Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Quessy et Norsk Hydro Canada inc. (F)

2014 QCCLP 350

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

20 janvier 2014

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

485170-04-1210

 

Dossier CSST :

135715118

 

Commissaire :

Valérie Lizotte, juge administratif

 

Membres :

Ginette Vallée, associations d’employeurs

 

Serge Saint-Pierre, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Marcel Quessy

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Norsk Hydro Canada inc.  (F)

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 18 octobre 2012, monsieur Marcel Quessy (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 octobre 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 5 septembre 2012 et déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel en portant une protection respiratoire adéquate en regard des irritants respiratoires non spécifiques présents en milieu de travail. La CSST déclare que le travailleur n’a donc pas droit aux indemnités de remplacement du revenu.

[3]           Aussi, la CSST déclare que l’aggravation temporaire de l’asthme personnel du travailleur n’a entraîné aucun déficit anatomophysiologique et qu’il n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel.

[4]           L’audience s’est tenue le 4 décembre 2013 en présence du travailleur et de son représentant. Norsk Hydro Canada inc. (l’employeur) est maintenant fermé et n’était pas représenté à l’audience. Pour sa part, la CSST était représentée.

[5]           Le dossier est mis en délibéré au terme de l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           Le représentant du travailleur demande au tribunal de déclarer que la décision initiale rendue par la CSST le 5 septembre 2012 est prématurée et qu’en l’absence de consolidation de sa lésion professionnelle, la capacité du travailleur ne pouvait être déterminée par la CSST. Il demande de retourner le dossier à la CSST pour que le traitement approprié soit effectué.

[7]           Subsidiairement, le représentant du travailleur demande de déclarer que si une date de consolidation doit être établie, celle-ci ne peut être antérieure à l’avis rendu par le Comité Spécial des présidents le 22 avril 2010. Il demande de déclarer que le travailleur a droit aux indemnités de remplacement du revenu au moins jusqu’à cette date.

[8]           De plus, il demande de reconnaître que le travailleur a droit à l’application de l’article 48 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) donnant droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pendant un an à la suite de la décision le déclarant capable d’exercer son emploi.

LES FAITS

[9]           Le travailleur travaille chez l’employeur de 1988 jusqu’au 13 avril 2007, date à laquelle l’usine ferme définitivement. Il est d’abord technicien en mécanique industrielle et effectue principalement du travail de bureau jusqu’en 2000 où il est muté à l’atelier central. Il s’occupe alors principalement de la réfection des pompes en métal.

[10]        En audience, le travailleur explique qu’environ un an après son arrivée à l’atelier central, il commence à éprouver des symptômes de toux persistante. Il consulte alors son médecin.

[11]        Le 28 novembre 2001, le docteur Jean Gagnon, dermatologue, écrit au docteur Alain Deveault, médecin de famille du travailleur. Il mentionne qu’il a examiné le travailleur qui se plaint d’une toux depuis quelques mois associée à un changement de travail à l’usine.

[12]        Suite à l’examen, il constate que le travailleur ne présente aucune dyspnée respiratoire ni expectoration. Il n’a aucun problème nasal ou oculaire associé. Il note que le travailleur est retourné travailler au département des ateliers et la toux s’est améliorée de 90 %. Le travailleur lui rapporte alors qu’il porte des vêtements protecteurs et parfois des masques lorsqu’il est exposé à des substances irritantes et qu’il ne peut mettre en évidence aucun facteur déclenchant précis de ses symptômes soit par les pollens ou par la poussière.

[13]        Le 25 janvier 2002, le docteur Frédéric Sériès, pneumologue, transmet une lettre au docteur Deveault. Il écrit que le travailleur est connu de la clinique du sommeil puisqu’un diagnostic de syndrome d’apnée et d’hypopnée obstructive du sommeil avait été posé sur une oxymétrie nocturne il y a trois ans.

[14]        De plus, vu l’importance de l’obstruction nasale, il avait été recommandé de faire une chirurgie à ce niveau et celle-ci a été complétée avec une polypectomie au cours de l’année 2001. Ceci a entraîné une amélioration du ronflement, mais des pauses respiratoires sont toujours décrites par l’entourage.

[15]        Le docteur Sériès recommande au travailleur d’essayer un traitement par pression positive continue et il transmet une demande au laboratoire du sommeil à cet effet.

[16]        Le 21 février 2002, le docteur Michel Lapointe, pneumologue interniste, relate à son rapport qu’un CT Scan du thorax ne démontre pas d’augmentation de la nodularité infra centimétrique notée au lobe moyen.

[17]        Par ailleurs, il écrit que le phénomène de toux semble être réglé depuis quelques semaines.

[18]        Le 7 février 2003, le docteur Louis-Philippe Boulet, pneumologue, écrit au docteur Deveault après avoir examiné le travailleur. Il note que ce patient, âgé de 52 ans, est connu pour une hypertension artérielle, un syndrome d’apnée-hypopnée du sommeil diagnostiqué il y a trois ans par oxymétrie nocturne et pour laquelle il est en attente de titration d’un CPAP (Continuous Positive Airway Pressure[2]).

[19]        Le 18 mars 2003, le docteur Boulet rédige un certificat médical confirmant une visite médicale et demandant que le travailleur ne soit pas exposé à des irritants respiratoires (produits chimiques) en raison de son asthme.

[20]        Il précise qu’à la fin de l’année 2000, le travailleur aurait été affecté à un nouveau département l’exposant à plusieurs substances. Il note qu’il a ensuite été relocalisé quelques mois plus tard dans un endroit physique beaucoup plus éloigné de la source de ces produits. Le travailleur lui rapporte le début d’une toux sèche en janvier 2001 et qu’un diagnostic de sinusite bilatérale a alors été posé pour lequel un traitement d’antibiotiques a été donné.

[21]        Vu la persistance de la toux, des radiographies pulmonaires ont été effectuées. Des diagnostics de pneumonie ont alors été posés à plusieurs reprises avec traitement antibiotique. Malgré ces traitements, la toux persistait toujours.

[22]        Pour ce qui est du problème de toux chronique, le docteur Boulet conclut à un asthme léger et avec les tests effectués, il ne peut retenir le diagnostic de maladie pulmonaire obstructive chronique légère, mais plutôt le diagnostic d’asthme léger à modéré.

[23]        Le 1er avril 2003, le docteur Boulet revoit le travailleur. Il note qu’au point de vue du contrôle de l’asthme, le travailleur semble très bien ces temps-ci, mais mentionne qu’il n’est pas retourné dans son milieu de travail au contact avec les multiples irritants auxquels il était parfois exposé. Ceci explique peut-être la très bonne stabilité de son asthme du fait que ses débits de pointe sont bien stables aux alentours du 500 litres/minute.

[24]        Le docteur Boulet est d’avis que le travailleur s’est amélioré suite à la prise de la médication et probablement du fait qu’il évitait les substances irritantes à son travail. Il croit qu’il peut s’agir d’une condition asthmatique personnelle pour laquelle il réagit simplement de façon importante aux irritants environnants.

[25]        Le travailleur lui mentionne qu’il n’est pas très chaud à l’idée d’être évalué à la CSST étant donné qu’il ne lui reste que quelques années à faire à son travail avant sa retraite. Dans ces circonstances, le docteur Boulet croit qu’il est préférable que le travailleur ne soit plus exposé aux substances auxquelles il l’était dans le passé afin que sa condition reste stable et même possiblement qu’il continue à s’améliorer.

[26]        Le 16 novembre 2003, le docteur Sériès note que le travailleur a commencé à utiliser le CPAP et qu’il remarque un sommeil beaucoup plus réparateur en lien avec son problème d’apnée du sommeil.

[27]        Le 1er novembre 2005, le docteur Boulet écrit qu’au point de vue respiratoire, le travailleur n’a aucun symptôme particulier et son asthme est très peu symptomatique ces temps - ci. Il n’a pas de crise d’asthme récente ni d’infection respiratoire « très peu de choses en fait ».

[28]        Au niveau de l’examen physique, le docteur Boulet note la présence de polypes nasaux très importants, obstructifs surtout à droite. Les poumons sont clairs et il n’y a pas d’adénopathie cervicale. Il conclut qu’il s’agit d’un patient qui a eu un diagnostic d’asthme très léger dans le passé et qui ne semble pas présenter de problème pulmonaire autre présentement. Les polypes nasaux qui sont extrêmement importants et obstructifs, semblent l’incommoder énormément cependant.

[29]        Aussi, même s’il n’y avait pas d’évidence de maladie professionnelle lors de sa visite, le travailleur s’interroge sur la possibilité de faire un test pour détecter une sensibilisation au béryllium. Le docteur Boulet prescrit donc ce test et s’il y avait sensibilisation, il mentionne qu’il serait intéressant de référer le travailleur à la CSST.

[30]        Le 6 décembre 2005, le docteur Boulet communique avec le travailleur pour l’aviser que les tests de prolifération lymphocytaire pour les contacts avec le béryllium se sont avérés normaux et ne suggèrent pas de problème associé à une exposition à ce métal.

[31]        Le 19 février 2006, le docteur Boulet note que depuis la dernière rencontre avec le travailleur, son état semble quand même stable. Après examen et questionnaire, il conclut que le travailleur présente une rhinite polypoïde importante avec un asthme qui semble relativement léger et assez stable ces temps-ci malgré la forte exposition aux irritants. Il ne peut éliminer une discrète composante de maladie pulmonaire obstructive chronique tabagique, mais le travailleur est quand même en mesure de normaliser ses débits. Le docteur Boulet pense donc que l’essentiel du problème est plutôt d’origine asthmatique et qu’il n’y a pas de composante occupationnelle évidente ni d’évidence de sensibilisation au béryllium.

[32]        Le 17 mai 2006, le docteur Deveault rédige une attestation médicale pour confirmer que son patient présente un problème d’anosmie lié à des polypes nasaux et à l’utilisation des stéroïdes nasaux chroniques.

[33]        Il ajoute que considérant ce phénomène et le développement d’asthme si le travailleur est exposé à des vapeurs chimiques, on ne devrait pas le soumettre à être de garde seul pour s’occuper des urgences.                       

[34]        Le 18 mai 2006, madame Denise Girard du service santé chez l’employeur écrit au travailleur pour lui rappeler qu’elle lui a demandé de consulter son médecin traitant afin de réévaluer ses restrictions médicales. Puisqu’elle n’a rien reçu à cette date, elle demande au travailleur de prendre rendez-vous avec son médecin afin de compléter son dossier médical. Le certificat médical qui sera obtenu devra clarifier si la condition physique du travailleur nécessite toujours des limitations fonctionnelles. Elle demande que le médecin se prononce sur la nature des limitations et si elles sont temporaires ou permanentes.

[35]        Le 2 juin 2006, un formulaire du service médical provenant de chez l’employeur est complété par un médecin dont la signature est illisible. Il est coché que l’état de santé du travailleur est compatible avec les exigences du poste, mais présente des anomalies ou limitations permanentes et que le travailleur ne devrait pas être exposé aux irritants respiratoires, tels gaz, vapeurs ou fumées. 

[36]        Il est écrit que le travailleur est inapte à porter le  ARA[3] et qu’il ne peut travailler dans des secteurs où il existe une exposition possible aux irritants respiratoires (illisible). Il note la présence d’anosmie  et d’un asthme.

[37]        Le 29 mars 2007, le docteur Jean-Luc Malo, pneumologue, examine le travailleur. Il note que le travailleur est suivi dans le cadre d’un projet de recherche depuis 1990 et que les premières évaluations qui avaient été faites « montraient une fonction respiratoire et l’absence d’hyperexcitabilité bronchique significative ».

[38]        Il retient que le travailleur souffre d’un problème d’anosmie et a été évalué en oto-rhino-laryngologie pour des polypes nasaux qui ont été opérés vers 2003.

[39]        Le docteur Malo ajoute que le travailleur a passé une évaluation de spirométrie en décembre 2006 et des valeurs beaucoup plus basses ont été notées à ce moment, d’où la nécessité de revoir le travailleur. Les résultats de la nouvelle spirométrie sont plus satisfaisants, mais les valeurs notées sont tout de même plus basses qu’en 1990 et 1992.

[40]        Le docteur Malo est d’avis que l’asthme du travailleur est sous traité et suggère des modifications à sa médication.

[41]        En 2007, l’usine où travaille le travailleur ferme. Selon l’annexe à la réclamation du travailleur, le dernier jour travaillé est le 13 avril 2007.

[42]        Le 9 décembre 2009, le travailleur complète un formulaire de Réclamation du travailleur qu’il transmet à la CSST. Il mentionne avoir effectué un travail sur des pompes en métal et avoir été exposé à la fumée et il est question d’une exposition possible au béryllium et au chlore. Il situe la date de l’événement d’origine au 3 mars 2003.

[43]        Le travailleur écrit qu’avant de travailler chez l’employeur il n’avait aucun symptôme et qu’à partir de 2001 ses problèmes ont débuté.

[44]        Le 18 janvier 2010, le travailleur remplit un questionnaire à la demande de la CSST. Le travailleur note qu’il présente des essoufflements, des silements, de la toux et de l’obstruction nasale depuis 2000 et que ses symptômes n’apparaissent pas uniquement lors des jours de travail. Il répond que ses symptômes s’améliorent parfois lorsqu’il quitte le travail, mais peuvent persister en soirée ou durant la nuit, mais ne s’améliorent pas de façon importante la fin de semaine ou lors de vacances.

[45]        À la note évolutive de la CSST du 8 juillet 2010, l’agente note que de 1988 à 1998, le travailleur était à la planification dans les bureaux et qu’il n’était pas exposé aux produits chimiques contrairement à la situation en vigueur à partir de 1998 jusqu’à 2007.

[46]        Le travailleur répond qu’il a quitté son travail chez l’employeur depuis 2 ½ ans et il nie avoir quitté le travail en raison de problèmes respiratoires.

[47]        Le dossier du travailleur est ensuite acheminé par la CSST au Comité des maladies pulmonaires professionnelles (le Comité) qui se réunit le 22 janvier 2010.

[48]        Les docteurs Jean-Guy Parent, Serge Boucher et Marc Desmeules, pneumologues, produisent un rapport. Ils retiennent que le travailleur est reconnu porteur d’une maladie respiratoire depuis environ 2000 et a fait l’objet d’une étude en 1990 avec fonction respiratoire normale. Il est aussi connu pour un asthme avec médication sous forme de pompes depuis environ 2002-2003. Le travailleur est aussi connu porteur d’une hypertension et il a déjà été testé négatif au béryllium.

[49]        Un syndrome d’apnée du sommeil sous CPAP est diagnostiqué depuis 2003 et il a subi une polypectomie nasale en 2005.

[50]        Les membres du Comité sont d’avis que l’asthme est bien contrôlé avec la médication et notent que les facteurs déclenchants sont l’arrêt de la médication par oubli, l’inhalation de fumée d’irritants non spécifiques, l’air froid et l’effort. Les symptômes sont principalement caractérisés par de l’oppression thoracique, de la dyspnée et des sibilances occasionnelles avec une toux importante et des expectorations légères.

[51]        Lors de l’évaluation, le travailleur se dit moins bien, car il a arrêté sa médication pour 48 heures. La présence de congestion nasale est très importante avec des éternuements occasionnels, de la rhinorrhée postérieure, de l’anosmie et des céphalées frontales.

[52]        Au chapitre des antécédents personnels, il est noté la présence de polypose nasale et sinusite.                

[53]        Les tests d’allergie ont montré des réactions positives au chat et au pollen de bouleau.

[54]        À l’examen physique, la gorge est normale. Il n’y a pas d’adénopathie cervicale susclaviculaire ni d’hippocratisme digital. Les membres du Comité notent un polype à la narine droite qui obstrue grandement la fosse nasale droite. Ceci cause une diminution de la ventilation nasale du côté droit. L’auscultation pulmonaire montre un murmure  vésiculaire qui est légèrement diminué et il n’y a aucun râle audible lors de l’examen.

[55]        Le Comité retient que le travailleur présente une histoire de problèmes respiratoires chroniques qui évoluent depuis plusieurs années et qui associent des manifestations de rhinite, polypose nasale, de sinusite et asthme. Le travailleur a aussi fait partie d’une étude de surveillance de problèmes respiratoires sous la responsabilité du docteur Jean-Luc Malo depuis 1990, mais les membres du Comité ignorent l’objet de cette surveillance.

[56]        Puisque l’usine est fermée et qu’il n’est pas possible de reproduire les conditions de travail à cet endroit et avant de formuler un avis définitif sur cette réclamation, le Comité demande d’obtenir toutes les données d’enquête industrielle disponibles en rapport avec les substances auxquelles les travailleurs étaient exposés chez l’employeur dans le processus de fabrication du magnésium. Ils notent d’ailleurs que lors de l’examen, le travailleur présente une sinusite importante et symptomatique.

[57]        Par la suite, le 26 mars 2010, les membres du Comité se réunissent à nouveau pour produire leur rapport complémentaire. Ce rapport finalise l’expertise du 22 janvier 2010.

[58]        Après avoir pris connaissance d’un rapport d’enquête industrielle préparé par monsieur Serge Bouffard et daté du 12 mars 2010, il ressort que le travailleur semble avoir été exposé à des irritants respiratoires non spécifiques. Les membres du Comité ne retrouvent pas d’éléments qui supportent l’hypothèse d’une substance sensibilisante de l’arbre respiratoire. L’asthme bronchique est reconnu depuis au moins l’an 2000.

[59]        Le Comité en arrive donc à la conclusion que le travailleur est porteur d’un asthme personnel et que cet asthme personnel est aggravé par des irritants non spécifiques à son travail. Il ne s’agit pas d’un asthme professionnel proprement dit et aucun déficit anatomophysiologique ne peut être justifié. Il est recommandé de porter une attention particulière à, soit muter le travailleur d’emploi ou lui fournir une protection respiratoire adéquate.

[60]        Le 22 avril 2010, le Comité Spécial des présidents (CSP) se réunit. Les docteurs Raymond Bégin, André Cartier et Neil Colman, pneumologues, signent un rapport après revu du dossier et des rapports du Comité.

[61]        Le CSP entérine les conclusions et recommandations du Comité à savoir qu’il considère que le travailleur est porteur d’un asthme personnel et que cet asthme a pu être aggravé occasionnellement de façon temporaire par des irritants non spécifiques dans son milieu de travail.

[62]        Le CSP ajoute qu’il ne s’agit donc pas d’un cas d’asthme professionnel et il n’y a pas de déficit anatomophysiologique applicable à cette réclamation. Il recommande cependant que le travailleur porte une protection respiratoire adéquate lors de ses contacts avec des irritants respiratoires en milieu de travail.

[63]        Le 4 mai 2010, la CSST rend une décision et retient que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle. La CSST se dit liée par les constatations médicales du CSP qui conclut qu’il s’agit d’un diagnostic d’asthme personnel.

[64]        Le travailleur demande la révision de cette décision qui sera maintenue à la suite d’une révision administrative et contestée à la Commission des lésions professionnelles.

[65]        Le 25 septembre 2010, le docteur Deveault complète un rapport médical sur le formulaire de la Régie des rentes du Québec. Il mentionne que le travailleur est actuellement dans un état stable et qu’il est apte à conduire un véhicule automobile et qu’il ne lui a pas recommandé de cesser de travailler.

[66]        Cependant, il écrit que le travailleur ne pourra reprendre son travail habituel puisqu’il avait déjà beaucoup de difficulté en 1997 (?) lorsque l’usine a fermé. Aussi, actuellement, au questionnaire, il reste (illisible) et de plus, sa condition respiratoire  s’est détériorée. Il précise que le travailleur conduit actuellement des autobus scolaires.

[67]        Le 24 août 2011, le docteur Deveault complète un rapport d’examen médical  pour la Société de l’assurance automobile du Québec.

[68]        Au niveau des troubles respiratoires, il note que le travailleur est porteur d’apnée du sommeil et d’un asthme (illisible). Il mentionne que le travailleur se situe à la classe fonctionnelle 1 qui se définit comme « présence ou absence de dyspnée. Si la dyspnée est présente, elle est attribuable à des causes non respiratoires ».

[69]        Le 9 mars 2012, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[4] et conclut que le travailleur a subi en mars 2003 une lésion professionnelle soit une aggravation temporaire de son asthme professionnel.

[70]        La soussignée reprend les passages suivants de cette décision :

[9]        En février 2003, le docteur Boucher, pneumologue, a diagnostiqué un asthme. Le travailleur a été assigné à des travaux légers au dépôt d’outils. Il a déclaré que sa condition s’était beaucoup améliorée par la suite.

 

[…]

 

[29]      Le travailleur, avant d’être affecté à l’atelier central vers le milieu de l’année 2000, n’avait aucun symptôme d’asthme. Ses symptômes sont apparus alors qu’il travaillait à l’atelier central. Sa condition asthmatique s’est améliorée lorsqu’il a été affecté à des travaux légers au début de l’année 2003.

 

[30]      Il est reconnu que le travailleur a été exposé à des irritants non spécifiques dans son milieu de travail.

 

[31]      La preuve médicale prépondérante démontre que le travailleur n’est pas atteint d’un asthme professionnel.

 

[32]      Il reste à déterminer si l’asthme aggravé par des irritants non spécifiques dans le milieu de travail constitue une lésion professionnelle au sens de la loi. Il doit être ici précisé qu’on ne doit pas confondre un asthme personnel aggravé par des irritants non spécifiques dans le milieu de travail à un asthme professionnel au sens de la loi.

 

[33]      La jurisprudence reconnaît que l’aggravation d’une condition personnelle préexistante causée par les risques particuliers du travail constitue une maladie professionnelle.

 

[34]      La Commission des lésions professionnelles estime que la preuve prépondérante démontre que l’exposition aux irritants non spécifiques dans le milieu de travail a aggravé la condition personnelle d’asthme du travailleur. Il s’agit d’une aggravation causée par des risques particuliers dans son milieu de travail, ce qui correspond à une maladie professionnelle.

 

[35]      Cependant, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il ne s’agit pas d’une aggravation permanente.

 

[36]      Le fait que le travailleur prenne toujours une médication ne démontre pas médicalement qu’il a subi une aggravation permanente de son asthme. À partir du moment où l’asthme a été diagnostiqué, la médication est reliée à cette maladie qui persiste.

 

[37]      Le Comité spécial a émis l’opinion que le travailleur a subi une aggravation temporaire de son asthme professionnel. Il n’y a pas de preuve médicale qui démontre le contraire.

(Note omise)

 

 

[71]        Le 22 mars 2012, la CSST reçoit une copie de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 9 mars 2012. Elle communique avec le travailleur qui mentionne vouloir être reconnu incapable d’exercer son emploi vu son asthme. L’agente au dossier l’informe que c’est seulement une aggravation temporaire qui a été reconnue.

[72]        Le travailleur désire que la CSST communique avec son avocat, car suite à la fermeture de l’usine, il n’a pas retravaillé dans son domaine et ne peut le faire vu sa maladie.

[73]        Le 27 mars 2012, la CSST communique avec le représentant du travailleur et explique à celui-ci de quelle manière sera traitée la décision de la Commission des lésions professionnelles.

[74]        Le 29 mars 2012, l’agente de la CSST retourne un appel au travailleur. Le travailleur lui mentionne que ses problèmes ont débuté en 2003, « à la job des pompes ». La CSST l’informe que selon la décision de la Commission des lésions professionnelles, il s’agit d’une aggravation temporaire de son asthme personnel. Le travailleur mentionne qu’il discutera avec son avocat s’il doit aller en révision pour cause.

[75]        Un appel est placé à l’avocat du travailleur qui répond que la condition du travailleur n’est pas terminée et que la CSST ne possède aucun rapport médical à ce propos.

[76]        Le 5 avril 2012, le représentant du travailleur écrit à la CSST. Il soutient que bien que la lésion a été qualifiée de non permanente par la Commission des lésions professionnelles, encore faut-il pouvoir donner une date de fin à cette exacerbation ou incapacité, et ce, d’un point de vue médical.

[77]        Il soumet qu’il est nécessaire d’obtenir un rapport final du médecin traitant ou une expertise en vertu de l’article 204 de la loi et que faire autrement cause un préjudice énorme à son client.

[78]        Il mentionne que le travailleur n’a pas fait toutes ces démarches de contestation et cet investissement pour se voir offrir uniquement un remboursement d’une pompe contre l’asthme pour à peine un an alors qu’il n’a pas été en mesure de retourner travailler dans une autre usine étant donné les recommandations des divers médecins d’éviter tout contact avec des substances toxiques.

[79]        Le travailleur doit donc se contenter de travailler comme chauffeur d’autobus à un salaire beaucoup moindre que ce qu’il gagnait à l’époque.

[80]        Il ajoute que ni la Commission des lésions professionnelles dans sa décision ni le Comité des maladies pulmonaires professionnelles ou le Comité Spécial des présidents ne précisent de date de fin de la symptomatologie conséquente à cette lésion. Elle ne peut être présumée d’autant plus que la plupart des tests ont été effectués de 2006 à 2010 ce qui milite en faveur d’une symptomatologie persistante.

[81]        Il ajoute que ce n’est pas parce qu’une exacerbation d’une condition personnelle est temporaire qu’elle n’engendre pas de séquelles permanentes.

[82]        Il demande à la CSST d’intervenir et de faire évaluer les séquelles du travailleur en plus de reconnaître le droit du travailleur à des prestations pendant tout le suivi clinique de sa condition.

[83]        Le 12 avril 2012, la chef d’équipe à la CSST note au dossier qu’elle a demandé des précisions à ses services juridiques et qu’elle maintient sa position à l’effet que le travailleur a subi uniquement une aggravation temporaire d’une condition personnelle. Un message est laissé au représentant du travailleur de demander des précisions directement à la Commission des lésions professionnelles ou d’aller en révision pour cause, car aucune autre décision ne sera émise.

[84]        Le 20 avril 2012, le représentant du travailleur écrit directement à la juge administratif qui a rendu la décision du 9 mars 2012. Il soutient que le libellé de sa décision nuit à une application adéquate de celle-ci auprès de la CSST. Une trop grande portée a été attribuée par la CSST malgré que la contestation du travailleur se limitait uniquement à trancher l’admissibilité de la lésion et non de ce qui en a découlé par la suite.

[85]        Il soutient que la problématique est au paragraphe 35 de la décision et que la CSST refuse d’octroyer quoi que ce soit au travailleur sous prétexte c’est ce qui est écrit dans la décision.

[86]        Il considère que les débats sur la question des limitations fonctionnelles, la consolidation, la suffisance des soins, la capacité et la réadaptation doivent être faits en conformité avec l’esprit de la loi et en temps voulu.

[87]        Il sollicite donc la collaboration de la Commission des lésions professionnelles pour rectifier l’ambiguïté qu’il relève et confirmer que la décision ne peut que porter sur l’admissibilité de la lésion, sans plus. Il joint en annexe la lettre qu’il a transmise à la CSST le 5 avril 2012.

[88]        Le 9 mai 2012, la vice-présidente de la qualité et de la cohérence à la Commission des lésions professionnelles répond au représentant du travailleur. Elle mentionne qu’elle ne peut donner suite à sa demande puisque la juge administratif qui a rendu la décision est dessaisie du dossier.

[89]        De plus, les demandes formulées ne visent pas des erreurs d’écriture ou des erreurs matérielles permettant une rectification en vertu de l’article 429.55 de la loi.

[90]        Le 17 août 2012, le représentant du travailleur écrit au directeur régional de la CSST. Il souligne la problématique et demande à la CSST d’y répondre dans un délai de 30 jours, sinon il entreprendra des procédures ou recours judiciaires appropriés.

[91]        Le 5 septembre 2012, la CSST rend une décision qui se lit comme suit :

Monsieur Quessy,

 

Suivant la décision de la commission des lésions professionnelles (CLP) du 9 mars 2012, votre réclamation du 3 mars 2003 a été acceptée comme une aggravation temporaire d’un asthme personnel.

 

Conformément aux dispositions de l’article 233 de la Loi sur les accidents et les maladies professionnelles, la CSST, liée par les constatations médicales du comité spécial, conclut que:

 

Le diagnostic est celui d’aggravation temporaire d’un asthme personnel par des irritants non spécifiques.

 

Il ne subsiste de votre lésion professionnelle aucune atteinte permanente à votre intégrité physique.

 

Vous avez donc la capacité de refaire votre emploi prélésionnel avec le port d’une protection respiratoire adéquate puisque la recommandation du comité spécial des présidents et de ne plus être exposé aux Irritants respiratoires non spécifiques sans protection respiratoire adéquate.

 

Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de cette décision par écrit dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre. Un formulaire Demande de révision est disponible au www.csst.qc.ca.

 

Veuillez accepter, Monsieur, nos salutations distinguées.   (sic)  

 

 

[92]        Le 20 septembre 2012, le travailleur, par l’entremise de son représentant, demande la révision de cette décision qui sera maintenue à la suite d’une révision administrative le 12 octobre 2012 et contestée à la Commission des lésions professionnelles. Il s’agit du litige dont le tribunal est saisi.

[93]        Le 4 mars 2013, le docteur Boulet revoit le travailleur. Il explique qu’il avait déjà évalué ce travailleur en 2006 pour ce qu’il avait conclu être un asthme bronchique, lequel à ce moment était relativement léger avec une rhinite polypoïde. Il avait suspecté également une sensibilisation au béryllium dans le contexte de son travail, mais les tests s’étaient révélés négatifs et ne démontraient pas de sensibilisation à ce minerai.

[94]        D’après ses notes de 2006, au travail, le travailleur n’avait très peu ou pas de symptômes. Il avait également eu un diagnostic de syndrome d’apnée-hypopnée du sommeil pour lequel on lui avait prescrit un CPAP. Il ajoute que le travailleur est également connu pour une hypertension artérielle.

[95]        Le docteur Boulet avait conclu en 2006 qu’il s’agissait d’un patient avec rhinite polypoïde importante symptomatique avec un asthme qui semblait relativement léger, assez stable lorsqu’il l’avait vu. Malgré une forte exposition aux irritants, il ne pouvait éliminer une discrète composante de maladie pulmonaire obstructive chronique, ce patient ayant fumé un total d’environ 30 paquets par année.

[96]        Il croyait que l’essentiel était cependant d’origine asthmatique et qu’il n’y avait pas d’évidence de composante occupationnelle ou de sensibilisation au béryllium.

[97]        Le travailleur lui rapporte qu’actuellement il a cessé de travailler depuis 2007 et qu’il se serait amélioré depuis son arrêt de travail quoique le docteur Boulet note quand même la présence d’une dyspnée facile, de grade d’environ 3 à 4/5 avec toux et expectoration matinale. Il prend peu de Ventolin cependant. Les tests de fonction pulmonaire sont à 26 % de la valeur prédite alors qu’ils étaient à 69 % en 2010.

[98]        Comme autre élément au dossier, le docteur Boulet mentionne qu’il ne semble pas y avoir d’exposition environnementale ces temps-ci et le travailleur n’a ni chat à la maison ni source d’irritants.

[99]        Le docteur Boulet est d’avis que l’asthme bronchique est difficile à évaluer, mais est très mal contrôlé. Il décide de lui donner un traitement de prednisone pour au moins 10 jours avec un contrôle par la suite. Il est bien possible que la toux qu’il présente soit un autre signe d’asthme mal contrôlé.  

[100]     Le docteur Boulet mentionne que le travailleur est sous investigation depuis une dizaine d’années pour une possibilité de maladie professionnelle, mais jusqu’à maintenant, à sa connaissance et selon les documents qu’il a en main, il n’y a pas d’évidence de facteurs causals associés au travail, mais plutôt une exacerbation d’un problème personnel.

[101]     Le 24 juillet 2013, le docteur Boulet revoit le travailleur. Il rappelle qu’à la dernière évaluation, le VENS était mesuré à 26 % de la valeur prédite. Le traitement de prednisone a permis une nette amélioration de la symptomatologie. Les tests de fonction respiratoire effectués le même jour sont à 65 %, s’agissant de la meilleure valeur documentée dans les trois dernières années chez le travailleur.

[102]     Le 30 septembre 2013, le docteur Boulet revoit à nouveau le travailleur et note que l’asthme semble très bien contrôlé. Les tests de fonction pulmonaire sont à 70 % de la valeur prédite avec un peu de modification post-bronchodilatateure. Il conclut que le travailleur présente actuellement un asthme relativement sévère avec rhinite polypoïde associée, mais le tout étant très bien contrôlé pour l’instant.                            

[103]     Pour ce qui est des restrictions du travail, il croit que le travailleur pourrait faire un travail allégé, mais ne devrait pas être exposé à des irritants respiratoires autant que possible ou à des changements de température importants ou effort physique plus que léger.

[104]     Il mentionne qu’il est important d’éviter les allergènes auxquels il est sensible, dont particulièrement les animaux. Le travailleur devra continuer d’utiliser son appareil CPAP et une oxymétrie nocturne pourra être effectuée prochainement pour vérifier si l’ajustement de cet appareil est adéquat.

[105]     Le 28 octobre 2013, le docteur Deveault remplit un rapport médical final CSST. Il écrit qu’il s’agit d’un asthme exacerbé par les irritants non spécifiques et qui est bien contrôlé avec la médication régulière.

[106]     Le docteur Deveault se dit d’accord avec les conclusions du docteur Louis-Philippe Boulet, pneumologue, sur la conduite qu’il recommande dans sa note du 30 septembre 2013.

[107]     Le travailleur témoigne à l’audience, il explique que depuis la fermeture de l’usine, il conduit des autobus scolaires et retire de ce gagne-pain environ 14 000 $ par année.

[108]     De plus, depuis 2010, il a anticipé sa pension de la Régie des rentes du Québec et reçoit une rente provenant de son fonds de pension cumulé chez l’employeur.

[109]     Le travailleur explique que lorsqu’il travaillait chez l’employeur, il vivait décemment et que l’objectif des présentes procédures est de recouvrer son droit aux indemnités.

[110]     Sa condition a varié grandement à partir du début des années 2000 et ce n’est que dernièrement, une fois sa médication ajustée, qu’il a vu une amélioration significative.

[111]     Il explique qu’il n’est pas en contact avec les allergènes soit les chats ou les bouleaux. Il ne fume plus la cigarette depuis au moins 20 ans.      

[112]     Avant de travailler à l’atelier central en 2000, il n’avait aucun symptôme d’asthme.

[113]     À partir de 2003-2004, il est affecté à des « travaux légers » au dépôt d’outils (magasinier) dans un local situé dans l’un des coins de l’atelier. Il s’agit d’un local fermé.

[114]     De 2003 à 2007, jusqu’à la fermeture des installations de l’employeur, le travailleur dit que sa condition s’est même aggravée, qu’il a fait trois ou quatre pneumonies et deux ou trois bronchites ayant même de la difficulté à respirer par les voies nasales. Le travailleur associe celle-ci au mauvais ajustement de sa médication.

[115]     Aussi, en 2009 il doit vivre une séparation. Cette situation, combinée à ses problèmes de santé, lui occasionne beaucoup de tracas et de difficulté. C’est ce qui explique qu’il n’est pas procédé à une réclamation à la CSST avant.

LES REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[116]     Tout d’abord, le représentant du travailleur plaide que par le libellé de ses conclusions, en déterminant qu’il s’agit d’une exacerbation temporaire d’un asthme personnel, la Commission des lésions professionnelles a outrepassé sa juridiction dans la décision du 9 mars 2012.

[117]     Ensuite, il soutient que la décision de capacité de la CSST est prématurée et que jusqu’à ce qu’une consolidation de l’état du travailleur soit confirmée par un rapport final et que l’évaluation des séquelles soit complétée, le travailleur a droit aux indemnités de remplacement du revenu. Il demande de retourner le dossier à la CSST pour que le traitement approprié soit entrepris.

[118]     Le représentant du travailleur soutient que la condition de celui-ci n’est pas consolidée avant octobre 2013, car auparavant, les résultats des examens fluctuent beaucoup jusqu’à l’ajustement de sa médication. Ce n’est pas au travailleur qu’il faut tenir rigueur d’un si long délai.

[119]     Il soutient que la présomption d’incapacité ne peut être renversée sans la preuve d’une consolidation au dossier. La CSST a erré en prenant pour acquis que la condition du travailleur était consolidée pour ensuite déterminer sa capacité.

[120]     Il ajoute que la CSST se cache derrière l’avis du Comité Spécial des présidents qui n’avait pas à déterminer la capacité du travailleur. Le travailleur avait droit, conformément à la loi, à un réel processus de réadaptation.

[121]     Aussi, même le médecin de l’usine chez l’employeur a conclu que le travailleur était inapte à porter le ARA. Il ne pouvait donc pas être déclaré capable d’exercer un emploi sans une étude approfondie de l’environnement de travail.

[122]     Le représentant du travailleur soutient que la fermeture de l’usine en 2007 ne dispense pas la CSST de procéder à l’analyse de la capacité du travailleur par la suite.

[123]     Le représentant du travailleur soutient que celui-ci est inapte à refaire son travail et que si la CSST est liée par les conclusions du Comité Spécial des présidents, la limitation fonctionnelle exigeant que le travailleur doive porter un masque doit être retenue et son inaptitude à l’utiliser doit être considérée.

[124]     Le représentant du travailleur précise que tous les intervenants au dossier sont du même avis à l’effet que le travailleur ne peut retourner dans son métier.

[125]     Enfin, il considère que les travaux légers que le travailleur a effectués entre 2004 et 2007 ne peuvent servir d’emploi convenable puisque la CSST n’a pas analysé ce poste afin de déterminer s’il répond aux limitations fonctionnelles. Il demande de retourner à la CSST pour que le processus soit repris.

[126]     Subsidiairement, il prétend que si la capacité du travailleur peut être établie, elle ne peut être antérieure à l’évaluation effectuée et aux conclusions émises par le Comité Spécial des présidents.

[127]     Si la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que le travailleur n’est pas porteur de limitations fonctionnelles ou alors que la capacité du travailleur est reconnue malgré la présence de limitations fonctionnelles, il demande d’appliquer les articles 48 et 49 de la loi et de déclarer que le travailleur a droit au versement des indemnités de remplacement du revenu pendant un an à compter de la date où sa capacité est établie.

[128]     Pour sa part, la représentante de la CSST soutient que la procédure applicable au cas en l’espèce est celle prévue aux articles 226 et suivants de la loi puisque le travailleur a produit une réclamation alléguant qu’il était atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[129]     Aussi, conformément aux articles 230, 231 et 233 de la loi, la CSST est liée par les constatations du Comité Spécial des présidents.

[130]     La représentante de la CSST demande de distinguer l’asthme personnel du travailleur, de l’aggravation temporaire qu’il a subie et des autres problèmes de santé, notamment les polypes et autres pathologies respiratoires dont il souffre.

[131]     Elle soutient que la preuve prépondérante démontre que la condition du travailleur n’est pas admissible à la reconnaissance d’un déficit anatomophysiologique. Tous les membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité Spécial des présidents sont de cet avis.

[132]     La représentante de la CSST met en perspective les longs délais attribuables à l’inaction du travailleur, alors que celui-ci a produit une réclamation à la CSST uniquement en 2009, soit six ans après la fin de l’exposition aux irritants allégués et malgré qu’il ne soit plus chez cet employeur depuis 2007.

[133]     Aussi, elle remet en question la valeur probante du rapport final du docteur Deveault le 28 octobre 2013, soit quelques semaines avant l’audience.

[134]     La représentante de la CSST soutient que les résultats des différents examens pulmonaires, notamment ceux de 2013 ne sont pas nécessairement en lien avec la lésion professionnelle. Il faut se souvenir qu’à la base, le travailleur est porteur d’un asthme personnel. Aussi, il n’est plus en milieu de travail depuis la fermeture de l’usine en 2007.

[135]     Elle demande d’évaluer avec prudence la preuve présentée par le travailleur qui mentionne avoir été placé en travaux légers chez l’employeur à partir de 2003 en raison de l’exacerbation de son asthme personnel. Le travailleur était affligé de d’autres pathologies et au dossier, rien n’indique que le travailleur a été relocalisé au magasin à outils uniquement à cause de l’exacerbation de son asthme.

[136]     La représentante de la CSST est d’avis que la présomption d’incapacité a été renversée et que la preuve prépondérante ne démontre pas que la lésion professionnelle l’empêchait de travailler. Il appartenait au travailleur de faire cette démonstration de manière prépondérante.

[137]     Aussi, il n’a pas été établi en raison de quoi le travailleur ne pouvait pas porter le ARA pour continuer à travailler à l’atelier central. Cela pouvait être en raison de ces autres problèmes respiratoires comme l’apnée du sommeil, les polypes obstructifs ou  son asthme personnel.

[138]     Dans ce contexte, le travailleur n’a pas droit aux indemnités de remplacement du revenu.    

L’AVIS DES MEMBRES

[139]     Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis motivé des membres ayant siégé avec elle en audience.

[140]     La membre issue des associations d’employeurs de même que le membre issu des associations syndicales partagent le même avis.

[141]     Ils considèrent que la requête du travailleur doit être rejetée.

[142]     La preuve prépondérante démontre que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée dès le 1er avril 2003 et qu’il ne subsiste pas de déficit anatomophysiologique.

[143]     Aussi, en travaillant plus de 4 ans comme magasinier, le travailleur a démontré une capacité à exercer un emploi convenable disponible chez son employeur, malgré la présence d’une limitation fonctionnelle.

[144]     Il n’a donc pas droit aux indemnités de remplacement du revenu des suites de sa lésion professionnelle.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[145]     La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision de la CSST déclarant que le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel en portant une protection respiratoire adéquate en regard des irritants respiratoires non spécifiques présents en milieu de travail est justifiée.

[146]     La Commission des lésions professionnelles doit aussi déterminer si la lésion professionnelle du travailleur a entraîné un déficit anatomo-physiologique et si le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel.

[147]     Dans un premier temps, il importe pour la soussignée de recadrer les conclusions retenues le 9 mars 2012 par la Commission des lésions professionnelles.                   

[148]     Il ne s’agit pas ici de procéder en révision de cette décision, mais plutôt de bien situer l’impact de cette décision sur les conséquences et le suivi accordé par la CSST.

[149]     Dans un premier temps, les dispositions applicables dans le contexte de la présente affaire sont les suivantes :

226.  Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.

__________

1985, c. 6, a. 226.

 

[…]

 

 

229.  Dans les 10 jours de la demande de la Commission, un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2), malgré l'article 19 de cette loi, ou au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5), selon le cas, transmet au président du comité des maladies professionnelles pulmonaires que la Commission lui indique, les radiographies des poumons du travailleur que la Commission réfère à ce comité.

__________

1985, c. 6, a. 229; 1992, c. 21, a. 82; 1994, c. 23, a. 23; 2005, c. 32, a. 232.

 

 

230.  Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.

 

Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.

__________

1985, c. 6, a. 230.

 

 

231.  Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.

 

Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.

 

Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.

__________

1985, c. 6, a. 231.

 

[…]

 

233.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231.

__________

1985, c. 6, a. 233.

 

 

 

[150]     Lorsqu’un travailleur complète un formulaire de réclamation du travailleur et qu’il allègue être atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, son dossier est obligatoirement soumis aux dispositions particulières aux maladies professionnelles pulmonaires prévues aux articles 226 et suivants de la loi.

[151]     D’où les démarches de la CSST auprès du Comité des maladies professionnelles pulmonaires et ultimement au Comité Spécial des présidents.

[152]     Ainsi, aux fins de rendre sa décision d’admissibilité initiale le 20 juillet 2010, la CSST était liée par les constatations médicales du Comité Spécial des présidents, mais disposait d’un pouvoir décisionnel d’appréciation quant à la relation causale.

[153]     La réclamation du travailleur ayant fait l’objet d’un refus par la CSST et la révision administrative, la contestation du travailleur est ensuite entendue à la Commission des lésions professionnelles lors d’une audience tenue le 11 août 2011.

[154]     Le travailleur est alors présent et représenté par Me Boulet, tout comme à l’audience intervenue le 4 décembre 2013 dans la présente affaire.

[155]     Ainsi, selon l’article 233 de la loi, la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le Comité Spécial des présidents, conformément au 3e alinéa de l’article 231 de la loi.

[156]     L’article 231, 3e alinéa prévoit que le Comité Spécial peut infirmer ou confirmer le diagnostic et les autres constatations du Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

[157]     C’est dans ce contexte que la juge administratif est appelée à rendre une décision le 9 mars 2012.

[158]     À la lecture de cette décision, il ne semble pas que le représentant du travailleur se soit opposé au diagnostic retenu par le Comité Spécial des présidents en lien avec la maladie professionnelle pulmonaire alléguée.             

[159]     Après appréciation de la preuve, la Commission des lésions professionnelles retient l’avis du CSP à l’effet que le travailleur a subi une aggravation temporaire de son asthme professionnel.

[160]     Malgré son insatisfaction face à cette décision, le représentant du travailleur ne demande pas la révision ou la révocation de celle-ci qui est devenue maintenant finale et irrévocable.

[161]     La soussignée tient à préciser que le diagnostic ayant conduit à l’admissibilité d’une lésion professionnelle, est bien établi dans la décision rendue le 9 mars 2012. Il s’agit de celui énoncé par le CSP, soit un asthme personnel qui a pu être aggravé occasionnellement, de façon temporaire, par des irritants non spécifiques dans le milieu de travail.  Selon le CSP, il ne s’agit donc pas d’un asthme professionnel.

[162]     À partir de cette constatation, la soussignée souligne qu’il ne serait être possible ici pour le tribunal de remettre en question le libellé du diagnostic de la lésion professionnelle retenu dans la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 9 mars 2012.

[163]     Ainsi, la condition personnelle du travailleur a été aggravée par des irritants non spécifiques dans son milieu de travail.

[164]     Maintenant, le représentant du travailleur prétend que la condition du travailleur ne s’est pas stabilisée avant l’automne 2013, soit quelques semaines avant l’audience du 4 décembre 2013 et que par conséquent, la décision initiale de la CSST du 5 septembre 2012 est prématurée puisque la lésion professionnelle du travailleur n’est pas consolidée à cette époque.

[165]     Il soutient que la CSST devait faire évaluer la condition du travailleur selon l’article 204 de la loi afin de déterminer la date de consolidation et les séquelles de la lésion professionnelle avant de se prononcer sur la capacité du travailleur.

[166]     Le tribunal n’est pas de cet avis.

[167]     Lorsqu’un travailleur présente une réclamation à la CSST alléguant qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, le dossier du travailleur devient soumis aux dispositions particulières prévues aux articles 226 et suivants de la loi.

[168]     Le législateur a prévu ces dispositions particulières dictant la conduite de la CSST qui devient alors liée par le diagnostic et les autres constatations du CSP aux fins de rendre ses décisions.

[169]     Il ne faut pas confondre cette procédure avec celle prévue aux articles 199 et suivants de la loi, soit la procédure d’évaluation médicale habituelle. Une réclamation d’un travailleur alléguant qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire répond à un processus particulier et distinct qu’a voulu le législateur.

[170]     Par la suite, si un travailleur est en désaccord avec une décision rendue par la CSST à la suite d’un avis du CSP, il peut recourir au processus de contestation habituel prévu aux articles 358 et suivants de la loi.

[171]     Le rapport du CSP auquel est liée la CSST prévoit notamment :

À la suite de cet examen, le Comité spécial des présidents entérine les conclusions et recommandations du Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Québec à savoir qu’il considère que le réclamant est porteur d’un asthme personnel et que cet asthme a pu être aggravé occasionnellement de façon temporaire par des irritants non spécifiques dans son milieu de travail. Il ne s’agit donc pas d’un cas d’asthme professionnel. Il n’y a pas de déficit anatomo-physiologique applicable à cette réclamation. Le réclamant devrait cependant porter une protection respiratoire adéquate lors de ses contacts avec les irritants respiratoires en milieu de travail.

 

 

[172]     Dans un premier temps, le tribunal doit décider si la lésion professionnelle du travailleur est consolidée.

[173]     Le représentant du travailleur prétend que tel n’est pas le cas au moment où la CSST rend sa décision le 5 septembre 2012 puisque le rapport final du docteur Deveault retient une date de consolidation au 28 octobre 2013 et que le CSP ne se prononce pas spécifiquement sur la question.

[174]     Il soutient par conséquent, que la décision de la CSST est prématurée.

[175]     Dans son avis, le CSP retient qu’il s’agit d’une aggravation occasionnelle et temporaire d’un asthme personnel.

[176]     De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cela signifie que l’aggravation de l’asthme personnel est résolue puisque sinon, le CSP n’aurait  pas conclu en ces termes.

[177]     Ainsi, liée par le Comité Spécial des présidents, la CSST pouvait considérer que la lésion professionnelle du travailleur était consolidée et rendre une décision en conséquence.

[178]     Si les termes utilisés par la CSST dans sa décision initiale du 5 septembre 2012 ne sont pas assez précis, la Commission des lésions professionnelles procède à rendre la décision qui aurait dû être rendue, conformément à l’article 377 de la loi :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

[179]     La Commission des lésions professionnelles adhère aux prétentions de la représentante de la CSST à l’effet que les termes « aggravés occasionnellement de façon temporaire » signifient que la condition du travailleur est revenue à la normale à la suite de son exacerbation.

[180]     Le tribunal ne peut acquiescer aux arguments du représentant du travailleur lorsqu’il prétend que l’aggravation temporaire de l’asthme personnel a été consolidée uniquement le 28 octobre 2013, soit plus de 13 ans après sa manifestation. La preuve médicale ne supporte pas cette prétention.

[181]     Dès 2003, le travailleur est relocalisé au poste de magasinier par son employeur et contrairement à ce qu’il prétend, ses symptômes d’asthme s’améliorent et se stabilisent tel qu’il appert notamment des rapports du docteur Boulet du 1er avril 2003 et du 1er novembre 2005.

[182]      Le travailleur expérimentera cependant des problèmes en lien avec les polypes nasaux, l’apnée du sommeil et plus tard, des épisodes variables en lien avec sa condition personnelle d’asthme. Ces différents problèmes se manifestent aussi en dehors du travail et après la fermeture de l’usine en 2007.

[183]     À plusieurs reprises tout au long des consultations médicales, il est souligné l’obstruction causée par les polypes nasaux et un suivi médical serré est effectué quant au problème d’apnée du sommeil. Le travailleur présente en plus des épisodes de bronchite et de pneumonie, pathologies distinctes de l’asthme.

[184]     Le tribunal souligne que même le docteur Boulet ne peut relier la condition du travailleur à des facteurs occupationnels tel qu’il en fait état dans son rapport détaillé du 4 mars 2013.

[185]     Ainsi, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que dès le 1er avril 2003, l’aggravation temporaire de l’asthme personnel du travailleur était résolue.

[186]     Maintenant, la Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur conserve un déficit anatomophysiologique de sa lésion professionnelle.

[187]     Le représentant du travailleur demande de retourner le dossier à la CSST pour que l’évaluation des séquelles soit faite puisque le docteur Deveault a renoncé à le faire tel qu’il appert du rapport final du 28 octobre 2013.

[188]     Le tribunal réitère que selon l’article 233 de la loi, aux fins de rendre une décision sur les droits d’un travailleur qui produit une réclamation alléguant qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations du CSP et c’est ce qui ressort de la décision initiale rendue le 5 septembre 2012.

[189]     La CSST confirme l’absence de déficit anatomophysiologique.

[190]     Si le travailleur était insatisfait des conclusions du Comité Spécial des présidents quant à l’absence de déficit anatomophysiologique, c’est par le biais de sa contestation et à l’audience du 4 décembre 2013 qu’il devait faire valoir ses prétentions. Le tribunal n’entend pas faire droit à la demande du travailleur qui désire que le dossier soit retourné à la CSST pour qu’une évaluation soit faite et qu’il soit décidé des séquelles.  La procédure d’évaluation médicale prévue aux articles 199 et suivants de la loi n’est de toute façon pas applicable dans le présent dossier.

[191]     Maintenant, après analyse de la preuve, le tribunal conclut que la seule mention sur le rapport final du docteur Deveault que le travailleur conserve une atteinte permanente ne suffit pas en soi à nier la valeur prépondérante de l’avis du CSP.

[192]     La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente des suites de l’aggravation temporaire de son asthme personnel et c’est ce qui ressort du suivi médical disponible au dossier, notamment lorsque le 1er novembre 2005, le docteur Boulet confirme que l’asthme du travailleur est asymptomatique.

[193]     Quant à la détermination des limitations fonctionnelles du travailleur, par le biais de son rapport, le CSP a déterminé que le travailleur est porteur d’une limitation fonctionnelle exigeant qu’il porte une protection respiratoire appropriée, et qu’il ne soit pas exposé aux irritants non spécifiques dans son milieu de travail.

[194]     Tel que déjà mentionné, si le travailleur était en désaccord avec cette conclusion, c’est au stade de la présente contestation qu’il devait faire valoir ses prétentions.

[195]     Le travailleur prétend en plus qu’il est inapte à utiliser le ARA, selon le rapport médical du docteur Deveault daté du 2 juin 2006.

[196]     Or, il n’est pas précisé les raisons qui justifient cette contrainte et il appert que cette restriction peut aussi avoir été rendue nécessaire vu les autres problèmes de santé du travailleur (apnée du sommeil, polypes, etc.) tel que le prétend la représentante de la CSST.

[197]     En effet, l’inscription au rapport du docteur Deveault du 2 juin 2006 ne trouve pas écho dans le reste de la preuve médicale.  Par conséquent, cette contrainte n’est pas retenue par le tribunal à titre de limitation fonctionnelle professionnelle.

[198]     Ensuite, le travailleur prétend que même comme magasinier, il devait continuer à circuler dans l’usine où il est exposé à des irritants et que son incapacité à porter le ARA (contrainte) empêche de considérer cet emploi comme étant convenable.

[199]     Or, le tribunal n’a pas la même lecture de la preuve documentaire.  À l’époque pertinente, le travailleur est relocalisé au poste de magasinier pour être isolé de l’atelier.

[200]     Le tribunal comprend que cela fait suite au rapport du docteur Boulet du 18 mars 2003 puisque dès le 1er avril 2003, le docteur Boulet confirme que le travailleur n’est pas revenu à son milieu de travail en contact avec des irritants et que cela explique la très bonne stabilité de son asthme.

[201]     Ainsi, le rapport du docteur Deveault du 2 juin 2006 est en réponse à la lettre de madame Denis Girard du 18 mai 2006 qui demande au travailleur de confirmer quelles sont ses restrictions médicales et si elles sont permanentes ou temporaires.

[202]     La Commission des lésions professionnelles comprend que l’employeur désirait valider si la relocalisation du travailleur au magasin devait être maintenue. Selon la preuve entendue, le travailleur est demeuré à ce poste jusqu’à la fermeture de l’usine en avril 2007 malgré le rapport du docteur Deveault du 2 juin 2006. Les faits soutiennent donc la conclusion à l’effet que le travailleur était capable d’exercer son emploi de magasinier.

[203]     En effet, contrairement à ce que prétend le représentant du travailleur, le dossier médical produit démontre qu’après sa relocalisation au magasin, la condition médicale du travailleur s’est grandement améliorée pour se stabiliser. Il appert donc que la contrainte n’a pas empêché le travailleur d’occuper un autre emploi disponible chez l’employeur.

[204]     De l’avis du tribunal, les différentes fluctuations de l’état de santé du travailleur qui ont suivi, ne peuvent être associées à son travail, alors même qu’en 2013 le docteur Boulet remet en question une possible relation causale entre les manifestations de l’asthme du travailleur et le travail.

[205]     Aussi, à plusieurs reprises, il est souligné l’importance des polypes nasaux et un suivi médical serré est effectué quant au problème d’apnée du sommeil. Le travailleur a présenté en plus des épisodes de bronchite et de pneumonie, pathologie distincte de l’asthme.

[206]     Enfin, le tribunal retient qu’aucun arrêt de travail n’a été rendu nécessaire tout au long du suivi médical. Le travailleur n’a pas allégué cet état de fait et nie même avoir quitté son travail en 2007 en raison de problèmes respiratoires lorsqu’il remplit un questionnaire à la demande de la CSST le 18 janvier 2010.

[207]     Ainsi, à partir de cette prémisse, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit aux indemnités de remplacement du revenu.

[208]     À l’article 44 de la loi, il est dit que le travailleur a droit aux indemnités de remplacement du revenu s’il devient incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion :

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

 

 

[209]     La preuve démontre qu’au moment où se manifeste sa lésion professionnelle, le travailleur est vite relocalisé comme magasinier en mars 2003. Aucun arrêt de travail n’est prescrit par son médecin en lien avec l’aggravation temporaire de son asthme personnel.

[210]     À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles ne peut qualifier l’emploi qu’occupe le travailleur à partir de mars 2003, et ce, jusqu’en 2007 de « travaux légers ».

[211]     En travaillant comme magasinier pendant près de 4 ans, le travailleur a démontré sa capacité à exercer un emploi convenable disponible chez l’employeur.

[212]     L’article 47 de la loi n’est pas applicable puisque le travailleur n’a alors pas besoin de réadaptation pour redevenir capable d’exercer un emploi convenable, puisqu’il a été relocalisé comme magasinier chez l’employeur, et ce, dès le mois de mars 2003, soit 4 ans avant la fermeture de l’usine :

47.  Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 47.

 

 

[213]     Enfin, de son propre aveu, le travailleur cesse de travailler en 2007 non pas pour des raisons de santé, mais parce que l’usine de l’employeur ferme.

[214]     Ainsi, la CSST pouvait valablement déterminer rétroactivement la capacité du travailleur en se fiant aux éléments contenus au dossier et l’article 47 de la loi n’est pas applicable puisque le travailleur a occupé un emploi convenable des suites de sa lésion professionnelle. La preuve prépondérante ne permet pas d’établir qu’il a eu besoin de réadaptation.

[215]     Quant à l’argument du représentant du travailleur qui soutient que l’article 49 de la loi est applicable, la fermeture de l’usine en 2007 ne peut faire renaître au travailleur un droit expiré depuis la relocalisation du travailleur dans un emploi convenable de magasinier disponible chez l’employeur dès mars 2003. Aucune perte salariale n’a été invoquée des suites de cette relocalisation du travailleur.

[216]     Puisque la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’aggravation temporaire de l’asthme personnel du travailleur était résolue le 1er avril 2003 et qu’il a maintenu, avant et à la suite de sa relocalisation au magasin, une capacité de  travail, le travailleur n’a pas droit aux indemnités de remplacement du revenu.

[217]     Dans ces circonstances, après avoir vu sa réclamation pour une lésion professionnelle reconnue par la Commission des lésions professionnelles le 9 mars 2012, le travailleur ne peut se prévaloir des articles 44 et suivants de la loi pour obtenir des indemnités de remplacement du revenu rétroactivement.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Marcel Quessy, le travailleur;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 octobre 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 1er avril 2003;

DÉCLARE que la lésion professionnelle du travailleur n’a entraîné aucun déficit anatomo-physiologique;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel;

DÉCLARE que le travailleur conserve la limitation fonctionnelle suivante :

-   Monsieur Quessy devra porter une protection respiratoire adéquate lors de ses contacts avec des irritants respiratoires en milieu de travail.

 

 

DÉCLARE que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de magasinier à compter du 1er avril 2003;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit aux indemnités de remplacement du revenu.

 

 

__________________________________

 

Valérie Lizotte

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Vincent Boulet

SLOGAR

Représentant de la partie requérante

 

 

Mme Sarah Hébert

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Cet appareil est utilisé pour traiter les gens souffrant d’apnée obstructive du sommeil, en émettant une pression d’air aidant à mieux respirer la nuit.

[3]           Appareil de protection respiratoire, selon le témoignage du travailleur.

[4]           Quessy et Norsk Hydro Canada inc. (F), QCCLP 1726, 2012.

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