[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Catherine La Rosa), rendu le 6 juin 2013, rejetant sa requête introductive d’instance, avec dépens.
[2] Pour les motifs de la juge Dutil, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Savard, LA COUR :
[3] accueille l’appel, avec dépens;
[4] INFIRME le jugement de première instance;
[5] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance, avec dépens;
[6] condamne l’intimée Général Électrique du Canada à payer à l’appelante 80 852,65 $ en prestations d’invalidité, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 29 juin 2010;
[7] ORDONNE à Général Électrique du Canada de verser dans le compte de retraite de l’appelante la valeur de ses droits à la retraite pendant sa période d’invalidité.
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MOTIFS DE LA JUGE DUTIL |
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[8] L’appelante a-t-elle droit de se voir reconnaître une période d’invalidité longue durée à la suite d’un accident survenu le 13 août 2008, et ce, en vertu des dispositions du contrat d’assurance collective dont elle bénéficiait chez son employeur, l’intimée Général Électrique du Canada (« GE »)?
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[9] Pour bien comprendre le litige, il est utile de résumer brièvement les faits.
[10] En août 2008, l’appelante est âgée de 41 ans. Elle est à l’emploi de GE comme journalière depuis le 12 avril 2006. Le 13 août, alors qu’elle revient du travail en fin de soirée, elle se blesse à l’épaule gauche en tentant de déplacer une remorque qui l’empêche de stationner sa voiture dans l’entrée de sa résidence. La douleur est intense et elle ne dort pas vraiment cette nuit-là. Le lendemain, elle ne peut presque plus bouger le bras gauche et décide de se rendre à l’hôpital de l’Enfant-Jésus pour une consultation à l’urgence. L’urgentologue diagnostique un claquage à l’épaule. Il lui prescrit des anti-inflammatoires et lui recommande de consulter son médecin pour la suite des traitements.
[11] L’appelante ne retourne pas au travail après son accident. Elle reçoit des prestations d’assurance invalidité pendant 26 semaines, soit du 14 août 2008 au 15 mai 2009. Par la suite, elle obtient 15 semaines de prestations d’assurance-emploi. Le 27 mai 2009, elle fait une demande de prestations d’assurance invalidité longue durée, laquelle est refusée le 19 juin 2009 par l’intimée Sun Life du Canada, compagnie d’assurance (« Sun Life »), mandatée pour administrer le régime d’assurance collective de GE.
[12] Ce refus est contesté par l’appelante et son médecin traitant, le Dr Gérard Maléza, qui fait parvenir une lettre à cet effet à la Sun Life le 7 juillet 2009. Ce dernier conclut que l’appelante est toujours invalide. Son diagnostic est le suivant : tendinite de l’épaule gauche et synovite chronique, cervicalgie gauche (C3-C4 hernie cervicale postérieure, C5-C6 discopathie dégénérative et sténose foraminale gauche modérée, C6-C7 hernie discale postéro-latérale gauche et sténose foraminale modérée à sévère gauche), dyspepsie non ulcéreuse, effets secondaires à la médication (Oxycontin, Oxy - ir, Lyrica, Imovane (baisse de vigilance)), difficulté d’adaptation à la maladie avec anxiété.
[13] La Sun Life demande pour sa part un rapport d’expertise au Dr Paul-O. Nadeau. Le 26 août 2009, ce dernier diagnostique chez l’appelante une cervicalgie d’ordre mécanique dégénérative sans atteinte neurologique, possiblement un petit tunnel carpien et une capsulite rétractile active qui nécessite traitement. Il mentionne qu’elle a des restrictions au travail en ce qui concerne son bras gauche. Elle ne peut pas non plus soulever des charges de plus de cinq livres. Au niveau cervical, il souligne qu’il y a un facteur de non-organicité, mais il ne mentionne pas lequel.
[14] Le 2 septembre 2009, à la suite de la réception du rapport du Dr Nadeau, la Sun Life maintient le refus d’accorder des prestations d’invalidité de longue durée.
[15] Le Dr Nadeau prépare un complément d’expertise le 4 février 2010, à la demande de la Sun Life. Il mentionne ceci :
Avec respect pour le docteur Maléza, médicalement parlant au point de vue orthopédique, madame n’est pas invalide et elle peut, avec les limitations que j’ai émises, refaire un travail rémunérateur et le docteur Pelet confirme les mêmes éléments qu’il n’y a pas d’accrochage et l’arthrographie confirme qu’il y a une capsulite et la physiothérapeute confirme que même les mouvements sont meilleurs, soit 100° et 110° au lieu de 90°.
Dans ce contexte, il n’est nullement contre-indiqué de faire un travail rémunérateur avec les limitations éléments émis dans mon expertise.
[16] Le 7 mai 2010, toujours à la demande de la Sun Life, Mme Erin Robertson, spécialiste en gestion de l’incapacité et employabilité, prépare un rapport pour identifier les possibilités d’emploi pour l’appelante.
[17] L’appelante intente son action le 23 juin 2010. Le 15 décembre 2010, elle subit une résonnance magnétique. La Dre Luce Cantin, radiologiste, conclut que le tableau est compatible avec un syndrome du défilé thoracique gauche. Cet examen a été requis par le Dr Rosaire Vaillancourt, chirurgien thoracique.
[18] Les 1er et 2 février 2011, l’appelante se soumet à une évaluation de ses capacités fonctionnelles réalisée par Annie Gagnon, une ergothérapeute. Cette dernière prépare un rapport daté du 14 février 2011. Elle conclut que l’appelante est incapable d’effectuer tout emploi.
[19] Le 10 mai 2011, le Dr Bernard Lacasse, orthopédiste, rencontre l’appelante aux fins de préparer un nouveau rapport d’expertise pour la Sun Life. Le 16 mai 2011, il conclut que l’appelante, qu’elle souffre ou non d’un syndrome du défilé thoracique, conserve une capacité de travail qui dépendra des limitations fonctionnelles qui pourraient lui être reconnues pour cette condition. Il est d’avis qu’elle ne peut être considérée comme inapte à tout emploi.
[20] Le 21 janvier 2012, l’appelante subit une intervention chirurgicale pour traiter le syndrome du défilé thoracique. Elle ressent immédiatement un soulagement, mais elle doit continuer à prendre de la médication dont elle devra être sevrée de façon graduelle.
[21] L’appelante retourne au travail le 18 juin 2012, dans le domaine de la restauration, à raison de quatre heures par jour aux deux jours, pour les trois premières semaines, selon les recommandations de son chirurgien thoracique, le Dr Rosaire Vaillancourt.
[22] Lors de l’audition en première instance, le 6 décembre 2012, l’appelante a amendé ses procédures. Elle réclame maintenant 80 852,65 $ à titre de prestations d’invalidité de longue durée et 50 000 $ en dommages moraux.
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[23] La juge de première instance indique d’abord les clauses de la police d’assurance qui trouvent application et fait une revue des rapports d’experts au dossier. Elle ne fait toutefois aucune mention des témoignages entendus en demande à l’audience, soit ceux de l’appelante et de l’ergothérapeute Annie Gagnon. Son analyse est contenue dans les six paragraphes qui suivent[1] :
[49] En l'espèce, le Dr Lacasse, orthopédiste, et le Dr Nadeau, spécialiste en médecine du travail, après avoir tous deux procédé à un examen objectif de la demanderesse, concluent qu’elle ne satisfait pas les exigences requises pour être qualifiée de personne invalide dans un contexte de longue durée au sens du contrat.
[50] La présence de douleurs n’est pas niée, mais pour le Dr Lacasse, il y a discordance entre l’intensité des douleurs ressenties et l’examen objectif administré.
[51] Cette preuve prépondérante ne peut être contrecarrée par l’expertise de Dr Maléza et celle de l’ergothérapeute. En effet, l’examen du Dr Maléza, médecin généraliste, repose en grande partie sur les verbalisations de la demanderesse. Il en est de même de l’ergothérapeute.
[52] Comme mentionné précédemment, même si le résultat peut paraître difficile à accepter pour la demanderesse, le Tribunal doit se baser sur la preuve la plus objective possible pour trancher la question qui lui est soumise.
[53] Dans le présent cas, les rapports des Drs Nadeau et Lacasse reposent sur des données plus objectives mesurées par des examens précis et des questions pertinentes dont certaines réponses ont démontré une incongruité entre les verbalisations de la demanderesse et la réalité de l’examen physique.
[54] Dans ce cadre, le Tribunal ne peut donner droit aux prétentions de la demanderesse. Elle n’a pas rempli son fardeau de démontrer son incapacité, dans n’importe quel contexte, « d’occuper les fonctions essentielles de tout emploi pour lequel elle satisfait au moins aux exigences minimales ».
L’ANALYSE
[24] Comme il arrive souvent dans ce type de dossier, une des difficultés, en l’espèce, est qu’il a fallu 28 mois pour que le diagnostic de syndrome du défilé thoracique soit établi, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’appelante, à la demande du Dr Rosaire Vaillancourt, chirurgien thoracique, subisse une résonnance magnétique en décembre 2010. L’intervention chirurgicale n’a eu lieu que le 21 janvier 2012 et s’est révélée le traitement approprié puisque, dès ce moment, l’appelante a senti un soulagement. Elle a pu retourner au travail cinq mois plus tard.
[25] Lorsque les indemnités d’assurance invalidité de courte durée ont pris fin, l’appelante suivait différents traitements et prenait de fortes médications pour soulager ses douleurs et tenter de récupérer ses capacités.
[…]
Définitions
Délai d’attente |
la période d’invalidité totale continue, tel que déterminé dans l’aperçu des avantages, commençant à la date où le membre devient totalement invalide et finissant à la date où le membre est admissible aux indemnités aux termes de cette clause. Durant le délai d’attente, le membre peut travailler selon un horaire modifié ou à temps partiel. Si nous approuvons cet arrangement, le paiement de l’indemnité mensuelle d’invalidité n’est pas compromis. Le délai d’attente ne sera pas prolongé par l’ajout des heures travaillées. |
[…]
Totalement invalide et invalidité totale (Toutes les autres divisions) |
durant et après le délai d’attente, une altération de la santé qui résulte d’une blessure ou d’une maladie et qui empêche le membre d’exercer, dans n’importe quel contexte, les fonctions essentielles de tout emploi pour lequel il satisfait au moins aux exigences minimales. Il faut soumettre des preuves médicales objectives à l’appui de l’altération de la santé. On détermine l’invalidité totale ou le fait d’être totalement invalide sans qu’il soit tenu compte de l’absence d’un emploi pour le membre. |
[…]
Aperçu des avantages
Invalidité de longue durée
Catégorie de membres |
Coefficient |
Indemnité mensuelle maximale |
1. Tous les employés |
60% du revenu mensuel |
— |
Délai d’attente : 26 semaines ou à la fin des prestations versées pour un congé de maladie payé, à la fin des prestations versées aux termes d’un régime de continuation du salaire, à la fin des indemnités d’invalidité de courte durée et à la fin des prestations versées aux termes de l’assurance-emploi, selon la dernière occurrence.
[27] La clause d’invalidité totale pose trois conditions pour qu’un assuré ait droit aux bénéfices du contrat :
1) le membre doit avoir subi une altération de la santé qui résulte d’une blessure ou d’une maladie;
2) l’altération à la santé doit être démontrée par des preuves médicales objectives;
3) le membre doit être incapable d’exercer les fonctions essentielles de tout emploi pour lequel il satisfait au moins aux exigences minimales.
[28] Pour déterminer les droits de l’appelante, il faut interpréter le contrat et analyser la preuve tant factuelle que d’expert. Il s’agit de questions mixtes à l’égard desquelles la Cour doit faire preuve de déférence. La Cour suprême s’est prononcée à de nombreuses reprises sur la norme d’intervention en appel, particulièrement sur des questions de fait. Dans H.L. c. Canada (Procureur général), elle écrit à ce sujet[2] :
64. Les neuf juges ont convenu [dans l’affaire Housen] qu’une cour d’appel ne doit jamais instruire l’affaire à nouveau. Ils ont également reconnu que la déférence s’impose à l’égard de toutes les conclusions de fait du juge de première instance, qu’elles s’appuient sur une preuve directe ou sur des inférences tirées de faits établis directement.
[…]
73. Il ne faut pas conclure de ces passages des motifs majoritaires dans Housen que les inférences de fait tirées par le premier juge échappent à la révision même lorsqu’elles ne sont pas étayées par la preuve. Il ne faut pas non plus en déduire que leur révision en appel se limite à un examen des conclusions relatives à des faits prouvés directement sur lesquelles elles sont fondées et du raisonnement à l’issue duquel elles ont été tirées.
74. Je m’explique. Il n’est pas rare que des inférences différentes puissent raisonnablement être tirées des faits que le juge de première instance a tenus pour directement établis. L’examen en appel consiste à déterminer si les inférences du juge sont « raisonnablement étayées par la preuve ». Si elles le sont, le tribunal de révision ne peut soupeser la preuve à nouveau en substituant à l’inférence raisonnable retenue par le juge sa propre inférence tout aussi convaincante, sinon plus. Là encore, cette règle fondamentale est parfaitement compatible avec les motifs majoritaires et ceux de la minorité dans Housen. [Soulignements dans le paragraphe original]
75. En résumé, non seulement une cour d’appel peut écarter toute erreur de fait manifeste et dominante commise au procès, mais elle doit le faire. Cela vaut pour les inférences comme pour les conclusions relatives à des faits établis par preuve directe.
[Je souligne]
[29] Avec égards, la juge, à mon avis, a omis de considérer l’ensemble de la preuve qui lui était présentée. Sa courte analyse indique qu’elle s’est limitée aux rapports des deux orthopédistes et au témoignage du Dr Lacasse, sans tenir compte du diagnostic établi de syndrome du défilé thoracique et des conséquences que celui-ci a entraînées sur la capacité de travail de l’appelante.
[30] En effet, l’examen des paragraphes 49 à 54 de son jugement fait voir qu’elle ne s’est attardée qu’aux données objectives énoncées dans les rapports d’experts des deux orthopédistes. Or, l’exigence du contrat, en ce qui concerne la preuve médicale objective, ne vaut que pour établir l’altération à la santé. Lorsqu’il s’agit de déterminer l’incapacité d’exercer les fonctions essentielles d’un emploi, il faut considérer non seulement le diagnostic, mais également les conséquences de l’altération de la santé sur la personne qui en est affectée. Cela comprend, entre autres, les limitations physiques, les souffrances et les effets de la médication sur les capacités cognitives. En l’espèce, le rapport de l’ergothérapeute, Annie Gagnon, a été complètement écarté par la juge puisqu’elle considérait que ceux des orthopédistes reposaient sur des examens objectifs alors que celui de l’ergothérapeute ne rencontrait pas ce standard. Elle a, par ailleurs, mis de côté le témoignage de l’appelante sans en expliquer les raisons.
[31] Dans les circonstances, je suis d’avis qu’il y a lieu de reprendre l’analyse de l’ensemble de la preuve pour déterminer si l’appelante avait droit de recevoir des indemnités d’invalidité longue durée.
[32] L’ergothérapeute, Annie Gagnon, a préparé un rapport d’expertise dans lequel elle conclut que l’appelante est incapable d’effectuer tout emploi. Avant d’examiner son rapport et son témoignage, je crois qu’il est utile de s’attarder au champ d’expertise des ergothérapeutes. Le Code des professions[3], à son article 37 o), édicte ce qui suit :
37. Tout membre d'un des ordres professionnels suivants peut exercer les activités professionnelles suivantes, en outre de celles qui lui sont autrement permises par la loi:
[…]
o) l'Ordre professionnel des ergothérapeutes du Québec: évaluer les habiletés fonctionnelles, déterminer et mettre en œuvre un plan de traitement et d'intervention, développer, restaurer ou maintenir les aptitudes, compenser les incapacités, diminuer les situations de handicap et adapter l'environnement dans le but de favoriser l'autonomie optimale de l'être humain en interaction avec son environnement;
[33] En outre, l’article 37.1 précise plusieurs activités professionnelles qui peuvent être exercées dans le cadre de celles autorisées par l’article 37 :
37.1. Tout membre d'un des ordres professionnels suivants peut exercer les activités professionnelles suivantes, qui lui sont réservées dans le cadre des activités que l'article 37 lui permet d'exercer:
[…]
4° l'Ordre professionnel des ergothérapeutes du Québec:
[…]
b) évaluer la fonction neuromusculosquelettique d'une personne présentant une déficience ou une incapacité de sa fonction physique;
[34] On constate que l’évaluation des habilités fonctionnelles d’une personne fait partie du champ de pratique de l’ergothérapeute, tout comme celle de la fonction neuromusculosquelettique. À mon avis, l’expression « évaluation des habilités fonctionnelles » doit recevoir une interprétation qui favorise l’accomplissement de cette activité professionnelle. Elle requiert que l’ergothérapeute évalue de façon globale la capacité d’une personne, ce qui inclut les conséquences de l’atteinte physique, soit la prise des médicaments, les douleurs, la tolérance à l’effort, etc. Mme Gagnon est donc une professionnelle de la santé qui possède la formation et l’expérience pour bien évaluer globalement une personne afin de déterminer sa capacité à exercer un emploi.
[35] Mme Gagnon a rencontré l’appelante pendant deux journées, de 9 h à 16 h. Son rapport explique bien sa démarche. Elle mentionne que le diagnostic, chez l’appelante, a évolué entre le 14 août 2008 et le moment de son évaluation, en février 2011. Elle retient que face à son état physique et à l’évolution peu fructueuse des traitements, l’appelante a développé un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse et qu’un syndrome du défilé thoracique gauche a été diagnostiqué en décembre 2010. Une intervention chirurgicale est envisagée à moyen terme. Toutefois, en attendant de pouvoir la réaliser, son chirurgien thoracique, le Dr Rosaire Vaillancourt, tente de traiter la symptomatologie. L’appelante est suivie par une physiothérapeute, Anne Godin, et par une anesthésiologiste, la Dre Anne-Marie Pinard, à la clinique de la douleur du CHUL. Mme Gagnon constate que la condition physique de l’appelante n’est pas stabilisée.
[36] Pour réaliser son évaluation, Mme Gagnon utilise de nombreux tests afin d’établir le « portrait fonctionnel » de l’appelante. À l’audition, elle décrit ainsi sa démarche :
R |
Mais on voit qu’il y a de l’entrevue, il y a des tests, des questionnaires de perception où on documente la perception et la subjectivité. Mais il y a aussi, euh, des tests et des bilans physiques, des tests standardisés reconnus en ergothérapie et, enfin, des activités fonctionnelles, des simulations, évidemment, de tâches de travail vu qu’on me demande de documenter les capacités fonctionnelles de travail. |
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Ça fait que c’est l’ensemble de ces tests-là que l’on analyse, là, à la fin de l’évaluation pour déterminer le portrait fonctionnel. |
[37] Mme Gagnon explique par ailleurs comment elle procède pour s’assurer de la justesse de l’évaluation de la douleur décrite par l’appelante et son impact sur sa capacité :
R |
Nous, en fait, on doit tenir compte de la subjectivité. Évidemment, on prend note, mais le but de l’évaluation est de toujours, euh, mettre ça en relation avec ce qu’on objective. Donc, euh, oui, on en tient compte des douleurs qui sont rapportées, mais c’est surtout l’impact fonctionnel que l’on doit mesurer. |
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Donc, ça se détermine par des périodes de temps où on est capable de tenir une posture, euh, de façon fonctionnelle, de façon sécuritaire. Donc, on vérifie vraiment objectivement l’impact de la douleur. Moi, c’est ce que je peux voir, c’est l’impact sur les activités, euh, compte tenu que la douleur se mesure pas. |
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Donc, c’est vraiment ça qui est le plus important. C’est de voir comment les tâches se détériorent dans le temps, euh, fonctionnellement, est-ce qu’on parvient à faire quelque chose de productif et est-ce qu’on adopte des postures ou compensations sécuritaires? |
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C’est vraiment là où l’ergothérapeute peut faire ses observations, là, puis valider si ça correspond ou non avec la subjectivité de la personne. |
Q |
Okay. Dans le cas de madame Tremblay, plus spécifiquement, est-ce que vous avez été en mesure de faire ces constats-là? |
R |
Oui. Oui, tout à fait. |
Q |
Oui? |
R |
Il a été facile parce que, évidemment, j’ai re-testé à travers différentes activités, euh, souvent, même, c’est fait à l’insu de l’évalué parce qu’il peut pas vraiment savoir, étant donné que notre champ d’expertise, c’est de décortiquer les activités et les composantes d’activités… euh… pour nous, c’est facile d’observer 2 fois la même chose, mais dans 2 tâches complètement différentes. |
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Donc, l’évaluation de capacités fonctionnelles veut que pendant les 2 journées, on puisse s’assurer de faire ça, cette vérification-là. J’ai des mesures de vigueur musculaire qui - la force de préhension témoigne souvent de la vigueur musculaire. On voit une dégradation dans le temps, euh, une détérioration dans la performance dans les tâches très simples parfois. Donc, c’est la façon dont j’ai pu objectiver l’impact de ses symptômes à elle. |
Q |
Okay. |
R |
C’était, euh, j’avais plusieurs données qui me permettaient de m’assurer de tout ça, puis j’avais des signes de compétitivité. Euh, ce sont des signes où on voit que l’évalué tente de donner son maximum lors des tests, ce qui nous donne encore plus de force aux résultats qu’on obtient. |
[38] Il est intéressant de constater que sur le strict plan des capacités physiques, Mme Gagnon en vient à la même conclusion que les Drs Nadeau et Lacasse : l’appelante pouvait exercer un emploi, mais de niveau sédentaire-léger. Toutefois, lorsqu’elle considère globalement son état, elle conclut que l’appelante est incapable d’effectuer tout emploi :
À la lumière de l’analyse effectuée, il appert que madame Tremblay présente des capacités physiques diminuées (tolérances posturales, atteintes verticales et horizontales, dextérité fine, manipulations de charges) compatibles avec un travail de niveau d’exigence sédentaire-léger. Toutefois, la tolérance à l’effort et l’endurance limitées, combinées à la forte médication et ses conséquences sur les fonctions cognitives, au déconditionnement généralisé et à la gestion inefficace de l’énergie et des symptômes compromettent sa capacité à effectuer tout emploi actuellement.
[39] Lors de son témoignage, elle mentionne ceci :
R |
Bon. C’est, le portrait global de ses capacités fonctionnelles est très restreint étant donné les déficits et l’impact de ceux-ci sur son fonctionnement. Euh, si je regarde les capacités physiques, en termes de manipulation, posture et tout, je viens à un portrait de quelqu’un qui peut faire un travail, disons, de niveau sédentaire-léger au maximum. Euh, si je ne tiens compte que des tests physiques… |
Q |
Oui? |
R |
… en eux-mêmes, un à un, euh, mais évidemment, mon évaluation se veut plus globale. En ergothérapie, il faut aller voir les autres sphères aussi, euh, la tolérance et l’endurance à l’effort dans le temps, c’est pour ça qu’on voit les gens… |
Q |
Oui? |
R |
… 2 jours et c’est ça qui est venu beaucoup influencer, finalement, le portrait final de madame, là. |
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[Je souligne] |
[40] Mme Gagnon indique également qu’elle a tenu compte de la médication prise par l’appelante pour soulager ses douleurs. Elle en connaissait la nature puisque c’était bien documenté.
[41] En clinique, Mme Gagnon a pu simuler le travail de bureau que l’appelante pourrait être appelée à exercer dans le cadre d’un emploi sédentaire-léger. Elle a constaté qu’il était très difficile pour cette dernière d’exécuter les tâches, même les plus simples (calculs simples, classement par ordre alphabétique, prise de messages téléphoniques), et ce, compte tenu de ses difficultés de concentration. Elle commettait de nombreuses erreurs.
[42] À mon avis, le rapport fort complet de Mme Gagnon, de même que son témoignage, devaient être pris en considération par la juge pour en venir à une conclusion. L’ergothérapeute est une experte pour procéder à l’évaluation des habilités fonctionnelles d’une personne. On ne peut déterminer la capacité d’exercer un emploi en ne considérant qu’un aspect, l’examen physique, et en laissant de côté les conséquences qu’entraîne une altération à la santé. La juge devait tenir compte de l’ensemble de la preuve.
[43] En l’espèce, la preuve médicale objective établissait clairement une altération à la santé, tel que prescrit par le contrat. L’appelante souffrait d’un syndrome du défilé thoracique. Il restait à déterminer les conséquences de cette altération sur la capacité de travail de l’appelante et cela devait se faire de façon globale.
[44] L’appelante a témoigné à l’audition en première instance. Elle a décrit son accident, les multiples démarches effectuées par la suite auprès de divers intervenants du domaine de la santé afin de trouver un traitement adéquat pour soulager les douleurs importantes qu’elle ressentait de façon ininterrompue. Elle a décrit les nombreux médicaments qu’elle a dû consommer dès la survenance de l’accident et dont elle a dû être sevrée de façon progressive en raison de leur nature. Ils ont eu des effets sur sa concentration, sa mémoire et ses activités quotidiennes. Un rapport pharmacologique a d’ailleurs été déposé en preuve. Il énumère, sur plusieurs pages, tous les médicaments prescrits à l’appelante entre le 14 août 2008 et le 12 septembre 2012. On constate qu’elle a consommé plusieurs médicaments dérivés de la morphine en doses principales et entre-doses.
[45] L’appelante a, en outre, amplement expliqué les douleurs ressenties et les conséquences de son accident sur sa vie. Elle a dû abandonner toutes ses activités, a eu beaucoup de difficulté à dormir et a souffert de problèmes d’anxiété. Par exemple, elle n’était pas capable de se laver les cheveux seule et a dû dormir environ deux ans dans un fauteuil plutôt que dans son lit.
· Madame a une tendinite de l’épaule gauche et synovite chronique.
· Une cervicalgie gauche :
C3-C4 hernie cervicale postérieure;
C5-C6 discopathie dégénérative et sténose foraminale gauche modérée;
C6-C7 hernie discale postéro-latérale gauche et sténose foraminale modérée à sévère gauche;
· Dyspepsie non ulcéreuse;
· Effets secondaires à la médication (Oxycontin, Oxy-ir, Lyrica, Imovane (baisse de vigilance);
· Difficulté d’adaptation à la maladie avec anxiété.
Je crois que Madame Tremblay a reçu un suivi, une investigation adéquate et que les traitements (physiothérapie, AINS, infiltration, distension infiltration) n’ont pas donné les résultats attendus jusqu’à maintenant.
Madame Tremblay est une bonne travailleuse, elle suit toutes les recommandations et les traitements prescrits. Elle a besoin de notre appui et de notre support. Étant donné sa douleur, les effets secondaires de sa médication, les limitations des mouvements de la colonne cervicale et de son épaule, il ne fait aucun doute qu’elle ne peut occuper un emploi actuellement et ce, depuis le début de sa maladie.
[47] En défense, trois rapports d’experts en orthopédie ont été déposés, soit deux du Dr Nadeau (un rapport principal et un complémentaire) et celui du Dr Lacasse. Ce dernier a également témoigné.
[48] En ce qui concerne le Dr Nadeau, ses deux rapports sont antérieurs au diagnostic de syndrome du défilé thoracique établi en décembre 2010. Par ailleurs, il importe de noter que, dans celui du 26 août 2009, il pose un diagnostic de cervicalgie, de capsulite rétractile à l’épaule gauche et de tunnel carpien. Il indique par ailleurs certaines restrictions ou limitations. Il suggère également de la physiothérapie cinq jours sur cinq. Le Dr Nadeau s’en tient strictement à ce qui relève de l’orthopédie et ne mentionne pas quelles sont les conséquences de la forte médication que l’appelante doit consommer pour soulager ses douleurs. Il mentionne ceci :
Conclusion :
Il s’agit donc d’une dame qui présente une cervicalgie d’ordre mécanique dégénérative avec des amplitudes articulaires qui sont complètes et un examen neurologique qui est normal. Elle présente, selon l’EMG, possiblement un petit tunnel carpien qui mérite seulement surveillance.
Au niveau de l’épaule, madame présente des douleurs diffuses au niveau de l’épaule, elle a des restrictions de mobilité en extension, en flexion, en abduction, ce qui signe une capsulite rétractile qui est non consolidée qui mérite traitement.
Diagnostic :
Cervicalgie mécanique de type dégénératif sans atteinte neurologique.
Tunnel carpien électrophysiologique seulement.
Capsulite rétractile active qui nécessite traitement.
Symptômes :
Les symptômes ont été décrits.
Appareil locomoteur :
En ce qui a trait à l’appareil locomoteur, il y a des limitations au niveau de l’épaule avec des limitations en ce qui a trait à la flexion, l’abduction et l’extension.
Restrictions ou limitations :
En ce qui a trait aux restrictions, madame devrait avoir des restrictions, c’est-à-dire ne peut faire un travail avec le bras gauche au-dessus de 90° de flexion et d’abduction, elle ne peut pas soulever des charges de plus de 5 livres du côté gauche de façon temporaire.
Imagerie :
Les imageries montrent peu de changement à l’épaule gauche sauf qu’il y a des éléments de capsulite à ce niveau. Il n’y a pas d’évidence de tendinopathie active.
Traitement :
Je suggère d’obtenir les notes de physiothérapie. Je suggère une arthrographie avec dilatation au niveau de l’épaule gauche et physiothérapie 5 jours sur 5.
Facteurs de non-organicité :
Il y a certains facteurs de non-organicité au niveau cervical, nous en avons retrouvé un.
[49] Le 4 février 2010, le Dr Nadeau prépare un rapport complémentaire. Il précise dans sa conclusion que médicalement parlant, d’un point de vue orthopédique, l’appelante peut faire un travail rémunérateur :
Si je me réfère à l’évaluation qui a été faite par mon confrère, le docteur Pelet, celui-ci mentionne comme diagnostic une cervico-brachialgie. Il ne mentionnait aucune indication de traitement chirurgical, aucun accrochage, il suggérait qu’elle soit vue en physiatrie. C’est donc dire que le docteur Pelet ne trouvait pas d’accrochage.
L’arthrographie a été faite avec distension. Le diagnostic est qu’il n’y avait aucune évidence de déchirure au niveau de la coiffe des rotateurs, mais une capsulite rétractile, le tout fait par le docteur Jacques Drolet.
Dans le présent dossier, avec respect pour l’opinion contraire, le docteur Pelet a les mêmes trouvailles que moi avec les mêmes diagnostics et qu’il n’y a aucun accrochage, qu’il y a une capsulite rétractile et dans ce contexte, il est évident que les patients sont encouragés à faire des activités physiques. Cependant, je limitais au travail les flexions et les abductions du côté gauche à 90° de façon à ce que madame ne crée pas de dommage au niveau de son membre supérieur gauche étant donné qu’elle est droitière, qu’elle avait des mouvements complets à ce niveau, qu’elle pouvait refaire le travail rémunérateur avec les limitations émises.
Avec respect pour le docteur Maléza, médicalement parlant au point de vue orthopédique, madame n’est pas invalide et elle peut, avec les limitations que j’ai émises, refaire un travail rémunérateur et le docteur Pelet confirme les mêmes éléments qu’il n’y a pas d’accrochage et l’arthrographie confirme qu’il y a une capsulite et la physiothérapeute confirme que même les mouvements sont meilleurs, soit 100° et 110° au lieu de 90°.
Dans ce contexte, il n’est nullement contre-indiqué de faire un travail rémunérateur avec les limitations éléments émis dans mon expertise.
[Je souligne]
[50] Quant au Dr Lacasse, il rencontre l’appelante en mai 2011. Il conclut qu’elle ne présente pas de pathologie organique active en regard de son rachis cervical et de son épaule gauche à ce moment. Toutefois, il reconnaît que si un diagnostic de syndrome du défilé thoracique devait être confirmé, on pourrait lui reconnaître des limitations ou restrictions fonctionnelles. À son avis, celles-ci ne justifieraient pas une incapacité à exercer tout emploi. Par ailleurs, le Dr Lacasse souligne qu’il y a des discordances à l’examen objectif entre les mouvements du rachis cervical retrouvés à l’examen non dirigé et ceux observés à l’examen dirigé. Il conclut que l’examen musculosquelettique est essentiellement normal au niveau du rachis cervical et de l’épaule gauche. Cependant, puisque l’appelante est possiblement porteuse d’un syndrome du défilé thoracique, il recommande qu’elle soit vue par un chirurgien thoracique pour déterminer s’il y a lieu qu’elle subisse un traitement chirurgical. Aucune suite ne sera donnée à cette recommandation.
[51] Les deux orthopédistes émettent une opinion à la suite d’un examen musculosquelettique. Au moment de l’examen du Dr Nadeau, le diagnostic de syndrome du défilé thoracique n’a pas encore été établi. Il n’en traite donc pas. Il ne se prononce d’ailleurs que du point de vue orthopédique. Quant au Dr Lacasse, il évoque la possibilité d’un syndrome du défilé thoracique et reconnaît que cela pourrait justifier des limitations. Il mentionne seulement, sans en expliquer les raisons, que cela ne ferait pas en sorte de rendre l’appelante totalement invalide à exercer tout emploi.
[52] À l’audition en première instance, il était clair que l’appelante avait souffert d’un syndrome du défilé thoracique. La preuve objective de cette altération à la santé n’était d’ailleurs pas contestée. Le Dr Lacasse l’a admis dans son témoignage. Une fois cette altération à la santé établie, la juge devait vérifier si cela rendait l’appelante incapable d’exercer « les fonctions essentielles de tout emploi pour lequel [elle] satisfait au moins aux exigences minimales »[4]. Pour cette partie de l’analyse, elle ne pouvait pas se limiter aux deux rapports des orthopédistes et rejeter toute preuve comportant des éléments subjectifs. Elle devait examiner les conséquences de cette atteinte pour l’appelante, de façon globale. Elle ne pouvait pas mettre de côté le rapport et le témoignage de l’ergothérapeute qui a été reconnue comme experte. Il fallait en outre qu’elle tienne compte du témoignage de l’appelante qui était la mieux placée, dans les faits, pour expliquer les conséquences de cette altération sur sa vie.
[53] Cette preuve était fort importante et elle a été écartée par la juge sans qu’elle en explique les raisons au-delà du fait qu’elle comportait des éléments subjectifs. Or, lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne est invalide totalement ou non, il y a inévitablement une composante subjective dans la preuve qui doit être analysée par le juge. Avec égards, on ne retrouve pas cette analyse dans le jugement de première instance.
[54] Par ailleurs, la juge ne traite pas du dossier pharmacologique de l’appelante qui est pourtant imposant. Entre le 14 août 2008 et le 4 décembre 2012, elle a consommé de très nombreux médicaments pour soulager la douleur de même que des antidépresseurs.
[55] En contre-interrogatoire, le Dr Lacasse reconnaît que les médicaments prescrits à l’appelante sont destinés à une personne qui souffre de douleurs importantes. Il y a des médicaments qui sont des dérivés de la morphine, du cannabis et des antidépresseurs.
[56] Dans son rapport d’expertise et lors de son témoignage, le Dr Lacasse insiste sur le fait que l’appelante n’avait aucune pathologie organique active au niveau du rachis cervical et de son épaule gauche lors de son examen. Il conclut qu’aucune limitation fonctionnelle ne peut donc en découler. Il note par ailleurs des discordances à l’examen objectif en ce qui concerne le rachis cervical et l’épaule gauche. Il mentionne ceci dans son rapport :
11. Présence d’autres facteurs médicaux ou non médicaux qui retardent son retour sur le marché du travail :
Comme mentionné à plusieurs reprises précédemment, madame Tremblay présente plusieurs discordances à l’examen objectif. Il y a une discordance entre les mouvements de son rachis cervical retrouvés à l’examen dirigé et ceux retrouvés à l’examen non dirigé. Malgré la faiblesse alléguée par madame Tremblay au niveau de son membre supérieur gauche, il n’y a pas d’atrophie de ses bras et de ses avant-bras.
Je ne retrouve aucune pathologie organique active au niveau de son épaule gauche malgré une limitation volontaire lors des mouvements d’abduction et d’élévation antérieure. Il existe également une apparente faiblesse à la mesure des forces de préhension de sa main gauche qui s’accompagne d’une importante variabilité signant un effort submaximal à l’examen.
Finalement, l’examen de son rachis cervical montre une sensibilité superficielle à la palpation. Il s’agit donc de signes de non organicité qui contribuent certainement à retarder le retour de madame Tremblay sur le marché du travail.
[57] Or, d’autres médecins ont diagnostiqué des problèmes cervicaux et à l’épaule gauche[5]. Parmi ceux-ci, on retrouve le Dr Paul-O. Nadeau, expert orthopédiste de GE, qui rencontre l’appelante le 24 août 2009. Il note une cervicalgie mécanique dégénérative et diagnostique une capsulite rétractile à l’épaule gauche. Le 4 février 2010, dans un rapport complémentaire, bien qu’il affirme que d’un point de vue orthopédique l’appelante n’est pas invalide, il répète le diagnostic de capsulite rétractile à l’épaule gauche.
[58] À mon avis, la preuve en demande a établi de façon prépondérante que l’appelante a souffert tout au moins d’un syndrome du défilé thoracique et a été incapable d’exercer « les fonctions essentielles de tout emploi pour lequel [elle] satisfait au moins aux exigences minimales »[6] entre août 2008 et juin 2012.
[59] L’analyse de la preuve permet de constater l’évolution du diagnostic qui n’a pu être confirmé que 28 mois après l’accident du mois d’août 2008. Cela a entraîné comme conséquence que la condition physique de l’appelante n’a pu être traitée efficacement. Les différents médecins ont tenté de soulager les douleurs qui étaient intenses. L’appelante a dû retourner vivre chez ses parents, elle a abandonné de nombreuses activités et pris de fortes médications qui ont eu un effet déterminant sur sa capacité de travail.
[60] Lorsqu’on examine la preuve d’experts, on constate que les deux orthopédistes ont été très prudents dans leurs affirmations. Ils se sont limités à donner une opinion d’un « point de vue orthopédique » seulement. Aucune analyse n’a été faite sur l’impact des douleurs sur la santé psychologique de l’appelante et de la médication sur sa capacité de travail. On ne retrouve un portrait global des capacités fonctionnelles de l’appelante que dans le rapport et le témoignage de l’ergothérapeute Annie Gagnon. Le témoignage de l’appelante apporte également un éclairage essentiel sur ce qu’elle a vécu pendant la période visée dans le litige. Sa vie était devenue très difficile. Tel que mentionné, elle ne dormait que quelques heures par nuit dans un fauteuil, elle avait des problèmes de concentration importants qui l’empêchaient même de lire un journal, elle ne pouvait pas se laver les cheveux seule, avait de la difficulté à s’habiller et ne pouvait plus faire de tâches ménagères, etc.
[61] Il est intéressant par ailleurs de noter que l’appelante souhaitait retourner au travail. Le Dr Gérard Maléza, dans sa lettre du 7 juillet 2009, la qualifie de « bonne travailleuse »[7]. Lors de son témoignage, l’appelante explique qu’elle est retournée au travail dès la première journée où elle a été autorisée à le faire par le Dr Rosaire Vaillancourt, chirurgien orthopédiste, c’est-à-dire le 18 juin 2012, soit cinq mois après l’opération.
[62] Je conclus donc que l’appelante avait le droit de recevoir des prestations d’assurance invalidité totale longue durée totalisant 80 852,65 $, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle.
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[63] L’appelante plaide également que GE a commis une faute contractuelle (art. 1458 C.c.Q.) en refusant sa demande de prestations. Elle réclame 50 000 $ en dommages moraux pour le stress et l’anxiété vécus en raison des nombreuses difficultés qu’elle a subies à la suite de ce refus. Au soutien de sa demande, l’appelante invoque l’arrêt de la Cour suprême, dans Fidler c. Sun Life[8].
[64] GE plaide pour sa part que cet arrêt est fondé sur la common law dont les principes ne peuvent être transposés en droit civil québécois.
[65] Il n'est pas nécessaire de trancher cette question car, même si l'arrêt Fidler trouvait application au Québec, la preuve ne permet pas d'établir les dommages.
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[66] Enfin, l’appelante soutient qu’elle avait droit, pendant sa période d’invalidité, de continuer d’accumuler ses droits en vertu du régime de retraite. Il y a lieu de faire droit à cette demande puisque le contrat est clair à ce sujet[9] :
Les droits à pension en vertu du régime de retraite de la société pendant que l’employé est en invalidité et qu’il reçoit des prestations d’invalidité de longue durée continueront de s’accumuler aux frais de la société de la manière ci-dessous.
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[67] Pour ces motifs, je propose d’accueillir l’appel avec dépens, d’infirmer le jugement de première instance, d’accueillir en partie la requête introductive d’instance, avec dépens, de condamner l’intimée GE à payer à l’appelante 80 852,65 $ en prestations d’invalidité, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle et d’ordonner à GE de verser dans le compte de retraite de l’appelante la valeur de ses droits à la retraite pendant sa période d’invalidité.
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JULIE DUTIL, J.C.A. |
[1] Tremblay c. Sun Life du Canada, 2013 QCCS 2763, paragr. 49-54 [Jugement dont appel].
[2] H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 CSC 25, paragr. 64 et 73-75. Voir également Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33.
[3] RLRQ, c. C-26.
[4] Voir supra : clause sur la définition d’invalidité totale reproduite au paragraphe [26] du présent arrêt.
[5] Le résumé du dossier médical, préparé par le médecin traitant le Dr Gérard Maléza, indique que les médecins suivants ont diagnostiqué des problèmes à l’épaule gauche ou une cervicalgie : Dr Alain Baribeault (physiatre), Dr Stéphane Pelet (orthopédiste), Dr Paul-O. Nadeau (orthopédiste et expert de GE).
[6] Voir supra, paragr. [26], clause du contrat.
[7] Voir supra, paragr. [46].
[8] Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, [2006] 2 R.C.S. 3, 2006 CSC 30.
[9] Pièce P-7 : Annexe G de la convention d’assurance (Section XII).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.