Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Montréal

MONTRÉAL, le 12 septembre 2002

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

169932-71-0109

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Huguette Rivard

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Pierre Gamache

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Gertrude Laforme

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR :

Albert Charbonneau, médecin

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

118963511

AUDIENCES TENUES LES :

2 mai et 14 juin 2002

 

 

 

 

EN DÉLIBÉRÉ LE :

28 juin 2002

 

 

 

 

 

 

À :

Montréal

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MONSIEUR AJWAD BAZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SILGAN PLASTICS CANADA INC.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 25 octobre 2001, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 10 septembre 2001, à la suite de sa révision administrative.

[2]               Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 29 septembre 2000 refusant la réclamation du travailleur du 29 mai 2000.  La CSST fait part dans sa décision qu’il n’y a pas de lien entre le fait d’avoir été exposé à un mélange d’huile et de plastique et ajoute que le médecin n’a relié aucun diagnostic concernant cette exposition à l’événement du 29 mai 2000.  Elle ajoute qu’il ne s’agit pas d’une maladie professionnelle et qu’elle ne peut non plus accepter le diagnostic d’entorse lombaire en relation avec l’événement du 29 mai 2000.

[3]               À l’audience, tenue devant la Commission des lésions professionnelles les 2 mai et 14 juin 2002, le travailleur était présent et représenté par Me Yves Perreault. Madame Carole Robert pour l’employeur, Silgan Plastics Canada inc., était représentée par Me Jean-François Gilbert.

[4]               Un délai a été accordé aux parties afin de produire des documents et le dossier a été pris en délibéré le 28 juin 2002, date de la réception complète des documents et commentaires.  

L'OBJET DU LITIGE

[5]               Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître d’une part, qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire en relation avec un déversement d’huile survenu le 25 mai 2000 chez son employeur et d’autre part, de reconnaître qu’il a subi, lors du même événement, une lésion professionnelle au dos.

[6]               De manière préalable à l’audience, le procureur du travailleur soumet à la Commission des lésions professionnelles que la réclamation du travailleur n’a pas suivi la procédure concernant les maladies professionnelles pulmonaires prévue aux articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi ).

 

 

LES FAITS

[7]               Étant donné la demande du procureur du travailleur relativement à la partie du dossier concernant la condition pulmonaire du travailleur, il a été convenu avec les parties que la preuve ne porterait que sur le bien-fondé de cette demande ainsi que sur la réclamation concernant la condition au dos du travailleur.  Advenant le cas où la demande du travailleur serait refusée, les parties devront alors être reconvoquées quant au fond de la réclamation concernant la condition pulmonaire du travailleur.

[8]               Le travailleur est aux services de l’employeur depuis juin 1995 et est opérateur depuis 1998.  À ce titre, il répare et nettoie des machines servant à la production de plastique incluant le nettoyage des fuites d’huile à l’aide d’une pompe pneumatique et d’un aspirateur. 

[9]               Le 29 mai 2000, un bris d’équipement se produit à l’usine vers 3 heures du matin.  Le travailleur entre à 6 h 30 ce matin-là et doit nettoyer la machine en question.  Pour ce faire, il doit se glisser dans la machine en se couchant sur la poitrine en apportant ses boyaux.  Il fait trois épisodes de nettoyage d’environ 10 minutes et après le quatrième épisode, il ressent des étourdissements et des maux de tête.  Il tente de sortir rapidement et en essayant de se relever, il retombe et reste ainsi pendant environ une demi-heure sans être vu par personne.   Il éprouve des douleurs à la tête, aux hanches du côté gauche, dans le bas du dos qui descendent dans le bas de la jambe ainsi que des difficultés à respirer.  Il serait ensuite allé à l’extérieur pendant environ une demi-heure sans rien déclarer à l’employeur.  Il se sent très fatigué à son retour à la maison et téléphone au docteur Dadour, mais la clinique est fermée et ne le rencontre que le 13 juin suivant.   Il continue à travailler entre-temps et à faire même quelques heures supplémentaires.

[10]           La deuxième journée, il ressent de la difficulté à respirer et a un peu mal au dos en faisant le nettoyage.  Les difficultés respiratoires sont alors pires que ses douleurs au dos.  Il change ensuite de département dans l’usine à la suggestion de son patron.

[11]           Le 13 juin, il rencontre le docteur Dadour. À ses notes, celui-ci inscrit que le travailleur travaille dans une usine de fabrication de bouteilles de plastique et que le 29 mai, une des machines a eu un problème d’écoulement de plastique.  Le travailleur est entré dans la machine pour faire des réparations et a respiré un mélange de gaz, d’huile et de plastique.  Il s’est senti oppressé et avait l’impression qu’il allait perdre connaissance.  Il a pu sortir de l’enceintede la machine et serait tombé à la sortie.  Il a eu mal au dos et ce malaise « s’est amendé actuellement ».  Depuis, il présente une « dyspnée +++ » avec sensations d’étouffement la nuit et expectoration noirâtre.  Le docteur Dadour souligne que les représentants de la médecine du travail sont allés sur place, que le travailleur a peur de parler d’accident du travail et qu’il refuse les documents pour la CSST.  Son impression diagnostique est une « dyspnée secondaire à une inhalation de gaz toxique ? ».  Il recommande une radiographie pulmonaire de même qu’une consultation en pneumologie et des tests de fonction respiratoire.  Il lui prescrit du Ventolin.  Ses notes sont parvenues à la CSST le 4 octobre 2000.

[12]           Le travailleur déclare qu’il n’a pas fait de réclamation à la CSST à ce moment parce qu’il croyait que ses douleurs passeraient.  Il avait peur de perdre son emploi et d’avoir, à 53 ans, de la difficulté à se trouver un travail s’il déclarait un accident à la CSST.

[13]           Le 15 juin, le travailleur rencontre le docteur Bellemare, pneumologue, qui lui fait subir une radiographie pulmonaire et fait état qu’il traite le travailleur comme un asthmatique. Il ajoute que celui-ci présente une hyperexcitabilité bronchique significative possiblement sur la base d’exposition à des irritants non spécifiques « mais il y a une possibilité d’agents irritants spécifiques sur son lieu de travail et dans cette perspective, je lui suggère d’éviter le contact avec les vapeurs d’huile. »  Il recommande un bilan fonctionnel respiratoire formel.

[14]            Du 24 juin au 20 juillet, le travailleur est en vacances.

[15]           Le 10 août 2000, le travailleur complète un formulaire de réclamation à la CSST indiquant que depuis le 20 septembre 1999,  il travaille au département de maintenance et que ce travail consiste à ajouter et à pomper de l’huile à l’intérieur des machines, de les nettoyer pour enlever les résidus de plastique et ce, de 7 h le matin à 3 h de l’après-midi.  Il indique à la CSST qu’un incident est survenu le 29 mai 2000 alors qu’il nettoyait du plastique très chaud mélangé avec de l’huile dans un endroit très restreint à l’intérieur d’une machine.  Après deux heures, il s’est senti étourdi, a eu de la difficulté à respirer et depuis ce temps, il ne peut plus exercer cet emploi car son problème empire de jour en jour. Il n’a pas eu d’aide pour compléter sa réclamation et n’a pas fait état du problème au dos parce qu’il pensait pouvoir le dire à la CSST. L’agente lui aurait dit de compléter une réclamation à cet effet mais son médecin lui aurait répondu que son problème numéro un était celui de ses poumons.

[16]           À l’appui de sa réclamation il soumet une attestation médicale de la visite du 13 juin 2000 au docteur Dadour, mais signée par celui-ci le 10 août 2000.  L’attestation médicale fait état d’une exposition à des vapeurs de mélange d’huile et de plastique, de difficultés respiratoires gênant la poursuite du travail.  Le docteur Dadour prescrit un repos pour un mois. Cette attestation est parvenue à la CSST le 15 août suivant. 

[17]           Le 10 août également, il consulte à nouveau le docteur Dadour qui fait état de difficultés respiratoires avec expectoration noirâtre.  Celui-ci inscrit que le travailleur a alors de la difficulté à dormir à cause de sa dyspnée et aussi de la difficulté à faire son travail.  Il retient le diagnostic d’hyperexcitabilité bronchiqueet remet l’attestation médicale plus haut mentionnée au travailleur. 

[18]           Le 17 août, le docteur Dadour note que le travailleur est très dyspnéique malgré la médication prescrite (Pulmicort et Brecanyl), que celui-ci est épuisé et lui recommande de se rendre à l’urgence  s’il est très dyspnéique.

[19]           Le 18 août, le docteur Dadour inscrit sur le formulaire d’assignation temporaire du travailleur que celui-ci souffre de difficultés respiratoires et de douleurs lombaires.

[20]           Le 19 août, le travailleur se rend à l’urgence de l’hôpital du Sacré-Cœur pour difficultés respiratoires.  Le médecin note alors une dyspnée depuis trois mois à la suite d’inhalation au travail d’huile et de plastique.  On note également une douleur pleurétique et une dyspnée augmentée depuis deux semaines.  On note un diagnostic d’asthme et on veut vérifier s’il ne s’agit pas de pneumothorax ou d’une embolie pulmonaire.  On note également, lors du test de gaz veineux, de l’alcalose respiratoire sur hyperventilation.

[21]         Le 24 août, le docteur Dadour inscrit à ses notes que le travailleur consulte ce jour pour une douleur lombo-sacrée avec difficulté à marcher.  Il ajoute « cette douleur est survenue à la suite de sa chute le 29-05; mais avait pratiquement disparue le 1er jour ». Il note que le travailleur est très souffrant, « se tient sur sa jambe droite, la jambe Gauche surélevée et en flexion ».  Il a de la difficulté à se mouvoir et la douleur l’empêche de dormir.  Il a des douleurs à L4-L5 et L5 - S1 à gauche avec une attitude antalgique.  La flexion antérieure est impossible et les flexions latérales droites et gauches sont sensibles de même que les extensions.  Le Lasègue est positif à gauche et la sensibilité est diminuée à gauche également.  Il retient le diagnostic de lombalgie et  également celui « d’asthme ? ».

[22]           Le 25 août, une radiographie démontre une ébauche de becs ostéophytiques en L3-L4.

[23]           Le 29 août, l’employeur informe la CSST qu’elle attend le résultat des analyses du DSC sur les huiles utilisées chez l’employeur.

[24]           Le 30 août le docteur Gilles Blanchet, pneumologue, fait état de syndrome d’hyperventilation chronique. Le 30 août, également, les notes évolutives du dossier de la CSST font état qu’il n’y a pas de diagnostic clair de maladie professionnelle pulmonaire et que le dossier sera traité en accident du travail.

[25]           Le 31 août, le docteur Susset fait état d’une hernie discale L5-S1 gauche/entorse et réfère le travailleur en physiothérapie.  Elle inscrit que le travailleur était à l’intérieur d’une machine le 29 mai 2000 « à nettoyer il a eu un malaise, il était étourdi et a essayé de sortir avec difficulté mais ne pouvant pas s’accrocher, il est tombé sur le dos. » 

[26]           Le travailleur rencontre le docteur Michel Meunier, à la demande de l’employeur, le 5 septembre 2000.  Le travailleur lui déclare avoir nettoyé durant deux heures, s’être senti étourdi, qu’il serait tombé par terre et aurait toussé passablement.  Il lui déclare également que les douleurs au dos ont débuté en août 2000 de façon progressive.  L’examen musculo-squelettique est dans les limites de la normale avec des algies non objectivables et plusieurs signes de non-organicité.

[27]           La tomodensitométrie est effectuée le 11 septembre 2000 et documente une discopathie à L3-L4, L4-L5 et L5-S1 associée à de petits complexes disco-ostéophytiques.

[28]           Le 21 septembre, le docteur Susset note une boiterie avec une faiblesse à la dorsi-flexion gauche, des douleurs L5-S1 incapacitantes améliorées et une atrophie avec hypoesthésie en L5.   Il prescrit une épidurale pour sténose et sciatalgie gauche et recommande une électromyographie.

[29]           Le 1er octobre, le docteur Dadour note un état stationnaire et que le scan démontrerait une sténose spinale.

[30]           Le 12 octobre, le docteur Soucy rend son rapport selon l’étude  réalisée chez l’entreprise de l’employeur le 11 septembre. Quant aux symptômes respiratoires présentés par le travailleur le 29 mai, soit des symptômes d’irritation bronchique, le docteur Soucy indique qu’ils pourraient être expliqués par l’exposition aux huiles étant donné les propriétés irritatives des vapeurs de ces dernières lorsque l’huile est chaude.  D’après la description de l’étude de l’événement, l’exposition pourrait difficilement expliquer une atteinte chronique des poumons.  L’étude fait également état qu’en ce qui concerne l’événement du 29 mai, il est très difficile de juger de la situation et de dire quelle aurait pu être l’exposition du travailleur.  Il ajoute qu'une grande quantité de granules déversées a sûrement fait augmenter la température de l’huile et qu’à partir des témoignages recueillis, une forte odeur d’huile a été décelée.

[31]           Le 26 octobre le docteur Susset diagnostique une hernie discale et une sténose L5-S1 et le 28 décembre, elle indique qu’elle ne peut établir un rapport direct entre l’accident, « l’état et le diagnostic du patient car je ne l’ai pas vu avant le 31 août 2000.  Néanmoins, avec les résultats de la tomodensitométrie que j’ai prescrite et qu’il a passée le 11 septembre, il est évident que ce patient avait des lésions arthrosiques très importantes et diffuses mais il était asymptomatique avant et est devenu symptomatique suite à l’accident. »

[32]           Le 22 novembre 2000, le travailleur est vu par le docteur L’Espérance qui rapporte un examen neurologique normal avec des algies non objectivables et des signes majeurs de non‑organicité.  Le travailleur a allégué au docteur L’Espérance qu’il a glissé sur une plaque d’huile en sortant de la machine, serait resté par terre une demi-heure avant qu’un compagnon ne l’amène voir son patron qui l’a dirigé à la maison.   À ce moment, il ne sentait pas ou peu de douleur au dos.  Le travailleur déclare également au docteur L’Espérence « qu’il y a un an ou un  peu plus, il travaillait sur le plancher.  Il a senti un peu de douleur dans le milieu du dos mais un peu plus haut qu’actuellement.  Avec 2 ou 3 comprimés, le tout  s’est amélioré. »  Il ne sent plus sa jambe gauche depuis trois mois et sa condition est pire depuis une semaine parce qu’il fait plus froid. 

[33]           Le travailleur est vu quelques fois par la suite par le docteur Bellemare qui, le 5 mars 2001, fait état d’une possibilité d’une très légère obstruction bronchique sans évidence d’hyperexcitabilité de type asthmatique.

[34]           Le 9 avril 2001, le travailleur a été examiné par le docteur Roch Banville qui fait état que lors de la réparation de la machine, le travailleur devait garder le tronc fléchi, il sortait à reculons et qu’en déposant le pied au sol,  il a glissé et est tombé en position assise, ce qui diffère des autres versions.  À son examen, il y a rigidité de la lordose lombaire, faiblesse des réflexes rotuliens et diminution des amplitudes articulaires.  Il retient un diagnostic d’entorse lombaire sur discopathie dégénérative multi-étagée.  Il fait également état que le travailleur se plaint en juin à son médecin de douleurs lombo-sacrées et qu’on lui prescrit alors des analgésiques, ce qui n’est pas le cas car le 13 juin, le docteur Dadour a prescrit du Ventolin.  Ce n’est que le 24 août que le travailleur reçoit des médicaments concernant son dos.  Sur ces bases, le docteur Banville conclut qu’il y a relation entre la condition lombaire et l’événement du 29 mai à cause du mécanisme accidentel tel que décrit, l’absence de tout antécédent pertinent, le fait que le travailleur absorbe des analgésiques et la concordance entre le mécanisme accidentel et le siège de lésion.

[35]           Le docteur John W. Osterman est venu témoigner à l’audience et sa qualité d’expert a été reconnue.  Il n’a pas examiné le travailleur ni visité l’usine.  Il témoigne qu’une entorse se manifeste immédiatement et que la douleur augmente graduellement avec parfois des irradiations dans la jambe ou dans le haut du dos.  Il note que le docteur Susset ne décrit pas l’examen qu’elle a fait pour dire qu’il y avait possiblement une relation et que ce n’est que le 24 août que le médecin indique une douleur lombo-sacrée avec difficulté à marcher et que le patient est très souffrant alors que le 13 juin, il ne fait pas d’examen et que le 15 juin, il ne fait pas état du dos.  De plus, le docteur Meunier avait noté que le problème avait débuté de façon progressive au mois d’août, indiquait des signes de non-organicité et le docteur L’Espérance notait que le travailleur ne sentait plus sa jambe depuis déjà trois mois en novembre 2000.

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

[36]           Le représentant du travailleur plaide que l’employeur a pris les dispositions nécessaires au niveau pulmonaire, en avisant le CLSC pour une évaluation des effets des produits utilisés, démontrant ainsi l’effet sérieux de l’événement. Malgré le fait qu’il y avait des éléments au dossier à cet égard et qu’une partie du travail avait été amorcée en ce sens lors de la vérification de l’usine effectuée par le CLSC, la CSST n’a pas soumis le dossier au Comité des maladies professionnelles pulmonaires. À l’époque, le travailleur n’avait pas spécifiquement noté à la CSST qu’il était atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire mais il n’était pas représenté par avocat.  Le procureur  du travailleur ajoute qu’il appartient au Comité des maladies professionnelles pulmonaires (CMPP) d’établir un diagnostic puisque le rapport médical du médecin qui a charge du travailleur n’était pas clair à l’époque.

[37]           Le procureur de l’employeur plaide pour sa part que l’article 226 de la loi est claire quant à l’allégation d’être atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, ce que le travailleur n’a pas fait.  De plus, aucun diagnostic d’affection pulmonaire n’a été posé par les différents médecins rencontrés par le travailleur.  Il prétend également que si le travailleur est atteint d’une affection pulmonaire à la suite d’un accident du travail, le dossier n’a pas à être soumis au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.  À l’appui de ses prétentions, il soumet la décision de Pelletier et Sabex International 1980 ltée[2].

[38]           Quant au dos, le représentant du travailleur plaide que le docteur Dadour a fait état de ce malaise lors de la rencontre du travailleur, mais que cette douleur s'était amendée au  moment de son examen.  Il demande donc à la Commission des lésions  professionnelles de déclarer que le travailleur a subi une entorse lombaire sur une condition personnelle. Il ajoute que le travailleur n’a pas à produire une nouvelle réclamation lors de l’émission d’un nouveau diagnostic par son médecin.  D'ailleurs, la CSST a traité le rapport émis par le médecin comme un nouveau diagnostic et s’est prononcée sans aucunement faire état d'une réclamation.

[39]           L’employeur, pour sa part, plaide qu’il n’y a pas eu d’événement comme tel le 29 mai.  Il soulève la non-crédibilité du travailleur et le fait qu’aucune mention du dos n’a été faite de façon contemporaine à l'événement, qu’il n’y a pas eu de réclamation à cet égard et que les symptômes sont survenus beaucoup plus tard, ajoutant qu'on ne peut faire de lien entre cette lésion et l'événement tel que déclaré.

L'AVIS DES MEMBRES

[40]           Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que le travailleur n’a pas démontré avoir subi une entorse lombaire le 29 mai 2000. Le travailleur n’a pas fait la preuve non plus de l’aggravation de sa condition personnelle préexistante.  De plus, même si des douleurs lombaires sont mentionnées deux semaines plus tard, aucun diagnostic n’a alors été posé.  Ils sont aussi d'avis que le travailleur n'avait pas à soumettre une nouvelle réclamation pour son dos. 

[41]           En ce qui concerne la maladie professionnelle pulmonaire, le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis qu’il y a lieu de référer le dossier au Comité des maladies professionnelles pulmonaires étant donné l’indication au dossier de plusieurs éléments militant en ce sens.  La décision de la CSST à cet égard est donc prématurée.  Quant  à l’objection du représentant du travailleur à la production de la bande vidéo montrant le travailleur dans la salle d’attente du docteur L’Espérance, ils sont d'avis qu'elle devient sans objet étant donné le refus de la réclamation du travailleur pour son dos.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[42]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer, dans un premier temps, si la réclamation du travailleur devait être soumise au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

[43]           À cet égard, la Commission des lésions professionnelles se réfère aux articles 226 et suivants de la loi.  L'article 226 se lit ainsi :

226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.

________

1985, c. 6, a. 226.

 

 

[44]           L’article 229 prévoit que les radiographies des poumons du travailleur sont transmises au président du Comité des maladies professionnelles pulmonaires et l’article 230 prévoit que ce comité examine le travailleur et qu’il fait subséquemment un rapport écrit à la CSST.

[45]           L’article 231 prévoit qu’à la réception du rapport du Comité des maladies professionnelles pulmonaires, la CSST soumet le dossier du travailleur à un comité spécial qui donne son avis à son tour.

[46]           Finalement, l’article 233 indique qu’aux fins de rendre une décision en vertu de la Loi sur les droits du travailleur qui produit « une réclamation alléguant qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire » la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établies par le comité spécial.

[47]           De la lecture de ces articles, la Commission des lésions professionnelles retient que dès qu’un travailleur dépose une réclamation alléguant qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, la CSST doit référer celui-ci à un Comité des maladies professionnelles pulmonaires puis à un comité spécial puisque seules les constatations établies par ce dernier comité lieront la CSST aux fins de rendre une décision sur les droits du travailleur. 

[48]           En l’espèce, le travailleur a produit une réclamation faisant référence à un accident du travail survenu le 29 mai 2000.  À l’appui de sa réclamation, il a soumis une attestation médicale faisant état de difficultés respiratoires le 13 juin 2000.  Par la suite, le 10 août, on fait état d’hyperexcitabilité bronchique, on réfère le travailleur à un pneumologue, on lui fait subir des radiographies des poumons et le 24 août, on s’interroge quant à de l’asthme.  L’employeur, de plus, a avisé la CSST qu’il faisait faire une inspection par le CLSC quant à la toxicité des vapeurs d’huile. Le travailleur réfère aussi dans sa réclamation à son travail de pompage et nettoyage d'huile depuis septembre 1999.  Le travailleur n’était pas représenté à l’époque et la CSST dans ses notes évolutives fait état qu’elle n’a pas suffisamment d’éléments pour conclure à une maladie professionnelle pulmonaire et qu’elle traite le dossier plutôt comme un accident du travail. 

[49]           De ces éléments, de la lecture du dossier et des éléments médicaux qui y sont contenus, la Commission des lésions professionnelles retient que bien que la réclamation comme telle du travailleur n’était pas claire, celui-ci cochant « accident du travail » sur son formulaire, la CSST avait suffisamment d’indices pour lui permettre de déterminer qu’il y avait possibilité d’une maladie professionnelle pulmonaire et se devait alors de transmettre le dossier au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.  C’est à ce comité qu’il appartient d’établir le diagnostic de maladie professionnelle pulmonaire étant donné que le médecin du travailleur ne l’a pas fait de façon précise.  Le travailleur ne peut être privé de son droit parce qu’il n’a pas coché la bonne case à son formulaire de réclamation et que son médecin n’a pas indiqué un diagnostic clair à cet égard.  La Commission d'appel en matières de lésions professionnelles (C.A.L.P.) a déjà permis à un travailleur de produire une demande d’indemnisation pour maladie professionnelle pulmonaire même s’il n’avait pas transmis un rapport médical à cette fin. [3]

[50]           La CSST, de plus, a l’obligation lorsqu’elle reçoit une réclamation, de rendre une décision concernant une lésion professionnelle.  Or, la lésion professionnelle telle que définie à l’article 2 de la loi comprend un accident de travail ou une maladie professionnelle.  Il faut donc regarder le dossier sous tous les angles d’une lésion professionnelle et les éléments au dossier indiquaient que ce dossier devait être transmis au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

[51]           L’employeur plaide que lorsqu’il s’agit d’un accident du travail, la CSST n’a pas à transférer le dossier au Comité des maladies professionnelles pulmonaires alléguant la cause de Pelletier et Sabex International[4], soulignant ainsi que toute décision qui emprunte la procédure prévue aux articles 226 et suivants est irrégulière de même que toute décision qui contourne ce processus[5].  Or, avec respect pour l’opinion contraire, à la lecture des motifs de la décision dans l'affaire Pelletier, c'est parce que la CSST n’avait pas été saisie d’une réclamation alléguant que la travailleuse était atteinte d’une maladie professionnelle pulmonaire qu'il a été décidé que le dossier ne devait pas être transmis au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.  La commissaire faisait état que les diagnostics émis par les médecins à l’époque pertinente étaient ceux d’allergie au mercure, au talc et au chlore de même que de dermite allergique et déclarait que le processus prévu aux articles 226 et suivants avait été enclenché à l’encontre des prescriptions légales.  On ne fait pas état qu’il s’agissait d’un accident du travail mais bien de diagnostics qui ne suscitaient pas l’obligation,  de l’avis de la CALP, de transférer le dossier au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.  Et aussi, à cause de la déclaration de la travailleuse qui disait avoir présenté une réaction cutanée avec le visage, les mains et les yeux enflés, de même que de la difficulté à respirer ainsi qu'une toux sèche.

[52]           Quant à l'affaire C.N., monsieur le juge Tingley de la Cour supérieure donne raison à l'employeur et déclare que  « Face à une réclamation d'un travailleur alléguant une maladie pulmonaire qui est reliée à son travail, la C.S.S.T. a l'obligation de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires. »  Il fait aussi état que sans cette référence , toute décision se prononçant si monsieur Mule était atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire ou qui prenait pour acquis que celui-ci était atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire était irrégulière et constituait un excès de compétence.

[53]           Tel que plus haut mentionné, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que dans le cas qui nous occupe, la CSST avait suffisamment d'indices au dossier et qu'elle devait transmettre le dossier du travailleur au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

[54]           Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles estime donc en l'espèce que la décision de la CSST était prématurée concernant la condition pulmonaire du travailleur et que le dossier doit donc lui être retourné afin qu’elle le transmette au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

[55]           En ce qui concerne la lésion au dos du travailleur, la Commission des lésions professionnelles est d’avis, en réponse à l’argument du procureur de l’employeur, que le travailleur n’avait pas à faire une nouvelle réclamation pour son dos.  Il a soumis les documents médicaux requis et la CSST les a traités comme un nouveau diagnostic entré au dossier en rapport avec sa réclamation pour un événement survenu le 29 mai 2000, lui permettant de rendre une décision sur ce point. 

[56]           La Commission des lésions professionnelles se réfère aux définitions de lésion professionnelle et d'accident du travail prévues à l’article 2 de la loi qui se lisent comme suit : 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation ;

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

 

[57]           Une présomption de lésion professionnelle est prévue à l’article 28 de la loi et le travailleur peut bénéficier de son application s'il démontre qu’il a subi une blessure sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail.

[58]           En l’espèce, le diagnostic d’entorse lombaire est reconnu comme étant une blessure mais la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir que le travailleur ait subi une lésion professionnelle sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail le 29 mai 2000.  La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas démontré que son entorse lombaire suivie d’une hernie discale étaient reliées à l’événement du 29 mai 2000.

[59]           En effet, en aucun temps le travailleur n’a déclaré à  son employeur avoir glissé et être tombé sur le dos.  Il n’arrête pas de travailler et continue à faire même un peu de temps supplémentaire.  Lorsqu’il rencontre le médecin le 13 juin suivant, il fait état qu'il serait tombé à la sortie d'une machine, qu'il a eu mal au dos mais que ce problème « s'est amendé actuellement », mais aucun diagnostic n'est posé, ni aucun examen n'est effectué quant à ce problème.  Le 15 juin, on ne fait pas état du dos, ni les 10 et 17 août suivants.  Ce n’est que le 24 août que le médecin mentionne : « Consulte aujourd'hui pour une douleur lombo-sacrée avec difficulté à marcher.  Cette douleur est survenue à la suite de sa chute le 29-05; mais avait pratiquement disparue le 1er jour ». Un examen est pratiqué et il est noté que le travailleur est alors très souffrant.  De plus, les différentes déclarations aux médecins de même qu’à l’audience ou à sa réclamation divergent quant à la façon dont il serait tombé le 29 mai 2000 :  tantôt il se sentait étourdi et serait tombé soit assis, soit sur le dos et n’était pas capable de se relever,  tantôt il aurait glissé en sortant de la machine.  De plus, le moment du début de ses douleurs diffère d’un médecin à l’autre : tantôt la douleur était immédiate et peu incommodante, se serait amendée en juin pour revenir en août, tantôt serait apparue de façon progressive en août.  Aussi, la Commission des lésions professionnelles retient le témoignage du docteur Osterman qui s’est présenté à l’audience et qui a expliqué au tribunal qu’une entorse lombaire aurait été incapacitante de façon beaucoup plus contemporaine à l’événement allégué du 29 mai 2000.

[60]           Pour toutes ces rairons, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir que le travailleur ait subi une lésion professionnelle au dos le 29 mai 2000.

[61]           Étant donné  la conclusion à laquelle en arrive le tribunal, l’objection du procureur du travailleur quant à la production d’une preuve vidéo devient donc sans objet et la Commission des lésions professionnelles n’a pas eu besoin d’en tenir compte dans l’analyse de ce dossier.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE  en partie la requête du travailleur, monsieur Ajwad Baz;

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité au travail le 10 septembre 2001 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE prématurée la partie de la décision rendue le 10 septembre 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité au travail à la suite d’une révision administrative concernant la réclamation pour la condition pulmonaire du travailleur;

RENVOIE  le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité au travail pour qu'elle suive la procédure établie aux articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et soumette le dossier au Comité des maladies professionnelles pulmonaires;

REJETTE la réclamation du travailleur quant à sa lésion au dos;

DÉCLARE que le travailleur n'a pas subi une lésion professionnelle au dos le 29 mai 2000.

 

 

 

 

Me Huguette Rivard

 

Commissaire

 

 

 

LAVOIE, LAVERDURE, MILLER, PERREAULT

(Me Yves Perreault)

 

Représentant de la partie requérante

 

 

GILBERT, AVOCATS

(Me Jean-François Gilbert)

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]              20697-63-9007, 16 juin 1992, Louise Boucher

[3]          Cie de papier Québec et Ontario Limitée et Fortin, 1990 C.A.L.P. 1153 .

[4]          Déjà cité, note 2.

[5]          Cie de chemins de fer nationaux c. C.A.L.P., [1992] C.A.L.P. 1586

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