Décision

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Canada (Procureur général) c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

2014 QCCS 5007

 

JL3454

 
COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-036915-075

 

 

 

DATE :

Le 22 octobre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUIS LACOURSIÈRE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

c.

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER

NATIONAUX DU CANADA

Défenderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

           Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE EN JUGEMENT DÉCLARATOIRE

______________________________________________________________________

 

[1]           La cession du Pont de Québec (le « Pont » ) par le Canada à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le « CN » ) en marge de la privatisation de cette dernière en 1995 suscite des divergences sur le sens à donner à certaines ententes souscrites entre eux.

[2]         Essentiellement, le Procureur général du Canada (le « PGC » ) soutient que le CN s’est alors engagé à effectuer une restauration majeure du Pont, incluant une peinture complète; pour sa part, le CN affirme plutôt qu’il a investi le montant prévu à une convention signée le 7 janvier 1997 avec le gouvernement du Québec, ministère des Transports ( « MTQ » ) et des Affaires intergouvernementales et Sa Majesté du chef du Canada, ministère des Transports ( « TC » ), soit la somme de 36 M$, et qu’il a donc exécuté toutes ses obligations.

[3]         Le présent recours vise aussi à trancher d’autres différends entre les parties, qui vont de la position du CN voulant que certaines sommes lui soient dues par TC à une demande de ce dernier d’annuler la convention du 7 janvier 1997 pour cause d’erreur et de vice de consentement.

I           LE CONTEXTE

[4]         Avant d’aborder les procédures et les questions qu’elles soulèvent, il est utile de s’arrêter sur le contexte.

i)          le Pont

[5]         Le Pont est une merveille d’ingénierie. Il est le plus long pont cantilever ferroviaire au monde et a été désigné, en 1987, monument historique par les sociétés américaine et canadienne de génie civil[1]. La structure d’acier a été érigée à compter de 1913 et le Pont a été complété en 1918. La structure d’acier originale pesait 66 480 tonnes et a requis quelque 6 000 gallons de peinture[2].

[6]         Le Pont, construit par le gouvernement du Canada, en demeurera la propriété jusqu’au milieu des années ’90.

[7]         Par ailleurs, en 1923, la gestion des terrains de chemins de fer du Canada, dont le Pont, est confiée au CN par le Canadian Government Railways  ( « CGR » ).

[8]         Le Pont ayant originalement été utilisé strictement comme lien ferroviaire entre les rives du St-Laurent, des voies routières sont aménagées en 1928 et en 1949 à la demande du gouvernement du Québec.

[9]         À compter du 30 septembre 1949, le MTQ exploite et entretient les voies carrossables du Pont au terme d’une entente intervenue alors[3] qui a pris fin en 2012.

ii)         La période 1993 - 1997

[10]      Les 1er et 2 juin 1993[4], un échange de lettres entre Jean Corbeil, ministre des Transports du Canada et Paul Tellier, président-directeur général du CN, fait état, d’une part, de certaines pressions que subit le gouvernement canadien pour assurer un meilleur entretien du Pont et, d’autre part, de l’intention du CN de l’entretenir d’une façon adéquate dans le contexte du transfert proposé des terrains des chemins de fer du gouvernement canadien au CN.

[11]      Le 30 juillet 1993, TC, les Commissaires du Chemin de fer Transcontinental, représentés par TC, et le CN signent une entente (l’ « Entente de 1993 » )[5] aux termes de laquelle TC s’engage, notamment, à céder le Pont au CN. Elle contient les clauses suivantes :

1.  Canada shall transfer to CN, pursuant to the provisions of the Federal Real Property Act, all of the CGR lands excluding the NTR (National Transcontinental Railway) lands and excepting thereout and therefrom the lands described in Annex 1 attached hereto.

[…]

4.             Canada shall transfer the Quebec Bridge to CN as part of the first land block transfer of CGR lands. CN shall undertake to fund a major maintenance program on the Bridge, including the installation and maintenance of architectural lighting, which shall restore this structure to a condition which shall ensure its long term viability and ensure it is maintained in this state. Without limiting CN’s obligations described above, CN will attempt to reach an agreement with the Province of Quebec to co-fund such maintenance program.

(soulignements ajoutés)

[…]

[12]      En conséquence, un groupe de travail conjoint MTQ-CN est créé pour jeter les bases d’une entente visant à assurer la continuité de l’entretien du Pont[6].

[13]      En mai 1994[7],  le CN mandate une firme d’ingénieurs-conseils de renom, Modjeski and Masters Inc. ( « M and M » ) de Harrisburg, Pennsylvanie et de la Nouvelle-Orléans, N.-O., pour inspecter le Pont. M and M s’engage notamment à décrire l’état du Pont et à formuler des recommandations sur son entretien et sur les réparations requises[8].

[14]      L’inspection a lieu et M and M dépose son rapport en octobre 1994[9], lequel est communiqué à TC qui a, bien sûr, un intérêt à connaître l’état de la structure[10].

[15]      Le rapport de M and M conclut que la condition du Pont est généralement bonne mais énonce tout de même certaines recommandations quant aux réparations et à l’entretien requis[11].

[16]      Le 9 janvier 1995, M and M transmet à Robert A. P. Sweeney, ingénieur chef adjoint-Structures du CN[12] , une opinion sur deux scénarios :

-       un estimé des coûts annuels minimaux relatifs à l’exécution de travaux, en dollars de 1995, pour l’entretien et la réparation du Pont jusqu’en 2012; et

-       un estimé des coûts, en dollars de 1995, pour l’entretien et la réparation du Pont en 2013 (à l’expiration de l’entente intervenue en 1949 avec le MTQ) pour remettre ce dernier en bonne condition.

[17]      M and M recommande d’abord que certains travaux soient effectués dans les cinq ans pour éviter des dommages irréparables.

[18]      M and M poursuit ainsi et fournit certains chiffres :

After completion of these initial needed maintenance and repair items, there could be a period of time in which the minimum annual cost could be further reduced (not recommended), knowing that structural damage will occur by deferring maintenance and that maintenance work will become repair work at an increased costs(sic) in the year 2013. The absolute minimum maintenance cost during this period is estimated to be $360,000 annually.

An example of minimal maintenance effort is the selective painting of critical areas that is budgeted at $300,000 per year for the first 5 years. This level of effort will paint only about 30,000 sq. ft or approximately 6/10ths of one percent of the bridge surface area, an extremely minimal effort. After five years the painting effort drops to only 20,000 sq. ft per year. Other maintenance items listed similarly are truly minimal efforts.

In the year 2013, the effort needed to return the bridge to proper condition is hard to judge since the rate of deterioration is not known. It is known that with the present condition of paint protection deterioration, the metalwork deterioration expected in the next 18 years will be many times greater than that experienced in the past 18 years. It is expected that the entire bridge will need complete cleaning and painting at a cost of approximately $45,000,000. By deferring maintenance for 18 years it is expected that much of the secondary bracing will need replacement rather than repair and other structural repairs will be needed on primary members, at an estimated cost of $15,000,000. In 2013, the total rehabilitation effort may cost in excess of $65,000,000.

[…]

[19]      Le CN procède à sa propre inspection du Pont. Le 14 juillet 1995[13], le Bureau de l’ingénieur-chef du CN prépare un rapport (le « Rapport CN 1995 » ) vu l’engagement, souscrit à l’Entente de 1993, d’entretenir le Pont pour le remettre dans un état structurel permettant d’assurer sa viabilité à long terme et de le maintenir dans cet état.

[20]      Le CN veut savoir à quoi il s’est engagé.

[21]      Le « sommaire exécutif » du Rapport CN 1995 décrit lui aussi une structure en bonne condition générale et formule certains commentaires et recommandations dont les suivants :

Executive Summary :

[…]

The in-depth inspection of the structure revealed that the overall condition is remarkably good given the age and operating environment of the structure. Even though the paint coating of the structure is in fair to poor condition, there is very little significant section losses in the members outside the road vehicle’s “de-icing material spraying influence area”. […]

[…]

Roadway salting in the past, cinders and other de-icing material deposited on the steel adjacent to the roadway has accelerated the rate of deterioration of the steel.

[…]

A fatigue evaluation was also carried out on all critical members using the most recent fatigue evaluation techniques. If proper maintenance continues, then a long life can be expected of the structure. An aggressive corrosion protection/prevention program will further increase the longevity of the structure, be more aesthetically pleasing and minimize major expenditures in future years. The life expectancy will change, if there is any major increase in the volume of traffic or in loadings.

For long term safe operations, some work will be required such as repairing the corroded members as identified in the Modjeski and Masters report. This work may be carried out within the next fifteen years.

[…]

By arresting and preventing corrosion, the bridge will be able to support present traffic for many more years to come. It is important that this further deterioration be arrested by selective painting. Priority should be given to the “de-icing material spraying influence area” of the roadway. Removal of accumulated debris must be carried out as soon as possible. Failure to do so will accelerate the corrosion.

[…]

[22]      Le Rapport CN 1995 énonce lui aussi différentes recommandations, à coûts projetés variables selon la nature des travaux[14] :

-       un programme de travaux au montant de 18,1 M$ sur une période de 15 ans. Ce programme assurerait la viabilité à long terme de la structure mais nécessiterait un programme majeur de restauration au terme de la période initiale de 15 ans; il prévoit des travaux de peinture « sélectifs » pour protéger des parties importantes ( « vital parts » ) du Pont;

-       un programme de travaux au montant de 53,2 M$ sur une période similaire. Il serait nécessaire pour restaurer la structure du Pont, assurerait sa viabilité à long terme et permettrait qu’elle soit maintenue dans cet état, au-delà de cette période, par des travaux d’entretien préventifs et de routine, tout en améliorant considérablement l’apparence ( « aesthetics » ) du Pont;

-       un montant additionnel de 9,8 M$ à l’option précédente serait requis si des impératifs d’ordre purement esthétiques étaient retenus, portant le coût total du programme de travaux à 63 M$ sur la même période que l’option précédente.

[23]      Une lettre du 5 juin 1995 de Paul Tellier à Jean Pelletier, ancien maire de la Ville de Québec et chef de cabinet du premier ministre Jean Chrétien, permet de saisir l’essentiel des préoccupations du CN à cette étape des discussions[15]  :

Tout d’abord, il faut régler le partage des coûts quant à l’entretien annuel du pont. Cet entretien se chiffre à 3 M$ par année. À cet effet, la contribution du gouvernement du Québec est de 25 000 $, ce qui est tout à fait ridicule puisque le transport routier sur le pont représente environ 75 pour cent du volume. Il nous apparaît donc essentiel que le gouvernement du Québec accepte le principe de contribuer sur une base annuelle à au moins la moitié des frais, à savoir 1.5 M$ par année.

Le deuxième élément du problème est de remettre le pont en excellent état dans les plus brefs délais, ce qui devrait coûter 45 M$. Encore ici il nous apparaît raisonnable que le gouvernement du Québec accepte d’assumer la moitié de cette somme. Il nous resterait alors à nous entendre sur le nombre d’années à prendre pour compléter le travail.

[24]      Il n’est pas clair de la preuve quand les discussions ont été amorcées entre les deux hommes; de nouveaux échanges et de nouvelles discussions auront lieu plus tard entre eux lesquels seront déterminants à la conclusion de la convention importante de 1997.

[25]      Le 13 octobre 1995[16], Paul Tellier écrit à Jean Pelletier. Il l’informe que le coût total de la remise à neuf du Pont serait de 63 M$. L’échange entre les deux hommes fait suite, notamment, à des pressions répétées de M. Jacques Jobin, conseiller municipal et président de la Coalition pour la Sauvegarde du Pont de Québec              (la « Coalition » ), organisme dont la mission est de redonner au Pont ses lettres de noblesse.

[26]      Le 7 novembre 1995, huit jours après le Référendum, deux ententes (un Acte d’abandon et un Acte de concession) sont signées (les « Ententes de 1995 » )[17] par lesquelles le Pont est cédé d’abord au gouvernement du Canada[18] et, la journée même, par le gouvernement du Canada au CN.

[27]      Le CN intervient aux deux ententes, lesquelles sont signées « dans la mesure » où le CN « respecte les obligations découlant de l’entente signée le 30e jour de juillet   1993 ». Les Ententes de 1995 prévoient aussi ce qui suit : « les parties…confirment la survie des dispositions de l’entente (du 30 juillet 1993) non reproduite aux présentes tout comme si elles avaient été récitées au long ».

[28]      La pression de la Coalition et des municipalités de la région de Québec s’accentue pour que les travaux sur le Pont soient exécutés sans délai; par ailleurs, le CN désire une implication importante du gouvernement du Québec, responsable du transport autre que ferroviaire sur le Pont, qui bénéficie d’un bail avantageux au loyer de 25 000 $ par année. Le CN déplore notamment que le Pont soit endommagé par le matériel de déglaçage et les abrasifs utilisés pour la circulation routière, d’autant plus qu’il tient à renégocier le bail avec le MTQ.

[29]      Le 15 mars 1996[19], M. Claude Mongeau, alors vice-président Planification stratégique et financière du CN, écrit à son patron, M. Tellier, pour lui recommander un plan d’action quant au « Quebec Bridge Issue ». Après avoir relaté le rôle de la Coalition, il décrit ainsi sa perception de la position du gouvernement fédéral et de ce que devrait être celle du CN :

2.  Federal Government

The Feds no longer have any direct interest in this bridge structure. They have transferred to CN ownership and usage for rail purpose along with an obligation to maintain it. They will want to make sure that CN lives up to its obligations but, given that the other usage is for highway, they will insist that Quebec should be the government body participating in any funding over and above CN’s contribution. Ottawa’s only residual interest is of a political nature, mainly through J. Pelletier (and maybe others) who may see a benefit to a Federal government intervention which would appeal to local constituencies. However, the main issue here is that the PMO would have to find a Department prepared to fund this project - not an easy task in the current fiscal environment. I may be wrong, but I believe that the Feds will not commit any fund to this project unless it faces very strong political pressure.

[…]

4.          Canadian National

             CN has only two legal obligations:

Undertake a maintenance program to keep this bridge in good and safe condition for the long term

Install and maintain an architectural lightning system

From an engineering stand point, CN has a solid case with the Modjesky study to limit its spending on the structure to about $1.5 M a year over the next 15 years. From a business stand point, given that only about 90 loaded cars cross this bridge every day, spending anything more than this amount would clearly be detrimental to our shareholder’s interest. Our position should therefore be quite clear:

CN will live up to its obligation of maintaining this bridge in good and safe condition. As of this summer, the Company will start a maintenance program of roughly $1.5 - 2.0 M. per year to meet this commitment.

Having said this, CN remains flexible and responsive to local interest group to the extent that governments (mainly Quebec in my view) are prepared to fund the more extensive maintenance program. As a result, CN would be ready to share equally the costs of a repair and maintenance program of the Quebec bridge. This would exclude work for the purpose of aesthetics only. The timing of such a repair and maintenance program would have to be agreed in advance between CN and the Province. The Province will have to match every dollar committed by CN, when committed.

[30]      Le 27 mars 1996[20], des questions sont posées à la Chambre des Communes à David Anderson, ministre des Transports, sur les visées du gouvernement fédéral quant à l’entretien du Pont. À l’évidence, cette question est importante pour la communauté du Grand Québec.

[31]      Le 11 avril 1996[21], lors d’une rencontre avec le MTQ, M. Mongeau réitère qu’il a peu d’espoir d’obtenir des fonds du gouvernement fédéral et que, de toute façon, le CN ne saurait l’approcher avant qu’une entente ne soit conclue avec le MTQ.

[32]      À cette même occasion, M. Mongeau informe le MTQ que le CN est prêt à investir 1.5 M$ à 2 M$ par année pour assurer la pérennité du Pont mais n’est pas disposé à dépenser les sommes requises pour effectuer les travaux identifiés au rapport M and M au cours des sept prochaines années.

[33]      Parallèlement à ces rencontres et discussions, des pourparlers ont lieu à nouveau à un très haut niveau, soit entre MM. Jean Pelletier et Paul Tellier.

[34]      Le Pont a valeur de symbole et M. Pelletier, comme ancien maire de Québec, est très sensible à ce facteur; la situation politique fin 1995/début 1996 est tendue, meurtris que sont les opposants à un référendum déchirant, et le gouvernement fédéral est désireux de projeter une image positive à la population. Le fait de contribuer à l’effort de restauration du Pont, malgré qu’il vienne d’être cédé, est, dans ce contexte, attrayant, d’autant plus que les Fêtes du 400e anniversaire de la fondation de Québec approchent.

[35]      Même s’il qualifiera, lors de son interrogatoire hors cour, le Bureau du premier ministre de « boîte à lettres », M. Pelletier joue donc un rôle important dans un déblocage inattendu, soit l’acceptation par le gouvernement fédéral de contribuer, contre toute attente, aux travaux de restauration du Pont. M. Pelletier convaincra en effet le ministre David Anderson de débloquer certains crédits pour participer à l’entente à venir.

[36]      M. Pelletier est alors le seul interlocuteur qui représente le gouvernement fédéral auprès de M. Tellier[22]. Ce dernier estime avoir parlé à M. Pelletier trois ou quatre fois par téléphone, sans toutefois jamais le rencontrer.

[37]      Il confirme qu’une évaluation des coûts de 60 M$ reliés au « peinturage » a été effectuée par le CN à l’interne ou avec l’aide de consultants[23] mais ajoute n’avoir jamais discuté avec M. Pelletier, d’une façon spécifique et détaillée, à quoi servirait la somme de 60 M$[24].

[38]      Une note du 31 mai 1996[25] de Claude Mongeau à Paul Tellier fait état d’une entente entre le CN, le MTQ et TC pour partager les coûts d’une restauration du Pont dans les proportions respectives de 60 %, 30 % et 10 %. Il est utile de référer à l’extrait suivant :

Premièrement, l’entente devrait porter sur un « engagement de dépenses » pour une somme maximum de $60 M échelonnée au cours des prochaines dix années et non pas un engagement de restauration qui spécifierait en détail l’ampleur des travaux à effectuer. À mon avis, cette distinction est importante car l’estimé de $63 M fait par la firme Modjesky & Masters ne contenait ni de provisions pour l’inflation (ce qui pourrait représenter facilement $10 à $15 M additionnels), ni de provisions pour les facteurs externes qui pourraient augmenter le coût des travaux. Un bon exemple de ce dernier point est le resserrement possible des exigences de protection environnementale pour les travaux au-dessus du fleuve (que les gouvernements envisagent effectivement d’implanter à l’horizon 1998).

Deuxièmement, je pense qu’il serait important pour le CN d’exiger que le Fédéral nous libère de notre obligation d’installer un système d’éclairage architectural tel que spécifié dans l’entente CGR de 1993. Un tel système pourrait nous coûter jusqu’à $5 M et il est clairement préférable que ces montants soient appliqués aux travaux de restauration de la structure.

[39]      Certains échanges de correspondance et de projets de conventions ont cours entre Messieurs Pelletier et Tellier les 4 et 6 juin 1996[26].

[40]      En effet, le 4 juin 1996, M. Tellier fait parvenir à M. Pelletier un projet d’entente qui fait suite à leurs négociations[27]. Les clauses suivantes sont pertinentes :

ATTENDU QUE les parties reconnaissent la nécessité de procéder à des travaux majeurs d’entretien sur le Pont, répartis sur plusieurs années, d’une valeur de soixante millions de dollars (60 000 000 $) sur une période de dix (10) ans, et ce afin d’assurer la viabilité future du Pont et ont convenu de participer à une contribution financière, telle que décrite ci-après, et ce afin que les travaux débutent promptement et soient complétés avec célérité.

[…]

3.1  Le CN assumera, à ses propres frais mais sous réserve du paragraphe 3.4, toutes les fonctions reliées à celles du maître d’œuvre du projet et verra à l’établissement des programmes des travaux ainsi que de l’échéancier de ces travaux. Il devra aviser, au cours du terme de la convention, le MTQ et le MTC à tous les six (6) mois des travaux effectués au cours des derniers six (6) mois et de ceux envisagés au cours des prochains six (6) mois, ainsi que des dépenses et des coûts estimatifs des travaux.

[…]

4.1  Les parties conviennent que le programme de travaux majeurs d’entretien se limite à un montant de soixante millions de dollars (60 000 000$) réparti sur une période de dix (10) ans. Cette contribution ne se rapporte aucunement à des travaux spécifiques; ces travaux seront établis de la façon prévue à l’article 3 et ce au fur et à mesure de la progression du projet.

[…]

6.1 Sous réserve de l’article 2 des présentes, cette convention annule et remplace toute autre convention, écrite ou verbale, intervenue entre les parties, soit de façon tripartite ou de façon bipartite, relativement aux travaux et améliorations à apporter au Pont.

[41]      La clause 6.1, qui se retrouvera intégralement à l’entente finale, est au cœur du différend entre les parties et le sens à lui donner constituera la question déterminante à trancher par le Tribunal.

[42]      Le 6 juin, M. Pelletier achemine à M. Mongeau certains amendements suggérés par le MTQ[28]. Ce dernier propose en effet que les clauses 4.1 et 4.2 du projet d’entente se lisent comme suit :

Article 4.1 :

Le Gouvernement du Québec accepte de verser une contribution à la remise en état du Pont de Québec pour une valeur totale de 18 M$ à raison de 1,8 M$ par année, payable en argent courant, pour la période s’étalant de l’an 1997 à 2007;

Le Gouvernement Fédéral participe à la remise en état du Pont de Québec pour un montant global de 6 M $ versé à raison de 600 000 $ par année durant 10 ans, soit de 1997 à 2007;

La Compagnie des Chemins de fer nationaux s’engage à appliquer sur toute la surface du Pont de Québec un système de protection qui soit à la fois durable et esthétique. Le CN s’engage à réaliser tous les travaux de réfection mentionnés à l’annexe 1 du rapport Modjeski and Masters, à ramener l’ouvrage dans un état apte à assurer sa viabilité à long terme et à permettre qu’il soit maintenu dans cet état uniquement par des travaux d’entretien courant et préventif. Produire(sic) au ministère des Transports du Québec un rapport d’inspection technique à la fin de la période;

Le CN assume l’entière responsabilité à la réalisation et des coûts totaux desdits travaux. Il agit à titre de maître d’œuvre en la matière. Le CN s’engage à investir un montant de 3,6 M$ par année durant dix (10) ans, soit de 1997 à 2007.

Article 4.2 :

Le CN s’engage à assumer les dépassements qui pourraient survenir au cours de la réalisation de ces travaux.

[43]      La proposition de modification est rédigée par M. André Bossé, directeur territorial du Québec au MTQ de 1996 à 1999, devenu sous-ministre adjoint[29].

[44]      La proposition d’« assumer les dépassements » est refusée par le CN.

[45]      Le 7 juin 1996, une entente de principe est acceptée et annoncée par les premiers ministres Chrétien et Bouchard pour la restauration du Pont, pour une durée de 10 ans, au montant de 60 M$, dans les proportions mentionnées plus haut[30].

[46]      Le 26 juin, M. Mongeau écrit à M. Pelletier pour lui faire part de certaines réserves quant à la rédaction d’une clause[31] qui prévoyait l’accord des parties au programme des travaux et de son insistance à limiter l’ensemble des travaux à 60 M$.

[47]      Les discussions entre MM. Pelletier et Tellier et, à un autre niveau, les personnes responsables chez TC, MTQ et CN, mènent à la conclusion, le 7 janvier 1997, de deux ententes :

-       le Programme d’entretien du Pont de Québec[32] (le « Programme d’entretien»);

-       la Convention pour le financement d’un programme de restauration du Pont de Québec[33] (l’ « Entente de 1997 » ).

[48]      Le Programme d’entretien[34], signé par l’ingénieur-chef et M. Mongeau pour le CN et le ministre des Transports et des Affaires intergouvernementales Jacques Brassard et le ministre des Transports David Anderson pour le Québec et le Canada, prévoit qu’une somme de quelque 60 M$ est « nécessaire » pour amener l’ouvrage dans un état apte à assurer sa viabilité à long terme et à permettre qu’il soit maintenu par la suite dans cet état uniquement par des travaux d’entretien courants et préventifs,  tout en améliorant considérablement son esthétique générale[35].

[49]      Il prévoit que les intervenants conviennent de limiter à un montant de 60 M$ réparti sur 10 ans le programme de travaux majeurs d’entretien et que le CN en serait le maître d’œuvre.

[50]      Il prévoit ce qui suit quant à la nature des travaux[36] :

2.          NATURE DES TRAVAUX

Sur la base des recommandations formulées dans le rapport de Modjeski & Masters, le programme comporte deux volets principaux.

D'abord, il s’agit d’effectuer au cours des trois premières années tous les travaux d’entretien et de réparation des éléments de structure pour assurer l’intégrité de l’ouvrage et supprimer la probabilité de le voir subir des dommages permanents et irréversibles.

Ce n’est qu’une fois que ces travaux sont complétés que l’on peut effectuer le nettoyage et la peinture de toute la structure, soit durant les sept années qui suivent. Il s’agit de la partie la plus importante du programme à laquelle on consacre quelque $43,125,000.

[51]       Quant aux travaux de peinture[37], le Programme d’entretien en traite comme suit :

2.2        Peinture

Une fois ces travaux d’entretien et de réparation terminés, on entreprend le sablage, le nettoyage et la peinture de toute la structure. Des endroits qui requièrent des travaux plus immédiats sont identifiés et il en est tenu compte dans l’échéancier final du projet. Le plan final et la séquence de ces travaux font l’objet d’une expertise externe en 1997 et ils commencent le plus tôt possible, soit dès 1998.

À ce moment, les chantiers débutent à chacune des extrémités du pont et progressent d’année en année vers la partie centrale. Ils se terminent en 2006 par la peinture de la travée suspendue.

La peinture de toute la structure du Pont constitue la partie la plus importante du programme de $60,000,000 tant en durée qu’en coût.

Dépenses totales :                   $43,125,000      (1999-2006)

[…]

3.2        Travaux de peinture

Les travaux de peinture représentent plus de 70% des dépenses du projet. À cause de leur nature technique très particulière et de leur amplitude, ils requièrent que l’on ajoute certaines étapes au processus, de façon à en optimiser les résultats.

Tout d’abord, les spécifications finales quant au choix de produits, la séquence et les conditions de leur application fait(sic) l’objet en 1997, d’une première expertise par des consultants externes spécialisés dans ce domaine. Les particularités techniques du travail requièrent que l’on s’assure que les produits utilisés pour la peinture d’un pont de cette importance sont les meilleurs disponibles en fonction d’un programme qui s’échelonne sur 8 ans. Le MTQ peut déléguer un représentant sur le comité technique chargé du choix du type de protection ou de peinture utilisée sur le Pont.

[…]    

À partir de 1998, les travaux de peinture s’effectuent en même temps aux deux extrémités du Pont et les chantiers avancent d’année en année vers le centre de la structure. Il est possible qu’à un certain moment, ce soit la même entreprise qui œuvre sur les deux chantiers ou que ce soit deux entreprises distinctes, selon qui se voit attribuer le contrat. 

[…]

[52]      Les parties au Programme d’entretien y insèrent un tableau[38] qui résume l’allocation prévue des tâches à effectuer :

TABLEAU 2 - ALLOCATION DES TRAVAUX

NATURE DES TRAVAUX

BUDGET

EFFECTUÉS PAR

Ingénierie

550 000 $

CN

Supervision

2 575 000 $

Contrat

Organisation du chantier

400 000 $

Contrat

Réparation des garde-corps, escaliers

1 700 000 $

Contrat

Réparation des travées d’approche

1 800 000 $

Contrat

Réparation de la structure principale

5 000 000 $

Contrat

Enlèvement du système de freinage

100 000 $

Contrat

Remplacement de la dalle du trottoir

400 000 $

Contrat

Réparation des culées

550 000 $

Contrat

Protection de la voie ferrée

400 000 $

CN

Inspection des travaux

350 000 $

CN & Contrat

Nettoyage

900 000 $

CN & Contrat

Peinture

43 125 000 $

Contrat

Travaux imprévus

2 150 000 $

CN & Contrat

[53]      Enfin, les parties prévoient la possibilité d’ajustements :

3.3        Possibilité d’ajustements

À cette étape du processus de planification des travaux, l’échéancier s’appuie sur un niveau de dépenses annuelles de 6 000 000 $. Les intervenants sont cependant d’accord pour se réserver une certaine marge de manœuvre pour ce qui est du montant effectif de ces dépenses annuelles, dans la mesure où ils ont auparavant donné leur accord conjoint et préalable, lors d’une des revues semestrielles des travaux. Cette marge de manœuvre porte sur :

-  la possibilité de faire varier le montant annuel des dépenses de + ou - 10 % par rapport au budget prévu de 6 000 000 $, sans possibilité de remettre en question la limite de 10 ans pour la fin des travaux.

-  la possibilité que soient reportés à l’année suivante, des travaux de peinture qui ne peuvent être exécutés à cause de conditions climatiques particulières. À ce moment, on exécute le travail inachevé l’année précédente ainsi que celui déjà prévu.

À la dixième année du projet, CN, le MTQ et le MTC revoient l’opportunité d’installer un système d’éclairage architectural du Pont, dans la mesure où les travaux de réfection et de peinture prévus à cette dernière année permettent de dégager des sommes à cet effet.

[54]      Quant à l’Entente de 1997[39], signée par M. Tellier pour le CN et par les ministres Brassard et Anderson et dont le premier jet a été rédigé par le contentieux du CN, elle prévoit, en préambule[40], ce qui suit :

[…]

ATTENDU QU’EN 1949, constatant l’accroissement du trafic des véhicules automobiles, le Gouvernement du Canada et le Gouvernement du Québec ont conclu le 30 septembre 1949 une entente afin d’élargir la route carrossable sur le Pont et ce afin d’y améliorer la circulation et de partager les responsabilités relatives à la voie carrossable du Pont (la «convention de 1949»);

ATTENDU QU’AUX termes d’une convention intervenue en 1993 entre le CN et le Gouvernement du Canada, les terrains et autres éléments utilisés pour l’exploitation des chemins de fer du Gouvernement canadien furent cédés au CN et, de ce fait, le CN a été substitué dans tous les droits et obligations attribués au Gouvernement fédéral en vertu de la convention de 1949;

ATTENDU QUE les parties reconnaissent l’importance de la structure du Pont pour le Québec métropolitain; et

ATTENDU QUE les parties reconnaissent la nécessité de procéder à des travaux de remise en état du Pont, répartis sur plusieurs années, d’une valeur de soixante millions de dollars (60 000 000 $) (le «programme») sur une période de dix (10) ans, et ce afin d’assurer la viabilité future du Pont et ont convenu de participer à une contribution financière, telle que décrite ci-après, et ce afin que les travaux débutent promptement et soient complétés avec célérité.

[55]      L’Entente de 1997 est donc d’une durée de 10 ans, soit du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2006.  Elle prévoit que le CN sera le maître d’œuvre.

[56]      Elle maintient en vigueur la Convention de 1949[41] :

2.          CONVENTION DE 1949

2.1.       La convention de 1949 demeurera en vigueur jusqu’à l’échéance qui y est prévue et les parties seront tenues de respecter toutes les obligations qui y sont contenues, y compris celle du MTQ de payer au CN la somme qu’il payait jusqu’à maintenant au MTC. Sans limiter la généralité de ce qui précède, il est convenu que l’entretien régulier de la voie ferroviaire et de la voie charretière du Pont est exclu de cette convention.

[57]      Par ailleurs, la contribution aux coûts[42] est décrite comme suit :

4.          CONTRIBUTION AUX COÛTS

4.1       Les parties conviennent que le programme se limite à un montant de soixante millions de dollars (60 000 000$) réparti sur une période de dix (10) ans.

4.1.1.   MTQ accepte de verser une contribution à la remise en état du Pont pour un montant total de dix-huit millions de dollars (18 000 000$) à raison de un million huit cent mille dollars (1 800 000$) par année, payable en argent courant, pour la période s’étendant de l’an 1997 à 2007;

4.1.2.   MTC accepte de verser CN (sic) une contribution à la remise en état du Pont pour un montant total de six millions de dollars (6 000 000$), à raison de six cent mille dollars (600 000$) par année, payable en argent courant, pour la période s’étendant de l’an 1997 à 2007;

4.1.3.   Le CN accepte de verser une contribution à la remise en état du Pont pour un montant total de trente-six millions de dollars (36 000 000$), à raison de trois millions six cent mille dollars (3 600 000$) par année, payable en argent courant, pour la période s’étendant de l’an 1997 à 2007; et

4.1.4.   Le programme des travaux au montant de soixante millions de dollars (60 000 000$) devra faire l’objet d’un accord entre le CN, le MTQ et le MTC avant la date prévue pour le premier versement.

4.2.      Le paiement annuel de la contribution de chacune des parties s’effectuera en deux versements égaux :

-               50% le 1er janvier de chaque année

-               50% le 1er juin de chaque année

Les parties établiront d’un commun accord le processus de paiement étant entendu que le but est que le CN puisse en tout temps et en temps opportun remplir ses obligations financières à titre de maître d’œuvre.

4.3       Les parties s’engagent à contribuer à l’entretien majeur du Pont, mais aucune des parties ne sera tenue de reconstruire le Pont, partiellement ou totalement si pour quelque raison, il devenait impraticable ou irréparable.

[58]      Enfin, les parties réservent le sort suivant aux « Conventions antérieures »[43] :

6.          CONVENTIONS ANTÉRIEURES

6.1        Sous réserve de l’article 2 des présentes, cette convention annule et remplace toute autre convention, écrite ou verbale, intervenue entre les parties, soit de façon tripartite ou de façon bipartite, relativement aux travaux et améliorations à apporter au Pont.

[59]      Les travaux sur le Pont sont donc annoncés officiellement par le CN à la population le 15 mai 1997[44] par communiqué de presse. M. Mongeau, président-directeur général du CN depuis 2010, dira à l’audience « prendre la paternité » de ce communiqué et le trouver conforme aux ententes intervenues « dans la limite du montant de 60 M$ ». Voici certains extraits de ce communiqué :

MONTRÉAL, le 15 mai 1997  - Le Canadien National commence cette année le programme de restauration du pont de Québec, qui s’échelonnera sur une période de 10 ans. Ce programme, évalué à 60 M$, a été rendu possible grâce aux investissements du CN (36 M$), du gouvernement du Québec (18 M$) et du gouvernement fédéral (6 M$).

« Bien que l’étude de Modjeski and Masters démontre que le pont de Québec est sécuritaire, il faut toutefois procéder à des travaux de restauration pour assurer la pérennité de cet ouvrage d’art construit en 1917», a déclaré Claude Mongeau, vice-président Stratégie et planification financière au Canadien National. Grâce à la collaboration des gouvernements du Québec et fédéral, nous avons pu opter pour le scénario le plus exhaustif ce qui permettra de redonner au pont de Québec toutes ses lettres de noblesse.»

En tant que maître d’œuvre du projet, le Canadien National supervisera l’ensemble des travaux. Il verra plus particulièrement à l’établissement des programmes de travaux et à la gestion de l’échéancier ainsi qu’à l’embauche des entrepreneurs.

[…]

Une fois cette phase terminée, le pont de Québec sera sablé, nettoyé et repeint à neuf. Cette étape, qui s’échelonnera de 1999 à 2006, constitue d’ailleurs la majeure partie du programme tant en durée qu’en coûts.

[…]

iii)        La période 1997-2007

[60]      Au printemps 1997, les travaux prévus au Programme d’entretien débutent.

[61]      Dès le 9 septembre 1997, une rencontre a lieu entre les représentants du CN et du MTQ au cours de laquelle un consultant en peinture, KTA Tator, fait une présentation quant aux coûts des travaux de peinture sur le Pont. Le consultant conclut alors qu’une reprise totale de la peinture coûterait 85 M$ et qu’une reprise partielle, c’est-à-dire une peinture adaptée en fonction de la détérioration du Pont[45], en coûterait 45 M$[46].

[62]      L’option de la reprise partielle est retenue[47].

[63]      Par la suite, à compter du mois d’août 1998[48], des rencontres bisannuelles pour faire le point sur le dossier du Pont ont lieu entre les représentants du MTQ et du CN.

[64]      TC, bien qu’invité[49], n’assiste pas aux réunions d’août 1998, de février 1999, d’août 1999 et de février 2000 mais le fait à compter d’août 2000. Notons que TC reçoit par ailleurs le détail des dépenses encourues pour le Pont par le CN mais n’en fait pas une analyse particulière[50].

[65]      Fait pertinent : c’est au printemps 1999 que le CN octroie aux Revêtements Nor-Lag ltée ( « Nor-Lag » ) le premier contrat de peinture. Il appert que, en date de l’audience, un sérieux différend oppose toujours le CN à ce sous-contractant mais il n’a pas de pertinence immédiate en l’instance; ce qui l’est, cependant, est l’explosion des coûts du travail de peinture.

[66]      À la réunion semestrielle d’août 2000, il est déjà question de dépassement de coûts.

[67]      TC mentionne avoir, à plusieurs reprises, demandé au CN d’exposer « une position claire » sur la question du dépassement de coûts, notamment dans le contexte du différend qui l’oppose à Nor-Lag.

[68]      Par lettre (non datée) que le CN situe à la fin 2002[51], elle avise TC de son intention quant à l’injection de somme additionnelle pour les travaux :

Travaux prévus de 2003 à 2006

18 M$ sont prévus de 2003 à 2006.

Nous voudrions, en priorité, finir les travaux de réfection de l’acier donc les travaux de superstructure et de remplacement des freins longitudinaux.

Par la suite, nous proposons de terminer les travaux de peinture à la travée ancrée sud.

Le CN ne désire pas investir plus d’argent pour le moment à ce projet (argent supplémentaire aux montants prévus).

Le CN souhaite attendre et revoir la situation lorsque le présent contrat sera complété (2003).

[69]      Le 13 novembre 2002[52], le CN informe la Coalition qu’elle n’injecterait aucune somme additionnelle. La lettre du président-directeur général du CN, dont copie est acheminée à TC, résume essentiellement la position qu’elle maintient à ce jour :

Le 7 janvier 1997, le CN signait une entente avec les ministères des Transports et Affaires intergouvernementales du Québec ainsi qu’avec le ministère des Transports du Canada au sujet de la réfection du pont et du partage des coûts. L’entente de 1997, comme le précise l’une de ses clauses, annule et remplace toute autre convention, écrite ou verbale, intervenue entre les parties soit de façon tripartite ou bipartite, relativement aux travaux et améliorations à apporter au pont. En bref, le CN s’acquitte de toutes ses obligations relatives au transfert du pont de Québec dans le cadre de cette nouvelle entente.

Les travaux de réfection et de peinture du pont étaient évalués à 60 millions de dollars échelonnés sur une période de 10 ans. Le CN a ainsi accepté de payer la somme globale de 36 millions de dollars, à raison de 3,6 millions de dollars par année. Quant à Québec et Ottawa, ils se sont engagés à verser 18 millions de dollars et 6 millions de dollars respectivement.

À ce jour, le CN s’est acquitté de toutes ses responsabilités dans ce projet et il continue de le faire selon les conditions de l’entente. Toutefois, le CN n’injectera pas d’argent supplémentaire pour la réfection du pont autre que les 36 millions de dollars prévus au contrat de 1997. Toute autre forme de financement devra relever des pouvoirs publics à qui il incombera de décider s’ils veulent engager les sommes supplémentaires pour les travaux de peinture du pont.

[70]      En août 2004, TC cesse de payer les contributions prévues à l’Entente de 1997. Il a versé 4,2 M$ des 6 M$ prévus.

[71]      Le Pont n’est donc pas peinturé en entier et reste entière la question de savoir si les travaux réalisés à partir des contributions des parties ont permis d’assurer la viabilité du Pont à long terme.

[72]      Le 13 septembre 2005, une rencontre de la dernière chance a lieu au siège social du CN entre M. Jean Lapierre, ministre fédéral des Transports et M. Hunter Harrison, président-directeur général du CN. Y assistent aussi, notamment, Claude Mongeau et Sean Finn, vice-président senior, chef du contentieux et secrétaire du CN, Louis Ranger, sous-ministre fédéral des Transports et Helena Borges, alors directrice exécutive à la Politique du chemin de fer pour le gouvernement canadien chez TC.

[73]      M. Lapierre mentionne qu’il avait toujours espoir, à ce moment, de négocier une sortie à l’impasse quant à la contribution du CN à la réfection du pont à la suite des ententes de 1993, 1995 et 1997. Il parle d’une rencontre brève; il lui est apparu que M. Harrison n’était pas intéressé à l’écouter et lui a rapidement fait savoir qu’ils se reverraient à la Cour (« we’ll see you in Court »).

[74]      Pour sa part, M. Ranger affirme avoir expliqué la position de TC voulant, notamment, que l’Entente de 1997 ne remplaçait pas les accords précédents et que le CN avait une obligation de compléter les travaux de restauration selon les Ententes de 1993 et 1995.

[75]      Quant à elle, Mme Borges produit à la Cour des notes contemporaines qui laissent transparaître que la réunion a quand même été l’occasion de plusieurs interventions[53] de plusieurs natures.

[76]      Un constat : rien ne résulte de cette rencontre et une lettre de Sean Finn du 21 novembre 2005[54] au sous-ministre Ranger réitère la position du CN : elle a rempli ses obligations.

[77]      La lettre du 23 novembre 2005[55] de Me Jacques Pigeon, avocat général principal du ministère de la Justice du Canada, à Me Finn, illustre que persiste l’impasse :

Monsieur,

OBJET :  Pont de Québec

Le 7 novembre 1995, par acte notarié passé devant Me Marie-Andrée Soucis, notaire, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada a cédé le Pont de Québec (le pont) à la Compagnie des chemins de fers nationaux du Canada (CN) pour la somme d’un dollar. L’acte notarié prévoit aussi que la cession du pont au CN est effectuée dans la mesure où CN respecte les obligations découlant de l’entente du 30 juillet 1993 entre Sa Majesté et le CN.

En vertu de cette dernière entente, le CN s’engageait, en substance, à financer un programme d’entretien majeur du pont et à procéder à sa réfection afin d’en assurer la viabilité à long terme, le tout tel qu’il appert plus amplement à la clause 4 de ladite entente. Il a toujours été entendu que le programme d’entretien majeur visé par cette clause incluait des travaux de peinture de toute la structure.

Or, plus de 10 ans après la cession du pont, CN n’a toujours pas complété les travaux de réfection et de peinture qu’elle s’était obligée à faire, et ce nonobstant le fait que les gouvernements du Canada et du Québec ont fait des contributions importantes au CN à l’égard des coûts desdits travaux.

Dans les circonstances, le gouvernement du Canada n’a d’autre choix que de constater le défaut du CN de respecter ses obligations et de mettre CN en demeure de remédier à ce défaut.

À défaut par vous de signifier au ministre des Transports du Canada dans un délai de 10 jours de la date des présentes que CN à l’intention de procéder avec toute la diligence requise à l’ensemble des travaux de réfection et de peinture du pont selon un échéancier qui soit acceptable au Ministre, nous intenterons les procédures appropriées sans autre avis ni délai. La présente est sans préjudice aux autres droits et recours de Sa Majesté.

Veuillez agir en conséquence.

II          LES PROCÉDURES ET LES QUESTIONS SOULEVÉES

[78]      Le PGC intente ses procédures pour jugement déclaratoire le 13 février 2007.

[79]      La requête introductive d’instance du PGC circonscrit ainsi le litige entre les parties :

31.        La défenderesse n’a pas donné suite à cette mise en demeure et n’a pas complété les travaux spécifiés dans le programme d’entretien à l’intérieur de l’échéance prévue à l’entente de 1997, soit le 7 janvier 2007;

32.       Notamment, moins de 40% des travaux de peinture du pont ont été complétés à l’heure actuelle malgré l’arrivée du terme de l’entente de 1997 et ce, alors que ces travaux représentent, selon la défenderesse elle-même, la plus importante partie des travaux prévus au programme d’entretien;

33.        Dans les circonstances, le demandeur est d’avis que la défenderesse est en défaut de respecter ses obligations contractuelles, tant aux termes des ententes de 1995, que de l’entente de 1997;

34.        Or, la défenderesse nie être en défaut, celle-ci soumettant plutôt qu’elle a respecté ses engagements contractuels puisque (i) les travaux effectués à ce jour sur le pont assureraient sa viabilité structurelle à long terme; (ii) les engagements financiers de la défenderesse aux termes de l’entente de 1997 auraient été entièrement remplis; et (iii) la défenderesse n’aurait aucune obligation financière additionnelle aux termes des ententes de 1995 et de 1997 vu la clause 6 de l’entente de 1997 que « (…) this Agreement cancels and supersedes any other agreement verbal or written, entered into between the parties, whether bipartite or tripartite, with respect to works and improvements to the Quebec bridge », tel qu’il appert des lettres à cet effet des représentants de la défenderesse, pièce R-14 en liasse.

[80]      Elle allègue qu’un rapport rédigé à sa demande[56] lui a permis de reconstituer la façon dont les travaux, financés par l’Entente de 1997[57], ont été exécutés et de constater que plusieurs travaux prévus au Programme d’entretien, au Rapport CN 1995 ou recommandés par M and M n’ont pas été ou n’ont été que partiellement exécutés.

[81]      Le PGC recherche initialement non seulement des conclusions de nature déclaratoire mais aussi de la nature d’une injonction, soit d’ordonner au CN de compléter les travaux prévus au Programme d’entretien.

[82]      Le 14 août 2007, la juge Lise Matteau accueille une requête du CN pour scission de l’instance et ordonne que l’on décide d’abord de la nature et de l’étendue des obligations contractuelles des parties selon les ententes intervenues en 1995 et 1997.

[83]      En février 2014, le PGC amende pour demander, comme conclusion subsidiaire, l’annulation de l’Entente de 1997. Selon lui, le CN savait que l’estimé de 60 M$ du coût des travaux du Programme d’entretien, utilisé pour obtenir une contribution financière du gouvernement canadien, était irréaliste; il allègue que cette information lui a été cachée et que, en conséquence et de façon subsidiaire, le PGC a droit à l’annulation de l’Entente de 1997 et au remboursement de la somme de 4,2 M$ qu’il a versée.

III         LES CONCLUSIONS DEMANDÉES

[84]      Les conclusions demandées par le PGC sont les suivantes :

DÉCLARER que la défenderesse a, en vertu des engagements contenus aux ententes de 1995, l’obligation de mettre en œuvre et de financer, à ses propres frais, un programme d’entretien majeur du pont afin d’en assurer la viabilité à long terme, ce qui inclut des travaux de peinture du pont de Québec;

DÉCLARER que cette obligation de la défenderesse subsiste malgré la clause 6.1 de l’entente de 1997;

DÉCLARER que l’entente de 1997 oblige à tout événement la défenderesse à compléter,  à ses frais et sous réserve des contributions impayées à ce jour par le demandeur et le mis en cause, tous les travaux spécifiés dans le programme d’entretien de la défenderesse, dont notamment le nettoyage et la peinture complète du pont de Québec;

DÉCLARER que la défenderesse est en défaut de respecter ses obligations concernant le financement et l’exécution des travaux spécifiés dans le programme d’entretien de la défenderesse, dont son obligation de financer les travaux pour un montant de 36 000 000 $ et son obligation d’exécuter des travaux de nettoyage et la peinture complète du pont de Québec;

ORDONNER à la défenderesse de compléter, à ses propres frais, sous réserve des contributions impayées du demandeur et du mis en cause, les travaux spécifiés dans le programme d’entretien de la défenderesse, dont notamment le nettoyage et la peinture complète du pont de Québec;

[…]

Subsidiairement, ANNULER l’entente de 1997 et CONDAMNER la défenderesse à rembourser au demandeur la somme de 4 200 000 $, avec intérêts au taux légal depuis le 23 novembre 2005, y compris l’indemnité additionnelle;

[…]

[85]      S’étant portée demanderesse reconventionnelle, le CN demande au Tribunal de condamner TC à lui payer 1.8 M$ avec intérêts et indemnité additionnelle, cette somme représentant la contribution impayée de cette dernière aux termes de l’Entente de 1997.

IV         LES QUESTIONS EN LITIGE

[86]      Les questions suivantes, telles que libellées par le PGC, sont en litige :

i)          le CN a-t-il en vertu des engagements contenus aux ententes de 1995, l’obligation de mettre en œuvre et de financer, à ses propres frais, un programme d’entretien majeur du Pont afin d’en assurer la viabilité à long terme?

a)        les engagements contenus aux Ententes de 1995 incluent-ils l’obligation de faire des travaux de peinture du Pont?

ii)         dans l’affirmative, cette obligation du CN subsiste-t-elle malgré la clause 6.1 de l’entente de 1997?

iii)        à tout évènement, l’entente de 1997 oblige-t-elle le CN à compléter, à ses frais, sous réserve des contributions impayées à ce jour par le Canada et le Québec, tous les travaux spécifiés dans le programme d’entretien du CN, dont notamment le nettoyage et la peinture complète du Pont[58]?

Subsidiairement, dans l’hypothèse ou la Cour répondait par la négative à l’une ou l’autre des deuxième et troisième questions en litige :

iv)        l’Entente de 1997 devrait-elle être annulée pour cause de vice de consentement du Canada[59]?

Quant aux conclusions principales et subsidiaires :

            v)         le recours du PGC est-il prescrit?

V          POSITION DES PARTIES

            i)          PGC

[87]      Le PGC plaide que, aux termes de l’Entente de 1997, le CN a l’obligation d’effectuer tous les travaux prévus au Programme d’entretien, signé le même jour. Il soutient que les obligations souscrites par le CN à l’Entente de 1993 ont été reconduites par les Ententes de 1995 et que, en conséquence, elle doit assurer la viabilité à long terme du Pont, peu importe les coûts.

[88]      Comme position subsidiaire, le PGC plaide que si le Tribunal devait conclure que l’Entente de 1993 a été annulée par l’Entente de 1997 et/ou que l’Entente de 1997 n’oblige pas le CN à effectuer tous les travaux prévus au Programme d’entretien, cette dernière devrait être annulée pour vice de consentement portant sur la nature et un élément essentiel du contrat et la somme de 4.2 M$ versée lui être remboursée. En effet, le PGC a toujours cru que, par l’Entente de 1997, il consentait à une simple convention de financement et non à un contrat remplaçant et annulant les obligations contractées par le CN dans l’Entente de 1993. De plus, selon lui, l’Entente de 1997 a été viciée par le fait que le CN a omis de lui divulguer un élément déterminant, soit que l’estimé de 60 M$ du coût des travaux prévus au Programme d’entretien était irréaliste.

ii)         CN

[89]      Pour sa part, d’entrée de jeu, le CN plaide que le recours du PGC est prescrit. La prescription est de trois ans et le droit d’action invoqué par le PGC a pris naissance, selon elle, en 2002 ou, au plus tard, en 2003, moment où le CN a réitéré à TC que, malgré les dépassements de coûts, elle n’investirait pas davantage et que son engagement financier se limiterait à la somme de 36 M$ prévue à l’Entente de 1997. Or, le recours du PGC a été intenté en février 2007.

[90]      Le CN plaide que le recours subsidiaire du PGC en annulation est lui aussi prescrit.

[91]      Quant au fondement de la demande en jugement déclaratoire, elle soutient d’abord que les termes de l’Entente de 1997 sont clairs, ne nécessitent pas d’interprétation, ne sauraient être contredits par des témoignages et expriment de façon manifeste que les parties ont convenu de limiter la somme totale engagée à 60 M$ et la contribution du CN à 36 M$, sans aucune obligation de cette dernière d’assumer les dépassements de coûts. L’autre conséquence de l’interprétation suggérée par le CN est que le PGC lui doit 1.8 M$, soit le solde dû sur la contribution de 6 M$.

[92]      Le CN ajoute que même si le Tribunal devait rechercher l’intention des parties dans une preuve extrinsèque, les négociations entourant l’Entente de 1997, le contenu du Programme d’entretien et le comportement des parties sont compatibles avec sa position.

[93]      Quant à l’annulation de l’Entente de 1997, le CN plaide d’abord que le PGC ne saurait demander, d’une part, l’exécution en nature de l’Entente de 1997 à titre principal et, d’autre part, plaider qu’elle est nulle à titre subsidiaire. En exigeant l’exécution en nature de l’Entente de 1997, il a renoncé à en demander l’annulation.

[94]      Enfin, le CN soutient qu’il n’y a aucun motif d’annulation de l’Entente de 1997 pour erreur, que ce soit sur la nature ou sur un élément essentiel de celle-ci; toutefois, si le Tribunal concluait à l’existence d’un motif d’annulation, il devrait rejeter la demande de remboursement de 4,2 M$.

VI         ANALYSE

i)         le CN a-t-il en vertu des engagements contenus aux ententes de 1995, l’obligation de mettre en œuvre et de financer, à ses propres frais, un programme d’entretien majeur du Pont afin d’en assurer la viabilité à long terme?

[95]      L’Entente de 1993, par laquelle le Canada s’engageait à céder le Pont au CN, prévoyait l’obligation pour ce dernier de financer un programme d’entretien majeur du Pont afin d’en assurer la viabilité à long terme et à le maintenir dans cet état par la suite[60].

[96]      Les Ententes de 1995 sont souscrites dans la mesure où le CN respecte les obligations découlant de l’Entente de 1993.

[97]      En conséquence, le CN a, en vertu des Ententes de 1995, l’obligation de mettre en œuvre et de financer, à ses propres frais, un programme d’entretien majeur du Pont afin d’en assurer la viabilité à long terme.

a)        les engagements contenus aux Ententes de 1995 incluent-ils l’obligation de faire des travaux de peinture du Pont?

[98]      Le PGC affirme que le CN a contracté pour effectuer une peinture complète du Pont. Cet engagement découlerait non seulement de l’Entente de 1997 mais aussi des Ententes de 1995 dans lesquelles était reconduit l’engagement, souscrit dans l’Entente de 1993, d’entretien majeur du Pont pour en assurer la viabilité à long terme et son maintien dans cet état par la suite.

[99]      Le PGC soutient que le CN a admis, à des moments importants, voire stratégiques, notamment lorsqu’il désirait une contribution financière du Canada, que les travaux de peinture complète du Pont étaient nécessaires pour assurer cette viabilité et que ces admissions constituent des aveux judiciaires.

[100]   Ainsi, il réfère :

-       au Programme d’entretien (daté du 7 janvier 1997), signé, rappelons-le, par l’ingénieur-chef du CN et par M. Mongeau, alors vice-président, qui indique que la solution adoptée par les parties (incluant une peinture complète du Pont) est nécessaire pour « amener l’ouvrage dans un état apte à assurer sa viabilité à long terme et à permettre qu’il soit maintenu, par la suite, dans cet état uniquement par des travaux d’entretien courants et préventifs »[61];

-       à l’Entente de 1997 dans laquelle les parties, incluant le CN, reconnaissent la nécessité de procéder à des travaux de 60 M$ sur une période de 10 ans pour assurer la viabilité du Pont, les travaux en question incluant, selon le Programme d’entretien, la peinture complète du Pont[62].

[101]   Le PGC plaide que ces admissions constituent des aveux extrajudiciaires au sens de l’article 2850 du Code civil du Québec ( « C.c.Q. » ) :

2850. L'aveu est la reconnaissance d'un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre son auteur.

[102]   Selon lui, ces aveux émanent clairement de personnes en autorité du CN et confirment l’engagement de ce dernier de financer un programme qui incluait une peinture complète.

[103]   Qu’en est-il?

[104]   La jurisprudence a créé et formulé certaines conditions essentielles à l’existence ou à la validité d’un aveu. Celui-ci doit être clair, sans ambigüité et sans équivoque[63].

[105]   Or, il n’est pas clair, sans ambigüité et sans équivoque que les aveux extrajudiciaires invoqués par le PGC impliquent  que des travaux de peinture complète, payés par le CN, étaient nécessaires pour assurer la viabilité à long terme du Pont. Peut-être était-ce l’engagement du CN; cependant, les aveux allégués ne sont pas suffisants pour en faire la preuve.

[106]   D’abord, l’extrait ci-haut mentionné du Programme d’entretien réfère à la somme de 60 M$ étant nécessaire pour « assurer sa viabilité à long terme…tout en améliorant considérablement son esthétique générale ». Il n’est pas clair de cet énoncé que les travaux de « peinture complète » ne sont nécessaires qu’à assurer la viabilité à long terme du Pont. En effet, le Tribunal ne peut exclure qu’ils soient aussi requis pour des motifs d’ordre esthétique.

[107]   La même réserve existe quant au sens de l’ « Attendu » de l’Entente de 1997 invoqué par le PGC. Ce paragraphe n’indique pas que tous les travaux sont nécessaires pour assurer la viabilité à long terme du Pont.

[108]   Il suffit de référer aux conclusions et recommandations du rapport de M and M du mois d’octobre 1994[64] et au Rapport CN 1995[65] pour constater que la viabilité à long terme du Pont n’implique pas nécessairement une peinture complète.

[109]   Bref, les aveux suggérés par le PGC n’ont pas la clarté et la précision requises pour faire la preuve, contre le CN, qu’elle s’est engagée à faire des travaux de peinture complète du Pont pour assurer sa viabilité.

[110]   Que les engagements contenus aux Ententes de 1995 prévoient des travaux de peinture? Si. Des travaux de peinture complète?  Les aveux invoqués ne permettent pas de tirer cette conclusion.

[111]   Le Tribunal est d’avis que la question de savoir quels sont les travaux nécessaires à assurer la viabilité à long terme du Pont relèverait, le cas échéant, du deuxième procès.

[112]   Ceci étant, la réponse à la question i a) telle que posée est affirmative : les engagements contenus aux Ententes de 1995 incluent l’obligation de faire des travaux de peinture du Pont.

[113]   Si le Tribunal ne peut, à ce stade, se prononcer sur l’étendue des travaux de peinture nécessaires à assurer la viabilité à long terme du Pont, il peut se prononcer sur l’obligation du CN de faire les travaux de peinture requis à cette fin malgré la clause 6.1 de l’Entente de 1997. C’est la prochaine question en litige.

ii)        dans l’affirmative, cette obligation du CN subsiste-t-elle malgré la clause 6.1 de l’entente de 1997?

[114]   Tel que mentionné précédemment, le sens à donner à cette clause est la question déterminante à trancher.

[115]   Il est utile, pour fins de référence, de reproduire à nouveau la clause 6.1 de l’Entente de 1997 :

6.          CONVENTIONS ANTÉRIEURES

6.1       Sous réserve de l’article 2 des présentes, cette convention annule et remplace toute autre convention, écrite ou verbale, intervenue entre les parties, soit de façon tripartite ou de façon bipartite, relativement aux travaux et améliorations à apporter au Pont.

[116]   Les positions des parties sur cette question sont essentiellement les suivantes.

[117]   Le CN soutient que le texte de l’article 6.1 est clair : les obligations contractées par elle aux termes de l’Entente de 1993, reconduites par les Ententes de 1995, sont remplacées par celles contenues à l’Entente de 1997. Or, cette entente est précise quant à la contribution des parties : celles-ci ont convenu de limiter l’investissement total pour la restauration du Pont à 60 M$ sur une période de dix ans selon des proportions précises[66].

[118]   Le CN plaide que, vu la formulation explicite et claire de l’article 6.1, de la clause 1, dernier paragraphe du Programme d’entretien et des clauses 4.1 et 4.1.3 de l’Entente de 1997, il est manifeste que la volonté des parties de limiter leur engagement ne souffre pas d’ambigüité.  Il est donc inutile pour le Tribunal de rechercher leur « volonté réelle » en faisant une incursion dans la preuve extrinsèque.

[119]   Le PGC rétorque que la position du CN est indéfendable à sa face même.

[120]   Le PGC souscrit à la thèse voulant que l’Entente de 1997 soit claire et non ambigüe. Il ne lui donne cependant pas le même sens que le CN. Il plaide en effet que la clause 6.1 de l’Entente de 1997 n’est pas, à sa face même, suffisamment précise pour « annuler et remplacer » les engagements prévus à l’Entente de 1993 quant aux travaux et améliorations à apporter au Pont. La clause 6.1 ne saurait, selon lui, équivaloir à novation par substitution des obligations prévues à l’article 4 de l’Acte d’abandon[67] par celles de l’article 6.1 de l’Entente de 1997.

[121]   Le PGC insiste sur le fait que la clause 6.1 vise les « travaux et améliorations à apporter au Pont ». Or, les Ententes de 1995 ne portent pas sur ce sujet mais visent plutôt une cession d’actifs immobiliers qui comporte, accessoirement, un engagement de financer un programme d’entretien majeur pour assurer la viabilité à long terme du Pont. Selon lui, les Ententes de 1995 ne portent pas, principalement ou accessoirement, sur des travaux et améliorations précis.

[122]   Le PGC soutient que l’usage par les parties du mot « convention » est pertinent puisque, si elles avaient voulu annuler et remplacer l’engagement général du CN d’assurer la viabilité à long terme du Pont et le maintenir dans cet état[68], elles auraient soit spécifiquement référé à cet engagement précis ou, à tout le moins, utilisé le mot « clause » ou « partie d’entente » plutôt que le mot « convention ». Ce dernier s’entend de « tout accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à produire un effet de droit »[69] et non, selon lui, d’une clause ou partie d’entente.

[123]   Le PGC rappelle que les parties ont d’ailleurs donné au mot « convention » ce sens plus général, par exemple, en affublant l’Entente de 1997 du titre « convention » et en référant, à son 5e Attendu, à l’Entente de 1993 comme à une « convention ».

[124]   Les principes d’interprétation des contrats sont au Code civil du Québec, les articles suivants étant les plus pertinents pour trancher la question :

1412. L'objet du contrat est l'opération juridique envisagée par les parties au moment de sa conclusion, telle qu'elle ressort de l'ensemble des droits et obligations que le contrat fait naître.

1425. Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1426. On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

1428. Une clause s'entend dans le sens qui lui confère quelque effet plutôt que dans celui qui n'en produit aucun.

[125]   Il faut qu’il y ait une ambigüité ou un doute raisonnable sur le sens à donner aux termes d’un contrat pour l’interpréter. En l’absence d’une telle ambigüité, le Tribunal ne pourrait, sous prétexte de rechercher l’intention des parties, dénaturer un texte clair[70] :

[…]

« Il devra s’en tenir à une application de ce qui est littéralement exprimé, tenant pour acquis que le texte reflète fidèlement l’intention des parties. L’exigence préalable d’une ambigüité, selon l’heureuse formule de deux auteurs, « joue le rôle de rempart » contre le risque d’une interprétation qui écarterait la volonté réelle des parties et bouleverserait l’économie de leur convention16 ».

[…]

Le fait que des parties entretiennent une divergence d’ordre interprétatif ne signifie pas nécessairement qu’une ambigüité existe réellement. Le rôle du juge comporte donc un aspect insolite, sinon paradoxal. Il doit en quelque sorte interpréter le contrat une première fois pour déterminer s’il est clair ou ambigu; s’il est ambigu, il doit ensuite résoudre l’ambigüité. Cet exercice fait appel à la brochette de règles édictées par le législateur aux articles 1425 à 1432 du Code civil; le tribunal puise aussi dans d’autres règles mises au point par la jurisprudence.

______________________

16 LLUELLES et MOORE, Obligations, no 1570.

[126]   Le PGC a invité le Tribunal à faire une incursion dans les faits qui ont précédé la signature de l’Entente de 1997 et du Programme d’entretien. Cette invitation s’inscrit non seulement dans le cadre du sens à donner à la clause 6.1 mais aussi de l’analyse nécessaire pour répondre aux questions iii), relative à l’obligation du CN de compléter les travaux, et iv), relative à la demande de nullité.

[127]   Il y a lieu pour le Tribunal de faire une certaine incursion dans les faits.

[128]   Cet exercice se veut un regard bref et général sur les circonstances qui ont entouré la signature de l’Entente de 1997 et du Programme d’entretien.  Ces circonstances ne sauraient amener le Tribunal à s’écarter du libellé des contrats signés le 7 janvier 1997, en particulier de l’Entente de 1997 et de son article 6.1, ou à en modifier le sens car il est, selon lui, clair. Le regard sur ces circonstances vise plutôt à saisir le contexte de la conclusion de ces deux contrats, qui ratissent beaucoup plus large que la clause 6.1. Bref, le travail d’application et d’interprétation confié au Tribunal ne saurait s’effectuer dans le vacuum d’une clause 6.1 désincarnée de son contexte.

[129]   Il est crucial de se reporter au moment des évènements et de ne pas laisser le bénéfice du recul, avec tous les avantages qu’il confère, teinter le regard sur les gestes posés alors par les acteurs principaux de l’époque. Deux de ceux-ci sont Jean Pelletier et Paul Tellier.

[130]   Le portrait qui se dégage de la preuve est que, à l’époque, dans la foulée de la cession du Pont au CN, un problème ne se réglait pas : la restauration de l’ouvrage dont, de façon importante, la peinture complète. Cette situation était malsaine, l’avenir du Pont incertain.

[131]   M. Pelletier, dont l’intervention est demandée notamment par la Coalition, parle à Paul Tellier pour le convaincre de participer sans délai à la restauration du Pont. Ce n’est pas à dire que le projet de restauration est né de l’intervention de M. Pelletier; il avait en effet été l’un des objets de l’Entente de 1993. Il s’agit plutôt de dresser le constat que l’ancien maire de Québec a voulu activer le dossier et y a réussi.

[132]   Le coût des travaux, 60 M$, que M. Pelletier qualifie de « coût de peinturage »[71], comprend en fait plus que le « peinturage »[72] et est plutôt le coût de la restauration (bien que les coûts de la peinture à eux seuls s’élevaient, selon le Programme d’entretien, à plus de 43 M$).

[133]   L’évaluation des coûts à 60 M$ est faite « par le CN ou à l’aide de consultants »[73]. Le Tribunal retient aussi de la preuve que la somme de 60 M$ provient essentiellement du Rapport CN 1995[74], l’option troisième s’élevant, en tenant lieu de considérations d’ordre esthétique, à 63 M$[75].

[134]   Fait significatif : le Rapport CN 1995 est communiqué à TC dès l’époque de sa rédaction[76].

[135]   Jamais MM. Pelletier et Tellier n’ont discuté de façon spécifique et détaillée de la nature des travaux qui seraient effectués à partir du montant de 60 M$. De fait, M. Pelletier est catégorique : « on n’entrait pas du tout dans la discussion technique des contrats »[77]. Par ailleurs, il ne se rappelle pas qu’il y ait eu quelque discussion que ce soit avec M. Tellier ou d’autres représentants du CN quant à l’hypothèse d’un dépassement de coût.

[136]   Le montant de 60 M$ est approximatif. Il ne tient pas compte de l’inflation. M. Mongeau, principal conseiller de M. Tellier au moment pertinent, le sait et le rappelle d’ailleurs à son patron le 31 mai 1996[78].

[137]   M. Pelletier est-il informé du fait que le montant de 60 M$ est un estimé et ne tient pas compte des aléas et de l’inflation?  Il en sera davantage discuté en réponse à la question iv).

[138]   Une chose est cependant claire : les tentatives du gouvernement provincial, transmises par l’intermédiaire du bureau de M. Pelletier[79], de consigner à toute entente à intervenir un engagement du CN de réaliser tous les travaux de réfection du Pont mentionnés au rapport de M and M et d’assumer les dépassements de coûts ont été infructueuses.

[139]   Avec beaucoup d’égard pour la position du PGC, plaidée avec ardeur et conviction par ses avocats, le Tribunal estime que les mots utilisés par les parties, au Programme d’entretien mais surtout à l’Entente de 1997, expriment clairement leur accord à régler la question des travaux d’entretien prévus à l’article 4 de l’Entente de 1993 et de l’Acte d’abandon[80]  par l’Entente de 1997.

[140]   D’abord, la clause 1 du Programme d’entretien, « Introduction », est rédigée de façon éclairante quant à ce qui est visé par les dépenses de 60 M$.

[141]   En effet, elle trace un bref historique de l’usage du Pont depuis le début du siècle, réfère spécifiquement à l’obligation du CN, comme propriétaire unique du Pont, de mettre sur pied un programme majeur d’entretien « pour restaurer l’ouvrage dans un état apte à assurer sa viabilité à long terme » et relate l’évaluation par le CN, avec l’aide de M and M, de l’état de la structure pour conclure ainsi[81] :

C’est par la suite, soit en juin 1996, que les gouvernements fédéral et provincial ainsi que le CN portent leur choix sur une des conclusions de l’analyse finale présentée par ce dernier. Il s’agit de celle selon laquelle une somme de quelque $60,000,000 est nécessaire pour amener l’ouvrage dans un état apte à assurer sa viabilité à long terme et à permettre qu’il soit maintenu, par la suite dans cet état uniquement par des travaux d’entretien courant et préventif tout en améliorant considérablement son esthétique générale.

Les intervenants conviennent aussi de limiter à un montant de $60,000,000 réparti sur une période de 10 ans, le programme de travaux majeurs d’entretien et que le CN en sera le maître d’œuvre. Ils établissent ainsi leur contribution respective au projet pour la durée de la convention :

TABLEAU 1 - CONTRIBUTIONS AU PROJET

PARTENAIRES

CONTRIBUTIONS ANNUELLES

%

CN

$3,600,000

60 %

PROVINCIAL - MTQ

$1,800,000

30 %

FÉDÉRAL - MTC

$   600,000

10 %

TOTAL

$6,000,000

100 %

Le présent rapport a pour objet de présenter la nature, l’échéancier ainsi que les coûts estimatifs de ce programme d’entretien de $60,000,000 qui débutera en 1997.

[142]   Le concept d’une « limite » aux coûts totaux des travaux est repris à l’article 4.1 de l’Entente de 1997 et la contribution « totale » de 36 M$ du CN est prévue à l’article 4.1.3.

[143]   C’est dans ce contexte général que doit se lire la clause 6.1. Cette clause dissipe toute incertitude pouvant subsister quant à la nature de l’accord de volonté intervenue en 1997.

[144]   Au risque de paraître simplifier indûment, il est difficile, en donnant leur sens commun aux mots, de concevoir que la clause 6.1, placée à la fin de l’Entente de 1997 (dans le contexte des autres clauses qui, après un bref rappel de l’historique, limitent les contributions financières), négociée par des parties sophistiquées, a une autre finalité que celle de limiter le coût du Programme d’entretien du Pont à 60 M$ et la contribution du CN à 36 M$. Il ne serait pas rationnel, vu le contexte, de donner un autre sens à la clause 6.1.

[145]   L’insistance du PGC à vouloir donner un sens particulier au mot « convention » à la clause 6.1 ne convainc pas. Rappelons qu’il soutient essentiellement que si les parties avaient véritablement voulu annuler la seule clause 4 de l’Entente de 1993 (reconduite aux Ententes de 1995), elles auraient soit spécifiquement indiqué que cet engagement particulier était annulé ou, à tout le moins, utilisé le mot « clause » ou  « partie d’entente » plutôt que le mot « convention ».

[146]   D’une part, le mot convention est aussi un synonyme d’« accord », de « contrat » ou d’« entente »[82].

[147]   D’autre part, et de façon plus significative, la position proposée par le PGC aurait pour effet de priver la clause 6.1 de toute utilité. En effet, il n’y aurait aucune fin à cette clause si elle ne visait pas justement à « annuler et remplacer » les engagements du CN prévus à l’Entente de 1993 quant aux travaux et améliorations à apporter au Pont.

[148]   Le seul contrat intervenu entre les parties entre le moment de la signature de l’Entente de 1993 et celle de 1997 est l’Acte d’abandon[83] intervenu en 1995. Il réfère, évidemment, à l’Entente de 1993 quant aux travaux qui devront être apportés au Pont, de sorte que la clause 6.1 de l’Entente de 1997 ne peut, logiquement, viser autre chose que les engagements du CN prévus à l’Entente de 1993 quant aux travaux et améliorations à apporter au Pont[84].

[149]   Rappelons enfin que ce n’est fort probablement pas par coïncidence que la clause 6.1 réfère à « toute convention… intervenue entre les parties de façon tripartite (l’Entente de 1993) et bipartite (les Ententes de 1995) ».

[150]   Le Tribunal ajoute qu’il eut été étonnant que, si l’intention des parties avait été que l’obligation monétaire du CN de contribuer à raison de 36 M$ à un programme majeur de restauration soit indépendante et séparée de l’obligation générale souscrite à l’Entente de 1993 d’entreprendre un programme général d’entretien, elles ne l’aient pas précisée.

[151]   Un mot sur la novation.

[152]   Il est vrai que, comme le soutient le PGC, les parties n’ont pas utilisé le terme « novation » à l’Entente de 1997. Cependant, l’intention de nover, qui est la volonté d’éteindre une obligation et d’en créer une nouvelle, ne requiert pas que l’expression soit utilisée. Elle peut être tacite et s’inférer des circonstances[85].

[153]   Or, c’est le cas ici.

[154]   L’obligation du CN de faire des travaux de peinture du Pont ne subsiste plus une fois que cette dernière a atteint la limite de son investissement, convenue par les parties à 36 M$.

iii)       à tout évènement, l’entente de 1997 oblige-t-elle le CN à compléter, à ses frais, sous réserve des contributions impayées à ce jour par le Canada et le Québec, tous les travaux spécifiés dans le programme d’entretien du CN, dont notamment le nettoyage et la peinture complète du Pont.

[155]   Le PGC plaide que, peu importe la réponse à la question précédente, il est insoutenable que le CN n’ait plus aucune obligation relative à l’entretien du Pont, sans égard à l’état incomplet de l’avancement des travaux de réfection et de peinture.

[156]   Il affirme que plusieurs éléments de l’Entente de 1997 et du Programme d’entretien témoignent de l’existence d’une obligation pour le CN de compléter les travaux qui soit distincte de l’« obligation de financement ».

[157]   Il convient, avant de répondre à la question, de résumer les arguments du PGC.

[158]   Pour le PGC, le fait que, à son 7e « Attendu », l’Entente de 1997 réfère à la          « nécessité de procéder à des travaux de remise en état…d’une valeur de 60 M$ », lesquels prévoyaient, à cette date, une peinture complète, et que l’on y reproduise l’expression « afin d’assurer la viabilité future du Pont », laquelle fait clairement le lien avec l’obligation générale du CN au terme de l’Entente de 1993 et des Ententes de 1995, confirme que le CN était toujours, en 1997, astreinte à effectuer tous les travaux et non seulement une partie, à cause du montant spécifique de la contribution.

[159]   Pour le PGC, le fait que ce même « Attendu » prévoie une entente de contribution financière pour que les « travaux débutent promptement et soient complétés avec célérité » appuie sa thèse voulant que l’obligation soit celle d’effectuer tous les travaux prévus au Programme d’entretien et que l’Entente de 1997 ne vise que du financement pour que les travaux soient exécutés plus rapidement. Cette position est, selon lui, compatible avec le fait que l’intérêt principal du gouvernement canadien à contribuer était de nature politique et découlait des pressions des citoyens pour que le Pont soit repeint à temps pour le 400e anniversaire de la Ville de Québec.

[160]   Il plaide aussi que les clauses 3.1 et 3.2 de l’Entente de 1997, qui prévoient respectivement que « le CN assumera à ses propres frais toutes les fonctions reliées à celles de maître d’œuvre du projet et verra à l’établissement des programmes de travaux ainsi que l’échéance des travaux » et que « les travaux doivent être exécutés par le CN ou par des entrepreneurs compétents qui auront été choisis…» appuient sa position voulant que le CN s’engageait, de toute façon, à effectuer tous les travaux.

[161]   Le PGC ajoute que le Programme d’entretien[86] contient plusieurs éléments qui soutiennent la thèse que le CN était responsable d’effectuer tous les travaux qui y sont prévus, indépendamment des coûts :

-       la référence au fait que le CN, comme propriétaire du Pont, s’est engagé à le restaurer dans un état apte à assurer sa viabilité à long terme (2e par.);

-       la référence à une dépense de « quelque 60 M$ » et, à nouveau, à la même obligation (6e par.);

-       la référence à des coûts « estimatifs » de 60 M$ (p. 3);

-       la référence au CN comme « responsable du projet, de l’établissement des programmes de travaux et de leurs échéanciers » (p. 6);

-       la référence aux travaux de peinture qui allaient, à partir de 1998,                  « s’effectuer en même temps aux extrémités du pont » et aux « chantiers qui    avanceraient d’année en année vers le centre de la structure » (p. 8).

[162]   Il insiste aussi sur le fait que le dernier paragraphe du Programme d’entretien, qui prévoit que « Les parties conviennent que les travaux décrits dans ce rapport constituent les travaux de remise en état du Pont du Québec » et « font l’objet d’une convention de Financement d’un Programme de Restauration du Pont de Québec » (p. 10) prouve que l’obligation d’effectuer tous les travaux est indépendante des obligations relatives au financement.

[163]   Il plaide que rien dans l’Entente de 1997 ou dans le Programme d’entretien ne précise que les travaux ne seront effectués que jusqu’à concurrence de 60 M$ ou que les obligations du CN sont résiliées par l’atteinte du montant de sa contribution de 36 M$ de dépenses. De plus, rien ne prévoit quelque ordre de priorité des travaux de peinture, ce qui, selon le PGC, aurait été élémentaire si on avait voulu limiter les travaux à un montant précis.

[164]   Bref, pour le PGC, la « soi-disant » limite de 60 M$ était une façon de définir les travaux à effectuer qui avaient par ailleurs été estimés alors au montant de 60 M$ et non de les limiter à ce montant. Pour lui, il ne s’agit pas de prétendre que le CN a l’obligation d’injecter davantage que la somme de 36 M$ identifiée comme étant sa contribution monétaire; il s’agit plutôt de reconnaître que le CN a des obligations distinctes de l’obligation relative au financement, dont celle d’effectuer tous les travaux. Le PGC qualifie cette obligation d’obligation de résultat.

[165]   Enfin, l’expertise unique du CN dans la réfection de structures ferroviaires permet même, selon le PGC, de prétendre qu’elle pouvait exécuter au moins une partie des travaux, sinon la totalité, indépendamment de la contribution financière qu’elle injecterait.

[166]   Il est clair que le 7e Attendu de l’Entente de 1997 illustre la volonté des parties de procéder rapidement aux travaux de réfection du Pont. Cependant, il n’y a pas d’incompatibilité entre cette volonté, d’une part, et l’entente voulant que la contribution de chaque partie soit limitée pour le CN, le MTQ et TC à 36 M$, 18 M$ et 6 M$ respectivement, d’autre part.

[167]    En effet, s’il est vrai que les travaux devaient procéder « rapidement », les parties n’en ont pas moins convenu que le CN devait informer ses partenaires des progrès des chantiers à tous les six mois, lors des revues trimestrielles au début et à la fin de chaque saison des travaux[87] et que ces derniers se réservaient une marge de manœuvre de plus ou moins 10 % par rapport au budget annuel de 6M$ ou la possibilité que soient reportés à l’année suivante les travaux de peinture retardés par les conditions climatiques[88].

[168]   Le Programme d’entretien, dans la clause qui prévoit ces ajustements, mentionne que les partenaires CN, MTQ et TC pourront revoir l’opportunité d’installer un système d’éclairage architectural du Pont dans la mesure où les travaux de réfection et de peinture prévus à cette dernière année permettent de dégager des sommes pour le faire.

[169]   Difficile, dans ces circonstances, de conclure à l’existence d’une volonté des parties qu’il existe une obligation distincte de compléter les travaux peu importe que la limite de 60 M$ soit ou non atteinte.

[170]   De plus, tel que mentionné à l’analyse de la question précédente, il est aussi étonnant, voire incompréhensible, que si l’obligation du CN d’effectuer tous les travaux de restauration du Pont prévus au Programme d’entretien était distincte des obligations souscrites à l’Entente de 1997 de ne contribuer que jusqu’à concurrence de 36 M$ sur 10 ans, les parties ne l’aient pas spécifiquement prévue.

[171]   Le Tribunal avance une explication que lui suggère la preuve.  Au moment de la signature du Programme d’entretien et de l’Entente de 1997, les parties croyaient que l’enveloppe de 60 M$ suffirait à réaliser tous les travaux.  C’est dans ce contexte que, le 15 mai 1997[89], quelques mois après la signature de ces ententes, le communiqué de presse du CN prévoit un Pont « sablé, nettoyé et repeint à neuf » au bout de la période de 10 ans.

[172]   La proposition du PGC voulant qu’une obligation distincte force le CN à effectuer tous les travaux découle davantage du constat, plusieurs années après les signatures, que le montant de 60 M$ prévu pour effectuer les travaux s’est avéré insuffisant plutôt que de la rédaction des clauses souscrites entre les parties qui, rappelons-le, sont avisées et sophistiquées.

[173]   Bref, les arguments de texte avancés par le PGC au soutien d’une soi-disant obligation distincte du CN ne convainquent pas; au risque de redite, les clauses du Programme d’entretien et de l’Entente de 1997 qu’il invoque ne sont pas incompatibles avec un accord de volonté des parties, en 1997, d’effectuer tous les travaux à l’intérieur d’un budget de 60 M$.

[174]   Le Tribunal conclut donc que l’Entente de 1997 n’oblige pas le CN à compléter, à ses frais, sous réserve des contributions impayées à ce jour par le Canada et le Québec, tous les travaux spécifiés dans le Programme d’entretien du CN, dont notamment le nettoyage et la peinture complète du Pont.

iv)        l’Entente de 1997 devrait-elle être annulée pour cause de vice de consentement du Canada?

[175]    Le PGC plaide que si le Tribunal concluait que l’Entente de 1997 n’obligeait pas le CN à effectuer tous les travaux prévus au Programme d’entretien ou ait eu pour effet d’amender l’engagement de l’article 4 de l’Entente de 1993[90], il devrait annuler cette entente pour vice de consentement et ordonner le remboursement par le CN au gouvernement du Canada du montant de 4,2 M$ versé par ce dernier.

[176]    Il soutient en effet que le consentement du Canada a été vicié par :

-       une erreur portant sur la nature du contrat en ce que le Canada croyait signer une entente de contribution à des travaux précis et non une simple entente de partage des dépenses de sorte qu’il n’a jamais envisagé contracter pour verser 6 M$ sans aucune assurance quant aux travaux qui seraient effectués; et

-       la réticence du CN à lui dévoiler en temps opportun un fait déterminant, soit que l’estimation de 60 M$ était irréaliste et ne serait pas suffisante pour compléter tous les travaux prévus au Programme d’entretien, ce qui enfreint l’obligation de bonne foi, en particulier celle de renseignement.

[177]   Le CN réplique essentiellement que :

-       la demande principale du PGC, qui vise l’exécution en nature de l’Entente de 1997, suppose que cette entente est valide et le PGC ne saurait, même à titre subsidiaire, prétendre en même temps que ce même contrat est nul. C’est la notion de « fin de non-recevoir »; et

-       si le Tribunal juge que le PGC est admis à demander l’annulation de l’Entente de 1997, ce dernier ne s’est jamais mépris quant à la nature de l’entente et l’estimation de 60 M$ était réaliste au moment où elle a été faite.

[178]   Les articles pertinents du Code civil du Québec sont les suivants :

1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.

1399. Le consentement doit être libre et éclairé.

Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion.

1400. L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.

L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.

1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.

[179]   Quant à l’erreur, elle peut être cause de nullité que lorsqu’elle porte sur la nature même du contrat. Les auteurs Jobin et Vézina décrivent éloquemment le concept[91] :

208.  Erreur sur la nature du contrat - L’erreur sur la nature du contrat est fondamentale, puisque l’une des parties désire conclure un engagement d’un type précis, créant donc des obligations dont elle entend être créancière et débitrice, alors que l’autre croit conclure une autre convention avec un contenu obligationnel différent. Elle se produit donc lorsque les parties ne s’entendent pas sur la nature même de l’engagement qu’elles veulent conclure. […] Le type d’erreur est plus fréquent qu’on pense. Dans ces hypothèses, le contrat n’a pas pu naître véritablement, il y a simplement apparence d’entente.     

[références omises]                                        

[180]   Lluelles et Moore rappellent que l’erreur doit être suffisamment grave pour justifier la nullité du contrat[92] :

526.  L’erreur sur la nature du contrat est une erreur majeure, puisqu’il y a malentendu sur le type même de relations contractuelles envisagées par l’une et l’autre des parties : un client croit acheter un bien, alors que le fournisseur veut le lui louer; une personne croit recevoir un bien à titre de prêt, alors que le cocontractant le lui remet dans le cadre d’un dépôt. Dans ces cas, les conséquences de la méprise sont considérables puisque le régime des droits et des obligations diffère notablement selon qu’il s’agit d’un bail ou d’une vente, d’un prêt ou d’un dépôt. Ces contrats qui n’ont de réalité que l’apparence n’ont pu valablement se former : il n’a pu se conclure ni bail, ni vente, dans le premier cas, de même que n’a pu se conclure ni prêt, ni dépôt, dans le second.

[181]   Il découle de la règle de la bonne foi une obligation précontractuelle de renseignements. L’arrêt Bail[93], avant la codification de l’obligation de bonne foi, référait à la définition de l’obligation de renseignement de l’auteur J. Ghestin :

Finalement, celle des parties qui connaissait, ou qui devait connaître, en raison spécialement de sa qualification professionnelle, un fait, dont elle savait l’importance déterminante pour l’autre contractant, est tenue d’en informer celui-ci, dès l’instant qu’il était dans l’impossibilité de se renseigner lui-même, ou qu’il pouvait légitimement faire confiance à son cocontractant, en raison de la nature du contrat, de la qualité des parties, ou des informations inexactes que ce dernier lui avait fournies.

[182]   Le juge Gonthier poursuivait ainsi :

Sans nécessairement en adopter l’énoncé,  je suis d’avis que Ghestin expose correctement la nature et les paramètres de l’obligation de renseignement. Il en fait ressortir les éléments principaux, soit :

-       la connaissance, réelle ou présumée, de l’information par la partie débitrice de l’obligation de renseignement;

-       la nature déterminante de l’information en question;

-       l’impossibilité du créancier de l’obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur.

[183]   Par ailleurs, à l’obligation de renseignement correspondent d’autres obligations.

[184]   En effet, le droit ne sanctionne ni l’erreur inexcusable[94], ni le fait de la partie qui fait défaut de se renseigner.

[185]   Lluelles et Moore expliquent que la personne instruite qui signe un contrat dont le contenu lui était intellectuellement accessible ne peut, par la suite, soutenir que son consentement a été vicié par une erreur si cette situation avait pu être évitée par un minimum de précautions[95] :

540.  Notion d’erreur inexcusable.  L’erreur inexcusable est une erreur qui, bien qu’intrinsèquement importante et déterminante du consentement, ne donne pas ouverture à l’annulation du contrat dans la mesure où la victime aurait pu aisément l’éviter en prenant un minimum de précautions qu’elle n’a pas prise; […] Par le refus d’annuler un contrat en cas d’erreur inexcusable, le législateur vise à encourager les contractants à adopter une attitude proactive et responsable, y compris celui qui adhère à un contrat non négociable quant à ses stipulations essentielles, et à ne pas pénaliser un cocontractant de bonne foi.

[186]   Quant à l’obligation de se renseigner, Baudouin et Jobin l’illustrent en énonçant avec élégance une règle de gros bon sens[96] :

314 - Limite : l’obligation de se renseigner - Comme l’écrivait déjà Portalis,   « un homme qui traite avec un autre homme doit être attentif et sage; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations convenables et ne pas négliger ce qui est utile ». L’obligation de se renseigner est l’envers de la médaille de l’obligation d’information : c’est la limite qui lui est imposée. Dans la mesure, en effet, où, dans les circonstances de l’espèce, le contractant a la possibilité de connaître l’information ou d’y avoir accès (en dehors évidemment des hypothèses où la loi impose l’obligation stricte de communiquer le renseignement), celui qui s’apprête à passer un contrat doit prendre les mesures raisonnables pour en bien connaître les enjeux importants, les faits susceptibles d’influencer sa décision […]

[références omises]

[187]   Le Tribunal n’annulera pas l’Entente de 1997.

[188]   Comme il conclut qu’il n’y a pas lieu de retenir les arguments du PGC fondés sur le vice de consentement ou la violation par le CN de son obligation de bonne foi, il ne se penchera pas sur la fin de non-recevoir invoquée par cette dernière.

[189]   La question qui se pose est essentiellement la suivante : le gouvernement fédéral a-t-il été induit en erreur par la réticence ou l’absence de transparence du CN sur la question, déterminante, de la suffisance du montant de 60 M$ pour procéder aux travaux de remise en état du Pont?

[190]   Le Tribunal estime que non, pour les raisons suivantes.

[191]   D’abord, comme toile de fond, s’il n’est pas approprié d’analyser la question de l’erreur et de l’obligation de bonne foi uniquement en fonction des gestes de messieurs Pelletier et Tellier, il convient néanmoins d’examiner leurs rôles.

[192]   À l’évidence, M. Pelletier ne s’est pas attaché aux détails de l’Entente de 1997. Il était heureux de pouvoir provoquer un déblocage dans le dossier du Pont et s’est employé, à cette fin, à persuader le ministre Anderson d’obtenir les fonds requis après avoir saisi les grands traits des mesures envisagées pour restaurer le Pont.

[193]   Il savait que l’évaluation des coûts provenait du CN et avait été faite avec l’aide d’une firme indépendante[97]. Il n’a pas fait l’analyse de cette évaluation; vu sa responsabilité de chef de cabinet du premier ministre, ceci n’étonne guère.

[194]   M. Tellier était, quant à lui, beaucoup plus au fait du dossier. Il était président-directeur général du CN, avait supervisé l’exercice de la privatisation, y compris la cession par le Canada des propriétés ferroviaires fédérales et du Pont, et participé à la négociation des Ententes de 1993 et 1995. Malgré cela, cependant, il n’était pas au courant non plus des détails des coûts afférents à la restauration du Pont[98].

[195]   Il affirme ne pas avoir été au fait des demandes, éventuellement refusées, des gouvernements fédéral et provincial que les coûts de restauration se rapportent à des travaux spécifiques[99], ce qui étonne; il dit ne pas savoir si M. Pelletier était ou non informé que le CN n’avait pas tenu compte de certains coûts tels les aléas et l’inflation dans son évaluation du montant de 60 M$[100].

[196]   Qu’est-ce que la preuve révèle sur la fiabilité de la somme de 60 M$ pour exécuter les travaux ?

[197]   Un exercice sérieux d’évaluation des coûts de restauration du Pont avait été entrepris à compter de 1993. Le CN avait, rappelons-le, octroyé un mandat en ce sens à M and M et avait effectué sa propre analyse.

[198]   Or, l’évaluation du CN, incluse au Rapport CN 1995[101], tout comme celle du Programme d’entretien, était approximative, optimiste, en dollars canadiens (les coûts du rapport de M and M étaient en dollars américains) et sans provision pour l’inflation ou les aléas[102].

[199]   À l’automne 1995, M. Robert Sweeney, ingénieur chef adjoint du CN, informe M. Mongeau que l’estimé de 60 M$ pour restaurer le Pont est « good plus or minus 25 % to 35 % »[103].

[200]   La question de savoir si le gouvernement fédéral a été informé de la nature  approximative de l’évaluation de 60 M$ est controversée.

[201]   Pour les raisons mentionnées plus haut, le Tribunal ne peut conclure que M. Pelletier aurait été avisé spécifiquement du fait que le montant de 60 M$ était  approximatif, conservateur et ne tenait pas compte de l’inflation.

[202]   Il ressort en effet de son interrogatoire ad futuram memoriam que c’est le contexte global qui l’intéressait. Il n’hésite pas à le dire. Certains exemples[104] :

Q          Vous me parlez des discussions que vous avez pu avoir avec monsieur Tellier lui-même, pour - en clair, par exemple là, à votre connaissance, y a-t-il pu y avoir des écrits ou des discussions, avec monsieur Tellier ou avec n’importe qui d’autres, au sein du CN où ces derniers ou les représentants du CN vous auraient clairement mentionné, dans votre esprit, que l’enveloppe budgétaire du CN n’irait pas au-delà du trente-six millions (36,000,000)?

R          Écoutez, moi, je n’ai aucun souvenir de ça. S’il y en a eu, des correspondances, c’est peut-être des correspondances que je n’ai même pas vues, même si elles - c’était adressé à moi, j’aurais, à ce moment-là, dit à mon adjointe exécutive : « S’il y a de la correspondance qui arrive des parties dans le domaine, dans le dossier du Pont de Québec, bien, vous ne faites que les référer aux autres parties, nous autres, notre rôle est fini ».

             On n’entrait pas du tout, je vous ai bien précisé antérieurement, dans la discussion technique des contrats, ça, c’est des aspects administratifs d’une entente, le bureau du Premier Ministre n’intervenait pas là-dedans, jamais.                                                                                           [p.17-19]

[…]

Q          Donc, je vous exhibe une lettre du six (6) juin, mille neuf cent quatre-vingt-seize (1996), selon le CN, il s’agirait là, d’une preuve écrite que l’investissement total du CN n’irait clairement pas au-delà de trente-six millions (36,000,000 $) et qu’il vous en aurait fait part, vous avez quoi à dire, par rapport à cette position-là, du CN?

R          C’est une lettre que j’ai peut-être vue, peut-être même pas vue. C’est une lettre qui a dû être référée simplement aux parties en cause, point. Je n’ai rien à dire là-dessus, parce que je n’ai pas participé à ça.            [p.19-20]

[…]

Q          Monsieur Pelletier, je vous montre un document que le CN a produit, comme Pièce D-1.

             Me CLAUDIA DÉRY

             Procureure de la défense :

             Oui, c’est celle-là.

             Me VINCENT VEILLEUX

             Procureur de la demande :

Q          Comme Pièce D-1, à savoir une télécopie de monsieur Claude Mongeau, c’est-à-dire, une télécopie de votre bureau, datée du six (6) juin, mille neuf cent quatre-vingt-seize (1996), à monsieur Claude Mongeau de Claudette Lévesque, prenez-en…

R          Je…

Q          …connaissance pour quelques instants?

R          Amendement proposé au projet d’entente, fourni par le Gouvernement Fédéral, ça vient d’où ça?

Q          Bien, voilà, alors, je vais vous poser des questions par rapport au document d’une part, monsieur…

R          Je vous ai dit et je répète là, et puis, ça couvre tout ça là. Le bureau du Premier Ministre, une fois que j’ai eu fini de discuter des pourcentages de répartition des dépenses projetées, nous n’étions qu’une boîte à lettres, alors, je ne sais pas qui - mais, c’est mon adjointe exécutive, Claudette Lévesque qui a envoyé - PONT DE QUÉBEC, AMENDEMENT souhaitable suggéré par le Gouvernement du Québec, monsieur Pelletier apprécierait avoir mon commentaire, aussitôt que possible là, c’est ça.                                                                                  [p. 25-27]

[203]   M. Pelletier affirme n’avoir négocié ou parlé de l’entente qu’avec M. Tellier, M. Jobin (de la Coalition), le ministre Anderson et, possiblement, le premier ministre Bouchard[105].

[204]   M. Mongeau, quant à lui, a témoigné longuement sur la question de la connaissance par M. Pelletier de la suffisance du montant de 60 M$ pour le Programme d’entretien.

[205]   Premièrement, il dit avoir eu deux ou trois conversations avec M. Pelletier. Il ne nie pas que les estimés du Rapport CN 1995 sont approximatifs et préparés sans devis et ne nie pas non plus que les aléas, dont le resserrement possible des exigences de protection environnementale pour les travaux au-dessus du fleuve, et l’inflation n’ont pas été pris en cause; ce dernier facteur représentait, selon une lettre qu’il a adressée à M. Tellier le 31 mai 1996[106], huit jours avant l’entente de principe annoncée par MM. Chrétien et Bouchard, une somme de 10 à 15 M$.

[206]   Par ailleurs, M. Mongeau assure avoir mentionné à M. Pelletier que le montant de 60 M$ était incertain, ne comprenait pas l’inflation, ni les aléas, dont la nature des travaux, la main d’œuvre, les conditions d’exécution et la productivité. Il mentionne avoir dit à M. Pelletier qu’il ne voulait pas parler de travaux spécifiques ni de dépassement de coûts.

[207]   Le PGC plaide avec vigueur que le témoignage de M. Mongeau ne peut être retenu; en fait, il soutient que le témoin n’a aucune crédibilité sur cette question. Il mentionne que les propos de M. Mongeau voulant que le chiffre de 60 M$ venait de M. Pelletier est faux. Il plaide que son affirmation voulant qu’il ait mentionné à M. Pelletier que le montant de 60 M$ n’était qu’un estimé non détaillé, sans inflation ou aléa, est nouvelle, n’a pas été l’objet d’allégations dans les procédures du CN et n’a pas fait l’objet de questions de la part de ses avocats lors de l’interrogatoire de M. Pelletier, alors qu’ils avaient l’occasion de le faire.

[208]   Il plaide aussi que le témoignage de M. Mongeau, qui aurait clairement dit à M. Pelletier que l’Entente de 1997 ne portait pas sur des travaux précis mais sur une contribution sans lien avec la peinture complète du Pont, est contredit par le fait que le Programme d’entretien, signé le même jour, prévoit des travaux précis; il est contredit aussi, selon le PGC, par l’annonce publique de mai 1997 du CN qui prévoit que « Le pont de Québec sera sablé, nettoyé et repeint à neuf. Cette étape, qui s’échelonnera de 1999 à 2006, constitue d’ailleurs la majeure partie du programme tant en durée qu’en coût ». En conséquence, le PGC conclut que M. Mongeau est contredit de façon manifeste par M. Pelletier et que les circonstances contemporaines sont compatibles avec la version de ce dernier.

[209]   Que conclure de ces apparentes contradictions?

[210]   Il est vrai que M. Mongeau a mentionné que le montant de 60 M$ venait de M. Pelletier. Or, ceci n’est pas exact. Cependant, lorsque le Tribunal se livre à l’écoute de l’ensemble de son témoignage, il en ressort que son affirmation est beaucoup plus nuancée. En effet, les premières discussions entre les deux hommes relatives au montant requis pour restaurer le Pont avaient fait référence à diverses évaluations obtenues par le CN, dont l’une de 63 M$. Or, au souvenir de M. Mongeau, c’est M. Pelletier qui aurait arrêté le montant à un « chiffre rond » de 60 M$.  Le chiffre initial de 63 M$ provenait du CN et il aurait été diminué à 60 M$ par M. Pelletier.  Dans ce contexte, cette contradiction n’est pas significative.

[211]   Par ailleurs, il est manifeste de la preuve que, malgré le souvenir de M. Pelletier, il y a eu des conversations et négociations entre lui et M. Mongeau.

[212]   Ce dernier, dans une lettre qu’il adresse à son patron le 31 mai 1996[107], mentionne qu’il « a reçu un appel de M. Jean Pelletier ». Une semaine plus tard, le 6 juin 1995, il réfère dans une lettre à M. Pelletier à une conversation téléphonique[108], ce qu’il fait à nouveau dans une autre lettre du 26 juin 1996[109].

[213]   M. Mongeau a bel et bien négocié avec M. Pelletier.

[214]   Il est vrai que les avocats du CN n’ont pas confronté M. Pelletier avec la version de M. Mongeau voulant que ce dernier lui ait indiqué, lors de leurs discussions, que l’inflation et les aléas n’avaient pas été considérés lorsque le chiffre de 60 M$ a été arrêté.  Ceci n’est cependant pas étonnant. En effet, lors de cet interrogatoire en 2008, M. Pelletier n’avait même pas de souvenir d’avoir discuté avec M. Mongeau; surtout, ce n’est que le 13 février 2014, sept ans après l’institution des procédures, que le PGC a demandé l’annulation de l’Entente de 1997.

[215]   Il est difficile, dans ces circonstances, de faire reproche au CN de ne pas avoir confronté le témoin sur des sujets qui, à l’époque, n’étaient pas en litige.

[216]   Quant à la question de l’inflation, s’il est vrai que les témoignages de messieurs Pelletier et Mongeau ne s’arriment pas en ce sens que seul ce dernier affirme qu’il en a été question, reste cependant que, en cours de négociations, il a été question de paiements « en argent courant »[110]. De plus, au risque encore une fois d’être simpliste, n’est-il pas implicite que le facteur de l’inflation doit-être considéré lorsqu’est prévu un projet de 10 ans?

[217]   Ceci amène le Tribunal à revenir au contexte.

[218]   À la période pertinente, les trois parties à l’Entente de 1997 y recherchaient un bénéfice, qu’elles ont essentiellement réalisé.

[219]   Le gouvernement du Canada était soucieux que le Pont demeure sécuritaire.  De plus, l’idée qu’il soit repeint à neuf, avec son aide, pour les célébrations du 400e anniversaire de la Ville de Québec, était avantageuse notamment pour son image auprès des citoyens

[220]   Quant au gouvernement du Québec, bien que la preuve soit assez succincte sur le sujet parce qu’il n’est que mis en cause, il retirait de l’Entente de 1997 que celle de 1949, qui lui octroyait un bail très avantageux pour l’usage des voies carrossables, ne soit pas rouverte (ce qui ne sera fait qu’en 2012).

[221]   Enfin, le CN trouvait à l’Entente de 1997 une façon de concrétiser son obligation, souscrite en 1993, d’assurer la viabilité du Pont.

[222]   Dans ces circonstances, sans le bénéfice du recul, il n’est pas surprenant que le communiqué de presse du 15 mai 1997 ait référé à une peinture complète du Pont. C’était l’intention des parties d’accomplir cet objectif, qui avait d’ailleurs été fixé dès le 7 juin 1996 à l’entente de principe intervenue entre messieurs Chrétien et Bouchard[111].  Avec le passage du temps, le montant de 60 M$ s’est avéré insuffisant.

[223]   Faut-il reprocher, dans les circonstances, au CN d’avoir induit le gouvernement fédéral en erreur? Le Tribunal ne le croit pas.

[224]   TC est une partie sophistiquée.

[225]   Les discussions préalables à l’Entente de 1997 entre les parties se sont poursuivies pendant plusieurs mois.  La décision qui en a résulté a été prise par des personnes d’expérience qui pouvaient, si elles le désiraient, être assistées de conseillers, experts et avocats avisés, bien au fait des enjeux.

[226]   La position du PGC[112] voulant qu’il ait toujours cru que l’Entente de 1997 ne constituait qu’une simple entente de financement et non un contrat remplaçant et annulant les obligations déjà encourues par le CN au terme de l’Entente de 1993 n’est pas reflétée à l’Entente de 1997 et au Programme d’entretien.

[227]   En effet, il est manifeste que les obligations financières des parties étaient limitées à 60 M$.  Or, quelle conséquence pouvait avoir la limite des contributions monétaires si ce n’est sur l’étendue des travaux?  Aucune.

[228]   Dans les circonstances, le Tribunal ne peut arrimer, d’une part, l’objectif de l’Entente de 1997 selon la thèse du PGC, soit une « simple » convention de financement visant à accélérer l’exécution de tous les travaux prévus au Programme d’entretien avec, d’autre part, une limite de coût de 60 M$.

[229]   Or, dans la mesure où le PGC a compris les deux ententes du 7 janvier 1997 comme imposant une limite de 60 M$ sans que les travaux prévus de réfection du Pont ne puissent possiblement être affectés, ce qui ne respecte pas la logique et est contredit par le refus explicite du CN d’accepter d’assumer le dépassement des coûts, il n’a que lui-même à blâmer et son erreur est inexcusable au sens de l’article 1400 C.c.Q.

[230]   Par ailleurs, quant à l’erreur sur un élément essentiel du contrat, soit la suffisance du montant de 60 M$ pour exécuter les travaux, il n’est pas assez, 17 ans après la signature de l’Entente de 1997 et sept ans après l’institution des procédures, d’alléguer que le montant prévu de 60 M$ était « irréaliste ».

[231]   Cette limite d’engagement de dépenses à 60 M$ est un élément crucial de l’entente entre les parties.  Or, un chiffre de cette magnitude est évoqué en janvier 1995 (dont 45 M$ pour la peinture) dans une lettre de M and M à M. Sweeney[113].  Le Rapport CN[114] dont copie, rappelons-le, a été envoyé à TC, réfère quant à lui à un estimé du programme d’entretien majeur à 63 M$[115].  M. Pelletier est avisé de cet estimé[116] en octobre 1995 par M. Tellier, plus d’un an avant la signature des ententes de 1997.

[232]   TC avait à sa disposition de l’information sur la façon dont le CN est arrivé à son chiffre de 60 M$.  Il pouvait en demander davantage. En effet, si l’essentiel de la négociation qui a mené à l’Entente de 1997 était l’apanage de M. Pelletier en terme du montant que contribuerait TC, le détail était du ressort de ce dernier.  Le ministre Anderson l’exprime clairement :

Q.        But before we do that, were you ever in discussions directly with Mr. Tellier regarding this matter?

A.         No, no, I was not.

Q.         That was done through Mr. Pelletier all the time?

A.         That is correct. Now, undoubtedly I met Mr. Tellier

Q.         No, no, on this matter, of course.

A.         But any substantive negotiations on this was done entirely by Mr. Pelletier.

Q.        So your Department, to your knowledge, was not involved in the substance of the negotiations of the agreement?

A.         Not at the political level with Mr. Tellier, but obviously when it came to the details, all the history of the relationship with CN and its privatization, that would not be dealt with by Mr. Pelletier and Mr. Tellier.  That would be dealt with by the Department, and that is why the agreements that would be signed would be prepared within the Department.

Q.        And again, the people who would be aware of those details are the two people you identified previously?

A.         They would certainly have been aware, I would believe.  I don’t know what proportion each would have played, but that is the - that level in the Department would have been the level. [117]

[233]   M. Chris Phillips de TC a confirmé avoir lu le Rapport CN 1995 (incluant les trois estimés contenus à la page 68); il a qualifié la lecture d’intéressante (interesting) mais ne se souvient pas s’il obtenu, à l’époque, le détail des estimés[118].  En fait, il mentionnera plus tard ne pas l’avoir fait car, de toute façon, vu l’Entente de 1993, CN devait faire les travaux de restauration du Pont. 

[234]   Cette raison est courte car l’Entente de 1997 changeait la donne.

[235]   Dès octobre 1996, le MTQ et le CN s’inquiétaient du court délai pour peinturer le Pont et de la suffisance de l’enveloppe de 60 M$ compte tenu de l’ignorance de l’inflation des coûts[119].

[236]   TC pouvait lui aussi s’informer davantage sur la fiabilité du montant de 60 M$ pour exécuter l’ensemble des travaux; selon la preuve disponible, il ne l’a pas fait ou ne l’a pas fait suffisamment.

[237]   Dans les faits, il appert que le MTQ se soit davantage intéressé à la nature des travaux qui étaient envisagés que TC.  L’absence de ce dernier des rencontres bisannuelles relatives à l’évolution des travaux avant août 2000 et son désintéressement quant à l’analyse des dépenses est compatible avec l’intérêt mitigé qu’il semble avoir, dès le départ, accordé aux détails. Il peut difficilement se plaindre maintenant, dans les circonstances, d’avoir été floué.

[238]   Les évaluations se sont peut être avérées irréalistes au fur et à mesure de l’exécution des travaux; elles étaient vraisemblablement conservatrices, voire très conservatrices en janvier 1997, lorsqu’a été signée l’entente. Reste que ce sont les évaluations acceptées par le MTQ et TC, lesquels avaient l’option de les discuter, vérifier et valider en temps opportun.

[239]   Le jeu de la négociation entre personne sophistiquées ne saurait être révisé par le Tribunal, plusieurs années plus tard, parce que les projections de coût se sont avérées inexactes.

[240]   Le PGC n’a pas prouvé que son consentement a été vicié, non plus que son droit à l’annulation de l’Entente de 1997.

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[241]   Tel qu’évoqué au Chapitre iv), Les questions en litige, le refus d’annuler l’Entente de 1997 soulève la question suivante :  TC doit-il rembourser au CN la somme de 1.8 M$, soit la portion de son engagement total de 6 M$ qui n’a toujours pas été versée au CN aux termes de l’Entente de 1997.

[242]   Dans sa contestation à la requête du PGC en jugement déclaratoire, le CN se porte en effet demanderesse reconventionnelle et conclut à la condamnation du PGC au paiement de cette somme.

[243]   Un bref rappel du contexte.

[244]   À compter du mois d’août 2004, environ deux ans et demi avant l’expiration de l’Entente de 1997, TC a cessé de verser sa contribution annuelle de 600 000 $ compte tenu que, selon lui, il était alors devenu évident que, de 2002 à 2004, le CN n’avait pas complété les travaux spécifiés au Programme d’entretien dans le respect des budgets et du calendrier projetés de sorte que le coût des travaux prévus jusqu’à la fin 2006 excéderait substantiellement le budget de 18 M$ pour les années 2004, 2005 et 2006.

[245]   Le Tribunal ne se prononcera pas sur la demande reconventionnelle du CN et réservera ses droits quant à cette question pour les raisons suivantes.

[246]   Dans son jugement du 14 août 2007 sur la scission de l’instance, la juge Matteau réfère aux allégations du PGC voulant que le CN n’ait pu compléter les travaux prévus au programme d'entretien dans le respect et le budget du calendrier projeté, occasionnant dès lors un dépassement de coûts; elle réfère aussi aux allégations que le CN ait été en défaut de respecter ses obligations et mentionne que certaines questions (essentiellement celles posées en l’instance) devaient être tranchées par le Tribunal.

[247]   Madame la juge Matteau écrit ensuite ce qui suit :

[26]            Il est en outre révélateur de constater que nulle part dans la Requête telle qu'instituée, le Procureur général du Canada n'allègue que CN n'aurait pas respecté ses obligations à titre de maître d'œuvre.  Tout au plus allègue-t-il qu'il y a eu dépassement de coûts et qu'il souhaite que CN en assume la responsabilité, de là l'importance de déterminer immédiatement la nature et la portée des obligations de cette dernière.

[27]            D'une part, le premier procès sera fort simple et se limitera à interpréter les différents contrats intervenus entre les parties.  Par ailleurs, il est possible que la décision qui sera alors rendue à l'issue du premier procès soit susceptible de mettre fin aux procédures en son entier ou, à tout le moins, de limiter non seulement la portée des questions en litige dans le second procès, mais aussi la nature et l'étendue des expertises que les parties seront appelées à effectuer.

[28]             Tous ces considérants, ajoutés au coût des expertises que nécessitera l'inspection d'un pont comme celui qui est au cœur du présent litige, sans occulter de surcroît les conséquences reliées à telle inspection et dont fait état une lettre du 25 avril 2007 de la firme Delcan, militent en faveur d'une scission de l'instance.

[248]   Le Tribunal estime que la question de l’obligation du PGC de payer la somme de 1.8 M$ au CN fait partie des questions en litige qui ne sauraient être décidées dans le cadre de la requête en jugement déclaratoire.

[249]   D’une part, la question de la remise de cette somme n’est pas de celles posées au Tribunal par le PGC.

[250]   D’autre part, la preuve faite devant le Tribunal n’a porté que partiellement sur la question des progrès des travaux sur le Pont et ne fournit pas les détails requis pour permettre au Tribunal de la trancher.  De fait, la preuve au soutien de la demande reconventionnelle n’est pas traitée au plan d’argumentation du CN.

[251]   La question reste donc entière et, à défaut d’entente entre les parties, la demande reconventionnelle devra faite l’objet d’un autre débat.

v)         Le recours du PGC est-il prescrit?

[252]   Vu les réponses données aux autres questions en litige, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la question de la prescription.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[253]   TRANCHE ainsi la requête en jugement déclaratoire :

-     Quant à la question i) :

i)    le CN a-t-il en vertu des engagements contenus aux ententes de 1995, l’obligation de mettre en œuvre et de financer, à ses propres frais, un programme d’entretien majeur du Pont afin d’en assurer la viabilité à long terme?

OUI

-     Quant à la question i a) :

ia)  les engagements contenus aux Ententes de 1995 incluent-ils l’obligation de faire des travaux de peinture du Pont?

OUI

-     Quant à la question ii) :

ii)   dans l’affirmative, cette obligation du CN subsiste-t-elle malgré la clause 6.1 de l’entente de 1997?

L’obligation du CN de faire des travaux de peinture du Pont ne subsiste plus une fois que cette dernière a atteint la limite de son investissement, convenue par les parties à 36 M$.

-     Quant à la question iii) :

iii) à tout évènement, l’entente de 1997 oblige-t-elle le CN à compléter, à ses frais, sous réserve des contributions impayées à ce jour par le Canada et le Québec, tous les travaux spécifiés dans le programme d’entretien du CN, dont notamment le nettoyage et la peinture complète du Pont?

NON

-     Quant à la question iv) :

iv)  l’Entente de 1997 devrait-elle être annulée pour cause de vice de consentement du Canada?

NON

-     Quant à la question v) :  

v)   Le recours du PGC est-il prescrit?

Vu les réponses données aux autres questions en litige, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la question de la prescription.

[254]   RÉSERVE les droits des parties quant à la demande reconventionnelle du CN;

[255]   AVEC DÉPENS contre le demandeur.

 

 

__________________________________

LOUIS LACOURSIÈRE, j.c.s.

 

Me Vincent Veilleux

Me Nadine Dupuis

JOYAL LEBLANC

Procureurs du demandeur

 

Me Michel Sylvestre

Me Mélanie Poisson

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA

Procureurs de la défenderesse

 

 

Dates d’audience :

5, 8, 9, 12, 13, 15 et 16 mai 2014

 



[1]     R-4, p. 1.

[2]     R-4, p. 5.

[3]     R-1.

[4]     R-2.

[5]     R-3.

[6]     CN-5, 6 et 7.

[7]     R-4, Executive Summary.

[8]     R-17.

[9]     R-16.

[10]    Interrogatoire de Chris Phillips, p. 25 et ss.

[11]    R-16, p. 183 et ss.

[12]    R-18.

[13]    R-4.

[14]    Idem, p. 68.

[15]    R-19.

[16]    R-23.

[17]    R-5.

[18]    Le cédant étant une entité de la Couronne.

[19]    R-25.

[20]    CN-12.

[21]    CN-14.

[22]    Interrogatoire de M. Tellier du 12 janvier 2010, p. 163.

[23]    Idem, p. 174.

[24]    Idem, p. 175-176.

[25]    R-26.

[26]    R-27 et R-29.

[27]    R-27.

[28]    CN-1.

[29]    Interrogatoire de M. Bossé du 11 novembre 2010 par Me Poisson, p. 18-30.

[30]    CN-16, p.2.

[31]    R-30 et R-31.

[32]    R-6.

[33]    R-7.

[34]    R-6.

[35]    Idem, p. 2.

[36]    Idem, p. 4.

[37]    Idem, p. 6-7.

[38]    Idem, p. 8.

[39]    R-7.

[40]    Idem, p. 1.

[41]    Idem, p. 2.

[42]    Idem, p. 2-3.

[43]    Idem, p. 4.

[44]    R-8.

[45]    Interrogatoire de M. Bossé, p. 107-108.

[46]    R-32, p. 1-8 et CN-27.

[47]    Précité, note 45, p. 104-110.

[48]    R-32.

[49]    Interrogatoire de Chris Phillips, p. 129-130.

[50]    Idem, p. 132-133.

[51]    R-12, 2e document, p. 3.

[52]    CN-33.

[53]    R-54.

[54]    R-51.

[55]    R-13.

[56]    R-15.

[57]    R-7.

[58]    Initialement se greffait à cette question la suivante  : « Dans la négative, dans quelle proportion les parties devraient-elles assumer ces dépassements de coûts? » Cette question a été retirée par le PGC parce qu’elle relèverait du deuxième procès.

[59]    Bien que la question ne soit pas posée directement dans les procédures, une réponse négative à la question iv) soulève un autre débat : TC doit-il au CN la somme de 1.8 M$ qui représente la contribution non versée en vertu de l’Entente de 1997?  Ceci est l’objet de la demande reconventionnelle du CN.

[60]    R-3, art. 4.

[61]    R-6, p. 2, 6e par.

[62]    R-7, 7e Attendu.

[63]    J.-C. ROYER, La preuve civile, 4e éd., Éditions Yvon Blais, 2008, par. 865.

[64]    R-16, p. 183-187.

[65]    R-4, p. 68.

[66]    R-7, art. 4.1.

[67]    R-5, p.15.

[68]    R-5, Acte d’abandon, clause 4, p. 15; R-5, Acte de concession, p. 16.

[69]    Dictionnaire de droit québécois et canadien, H. REID, 4e éd. Montréal, Wilson & Lafleur, 2010.

[70]    J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, Les obligations, 7e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 491-493.

[71]    Interrogatoire de M. Pelletier par Me Veilleux du 15 décembre 2008, p. 10.

[72]    Interrogatoire de M. Tellier, 12 janvier 2010, p. 175.

[73]    Interrogatoire de M. Tellier, 12 janvier 2010, p. 174.

[74]    R-4, p. 68.

[75]    R-23.

[76]    Interrogatoire de Chris Phillips, « Policy Officer » de TC, 15 septembre 2010, p. 21-25.

[77]    Interrogatoire de M. Pelletier par Me Veilleux du 15 décembre 2008, p. 18.

[78]    R-26, p. 2.

[79]    CN-1.

[80]    R-5.

[81]    R-6, p. 2-3.

[82]    Dictionnaire des synonymes et contraires, Dictionnaire Le Robert, 2001 p. 204.

[83]    R-5.

[84]    Voir R-37 : interrogatoire de M. Yvan Demers, sous-ministre des Transports du Québec, 16 avril 2010, p. 14.

[85]    J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, Les obligations, précité, note 70, p. 1236-1237.

[86]    R-6.

[87]    Programme d’entretien, R-6, art. 3.

[88]    Idem, art. 3.3.

[89]    R-8; voir aussi l’admission du CN consignée au dossier le 9 mai 2014 à l’effet qu’il était l’intention du CN, lorsque l’engagement du 7 janvier 1997 a été souscrit, de procéder à tous les travaux prévus au Programme d’entretien.

[90]    R-3, p. 2.

[91]    J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, Les obligations, précité, note 70, p. 323.

[92]    D. LLUELLES et B. MOORE, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, p. 259-260.

[93]    Banque de Montréal c. Bail ltée, [1992] 2 RCS 554, p. 586.

[94]    Article 1400 C.c.Q.

[95]    D. LLUELLES et B. MOORE, précité, note 92, p. 267-268.

[96]    J.-L. BAUDOUIN et P.-G.JOBIN, Les obligations, précité, note 70.

[97]    Interrogatoire de M. Pelletier par Me Veilleux du 15 décembre 2008, p. 33-34.

[98]    Interrogatoire de M. Tellier du 12 janvier 2010, p. 40-48 et 80, 86-87.

[99]    Idem, p. 180-185.

[100]   Interrogatoire de M. Tellier du 11 juin 2010, p. 16 et ss.

[101]   R-4, p. 68.

[102]   Interrogatoire de Georges Oomen du 7 avril 2011, p. 91-94.

[103]   Interrogatoire de M. Sweeney du 10 novembre 2010, p. 57-59.

[104]   Interrogatoire de M. Pelletier par Me Veilleux en date du 15 décembre 2008.

[105]   Idem, p. 29-30.

[106]   R-26.

[107]   R-26.

[108]   R-29.

[109]   R-31.

[110]   R-28.

[111]   CN-16, p.2.

[112]   Art. 38a) de la Requête Amendée.

[113]   R-18.

[114]   R-4.

[115]   Id. p. 68.

[116]   R-23.

[117]   Interrogatoire hors cour de David Anderson du 16 mars 2010, p. 22-23.

[118]   Interrogatoire de Chris Phillips du 15 septembre 2010, p. 24-34.

[119]   CN-20, p. 3 de 3.

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