Delorme c. Services financiers Western Union |
2016 QCCQ 7563 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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LOCALITÉ DE |
REPENTIGNY |
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« Chambre civile » |
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N° : |
730-32-007662-153 |
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DATE : |
28 juillet 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
RICHARD LANDRY, J.C.Q. |
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RACHEL DELORME |
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Partie demanderesse |
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c. |
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SERVICES FINANCIERS WESTERN UNION |
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Madame Delorme poursuit Services financiers Western Union (« Western Union ») pour la somme de 1 630 $, reprochant à cette dernière d’avoir libéré des fonds de 1 200 $ contre sa volonté.
[2] Western Union nie toute responsabilité alléguant que sa procédure est sécuritaire et que la libération des fonds ne peut résulter que d’une négligence de la demanderesse elle-même.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[3] Les questions en litige sont les suivantes :
1) La demanderesse a-t-elle établi une faute de la défenderesse?
2) Dans l’affirmative, à quelle compensation a-t-elle droit?
LES FAITS
[4] À l’été 2015, madame Delorme est à la recherche d’un appartement à Montréal en prévision de la poursuite de ses études en administration à l’automne.
[5] Elle prend connaissance sur le site Kijiji d’un appartement qui l’intéresse. Le propriétaire est un résidant français du nom de Rémi Jean-Pierre Couturier.
[6] Elle entre en communication avec celui-ci pour manifester son intérêt pour la location.
[7] Celui-ci exige une preuve de disponibilité de fonds représentant un mois et demi de loyer (1 200 $) avant de faire le voyage au Québec pour faire visiter l’appartement.
[8] Madame Delorme et sa mère vérifient à la Ville de Montréal pour s’assurer que monsieur Couturier est bien propriétaire de l’immeuble, ce qui est confirmé.
[9] Madame Delorme s’adresse alors au comptoir de Western Union aménagé à même le magasin Walmart de Repentigny. Par une entente entre Walmart et Western Union, des employés de Walmart spécialement formés sont autorisés à transiger avec des clients pour le compte de Western Union.
[10] Madame Delorme et sa mère obtiennent de la préposée au comptoir Western Union la garantie formelle que les fonds de 1 200 $ ne seront pas libérés au bénéfice de monsieur Couturier sans leur autorisation expresse et tant qu’il ne l’auront pas décidé. Elle leur garantit qu’aucune somme ne peut être perçue par un éventuel bénéficiaire si celui-ci n’est pas en possession du numéro de code MTCN («Money transfer control number») exclusif à la transaction.
[11] Forte de cette garantie, madame Delorme remplit le formulaire intitulé «Envoi d’un transfert d’argent» au montant de 1 200 $ destiné à monsieur Couturier, à 9 h du matin le 5 août 2015.
[12] Ensuite, madame Delorme transmet par internet à monsieur Couturier une photographie du formulaire montrant [1] qu’un montant de 1 200 $ était disponible à son attention. La photographie contient une partie du formulaire d’envoi ainsi que le reçu du client pour un montant de 1 200 $ plus 30 $ de frais. Cette photographie ne montre pas le code MTCN qui est masqué par un papier collant de couleur rose [2].
[13] Cinq heures plus tard, soit vers 13 h, heure de Montréal, un individu encaisse à Paris la somme de 1 200 $. Un document de Western Union France atteste de l’encaissement du montant à 7 h 11 pm, heure de Paris [3]. Le reçu fait également état que l’individu qui s’est identifié comme Rémi Jean-Pierre Couturier a exhibé un passeport délivré au Togo le 1er mars 2014. Le reçu contient le numéro de code MTCN relié à l’envoi.
[14] Peu après l’encaissement, madame Delorme reçoit une nouvelle demande d’avance d’argent de monsieur Couturier par courriel.
[15] Elle sent alors la soupe chaude et décide de faire annuler le formulaire d’envoi d’un transfert d’argent au comptoir Western union pour apprendre avec stupéfaction qu’il est trop tard puisque le paiement a déjà été encaissé.
[16] Madame Delorme est sous le choc vu la garantie que le montant ne pouvait être encaissé sans le code MTCN.
[17] À l’audition, madame Delorme est formelle qu’en aucun temps elle n’a fourni le numéro de code MTCN à monsieur Couturier et que si celui-ci était en possession dudit numéro de code, il l’a nécessairement appris par quelqu’un d’autre qu’elle.
[18] Le 10 août 2015, madame Delorme transmet une mise en demeure à Western Union relatant les faits mentionnés ci-dessus et réclamant le remboursement de la somme de 1 200 $, plus 30 $ de frais payés et une somme de 400 $ en dommages et intérêts.
[19] En réplique, la représentante de Western Union à l’audition, madame Sherley Barthelemy, mentionne tout d’abord que les clients sont clairement prévenus des risques de fraude dans des opérations du genre et que c’est en pleine connaissance de cause qu’ils décident de compléter les formulaires d’envoi d’un transfert d’argent.
[20] Elle ajoute que les procédures de Western Union sont sécuritaires et atteste qu’aucune fraude ou collusion n’a été rapportée concernant des transactions comme celle de madame Delorme.
[21] Elle conclut que seule cette dernière a pu communiquer le numéro de code MTCN au faux monsieur Couturier et que celui-ci a été contraint de s’identifier en détail à Paris pour percevoir la somme de 1 200 $. Évidemment, dans des cas du genre, ce sont des faux papiers mais Western Union ne peut le savoir.
ANALYSE ET DÉCISION
[22] Le Tribunal est saisi d’un témoignage très crédible de la part de madame Delorme, corroboré par sa mère qui a participé à toutes les étapes de la transaction.
[23] Le Tribunal est également saisi des explications plausibles fournies par la représentante de Western Union.
[24] Il reste donc à trancher entre les deux.
[25] Western Union ne nie pas les propos de la préposée du Walmart à l’effet qu’il est totalement impossible au bénéficiaire du transfert d’argent d’encaisser quelque somme que ce soit sans posséder le numéro de code MTCN. Cette procédure est d’ailleurs obligatoire depuis le 22 avril 2013.
[26] Le Tribunal constate que des situations comme celles invoquées par la demanderesse sont légion, particulièrement avec Western Union. Plusieurs articles de journaux et plusieurs jugements sur le sujet sont produits au dossier.
[27] Dans la très grande majorité des cas, les demandeurs se plaignent que le transfert d’argent a eu lieu sans qu’il n’aient jamais fourni le fameux code MTCN qui devait leur garantir que l’encaissement ne pourrait avoir lieu sans leur autorisation.
[28] Concernant les jugements rendus sur le sujet, le Tribunal fait notamment référence aux décisions rendues dans Binette c. Western Union Financial Services Canada inc. [4] et Goulet c. Services Financiers Western Union [5].
[29] Dans le dossier Binette, Monsieur le juge Le Reste procède à une revue intéressante des principes de droit applicables en matière de preuve. Le soussigné ne pourrait mieux faire que d’en citer les passages pertinents :
[31] « Le Tribunal considère important de décrire les règles et critères applicables dans le cadre du fardeau de la preuve.
[32] En effet, le rôle principal des parties
dans la charge de la preuve est établi aux articles
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[33] Selon ces articles, les justiciables ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit. Les règles du fardeau de la preuve signifient l'obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion. Il s'agit donc de l'obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.
[34] La Cour suprême du Canada, dans la décision de Parent c. Lapointe, nous précisait sous la plume de l'honorable juge Taschereau:
«C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c'est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables, que les responsabilités doivent être établies.»
[35] Dans leur traité de La preuve civile (4e Édition)[6], les auteurs Jean-Claude Royer et Sophie Lavallée précisent:
«Il n'est donc pas requis que la preuve offerte conduise à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.»
[36] Les auteurs rappellent la décision de notre Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Dubois c. Génois où le Juge Rinfret s'exprime comme suit:
«Il aurait pu également s'appuyer sur les décisions citées par M. le juge Taschereau dans Rousseau c. Bennett, pour appuyer la théorie que "les tribunaux doivent souvent agir en pesant les probabilités. Pratiquement rien ne peut être mathématiquement prouvé."»
[37] Pour les Tribunaux, plusieurs règles peuvent aider un juge à décider de la suffisance ou non de la preuve entendue lors d'un procès.
[38] Par exemple, une preuve directe est préférée à une preuve indirecte, la preuve d'un fait positif est préférée à celle d'un fait négatif. La corroboration est une preuve qui renforce un témoignage de façon à inciter le juge à le croire, et l'attitude lors d'un procès d'un témoin peut même influencer le Tribunal.
[39] Le Tribunal doit donc, à la lumière de tous les éléments de la preuve, soit la preuve matérielle, documentaire et la preuve testimoniale reçue lors du procès, déterminer si la partie demanderesse a réussi à le convaincre selon les règles des probabilités.
2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal.
[40] Le Tribunal souligne également
l'article
1458. Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.
Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables. »
[30] Suite à son analyse du dossier, Monsieur le juge Le Reste tranche en faveur de la partie demanderesse.
[31] De la même façon, dans le jugement Goulet, Monsieur le juge Aznar invoque la prépondérance de preuve pour trancher en faveur du demandeur.
[32] Western Union soumet pour sa part des jugements qui ont rejeté des poursuites dirigées contre elles dans des circonstances qui suivent un «pattern» analogue [7].
[33] Le Tribunal en a pris connaissance. Il existe dans chaque affaire des particularités qui peuvent amener un juge à décider différemment.
[34] Tel que déjà mentionné, le Tribunal croit entièrement madame Delorme lorsqu’elle mentionne ne jamais avoir transmis de quelque manière que ce soit le code MTCN au présumé monsieur Couturier. De plus, elle est sa mère ont agi de manière responsable et prudente avant de souscrire au formulaire d’envoi.
[35] Partant de là, lui demander de prouver qu’une fraude ou autre forme de malversation est intervenue à l’intérieur de Western Union est totalement impossible à moins d’investir des sommes considérables d’enquête, ce qui serait disproportionné et impensable en fonction des montants en cause.
[36] À l’inverse, on aurait pu s’attendre à obtenir au moins une Déclaration pour valoir témoignage du préposé en France qui a remis l’argent au présumé fraudeur dans laquelle celui-ci aurait fourni une copie des documents d’identification fournis par ce dernier ainsi que des précisions sur la manière dont le présumé fraudeur a identifié le code MTCN.
[37] Chose certaine, des litiges de ce genre sont beaucoup trop nombreux et fréquents pour qu’il n’y ait pas un problème quelque part. On ne peut exiger des demandeurs impliqués qu’ils démontrent les tenants et aboutissants de ce problème; la défenderesse est bien mieux placée et nantie pour ce faire.
[38] À partir du moment où la partie demanderesse convainc le tribunal qu’un transfert d’argent a eu lieu sans son autorisation et sans sa participation consciente, elle a droit au remboursement. C’est le cas dans la présente affaire.
[39] Cela amène le Tribunal à conclure que la preuve prépondérante favorise la version de la demanderesse et qu’elle a droit en partie au remède recherché.
[40] Ainsi, il n’y a cependant pas lieu d’accorder des dommages autres que la perte d’intérêts sur cette somme d’argent.
[41] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[42]
CONDAMNE Services financiers Western Union (Financial Services Canada
inc.) à payer à madame Rachel Delorme la somme de 1 230 $, avec
intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article
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__________________________________ RICHARD LANDRY, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
19 juillet 2016 |
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[1] Pièce P-5
[2] Voir photo, pièce P-5
[3] Reçu, pièce D-4
[4]
[5]
[6]
Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE,
[7]
Laing c. Walmart et Western Union, 27 octobre 2015,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.