Décision

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Rivest Goulet et Signalisation Laurentienne

2011 QCCLP 4319

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

21 juin 2011

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

406213-64-1003-R

 

Dossier CSST :

135123719

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme, juge administratif

 

Membres :

Gisèle Lanthier, associations d’employeurs

 

Dominic Presseault, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Emanuel Rivest Goulet

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Signalisation Laurentienne

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 19 juillet 2010, Signalisation Laurentienne (l'employeur) dépose une requête par laquelle il demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser une décision qu'elle a rendue le 22 juin 2010.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles modifie une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 2 mars 2010 à la suite d'une révision administrative et retourne à la CSST le dossier de monsieur Emanuel Rivest Goulet (le travailleur) afin qu'elle se prononce sur la question de l'atteinte permanente et des limitations fonctionnelles conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 12 mai 2011 à Saint-Jérôme en présence de l'employeur (madame Caroline Lapierre), de sa représentante et de monsieur Rivest Goulet, lequel n'était pas représenté.

[4]           En début d'audience, monsieur Rivest Goulet a demandé au tribunal de remettre l'audience afin de lui permettre d'avoir un représentant.

[5]           Questionné sur les démarches qu'il a entreprises à cet effet, il explique qu'il vient de recommencer à travailler et qu'il prévoit chercher un représentant lorsqu'il aura amassé suffisamment d'argent pour payer les honoraires que celui-ci lui demandera et il n'est pas en mesure de préciser à quel moment exactement ce sera le cas parce qu'il doit aussi assumer ses dépenses régulières de vie comme son logement, sa nourriture, etc.

[6]           Compte tenu de ses explications qui font en sorte que l'audience pourrait reportée à une date très lointaine, ce qui ne concorde pas avec l'objectif de célérité que poursuit la justice administrative, le tribunal a refusé la demande de monsieur Rivest Goulet.

[7]           Toutefois, il a été convenu que si la requête de l'employeur était accueillie, la décision du 22 juin 2010 serait révoquée plutôt que révisée, comme le demande l'employeur, et ce, afin que monsieur Rivest Goulet ait l'opportunité d'être représenté lors de l'audience portant sur le fond de sa contestation et que les documents médicaux postérieurs à cette décision puissent être pris en considération.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[8]           L'employeur prétend que la décision rendue le 22 juin 2010 comporte des vices de fond qui sont de nature à l'invalider. Il demande de la réviser et de déclarer que la lésion professionnelle que monsieur Rivest Goulet a subie le 1er septembre 2009 n'a pas entraîné d'atteinte permanente à l'intégrité physique ni de limitations fonctionnelles.

LES FAITS

[9]           Monsieur Rivest Goulet occupe chez l'employeur un emploi d'installateur de cônes pour travaux routiers. Le 1er septembre 2009, alors qu'il transporte des cônes, il subit une lésion professionnelle au dos en tombant au sol à la renverse, après s'être accroché un pied dans un fil métallique. Il est âgé de 23 ans au moment de la survenance de cet événement.

[10]        À partir du 2 septembre 2009, il consulte le docteur Yves Bouchard, lequel diagnostique une entorse dorsolombaire et prescrit une médication et des traitements de physiothérapie.

[11]        Le 28 octobre 2009, la docteure Suzanne Lavoie, physiatre, examine monsieur Rivest Goulet à la demande de l'employeur. Elle retient le diagnostic de contusion ou entorse lombaire et elle estime que cette lésion est consolidée au jour de son examen, sans nécessité de traitements additionnels. Elle conclut qu'il n'en résulte aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitation fonctionnelle.

[12]        Le 6 novembre 2009, l'employeur transmet au docteur Bouchard l'expertise de la docteure Lavoie ainsi qu'un formulaire de rapport complémentaire à compléter.

[13]        Le 11 décembre 2009, à la demande de l'employeur, la CSST dirige le dossier au Bureau d'évaluation médicale en indiquant que l'avis du membre est requis sur la consolidation de la lésion et les traitements. Il est indiqué au formulaire de demande d'avis que la CSST n'a pas reçu le rapport complémentaire du docteur Bouchard.

[14]        Le 3 février 2010, un membre du Bureau d'évaluation médicale, le docteur Pierre Lacoste, physiatre, émet l'avis que la lésion est consolidée le 20 janvier 2010 (date de son examen) et que les traitements sont suffisants. En vertu du pouvoir discrétionnaire qui est conféré au membre du Bureau d'évaluation médicale, il émet aussi l'avis qu'il ne résulte aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitation fonctionnelle de la lésion.

[15]        Le 12 février 2010, la CSST rend une décision donnant suite à l'avis du docteur Lacoste. Elle décide notamment qu'en l'absence d'atteinte permanente à l'intégrité physique et de limitations fonctionnelles, monsieur Rivest Goulet n'a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel et qu'il n'a plus droit à l'indemnité de remplacement du revenu parce qu'il est capable d'exercer son emploi.

[16]        Le 2 mars 2010, à la suite d'une révision administrative, elle confirme sa décision. monsieur Rivest Goulet conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles.

[17]        Le 22 juin 2010, la Commission des lésions professionnelles accueille sa requête. Le juge administratif qui rend la décision résume d'abord les faits en mentionnant notamment au paragraphe 15 de la décision que  « Rien n’indique que l’expertise de la docteure Lavoie fut acheminée au médecin qui a charge du travailleur en vertu des dispositions de l’article 215 de la loi » . Puis, il cite certains articles de la loi dont les articles 221 et 224.1 qui se lisent comme suit :

221.  Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

 

224.1.  Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[18]        Le juge administratif estime que la CSST ne pouvait pas se considérer liée par l'avis du docteur Lacoste sur l'atteinte permanente à l'intégrité physique et les limitations fonctionnelles pour les raisons suivantes :

[24]      Le Bureau d'évaluation médicale, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, a donné son avis sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles alors que le médecin qui a charge ne s’est pas prononcé sur cette question. Malgré que la loi, à l’article 221, permet à l’arbitre d’émettre son avis sur les points non contestés, cet avis sur ces points dans notre dossier, soit l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, ne peut lier la CSST et doit être considéré comme une opinion médicale et non comme un avis au sens de l’article 224.1 de la loi qui prévoit :

 

[…]

 

[25]      La CSST ne pouvait déclarer que le travailleur ne conservait pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles sans obtenir l’opinion du médecin qui a charge, sinon toute la procédure d'évaluation médicale du chapitre VI serait court-circuitée. Le juge administratif Richard L. Beaudoin a traité de cette question et indique dans la décision Lecompte et Action Chevrolet Oldsmobile inc.2 ce qui suit :

 

[…]

__________

2              C.L.P. 183686-62-0205, 5 juin 2003.

 

 

[19]        La décision Lacombe à laquelle il réfère concerne un cas où le membre du Bureau d'évaluation médicale donne son avis sur une question médicale alors que le médecin qui avait charge du travailleur et celui désigné par la CSST étaient d'accord sur cette question. La Commission des lésions professionnelles décide que le membre du Bureau d'évaluation médicale ne peut donner d'avis dans une telle circonstance. Dans la décision du 22 juin 2010, le juge administratif cite un long extrait de cette décision dont les passages suivants :

[74]        La modification apportée en 1992, autant à l’article 206 qu’à l’article 221, autorise le membre du Bureau d’évaluation médicale à se prononcer sur des sujets qui n’ont pas fait l’objet d’une conclusion par le médecin qui a charge du travailleur ou le médecin désigné.

 

[75]        La Commission des lésions professionnelles ne trouve pas dans ces deux articles, non plus que dans l’article 219, l’ouverture, pour le membre du Bureau d’évaluation médicale, de se prononcer sur une conclusion au sujet de laquelle le médecin qui a charge et le médecin désigné sont d’accord. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le membre du Bureau d’évaluation médicale peut se prononcer uniquement sur des conclusions qui font l’objet d’une contestation ou sur des sujets mentionnés à l’article 212 qui n’ont pas été abordés par le médecin traitant ou un médecin désigné.

 

 

[20]        Il réfère aussi à la décision Les Aliments Vermont inc. et Guillemette[2] qui porte sur la même problématique, dont il cite notamment le passage suivant :

[28]        Pour comprendre le paragraphe deuxième de l’article 221 de la LATMP, on doit savoir qu’avant le 1er novembre 1992, l'arbitre médical avait pour seul mandat d’infirmer ou de confirmer le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1 à 5 de l'article 212, et y substituer les siens, s'il y avait lieu. Le paragraphe 2 de l’article 221 de la LATMP est donc un ajout du législateur au texte de l’article 221 à compter du 1er novembre 1992.

 

[29]        Ainsi, avant le 1er novembre 1992, l’arbitre médical saisi par exemple de la consolidation de la lésion qui concluait que celle-ci était consolidée, ne pouvait se prononcer immédiatement sur les questions de l’existence ou non d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles, si le médecin qui a charge du travailleur ne s’était pas prononcé sur ces questions et qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’un rapport infirmant ces conclusions en vertu de l’article 212 de la LATMP. En effet, la loi obligeait et oblige toujours l’employeur à attendre que le médecin qui a charge du travailleur se prononce avant de pouvoir porter la question à l’arbitrage médical et avait pour effet de multiplier les demandes d’arbitrage médical et d’allonger considérablement les délais de résolution des litiges.

 

[30]        Toutefois, l’ajout du paragraphe deuxième de l’article 221 de la LATMP permet depuis le 1er novembre 1992 au membre du Bureau d’évaluation médicale de se prononcer sur des questions médicales prévues à l’article 212 de la LATMP « même si » le médecin qui a charge du travailleur ou le médecin désigné de l’employeur ou l’expert de la CSST ne s’est pas encore prononcé. Ainsi, le paragraphe deuxième de l’article 221 de la LATMP permet au membre du Bureau d’évaluation médicale de donner son avis relativement à chacun des sujets de l’article 212 de la LATMP lorsque le médecin qui a charge du travailleur ou le médecin désigné par l’employeur ou la CSST ne s’est pas encore prononcé.

 

[31]        Conclure autrement permettrait à un membre du Bureau d’évaluation médicale qui est saisi par exemple de la détermination de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, de remettre en question le diagnostic sur lequel repose l’admissibilité de la réclamation et qui est déjà reconnu par le médecin de la travailleuse, le médecin de l’employeur et par la CSST.

 

[32]        La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’intention du législateur en modifiant l’article 221 de la LATMP n’était certainement pas de permettre au membre du Bureau d’évaluation médicale d’arbitrer lorsqu’il y a absence de litige entre les parties et rappelle que la procédure d’évaluation médicale prévue à la LATMP s’inscrit dans un processus légal d’arbitrage de différends d’ordre médical qui comporte des contraintes d’ordre juridique auxquelles le membre du Bureau d’évaluation médicale et la CSST ne peuvent se soustraire.

 

[…]

 

[36]        Considérant que le médecin qui a charge de la travailleuse et le médecin désigné de l’employeur se sont déclarés en accord avec la fin des traitements au 30 novembre 1998 et à la consolidation de la lésion à pareille date, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 8 février 1999 est illégal de même que la décision rendue par la CSST suite à cet avis le 25 février 19992. En effet, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST n’était pas liée en vertu de l’article 224.1 de la LATMP par l’avis illégal du membre du Bureau d’évaluation médicale.

 

[37]        La Commission des lésions professionnelles conclut qu’il y a lieu d’annuler la décision de la CSST rendue le 25 février 1999 parce qu’illégale et de lui retourner le dossier afin qu’elle le soumette de nouveau à la procédure d’évaluation médicale sur les questions médicales de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

__________

2              Martial Couture et Les Outillages Ricci inc. et Tye-Sil Corporation Ltée, CLP 86838-60C-9703, Me Thérèse Giroux, 1998-08-20; Mario Huaracha et Riviera Fur Styles inc., CLP 118441-73-9906, Mme Diane Taillon, 2000-01-07

 

 

[21]        Le juge administratif conclut dans les termes suivants :

[27]      Le soussigné est aussi de cet avis et il y a lieu d’annuler la décision de la CSST sur la question de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, la CSST ne pouvant se déclarer liée par l’opinion émise par le Bureau d'évaluation médicale sur une question, alors que le médecin qui a charge ne s’est pas encore prononcé sur cette question. On ne peut raisonnablement adhérer au fait que le législateur exige une opinion médicale qui contredirait l’avis du médecin qui a charge, pour donner ouverture au processus d’évaluation médicale et du même souffle, escamoter tout ce processus sur les questions où le médecin qui a charge ne s’est pas prononcé. Lorsque le membre du Bureau d'évaluation médicale exerce son pouvoir discrétionnaire, il n’émet alors qu’une opinion, car il n’y a pas de litige à trancher et cette opinion médicale ne peut lier la CSST, car elle n’est pas rendue dans le cadre du processus d’évaluation médicale.

 

[28]      L’avis discrétionnaire donné par le Bureau d'évaluation médicale sur les questions qui ne sont pas en litige est assimilable à l’opinion médicale que la CSST pourrait obtenir en vertu des dispositions de l’article 204 de la loi qui prévoient :

 

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

[29]      Si la CSST veut donner suite à l’opinion du Bureau d'évaluation médicale sur les questions où il a exercé son pouvoir discrétionnaire, elle doit soumettre ces questions au médecin qui a charge du travailleur.

 

 

[22]        Au soutien de la requête en révision, la représentante de l'employeur reproche au juge administratif d'avoir mentionné que l'expertise de la docteure Lavoie n'avait pas été transmise au docteur Bouchard alors que la preuve démontre le contraire, la lettre qui lui a été envoyée avec cette expertise étant au dossier.

[23]        Elle lui reproche également d'avoir commis une erreur de droit en retenant que la CSST n'était pas liée par l'avis du docteur Lacoste sur l'atteinte permanente à l'intégrité physique et les limitations fonctionnelles.

L’AVIS DES MEMBRES

[24]        La membre issue des associations d'employeurs est d'avis que la requête doit être accueillie. Elle estime que les articles 221 deuxième alinéa et 224.1 de la loi sont clairs, qu'il n'y a pas matière à interprétation et que le juge administratif commet une erreur de droit en refusant d'y donner plein effet.

[25]        Le membre issu des associations syndicales est d'avis que la requête doit être rejetée. Il convient que le juge administratif commet une erreur manifeste en ce qui a trait à la transmission de l'expertise de la docteure Lavoie au docteur Bouchard, mais il estime que cette erreur n'est pas déterminante. Il considère par ailleurs que la conclusion à laquelle en vient le juge administratif ne comporte pas d'erreur de droit manifeste parce qu'il s'agit d'une question d'interprétation des articles 221 deuxième alinéa et 224.1 de la loi qui relevait de ses pouvoirs.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[26]        La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de révoquer la décision rendue le 22 juin 2010.

[27]        Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu'elle a rendue est prévu par l'article 429.56 de la loi, lequel se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[28]       Cet article apporte une dérogation au principe général énoncé par l'article 429.49 de la loi voulant qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles soit finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.

[29]       L'employeur fonde sa requête sur le troisième motif, soit celui qui autorise la Commission des lésions professionnelles à réviser ou révoquer une décision qui comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.

[30]        La jurisprudence assimile cette notion de « vice de fond qui est de nature à invalider une décision » à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[3]. Elle précise par ailleurs qu’il ne peut s'agir d'une question d'appréciation de la preuve ni d'interprétation des règles de droit parce que le recours en révision n'est pas un second appel[4].

[31]       Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[5], la Cour d'appel rappelle ces règles comme suit :

[21]      La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.

_______________

1.     Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508.  J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

 

[32]        La Cour d'appel réitère cette position dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[6] lorsqu’elle écrit :

On voit donc que la gravité, l'évidence et le caractère déterminant d'une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d'en faire un «vice de fond de nature à invalider [une] décision».

 

[51]      En ce qui concerne la raison d'être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s'agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d'être décrites. Il ne saurait s'agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première51.

_______________

[51]         Voir l'arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l'arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22.

 

 

[33]        Tel que mentionné dans l'extrait cité précédemment de la décision Les Aliments Vermont inc. et Guillemette, avant le 1er novembre 1992, l'arbitre médical ne pouvait se prononcer que sur les questions sur lesquelles le médecin qui avait charge du travailleur s'était prononcé. Depuis l'entrée en vigueur des modifications apportées à la procédure d'évaluation médicale et notamment à l'article 221, le membre du Bureau d'évaluation médicale peut donner son avis sur une question sur laquelle le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé et en vertu de l'article 224.1 de la loi, son avis lie la CSST.

[34]        Les deux décisions auxquelles réfère le juge administratif pour soutenir la conclusion à laquelle il en vient concernent une problématique différente qui pouvait justifier de s'interroger sur la portée du deuxième alinéa de l'article 221, puisque cette disposition n'envisage pas expressément la situation où il y a accord entre le médecin traitant et le médecin désigné par l'employeur ou par la CSST.

[35]        De l'avis du tribunal, ce n'est pas le cas dans la présente affaire. Les dispositions des articles 221, deuxième alinéa et 224.1 sont claires et elles ne prêtent pas à interprétation. Elles indiquent clairement que le membre du Bureau d'évaluation médicale peut se prononcer sur une question sur laquelle le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé et que son avis sur cette question lie la CSST.

[36]        En concluant que l'avis que donne le membre du Bureau d'évaluation médicale sur une telle question constitue une opinion médicale qui est de même nature que celle émanant d'un médecin désigné et que cet avis ne lie pas la CSST, le juge administratif donne aux articles 221, deuxième alinéa et 224.1 une interprétation qui va totalement à l'encontre de ces dispositions et les rend inopérants ce qui, à toutes fins utiles, équivaut à ne pas les appliquer.

[37]        Selon la jurisprudence[7], l'omission d'appliquer une règle de droit constitue une erreur de droit manifeste et déterminante qui justifie la révision ou la révocation d'une décision. Dans ce contexte, il y a donc lieu d'accueillir la requête de l'employeur et, pour les raisons mentionnées précédemment, de révoquer la décision rendue le 22 juin 2010 plutôt que de la réviser.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Signalisation Laurentienne;

RÉVOQUE la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 22 juin 2010;

CONVOQUERA à nouveau les parties à une audience sur le fond de la contestation de monsieur Emanuel Rivest Goulet du 25 mars 2010.

 

__________________________________

 

Claude-André Ducharme

 

Me Patricia Ferland

Prévigesst

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           C.L.P. 121225-04B-9908, 27 novembre 2001.

[3]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[4]           Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix.

[5]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[6]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.); également dans CSST et Toulimi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.

[7]           Constructions PLL et CSST, [2020] C.L.P. 916; Terrassement Lavoie ltée et Conseil conjoint (F.T.Q.), [2004] C.L.P. 194 ; Champagne et Ville de Montréal, C.L.P. 236011-63-0406, 23 février 2006, S. Di Pasquale; Guitard et Corporation Voyageur, [2007] C.L.P. 1532 ; I.M.P. Group Limited et CSST, [2007] C.L.P. 1558 ; Caron et Gaston Turcotte & fils inc., 2009 QCCLP 6496 ; St-Denis et Manoir Heather Lodge, 2010 QCCLP 5437

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