COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC MONTRÉAL, le 4 juillet 1997 DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE:Margaret Cuddihy DE MONTRÉAL RÉGION: Estrie AUDITION TENUE LE:23 avril 1997 DOSSIER: 74151-05-9510 DOSSIER CSST:093555852 DOSSIER BRP: 61863728 À:Sherbrooke PRIS EN DÉLIBÉRÉ :10 juin 1997 MICHEL RICHARD 143, route 143 Melbourne (Québec) J0B 2H0 PARTIE APPELANTE et J.B.L. TRANSPORT INC.(Entreprise fermée) PARTIE INTÉRESSÉE et C.S.S.T. - ESTRIE 1650, rue King Ouest Bureau 300 Sherbrooke (Qc) J1J 2C3 PARTIE INTERVENANTE D É C I S I O N Le 31 octobre 1995, monsieur Michel Richard, le travailleur, dépose une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision rendue par le bureau de révision le 21 septembre 1995.
Cette décision unanime confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 4 janvier 1995 : - déclare que le travailleur a la capacité d'exercer son emploi convenable de technicien en génie mécanique à compter du 4 janvier 1995; - déclare que l'indemnité de remplacement du revenu réduite doit être établie à 997,07 $ par année; - déclare que la contestation du travailleur portant sur le base de salaire au moment de sa rechute de 1991 était irrecevable parce qu'elle a été soumise hors délai; - décline juridiction en rapport avec la contestation du travailleur portant sur le pourcentage du DPJV qui a été alloué.
OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel en matière de lésion professionnelles (la Commission d'appel) de déclarer qu'il a droit à la formation D.E.C. en génie mécanique, option fabrication et conception afin d'occuper un emploi convenable.
Le travailleur demande également de modifier l'indemnité de remplacement du revenu réduite en fonction du revenu brut annuel qu'il retirait à titre de grutier, emploi qu'il occupait habituellement lors de l'accident original et emploi qu'il a toujours occupé habituellement jusqu'à ce jour.
LES FAITS Le travailleur exerce le métier de grutier depuis 1978. En 1986, alors qu'il exerçait le métier de grutier dans un chantier de construction à Windsor, il y a eu une grève, l'obligeant à travailler comme camionneur pour le compte de J.B.L. Transport inc., l'employeur au dossier, pendant une période de quelques semaines. C'est à l'occasion de ce travail que le 26 mai 1986, le travailleur subissait un important accident de la route, entraînant de multiples contusions, lacérations ainsi qu'une entorse dorso-lombaire.
La date de consolidation de ses lésions fut fixée au 15 octobre 1986 et malgré la persistance de ses douleurs à la région dorso- lombaire, le travailleur réintégra le marché du travail dans ses fonctions de grutier. Par la suite, le travailleur subit une rechute le 27 janvier 1987 qui sera éventuellement acceptée par la Commission.
Il occupera le métier de grutier pendant quelques semaines pendant l'été 1988, en 1989 et à diverses reprises en 1990. À l'été 1991, le travailleur travaille comme camionneur pendant quelques semaines.
La Commission d'appel, dans une décision rendue le 3 juillet 1992, reconnaît au travailleur des limitations fonctionnelles physiques et par conséquence, son droit à la réadaptation.
Les limitations fonctionnelles retenues sont celles établies par le docteur Beaulieu comme suit : - Ne pas manipuler des charges supérieures à 20 kg; - Ne pas garder une position fléchie du tronc de façon prolongée; - Ne pas faire de mouvements répétés de flexion de la colonne.
Dans une lettre du 15 septembre 1992, le travailleur demande à la Commission d'établir un revenu brut plus élevé en raison de son métier de grutier. La Commission n'y donne pas suite.
La Commission d'appel, dans sa décision du 3 juillet 1992, est d'avis qu'en raison de ses limitations fonctionnelles, le travailleur ne peut plus exercer son métier de grutier ni celui de camionneur.
La Commission, dans une décision du 13 mai 1993, détermine un emploi convenable et la mise en place de mesure de réadaptation dans les termes suivants : «Suite à l'impossibilité d'un retour au travail chez votre employeur, nous avons exploré ensemble la possibilité d'un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. Après avoir procédé à l'évaluation de vos possibilités professionnelles, nous avons finalement retenu l'emploi de technicien en génie mécanique comme emploi convenable, au revenu actuellement estimé à 30,000.
Afin de vous rendre capable d'exercer cet emploi, nous avons retenu la mesure suivante formation d.e.c. en génie mécanique option fabrication conception,formation se terminant fin décembre 1994.» En septembre 1993, constatant que le travailleur avait échoué quelques cours et qu'il risquait par conséquent de ne pas terminer son plan individualisé de réadaptation dans le délai prévu, monsieur Pierre Bélanger, conseiller en réadaptation, modifie le plan individualisé de réadaptation par lettre datée du 21 septembre 1993 qui se lit comme suit : «Suite à notre rencontre, nous avons discuté et révisé le plan individualisé de réadaptation de la façon ici indiquée. Nous avons retenu l'emploi de "technicien en génie mécanique" comme emploi convenable au salaire actuellement estimé à 30,000.00$.
Afin de vous rendre capable d'exercer cet emploi, nous avons retenu les mesures suivantes: - Compléter une formation générale C.E.C. en génie mécanique, le tout se terminant fin juin 1994; incluant la reprise des cours en "Graphique 1" en décembre 1993 et "Cotation fonctionnelle et Métrologie dimensionnelle" d'avril 1994 à juin 1994.
- Suivre un cours de dessin assisté par ordinateur de janvier 1994 à avril 1994.
Suivant cette progression, une rencontre sera cédulée avec le conseiller pour vérifier de la poursuite d'une spécialisation en fabrication» Le travailleur témoignera à l'effet qu'il a toujours compris de la rencontre qu'il a eu avec monsieur Bélanger, à l'époque, qu'on ne laissait pas tomber la spécialisation, mais qu'on recédulait la formation.
Au mois de décembre 1993, monsieur Bélanger demande à madame Pauline Leblanc de lui faire une étude afin de déterminer les emplois possibles dans le domaine pour les personnes ayant un C.E.C. plutôt qu'un D.E.C. avec spécialisation. Madame Leblanc produit un rapport daté de janvier 1994 basé sur de la littérature et une discussion qu'elle aurait eu avec monsieur St- Amand, conseiller en formation du C.E.G.E.P. de Sherbrooke.
Au 4 janvier 1995, la Commission statue sur la capacité du travailleur à exercer l'emploi convenable. Elle précise : «Suite à la fin de votre formation d'un "C.E.C. en génie mécanique", tel que discuté avec vous, vous êtes maintenant capable d'exercer l'emploi convenable de "technicien en génie mécanique" à compter du 04 janvier 1995.» La Commission lui fait part également qu'il continuera à recevoir l'indemnité de remplacement du revenu jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi mais pendant au plus un an à compter du 4 janvier 1995.
Dans une deuxième décision du 4 janvier 1995, la Commission statue sur l'indemnité réduite de remplacement du revenu. Elle estime le revenu brut annuel de l'emploi convenable à 30,000 $ et retient le revenu brut annuel au moment de la lésion pour l'emploi de camionneur plutôt que l'emploi de grutier et conclut que le travailleur a droit à une indemnité réduite de 997,07 $ par année. Le travailleur en appelle de ces deux décisions devant le bureau de révision, lequel maintient les décisions de la Commission, d'où l'appel du travailleur devant la Commission d'appel.
A témoigné devant la Commission d'appel, à la demande du travailleur, monsieur Jean Trudel, anciennement professeur en électro-technique et maintenant responsable pour la gestion des programmes aux adultes à plein temps au Collège de Sherbrooke, service Éducation des adultes depuis environ dix ans. Il explique qu'il a une bonne connaissance du milieu du travail parce qu'il s'y intègre pour organiser la formation sur place.
Il explique la formation générale de Technique de génie mécanique. Il explique la différence entre le C.E.C. et le D.E.C. Quant au C.E.C., il s'agit d'un programme de 20 cours de spécialité technique dans le domaine de génie mécanique. Par ailleurs, le D.E.C. comporte deux spécialités, soit celui en fabrication mécanique et un deuxième en conception mécanique. Le D.E.C. requiert 32 cours comparé à 20 cours pour le C.E.C. dans des spécialités. En plus, le D.E.C. comporte d'autres cours, tels que français, philosophie, etc.
Il explique que le travailleur a un C.E.C. et n'a pas les spécialisations en fabrication. À savoir s'il pourrait être membre de l'Ordre des technologues, monsieur Trudel explique qu'il faut nécessairement un D.E.C. ou l'équivalent. Or, l'équivalent s'apprécie cas par cas, nous dit-il. À son avis, il doute qu'avec les cours qu'il a fait, que le travailleur puisse faire partie de l'ordre car il n'a que trois cours spécialisés, soit la conception sur ordinateur avancée, l'automa-robot industriel et le projet en CAO.
Sur les 12 cours supplémentaires exigés pour un D.E.C., il lui manque 8 à 10 cours spécialisés pour avoir l'équivalent d'un D.E.C. Il parle de l'équivalent d'un D.E.C. parce que tel qu'il l'explique, il s'agit des cours techniques, alors qu'un D.E.C.
requiert d'autres genres de cours, tels que la philosophie, le français, etc.
À son avis, au niveau des industries, le bassin potentiel, les grosses entreprises exigent un D.E.C. Cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas se placer sur le marché du travail mais il aura de la difficulté s'il n'a pas un D.E.C. Par contre, des recherches auxquelles il est familier démontrent qu'avec un D.E.C., 93 % des diplômés se trouvent un emploi.
Quant à une enquête très mitigée auprès de 13 répondants titulaires d'un C.E.C., 7 se sont trouvés un emploi après 6 mois dont seulement 4 dans le domaine du génie technique.
Quant à une étude analysant 275 répondants ayant obtenu un D.E.C., 84 % ont obtenu un emploi relié à leur domaine, 9 % dans un emploi non relié pour un total de 95 % qui se seraient trouvés un emploi.
Sur le côté de la fabrication, une personne étant titulaire d'un C.E.C. peut être engagée comme machiniste à environ 9 $ à 10 $ de l'heure sans possibilité d'avancement. À son avis, pour accéder à un salaire d'environ 30 000 $ par année, il est certain qu'il faut un D.E.C. Il affirme que les gens qui ont un D.E.C.
commencent aux alentours de 20 000 $ à 30 000 $ par année.
À son avis, avec un C.E.C., une personne peut travailler comme machiniste ou dessinateur mais sûrement pas comme concepteur. Il réfère à la liste d'emploi offert aux finissants du programme du Certificat en génie mécanique que l'on retrouve dans le rapport de madame Leblanc et il est d'avis que une personne détenant un C.E.C. ne peut pas occuper le poste de concepteur; il peut obtenir un poste de dessinateur mais en ce qui concerne des pièces simples; il peut occuper le poste à un premier niveau de programmeur de machine/outil à commande numérique, de technicien d'assemblage, de technicien en dessin de conception mécanique mais non comme technicien d'entretien mécanique ni de technicien robotique ni de technologue en aéronautique. Comme il l'explique, dans ces genres de poste, il y a différents niveaux, donc quelqu'un avec un C.E.C. peut faire certains de ces postes à un niveau très élémentaire.
Quant au lieu de travail énoncé dans le document de madame Leblanc, monsieur Trudel explique qu'il connaît un bureau de dessin où le travailleur pourrait peut-être se trouver un travail, il s'agit d'un bureau où l'on refait des vieux dessins mais autrement, dans d'autres bureaux de dessin, le travailleur ne serait pas compétitif s'il n'avait pas un D.E.C. Dans le dessin, pour être compétitif, il faut de l'expérience et au niveau du C.E.C., il n'y a aucun stage de fourni.
En ce qui concerne une firme de génie conseil , il déclare que le travailleur ne pourrait pas occuper un poste dans une telle firme. Il pourrait, dans certains autres lieux, obtenir un poste à titre d'opérateur- machiniste à un niveau inférieur de conception.
A également témoigné à la demande du procureur du travailleur, 3 collègues du travailleur qui auraient suivi le programme C.E.C.
avec lui. Monsieur André Cloutier a fait plus de 30 demandes d'emploi dans le domaine et n'a obtenu qu'un offre d'emploi dans un domaine un peu relié, soit le machinage et un peu de dessin.
Le salaire pour cet emploi était de 8,00 $ l'heure et il ne pouvait donc pas se permettre d'accepter cet emploi. Il s'est donc trouvé un emploi comme préposé d'entretien sanitaire au centre hospitalier au montant de 13,00 $ l'heure. À son avis, son expérience dans sa recherche d'emploi lui indique qu'il a besoin de connaissance en électricité et qu'il a besoin d'avoir eu de l'expérience par un stage, tel qu'offert au C.E.G.E.P. et au niveau du D.E.C.
Monsieur Claude Thériault occupe présentement un emploi chez Bombardier, à titre d'assembleur sur une ligne de montage, à raison de 10,20 $ de l'heure, poste qui exige un secondaire IV plus une dextérité manuelle. Il possède un D.E.C. en gestion industrielle mais pas en génie technique et a suivi le cours C.E.C. Ayant terminé son cours C.E.C., il a fait environ 160 demandes d'emploi dans le domaine et a eu plus de 30 entrevues.
Il se faisait répondre qu'il n'avait pas de spécialisation donc il n'a pas pu obtenir d'emploi dans son domaine. De plus, on lui reprochait de ne pas avoir fait de stage.
Monsieur Patrice Lapointe a terminé son cours de C.E.C. avec le travailleur et n'a pas pu obtenir de travail dans le domaine de génie mécanique. Il a dû travaillé chez Rona au salaire minimum.
Il a obtenu un poste chez Hayes Dana pour usiner des pièces pour véhicules automobiles où il a travaillé pendant 9 semaines au salaire de 8,50 $. Il faisait de l'usinage à cet endroit et n'était vraiment pas machiniste. L'employeur pouvait entraîner quiconque qui se présentait. Avec ce peu d'expérience, il a tout de même pu se trouver un emploi à CAE comme opérateur de foreuse à cylindre et de perforeuse à raison de 15,85 $ mais comme il l'explique, son cours de C.E.C. n'est pas nécessaire pour ce travail.
Pour sa part, le travailleur explique qu'il n'a pu se trouver un travail dans le domaine de technicien en génie mécanique à la suite de la terminaison de son C.E.C. et il a envoyé une quarantaine de demandes d'emploi. Il a reçu quelques accusés de réception et il a donc dû retourner sur la construction comme grutier et ce, malgré que cet emploi ne respecte pas ses limitations fonctionnelles.
Le travailleur explique également qu'il a souffert d'un stress post-traumatique où il revit dans certaines occasions cette peur de mourir qui l'oblige à arrêter de travailler. Quant à ses limitations physiques, il doit prendre des médicaments parce qu'il a des séquelles aiguës de son accident du travail.
Il explique que comme opérateur de grue, il a souvent la trouille s'il y a un débalancement de la charge. Ceci l'amène à une condition de panique et d'anxiété. Il explique qu'à l'automne passé, il a failli se tuer. Il a eu un accident sur la grue et cet accident est toujours contesté, il n'est pas encore réglé au niveau de la Commission. À la suite de cet accident, il a dû être opéré et on lui a mis une plaque d'acier dans le poignet, faisant en sorte qu'il ne peut plus travailler l'hiver au froid.
Il explique que l'opération d'une grue nécessite que la machine soit bien vérifiée pour s'assurer qu'il n'y aura pas de bris mécanique par la suite; il faut faire face aux intempéries, se battre contre le vent pour garder une balance avec la charge que l'on a à manipuler. De plus, il y a toujours la personnalité du contremaître et des employés à qui on doit faire face. Il considère donc qu'il a la capacité ou la dextérité d'opérer une grue mais lorsqu'il lui arrive une malédiction et qu'il perd le contrôle, cela peut occasionner le renversement de la grue et la mort de beaucoup de personnes pour ne pas parler de la destruction de l'équipement.
Il explique qu'il a repris son travail de grutier malgré ses limitations fonctionnelles et malgré qu'il était toujours en traitements. Il explique évidemment qu'il n'a pas pu travailler, il était souvent le premier mis à pied parce qu'il devait manquer beaucoup de temps pour des traitements d'ergothérapie, de chirothérapie, de physiothérapie, etc.
Il a convenu avec monsieur Bélanger, l'agent en réadaptation de la Commission, lors d'une rencontre qu'il se dirigerait vers une spécialisation en conception. Selon lui, il est préférable de faire de la conception car ses limitations fonctionnelles l'empêcheraient d'oeuvrer dans une spécialisation de fabrication.
Par contre, les deux spécialisations sont nécessaires parce qu'il est difficile de faire la conception si on ne comprend pas la fabrication. Il est toujours prêt aujourd'hui à obtenir la spécialisation.
Quant à l'indemnité de remplacement du revenu, il explique qu'il est grutier depuis 1978. À l'époque de l'accident, il occupait un poste à titre de grutier chez Domtar où il faisait un salaire de 38 000.00 $ par année net. L'entreprise pour laquelle il travaillait étant en grève, il travaillait temporairement comme camionneur pour J.B.L. Transport Inc., l'employeur au dossier soit l'employeur pour qui le travailleur occupait, temporairement, un poste lors de l'accident. En 1991, lorsqu'il a fait une rechute alors qu'il n'a pas travaillé toute l'année, il travaillait comme grutier. En 1997, un grutier fait environ entre 42 000 $ et 60 000 $ par année. Il montre son dernier talon de chèque où il a fait 1 135,86 $ brut pendant une semaine à titre de grutier. Normalement, dit-il, les grutiers travaillent une semaine de 45 heures pendant 43 semaines/année. Durant les 9 semaines de dégel, il est en chômage.
Il explique également qu'il a compris pourquoi il avait besoin des cours telle que la philosophie pour être en mesure d'expliquer des plans et le produit. Par exemple, lors de demande de brevet pour un produit pour lequel il avait une conception, il n'a pas réussi à expliquer clairement le produit.
En 1989-1990, il n'a pas travaillé toute l'année et avait un salaire d'environ 38 000 $ à titre de grutier.
A également témoigné à l'audition, monsieur Bélanger, conseiller en réadaptation. Lors de la rencontre qu'il a eu avec le travailleur en 1993, celui-ci avait déjà complété deux sessions en génie technique qu'il avait entrepris de son propre chef.
C'est pourquoi ils avaient choisi de procéder dans ce domaine dans la détermination d'un emploi convenable. La modification du P.I.R. fut faite pour tenir compte des cours qui devaient être pris et par la suite, en décembre 1993, il a demandé à Pauline Leblanc de déterminer des emplois possibles dans le domaine pour un postulant détenant un C.E.C. Il reconnaît que le travailleur n'a jamais manqué de collaboration dans l'élaboration de son P.I.R. mais qu'il a éprouvé certaines difficultés personnelles dans l'accomplissement des cours dans l'échéance prévue par la Commission. Il reconnaît tout de même qu'il y avait des cours qui demandaient beaucoup de travail et qui étaient assez difficiles. Son intention était que le travailleur termine son C.E.C. et que par la suite, la Commission verrait quant à la spécialisation. Il a constaté également que le travailleur ne s'était pas inscrit dans tous les cours offerts durant la session.
MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider si le travailleur a la formation nécessaire pour faire l'emploi convenable qui a été déterminé.
Le terme «emploi convenable» est défini comme suit à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1: «emploi convenable»: un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; La preuve révèle que la Commission a, le 13 mai 1993, déterminé un emploi convenable identifié dans la décision comme étant un «emploi de technicien en génie mécanique». Par cette même 1 L.R.Q., c. A-3.001 (la loi).
décision, la Commission retient que pour être en mesure d'exercer cet emploi, le travailleur a besoin, comme formation, d'un D.E.C.
en génie mécanique, option «fabrication conception». Il est donc clair et cela est confirmé tant par le témoignage du travailleur que du conseiller en réadaptation, monsieur Bélanger, que le but visé est une spécialisation en fabrication et conception, forcément dans le but ultime d'occuper un emploi convenable dans ce domaine.
La Commission ne contredit pas le fait que le travailleur n'a pas la formation nécessaire pour la spécialisation «fabrication conception».
La Commission prétend aujourd'hui par un jeu de sémantique que cette spécialisation n'est pas nécessaire pour occuper certains emplois qualifiés de technicien en génie mécanique.
À l'appui de leur prétention, la Commission dépose un rapport de madame Leblanc commandé par monsieur Bélanger dans le but spécifique d'appuyer son raisonnement. Outre le rapport de madame Leblanc, aucune autre preuve n'a été présentée à cet effet. Or, son rapport est basé sur de la littérature qui n'est pas toujours très récente et sur une discussion avec un conseiller en formation au Cégep de Sherbrooke. Or, les conclusions de ce rapport sont contredites par le témoignage de monsieur Trudel qui semble avoir une expérience assez vaste dans le milieu pour avoir été enseignant dans le domaine pendant sept ans et avoir, pendant dix ans, dirigé et mis sur pied des programmes de formation dans ce domaine avec la collaboration des entreprises en organisant la formation sur place, poste qu'il occupe toujours aujourd'hui. À cause de cette expérience pertinente, la Commission d'appel considère qu'elle doit favoriser son opinion. À son avis, un détenteur d'un CEC peut peut-être se placer comme machiniste dans certaines entreprises à un salaire d'environ 9,00 $ à 10,00 $/heure sans possibilité d'avancement. Mais pour obtenir un poste en technique de génie mécanique à un salaire d'environ 30 000,00 $ par année, il faut une spécialisation en fabrication ou en conception.
Son opinion est confirmée par quatre détenteurs d'un CEC qui ont tous fait beaucoup de demandes d'emploi et qui ont été reçus en entrevue pour se faire dire qu'il leur fallait une spécialisation. Quant aux «certains emplois» connexes au domaine qui ont été offert à ces postulants, le salaire était de l'ordre de 8,00 $ à 9,00 $/heure ne leur permettant pas d'accepter le poste.
La Commission d'appel est d'avis que la preuve prépondérante démontre que pour être compétitif et obtenir un emploi en génie mécanique, il faut une spécialisation. De plus, si cette formation a été prévue lors de la détermination de l'emploi convenable c'est parce qu'elle fut jugée nécessaire à l'époque.
Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'un travailleur éprouve certaines difficultés dans l'accomplissement d'un programme de formation que la Commission peut par un jeu de sémantique, tenter de changer l'emploi convenable qui a été retenu d'autant plus, qu'il n'y a aucun doute quant à la collaboration du travailleur.
Peut-on douter de la bonne foi d'un travailleur qui, malgré ses limitations fonctionnelles reconnues qui l'empêchent de faire son travail, le reprend quand même malgré les risques pour sa santé et ce, pour faire vivre sa famille ? De plus, la Commission n'a pas offert de preuve à l'effet que ces «certains emplois» respectent les limitations fonctionnelles du travailleur. Par ailleurs, le travailleur explique qu'un emploi en fabrication ne respecterait pas nécessairement ses limitations fonctionnelles alors qu'un emploi en conception les respecterait.
De plus, explique-t-il, la spécialisation en fabrication est nécessaire pour être en mesure de mieux comprendre et de performer dans un emploi de conception.
La Commission d'appel considère donc que la Commission doit modifier à nouveau le P.I.R. avec la collaboration du travailleur afin de prévoir la spécialisation en fabrication et en conception pour permettre au travailleur d'exercer un emploi convenable. De plus, conformément à l'article 47 de la loi, le travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu tant qu'il a besoin de la réadaptation pour devenir capable d'exercer, à plein temps, son emploi convenable.
Le travailleur conteste également le calcul de son indemnité réduite de remplacement du revenu. Il ne remet pas en question le revenu qu'il pourrait tiré de l'emploi convenable mais conteste le revenu brut préaccidentel à sa lésion. Déjà, le 15 septembre 1992, dans une lettre à laquelle la Commission n'a pas donné suite, le travailleur demandait d'établir son indemnité de remplacement du revenu sur la base du revenu brut d'un grutier.
La Commission d'appel considère que l'article 76 de la loi doit ici recevoir application: 76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
Lors de l'accident de travail de 1986, le travailleur occupait un emploi chez Domtar à titre de grutier.
Parce que l'entreprise pour laquelle il travaillait était en grève, il a accepté de conduire un camion pour J.B.L. Transport Inc. (l'employeur) pendant la période de grève. C'est alors qu'il occupe cet emploi, que le travailleur subit un accident de travail et la Commission l'indemnise sur la base d'un salaire de camionneur et ce, nonobstant qu'il avait un contrat de travail à titre de grutier avec Domtar.
Par la suite, il occupera le métier de grutier en 1988, 1989 et 1990. En 1991, il travaillera comme camionneur pendant quelques semaines.
La Commission d'appel considère que lors de l'accident, le travailleur avait comme métier celui de grutier et ce n'est qu'à cause de circonstances particulières qu'il travaillait comme camionneur.
Le travailleur fut incapable d'exercer un emploi pendant plus de deux ans et la preuve démontre qu'il aurait occupé l'emploi de grutier lorsque sa lésion s'est manifestée n'eût été du fait qu'il y avait une grève chez son employeur.
La Commission d'appel est donc d'avis que le travailleur aurait dû être indemnisé sur la base d'un salaire de grutier.
L'indemnité de remplacement du revenu vise à protéger non seulement le revenu du travailleur mais aussi sa capacité de gains. C'est pourquoi l'article 76 permet de retenir un nouveau revenu brut plus élevé lorsque les conditions énumérées sont rencontrées. En vertu du deuxième alinéa de cet article, la Commission doit déterminer un nouveau revenu brut qui sert au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due à ce travailleur à compter du début de son incapacité. C'est ainsi qu'en vertu de l'application de cet article, la Commission doit verser au travailleur la différence entre la somme qui lui a été versée et la somme qui aurait dû lui être versée pendant les années antérieures. Il va de soi que l'indemnité réduite de remplacement du revenu doit être calculée sur la base du nouveau revenu brut.
Reste à savoir si la Commission d'appel peut réviser le calcul du revenu brut annuel au stade du calcul de l'indemnité réduite de remplacement du revenu.
La Commission plaide que le travailleur connaît, depuis juin 1991, le revenu brut annuel ayant servi au calcul de son indemnité de remplacement du revenu ayant reçu, pour la période du 28 juin 1991 à janvier 1996 à toutes les périodes de quinze jours, un chèque sur lequel apparaissait le montant du revenu brut annuel utilisé aux fins de son indemnisation. Or, le travailleur ne demande pas la reconsidération d'une décision de la Commission prise en 1991 mais ayant été incapable d'exercer son emploi pendant une période de plus de deux ans, il demande à la Commission de fixer un revenu brut plus élevé en fonction de son emploi de grutier car n'eut été de circonstances particulières lorsque s'est manifestée sa lésion, il aurait occupé cet emploi plus rémunérateur.
Quant au délai pour faire une telle demande, l'article 76 de la loi n'en prévoit aucun sauf qu'il appert qu'elle ne pourrait être faite avant que le travailleur puisse démontrer qu'il n'a pu exercer son emploi pendant plus de deux ans en raison de sa lésion.
Qui plus est, le travailleur conteste la décision de la Commission fixant l'indemnité de remplacement du revenu réduite dans le délai pour ce faire.
Dans les circonstances, la Commission d'appel considère qu'il y a lieu de fixer l'indemnité de remplacement du revenu réduite en tenant compte du salaire d'un grutier.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES : ACCUEILLE l'appel du travailleur, monsieur Michel Richard; INFIRME la décision rendue par le Bureau de révision le 21 septembre 1995; RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu'elle modifie à nouveau le Plan Individualisé de réadaptation (PIR) avec la collaboration du travailleur, monsieur Richard, afin de lui permettre d'obtenir un DEC, spécialisation en fabrication et conception dans le but de lui permettre d'exercer l'emploi convenable; DÉCLARE que le travailleur, monsieur Richard, a droit à l'indemnité de remplacement du revenu tant qu'il a besoin de réadaptation pour devenir capable d'exercer un emploi convenable; DÉCLARE que l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur, monsieur Richard, doit être calculée sur la base du revenu brut d'un grutier et ce, à compter du début de son incapacité; DÉCLARE que le travailleur, monsieur Richard, a droit à la différence entre la somme qui lui a été versée à titre d'indemnité de remplacement du revenu et celle qui aurait dû lui être versée pendant les années antérieures si celle-ci avait été calculée sur la base d'un salaire de grutier; DÉCLARE que l'indemnité réduite de remplacement du revenu doit être calculée en tenant compte du salaire d'un grutier.
Margaret Cuddihy, commissaire Me Robert L. O'Donnell 84, rue Principale Nord C.P. 842 Richmond (Qc) J0B 2H0 Représentant de la partie appelante PANNETON, LESSARD [Me Isabelle Vachon] 1650, rue King Ouest Bureau 300 Sherbrooke (Qc) J1J 2C3 Représentante de la partie intervenante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.