Décision

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Lévesque Perron c. H. Auger Automomobiles inc.

2019 QCCQ 8029

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

LOCALITÉ DE

TROIS-RIVIÈRES

« Chambre civile »

N° :

400-22-009757-176

 

 

 

DATE :

19 décembre 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ALAIN TRUDEL, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

FRANCINE LÉVESQUE PERRON

Demanderesse

c.

H. AUGER AUTOMOMOBILES INC.

et

FERME GAPADI S.E.N.C.

Défenderesses

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Victime d’une chute survenue dans le stationnement du concessionnaire H. Auger Automobiles inc., « H. Auger », la demanderesse réclame à cette dernière ainsi qu’à Ferme Gapadi S.E.N.C. « Gapadi », l’entreprise mandatée pour assurer le déneigement et l’entretien des lieux au cours de la saison hivernale, 51 680,38 $ en divers dommages.

 


[2]           La demanderesse allègue que sa chute a été causée par la présence de glace à l’endroit où elle a stationné son véhicule. Elle reproche aux défenderesses d’avoir omis d’entretenir adéquatement le stationnement offert à la clientèle du concessionnaire automobile.

 

[3]           Les défenderesses contestent la demande. Elles plaident qu’elles n’ont commis aucune faute dans l’entretien du stationnement et que la demanderesse a été victime d’un malheureux accident. Elles ajoutent que les dommages réclamés sont exagérés.

 

Questions en litige

 

[4]           Le litige soulève les questions suivantes :

 

A)           La défenderesse H. Auger a-t-elle commis une faute dans l’entretien de sa propriété où est survenue la chute de la demanderesse engageant ainsi sa responsabilité civile?

 

B)           La défenderesse Gapadi a-t-elle manqué à son obligation d’entretenir adéquatement le terrain de stationnement de sa codéfenderesse?

 

C)           Dans l’affirmative, quels sont les dommages subis par la demanderesse suite à cet événement?

 

Les prétentions

 

[5]           La demanderesse allègue que les défenderesses ont commis une faute en faisant défaut d’entretenir adéquatement les espaces de stationnement offerts à ses clients, notamment en ne procédant pas à un épandage d’abrasif sur l’ensemble des lieux afin d’éliminer tous dangers liés à la présence de glace dans le stationnement.

 

[6]           La défenderesse H. Auger prétend avoir pris tous les moyens raisonnables afin d’assurer un bon entretien de son stationnement, notamment en confiant les travaux de déneigement et d’épandage d’abrasif à la défenderesse Gapadi.

 

[7]           Cette dernière plaide qu’elle n’a commis aucune faute dans la dispense des services de déneigement et d’épandage d’abrasif chez sa cliente et qu’au jour même de l’événement, elle est intervenue à cet endroit avant la chute de la demanderesse pour procéder au déneigement du stationnement et à la pose d’abrasif.

 

Contexte

 

[8]           Le 5 janvier 2015 au matin, la demanderesse et son mari quittent leur domicile de Sorel, chacun dans leur voiture, en direction du concessionnaire H. Auger de Nicolet.

[9]           La demanderesse accompagne son mari au garage afin de lui permettre de revenir avec elle après que ce dernier ait laissé son véhicule chez la défenderesse pour réparation.

 

[10]        Au cours du trajet, elle suit le véhicule de son mari. Ils constatent tous deux que la chaussée est glissante en raison de conditions hivernales difficiles.

 

[11]        Arrivée au commerce de la défenderesse, la demanderesse stationne son véhicule le long du côté gauche de la bâtisse, près de l’entrée réservée au service dans un espace délimité au sol et réservé à cet effet.

 

[12]        Le mari de la demanderesse se stationne quant à lui non loin de cet endroit. Il descend immédiatement de son véhicule et se dirige vers sa conjointe afin de lui dire de l’attendre dans sa voiture pendant qu’il rencontre les aviseurs techniques en charge de son dossier.

 

[13]        Il remarque alors que la demanderesse, sacoche en main, sort de son véhicule et ferme la portière.

 

[14]        Tout en cherchant à mettre ses lunettes et ses clés dans sa sacoche, la demanderesse fait deux pas vers l’arrière de son véhicule afin de s’assurer que la portière arrière est bien verrouillée.

 

[15]        C’est à ce moment qu’elle pose un pied sur une plaque de glace, glisse et s’affaisse violemment de tout son long sur le sol.

 

[16]        Son mari se précipite aussitôt à son secours et tente sans succès de la relever.

 

[17]        Des employés de la défenderesse H. Auger viennent en aide au mari de la demanderesse qui est accompagnée à l’intérieur du commerce où elle est, par la suite, prise en charge par les services ambulanciers appelés sur les lieux.

 

[18]        La demanderesse est conduite à l’hôpital Hôtel-Dieu de Sorel où un diagnostic de fracture de l’épaule gauche est arrêté.

 

[19]        Des examens plus poussés, notamment par scintigraphie osseuse, démontrent également que la demanderesse souffre d’une fracture à la hanche gauche.

 

[20]        Cette condition commande à l’équipe médicale de procéder à un remplacement prosthétique de la hanche gauche de la demanderesse, opération effectuée en date du 17 décembre 2015.

 

[21]        Au mois d’avril suivant, considérant que les traitements conservateurs à l’épaule gauche ne donnent que des résultats relatifs, la demanderesse est opérée une seconde fois afin de poser une plaque et vis à l’épaule gauche.

 

[22]        La difficile période de réadaptation oblige la demanderesse à consulter plusieurs professionnels de la santé, tels physiothérapeute, acupuncteur, ostéopathe, et à s’investir dans des traitements et exercices divers pour consolider son état.

 

[23]        Malgré ses efforts soutenus, les douleurs et inconvénients liés à sa condition médicale réduisent considérablement sa qualité de vie depuis l’accident.

 

[24]        Le 24 août 2017, la demanderesse met la défenderesse H. Auger en demeure de la compenser pour les dommages subis à la suite de l’accident du 5 janvier 2015.

 

Le droit

 

[25]        Les articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec énoncent :

 

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

 

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

 

2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »

 

[26]        Les conditions de la responsabilité civile extra contractuelle sont quant à elles prévues à l’article 1457 du Code civil du Québec. Cet article se lit comme suit :

 

« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

 

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

 

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde. »

 


[27]        Ainsi, pour avoir gain de cause, la demanderesse doit prouver au Tribunal, en offrant une preuve prépondérante, les trois éléments constitutifs de la responsabilité civile, soit que les défenderesses ont commis une faute, ensuite qu’elle a subi un préjudice et enfin qu’il existe un lien de causalité entre la faute et les dommages allégués.

 

[28]        Tel que le précise la juge Marie St-Pierre, alors à la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Lamontagne c. Timex Realty Corp[1], le Tribunal doit appliquer les principes suivants pour conclure à la responsabilité du propriétaire d’un immeuble dans ce type de recours, à savoir :

 

« [40]  Le Tribunal doit appliquer les principes suivants aux faits précédemment décrits afin de conclure quant à la responsabilité:

 

A) Un propriétaire n'est pas un assureur des piétons qui circulent sur son terrain.

 

B) Un propriétaire n'est pas tenu de tout prévoir et de tout prévenir, notamment en présence de phénomènes de gel et de dégel au cours d'une même journée et de pluie verglaçante. Il suffit qu'un propriétaire agisse en personne raisonnable, prudente et diligente.

 

C) Le fardeau d'établir une faute repose sur le demandeur.  Ce fardeau comporte l'obligation d'établir, dans une situation de conditions clima­tiques difficiles et changeantes (pluie, pluie verglaçante, gel et dégel au cours d'une même journée) ce qui aurait pu être fait et dont l'omission constituerait un geste fautif. En quelque sorte, il faut répondre à la question suivante: était-il possible de prévenir l'accident, par quelques moyens et, si oui, le défendeur a-t-il tardé à les employer ?

 

D) La preuve de présence de glace sur un stationnement n'est pas suffisante pour engager la responsabilité du propriétaire. La présence de glace ne crée pas de présomption de faute.

 

E) Une surface glacée présente en elle-même un risque de chute: toute personne qui marche sur une patinoire le sait. C'est un risque connu, ce n'est pas un piège, c'est une situation qui requiert prudence et vigilance de la personne qui s'y engage. »

 

[29]        Qu’en est-il dans le présent dossier?

 

Analyse et décision

 

[30]        Le Tribunal répond aux questions que soulève le litige de la façon suivante.

 

A)           La défenderesse H. Auger a-t-elle commis une faute dans l’entretien de sa propriété où est survenue la chute de la demanderesse engageant ainsi sa responsabilité civile?

 

[31]        Le Tribunal doit déterminer si les défenderesses ont pris les moyens raisonnables afin d’assurer un entretien adéquat du stationnement qui est mis à la disposition du public qu’elle invite et à qui elle donne accès à son commerce.

 

[32]        Il y a également lieu de déterminer si la défenderesse Gapadi a rendu ses services en prenant tous les moyens raisonnables pour procéder au déneigement du stationnement de la défenderesse de manière adéquate, en y consacrant le temps et les ressources nécessaires en semblable matière et en faisant les vérifications d’usage, comme le ferait un entrepreneur diligent et prudent dans de mêmes circonstances.

 

[33]        La preuve prépondérante démontre que la défenderesse H. Auger a pris tous les moyens nécessaires et utiles à sa disposition afin d’assurer la sécurité des personnes qu’elle invite à son commerce. Voici pourquoi le Tribunal arrive à cette conclusion.

 

[34]        Le 5 janvier 2015, en sortant de son véhicule automobile stationné le long de la bâtisse commerciale appartenant à la défenderesse H. Auger, la demanderesse pose le pied sur une plaque de glace et chute. Elle prétend qu’à l’endroit de sa chute, soit entre deux véhicules stationnés, le sol était glacé et mal entretenu, ce qui a occasionné sa perte d’équilibre.

 

[35]        Le Tribunal retient les témoignages de Réjean Auger et Benoit Côté qui expliquent les dispositions prises par la défenderesse afin de s’assurer de la sécurité des lieux, notamment du stationnement, des voies d’accès et trottoirs, et ce, plus particulièrement lors de la saison hivernale.

 

[36]        Benoît Côté explique qu’un employé s’assure chaque soir de déplacer les véhicules stationnés le long de la bâtisse afin de permettre le déneigement efficace des lieux et respecter les normes de protection incendie. L’employé voit également au déneigement et à l’épandage d’abrasif aux différents accès de la bâtisse, sur les trottoirs et vis-à-vis les portes.

 

[37]        Outre ces mesures, H. Auger confie également le déneigement et l’épandage d’abrasif de l’ensemble du stationnement à la défenderesse Gapadi avec instructions d’intervenir dès 6h30 le matin lors de chute de neige de trois centimètres et plus et de procéder à l’épandage d’abrasif au besoin, c’est-à-dire lorsque la température l’exige ou encore à la demande du client.

 


[38]        Il a été démontré que le 4 janvier 2015, Gapadi s’est effectivement déplacée chez la défenderesse H. Auger tôt le matin et en après-midi afin de procéder au déneigement du stationnement et à la pose d’abrasif en raison du mélange de précipitations de neige, de pluie et verglas tombées ce jour et des températures oscillant autour du point de congélation jusqu’en soirée[2]. Ce cocktail météo favorisant la présence de glace au sol, Gapadi s’est à nouveau présentée chez la défenderesse H. Auger le 5 janvier de 6h30 à 7h22 le matin afin de procéder à l’épandage d’abrasif sur l’ensemble du stationnement et sécuriser les lieux[3].

 

[39]        Agissant de la sorte, le Tribunal conclut que les défenderesses se sont comportées de manière prudente et diligente.

 

[40]        Outre le fait de mentionner la présence d’une plaque de glace au sol, la demanderesse n’a présenté au Tribunal aucun élément de preuve permettant de conclure à une quelconque faute, négligence ou omission de la part des défenderesses dans l’entretien du stationnement.

 

[41]        Faut-il répéter que la preuve de la présence de glace sur un stationnement n'est pas suffisante pour engager la responsabilité du propriétaire. La présence de glace ne crée pas de présomption de faute.

 

[42]        L’obligation du propriétaire des lieux consiste à prendre les moyens raisonnables pour assurer la sécurité des utilisateurs des lieux. Il s’agit d’une obligation de moyen dont la défenderesse H. Auger s’est acquittée envers sa clientèle et plus particulièrement la demanderesse le 5 janvier 2015.

 

[43]        Ajoutons que la demanderesse et son conjoint ont été en mesure de constater l’état glissant les lieux avant la survenance de l’accident. Les chutes de neige et de pluie survenues la veille, la température relativement froide et humide du matin et les constatations sur la présence de glace dans le stationnement sont tous des indices qui invitaient la demanderesse à une plus grande prudence et vigilance dans ses déplacements, tant en véhicule qu’à pied.

 

[44]        Elle témoigne d’ailleurs avoir personnellement constaté à son arrivée au commerce de la défenderesse que les lieux semblaient glacés.      

 

[45]        Dans les circonstances, on ne peut conclure que l’état des lieux pouvait constituer un piège pour la demanderesse au sens où l’entend la Cour suprême du Canada dans l’affaire Rubis c. Gray Rocks[4] :

 

« (…) la notion de piège, (…) se retrouve en droit civil, non pas comme une catégorie juridique mais comme une des innombrables situations de fait dont la présence est parfois susceptible d'être imputable à la faute du maître des lieux, à son fait ou à sa négligence et d'engager sa responsabilité en vertu de la règle générale énoncée à l'art. 1053 du Code civil. C'est pourquoi l'on voit souvent les tribunaux du Québec se demander si une situation donnée équivaut à un piège afin de décider si le maître des lieux a commis une faute en tolérant cette situation.

 

L'infinie variété des faits empêche que l'on définisse avec précision ce que c'est qu'un piège. On peut cependant dire que le piège est généralement une situation intrinsèquement dangereuse. Le danger ne doit pas être apparent mais caché; par exemple une porte ouvrant non pas sur un véritable escalier comme on pouvait s'y attendre mais sur des marches verticales comme celles d'un escabeau: Drapeau c. Gagné, [1945] B.R. 303; un piquet planté dans l'herbe d'un sentier et dissimulé par celle-ci: Girard c. City of Montreal, [1962] C.S. 361; mais non pas une marche dans un corridor bien éclairé: Hôtel Montcalm Inc. c. Lamberston, [1965] B.R. 79. Il y a généralement dans l'idée de piège une connotation d'anormalité et de surprise, eu égard à toutes les circonstances; (…). »

 

[46]        Évidemment, la présence de glace dans un stationnement n’est pas souhaitable. Cependant, le Tribunal est d’avis qu’on ne peut exiger d'un propriétaire, dans notre climat nordique, qu'il élimine immédiatement, systématiquement et de façon absolue toutes les surfaces glacées, irrégulières ou toutes dénivellations causées par les intempéries et présentes sur les lieux dont il a la responsabilité.

 

[47]        Les Tribunaux ont à maintes reprises statué qu’une telle exigence est irréaliste puisque ce résultat est tout simplement inatteignable[5].

 

[48]        Ainsi, le Tribunal répond par la négative à la première question en litige.

 

B)           La défenderesse Gapadi a-t-elle manqué à son obligation d’entretenir adéquatement le terrain de stationnement de sa codéfenderesse?

 

[49]        Pour les motifs plus amplement énoncés ci-haut, le Tribunal répond également par la négative à la seconde question en litige.

 

C)           Dans l’affirmative, quels sont les dommages subis par la demanderesse suite à cet événement?

 

[50]        Vu ce qui précède, il n’y a pas lieu de répondre à cette question.

 

[51]        La demanderesse a été victime d’un malheureux incident dont les défenderesses ne peuvent être tenues responsables. 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[52]        REJETTE la demande contre les défenderesses.

 

[53]        LE TOUT avec frais de justice.

 

 

 

__________________________________

ALAIN TRUDEL, J.C.Q.

 

 

Me Gordon Millen

Millen Millen inc.

Avocats de la demanderesse

 

Me Audrey Bolduc-Boisvert

Langlois avocats

Avocats de la défenderesse H. Auger Automobiles inc.

 

Me Amélie Ferland

Therrien Couture

Avocats de la défenderesse Ferme Gapadi s.e.n.c.

 

 

 

Date d’audience :

17 octobre 2019

 



[1]     C.S., 2002-11-05, SOQUIJ AZ-50150084.

[2]     Pièce D-11.1 : Déclaration de M. Pierre Perron, page 30, lignes 20 et suivantes.

[3]     Pièce D-1.

[4]     (1982) 1 RCS 452.

[5]     Raymond c. Construction Ben Pelletier inc., C.S., 2005-06-20, SOQUIJ AZ-50319278.

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