COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
AQ-2000-1305 |
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Cas : |
CQ-2012-4261 |
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Référence : |
2012 QCCRT 0579 |
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Québec, le |
14 décembre 2012 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Raymond Gagnon, juge administratif |
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Gilles d’Anjou
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Plaignant |
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c. |
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Syndicat des travailleuses et travailleurs de
la ZEC Casault (CSN) |
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Intimé |
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et |
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ZEC Casault
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Mise en cause |
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DÉCISION |
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[1] Le 31 août 2012, monsieur Gilles d’Anjou dépose une plainte à l’encontre du Syndicat des travailleuses et travailleurs de la ZEC Casault (CSN), ci-après « le syndicat », association accréditée qui le représente dans ses relations avec ZEC Casault, son employeur.
[2]
Il prétend que le syndicat a agi de mauvaise foi, de manière arbitraire
ou discriminatoire ou a fait preuve de négligence grave à son égard, de façon
contraire à l’obligation que lui assigne l’article
[3] Il reproche au syndicat de l’avoir ostracisé du fait qu’il est le conjoint de la directrice, de l’accuser à tort d’avoir eu une conduite de harcèlement psychologique envers deux membres du comité exécutif du syndicat, de l’avoir exclu comme membre du syndicat, et finalement, d’exiger que l’employeur le renvoie en raison de son exclusion du syndicat. Tous ces faits et gestes, reprochés à monsieur D’Anjou, ont fait l’objet de griefs au sens de la convention collective déposés par le syndicat.
[4] Monsieur D’Anjou demande à la Commission d’intervenir afin de le rétablir dans ses droits, tout particulièrement en le réintégrant comme membre du syndicat, que le syndicat et ses dirigeants cessent de le harceler et, de façon générale, qu’il puisse poursuivre son travail en paix.
[5] Le syndicat ne voit aucun problème dans la représentation qui a été offerte à monsieur D’Anjou. Il l’a exclu de ses rangs en suivant la procédure prévue à ses Statuts et règlements. Il s’agit d’une matière relevant de sa régie interne sur laquelle la Commission n’a pas compétence pour intervenir et les griefs suivent leur cours.
[6] La ZEC Casault est un organisme à but non lucratif qui assure la gestion du territoire qui lui est confié dans la Vallée de la Matapédia, pour son aménagement à des fins de protection de la faune et pour en permettre l’accès à des activités récréatives.
[7] Elle fournit les installations et l’encadrement nécessaires aux activités de plein air, de pêche, de chasse et de camping. Elle emploie, outre le personnel d’encadrement, quelques salariés qui, de façon intermittente, préparent et remettent en état les installations au printemps, veillent à leur entretien et contrôlent l’accès au territoire.
[8] Au printemps 2012, la ZEC abolit les postes de préposés à l’accueil répartis sur le territoire et elle embauche un contremaître, monsieur André Joncas, pour prendre la direction du groupe de salariés affectés au travail général sur le site.
[9] Les relations de travail seront difficiles pendant toute la saison. Alors que pendant les années passées, les problèmes se réglaient directement entre la direction et le syndicat, ce dernier a, pendant la courte saison 2012, déposé plus de vingt griefs auprès de la direction, plusieurs de ces griefs visant monsieur D’Anjou.
[10] En raison du non-retour d’un journalier pour la saison 2012, monsieur Joncas rencontre monsieur D’Anjou qui est disponible. Il ne le connait pas personnellement. Ce dernier a plusieurs années d’expérience dans le travail en forêt. Il est aussi le conjoint de la directrice. Avec l’aval du conseil d’administration, il est embauché à titre de préposé à l’entretien.
[11] Il commence à travailler le 23 mai 2012 pour une première période de six semaines, essentiellement, pour préparer la saison de pêche.
[12] Dès que commence à circuler l’information qu’il est le conjoint de la directrice, la grogne s’installe dans le groupe de salariés et les relations de monsieur D’Anjou avec les membres du comité exécutif du syndicat deviennent tendues. En sont membres: madame Sylvie Vignola, la présidente; monsieur Yves Rioux, le trésorier; et, madame Nancy Bourgeois, la secrétaire.
[13] Madame Bourgeois, que monsieur D’Anjou croise avec son véhicule dans le village, croit qu’il la harcèle; ce que nie formellement monsieur D’Anjou.
[14] Le 6 juillet, madame Bourgeois, pour le syndicat, dépose le grief 06-2012 à la direction pour réclamer l’annulation de l’octroi d’un poste régulier à monsieur D’Anjou et pour que ce même poste soit affiché. Or, précise monsieur D’Anjou, il a été embauché comme occasionnel pour faire le travail que faisait un salarié qui a démissionné et tous sont déjà au travail.
[15] Il revient travailler de la mi-août jusqu’au début novembre.
[16] Dès son retour, le 13 août, madame Vignola, pour le syndicat, dépose trois griefs : que l’employeur intervienne pour que cesse le harcèlement dont madame Bourgeois et monsieur Rioux se disent victimes (Griefs 16-2012 & 18-2012) et pour que l’employeur renvoie monsieur D’Anjou qui, de l’avis du syndicat, a été embauché à l’encontre d’une disposition de la convention collective et a participé à des activités contre le syndicat (Grief 21-2012).
[17] De plus, le 16 août, le syndicat lui signifie son exclusion du syndicat pour le motif que ce dernier « cause un préjudice grave au syndicat », en application du paragraphe b) du premier alinéa de l’article 14 des Statuts et règlements du syndicat. Cette décision a été prise par le comité exécutif le 9 août précédent.
[18] La décision est ratifiée par l’assemblée générale à sa réunion du 13 septembre suivant, « Considérant l’attitude de monsieur Gilles d’Anjou envers les membres du comité exécutif du syndicat », ainsi que l’indique le projet de résolution à être adoptée lors de cette assemblée. Monsieur D’Anjou peut en appeler. Il s’en abstiendra. En raison de cette exclusion, il ne peut participer à aucune activité du syndicat.
[19] Monsieur D’Anjou ne se formalise pas outre mesure de cette exclusion du syndicat. Il affirme qu’il n’a jamais milité contre le syndicat, ni n’a cherché à faire signer des cartes d’adhésion pour une association rivale.
[20] Néanmoins, il considère que le syndicat s’est disqualifié lui-même pour discuter et régler les griefs qu’il a déposés et qui le visent. Ce dernier n’est sûrement plus en mesure de le représenter adéquatement dans ses relations avec l’employeur. C’est la position finale qu’il adopte et communique au syndicat à la suite de la rencontre du 11 octobre 2012.
[21] Ajoutons qu’aucun membre du comité exécutif n’est venu expliquer à l’audience ce qu’il entend par « préjudice grave causé au syndicat » ou encore pour préciser, même sommairement, quelle est la nature des préjudices subis par les autres salariés et ce qui a pu justifier les prises de position du comité exécutif à l’encontre de monsieur D’Anjou.
[22] En revanche, le contremaître s’est déclaré satisfait du travail fourni par monsieur D’Anjou. Manifestement, ajoute monsieur Joncas, certains membres de l’équipe de travail se sont acharnés sur lui du seul fait qu’il est le conjoint de la directrice.
[23] La Commission est saisie d’une plainte dont les allégations portent sur une représentation fautive de la part d’une association accréditée. Cette dernière « ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire (...) à l’endroit des salariés compris dans [son] unité de négociation, peu importe qu’ils soient ses membres ou non » (Code, article 47.2), sinon elle manque à son obligation d’exécuter correctement sa fonction représentative.
[24]
Cette obligation existe sans égard au fait que le salarié soit membre ou
non de l’association accréditée. D’ailleurs, l’appartenance syndicale relève de
la gestion interne de l’association et la Commission décline compétence pour
examiner les questions portant exclusivement sur les relations contractuelles
qu’entretiennent les salariés à l’endroit de leur association de salariés, à
moins que soit en cause un acte qui affecte le cadre juridique de la relation
du salarié avec son employeur. (Voir Allard c. Syndicat national des
employés de garage inc.,
[25] Il n’y a donc pas lieu d’intervenir au regard de la décision du comité exécutif d’exclure monsieur D’Anjou des rangs du syndicat. Toutefois, cette exclusion doit être prise en compte pour évaluer la représentation syndicale au regard du grief 21-2012 exigeant le renvoi par l’employeur de monsieur D’Anjou précisément en raison de son exclusion du syndicat.
[26]
Des quatre comportements interdits à une association accréditée dans
l’exécution de sa fonction représentative, identifiés à l’article
[27] Sont particulièrement en cause dans le présent cas la mauvaise foi et le comportement discriminatoire du syndicat.
[28]
Dans l’arrêt-phare de la Cour suprême du Canada portant sur l’obligation
de représentation d’une association accréditée, Noël c.
Société d'énergie de la Baie James,
[48] Cette obligation interdit quatre types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave. Cette obligation de comportement s’applique aussi bien au stade de la négociation collective que pendant son administration L’article 47.2 sanctionne d’abord une conduite empreinte de mauvaise foi qui suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile.
[49] La loi interdit aussi les comportements discriminatoires. Ceux-ci comprennent toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie. Ainsi, une association ne saurait refuser de traiter le grief d’un salarié ou de le mener de façon différente au motif qu’il n’appartient pas à l’association, ou pour toute autre raison extérieure aux relations de travail avec l’employeur
[52] Mauvaise foi et discrimination impliquent toutes deux un comportement vexatoire de la part du syndicat. L’analyse se concentre alors sur les motifs de l’action syndicale (...).
(Références omises et soulignés par la Commission)
[29] Dans le présent cas, il est manifeste que les membres de l’exécutif syndical, en adoptant un comportement qui est si ostensiblement hostile à monsieur D’Anjou, ont utilisé à leurs propres fins le mécanisme de règlement des différends propre aux rapports collectifs du travail avec l’intention de lui nuire.
[30] Comment interpréter autrement les allégations de harcèlement psychologique subi par madame Bourgeois et par monsieur Rioux de même que la réclamation portant sur l’affichage d’un poste dit régulier alors que tous les salariés disponibles sont au travail. Dans le même esprit, s’ajoute la demande faite à l’employeur de renvoyer monsieur D’Anjou parce qu’il aurait été embauché à l’encontre d’une disposition de la convention collective ou parce qu’il participe, ainsi que l’indique le grief 21-2012, à l’instigation ou avec l’aide directe ou indirecte de l’employeur ou d’une personne agissant pour ce dernier, à une activité contre l’association accréditée.
[31] Rappelons qu’aucun des membres du comité exécutif ne s’est présenté à l’audience pour expliquer, même sommairement, le but de leur démarche ou encore la justifier au regard de relations du travail normales.
[32] Force est donc de conclure que ces derniers ont travesti la procédure de griefs dans le but de créer un environnement hostile à monsieur D’Anjou, pour des motifs qui leur sont propres et donc extérieurs aux relations du travail avec la ZEC. Cela devient particulièrement patent avec le grief 21-2012.
[33] Le syndicat demeure maître de la procédure de griefs. Au demeurant, il lui appartient de décider ce qu’il fera avec ses griefs, après avoir soupesé les chances de succès et l’ensemble des intérêts en cause, les siens comme ceux de l’ensemble des salariés et ceux du salarié directement en cause, et ainsi, déterminer le bien-fondé des réclamations sur lesquelles il entend transiger ou s’il est opportun de les déférer à l’arbitrage.
[34] Cependant, il est nécessaire, dans le présent cas, d’assurer la protection des droits de monsieur D’Anjou, droits auxquels le syndicat, à ce jour, a porté atteinte en n’exécutant pas correctement sa fonction représentative.
[35] Ainsi, monsieur D’Anjou, qui risque de voir ses droits continués à être affectés par la représentation du syndicat, telle que ce dernier l’a assumée jusqu’ici, aura droit de se faire représenter séparément par la personne de son choix, aux frais du syndicat, tant à l’occasion d’une transaction visant à régler l’un ou l’autre des griefs qu’à l’occasion de l’arbitrage lui-même, si tant est que le syndicat décide de transiger à leur sujet ou encore de déférer les griefs à l’arbitrage.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
ACCUEILLE partiellement la plainte;
DÉCLARE que le Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Zec Casault (CSN) a fait preuve de mauvaise foi et discrimination à l’endroit de Gilles D’Anjou;
AUTORISE Gilles D’Anjou à se faire représenter séparément par une personne de son choix et aux frais du Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Zec Casault (CSN), à l’occasion de toute transaction portant sur un règlement des griefs 06-2012, 16-2012, 18-2012 et 21-2012 ou lors d’un arbitrage portant sur ces mêmes griefs;
ORDONNE à Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Zec Casault (CSN), de rembourser à Gilles D’Anjou les honoraires et frais éventuellement encourus pour se faire représenter à l’occasion de toute transaction portant sur un règlement des griefs 06-2012, 16-2012, 18-2012 et 21-2012 ou au regard d’un arbitrage portant sur ces mêmes griefs;
RÉSERVE sa compétence pour déterminer le montant des frais éventuellement encourus pour permettre à Gilles D’Anjou d’obtenir la représentation prévue à la présente décision.
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__________________________________ Raymond Gagnon
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M. Jean Montpetit |
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Représentant de l’intimé |
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Date de la dernière audience : |
5 décembre 2012 |
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/nm
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