. Ainsi, le nouveau membre agissant lors de l’avis complémentaire n’a pas examiné le travailleur comme le législateur le demande et n’a pas participé aux premières démarches d’évaluation.

[53]           L’article 226 prévoit que le dossier est transmis à un Comité des maladies professionnelles pulmonaires et non à deux comités différents.

[54]           L’article 227 mentionne qu’un comité est composé de trois pneumologues et non pas de quatre comme en l’espèce à savoir trois pneumologues dans la première phase du dossier et un nouveau pneumologue remplaçant dans la deuxième phase.

[55]           Le Tribunal remarque que contrairement au Bureau d’évaluation médicale qui examine le travailleur «s’il le juge à propos», le Comité des maladies professionnelles pulmonaires a l’obligation d’examiner le travailleur. Le législateur a donc décidé que chacun des trois pneumologues devait rencontrer le travailleur et manifestement le nouveau pneumologue qui a pris la relève lors du rapport complémentaire n’a pas rempli cette obligation.

[56]           Il serait impensable que dans le cas d’un processus d’évaluation médicale normal, tel que prévu aux articles 199 et suivants, le membre du Bureau d’évaluation médicale qui donne un avis complémentaire soit différent de celui qui a donné l’avis principal et qui a examiné le travailleur. Il ne saurait en être autrement en ce qui concerne le processus d’évaluation médicale spécial prévu aux articles 226 et suivants en matière de maladie pulmonaire.

[57]           Le Tribunal le rappelle, il ne s’agit pas ici d’une simple question de procédure mais d’une question de fond puisque le législateur a voulu et la pure logique veut aussi que le comité qui rencontre le travailleur soit constitué des mêmes personnes jusqu’à la fin de son intervention. Pour ce motif additionnel, le processus d’évaluation médicale est vicié et doit être annulé. D’ailleurs, le comité initial composé des Drs  Francis Laberge, Jean-Guy Parent et Serge Boucher terminait son rapport initial en mentionnant :

«Par la suite, le dossier devra nous être soumis à nouveau pour complément d’expertise.»

 

 

[58]           Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé par la suite. En conséquence, le processus doit être repris dans son intégralité. Les décisions des 13 février 2004 et 29 avril 2004 doivent être annulées de même que les avis des Comités des maladies professionnelles pulmonaires et du Comité des présidents.

[59]           La CSST devra donc obtenir des tests de provocation spécifique effectués à l’usine de l’employeur avec mesures de spirométrie sériée. Le dossier devra ensuite être resoumis à un Comité des maladies professionnelles pulmonaires et suivre les différentes étapes prévues par le législateur. 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

ACCUEILLE la requête de monsieur Yvan-Marcel Bélanger, le travailleur;

DÉCLARE IRRÉGULIER le processus d’évaluation médicale fait en vertu des articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

ANNULE les décisions rendues par la CSST les 13 février 2004 et 29 avril 2004;

RETOURNE le dossier à la CSST afin qu’elle obtienne des tests de provocation spécifiques en usine ainsi que des mesures de spirométrie sériée sur les lieux de travail;

ORDONNE à la CSST de soumettre ces tests de même que tous les autres documents contenus au dossier à un Comité des maladies professionnelles pulmonaires afin que le processus prévu aux articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles soit repris.

 

 

 

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Me Jean-François Clément

 

Commissaire

 

 

 

 

 

Me Manon Côté

OUELLET ET CÔTÉ, AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON ASS.

Représentant de la partie intéressée

 

 

 

 

 

 



[1] LRQ c. a-3.001.

[2]         26420-62-9101, 11 juin 1992.

[3]         Mckay et Héroux inc. 01569-62-8612, 6 juin 1989, R. Brassard; Compagnie de papier Québec et Ontario Ltée et Fortin [1990] CALP 1153 .

[4]         Voir notamment Leduc et Bellai & Frères ltée, [1998] CLP 573 .

[5]         Espert & Centre jeunesse Bas St-Laurent, [2003] CLP 764 .

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.