Décision

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Gabarit EDJ

Adoption — 13315

2013 QCCQ 15730

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

District de [...]

 

 

    JJ0296

 
 COUR DU QUÉBEC

CHAMBRE DE LA JEUNESSE

 

N° :

525-43-006502-120

N° :

525-43-006500-124

 

 

 

DATE :

  16 décembre 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE ANN-MARIE JONES, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

A

              Requérante

- et -

 

Né le [...] 1993                       

 

B

C 

 

- et -

 

Y

Né le [...] 1995

 

D

E

                        Mis en cause

- et -

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

- et -

 

Directrice de la protection de la jeunesse des

Centres de la jeunesse A

 

             Intervenants

 

JUGEMENT

 

MISE EN GARDE : En matière d'adoption, aucune information permettant d'identifier un enfant, ses parents, son tuteur ou  les  adoptants ne peut être publiée ou diffusée. [ Article 815.4 Code de procédure civile du Québec et article 582 du Code civil du Québec ]

 

[1]   Le Tribunal est saisi de deux requêtes en adoption de personnes majeures présentées en vertu de l'article 545 du Code civil du Québec.

[2]   X est né le [...] 1993 à Ville A, à St-Vincent-et-les-Grenadines. Il est le fils de B et de C. La requête en adoption d'une personne majeure le concernant a été déposée le 12 octobre 2012.

[3]   Y est né le [...] 1995 à Ville A, à St-Vincent-et-les-Grenadines. Il est le fils de D et de E. Une requête pour ordonnance de placement le concernant a été déposée le 12 octobre 2012. Lors de l'audience du 25 mars 2013, la requête a été amendée pour une requête en adoption d'une personne majeure.

LES FAITS

[4]   La requérante, A, est la tante des deux personnes majeures. Elle a obtenu sa citoyenneté canadienne en 2004 et elle est domiciliée au Québec.

[5]   Les deux personnes majeures sont cousins. De leur naissance jusqu'à leur arrivée au Canada, le 23 juillet 2009, elles ont vécu à St-Vincent-et-les-Grenadines avec leurs grands-parents, F et G, lesquels ont agi à leur égard comme parents.

[6]   D’autres personnes habitaient au domicile des grands-parents, notamment la fille de la requérante. La mère de Y, E, y a également habité lorsque celui-ci était en bas âge. X et Y disent qu'ils n'ont développé aucune relation avec leurs parents et qu'ils ne se souviennent pas de la dernière fois qu'ils leur ont parlé.

[7]   La requérante a aidé à subvenir aux besoins de ses neveux en envoyant à ses parents des vêtements, des denrées et de l'argent. Elle a vu ses neveux à une occasion avant leur arrivée au Canada, lorsqu'elle a visité ses parents à St-Vincent-et-les-Grenadines  

[8]   Les personnes majeures sont arrivées à l'aéroport A de Ville B le 23 juillet 2009. À cette époque, aucun visa n’était nécessaire pour les citoyens de St - Vincent-et-les-Grenadines voulant voyager au Canada; toutefois, ils devaient avoir un billet d'avion aller-retour. X et Y, qui étaient alors âgés respectivement de 15 et 14 ans, voyageaient seuls. Ils avaient chacun un billet aller-retour et une lettre de leurs parents les autorisant à visiter leur tante au Canada. À titre de visiteurs, ils avaient le droit de demeurer au Canada pour une période de six mois, soit jusqu'au 23 janvier 2010.

[9]   La requérante témoigne qu'elle a fait venir ses deux neveux au Canada, car ses parents étaient âgés et que sa mère était malade. Un mois après leur arrivée, elle a pris la décision d’essayer de les garder auprès d’elle. Quelques mois plus tard, elle a consulté un avocat en vue d’entreprendre des démarches pour que ses neveux puissent demeurer au Canada.

[10]    Le 25 avril 2010, les parents de X et les parents de Y ont signé des consentements à ce qu'ils soient adoptés par leur tante, A.

[11]    La requérante n'a entrepris aucune démarche auprès de Citoyenneté et Immigration Canada ou de Immigration et communautés culturelles du Québec concernant ses neveux depuis leur arrivée au Canada en juillet 2009.

[12]    En 2012, Y, a présenté une requête en émancipation simple devant la Cour supérieure, laquelle fut accordée le 20 novembre 2012. Copie de la requête et du jugement ont été déposés dans son dossier comme pièce R-8[1].

[13]    Les personnes majeures habitent avec la requérante depuis leur arrivée au Canada. Cependant, n’ayant pas de statut de résidents permanents au Canada, ils n’ont ni carte d’assurance maladie ni carte d’assurance sociale et n’ont jamais été inscrits à l’école. Leur scolarisation s'est limitée à suivre des cours de français, d'anglais et de mathématiques, du lundi au vendredi de 18 heures à 20 heures, à l'Association A.

[14]    Les personnes majeures consentent à être adoptées par la requérante et déclarent vouloir s'établir de façon permanente au Canada.

Position des parties

[15]    La requérante soutient qu'elle a servi de parent aux personnes majeures pendant leur minorité et qu'elle a subvenu à leurs besoins matériels et financiers avant leur arrivée au Canada. Les personnes majeures habitent avec elle depuis leur arrivée à Ville C, dans le cas de X depuis qu’il a 15 ans et dans le cas de Y depuis qu’il a 14 ans. Elle a développé avec chacun d'eux une véritable relation mère fils et l'adoption ne ferait que confirmer une situation de fait.

[16]    Le procureur de la requérante soumet qu'il est dans l’intérêt des personnes majeures d'être adoptées par leur tante puisqu’elles n’ont pas de relations avec leurs parents et que leurs grands-parents ne sont plus en mesure de s’occuper d’eux.

[17]    Le procureur de la requérante plaide que les personnes majeures ont élu domicile au Québec, conformément aux articles 75 à 80 du Code civil du Québec. Les personnes majeures résident au Québec depuis 2009 et ont l’intention d’en faire leur principal établissement. Le procureur de la requérante s'appuie, entre autres, sur le jugement de la Cour supérieure accordant l'émancipation simple de Y. Il dépose également un jugement de la Cour du Québec, ayant accueilli l'adoption d'une personne majeure qui n'avait pas de statut de résident permanent au Canada[2]

[18]    Le Procureur général du Québec demande au Tribunal de rejeter les requêtes. Sa procureure plaide qu'il faut déterminer à quel moment les procédures d'adoption ont réellement débuté. Elle soumet que les démarches d'adoption ont été commencées en avril 2010 lorsque les parents de X et les parents de Y ont signé les consentements en vue de leur adoption. X et Y étaient alors tous deux mineurs et il est clair que leur domicile était à St-Vincent-et-les-Grenadines et que les règles d’adoption internationale trouvaient application. Or, la loi de St-Vincent-et-les-Grenadines en matière d’adoption ne concerne que les mineurs, définit comme étant des enfants de moins de 18 ans.

[19]    Le Procureur général soutient également que les personnes majeures ne sont pas domiciliées au Québec. Une personne ne peut pas élire domicile au Québec lorsqu'il n'a pas de statut au Canada. L’article 78 du Code civil du Québec ne peut pas être interprété sans tenir compte des règles en matière d’immigration. En l'espèce, les personnes majeures n’ont pas respecté la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), c. C-29, ni la Loi sur l’immigration au Québec, L.R.Q. c. I-0.2, qui prévoit qu’un ressortissant étranger désirant s’établir à titre permanent au Québec doit présenter une demande de certificat de sélection au ministre de l’Immigration et des communautés culturelles.

[20]    Par voie de conséquence, la requérante et les personnes majeures ne peuvent pas procéder par le biais d’adoptions internes québécoises. Quant à des adoptions internationales, elles n'en satisfont pas les critères.

[21]    Sur la question à savoir, si la requérante a servi de parent aux personnes majeures pendant leur minorité, le Procureur général du Québec a indiqué s'en remettre à la justice.

[22]    La Directrice de la protection de la jeunesse est intervenue au moment du dépôt de la requête pour ordonnance de placement dans le cas de Y, puisque celui-ci était alors mineur. La Directrice de la protection de la jeunesse avance que le domicile des personnes majeures n’est pas au Québec, mais bien à St-Vincent-et-les-Grenadines et fait siens les arguments du Procureur général sur ce point.

[23]    De plus, l'avocate de la Directrice de la protection de la jeunesse plaide qu'une personne ne peut pas faire indirectement ce qu'elle n’a pas le droit de faire directement. Dans le cas présent, la requérante et les personnes majeures tentent de contourner les lois sur l’immigration pour permettre aux personnes majeures de demeurer au Canada. Le Tribunal doit tenir compte de l’ensemble des lois.

[24]    Finalement, elle soutient que les personnes majeures n’ont pas créé de liens significatifs avec la requérante pendant leur minorité.

Questions en litige

[25]    Le Tribunal doit déterminer s'il s'agit en l'espèce d'adoptions internes québécoises. Pour répondre à cette question, le Tribunal doit déterminer si les personnes majeures sont domiciliées au Québec.

[26]    Si oui, la requérante a-t-elle agi comme parent à l'égard des personnes majeures pendant leur minorité?

ANALYSE

Le statut d'immigration des personnes majeures

[27]    Examinons tout d'abord le statut des personnes majeures au moment de leur entrée au Canada le 23 juillet 2009. Il faut se rappeler que l'immigration est une juridiction partagée entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec.

[28]    Lors de leur entrée, les personnes majeures étaient des visiteurs au sens des articles 191 et 192 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), DORS/2002-227, qui stipulent : 

 La catégorie des visiteurs est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents temporaires.

 Est un visiteur et appartient à la catégorie des visiteurs l’étranger autorisé à entrer au Canada et à y séjourner à ce titre.

Les visiteurs sont assujettis aux conditions prévues à la partie 9.

(Nos soulignements)

[29]    L'autorisation de séjour est émise par l'agent d'immigration au moment de l'entrée de la personne au Canada. L'agent doit être convaincu que le demandeur n'a pas l'intention de demeurer au Canada au terme de la période de séjour.

[30]    Ainsi, une des conditions prévues à l'article 179 de la partie 9, mentionnée à l'article 193, est que le visiteur doit avoir une date de retour prévue vers son pays d'origine. D'où l'exigence pour les visiteurs d'avoir en leur possession un billet d'avion aller-retour.

 

 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

bil quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

e) il n’est pas interdit de territoire;

f) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3).[3]

(Nos soulignements)

[31]    De plus, l'article 183(1)a) est clair quant à l'obligation pour le visiteur étranger de quitter le Canada à la fin de la période de séjour octroyée :

 (1) Sous réserve de l’article 185, les conditions ci-après sont imposées à tout résident temporaire :

ail doit quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée;

(Nos soulignements)

[32]    De même, les articles 20(1)b) et 29(1) et (2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, édictent clairement que la personne qui obtient un permis de séjour temporaire est dans l'obligation de quitter le pays à l'expiration de la période autorisée:

 (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

[…]

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visas ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 (1) Le résident temporaire a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’autorisation d’entrer au Canada et d’y séjourner à titre temporaire comme visiteur ou titulaire d’un permis de séjour temporaire.

(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

(Nos soulignements)

[33]    Toutefois, il est possible pour le visiteur temporaire de demander le prolongement de son séjour, s'il respecte les deux exigences suivantes : celle de présenter sa demande durant sa période de séjour et celle de remplir les conditions de l'article 179 du Règlement cité précédemment :

 (1) L’étranger peut demander la prolongation de son autorisation de séjourner à titre de résident temporaire si, à la fois :

a) il en fait la demande à l’intérieur de sa période de séjour autorisée;

b) il s’est conformé aux conditions qui lui ont été imposées à son entrée au Canada.

(2) L’agent prolonge l’autorisation de séjourner à titre de résident temporaire de l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, celui-ci satisfait toujours aux exigences prévues à l’article 179.

(Nos soulignements)

[34]    Si le visiteur temporaire fait défaut de respecter le délai prescrit, il bénéficie d'un délai de grâce de 90 jours pour demander que soit rétabli son statut de résident temporaire en vertu de l'article 182 du Règlement.

[35]    En l'instance, à l'expiration de la période de six mois qui leur était octroyée, soit le 23 janvier 2010, les personnes majeures ont fait défaut de soumettre une demande de prolongation de séjour, perdant par le fait même leur statut de résident temporaire au Canada. 

[36]    Dès lors, elles étaient sujettes à une mesure de renvoi par les autorités fédérales.

[37]    En effet, lorsque la personne ne soumet pas une demande de prorogation de séjour et prolonge indûment son séjour au Canada sans en aviser les autorités d'immigration, la section sur les mesures de renvoi du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), DORS/2002-227 trouve application et plus particulièrement l'article 228(1)c) (iv), qui édicte :

228.  (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci-après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

[…]

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

[…]

iv) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, l’exclusion, […]

(Nos soulignements)

[38]    L'autorisation de séjour des visiteurs étrangers se voulant temporaire, au sens de l'article 29 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la seule possibilité pour une personne de demeurer au Canada au-delà des délais prescrits est de respecter les conditions prévues au Règlement ou de se qualifier comme réfugié ou personne à protéger.

[39]    Dans les cas sous étude, étant donné le défaut des personnes majeures de se conformer aux exigences de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), DORS/2002-227, elles ont perdu leur statut de résident temporaire au pays. Elles n'ont donc légalement plus le droit de rester ou d'entrer au Canada.

[40]    En outre, les personnes majeures déclarent qu'elles veulent s'établir de façon permanente au Québec. Toutefois, elles ont fait défaut de respecter la législation provinciale.

[41]    En effet, en vertu de l'article 3.1 de la Loi sur l'immigration du Québec, L.R.Q., ch. I-0.2, un ressortissant étranger qui veut s'établir au Québec doit présenter une demande de certificat de sélection au Ministre de l'Immigration et des communautés culturelles du Québec. Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :

2. Dans la présente loi, on entend par «ressortissant étranger» une personne qui n'est ni citoyen canadien, ni résident permanent au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (Lois du Canada, 2001, chapitre 27) et des règlements adoptés sous son autorité et qui s'établit temporairement au Québec à un titre autre que celui de représentant d'un gouvernement étranger ou de fonctionnaire international.

3.1. Un ressortissant étranger désirant s'établir à titre permanent au Québec doit, sauf pour les catégories ou dans les cas prévus par règlement, présenter une demande de certificat de sélection au ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles conformément à la procédure visée au paragraphe f de l'article 3.3.

Le ministre examine la demande en tenant compte du plan annuel d'immigration et de l'ordre des priorités fixé par règlement.

Le ministre délivre un certificat de sélection au ressortissant étranger qui satisfait aux conditions et critères de sélection déterminés par règlement.

[…]

Malgré le troisième ou le quatrième alinéa, le ministre peut, conformément au règlement, délivrer un certificat de sélection à un ressortissant étranger qui est dans une situation particulière de détresse, notamment dans le cas de réfugiés au sens de la Convention, tels que définis dans la Loi sur l'immigration (Lois révisées du Canada (1985), chapitre I-2), ou dans tout autre cas où le ministre juge que le résultat obtenu, à la suite de l'application des critères de sélection, ne reflète pas les possibilités de ce ressortissant étranger de s'établir avec succès au Québec. À l'inverse, le ministre peut refuser de délivrer un tel certificat à celui qui satisfait aux conditions et critères de sélection s'il a des motifs raisonnables de croire que le ressortissant étranger n'a pas l'intention de s'établir au Québec, n'a que peu de possibilités de s'y établir avec succès ou dont l'établissement irait à l'encontre de l'intérêt public. 

Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers, RRQ, c I-0.2, r 4, art 19. (loi)

[…]

l)  «résidant du Québec»: tout citoyen canadien ou résident permanent au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui est domicilié au Québec;

[…]

3. Tout ressortissant étranger désirant s'établir à titre permanent au Québec doit être titulaire d'un certificat de sélection délivré par le ministre en vertu de l'article 3.1 de la Loi.

La demande est présentée sur le formulaire fourni par le ministre.

[42]    Qui plus est, le ressortissant étranger doit faire sa demande de certificat de sélection alors qu'il se trouve dans son pays d'origine, conformément à l'article 5 du Règlement, qui se lit comme suit :

5.  Un ressortissant étranger de la catégorie de l'immigration économique doit présenter sa demande de certificat de sélection au bureau d'immigration du Québec qui dessert:

a)  le pays dont il a la nationalité, le statut de résident permanent ou le droit d'asile;

b)  le pays dans lequel il réside si, à la date du dépôt de la demande, il y a été légalement admis pour une période d'au moins 1 an pour un séjour temporaire d'études ou de travail, il y fait de l'étude ou du travail sa principale activité et il y séjourne légalement;

c)  s'il est apatride, le pays dans lequel il a sa résidence habituelle, s'il y a été légalement admis.

[43]    Or, la requérante reconnaît qu'aucune demande de certificat de sélection n'a été présentée au Ministre de l'Immigration et des communautés culturelles du Québec concernant les personnes majeures.

La notion de domicile en droit civil

[44]    La requérante et les personnes majeures déclarent que ces dernières ont choisi de s'établir au Québec, qui serait devenu avec l'écoulement du temps leur domicile.

[45]    Les articles du Code civil du Québec référant à la notion de résidence et de domicile sont les suivants :

75. Le domicile d'une personne, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu de son principal établissement.

76. Le changement de domicile s'opère par le fait d'établir sa résidence dans un autre lieu, avec l'intention d'en faire son principal établissement.

La preuve de l'intention résulte des déclarations de la personne et des circonstances.

77. La résidence d'une personne est le lieu où elle demeure de façon habituelle; en cas de pluralité de résidences, on considère, pour l'établissement du domicile, celle qui a le caractère principal.

78. La personne dont on ne peut établir le domicile avec certitude est réputée domiciliée au lieu de sa résidence.

À défaut de résidence, elle est réputée domiciliée au lieu où elle se trouve ou, s'il est inconnu, au lieu de son dernier domicile connu.

[…]

80. Le mineur non émancipé a son domicile chez son tuteur.

Lorsque les père et mère exercent la tutelle mais n'ont pas de domicile commun, le mineur est présumé domicilié chez celui de ses parents avec lequel il réside habituellement, à moins que le tribunal n'ait autrement fixé le domicile de l'enfant.

 [Nos soulignements]

[46]        En l'espèce, les parties reconnaissent que le domicile des personnes majeures lors de leur arrivée au Canada le 23 juillet 2009 était à St-Vincent-et-les-Grenadines.

[47]        Or, une fois son domicile établi, le fardeau repose sur la personne pour démontrer qu'elle a changé de domicile et qu'elle est domiciliée au Québec. Ici, comme nous nous retrouvons devant deux personnes majeures, leur domicile n'est pas nécessairement celui de leurs parents.

[48]    Les auteurs Goubau et Deleury traitent de la question du domicile et de la résidence dans le volume Le droit de la personne physique [4] en ces termes :

La notion de résidence fait appel à un critère factuel. Elle se distingue également de la notion d'habitation en ce qu'elle implique une certaine stabilité. L'habitation désignant plutôt un lieu de séjour bref (par exemple, une chambre d'hôtel) ou occasionnel (location d'un chalet, d'une villa, pour une période temporaire).

 

[…]

 

La résidence se présente donc comme un pur fait alors que le domicile, notion abstraite, est un lien de droit. La jurisprudence rappelle régulièrement que la notion de résidence est essentiellement une question de fait.

[49]        Les auteurs traitent également de la question du domicile légal[5] d'une personne.  Le  domicile légal est déterminé par la loi, sans référence à la volonté de l'individu. Ainsi, une personne commence sa vie dans un domicile d'origine qu'il n'a pas choisi et par la suite, en tant que mineur son domicile est celui de ses parents.

[50]    Les critères pour déterminer le domicile d'une personne en vertu des articles 75 à 78 du Code civil du Québec ont été élaborés par la jurisprudence. La Cour d'appel a prononcé un arrêt de principe en la matière dans l'affaire Pellerin c. Thérien [1997] R.J.Q. 816. La Cour apporte les précisions suivantes sur les notions de domicile et de résidence :

165. La notion de domicile est cependant une notion de droit, en raison de la présence de sa composante intentionnelle, et s'oppose ainsi à celle de résidence qui en est une de pur fait. Un individu n'a qu'un seul domicile, mais peut avoir plusieurs résidences. Le domicile est donc la localisation ou le rattachement juridique d'une personne à un endroit aux fins de l'application de certaines règles de droit.

(Nos soulignements)

[51]        Le terme « principal établissement » s'entend comme l'ensemble des éléments qui rattachent la personne à un lieu donné. Ces éléments sont, entre autres, la famille, la propriété, le travail, etc.[6] 

[52]        Or, dans les présents dossiers, rien ne rattache les personnes majeures au Québec si ce n'est le fait que leur tante y habite. Leur famille est à St-Vincent-et-les-Grenadines, ils n'ont pas de propriété ni de biens au Québec, ils n'y occupent pas un emploi et ne sont pas étudiants au Québec. Il ne reste donc que leur volonté de s'établir au Québec, ce qui n'est pas suffisant pour élire domicile.

[53]        Qui plus est, les personnes majeures ne peuvent être considérées comme résidents du Québec puisque bien qu’elles se trouvent sur le territoire, elles n’ont aucun statut et ne peuvent par conséquent y exercer leurs droits civils ou y établir le lieu de leur principal établissement.

[54]        Comme nous l'avons vu précédemment, le terme « résident du Québec» est défini dans le Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers, RRQ, c I-0.2, r 4, comme tout citoyen canadien ou résident permanent :

l)   «résidant du Québec»: tout citoyen canadien ou résident permanent au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui est domicilié au Québec;

[55]        En l'instance, les personnes majeures n'ont pas établi leur principal établissement au Québec. Raisonner autrement aurait pour effet de permettre à des ressortissants étrangers d'élire domicile au Québec sur la base de leur intention sans qu'ils respectent la législation en matière d'immigration.

[56]        En l'espèce, les personnes majeures n'ont pas de statut au Canada. En fait, si les autorités d'immigration avaient su qu'ils se trouvaient toujours au Canada, des procédures de renvoi auraient été entamées.

[57]        Les requêtes en adoption sont donc une façon de contourner les règles de parrainage et de demandes de certificat de sélection. D'ailleurs, le témoignage de la requérante établit qu'elle savait que ses neveux « résident » illégalement au Canada :

Q.  Okay. So for now, the children have no status in Canada?

A.   No.

Q.  They don't have any status since how much time?

A.   Because after the six months, their status ran out, you know...

[58]        En outre, même si le Tribunal accordait les requêtes en adoption, les personnes majeures pourraient se voir refuser la citoyenneté canadienne en vertu de l'article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, qui prévoit :

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

Cas de personnes adoptées — adultes

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était âgée de dix-huit ans ou plus, si les conditions suivantes sont remplies :

a) il existait un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté avant que celui-ci n’atteigne l’âge de dix-huit ans et au moment de l’adoption;

b) l’adoption satisfait aux conditions prévues aux alinéas (1)c) et d).

[59]        En pratique, lorsqu’un enfant adopté à l’étranger par un citoyen canadien émigre au Canada avant qu’une demande de citoyenneté n’ait été accordée en vertu de l’article 5.1(1) de la Loi, un visa de résident permanent doit avoir été délivré en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le cas échéant, un certificat de sélection du Québec attestant que le requérant répond aux exigences du Québec conformément à la Loi sur l’immigration au Québec, LRQ, c I-0.2, doit avoir été délivré par les autorités québécoises. Ce qui n'est pas le cas ici.

[60]    La requérante a témoigné que c'est quelques mois après l'arrivée de ses neveux au Québec qu'elle a décidé de faire des démarches pour qu'ils puissent demeurer de façon permanente au Canada. Or, elle devait faire une demande de parrainage pour ses neveux. Il aurait fallu pour se faire que ceux-ci retournent à St-Vincent-et-les-Grenadines et qu'une demande de parrainage soit faite dans le cadre de réunification familiale. La requérante a plutôt décidé de garder ses neveux auprès d'elle en contravention des lois en matière d'immigration.

[61]        L’article 78 du Code civil du Québec ne peut pas être interprété sans tenir compte des règles en matière d’immigration. Sur ce point, les propos du juge Pierre G. Dorion dans Droit de la famille-78 (T.J., 1983-08-02), SOQUIJ AZ- 83031195, sont toujours d’actualité :

Selon notre droit civil, le domicile de l'enfant est chez le parent qui en a la garde. Cependant, l'enfant qui n'est pas citoyenne canadienne ni non plus une immigrante reçue peut-elle avoir son domicile ici? Dans une telle situation le soussigné est d'avis que la loi fédérale sur l'Immigration a préséance sur le droit civil. Il faut satisfaire aux conditions d'admission du pays avant de pouvoir y établir son principal établissement. Le domicile de l'enfant est donc encore en    [—] il se transportera à Montréal qu'à partir du moment où l'enfant deviendra une immigrante reçue.

(Nos soulignements)

[62]        Les lois doivent être interprétées, les unes en lien avec les autres et toute personne se trouvant sur le territoire du Québec doit respecter l’ensemble des lois. Une personne ne peut pas élire domicile au Québec sans respecter les règles en matière d'immigration.

[63]        La requérante tente de contourner les règles d'immigration comme le démontre sa réponse à une question de son procureur:

Q. Can you tell the Court what was your plan for the children, after they came to Canada?

 A. My plan for them, after they came to Canada, it's to able, to get them to stay here and to be with me and have a better life in Canada.

[64]        Dans ce contexte, on ne peut pas parler d’adoptions internes québécoises et les requêtes doivent être rejetées. Par ailleurs, la requérante n'a pas respecté les conditions particulières à l'adoption d'enfants domiciliés hors du Québec que l'on retrouve aux articles 563 à 565 du Code civil du Québec.

[65]    Dans les circonstances, le Tribunal n'a pas à se prononcer sur la deuxième question, à savoir, si la requérante a servi de parent aux personnes majeures pendant leur minorité.

[66]    Toutefois, il est difficile de conclure que la requérante a veillé au meilleur intérêt de ses neveux alors qu'en les gardant auprès d'elle sans statut au Canada, elle les privait du droit à l'éducation et du droit d'occuper un emploi.

[67]    Ayant déterminé que les personnes majeures ne sont pas domiciliées au Québec, le Tribunal rejette les requêtes.

[68]    POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[69]    DÉCLARE que lors du dépôt des procédures X était domicilié hors du Québec;

[70]    REJETTE la requête en adoption d'une personne majeure concernant X;

[71]    DÉCLARE que lors du dépôt des procédures Y était domicilié hors du Québec;

[72]    REJETTE la requête en adoption d'une personne majeure concernant Y;

[73]    AUTORISE la requérante à retirer tous les originaux des pièces déposées;

[74]    LE TOUT sans frais. 

 

 

 

 

 

 

 

Ann-Marie Jones, J.C.Q.

 

AMJ/dg

 

 

Me Mark J. Gruszczynski

Procureur de la requérante

 

Me Nathalie Fiset

Procureure pour le Procureur général du Québec

 

Me Camille Champeval

Procureure pour le Directeur de la protection de la jeunesse

 

 

Dates d’audience :

14 décembre 2012, 11 janvier, 11 mars et 25 mars 2013

 

 



[1] [...], C.S. 20 novembre 2012.

[2] Dans le dossier de E. M. V. D., C.Q. [district A], 700-43-001231-088, 18 novembre 2008, j. Omer Boudreau.

[3] Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[4]  Dominique Goubau & Édith Deleury, Le droit des personnes physiques, 4e édition, Éditions Yvon Blais, p. 293-294.

[5]  Dominique Goubau & Édith Deleury, Le droit des personnes physiques, 4e édition, Éditions Yvon Blais, p.317. 

[6]  Feltrinelle c. Barzini, (C.S.), J.E. 90-1619.

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