DÉCISION
[1] Le 29 janvier 2001, monsieur Duarte Raposo (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 24 janvier 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision en révision administrative confirme une décision initialement rendue par la CSST en date du 7 juin 2000 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle sous forme de récidive, rechute ou aggravation le ou vers le 6 avril 2000.
[3]
Se prévalant des dispositions de l’article
[4] Le travailleur et la CSST sont présents et représentés à l’audience. Le Restaurant Vieux Munich ltée (l’employeur) est une entreprise qui a cessé ses activités.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue le 24 janvier 2001 et de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle sous forme de récidive, rechute ou aggravation au mois de mars 2000, la date du 6 avril 2000 correspondant seulement au dépôt de sa réclamation.
LES FAITS
[6] Le travailleur possède un dossier assez substantiel à la CSST concernant son dos.
[7] Il est victime d’un premier accident du travail le 6 septembre 1972, ressentant des douleurs lombaires alors qu’il est en train d’ériger des échafaudages. Une myélographie démontre des protrusions importantes au niveau des disques L3-L4, L4-L5 et L5-S1, associées à un spondylolisthésis à ce dernier niveau et occasionnant des compressions radiculaires à tous les niveaux. Une chirurgie est proposée au travailleur mais celui-ci n’est pas prêt à se soumettre à un traitement chirurgical et il est référé en réadaptation sociale. La CSST considère vraisemblablement qu’il s’agit d’une aggravation d’une condition personnelle puisque la réclamation du travailleur est acceptée. On lui reconnaît une atteinte permanente de 12 % en vertu de la Loi sur les accidents du travail[2], (ancien barème). Le travailleur est référé en réadaptation.
[8] Il subit une rechute en 1981. Dans le cadre de celle-ci et à la suite d’une nouvelle investigation, une intervention chirurgicale est pratiquée par le docteur Cortbaoui le 4 novembre 1982. Cette intervention consiste en une discoïdectomie L4-L5 avec greffe bilatérale des niveaux L4-L5 et L5-S1. À la suite de l’intervention, l’atteinte permanente est augmentée à 15 % selon l’ancien barème.
[9] Le travailleur reprend un travail allégé mais il est victime de plusieurs rechutes. Son état se chronicise de plus en plus.
[10] Le 17 février 1988, alors qu’il est à l’emploi du restaurant Le Vieux Munich à titre d’homme d’entretien, il ressent une douleur dans le bas du dos et « reste barré » en tentant de soulever un seau d’eau chaude. On diagnostique une entorse lombaire aiguë. La lésion est consolidée en date du 9 novembre 1988 par une décision[3] de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) rendue le 2 septembre 1992. En tenant compte des séquelles antérieures, qui sont de l’ordre de 31 % si l’on fait la conversion en fonction du Règlement sur le Barème des dommages corporels[4] (le nouveau barème), la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il n’y a pas d’augmentation de l’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur. Elle s’exprime ainsi :
« [...]
La Commission d’appel est d’avis que les séquelles permanentes actuelles demeurent à toutes fins utiles identiques aux séquelles antérieures. L’état de l’évolution depuis sa chirurgie de 1982 s’est-il reflété au niveau de sa symptomatologie ? Même en admettant, par hypothèse, l’existence d’une pachyméningite, d’une arachnoïdite ou d’un processus cicatriciel post-discoïdectomie qui entraînerait des compressions de racines nerveuses responsables de stimuli douloureux, on s’attendrait à une atteinte concomitante importante sensitive et motrice. Les examens neurologiques au dossier ne révèlent pas de telles atteintes. On ne trouve pas non plus d’images radiologiques établissant l’existence de phénomènes cicatriciels importants, qui seraient responsables de semblables compressions.
[...] »
[11] Les limitations fonctionnelles consistent à éviter de soulever des poids supérieurs à 40 livres et éviter d’effectuer des mouvements répétitifs de flexion et d’extension du rachis lombaire.
[12] Le travailleur est admis en réadaptation et un emploi convenable de « caissier au guichet d’entrée » est retenu. Le travailleur est considéré apte à occuper cet emploi à compter du 15 avril 1993 mais il ne retourne pas au travail.
[13] Il allègue une nouvelle récidive, rechute ou aggravation en date du 3 avril 1996, laquelle est acceptée par la CSST. Il se plaint d’une exacerbation importante de la douleur. Son médecin le réfère au docteur Marcel Morand, physiatre, qui pose un diagnostic de « status post-fusion lombaire » et suggère un traitement par épidurale. La condition du travailleur s’améliore après la première infiltration. Le docteur Morand procédera à deux autres infiltrations. Parallèlement, le travailleur est vu en consultation par le docteur Robert Lefrançois, neurochirurgien, qui ne voit aucune indication chirurgicale.
[14] Dans le cadre de cette rechute, le travailleur est évalué par différents médecins dont le docteur Lefrançois, le 17 octobre 1996, le docteur Pierre R. Dupuis, chirugien orthopédiste, le 18 mars 1997 et le docteur Georges L’Espérance, neurochirurgien, le 2 juillet 1998. Le docteur Lefrançois est d’avis que la condition du travailleur s’est nettement détérioriée. Il évalue les séquelles actuelles à 40 % et croit que le travailleur n’est plus apte à faire un travail rémunérateur, quel qu’il soit. Le docteur Dupuis considère, pour sa part, qu’il n’existe aucune aggravation de l’état clinique du travailleur. Il est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’augmenter le pourcentage de l’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur ni de modifier les limitations fonctionnelles déjà établies. Le docteur L’Espérance arrive sensiblement à la même conclusion. Il considère que la condition du travailleur est dans une phase de chronicité largement établie. Il ne voit pas beaucoup de changement depuis les dix dernières années en ce qui concerne les limitations du travailleur.
[15] Le dossier ayant été référé au Bureau d’évaluation médicale, le travailleur est examiné le 5 octobre 1998 par le docteur Hubert Labelle, orthopédiste, désigné pour agir à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Au moment de l’examen, le médecin note que le travailleur se plaint d’engourdissement au dessus du pied gauche mais que les douleurs lombaires paraissent plus importantes que les douleurs aux membres inférieurs. Il rapporte que le travailleur déclare avoir des douleurs augmentées lors de tout effort ou de tout maintien de position, assise ou couchée, de façon prolongée. Au niveau objectif, les constatations suivantes sont faites :
« [...]
La mobilité du rachis lombaire s’établit comme suit : la flexion antérieure est à 30°, l’extension est à 10°, la flexion latérale droite est à 20°, la flexion latérale gauche est à 20°, la rotation droite du tronc est à 20° et la rotation gauche du tronc est à 20°, mesurées au goniomètre.
En position assise, la manoeuvre du tripode est tout à fait normale et je peux obtenir une extension complète des deux genoux et une dorsiflexion des chevilles sans qu’il n’y ait de phénomène de retrait des membres supérieurs et sans qu’il n’y ait de douleur alléguée, soit lombaire, soit de type sciatalgique.
En position couchée, la manoeuvre de Lasègue est négative mais elle n’évoque pas de douleur dans les jambes mais la manoeuvre du « straight leg raising » évoque une douleur lombo-sacrée et aux fesses à 50° bilatéralement.
L’examen neurologique des membres inférieurs montre que les réflexes ostéo-tendineux rotuliens et achilléens sont présents et cotés à 1+ bilatéralement de façon symétrique. À la sensibilité superficielle au tact, il y a une allégation d’hypoesthésie au-dessus de la face dorsale du pied gauche. Au testing musculaire, ce testing est normal sauf pour une faiblesse variable et occasionnelle intermittente de dorsiflexion du gros orteil gauche qui est parfois normale, parfois à 4+/5.
[...] »
[16] Compte tenu de l’ensemble du dossier, de la chronicité du syndrome douloureux et des multiples rechutes, le docteur Labelle est d’avis qu’il faut accorder des limitations fonctionnelles sévères de classe III pour la colonne lombo-sacrée. Par contre, son évaluation des séquelles actuelles n’est pas aussi généreuse que celle du docteur Lefrançois. Elle représente une augmentation de 4 % seulement par rapport aux séquelles antérieures. Cette augmentation se justifie en raison d’une nouvelle hernie au niveau L3-L4, non opérée mais prouvée cliniquement et par tests spécifiques, ainsi que par une diminution de l’amplitude des mouvements de rotation bilatéralement.
[17] Il y a lieu de mentionner qu’à l’occasion de cette récidive, rechute ou aggravation, une résonance magnétique de la colonne lombaire avec injection de contraste avait été effectuée, au mois de juin 1998, à la demande du docteur Morand. Il est pertinent de reproduire certains extraits du rapport radiologique du docteur Marc Leblanc :
« [...]
Signes de discopathie dégénérative modérée en L3 L4 caractérisée par un peu de pincement de l’espace discal avec altération du signal discal. Il y a, à ce niveau, une petite hernie discale postéro-médiane à large rayon causant un refoulement modéré du sac dural. Ceci, associé à l’arthrose facettaire bilatérale présente, occasionnent une sténose spinale centrale modérée, le diamètre résiduel du canal étant d’environ 8 mm. Les foramens restent de bon calibre.
Aux niveaux L4 L5 et L5 S1, il y a des modifications post-discoïdectomie avec disques cicatriciels caractérisées par un pincement important de ces espaces discaux et altération du signal discal. Il n’y a pas d’évidence cependant de récidive de hernie discale ou d’hernie discale résiduelle. Les récessus graisseux épiduraux latéraux restent bien conservés aux niveau L4 L5 et L5 S1 et le canal spinal reste de bon calibre. Il n’y a pas d’évidence de fibrose ou de cicatrice hypertrophique dans les récessus graisseux épiduraux. Il n’y a pas de rehaussement pathologique post injection de produit de contraste. Pas de signe d’arachnoïdite. Les foramens droit et gauche restent de bon calibre à ces deux niveaux.
OPINION :
Fusion par greffe osseuse des arcs postérieurs de L3 à S1 paraissant bien fusionnée. Modifications post-discoïdectomie en L4 L5 et L5 S1 sans signe de récidive ou de hernie discale résiduelle. Discopathie dégénérative modérée en L3 L4 avec petite hernie discale postérieure à large rayon qui, avec l’arthrose facettaire bilatérale présente, occasionnent une sténose spinale centrale modérée. Le diamètre du canal spinal est réduit à 8mm à hauteur de L3 L4.
[...] » (sic)
Une étude électromyographique (E.M.G.) est effectuée au mois d’octobre 1999. La conclusion du docteur Éric Lalumière, neurologue, se lit ainsi :
« Cette étude a mis en évidence des signes d’une polyneuropathie (illisible) sensitivo-motrice légère qui pourrait être due à un effet secondaire de la (illisible) utilisée comme chimiothérapie il y a quelques mois. Par ailleurs, une atteinte des potentiels moteurs ainsi que des changements neurogènes chroniques pourraient suggérer des polyradiculopathies lombo-sacrées chroniques anciennes. Il ne semble pas y avoir de processus actif actuellement pouvant suggérer une mononeuropathie ou une radiculopathie motrice active. Étant donné une amélioration spontanée du tableau douloureux, je suggère au patient de continuer à prendre l’Élavil et je le reverrai dans 2 mois pour un examen de contrôle. »
[18] Il faut mentionner, qu’entre temps, un lymphome non hodgkinien a été découvert chez le travailleur au niveau de la région inguinale.
[19] Le 6 avril 2000, le travailleur présente une nouvelle réclamation pour récidive, rechute ou aggravation. C’est la réclamation qui nous concerne. Elle fait suite à une consultation du travailleur auprès du docteur D. Malcom, en date du 28 mars 2000, lequel a noté, ce jour-là, une exacerbation de lombalgie chronique post-discoïdectomie et dirigé le travailleur en physiothérapie. Le suivi est de nouveau assuré par le docteur Morand, physiatre. Il y aura aussi référence à la clinique de la douleur et nouvelles infiltrations épidurales.
[20] Une seconde résonance magnétique de la colonne lombaire avec injection de contraste est effectuée, le 7 juin 2000, en vue d’éliminer une méningite lymphomateuse qui pourrait contribuer à l’exacerbation de la symptomatologie. Il y a lieu de citer les extraits suivants du rapport radiologique :
«[...]
INTERPRÉTATION
Le patient a déjà subi une chirurgie dans le passé, avec fusion postérieure de L4 à S1. Il est à noter que le patient a probablement déjà eu aussi une discoïdectomie à L4-L5 et possiblement L5-S1. À ces deux niveaux, il n’y a pas de récidive de hernie discale. Les espaces intersomatiques sont fortement réduits. Il n’y a pas de sténose spinale.
En L3-L4, je note cependant des modifications secondaires importantes des facettes articulaires, qui sont hypertrophiques, avec une discopathie et un important bombement circonférentiel diffus. Celui-ci entraîne une sténose spinale au moins modérée.
En L2-L3 et aux autres niveaux sus-jacents, il n’y a pas d’anomalie discale.
Dans le canal spinal, je note une grosse agglomération des racines de la queue de cheval, dont plusieurs sont à la fois hyperintenses avant et après injection de produit de contraste sur les images T1. Ces anomalies sont très atypiques, mais beaucoup plus compatibles avec une arachnoïdite qu’avec une atteinte lymphomateuse radiculaire. En effet, aucun rehaussement additionnel des structures méningées n’est visible après injection de contraste. Toutefois, puisque l’image est très atypique, il demeure souhaitable de faire une corrélation avec l’étude du liquide céphalo-rachidien.
Il n’y a pas d’atteinte lymphomateuse péri-durale, ni osseuse. Il n’y a pas de fibrose péri-durale.
CONCLUSION :
Sténose spinale L3-L4, modérée. Apparence post-chirurgicale de L4 à S1. Arachnoïdite probable. Atteinte lymphomateuse méningée très peu probable, mais toutefois assez douteuse pour faire une étude du liquide céphalo-rachidien. »
[21] On retrouve les diagnostics de pachyméningite et/ou d’arachnoïdite sur les rapports subséquents des docteurs Malcom et Morand. Il semble que l’analyse du liquide céphalo-rachidien a permis d’éliminer une atteinte lymphomateuse si l’on en juge par cette note d’évolution du docteur Morand en date du 13 octobre 2000 :
« ÉVOLUTION LE 13 OCTOBRE 2000
Il s’agit d’un patient que j’ai vu à l’hôpital cette semaine qui nous confirme aujourd’hui une arachnoïdite. J’ai revu les films de 1998 et ces derniers ne faisaient pas état d’arachnoïdite. J’ai discuté du dossier avec le docteur Éric Lalumière et en l’absence de protéine dans le liquide céphalo-rachidien, ce dernier ne croit pas qu’il s’agisse d’une infiltration lymphomateuse. Il opte en faveur d’une pachyméningite.
Chose certaine, elle n’était pas démontrée ou compensée lors de l’évaluation de 98 et à cet effet, j’ai confirmé le tout avec l’expertise du docteur Georges Lespérance de 98. Par conséquent je considère que M. Raposo a une aggravation radiologique qui lui mérite une augmentation de son DAP et qui explique un peu ses difficultés fonctionnelles. Je le considère comme invalide. Plusieurs facteurs appuient cette réalité, soit l’absentéisme au travail de plus longue période, les conditions associées et la condition vertébrale qui en découle.
Pas d’autre intervention prévue du côté thérapeutique. »
[22] Un rapport de consultation du docteur Jean-Elzéar Gauthier, anasthésiste à la Cité de la Santé de Laval, en date du 27 octobre 2000, complète le dossier. L’état du travailleur, à cette date, est décrit ainsi :
« [...]
Histoire de la maladie actuelle : [...] Actuellement, le patient se plaint d’une douleur lombaire basse avec irradiation au membre inférieur gauche habituellement mais plus souvent au niveau du membre inférieur droit actuellement, et il note également une douleur au genou droit importante depuis quelques temps de même qu’une irradiation aux organes génitaux externes. La douleur est décrite de façon multiple, soit sous forme de brûlure, de serrement ou de choc électrique ou de pression ou de torsion. Elle est augmentée par le mouvement, et par les positions stationnaires. [...] Actuellement, le patient nous dit présenter une douleur à 7/10 au moment de l’entrevue mais il nous la rapporte comme tolérable. La douleur est présente 24 heures sur 24, la nuit son sommeil est extrêmement perturbé par celle-ci, il doit présenter des changements de position durant son sommeil et également adopter la position assise à l’occasion durant la nuit.[...]
[23] Les constatations objectives du médecin sont les suivantes :
« [...] Le patient présente donc une posture antalgique penché vers l’avant, au niveau de la démarche il présente une boîterie droite, et l’épreuve pointe-talon est difficile à réaliser. Au niveau de l’amplitude du rachis, il présente une importante diminution de l’amplitude du rachis dans tous les axes, les réflexes ostéo-tendineux sont absents bilatéralement, il présente également un oedème au niveau du membre inférieur droit, la sensibilité est légèrement diminué au niveau du pied droit, la force musculaire semble préservée, quoique celle-ci est difficile à évaluer à cause de la douleur. Le tripode est positif à gauche et à droite à 90 degrés, et le Lasègue est positif bilatéralement à 30 degrés environ. » (sic)
[24] Le docteur Gauthier conclut à une lombalgie chronique en rapport avec une ancienne fusion lombaire et une arachnoïdite au niveau de la queue de cheval. Il propose un plan de traitement à réaliser en collaboration avec la clinique de la douleur de l’hôpital Notre-Dame où a été référé le travailleur. Le rapport du docteur Gauthier est d’ailleurs adressé au docteur Moumdjian de cette clinique.
[25] Au niveau des antécédents médicaux, le docteur Gauthier fait état, entre autres, du lymphome qui aurait été découvert en 1998 et d’une thrombo-phlébite profonde du membre inférieur droit survenue en juin 2000. Il se questionne sur la possibilité d’une maladie cardiaque athérosclérotique ou sur la présence d’un problème d’hypertension artérielle.
[26] La réclamation du travailleur pour cette dernière récidive, rechute ou aggravation est refusée par la CSST. À la suite d’une révision administrative, ce refus est maintenu d’où la présente contestation devant la Commission des lésions professionnelles. La décision de la CSST se fonde sur une opinion obtenue de son bureau médical, selon laquelle il n’y a pas de détérioration objective de l’état du travailleur. Quant à la pachyméningite ou arachnoïdite révélée par la dernière résonance magnétique, le médecin de la CSST considère qu’elle ne peut être en relation avec l’intervention chirurgicale subie par le travailleur en 1982 vu le nombre d’années qui s’est écoulé depuis cette intervention.
[27] Témoignant à l’audience, le travailleur mentionne que la douleur lombaire est beaucoup plus forte depuis le mois de mars 2000 et qu’elle irradie dans son membre inférieur droit alors qu’auparavant, elle avait plutôt tendance à irradier dans le membre inférieur gauche mais il précise que cela ne se comparait en rien avec ce qu’il éprouve maintenant au niveau du membre inférieur droit. Il se plaint d’engourdissements au niveau de ce membre qui aurait également tendance à « enfler ». Il présente une boiterie droite et doit utiliser une canne pour ses déplacements à cause d’un manque d’équilibre. Il ne fait rien de la journée selon ses dires. Quand il se lève de son lit, c’est pour s’allonger sur un divan. Il n’a plus aucune activité. Il dit ne plus pouvoir conduire son automobile en raison des engourdissements qui surviennent dans son membre inférieur droit et qui lui font perdre toute sensation dans ce membre, ce qui n’était pas le cas avant mars 2000. Il n’avait pas ces engourdissements dans son membre inférieur droit ni de perte d’équilibre. Il mentionne que la dose de médicaments qu’il prend pour la douleur a été doublée en mars 2000. C’est la clinique de la douleur qui l’aurait référé au docteur Gauthier. Il mentionne que son lymphome est stable et que tous les médecins qu’il a consultés, depuis mars 2000, ont conclu que son état actuel était dû à son problème de dos et non à son lymphome.
[28] Le tribunal a également l’occasion d’entendre le témoignage de la fille du travailleur, mademoiselle Karine Raposo. Celle-ci confirme que la vie à la maison est difficile car le travailleur ne peut plus rien faire. C’est sa mère et elle-même qui font tout : ménage, entretien extérieur du domicile, épicerie, etc. Elle confirme également que l’état de son père s’est détérioré depuis le mois de mars 2000, mentionnant notamment ses engourdissements au niveau du membre inférieur droit et son manque d’équilibre. Auparavant, il réussissait à faire certaines activités : conduire sa voiture, s’impliquer dans sa communauté (le travailleur est d’origine portuguaise), aller au Centre Fatima, etc. Ce n’est plus le cas maintenant. Elle confirme que son père ne sort plus, qu’il passe ses journées allongé sur un divan.
[29] Après l’audience, le tribunal a transmis aux parties, pour commentaires, un extrait du volume The Spine[5] portant sur les différentes étiologies de l’arachnoïdite. Il y a lieu d’en citer les passages suivants :
« Adhesive Arachnoiditis
Adhesive arachnoiditis (AA) refers to a pathologic inflammation of the pia-arachnoid membrane surrounding the spinal cord, cauda equina, nerve roots, or a combination. It occurs most commonly in the lumbar region. Disease involvement is along a continuum, from mild membrane thickening through progressively more scarring. In its most severe form, it results in a blockage of cerebrospinal fluid (CSF) flow. Although once thought to represent a sequel to spinal infections, arachnoiditis is now recognized as a chronic syndrome of variable etiology. Patients suffer from persistent pain that may be compounded by neurologic deficits, resulting in pain and disability. This is a cause of failed back surgery and is one of the complications encountered after routine lumbar operative procedures.
ETIOLOGIES
Both the known and the suspected causes of arachnoiditis encompass a broad range of substances and factors. All tend to share a common mechanism leading do dysfunction. The intrathecal contents first must be exposed to an offending agent. An inflammatory reaction then ensues in which the leptomeninges become scarred and adherent to the neural elements, resulting in symptoms. These agents can broadly be classified as myelographic contrast materials, chemical irritants, and blood products. The process can also be triggered by surgical procedures or by infections. The following discussion provides a brief overview.
[...]
Postoperative
[...]
One must be cognizant of the fact that AA can be a postoperative complication of any spine surgery, including procedures for disc disease. Lumbar stenosis can be a cause of or coexist with arachnoiditis. Other procedures that have been reported to cause arachnoiditis include direct trauma during puncture or catheter insertion for epidural and/or intraspinal anesthetics and after prophylactic blood patch application through a catheter.
Chemical Irritants
[...]
Anesthetic agents, instilled either intrathecally or epidurally, also may be the initial insult that subsequently produces arachnoiditis. This diagnosis should be considered in patients presenting with back and leg pain syndromes after anesthetics. Rarely, AA has been reported with epidural steroid injections, but usually only with multiple injections over a prolonged period. »
[30] En réponse à cette littérature, la procureure de la CSST a transmis au tribunal d’autres extraits de doctrine médicale concernant l’arachnoïdite[6] et le lymphome malin non hodgkinien[7]. Il est intéressant de citer l’extrait suivant du volume des auteurs Dupuis-Leclaire, intitulé « Pathologie médicale de l’appareil locomoteur », se rapportant plus spécifiquement à l’arachnoïdite comme complication possible d’une infiltration épidurale par voie sacrococcygienne :
« [...]
Résultats et complications
Outre les complications éventuelles de toute infiltration ou la possibilité d’un faux trajet de l’aiguille qui n’entraîne évidemment aucun résultat thérapeutique, la principale complication de l’infiltration épidurale par voie sacrococcygienne demeure la perforation de la dure-mère, entraînant une rachianesthésie, parfois la formation d’un hématome épidural ou sous-dural ou encore une arachnoïdite causée par l’introduction intrathécale d’un dérivé stéroïdien.[8] [...] »
L'AVIS DES MEMBRES
[31] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur la question en litige.
[32] Les deux membres sont d’avis que la preuve démontre de façon prépondérante que le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation au mois de mars 2000.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[33] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle sous forme de récidive, rechute ou aggravation, le ou vers le 28 mars 2000, date de la consultation auprès du docteur Malcom.
[34] La lésion professionnelle est définie, à l’article 2 de la loi, en ces termes :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
[35] Il ressort de cette définition que la lésion professionnelle inclut la récidive, rechute ou aggravation d’une blessure ou d’une maladie survenue par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail.
[36] Le législateur n’ayant pas défini ce qu’est la récidive, rechute ou aggravation, la jurisprudence nous enseigne que c’est au sens courant de ces termes qu’il faut s’en rapporter pour en comprendre la signification. On retiendra donc qu’il s’agit d’une reprise évolutive, d’une réapparition ou d’une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes. L’un ou l’autre de ces éléments doit donc être démontré.
[37] La partie qui allègue avoir été victime d’une récidive, rechute ou aggravation doit également démontrer, par une preuve prépondérante de nature médicale, qu’il existe une relation entre la pathologie diagnostiquée à l’occasion de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale.
[38] En l’espèce, le tribunal considère que la preuve démontre clairement qu’il y a eu une recrudescence importante des symptômes du travailleur depuis le mois de mars 2000, notamment en ce qui concerne son membre inférieur droit. Les engourdissements fréquents au niveau de ce membre, la boiterie, les pertes d’équilibre, sont autant d’éléments qui n’étaient pas présents avant le mois de mars 2000 sans parler de l’exacerbation de la douleur au niveau de la région lombaire. Les médecins consultés par le travailleur, à cette période, ont d’ailleurs tous noté une détérioration de son état, lequel a nécessité un suivi médical, une reprise des traitements, une augmentation de la médication et une nouvelle investigation. Le travailleur, qui était déjà fortement limité dans ses activités, est devenu pratiquement impotent. Il doit désormais utiliser une canne pour se déplacer. Il ne peut plus conduire son automobile et passe la majeure partie de son temps à la maison, allongé sur un divan, incapable de faire quoi que ce soit.
[39] L’investigation a apporté une réponse à cette soudaine détérioration de la condition du travailleur. La résonance magnétique de la colonne lombaire, effectuée le 7 juin 2000, a en effet démontré la présence d’arachnoïdite au niveau de la queue de cheval, laquelle n’était pas présente lors du même examen réalisé en 1998. L’étude du liquide céphalo-rachidien a permis d’éliminer une possible atteinte lymphomateuse qui aurait également pu, quoique de façon moins probable selon le radiologiste, correspondre à l’image radiologique.
[40] Même si le travailleur a plusieurs conditions personnelles, ses médecins expliquent son état actuel par la présence de cette arachnoïdite et le tribunal croit que celle-ci peut effectivement en être la cause, du moins en bonne partie, si l’on se réfère à la littérature médicale déposée.
[41] Il reste à savoir si cette arachnoïdite, qui serait vraisemblablement la cause de la détérioration de l’état du travailleur depuis mars 2000, est reliée à la lésion professionnelle qu’il a subie en 1972. Dans la mesure où la CSST a reconnu que l’intervention chirurgicale pratiquée en 1982 était reliée à l’événement d’origine survenu en 1972 et dans la mesure, également, où tous les traitements prodigués au travailleur pour son dos ont toujours été reconnus comme étant nécessités par ce « status post-discoïdectomie et greffe lombo-sacrée », le tribunal croit que l’on doit répondre à cette question par l’affirmative.
[42] Certes, on ne peut pas considérer que l’arachnoïdite démontrée en juin 2000 est une conséquence directe de la chirurgie pratiquée en 1982. Le tribunal partage l’opinion du médecin de la CSST à cet égard. Il s’est écoulée trop d’années depuis cette chirurgie pour qu’on puisse y voir une complication post-opératoire. Toutefois, la littérature médicale déposée montre que l’arachnoïdite n’est pas seulement une complication post-opératoire. D’autres facteurs peuvent en être la cause. Au nombre de ceux-ci : la sténose lombaire spinale et les infiltrations épidurales.
[43] En l’espèce, la résonance magnétique réalisée en 1998 a démontré la présence d’une sténose spinale modérée en L3-L4, occasionnée par une hernie discale à ce niveau et de l’arthrose facettaire bilatérale. Rappelons que la hernie discale L3-L4 a été considérée par le docteur Labelle, membre du Bureau d’évaluation médicale, en octobre 1998, comme un des éléments justifiant une augmentation de l’atteinte permanente déjà reconnue au travailleur à la suite de sa chirurgie. Le membre du Bureau d’évaluation médicale reconnaissait, par le fait même, qu’il y avait une relation entre cette hernie et la lésion professionnelle. Son avis a été entériné par la CSST dont la décision n’a donné lieu à aucune contestation. De plus, au-delà de cette considération proprement juridique, il est, de l’avis du tribunal, plus que raisonnable de conclure que, eu égard aux antécédents chirurgicaux du travailleur, une dégénérescence accélérée de l’espace L3-L4, sous forme d’un bombement discal et d’une arthrose facettaire hypertrophique, s’est produite au cours des ans par le fait de la surcharge imposée au disque L3-L4, dernier niveau vertébral mobile après la greffe vertébrale de L4 À S1. L’effet de cette dégénérescence discale et de l’arthrose facettaire a été de réduire le diamètre du canal spinal, comme en témoignent les résonances magnétiques des années 1998 et 2000. Or, de la documentation déposée par le tribunal, l’on sait que la sténose spinale constitue « per se », dans certains cas, une cause de l’arachnoïdite.
[44] De plus, il n’est pas sans intérêt de noter qu’en 1996, le travailleur a reçu trois infiltrations épidurales. Tout en reconnaissant que le délai de quelque quatre ans entre l’apparition, à la résonance magnétique de juin 2000, de l’archnoïdite et les infiltrations faites en 1996 rend, comme l’a souligné le médecin de la CSST, difficile l’attribution causale de l’arachnoïdite à ces seules infiltrations, la Commission des lésions professionnelles estime que, eu égard aux antécédents chirurgicaux du travailleur, à la présence d’une sténose spinale et aux nombreuses infiltrations épidurales subies par le travailleur au cours des ans, tous facteurs de risques d’arachnoïdite, la cause la plus probable de cette pathologie méningée demeure la lésion professionnelle de 1972 et les traitements chirurgicaux et médicaux reliés à cette lésion. Conclure autrement serait l’équivalent d’attribuer l’apparition de l’archnoïdite en l’an 2000 à une simple coïncidence, ce qui est tout à fait invraisemblable.
[45] Tenant compte de ce qui précède, le tribunal estime qu’il y a lieu de conclure que le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le ou vers le 28 mars 2000.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Duarte Raposo ;
INFIRME la décision rendue le 24 janvier 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative ;
ET
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle sous forme de récidive, rechute ou aggravation le ou vers le 28 mars 2000.
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Me Mireille Zigby |
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Commissaire |
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GÉRIN, LEBLANC & ASS. (Me François Fisette) |
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Procureure de la partie requérante |
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PANNETON LESSARD (Me Micheline Plasse) |
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Procureure de la partie intervenante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] L.R.Q., c. A-3.
[3] C.A.L.P.
[4] (1987) 199 G.O. II, 5576.
[5] MORRIS, Gabrielle F., « The Spine », Adhesive Arachnoiditis, vol. II, Fourth Edition, Philadelphia, London, Toronto, Montreal, Sydney, Tokyo, W.B. Saunders Company, pp. 1705-1709.
[6] DUPUIS-LECLAIRE, Pathologie médicale de l’appareil locomoteur, « Rachis lombaire », « Chirurgie discale intervertébrale », « Nosologie des affections du rachis », St-Hyacinthe, Edisem, 1986, pp. 272-281, 368, 388, 449, 469.
[7] Larousse médical, pp. 611 et 612 ; MANUILA L., MANUILA A. et NICOULIN M., Dictionnaire médical, 7e édition, Masson, pp. 232 et 233 ; LEGARNIER, DELAMARE, Dictionnaire des termes de médecine, 23e édition, Maloine, pp. 538 et 539.
[8] Déjà cité, note 6, page 281.
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