Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Vachon-Rhéaume et Syndicat de Champlain (CSQ)

2016 QCTAT 180

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Saint-Hyacinthe

 

Dossier :

CM-2014-3808    CM-2014-4020

 

Dossier accréditation :

AM -1003-0185

 

 

Montréal,

le 19 janvier 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :         

Mylène Alder

______________________________________________________________________

 

 

 

Marie-France Vachon-Rhéaume

 

 

Partie demanderesse

 

 

 

c.

 

 

 

Syndicat de Champlain (CSQ)

 

 

Partie défenderesse

 

 

 

et

 

 

 

Commission scolaire des Patriotes

 

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

[1]           Le 9 juin 2014, Marie-France Vachon-Rhéaume (la demanderesse) dépose deux plaintes prenant appui sur les articles 47.2 et suivants du Code du travail[1] (le Code). Elle prétend que le Syndicat de Champlain (le syndicat) n’a pas respecté son devoir de juste représentation dans le traitement de deux griefs la concernant.

[2]           La première plainte[2] concerne un grief contestant la décision de la Commission scolaire des Patriotes (l’employeur) de retirer son nom de la liste de priorité d’embauche, tandis que la seconde[3] implique un grief dénonçant une situation alléguée de harcèlement psychologique.

[3]           La demanderesse estime que le syndicat a commis une négligence grave et agi de manière arbitraire en déposant tardivement le grief de harcèlement psychologique, puis en décidant de retirer les deux griefs sur la base d’une enquête incomplète. De plus, elle lui reproche de ne pas l'avoir informée de l’existence d’une présomption légale selon laquelle son congédiement serait lié à ses congés de maternité et de maladie. Elle demande à la Commission des relations du travail (la Commission) de l’autoriser à soumettre ses réclamations à un arbitre nommé par le ministre du Travail, à être représenté à cet arbitrage par le procureur de son choix, aux frais du syndicat, ainsi qu’à ordonner à ce dernier de lui rembourser tous les frais encourus pour exercer les présentes plaintes.

[4]           Le syndicat plaide qu’il a déposé les griefs dès que la demanderesse lui en a fait la demande. Il les a ensuite retirés au terme d’une enquête sérieuse l’amenant à conclure qu’ils n’avaient pas ou peu de chance de succès. Le grief de harcèlement psychologique lui apparaissait sans objet et, au surplus, prescrit. Quant au second, il estimait ne pas être en mesure de rencontrer le fardeau de preuve nécessaire pour obtenir gain de cause.

[5]           Les audiences des deux plaintes ont lieu les 17 novembre 2014, 14 avril et 21 octobre 2015 à la Commission.

[6]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail [4] est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume, entre autres, les compétences de la Commission. En vertu de son article 261, toute affaire pendante devant celle-ci est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

LES FAITS

L’employeur

[7]           L’employeur compte plusieurs établissements d’enseignement de niveau primaire et secondaire. Il emploie des personnes ayant un statut de salarié permanent ou de salarié temporaire.

LA CONVENTION COLLECTIVE ET LES ARRANGEMENTS LOCAUX

[8]           L’employeur est lié par une convention collective dite « nationale », conclue entre le Comité patronal de négociation pour les Commissions scolaires francophones et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) (la convention nationale), de même que par une entente sur les arrangements locaux conclue avec le syndicat le 6 octobre 2009 (l’entente sur les arrangements locaux).

[9]           Le paragraphe g) de l’article 2-1.01B) de la convention nationale prévoit que le salarié temporaire bénéficie de la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage, si « il se croit lésé dans les droits qui lui sont reconnus » à ce même paragraphe. Parmi ces droits se trouvent ceux liés au harcèlement en milieu de travail (1-4.00), à la priorité d’embauche (2-3.00), aux séquence de comblement de postes temporairement vacants (7-1.22, 7-1.25), ainsi qu’à l’affectation annuelle (7-3.22 C) d) f).

[10]        La convention nationale prévoit, à son article 2-3.00, que les règles applicables à la priorité d’embauche d’un salarié temporaire sont agréées à l’échelle locale ou régionale. L’entente sur les arrangements locaux indique à ce sujet :

Sous réserve de l’annexe 1, la commission établit par classe d’emplois et selon les modalités qui suivent la liste de priorité d’embauche.

RECOURS À LA LISTE DE PRIORITÉ D’EMBAUCHE

Lors d’un remplacement, d’un surcroît de travail, du comblement d’un poste particulier ou d’un poste conformément aux paragraphes des clauses mentionnant la liste de priorité d’embauche dans la situation suivante :

Pour l’embauche d’une personne salariée temporaire ou régulière à temps partiel lors d’absence pour une période préalablement déterminée d’au moins 20 jours ouvrables et ce, pour une tâche à combler d’au moins 50% d’une tâche régulière de travail.

MODALITÉ D’INSCRIPTION (personne salariée temporaire)

Avoir effectivement travaillé six cent trente (630) heures dans les vingt-quatre (24) derniers mois pourvu qu’il y ait moins de douze (12) mois d’interruption entre deux (2) périodes d’emploi, le cas échéant.

Les six cent trente (630) heures prévus au paragraphe précédent peuvent être dans une ou plusieurs classes d’emplois d’une même catégorie et ne doivent pas avoir fait l’objet d’une évaluation globale négative.

Répondre aux qualifications requises au plan de classification du personnel de soutien.

Répondre aux autres exigences déterminées par la commission scolaire pour le poste.

Doit fournir sa disponibilité (voir responsabilité de la personne salariée inscrite).

[…]

RANG

La date d’embauche, soit le 1er jour travaillé à la commission.

 

MISE À JOUR

Une fois par année, le 15 mars ou le jour ouvrable qui suit.

MOTIFS DE RADIATION

a) Ne s’acquitte pas convenablement des tâches qui lui sont confiées, selon les modalités établies par la commission en consultation avec le syndicat;

b) Ne répond plus aux qualifications requises suite à une modification du plan de classification en vigueur pour la classe d’emplois;

c) Obtention d’un poste à temps complet;

d) Défaut de se présenter à une affectation accordée sans motif jugé valable par la commission;

e) Laisser une affectation de travail avant son échéance sans raison jugée valable;

f) En fait la demande écrite, est congédié ou démissionne;

g) Absence de prestation de travail pendant 12 mois consécutifs;

h) Refuse pour la 2e fois une affectation offerte sauf pour les motifs d’absence reconnus;

i) Avoir échoué sa période d’essai étant entendu que cette personne salariée est radiée pour cette classe d’emplois seulement.

Dans l’un ou l’autre des cas mentionnés précédemment, sauf pour la raison c), la commission doit aviser le syndicat avant la radiation de la personne.

MODALITÉS DE RAPPEL

Par ordre décroissant de date d’embauche.

[…]

Posséder les qualifications requises au plan de classification en vigueur.

Rencontrer les exigences particulières du poste.

[…]

Être disponible pour la durée complète de l’affectation.

RESPONSABILITÉ DE LA PERSONNE SALARIÉE INSCRITE

Établir annuellement sa disponibilité (indiquer les périodes où elle est disponible ainsi que le ou les secteurs géographiques où elle souhaite être appelée. Ce qui inclut la possibilité pour la personne d’indiquer un pourcentage d’heures par secteur géographique).

Fournir à la commission un ou des numéros de téléphone pour s’assurer d’être rejointe.

Dans la semaine précédant la fin de son affectation, la personne doit informer la commission par écrit de sa disponibilité.

(reproduit tel quel, soulignement ajouté)

[11]        L’annexe 1 à laquelle réfère cette disposition contient les mesures transitoires pour établir une liste initiale de priorité d’embauche.

[12]        Par ailleurs, l’article 9-1.03 de la convention nationale prévoit un délai de 90 jours pour déposer un grief.

Le travail de la demanderesse

[13]        La demanderesse est technicienne en éducation spécialisée. Elle travaille pour l'employeur depuis le mois de décembre 2005. Elle a un statut de salarié temporaire et est inscrite sur la liste de priorité d’embauche, ce qui lui permet d’obtenir des affectations sur une base régulière. Elle explique avoir préféré conserver ce statut pour travailler davantage d’heures.

[14]        Jusqu'en 2010, elle est affectée successivement à des postes d'une trentaine d'heures par semaine, dans différents établissements scolaires de l'employeur. Puis, elle part en congé de maternité pendant l'année scolaire 2010-2011. 

[15]        Le 21 novembre 2011, elle retourne au travail avant le terme de son congé de maternité, car elle accepte un remplacement qui lui convient à l'école Notre-Dame. Cette affectation s'avèrera toutefois pénible, entre autres parce que la demanderesse y vivra un conflit avec Martine Desbiens, la directrice de cet établissement. Elle rapporte travailler dans une classe difficile, sans recevoir de support de la part de cette directrice. Au contraire, cette dernière la confronte avec une attitude méprisante et l’estime en partie responsable des problèmes rencontrés dans la classe, affirme-t-elle.

[16]        La demanderesse communique à deux reprises avec Jean-Claude Moreau, un représentant syndical, pour lui faire part de la situation et lui demander conseil afin de se protéger de madame Desbiens. Elle relate que monsieur Moreau lui recommande de ne pas s’inquiéter et de ne rien faire, l'informant que le syndicat a beaucoup de plaintes concernant cette directrice.

[17]        En janvier 2012, la situation au travail s'envenime. Le médecin de la demanderesse lui prescrit un arrêt de travail. Elle communique à nouveau avec son syndicat pour l'en informer. À cette époque, elle ne verbalise pas vivre du harcèlement, précisant que cela lui prendra plusieurs mois avant de réaliser que ça en serait.

[18]        En février 2012, la demanderesse rencontre le médecin de l'employeur. Il lui recommande de retourner au travail, avec une tâche allégée. Le médecin de la demanderesse, pour sa part, demande que ça soit dans un autre milieu de travail.

[19]        Madame Charest est conseillère en relations de travail au syndicat. Elle discute avec Céline Tardif, du Service des ressources humaines de l’employeur, pour obtenir que la demanderesse ne termine pas son affectation à l’école Notre-Dame et en obtienne une autre, ailleurs, sans être pénalisée. Finalement, l’employeur lui offre un remplacement de 25 heures par semaine à l'école Arc-en-Ciel. La demanderesse accepte, sur la recommandation de madame Charest.

[20]        Le 29 février 2012, la demanderesse reçoit un rapport d'évaluation de son travail à l'école Notre-Dame. L’évaluation, datée du 27 février et signée par madame Desbiens, est négative. Cette dernière conclut d'ailleurs qu'elle ne recommande pas l’inscription de la demanderesse sur la liste de remplaçantes.

[21]        La demanderesse affirme qu’elle ignorait jusqu’à ce moment avoir été évaluée par madame Desbiens. Elle est donc fort surprise de recevoir ce rapport, ainsi que consternée par son contenu, qu'elle estime faux. Elle communique avec madame Charest pour savoir quoi faire. Elle affirme que cette dernière lui répond que cette évaluation ne pourra lui nuire que si elle en obtient une seconde négative, et qu'elle pourra se reprendre une prochaine fois.

[22]        La demanderesse relate qu'avant février 2012, son travail n'a fait l’objet que d'une seule évaluation par l'employeur, le 29 novembre 2006. Elle dépose une copie du rapport de cette évaluation. Positif, il indique que son rendement correspond pleinement aux besoins de sa fonction ou est supérieur à ceux-ci.

[23]        La demanderesse travaille à l'école Arc-en-Ciel jusqu’à la fin mai 2012. Le 30 mai, Nathalie Couillard, directrice de cette école, la rencontre pour lui remettre un rapport d’évaluation. Elle coche une majorité de cases indiquant que son rendement est acceptable, mais nécessite une amélioration. Elle recommande le maintien dans son poste ou dans un autre de même niveau, sous certaines réserves. Elle explique le tout à la demanderesse qui en retient que, bien que son travail ait été scruté à la loupe, cette troisième évaluation est globalement positive.

LA FIN D’EMPLOI DE LA DEMANDERESSE

[24]        Le 4 juillet 2012, l’employeur envoie à la demanderesse une lettre lui annonçant qu’il a pris la décision de mettre fin à son emploi et de retirer son nom de la liste de priorité d’embauche. Il écrit :

Le 21 novembre 2011, vous avez été affectée à un remplacement de technicienne en éducation spécialisée de 35 heures à l’école Notre-Dame. Suite à d’importantes difficultés rencontrées dans l’exécution de votre tâche de technicienne en éducation spécialisée, la direction de l’école, Mme Martine Desbiens, vous a rencontrée pour vous faire part de ses attentes. Au cours de cette rencontre, vous vous êtes remise en question et vous avez affirmé que vous vous questionniez sur vos capacités à effectuer le travail de technicienne en éducation spécialisée. Vous êtes alors partie en congé pour invalidité le 17 janvier 2012.

Suite à des discussions avec la partie syndicale et comme vous le souhaitiez vous-même, nous avons convenu de vous réaffecter dans une autre école pour le reste de l’année scolaire, et ce, à partir du 27 février 2012. Il va sans dire que cette solution vous offrait une seconde chance de démontrer que vous étiez en mesure de vous acquitter convenablement des tâches qui vous étaient confiées dans le cadre de votre travail de technicienne en éducation spécialisée.

Or, le 5 juin 2012, la direction de l’école Arc-en-Ciel, Mme Nathalie Couillard, nous a transmis une deuxième évaluation nous faisant part d’importantes difficultés telles que la méconnaissance du matériel et des outils de travail, le manque d’investissement et d’assurance dans votre travail, la difficulté à gérer votre horaire de travail et d’établir les priorités et l’évitement lors de situations tendues.

Considérant vos années d’expérience à titre de remplaçante dans la classe d’emplois de technicienne en éducation spécialisée, l’importance des difficultés rencontrées et les évaluations négatives de deux directions d’école différentes dont vous faites l’objet dans un intervalle de moins de sept (7) mois, nous ne pouvons que conclure que vous êtes incapable de vous acquitter convenablement des tâches qui vous sont confiées.

Par conséquent, je vous informe que, conformément à l’article 5.4 du Règlement sur certaines fonctions et certains pouvoirs au directeur du Service des ressources humaines, j’ai pris la décision de retirer votre nom de la liste de priorité d’embauche de la classe d’emplois de technicienne et technicien en éducation spécialisée.

(reproduit tel quel)

[25]        L’employeur envoie aussi une copie de cette lettre à madame Charest.

[26]        La demanderesse est complètement surprise de recevoir cette lettre. Elle ne réussit pas à joindre ses représentants syndicaux, qui sont en vacances. Le 14 août 2012, elle décide d’écrire une lettre à Sylvain St-Jean, directeur des ressources humaines de l’employeur. Elle lui explique avoir travaillé pendant six ans sans problème avant de vivre une situation exceptionnellement difficile avec madame Desbiens à l’école Notre-Dame, au retour de son congé de maternité. Elle exprime son désaccord face à l’évaluation que lui a faite cette dernière et écrit :

La tension qui s’est installée entre madame Desbiens et moi, de même que le manque de support requis ont fait augmenter mon niveau de stress de façon importante, ma santé en a été affectée et j’ai dû temporairement cesser de travailler.

Après mon arrêt de travail pour cause de santé, j’ai occupé un remplacement à l’école Arc-en-ciel qui, je considère, s’est bien déroulé. D’ailleurs la directrice Mme Nathalie Couillard me recommande toujours sur la liste des remplaçants. Les quelques points négatifs, je les ais corrigés rapidement. Je peux facilement, dans une entrevue mieux vous expliquer mon rapport d’évaluation à l’école Arc-en-ciel. Je considère que l’ensemble du rapport est positif.

Je considère que je suis apte et disponible à effectuer mes tâches de technicienne en éducation spécialisée à la CSP. Je souhaite que vous puissiez m’aider à retrouver ma place à l’affectation du 17 août 2012. Je m’attends à ce que cette situation soit rétablie avant cette date de choix de poste et remplacements.

(reproduit tel quel)

[27]        À la fin du mois d’août 2012, madame Charest revient de vacances, prend connaissance des deux lettres et du message de la demanderesse. Le 30 août, elle la rencontre pour recueillir l’information sur son parcours professionnel et sur les deux évaluations de 2012. La demanderesse lui exprime son point de vue sur chaque élément de celles-ci. Madame Charest l'informe de la possibilité de déposer un grief pour contester sa fin d’emploi et lui explique sommairement la procédure. Elle lui dit qu’elle communiquera avec l’employeur pour discuter de son cas.

[28]        Madame Charest affirme avoir informé la demanderesse lors de cette rencontre qu’habituellement, une salariée temporaire qui reçoit une évaluation négative est radiée de la liste de priorité d’embauche. Elle lui dit qu’elle tentera cependant de lui obtenir une seconde chance, vu les circonstances.

[29]        La demanderesse nie avoir eu cette information à ce moment, mais confirme que madame Charest veut communiquer avec l’employeur avant de déposer un grief. De plus, elle affirme que cette dernière lui recommande d'entreprendre des démarches pour se trouver un autre emploi afin de minimiser ses dommages.

[30]        Dans les jours qui suivent, madame Charest tente, en vain, de convaincre l'employeur de revenir sur sa décision. Le 17 septembre 2012, monsieur St-Jean répond à la lettre du 14 août de la demanderesse, en copiant le syndicat. Il l’informe que l’employeur maintient sa décision de retirer son nom de la liste de priorité d’embauche.

les griefs

[31]        Le 18 septembre 2012, le syndicat dépose un grief pour contester la fin d’emploi de la demanderesse. Il y est écrit :

Clauses ou

articles pertinents :             Ceux du chapitre 9-0.00 de la convention collective S3 2010-2015, ou tout autre article pertinent ainsi que les article 6 et 7 du C.c.Q et l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.

LES FAITS ET CORRECTIFS DEMANDÉS

Le ou vers le 4 juillet 2012, la Commission a envoyé à madame Vachon - Rhéaume une lettre lui indiquant qu’elle avait décidé de mettre fin à son emploi et qu’elle retirait son nom sur la liste de priorité d’embauche.

Le ou vers le 14 septembre 2012 à l’occasion d’une discussion entre les parties syndicale et patronale, la Commission a réitéré sa décision de mettre fin à l’emploi et de maintenir le retrait du nom de madame Vachon-Rhéaume sur la liste de priorité d’embauche.

Nous contestons cette décision de la Commission scolaire ainsi que les raisons invoquées à son soutien puisqu’elles sont non fondées en faits et en droit. De plus, cette décision est arbitraire, déraisonnable et prise de mauvaise foi, sans cause juste ni suffisante.

Si ce grief est porté à l’arbitrage, nous demanderons à l’arbitre :

1.         D’ordonner à la Commission d’annuler la fin d’emploi de madame Vachon-Rhéaume.

2.         D’ordonner à la Commission de réintégrer madame Vachon-Rhéaume sur la liste de priorité d’embauche dans la classe d’emploi de technicienne en éducation spécialisée;

3.         D’ordonner à la Commission le versement d’une indemnité compensatoire pour tous les préjudices subis;

4.         Qu’aux sommes dues s’ajoutent les intérêts et indemnités prévus au Code du travail;

5.         De rendre toute ordonnance propre à sauvegarder les droits des parties. 

Nous sommes disposés à vous rencontrer au moment qui vous conviendra.

(reproduit tel quel)

[32]        Quelques jours plus tôt, la demanderesse est rencontrée pour un emploi dans une autre commission scolaire. Cependant, elle n’obtient pas le poste et en impute la faute à l’employeur, qui aurait informé cette commission scolaire qu'elle était en litige avec lui. Elle en fait part à madame Charest, qui entreprend des démarches pour vérifier ce qu’il en est.

[33]        Madame Charest valide effectivement cette information auprès de l'employeur et le confirme à la demanderesse. Celle-ci lui dit à ce moment qu’elle réalise avoir vécu du harcèlement de la part de madame Desbiens et estime que c'est ce qui a entraîné sa fin d'emploi, en plus de l'empêcher d'obtenir le poste en question.

[34]        Le 27 septembre 2012, suivant les conseils du syndicat, la demanderesse dépose une plainte de harcèlement psychologique selon la procédure interne en vigueur chez l'employeur. Elle l’a rédigée avec l’aide de madame Charest. Le mois suivant, l'employeur lui répondra que sa plainte est irrecevable parce que déposée plus de huit mois après sa dernière journée travaillée à l’école Notre-Dame, le 16 janvier 2012. Il écrit aussi que sa fin d’emploi du 4 juillet est déjà contestée par grief et qu’il ne répondra pas aux allégations contenues dans sa plainte à ce sujet. Enfin, il indique ne pas être responsable d’une décision prise par une autre commission scolaire.

[35]        Entre temps, le 28 septembre 2012, le syndicat dépose un grief dénonçant le harcèlement psychologique qu’aurait subi la demanderesse depuis le 21 novembre 2011. Le grief reprend les éléments contenus dans la plainte interne. Il réfère plus précisément aux comportements de madame Desbiens à son égard au cours de son travail à l’école Notre-Dame jusqu’à son évaluation du 27 février 2012, à leurs effets nocifs continus, de même qu’aux gestes posés par l’employeur le 4 juillet 2012 (fin d’emploi) et en septembre 2012 (mauvaise référence).

L’enquête du syndicat

[36]        La demanderesse déclare qu’après le dépôt des griefs, madame Charest tente de la décourager de poursuivre les recours. Elle lui dit que son nom sera public, que ses futurs employeurs l'apprendront, que cela pourrait lui nuire et que les procédures pourront prendre de trois à cinq ans. Elle ajoute qu'il existe un obstacle important au succès du grief de harcèlement psychologique, à savoir qu'il a vraisemblablement été déposé hors délai.

[37]        Bien qu’elle reconnaisse ne pas avoir utilisé le mot « harcèlement » avant le mois de septembre 2012, la demanderesse souligne avoir informé monsieur Moreau, dès janvier 2012, du détail des agissements de madame Desbiens à son endroit. 

[38]        La demanderesse ajoute par ailleurs que ce n'est qu'à ce moment que madame Charest lui dit que l'employeur pouvait la congédier en raison de la seule évaluation négative de madame Desbiens, vu son statut de salarié temporaire. Surprise, la demanderesse demande néanmoins au syndicat de poursuivre ses démarches, car elle estime que cette évaluation, tout comme sa fin d'emploi, sont totalement injustifiées.

[39]        Pour sa part, madame Charest affirme avoir expliqué à la demanderesse dès le départ et à maintes reprises, ses droits, le processus d’arbitrage et le fardeau de preuve à rencontrer. Plus précisément, elle lui dit que ce fardeau est important, s’agissant d’une salariée temporaire ayant subi un congédiement administratif. Elle lui explique que le syndicat devra démontrer que la décision de l’employeur de la retirer de la liste de priorité d’embauche est arbitraire, discriminatoire, abusive, empreinte de mauvaise foi ou sans cause juste et suffisante.

[40]        Une année passe sans que la demanderesse n’entende parler des griefs. À l’approche de l’été 2013, elle craint de manquer la séance d’affectation annuelle des postes du mois d’août. Elle communique avec madame Charest pour avoir des nouvelles. Celle-ci lui répond que son enquête se poursuit.

[41]        Madame Charest explique avoir enquêté sur tout ce qui s’est passé à l’école Notre-Dame, de même que sur les deux évaluations de 2012 invoquées dans la lettre de congédiement. Elle estime en effet que l’employeur a fondé sa décision autant sur la première que la deuxième. Elle a d’ailleurs questionné l’employeur pour comprendre sa décision puisque la seconde recommande le maintien en poste de la demanderesse. On lui répond que la décision fut prise en considération de l’ensemble du dossier.

[42]        Madame Charest communique avec la demanderesse par téléphone et par courriel à quelques reprises pour obtenir des précisions sur ses prétentions. Elle contacte aussi des témoins potentiels identifiés par la demanderesse, ainsi que d’autres employés qui l’ont côtoyée au travail en 2011 et 2012. Son objectif est de vérifier l’existence des reproches faits par l’employeur à la demanderesse, de même que les situations de harcèlement alléguées par celle-ci.

[43]        Madame Charest relate entre autres ses communications avec madame Préfontaine, l’enseignante qui travaillait avec la demanderesse à l’école Notre-Dame. Cette dernière lui confirme avoir vécu une année difficile en 2012, avec peu de soutien de la direction. Madame Charest affirme qu’elle lui décrit aussi certaines lacunes observées chez la demanderesse, semblables à celles identifiées dans les évaluations de 2012. Deux autres techniciennes en éducation spécialisée qui travaillaient à cette école lui tiennent un discours similaire.

[44]        Madame Préfontaine témoigne à l’audience. Elle se souvient qu'une représentante du syndicat l’a appelée à deux reprises pour lui poser des questions sur le travail de la demanderesse, le climat dans la classe et madame Desbiens. Elle ne se rappelle pas avec exactitude des questions ni de ses réponses, mais elle se souvient avoir parlé du climat difficile régnant dans sa classe cette année-là et du peu de soutien de la part de la directrice.

[45]        Madame Charest dépose plusieurs pages de notes prises lors de l’ensemble de ses communications et de ses rencontres avec la demanderesse. Elles confirment essentiellement son témoignage.

[46]        Le 9 décembre 2013, madame Charest, qui a complété son enquête, rencontre la demanderesse. Elle lui remet une évaluation écrite des deux dossiers de griefs et l’informe qu’elle recommandera au conseil de direction du syndicat de les retirer. Elle lui explique avoir obtenu de certaines de ses collègues de travail des commentaires de même nature que ceux contenus dans ses évaluations de 2012. Elle lui dit ne pas avoir suffisamment de témoins pour prouver leurs prétentions et obtenir gain de cause.

[47]        Dans son évaluation des dossiers, madame Charest explique les motifs de sa décision comme suit :

D’abord concernant le grief de retrait de la liste de priorité d’embauche :

Vous avez fait l’objet de trois (3) évaluations au sein de la Commission scolaire des Patriotes (CSP). Lorsqu’elle a pris la décision de radier votre nom de la liste, le 4 juillet 2012, elle a tenu compte de l’ensemble des évaluations contenues au dossier au soutien de sa décision. Celles-ci doivent être non discriminatoires, non abusives, prises de bonne foi et sans arbitraire.

Si nous avions voulu procéder par arbitrage pour renverser leur décision, il nous incomberait de prouver ces critères. Dans un premier temps, la CSP aurait à prouver le bien-fondé de ses motifs. Elle aurait fait témoigner certaines personnes et déposé différents documents, tout comme nous.

Voici un extrait de jurisprudence qui m’apparaît pertinent (SAE No 7974). D’autres décisions vont dans le même sens dont celles-ci, par exemple (SAE No 7448, No 7571, No 7935, S.F.M.M. (SCFP) et Ville de Montréal, Centre hospitalier Général de Montréal et FIIQ).

L’arbitre a le pouvoir de vérifier le caractère abusif, déraisonnable ou discriminatoire de l’évaluation; il n’a pas autrement le pouvoir de se prononcer sur le bien-fondé de l’évaluation, ni de substituer sa propre évaluation à celle de l’employeur. S’il constate que l’évaluation a un caractère abusif, déraisonnable ou discriminatoire, il peut l’annuler; dans l’éventualité contraire il ne peut que refuser d’intervenir et rejeter le grief.

La clause (…) permet à l’employeur de ne pas inscrire sur la liste de priorité d’embauche le nom d’une personne. L’existence d’une évaluation négative est une condition à son application. Il appartient à l’employeur d’en faire la preuve, La jurisprudence est à l’effet que l’employeur ne peut se contenter d’une simple affirmation du caractère négatif de l’évaluation. Une fois cette preuve faite, il appartient au syndicat de démontrer le caractère abusif, déraisonnable ou discriminatoire de l’évaluation.

[…]

Preuve au dossier

Dans le cas qui nous occupe, les enseignantes et les techniciennes en éducation spécialisés contactées ont, en grande majorité, confirmé les faits reprochés avec précision et par des exemples concrets. Il est donc peu probable d’obtenir une preuve, telle que décrite plus haut, suite à une enquête exhaustive que nous avons faite dans les deux derniers milieux de travail où vous avez travaillé.

Ensuite, concernant le grief de harcèlement 

Pour placer le contexte, je souligne qu’en vertu de la Politique de prévention et de résolution du harcèlement et de la violence au travail, l’employeur a une obligation d’agir lorsqu’une situation est portée à sa connaissance.

L’ensemble des événements que vous avez dénoncés se sont produits lorsque vous travailliez avec Mme Martine Desbiens à l’école Notre-Dame à l’exception d’un évènement qui est survenu en septembre 2012.

Vous avez parlé à votre médecin et celui-ci a recommandé un arrêt de travail pour un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse et a recommandé une réaffectation dans un autre milieu. Après avoir vu le médecin de la Commission, celle-ci vous a proposé un emploi de TES à l’école de l’Arc-en-ciel.

Votre emploi à l’école de l’Arc en ciel a pris fin en mai 2012 puisque le contrat était échu. Le 4 juillet, la commission vous confirmait sa décision de radier votre nom de la liste. Vous avez répondu à cette lettre le 14 août pour faire suite à ce retrait de la liste et demandant d’être rétablie comme auparavant. Cette décision nous apparaît être une décision administrative prise en lien avec les évaluations au dossier et par conséquent, elle ne constitue pas du harcèlement en soi.

[…]

Preuve au dossier

Les témoignages recueillis nous indiquent que les événements subis, lorsque vous étiez à l’école Notre-Dame, peuvent avoir été assimilés à du harcèlement. La commission a posé un geste concret pour vous réaffecter dès qu’il y a eu une recommandation en ce sens de la part de votre médecin, faisant ainsi cesser les agissements subis. Aussi, j’ajouterais qu’au moment de votre réaffectation à l’école de l’Arc-en-ciel, le harcèlement ne faisait pas l’objet de nos discussions, mais plutôt d’inconfort et de difficultés.

Ensuite, en soutien à notre fardeau de preuve, les motifs invoqués et recueillis auprès de M. Carmel Beaulieu sont les suivants : « La commission n’a donné aucune référence en emploi car elle est très discrète sur les dossiers et Monsieur Beaulieu a su seulement qu’il y avait un conflit non réglé entre vous et la commission »

Il m’apparaît, dans un premier temps, que les gestes d’harcèlement ont cessé après la réaffectation et d’autre part, que M. Carmel Beaulieu a pris des renseignements auprès de Mme Louise Dugré, conseillère en gestion de personnel (en remplacement) au Service des Ressources humaines. Rien ne m’indique que Mme Louise Dugré ou encore M. Carmel Beaulieu ont agi sous l’influence de Mme Martine Desbiens afin de vous causer du harcèlement ou encore, qu’ils vous en aient causé eux-mêmes.

(reproduit tel quel)

[48]        Toujours lors de cette rencontre, madame Charest propose à la demanderesse de s'entendre avec l'employeur pour obtenir une attestation d'emploi et s'assurer que celui-ci ne donne pas de mauvaises références à son égard. La demanderesse refuse, craignant que cela nuise à sa réputation. Puis, madame Charest l’informe qu'elle peut rencontrer le conseil de direction du syndicat pour contester ses recommandations.

[49]        Effectivement, la demanderesse rencontre le conseil de direction du syndicat le 19 décembre 2013. Elle relate avoir pu expliquer toute son histoire, avant qu’on l'informe qu'une décision écrite lui sera communiquée après délibérations.

[50]        Guylaine Bachand est vice-présidente au syndicat. Elle assiste à cette rencontre. Elle explique que madame Charest et la demanderesse se sont présentées à tour de rôle pour exposer leurs prétentions. Elle retient du discours de la demanderesse que celle-ci ne veut pas revenir travailler pour l’employeur, mais souhaite avant tout rétablir sa réputation et obtenir une lettre de recommandation pour se trouver un autre emploi.

LE RETRAIT Du premier grief

[51]        Le 9 janvier 2014, le président du syndicat, Éric Gingras, envoie à la demanderesse la lettre suivante :

Madame,

Le 19 décembre dernier, vous êtes venue rencontrer le Conseil d’administration du Syndicat de Champlain. Votre demande, telle que vous nous l’avez formulé, allait comme suit:

-          Tenir compte des années précédentes aux événements dans l’analyse de votre dossier;

-          Tenir compte du fait que votre réputation a été affectée;

-          Voir la possibilité d’obtenir une certaine compensation financière.

Nous vous rappelons dans un premier temps que nous avions déposé de façon préventive deux griefs, le 12-DP-673 portant sur votre fin d’emploi et le 12-DP-676 portant sur le harcèlement psychologique.

De plus, avant la rencontre, dans la lettre remise le 9 décembre 2013, Mme Charest vous indiquait qu’elle allait recommander au CA de se désister des griefs ci-haut mentionnés pour divers motifs mentionnés dans cette communication.

Suite à votre présence au CA, et après délibération de ses membres, nous avons décidé de maintenir la décision de nous désister du grief 12-DP-676 portant sur le harcèlement psychologique, car comme nous vous l’avons déjà mentionné, la jurisprudence nous démontre que le devoir de l’employeur est de s’assurer de faire cesser le harcèlement. En changeant de milieu, il est clair pour nous que le harcèlement, s’il avait eu lieu, était alors terminé.

Pour ce qui est du grief 12-DP-673 portant sur la fin d’emploi, nous avons convenu de prendre une décision au prochain CA, soit le 26 février prochain. Ainsi nous pourrons analyser la possibilité de proposer à l’employeur une entente incluant une somme monétaire en plus des éléments déjà proposés.

Nous vous tiendrons donc au courant du cheminement de nos discussions.

(reproduit tel quel)

[52]        Le 24 janvier 2014, le syndicat envoie un avis de désistement du grief concernant le harcèlement psychologique.

[53]        Le 28 janvier 2014, la demanderesse répond à la lettre du syndicat. Elle écrit, entre autre, ceci :

Concernant le grief 12-DP-676 portant sur le harcèlement psychologique, je comprends la décision du conseil d’administration de se désister.

Il n’en demeure pas moins que le conflit de personnalité avec Madame Desbiens et le harcèlement psychologiques existaient. En fait, ce sont ces éléments, et non pas mon incompétence, qui ont généré un rapport négatif à mon endroit et provoqué ma fin d’emploi. Vous pourriez peut-être en tenir compte dans votre décision concernant le 2ème grief.

(reproduit tel quel)

[54]        La demanderesse ajoute dans sa lettre ne pas avoir poursuivi ses démarches de recherche d’emplois « à cause de sa réputation entachée » chez l’employeur. Elle craint d’autres refus pour cette raison. À l’audience, elle déclare toujours faire confiance à son syndicat à cette époque. Elle se dit qu'il lui reste au moins un grief, le principal.

LE RAPPORT DE MONSIEUR GUILLEMETTE

[55]        Le 26 février 2014, la demanderesse apprend d’une collègue de travail que le syndicat a obtenu, l’automne précédent, un rapport d’enquête sur madame Desbiens. En fait, il s’agit d’un rapport commandé par le syndicat à Yves Guillemette, en novembre 2012, pour enquêter sur les relations du travail entre la direction de l'école Notre-Dame et les salariés.

[56]        Une collègue de la demanderesse lui fait suivre un courriel de monsieur Guillemette, dans lequel il écrit que son rapport illustre les difficultés rencontrées par les salariés dans leur relation avec la directrice en question et qu’il recommande au syndicat d’entreprendre des démarches pour qu'elle cesse de diriger une école.

[57]        La demanderesse demande à madame Charest pourquoi le syndicat n’en tient pas compte dans l'évaluation de ses dossiers de griefs. Elle n’obtient pas de réponse. À l’audience, mesdames Charest et Bachand expliquent que le syndicat a commandé cette enquête à des fins strictement politiques, sans lien avec le cas de la demanderesse. Pour elles, il n’avait pas à être considéré dans l’évaluation des dossiers de griefs concernant la demanderesse.

[58]        Monsieur Guillemette témoigne à l’audience. Il explique avoir rencontré une vingtaine de personnes, dont la demanderesse, dans le cadre de son enquête. Il précise cependant que son mandat n'était pas d’enquêter sur la situation de cette dernière, mais bien sur le fonctionnement général de l'école, sur les relations entre la direction et l’ensemble des salariés. Il remet au conseil de direction du syndicat une copie de son rapport préliminaire à l’automne 2013, pour solliciter leurs commentaires. Puis, il effectue de petites corrections et remet ensuite son rapport final au début de l’année 2014.

[59]        À l'audience, le syndicat et l'employeur s'opposent au dépôt en preuve de ce rapport arguant qu'il n'est pas pertinent et contient des renseignements confidentiels. L’employeur estime de plus qu’il porte atteinte à la dignité et la réputation de madame Desbiens et que sa production déconsidérerait l’administration de la justice. Subsidiairement, l'employeur demande au Tribunal d'ordonner la confidentialité et la non-divulgation dudit rapport. Il estime cela nécessaire pour protéger les droits de madame Desbiens qui n'est pas une partie au litige.

[60]        Le Tribunal rejette cette objection et cette requête en cours d’audience pour les motifs suivants.

[61]        Dans un premier temps, le Tribunal doit trancher la question à savoir si le syndicat a manqué à son devoir de juste représentation lorsqu’il prend la décision de retirer les griefs, et ce, compte tenu des éléments qu'il a alors en sa possession. Or, la preuve indique qu’il a connaissance de l'existence d'une problématique à l'école Notre­Dame l’amenant à commander une vaste enquête en novembre 2012. Cette problématique est en toile de fond des réclamations de la demanderesse ayant mené au dépôt des griefs en cause. Il résulte de cette enquête un rapport sur les relations du travail entre madame Desbiens et un groupe de salariés dont faisait partie la demanderesse. Le comité de direction du syndicat a ce rapport en main lorsqu'il prend les décisions de retirer les griefs. Par conséquent, ce rapport est pertinent, faisant partie des éléments dont dispose le syndicat pour évaluer les chances de succès des griefs concernant la demanderesse.

[62]        Quant à la demande d'en ordonner la confidentialité, la preuve indique que ce rapport a circulé et est en possession de plusieurs personnes. La demanderesse l’a d'ailleurs reçu par courriel d'une collègue de travail. Par ailleurs, ce rapport ne porte pas sur la vie privée de madame Desbiens, mais sur son travail de directrice d'école. Il ne contient pas de renseignements confidentiels protégés par la loi. De plus, même si elle n'est pas partie au présent litige, la directrice est tout de même indirectement visée par les griefs qui sont en cause ici. Pour toutes ces raisons, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la confidentialité de ce rapport.

LE RETRAIT DU SECOND GRIEF

[63]        Au cours des mois de janvier et février 2014, madame Bachand discute avec l’employeur pour tenter, en vain, de négocier un règlement satisfaisant pour le grief contestant la fin d’emploi de la demanderesse. Elle fait rapport de ses démarches infructueuses au conseil de direction du syndicat.

[64]        Le 9 avril 2014, monsieur Gingras envoie la lettre suivante à la demanderesse :

Suite à notre conversation téléphonique du 21 mars dernier, je vous confirme le retrait du grief # 12-DP-673 en lien avec votre renvoi, décision qui a été prise par le Conseil d’administration du 26 février dernier.

Comme nous en avons discuté de vive voix, suite à votre présence au Conseil d’administration, les membres avaient convenu de retourner voir l’employeur, afin de vérifier si celui-ci avait une ouverture à faire une entente notamment, comme vous le souhaitiez, sur les bases d’une somme d’argent à titre de compensation pour la perte de votre emploi.

Comme l’employeur s’est montré totalement fermé à cette option et que l’analyse de votre dossier ne nous laisse entrevoir aucune chance de réussite en lien avec votre grief, nous procéderons dès maintenant à son retrait.

Nous restons disponibles pour répondre à vos questions.

[65]        Lorsqu'elle reçoit la lettre du syndicat l'informant du retrait de celui-ci, elle est extrêmement déçue. Elle se dit que finalement, le harcèlement psychologique qu'elle estime avoir subi est intrinsèquement lié à sa fin d'emploi. Elle consulte un avocat et envoie une mise en demeure au syndicat pour qu'il maintienne les griefs actifs. Le 23 avril 2014, le syndicat envoie un avis de désistement du grief concernant le retrait de la liste de priorité d’embauche et le congédiement.

[66]        Le 9 juin 2014, la demanderesse  dépose les présentes plaintes.

LES MOTIFS ET LE DISPOSITIF

le droit

[67]        Au moment du dépôt de la plainte, les articles 47.2 et 47.3 du Code se lisaient comme suit :

47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.

47.3. Si un salarié qui a subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, ou qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique, selon les articles 81.18 à 81.20 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1), croit que l'association accréditée contrevient à cette occasion à l'article 47.2, il doit, dans les six mois s'il désire se prévaloir de cet article, porter plainte et demander par écrit à la Commission d'ordonner que sa réclamation soit déférée à l'arbitrage.

[68]        Ce devoir de juste représentation constitue une obligation de moyens : le syndicat doit prendre les moyens raisonnables pour parvenir au résultat souhaité par le salarié, en tenant compte des circonstances particulières de chaque cas.

[69]        Cela étant, la Cour suprême du Canada rappelle, dans la décision de principe Noël c. La Société d’énergie de la Baie James [5] (l’arrêt Noël), que l’intensité de cette obligation est plus grande lorsque le comportement en cause concerne l’abandon ou l’échec d’un grief de congédiement, et ce, compte tenu des conséquences sérieuses pour le salarié. Elle écrit :

53        L’importance du grief pour le salarié est l’un de ces facteurs.  Indéniablement, l’abandon ou l’échec d’un grief de congédiement aura des effets plus sérieux pour le salarié qu’un débat sur une date de congé ou sur les modalités d’indemnisation d’une période de temps supplémentaire. On impose une intensité plus grande à l’obligation du syndicat dans pareil cas. Ainsi, dans l’affaire Haley et l’Association canadienne des employés du transport aérien (1981), 41 di 311, p. 316, le Conseil canadien des relations de travail avait souligné que les griefs de congédiement provoqueraient un examen plus serré du devoir de juste représentation, sans toutefois que les salariés possèdent un droit absolu à ce que la procédure de grief soit entamée ou portée à son terme dans ce type de dossier. (Voir sur la question Guilde de la marine marchande, précitée, p. 527; Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330, p. 1352, le juge L’Heureux-Dubé.)

(soulignement ajouté)

[70]        De même, lorsque les reproches portent sur la décision d’un syndicat de ne pas porter un grief à l’arbitrage, les principes applicables sont ceux expliqués par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon [6]:

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief:

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d'agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d'une unité de négociation comporte en contrepartie l'obligation de la part du syndicat d'une juste représentation de tous les salariés compris dans l'unité.

2. Lorsque, comme en l'espèce et comme c'est généralement le cas, le droit de porter un grief à l'arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n'a pas un droit absolu à l'arbitrage et le syndicat jouit d'une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l'importance du grief et des conséquences pour le salarié, d'une part, et des intérêts légitimes du syndicat d'autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[71]        Par ailleurs, il revient au salarié qui invoque un manquement à l’obligation de juste représentation de son syndicat, d’en faire la preuve prépondérante.

Application des principes

[72]        Dans la présente affaire, le Tribunal doit examiner si, dans les six mois précédant le dépôt des plaintes à l’étude, la preuve démontre que le syndicat a contrevenu à son devoir de juste représentation. Ainsi, il faut limiter cet examen aux fautes reprochées qui seraient survenues entre les 9 décembre 2013 et 9 juin 2014.

[73]        Par conséquent, il y a lieu d’écarter d’emblée le reproche voulant que le syndicat ait omis de déposer un grief de harcèlement psychologique en janvier 2012. Il est beaucoup trop tard pour s’en plaindre en juin 2014. Dans sa plaidoirie, la demanderesse a fait valoir qu’elle se trouvait dans l’impossibilité absolue d’agir en raison de son état psychologique jusqu’en janvier 2013. Cette prétention n’est aucunement supportée par la preuve.

[74]        Demeurent les reproches ayant trait au traitement et au retrait des deux griefs. Selon la demanderesse, le syndicat a négligé de faire une enquête diligente, complète et sérieuse sur ses réclamations et a conclu erronément que les griefs visant celles-ci n’avaient pas ou trop peu de chance de succès. Qu’en est-il?

[75]        La preuve indique que le syndicat a déposé les griefs lorsque la demanderesse le lui a demandé, pour protéger ses droits. Toutefois, ce n’est que l’année suivante qu’il commence véritablement son enquête, lorsque cette dernière s’inquiète de manquer une autre séance d’affectation annuelle. Cette manière de faire peut être discutable. Cependant, il y a un grand pas à franchir pour conclure que cela constitue de la négligence grave ou de l’arbitraire au sens de l’article 47.2 du Code.

[76]        En ce qui concerne l’enquête, la preuve indique que madame Charest a multiplié les communications avec la demanderesse et ses collègues de travail. Elle a demandé des précisions à plusieurs reprises et a tenté de trouver des témoignages qui leur seraient favorables. Elle a soigneusement noté l’information obtenue, au fur et à mesure. Bref, elle a enquêté avec sérieux.

[77]        Puis, le syndicat a pris la décision de retirer en premier lieu le grief de harcèlement psychologique, et ce, après avoir entendu les recommandations de madame Charest et les représentations de la demanderesse. La preuve indique toutefois que le syndicat ne tient pas compte du rapport de monsieur Guillemette lorsqu’il prend cette décision. Ce faisant, commet-il une faute constituant un manquement à son devoir de juste représentation? Le Tribunal ne le croit pas. Rappelons que ce rapport porte sur les relations du travail à l’école Notre-Dame. Or, en l’espèce, le syndicat ne retire pas ce grief parce qu’il conclut à l’impossibilité de prouver du harcèlement psychologique survenu à cette école, mais bien parce qu’il estime que l’employeur a pris les moyens pour le faire cesser.

[78]        Cela étant, la preuve non contestée démontre sans équivoque que le syndicat s’est mal dirigé en droit pour évaluer les chances de succès du grief contestant la fin d’emploi de la demanderesse. Cette erreur a été déterminante dans sa décision de retirer ce grief.

[79]        En effet, bien qu’il réfère dans ce grief et dans sa correspondance à la notion de cause juste et suffisante de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[7] (la LNT), le syndicat n’a considéré que le critère de la décision arbitraire, déraisonnable et prise de mauvaise selon les articles 6 et 7 du Code civil du Québec (le Code civil) pour analyser le dossier et prendre sa décision.

[80]        Or, la preuve indique que la demanderesse justifie de deux ans de service continu au moment où survient sa fin d’emploi, le 4 juillet 2012. Son lien d’emploi existe depuis plusieurs années, parce qu’elle est toujours inscrite sur la liste de priorité d’embauche de l’employeur, avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent. Qui plus est, ses affectations se succèdent d’une année à l’autre, n’étant interrompues que par les vacances estivales, son congé de maternité en 2010-2011, puis par un congé de maladie en janvier et février 2012.

[81]        Les décisions soumises par le syndicat au soutien de sa conclusion que ce grief a peu de chance de succès reprennent pour l’essentiel les principes invoqués dans la lettre du 9 décembre 2013 de madame Charest, c’est-à-dire qu’elles se basent sur les articles 6 et 7 du Code civil.

[82]        Or, plusieurs de ces décisions ont été rendues avant l’arrêt de principe de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec[8] (l’arrêt SCFP). Cet arrêt porte sur le droit de salariés justifiant d’au moins deux ans de service continu de bénéficier de la procédure de grief pour contester leur congédiement. Écrivant au nom de la majorité, le juge Lebel rappelle le principe énoncé par la Cour d’appel dans l’arrêt Produits Pétro-Canada inc. c. Moalli [9] selon lequel l’article 124 de la LNT présente une dualité normative. Autrement dit, il ne se limite pas à créer un recours, mais comporte « aussi une norme substantielle du travail interdisant le congédiement ou la cessation d’emploi d’un salarié, en l’absence de cause juste et suffisante, pourvu que celui-ci ait complété la durée de service requise. » Cette norme, d’ordre public, restreint le pouvoir discrétionnaire d’un employeur de congédier ses employés.

[83]        De plus, comme toute loi d’ordre public, l’arbitre de grief doit « impérativement en tenir compte dans l’exécution de son mandat » (paragr. 13). À ce sujet, toujours dans l’arrêt SCFP, le juge Lebel écrit :

[40] L’article 93 confère expressément à la L.n.t. son caractère d’ordre public. Il édicte :

93.  Sous réserve d’une dérogation permise par la présente loi, les normes du travail contenues dans la présente loi et les règlements sont d’ordre public.

Une disposition d’une convention ou d’un décret qui déroge à une norme du travail est nulle de nullité absolue.

En vertu de cet article, on peut déroger à la L.n.t. uniquement si l’une de ses dispositions le permet ou si, comme le prévoit l’art. 94 L.n.t., les parties à un contrat de travail ou à une convention collective négocient des conditions plus avantageuses pour les salariés. Autrement, toute disposition privant un salarié des conditions minimales de travail que prévoit la L.n.t. est nulle de nullité absolue (Isidore Garon, par. 112).

[41] Interprété de façon étroite, le caractère d’ordre public de la L.n.t. signifierait uniquement que les parties ne peuvent convenir de supprimer le recours que l’art. 124 L.n.t. offre aux salariés. Une telle interprétation paraît trop restreinte. Ce caractère d’ordre public attribué par le législateur à cette disposition interdit et prive de tout effet les stipulations d’une convention individuelle ou collective qui empêchent un salarié justifiant de deux ans de service continu de contester un congédiement décidé par un employeur sans cause juste et suffisante. La convention subsiste, mais ses dispositions incompatibles avec la norme minimale sont privées d’effet. Elles sont réputées non écrites, ainsi que le prévoient les art. 62 et 64 C.t., et la convention doit être examinée, interprétée et appliquée en conséquence. En d’autres termes, la loi restreint pour autant la liberté contractuelle des parties, en privant d’effet toute stipulation incompatible avec les normes d’ordre public qu’elles ont incluse dans l’entente ou en les obligeant à adopter des conditions de travail à tout le moins aussi avantageuses pour les salariés que celles prévues à la L.n.t. L’ordre public législatif produit donc ses effets sur le contenu même du contrat de travail ou de la convention collective, et non uniquement sur son encadrement juridique.

[42] […] Le caractère impératif de la norme signifie plutôt que toute disposition conventionnelle incompatible avec l’interdiction du congédiement sans cause juste et suffisante d’un salarié justifiant de deux ans de service continu est réputée non écrite, ce qui modifie le contenu de la convention collective. Le reste du contrat ou de la convention, quant à lui, survit à l’invalidation de la clause (art. 62 et 64 C.t. et art. 1438 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64). C’est à la lumière de ces modifications qu’il faut alors examiner la convention collective modifiée par l’effet d’ordre public de la loi pour déterminer si elle permet au salarié de contester son renvoi devant l’arbitre de griefs.

[43] Pour décider s’il existe un recours équivalent au sens de l’art. 124 L.n.t., on doit alors examiner si le contenu modifié de la convention collective accorde des droits  et recours équivalents à ceux que la L.n.t. accorde pour contrôler et sanctionner le congédiement sans cause juste et suffisante des salariés justifiant de deux ans de service continu. Ce n’est que si la convention n’accorde pas de tels recours que le salarié devra se pourvoir devant la C.R.T.

[44] […] Conformément à ces principes, il revient à l’arbitre de griefs désigné par les parties, une fois saisi du grief contre le congédiement, de déterminer, à la lumière des modifications apportées à la convention par l’effet d’ordre public imposé par la L.n.t., si cette convention lui permet, le cas échéant, d’accorder au salarié congédié une mesure de réparation équivalente à celle qu’offre l’art. 124 L.n.t. Une conclusion négative à cette question entraînerait le constat de son absence de compétence et son dessaisissement en faveur de la C.R.T.

(soulignement ajouté)

[84]        Dans le cas présent, un constat s'impose : vu la preuve indiquant que la demanderesse justifie plus de deux ans de service continu, ce que ne conteste d’ailleurs pas le syndicat, elle bénéficie de la dualité normative prévue à l’article 124 de la LNT.

[85]        Même s’il revient ultimement à l’arbitre de griefs de déterminer si la convention collective lui permet d’appliquer la norme de l’article 124 de la LNT, comme l’enseigne l’arrêt SCFP, le syndicat devait référer au fardeau de preuve afférent à cette norme pour évaluer les chances de succès de contester le congédiement de la demanderesse. Or, la preuve indique qu’il ne l’a pas fait.

[86]        Même si le grief réfère expressément à l’article 124 de la LNT, le syndicat a limité son examen du dossier au seul fardeau exigé pour établir une violation des articles 6 et 7 du Code civil. Il a donc considéré seulement avoir le fardeau de prouver que la décision de congédier la demanderesse était arbitraire, déraisonnable et prise de mauvaise foi, alors qu’il revenait à l’employeur de prouver une cause juste et suffisante selon l’article 124 de la LNT. Dans le contexte d’un congédiement administratif, ce fardeau de preuve est exigeant pour l’employeur, lequel ne doit pas simplement établir l’existence de lacunes, mais doit aussi satisfaire plusieurs exigences avant de pouvoir congédier un salarié [10].

[87]        En omettant de diriger correctement son analyse, le syndicat a commis une grave erreur qui l’a mené à prendre une décision lourde de conséquences pour la demanderesse, la privant du bénéfice de la norme d’ordre public prévue à cet article sans analyse véritable.

[88]        Rappelons que le grief en question conteste le congédiement de la demanderesse. Les conséquences pour celle-ci sont sérieuses. Pour paraphraser l’arrêt Noël, l’obligation de juste représentation du syndicat à cet égard est d’une intensité plus grande.

[89]        En retirant le grief contestant le congédiement de la demanderesse, le syndicat a commis une erreur majeure qui constitue, dans les circonstances, un manquement à cette obligation.

LES MESURES DE RÉPARATION

[90]        La demanderesse demande au Tribunal de l’autoriser à soumettre sa réclamation visant à la réintégrer dans son emploi avec pleine compensation, à un arbitre nommé par le ministre du Travail, à être représenté à cet arbitrage par le procureur de son choix, aux frais du syndicat, ainsi qu’à ordonner au syndicat de lui rembourser tous les frais encourus pour exercer les présentes plaintes. Ces mesures sont appropriées dans les circonstances.

[91]        Par ailleurs, même si le Tribunal rejette une de ses deux plaintes, il n’y a pas lieu de distinguer les frais afférents à la présentation de l’une ou de l’autre. Les deux concernent le même continuum de faits. La jurisprudence favorise une interprétation large et libérale des articles 47.2 à 47.5 du Code[11]. Ils permettent au Tribunal d’ordonner le remboursement des frais encourus pour exercer un recours comme en l’espèce, puisqu’ils sont le résultat direct du manquement du syndicat à son obligation de juste représentation.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE                      la plainte CM-2014-4020;

ACCUEILLE                 la plainte CM-2014-3808;

AUTORISE                   Marie-France Vachon-Rhéaume à soumettre sa réclamation  visant à la réintégrer dans son emploi avec pleine compensation, à un arbitre nommé par le ministre du Travail, aux frais du Syndicat de Champlain (CSQ), pour décision selon la convention collective comme s’il s’agissait d’un grief;

AUTORISE                    Marie-France Vachon-Rhéaume à se faire représenter à cette fin par le procureur de son choix, aux frais de Syndicat de Champlain (CSQ);

ORDONNE                    à Syndicat de Champlain (CSQ) de rembourser à Marie-France Vachon-Rhéaume, sur présentation d'un état de compte et, le cas échéant, des pièces à l'appui, les honoraires et frais raisonnables engagés pour la présentation de cette réclamation devant l'arbitre;

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer le montant des honoraires et des frais engagés pour la présentation de cette réclamation;

ORDONNE                    au Syndicat de Champlain (CSQ) de rembourser à Marie-France Vachon-Rhéaume, sur présentation d’un état de compte et, le cas échéant, des pièces à l’appui, les honoraires et frais raisonnables engagés pour l’exercice des présentes plaintes;

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer le montant des honoraires et des frais engagés Marie-France Vachon-Rhéaume pour l’exercice des présentes plaintes.

 

 

__________________________________

 

Mylène Alder

 

Me Éric Allaire

 

ALLAIRE LEDUC, AVOCATS

 

Pour la partie demanderesse

 

 

 

Me Marie-Claude St-Amant

 

MELANÇON, MARCEAU, GRENIER ET SCIORTINO, S.E.N.C.

 

Pour la partie défenderesse

 

 

 

Me Jean-Claude Girard

 

MORENCY, SOCIÉTÉ D'AVOCATS, S.E.N.C.R.L.

 

Pour la partie mise en cause

 

 

 

Date de la dernière audience :

21 octobre 2015

 

 

/dk



[1]          RLRQ, c. C-27.

[2]          CM-2014-3808.

[3]          CM-2014-4020.

[4]          RLRQ, c. T-15.1.

[5]          2001 CSC 39.

[6]          [1984] 1 R.C.S. 509, p. 527.

[7]          RLRQ. c. N-1.1.

[8]          2010 CSC 28.

[9]          [1987] R.J.Q. 261.

[10]         Voir, entre autres, la décision Laplante c. Costco Wholesale Canada Ltd., 2003 QCCRT 0543,      confirmée par la Cour d’appel en 2005 (AZ-50332970).

[11]          Boudreault c. Syndicat des salariées et salariés de l'entrepôt Bertrand, distributeur en      alimentation inc. Chicoutimi (CSN), 2011 QCCA 1495; Métallurgistes unis d’Amérique local 9414        c. Castonguay, 2007 QCCA 1766; Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990]            1 R.C.S. 1330.

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