Paré et Société des alcools du Québec |
2017 QCCFP 23 |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER N° : |
1301787 |
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DATE : |
16 juin 2017 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : |
Me Mathieu Breton |
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LUC PARÉ |
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Plaignant |
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et |
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Société des alcools du Québec |
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Intimé |
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DÉCISION |
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(Article 81.20, Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1) |
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LE CONTEXTE
[1] Le 30 mai 2017, M. Luc Paré dépose à la Commission de la fonction publique une plainte de harcèlement psychologique visant son ancien employeur, la Société des alcools du Québec (SAQ).
[2] Dans son formulaire transmis à la Commission, M. Paré indique avoir été à l’emploi de la SAQ durant 17 mois avant d’être congédié, le 21 avril 2017, de son poste de directeur de succursale à la suite d’un événement survenu le 29 mars 2017 :
[…] Après avoir débuté a la SAQ depuis 17 mois, personne ne m’avait parler ainsi, je me sentais complètement nul, j’étais détruit, on me faisait sentir que je n’avais plus ma place et que mon avenir à la SAQ était en jeu sans jamais avoir été réprimandé dans le passé. Ce seul événement a été très troublant pour moi […] L’événement du 29 mars, a mené à mon congédiement, sans qu’on me donne la chance de corriger les lacunes qu’on ne m’a jamais expliqué. De plus, à ce jour, je n’ai jamais recu les deux semaines de préavis, ni de relevé d’emploi, seuls mes contingents de vacances ont été payées. […] A lui seul, l’événement du 29 mars a injustement porté atteinte à ma santé, ma réputation professionnelle, tout en menant a mon congédiement, dont le processus lui-même démontre qu’on a joué avec moi sans égard à mon intégrité.
Je demande donc à la SAQ le paiement d’un préavis de trois mois de salaire, de pourvoir a une aide à la transition de carrière ainsi qu’un montant de 15000$ à titre de dommage moraux.
[3] La Commission informe les parties qu’elle soulève d’office son absence de compétence et qu’elle désire recevoir par écrit leurs commentaires à cet égard afin de rendre une décision sur dossier.
[4] Les parties ne présentent aucun commentaire à la Commission.
LES MOTIFS
[5] En vertu de l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail[1] (LNT), deux conditions doivent être remplies par M. Paré pour que la Commission puisse se saisir de sa plainte de harcèlement psychologique : il doit être un salarié nommé en vertu de la Loi sur la fonction publique[2] (LFP), c’est-à-dire un fonctionnaire, et il ne doit pas être régi par une convention collective. En effet, cet article prévoit :
81.20. Les dispositions des articles 81.18, 81.19, 123.7, 123.15 et 123.16 sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective, compte tenu des adaptations nécessaires. Un salarié visé par une telle convention doit exercer les recours qui y sont prévus, dans la mesure où un tel recours existe à son égard.
[…]
Les dispositions visées au premier alinéa sont aussi réputées faire partie des conditions de travail de tout salarié nommé en vertu de la Loi sur la fonction publique (chapitre F‐3.1.1) qui n’est pas régi par une convention collective. Ce salarié doit exercer le recours en découlant devant la Commission de la fonction publique selon les règles de procédure établies conformément à cette loi. La Commission de la fonction publique exerce à cette fin les pouvoirs prévus aux articles 123.15 et 123.16 de la présente loi.
Le troisième alinéa s’applique également aux membres et dirigeants d’organismes.
[Soulignements de la Commission]
[6] Concernant la première condition imposée par cet article, pour que le personnel d’un organisme fasse partie de la fonction publique, la Commission souligne que l’élément déterminant se trouve dans une disposition de la loi constitutive de cet organisme prévoyant que ses employés sont nommés en vertu de la LFP[3]. Cette dernière loi établit que la nomination d’un employé se fait à partir d’une banque de personnes qualifiées constituée à la suite d’un processus de qualification, conformément aux règles prévues aux articles 42 à 54[4].
[7] Or, l’article 14 de la loi constitutive de la SAQ, la Loi sur la Société des alcools du Québec[5], prévoit que ses employés ne sont pas nommés en vertu de la LFP :
14. Les employés de la Société sont nommés d’après les effectifs et suivant le mode de nomination établis par règlement de la Société.
[…]
[8] En effet, la fonction publique regroupe uniquement une vingtaine de ministères et une soixantaine d’organismes dont le personnel est nommé en vertu de la LFP, tel qu’il appert d’une liste, qui ne comprend pas la SAQ, publiée par le gouvernement du Québec[6]. La SAQ ne fait donc pas partie de la fonction publique et possède ses propres règles quant au recrutement de son personnel[7] :
1. Qu'est-ce que la fonction publique?
La fonction publique regroupe 20 ministères et une soixantaine d'organismes. Les personnes qui y travaillent sont nommées en vertu de la Loi sur la fonction publique.
À noter que les écoles, les cégeps, les universités, les établissements du réseau de la santé et des services sociaux (centres hospitaliers, centres locaux de services communautaires (CLSC), centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), centres de protection de l'enfance et de la jeunesse et les centres de réadaptation), Revenu Québec ainsi que les sociétés d'État (Hydro-Québec, Loto-Québec, Société des alcools du Québec, etc.) ne font pas partie de la fonction publique et possèdent leurs propres règles quant au recrutement du personnel.
[Soulignements de la Commission]
[9] Ainsi, M. Paré ne remplit pas la première condition, soit d’être un employé nommé en vertu de la LFP, pour que la Commission ait compétence pour entendre sa plainte de harcèlement psychologique interjetée en vertu de l’article 81.20 de la LNT.
[10] D’ailleurs, la Commission a déjà établi qu’elle n’a pas compétence pour entendre le recours en matière de harcèlement psychologique d’un employé qui ne détient pas le statut de fonctionnaire au sens de la LFP[8].
[11] M. Paré ne peut pas non plus déposer un appel à la Commission en matière de congédiement ou de conditions de travail, en vertu de l’article 33 ou 127 de la LFP.
[12] En effet, l’article 1 de la LFP prévoit le champ d’application de cette loi et définit la notion de fonctionnaire :
1. La présente loi s’applique aux personnes qui sont nommées suivant celle-ci.
Les personnes admises dans la fonction publique en vertu d’une loi antérieure à la présente loi sont réputées avoir été nommées suivant celle-ci.
Toute personne visée dans le présent article est un fonctionnaire.
[13] En conséquence, selon le libellé des articles 33 et 127 de la LFP, seul un fonctionnaire, soit une personne nommée en vertu de la LFP, peut interjeter ces recours à la Commission :
33. À moins qu’une convention collective de travail n’attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant :
[…]
3° de son congédiement;
[…]
127. Le gouvernement prévoit par règlement, sur les matières qu’il détermine, un recours en appel pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective et qui ne disposent d’aucun recours sur ces matières en vertu de la présente loi.
[…]
[Soulignements de la Commission]
[14] La Commission a d’ailleurs déjà décliné compétence pour entendre le recours en matière de congédiement d’un employé ne possédant pas le statut de fonctionnaire au sens de la LFP[9].
[15] En somme, M. Paré ne peut exercer aucun recours à la Commission puisqu’il n’est pas un employé nommé en vertu de la LFP.
[16] Enfin, la Commission souligne qu’elle est un tribunal administratif qui n’a qu’une compétence d’attribution. Elle ne peut donc exercer que la compétence qui lui est attribuée expressément par le législateur[10] :
À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence, à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s’étend donc pas à l’intégralité de la situation juridique des individus. [...]
La portée de l’intervention du tribunal administratif et par conséquent l’étendue de sa compétence sont donc déterminées par la formulation des dispositions législatives créant le recours au tribunal. […]
Il faut donc, aussi bien en droit québécois qu’en droit fédéral, examiner avec attention le libellé de la disposition créant le recours, pour savoir quelles décisions de quelles autorités sont sujettes à recours, sur quels motifs le recours peut être fondé, sous quelles conditions - notamment de délai - il peut être introduit […].
POUR CES MOTIFS, la Commission de la fonction publique :
DÉCLARE qu’elle n’a pas compétence pour entendre le recours de M. Luc Paré.
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Original signé par :
__________________________________ Mathieu Breton |
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M. Luc Paré |
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Plaignant |
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Société des alcools du Québec |
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Intimé |
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Date de la prise en délibéré : 13 juin 2017 |
[1] RLRQ, c. N-1.1.
[2] RLRQ, c. F-3.1.1.
[3] Voir à titre d’exemple les lois suivantes : Loi sur le ministère de la Culture et des Communications, RLRQ, c. M-17.1, art. 6; Loi sur l’assurance-maladie du Québec, RLRQ, c. R-5, art. 11; Loi sur la Régie des alcools, des courses et des jeux, RLRQ, c. R-6.1, art. 12; Loi sur la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1, art. 19; Loi sur la Société de l’assurance automobile du Québec, RLRQ, c. S-11.011, art. 12.
[4] Voir également le Règlement concernant le processus de qualification et les personnes qualifiées, RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.1.
[5] RLRQ, c. S-13.
[6] GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, en ligne : www.carrieres.gouv.qc.ca/choisir-la-fonction-publique/ministeres-et-organismes (page consultée le 16 juin 2017).
[7] GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, en ligne : www.carrieres.gouv.qc.ca/foire-aux-questions/renseignements-generaux (page consultée le 16 juin 2017).
[8] Dubé et Centre de santé Tulattavik de l'Ungava, 2017 QCCFP 17; Bédard et Centre hospitalier de l'Université de Montréal, 2016 QCCFP 3; Isabelle et Agence du Revenu du Québec, 2013 QCCFP 11.
[9] Lajoie et Assemblée nationale, 2013 QCCFP 13.
[10] Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale - Précis de droit des institutions administratives, 3e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 421-423.
AVIS :
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