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Société de transport de Montréal et Riendeau

2007 QCCLP 3088

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

18 mai 2007

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

217450-62-0310

 

Dossier CSST :

123179814

 

Commissaire :

Lucie Couture, avocate

 

Membres :

Christian Tremblay, associations d’employeurs

 

Steve Carter, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Benoît Boissy, médecin

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Société de transport de Montréal

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Serge Riendeau

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 7 octobre 2003, la Société de transport de Montréal (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste la décision rendue le 18 septembre 2003, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 27 mars 2003 et déclare que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1](la loi).

[3]                Cette décision confirme également celle rendue initialement le 10 juin 2003 à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale et confirme les diagnostics de tunnel carpien et d’épicondylite gauche, que la lésion est consolidée le 22 mai 2003 sans nécessité de traitements après cette date.

[4]                Elle déclare que la CSST est justifiée de poursuivre le versement des indemnités jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur de refaire son emploi. Elle déclare finalement que la CSST doit cesser de payer les soins et les traitements puisqu’ils ne sont plus justifiés.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’a pas subi, le 10 janvier 2003, une lésion professionnelle et qu’il n’a donc pas droit aux prestations prévues par la loi. L’employeur ne remet pas en question les diagnostics retenus par le membre du Bureau d’évaluation médicale, mais leur relation avec le travail exercé par le travailleur.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs, monsieur Christian Tremblay, et le membre issu des associations syndicales, monsieur Steve Carter, sont d’avis de rejeter la requête de l’employeur. Ils estiment que la preuve prépondérante démontre que le tunnel carpien et l’épicondylite gauche dont a souffert le travailleur sont reliés aux risques particuliers du travail fait par le travailleur. Les gestes accomplis par le travailleur sont susceptibles d’avoir causé les deux pathologies et ce, malgré la présence d’une maladie personnelle telle le diabète. Le travail exercé par le travailleur est de nature à avoir rendu symptomatiques ces deux pathologies lesquelles ont pu être aggravées par cette maladie. 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi, le 10 janvier 2003, une lésion professionnelle et s’il a droit, par conséquent, aux prestations prévues par la loi.

[8]                Le tribunal retient les éléments suivants :

[9]                Le travailleur, âgé de 43 ans au moment de la réclamation, occupe un poste de débosseleur depuis 1976, mais à l’emploi de l’employeur depuis 1986.

[10]           Il rapporte, dans sa réclamation, ressentir des douleurs à la suite de l’utilisation d’outils vibratoires. Il consulte le médecin le 10 janvier 2003 et déclare l’événement à son employeur cette journée-là.

[11]           Le même jour, il consulte le docteur Poulin qui pose un diagnostic de « tennis elbow gauche » et de syndrome du canal carpien gauche[2]. Le médecin indique qu’il s’agit d’une maladie professionnelle. Il est gaucher.

[12]           Le 24 janvier 2003, le docteur Rosman rapporte une faiblesse et des engourdissements dans la main gauche. Il demande une radiographie cervicale et un électromyogramme.

[13]           Le même jour, le docteur Poulin rapporte que l’épicondylite s’est améliorée et que le travailleur présente des paresthésies du nerf médian.

[14]           Le 20 février 2003, le docteur Luc Racine, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Il rapporte que le travailleur se plaint de divers symptômes soit des douleurs, crampes, engourdissements des deux mains, des malaises entre les épaules et aux deux coudes. Il les attribue à son travail. Il rapporte des douleurs continuelles au coude gauche qui sont exacerbées lorsqu’il utilise la perceuse ou en forçant. Le travailleur attribue ses malaises au « Zip Gun ». Il n’utilise plus cet outil depuis trois ou quatre ans et se sent plus confortable.

[15]           Le travailleur rapporte une diminution de sensibilité des quatre derniers doigts, survenant la nuit. Il a aussi des douleurs continuelles au coude gauche et doit porter une orthèse au niveau des coudes lorsqu’il travaille. Il rapporte que l’infiltration reçue au coude gauche, le 24 janvier 2003, l’a soulagé temporairement, mais il a recommencé à avoir des douleurs.

[16]           L’examen du docteur Racine ne démontre aucune limitation des mouvements des deux coudes. À l’épicondyle, il ne voit aucun gonflement local ou de signe d’inflammation. La palpation des muscles épicondyliens est totalement silencieuse. Leur mise en tension avec le coude en flexion ou en extension, avec le poignet et les doigts en dorsiflexion ou en flexion palmaire contre résistance, provoque un léger malaise autour de l’épicondyle gauche sans spasme local. Le médecin rapporte que ces malaises surviennent de façon tout à fait aléatoire, à la répétition des tests. Les mouvements des deux poignets sont normaux. Le signe de Tinel est négatif aux poignets de même que la pression sur le nerf médian qui ne provoque aucun engourdissement. Il ne note aucune atrophie. La mise en dorsiflexion aiguë ou la flexion palmaire aiguë ne provoque aucun engourdissement au niveau des doigts pour les deux mains.

[17]           Il n’observe aucun trouble moteur ou sensitif au niveau des coudes, poignets, ou doigts. Il estime que l’examen actuel ne met pas en évidence de syndrome du tunnel carpien puisque le pouce (territoire médian) n’est pas atteint et que l’auriculaire et l’annulaire au complet (territoire cubital) sont impliqués. De plus, le signe de Tinel est négatif et la force des muscles intrinsèques de la main est normale. Il retient un diagnostic d’algie au niveau des deux mains et d’épicondylalgie sans relation avec le travail. Il est d’avis qu’il n’y a jamais eu de fait accidentel. De plus, il estime que les mouvements répétés effectués par le travailleur ne sont pas responsables du tableau clinique. Le travailleur travaille à son rythme et a des pauses entre les mouvements. Il estime également que : « Comme il n’y a pas de haute cadence des mouvements et de pressions se succédant de façon continue en une période de temps prolongée, on ne peut conclure à une maladie professionnelle. »

[18]           Le 3 mars 2003, le travailleur produit au soutien de sa réclamation, une description de son travail qu’il accompagne d’une enquête sur les maladies musculo-squelettiques, effectuée en 1993, chez l’employeur.

[19]           Le 13 mars 2003, le docteur Mathieu, médecin de la CSST indique au dossier que le travail de mécanicien/débosseleur fait sur des véhicules lourds est un travail exigeant pour les muscles épicondyliens. Il est aussi d’avis que les outils utilisés occasionnent beaucoup de vibrations. Il estime qu’étant donné la durée d’exposition, la relation entre le travail et la maladie est plausible.

[20]           Le 27 mars 2003, la CSST accepte la réclamation du travailleur. 

[21]           Le 4 avril 2003, le rapport de l’électromyogramme mentionne que le travailleur présente, depuis les deux dernières années, des engourdissements progressifs aux deux mains, de nature intermittente, fréquents la nuit et aussi durant la journée alors qu’il tient des outils ou qu’il conduit.

[22]           Le docteur Berger, neurologue, rapporte que le travailleur ne présente pas d’hypothyroïdie, mais qu’il est diabétique depuis peu. Le signe de Tinel est négatif aux nerfs médians, aux poignets. L’examen démontre des signes de dysfonction légère des nerfs médians aux deux poignets confirmant un diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral. Les tests de conduction montre des anomalies plus importantes à gauche qu’à droite.

[23]           Le 15 avril 2003, l’employeur demande la révision de la décision du 27 mars 2003.

[24]           Dans un rapport complémentaire daté du 28 avril 2003, le docteur Berger, neurologue, est d’avis que son électromyogramme a bien confirmé une dysfonction des nerfs médians à gauche et à droite. Il est d’avis que même en présence d’un examen clinique normal, les syndromes du canal carpien peuvent quand même exister. Il est d’avis que le diagnostic demeure, même si le territoire impliqué n’est pas strictement ou « classiquement » médian. Il suggère un traitement conservateur dans un premier temps.

[25]           Le 16 mai 2003, le docteur Poulin indique dans un rapport médical que l’épicondylite gauche est consolidée. Il mentionne que pour le syndrome du canal carpien bilatéral, le travailleur est en attente de chirurgie. Il indique que le travailleur est apte au travail avec restrictions fonctionnelles.

[26]           Le dossier est soumis au Bureau d’évaluation médicale à la demande de l’employeur. Ainsi, le 22 mai 2003, le docteur Pierre Beaumont, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. Il rapporte que son examen de l’épicondyle gauche montre des signes compatibles avec une épicondylite. Il est aussi d’avis :

[…] il m’apparaît très évident et sans aucun doute avec des tests habituels et spécifiques pour le tunnel carpien que le patient présente un syndrome de tunnel carpien à gauche; non vérifiable à droite de façon clinique. Les signes électromyographiques qui sont légèrement positifs aussi corroborent ce diagnostic. On sait que les acroparesthésies et que les tests de Phalen sont quand même assez spécifiques et l’irradiation dans le majeur est classique. Le type de travail qu’il fait depuis plusieurs années prédispose à cette pathologie.

 

 

[27]           Il est d’avis que le travailleur présente un syndrome du canal carpien gauche, des signes d’épicondylite gauche et d’épitrochléite à droite très peu symptomatiques. Il retient le 22 mai 2003 comme date de consolidation avec suffisance des traitements à cette date.

[28]           Le 10 juin 2003, la CSST entérine les conclusions du docteur Beaumont et déclare qu’il y a relation entre les diagnostics posés et l’événement, que les soins sont justifiés et que les indemnités se poursuivent.

[29]           Le 12 juin 2003, le docteur Payne est d’avis que le syndrome du canal carpien gauche n’est pas consolidé. L’épicondylite gauche l’est.  Il recommande des limitations fonctionnelles temporaires.

[30]           Le 25 juin 2003 et le 26 juin 2003, le travailleur et l’employeur demande la révision de cette décision du 10 juin 2003.

[31]           Le 5 septembre 2003, le docteur M. Bissonnette, chirurgien plasticien, pose un diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral. Il effectue une infiltration. Il est d’avis qu’à long terme, le patient pourrait réintégrer un travail où l’usage d’outils vibratoires serait limité à 20 minutes par heure avec périodes de repos.

[32]           Le 16 septembre 2003, le docteur Payne produit un rapport d’évaluation médicale dans lequel il accorde un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour atteinte des tissus mous du membre supérieur, pour les séquelles de l’épicondylite gauche. Il indique qu’il produira un rapport d’évaluation médicale lorsque le syndrome du canal carpien sera consolidé.

[33]           Le 18 septembre 2003, la CSST, à la suite d’une révision administrative, confirme les décisions rendues le 27 mars et le 10 juin 2003; déclare que le travailleur a subi, le 10 janvier 2003, une lésion professionnelle et que la CSST est bien fondée de poursuivre le versement des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur de refaire son emploi.

[34]           Le 25 septembre 2003, le docteur Payne recommande des travaux légers. Il indique que le travailleur a reçu deux infiltrations.

[35]           Le 2 octobre 2003, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision du 18 septembre 2003. Il se désistera par la suite de cette requête.

[36]           Le 7 octobre 2003, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la même décision. (Dossier 217450-62-0310) C’est de cette requête qu’est saisie la Commission des lésions professionnelles.

[37]           Le 7 octobre 2003, le docteur Bissonnette rapporte que l’état du travailleur s’est amélioré avec les infiltrations.

[38]           Le 4 novembre 2003, le docteur Michel Germain, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Il est d’avis que pour le syndrome du canal carpien gauche, le travailleur présente un déficit anatomo-physiologique de 1 % et des limitations fonctionnelles, à savoir ne pas manipuler d’engin vibratoire jusqu’à ce qu’il soit opéré.

[39]           Le 7 novembre 2003, le docteur Bissonnette indique que le travailleur présente une récidive de son syndrome du canal carpien gauche. Il procède à une infiltration et indique que le travailleur devra subir une décompression du canal.

[40]           Le 25 novembre 2003, le docteur Payne pose le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral. Il prescrit des travaux légers.

[41]           Le 5 février 2004, le docteur Payne se dit en accord avec l’opinion du docteur Germain. Il note toutefois que le travailleur sera réévalué après la chirurgie.

[42]           Le dossier est de nouveau soumis au Bureau d’évaluation médicale relativement aux questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Ainsi, le 25 février 2004, le docteur David Wiltshire, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. Comme le travailleur ne présente pas de signe de son épicondylite gauche, il n’accorde aucune séquelle pour cette lésion. Il est toutefois d’avis que le travailleur présente des séquelles de son syndrome du canal carpien gauche de 1 % et accorde des limitations fonctionnelles soit de ne pas utiliser d’outil vibratoire jusqu'à son intervention chirurgicale.

[43]           Cette décision sera contestée par le travailleur et l’employeur. Cependant, à la suite de la décision de la révision administrative qui la confirmera, les deux parties se désisteront de leur requête déposée à la Commission des lésions professionnelles.

[44]           Le 6 août 2004, le docteur Lévesque effectue une décompression du canal carpien gauche.

[45]           Le 5 octobre 2004, le docteur J.M. Lévesque note une amélioration de l’état du travailleur. Il recommande un retour au travail le 11 octobre 2004.

[46]           Le 30 novembre 2004, le docteur J.M. Lévesque note la persistance d’une raideur des doigts de la main gauche. Il prescrit un nouvel électromyogramme tout en prolongeant la recommandation de travaux légers.

[47]           Le 15 février 2005, le docteur Lévesque indique que l’électromyogramme demeure positif de tunnels carpiens. Il note que l’état du travailleur est amélioré par le port d’orthèses.

[48]           Le 23 février 2005, la CSST déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 11 octobre 2004.

[49]           Le 10 mai 2005, le docteur Lévesque produit un rapport final consolidant la lésion professionnelle à cette date avec atteinte permanente mais sans limitation fonctionnelle.

[50]           Le 15 octobre 2005, le docteur Catherine Browman, chirurgienne orthopédiste, examine le travailleur. Elle établit un déficit anatomo-physiologique de 5 % pour une névrite du nerf médian post-décompression.

[51]           Lors de l’audience, le travailleur a longuement témoigné concernant les symptômes qu’il ressent à la main et au bras gauche. Il indique qu’environ trois ans avant sa réclamation, il accusait des engourdissements dans la main gauche.

[52]           Il explique travailler comme débosseleur depuis 1981 et depuis 1986, il est à l’emploi de l’employeur. Son travail consiste à changer les différentes pièces sur les autobus. Même si le titre n’est pas le même, il s’est toujours considéré comme un débosseleur. Il utilise divers outils dont le « Zip Gun ». Il utilise une perceuse pneumatique, des clés à chocs et à rochets pneumatiques, des sableuses orbitales et pneumatiques, une meule à disque abrasif ou pneumatique. Tous ces outils sont utilisés par le travailleur dépendant du travail à effectuer.

[53]           Environ un an et demi avant la réclamation, il travaille à défaire les panneaux latéraux sur les autobus pour les remplacer. Pour cela, il enlève les rivets et en repose d’autres. Bien qu’il utilise tous les outils énumérés précédemment, chez l’employeur, le « Zip Gun » est davantage utilisé pour démonter les panneaux de côtés des autobus ou pour enlever les plaques d’acier situées en arrière des autobus. Il enlève également les plaques d’acier en dessous des planchers des autobus. Les panneaux de côté sont retenus par des rivets qui doivent être enlevés avec cet outil qui vibre et donne des contrecoups dans la main et le bras. Une fois les rivets enlevés, il frappe à l’aide d’un poinçon et d’un marteau sur la tige du rivet afin de la sortir du trou. S’il est incapable de retirer la tige, il utilise alors une perceuse et perce un trou plus grand afin de retirer la tige du rivet. Il enlève ainsi tous les panneaux extérieurs de l’autobus avant de le rebâtir à neuf. Certains des rivets sont insérés dans l’acier, ce qui nécessite une plus grande pression afin de pouvoir les enlever. Il en est de même lorsqu’il doit percer la tige des rivets insérés dans l’acier.

[54]           Pour enlever les panneaux du plancher, il utilise un « Zip Gun » plus gros afin de retirer les boulons retenant les panneaux de contre-plaqués du plancher. Il explique que cet outil, étant plus gros, utilise une tige de métal plus longue et produit plus de vibrations et d’impacts.

[55]           Les outils qu’il se sert dans le cadre de son travail sont tous utilisés dans la majorité du temps, de la main gauche. Il effectue un mouvement de préhension pleine main, les doigts de cette main enserrent le manche de ces outils. Son poignet est en flexion cubitale. Cette flexion se modifie selon l’angle nécessaire pour travailler. Il doit utiliser une force importante lorsqu’il doit retirer les têtes des rivets ou lorsqu’il doit percer l’acier avec la perceuse pneumatique. Il explique qu’il appuie souvent son coude sur son abdomen afin d’exercer une plus grande force sur l’outil. Ces gestes l’obligent à effectuer certaines flexions ou déviations du poignet gauche afin d’être bien positionné, ce qui implique divers mouvements de flexion ou d’extension du poignet.

[56]           Lorsqu’il doit refaire les planchers ou rebâtir les cloisons où sera accroché le moteur, il doit percer l’acier avec une perceuse pneumatique afin de préparer les trous dans lesquels seront insérés les divers boulons servant à supporter cette pièce. Par la suite, pour certaines composantes, il visse les boulons à une pression prédéterminée. Il utilise une clé à rochet de la main gauche et une autre clé de la droite. Cette clé à rochet bloque et donne un contrecoup dans le membre supérieur gauche, lorsque le boulon est vissé à la bonne pression.

[57]           Lorsqu’il replace les panneaux de côté des autobus, il travaille avec un collègue. Un travailleur est situé à l’intérieur et l’autre à l’extérieur. Celui à l’intérieur de l’autobus tient la plaque d’acier qui sert à écraser les rivets et l’autre pose les rivets. Celui qui tient la plaque d’acier ressent les vibrations communiquées par l’instrument. Il doit tenir la plaque d’acier à deux mains. Comme le métal devient chaud, il utilise des gants de cotton. L’outil qu’il utilise le plus souvent est un fusil pneumatique, dans lequel s’insère différentes douilles lui permettant de visser et dévisser les vis retenant les panneaux et autres morceaux des autobus.

[58]           Le travailleur explique que vers l’année 1993, il y a eu une période de travail plus intense parce que les autobus avaient été mal réparés. Il a travaillé durant une période de huit mois, à raison de 16 heures par jour. Il faisait alors deux quarts de travail. En 1994 il effectue en moyenne 10 à 15 heures de temps supplémentaire par semaine.

[59]           Le travailleur a eu au cours de ces années à redresser les carrosseries des autobus accidentés. Il doit aussi utiliser diverses meules ou sableuses pneumatiques pour meuler et polir les bandes de métal où s’insèrent les rivets ou pour enlever la corrosion sur les poteaux d’aciers.

[60]           En 2001, il obtient un poste dans le département des petites composantes où, contrairement à ce qui était fait jusque-là, plutôt que d’assembler les pièces directement sur l’autobus, on assemble les diverses pièces sur un gabarit. Ce travail est plus facile parce que les positions de travail sont plus faciles à adopter.

[61]           Il explique qu’au début les engourdissements se produisaient lorsqu’il conduisait sa voiture; il avait de la difficulté à bouger ses doigts. Lorsqu’il travaillait, il pouvait ressentir des symptômes similaires. Il ne savait pas en 2000 que son travail pouvait être la cause de ces douleurs. Même s’il accuse déjà des difficultés avec sa main, il ne consulte pas de médecin à cette époque pour ces douleurs pas plus que pour celles qu’il ressent au coude, depuis 1990.

[62]           En janvier 2003, il éprouve des crampes dans les doigts et n’est plus capable de tenir ses outils. Il ne peut plus utiliser le « Zip Gun ». Il a le pouce, l’index et le majeur de la main gauche engourdis. Il cesse alors le travail et consulte son médecin.

[63]           C’est lors de l’examen en 2003, que le médecin a vu qu’il avait une problématique au coude également. Il explique que l’employeur lui avait fourni un bracelet épicondylien qui l’a beaucoup aidé. On lui a également fourni des gants spécialement conçus pour diminuer les vibrations. Il n’a pas été opéré au coude.

[64]           Il précise ne pas se souvenir de la date exacte du début d’apparition de son asthme. Il a pris des antidépresseurs et du Célébrex depuis l’an 2000. Il utilise de l’aspirine depuis 2003 et du Singulair depuis cinq ou six ans. Il précise que son médecin a découvert qu’il souffrait de diabète il y a deux ou trois ans. Il prend des Glucophages.

[65]           Le travailleur explique qu’il lui arrive durant certaines périodes de travailler durant tout son quart de travail avec l’outil pneumatique pour retirer les rivets.

[66]           Il précise que dans son travail, il trouvait normal de ressentir des douleurs à la main. Il ressent aussi des douleurs lors des activités de la vie quotidienne. Il est même incapable d’ouvrir des pots de marinades. En 2003, la douleur est plus constante; lorsqu’elle devient maximale, il n’est plus capable de travailler. Il explique ne pas avoir de difficultés avec sa main droite. Il rappelle avoir été opéré en 2004, à la main gauche. Il accuse encore des douleurs au site de la cicatrice. Il a les mêmes douleurs, mais ses doigts ne sont plus engourdis. Il a aussi moins de force. Il y a certains mouvements qu’il a de la difficulté à faire comme écrire, par exemple.  Il n’utilise plus d’outil vibratoire et cela l’aide beaucoup.

[67]           Pour ce qui est de son coude, Il indique avoir toujours eu mal au coude depuis 1990, mais ne pas avoir consulté pour cela.

[68]           Le docteur Trudeau a également témoigné. Il est médecin conseil pour l’employeur depuis 1992. Il explique avoir présenté un mémoire de maîtrise sur les maux de dos attribuables aux vibrations. Il fait une distinction entre les vibrations et les percussions. La vibration consiste en une série de percussions de fréquence très rapide. La percussion étant une série de fréquences plus rapides de secousses. Ce n’est pas la même chose que les vibrations.

[69]           Il explique que les études faites, en regard du syndrome du canal carpien, concernent les outils vibrants tels les scies à chaîne qui donnent des vibrations continues. Il en est de même pour les travailleurs qui utilisent des sableuses ou pour ceux qui percent des tunnels à l’aide de perceuses. Ces outils produisent des vibrations continues. Ce n’est pas la même chose que les outils qui font des percussions comme ceux utilisés par le travailleur.

[70]           Il explique ce qu’est une épicondylite soit une inflammation des tendons épicondyliens lesquels s’insèrent au niveau de la face latérale du coude. Ces tendons sont sollicités par les muscles extenseurs du poignet et des doigts.

[71]           Il existe plusieurs causes à l’épicondylite, dont une contusion directe au niveau du coude ou occasionnée par un travail impliquant un effort soutenu dans des postures contraignantes avec des notions de répétitivité, le poignet en extension.

[72]           Il indique que cette affection est souvent d’origine dégénérative. Dans ce cas, on ne retrouve pas de signe d’inflammation du tendon.

[73]           Le docteur Trudeau explique que le travailleur attribue son problème d’épicondylite au « Zip Gun ».

[74]           La posture la plus susceptible d’occasionner une telle pathologie est celle qui nécessite un effort en extension soutenu du poignet. Or, selon ce que montre le travailleur lors de l’utilisation de cet outil, son poignet est en position neutre avec une légère flexion cubitale laquelle sollicite plutôt les fléchisseurs du poignet. La posture de travail ne sollicite pas les épicondyliens parce que le poignet n’est pas en extension.

[75]           Il explique que lorsque le travail est la cause d’une problématique, les symptômes doivent apparaître de façon contemporaine aux efforts. Cette apparition doit également se faire sur une courte période de temps.

[76]           Les symptômes ne peuvent apparaître 15 ans après les efforts effectués comme en l’espèce. Il soumet que si le travailleur fait les efforts sur une longue période de temps et que les symptômes arrivent ensuite, cela va à l’encontre d’une relation temporelle entre les efforts et la maladie. La douleur aurait dû apparaître, selon lui, peu de temps après les efforts effectués pour qu’on puisse conclure à une relation, autrement il s’agit de l’expression d’un état personnel qui se manifeste au travail.

[77]           Pour le syndrome du canal carpien, il s’agit de la compression du nerf médian. Ce nerf peut être comprimé par la gaine qui l’entoure ou être essentiellement gonflé. On parle de compression extrinsèque ou intrinsèque au niveau du nerf. Le patient développe des symptômes d’engourdissements des trois premiers doigts (pouce, index et majeur).

[78]           Il dépose de la littérature médicale pour expliquer les causes du tunnel carpien, soit anatomiques ou les maladies systémiques. Le diabète en est une principale du syndrome du canal carpien bilatéral. Même si le diabète du travailleur est d’apparition récente et qu’il ne nécessite pas la prise d’insuline, cette maladie peut être responsable des engourdissements.

[79]           Le diabète peut être présent depuis un moment même si le diagnostic est posé depuis peu. Le diabète peut donc être à l’origine du syndrome du canal carpien bilatéral révélé à l’électromyogramme qui montre des dysfonctions légères.

[80]           Les autres étiologies sont endocriniennes, toxiques, infectieuses ou traumatiques et, également, professionnelles.

[81]           On parle aussi des causes systémiques ou médicamenteuses. Le travailleur prend des médicaments pour son asthme, du Célexa, du Célébrex lesquels sont associés à des polyneuropathies. Le Lipitor, un médicament pour l’hypercholestérolémie, peut également causer des neuropathies. Le Singulair est également associé à des troubles du système nerveux. Les extraits du Compendium médical des médicaments ont été produits au soutien de cet argument.

[82]           Selon le docteur Trudeau, les effets secondaires peuvent s’installer quelques mois après l’utilisation de ces médicaments. Il peut donc y avoir des causes systémiques qui sont associées au syndrome du canal carpien.

[83]           On parle de chronicité des symptômes lorsqu’ils persistent depuis longtemps. Le travailleur avait des symptômes depuis plusieurs années.

[84]           Il y a également des causes idiopathiques surtout lorsqu’on parle de syndrome bilatéral. La plupart du temps, elles ne sont pas connues à ce syndrome.

[85]           Dans les étiologies ergonomiques, on parle de posture contraignante, de répétition forcée, de compression mécanique et de vibration. Il s’agit donc de cause multifactorielle. La relation de cause à effet est plus importante lorsqu’il y a association de plusieurs de ces facteurs. S’il y a posture contraignante, avec efforts et vibrations, la relation causale est beaucoup plus grande. Si on retrouve uniquement les vibrations, la relation de cause à effet est beaucoup plus difficile à établir.

[86]           Pour conclure à une relation de cause à effet entre l’apparition du syndrome et le travail, on doit retrouver des efforts compressifs au niveau de la paume, des flexions extrêmes du poignet avec pince forcée des doigts et avec un usage excessif d’outils vibratoires donnant des vibrations continues, tels scies à chaîne, sableuse ou perceuse. Il est d’avis que cela n’est pas retrouvé dans le travail effectué par le travailleur.

[87]           Le docteur Trudeau a commenté un article de littérature médicale suisse qui énonce, au sens de la loi suisse, les six conditions devant être rencontrées afin qu’on puisse reconnaître le caractère professionnel d’un tel syndrome. Il faut d’abord un diagnostic posé correctement, l’absence de facteur prédisposant, les causes spécifiques du syndrome doivent être exclues. Selon ce document, un patient porteur de diabète ne pourrait pas voir son syndrome reconnu comme maladie professionnelle même s’il exerce des tâches susceptibles de causer un tel syndrome.

[88]           Il faut aussi des positions extrêmes à risque et une relation temporelle entre les symptômes et le travail.

[89]           Dans le cas présent, le fait que le syndrome soit bilatéral empêche, selon lui, d’établir un lien avec le travail. Selon cette étude, les auteurs précisent que la bilatéralité des symptômes signifient soit une cause systémique ou idiopathique.

[90]           Pour lui, le fait que le travailleur soit diabétique empêche également la reconnaissance de la relation entre le syndrome et le travail qu’il effectue.

[91]           Pour qu’il y ait une relation temporelle, il faut que l’apparition des symptômes soit contemporaine à l’exécution des tâches qu’on identifie comme pouvant être responsables de la maladie. Or, dans le cas sous étude, le travailleur éprouve des symptômes depuis trois ans au moment de sa réclamation alors qu’il effectue ce travail depuis 1986 sans avoir ressenti de problème avant.

[92]           En réponse aux questions du représentant du travailleur, le docteur Trudeau explique que le « Zip Gun » n’est pas reconnu comme étant un outil provoquant des vibrations, mais plutôt des percussions, des impacts successifs, ce qui est bien différent. Les sableuses utilisées par le travailleur sont des outils causant des vibrations tout comme les meules abrasives. Par contre, les marteaux pneumatiques et perceuses pneumatiques sont des outils à percussion et provoquent des vibrations de basse fréquence qui, selon les études de NIOSH, ne seraient pas celles susceptibles de causer un syndrome du canal carpien. Il estime que les perceuses électriques peuvent causer des vibrations.

[93]           Pour ce qui est des clés à choc, il ignore si ce type d’outil cause ou non des vibrations de hautes fréquences. Le serrage des boulons ou écrous implique des séries de chocs, mais cela ne correspond pas à la définition de haute fréquence qui correspond à des ondes de plus de 100 hertz. Il ignore si les clés à rochet causent des vibrations.

[94]           Selon lui, les auteurs ne s’entendent pas sur le rôle des vibrations dans l’étiologie des syndromes du canal carpien. Selon certains, les vibrations obligeraient les travailleurs à serrer davantage les outils ce qui solliciterait encore plus les tendons fléchisseurs des doigts, alors que pour d’autres, les vibrations causeraient un effet au niveau neurovasculaire qui serait responsable de l’apparition du syndrome du canal carpien.

[95]           En terminant, il réitère que les études épidémiologiques établissent une relation de cause à effet entre le travail et le syndrome du canal carpien lorsqu’il y a une combinaison de facteurs.

[96]           Pour ce qui est de l’épicondylite, il est d’avis que les mouvements de supination peuvent en causer une. Pour avoir une épicondylite professionnelle, il ne faut pas seulement avoir un mouvement qui sollicite les tendons extenseurs, mais également des mouvements exécutés avec effort selon une cadence et fait avec répétition. Pour lui, le seul fait de visser ou dévisser ne suffit pas pour causer cette pathologie. Il estime qu’une personne porteuse d’une épicondylite dégénérative ressentira des douleurs en effectuant ces gestes sans que ceux-ci en soient responsables.

[97]           Il explique que l’effort fait par le travailleur pour tourner son volant de voiture est un geste qui sollicite les épicondyliens tout comme les efforts de préhension pour ouvrir un pot de marinades. Ces gestes peuvent rendre symptomatique l’épicondylite.

[98]           Il n’a pas observé d’efforts importants avec le poignet en flexion. Le poignet du travailleur est plutôt en position neutre et même en flexion ulnaire ce qui ne sollicite pas les épicondyliens. Il estime donc que l’épicondylite ne peut être reliée au travail effectué par le travailleur. Il a soumis diverses littératures médicales au soutien de ses prétentions.

[99]           Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal est d’avis de rejeter la requête de l’employeur.

[100]       En effet, le tribunal est lié par les diagnostics posés dans le dossier, soit ceux retenus par le membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Beaumont, puisque les conclusions médicales n’ont pas été contestées.

[101]       Le tribunal doit donc déterminer si le syndrome du canal carpien gauche et l’épicondylite gauche constituent des lésions professionnelles.

[102]       La loi définit ainsi l’accident du travail, la lésion professionnelle et la maladie professionnelle.

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

 

 

[103]       En l’espèce, le travailleur ne prétend pas avoir subi un accident du travail et les diagnostics posés ne permettent pas, dans le cas sous étude, d’appliquer la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi.

[104]       Le tribunal estime également qu’étant donné ces mêmes diagnostics, la présomption de maladie professionnelle visée par l’article 29 de la loi ne peut pas s’appliquer. Ces diagnostics ne sont pas énoncés à l’annexe I de la loi.

[105]       Le travailleur devait donc démontrer que l’épicondylite et le syndrome du canal carpien gauches, dont il a souffert, sont caractéristiques ou reliés aux risques particuliers de son travail de carrossier.

[106]       Le tribunal est d’avis que cette preuve a été faite.

[107]       Le tribunal retient, du témoignage du docteur Trudeau, que les mouvements à risque pour causer une épicondylite sont ceux qui impliquent une supination du poignet. Il ne faut pas seulement un mouvement qui sollicite les tendons extenseurs, mais également des mouvements exécutés avec effort selon une cadence et faits avec répétition.  Les gestes à risque de causer une épicondylite sont les mouvements de pronation/supination du poignet avec préhension des doigts, d’extension ou de dorsiflexion du poignet, le tout effectué avec effort.

[108]       Les gestes à risque de causer un syndrome du canal carpien sont des gestes impliquant des flexions et des extensions du poignet, des déviations radiale ou cubitale, des mouvements de préhension des doigts, en pince ou à pleine main. À ces gestes peuvent s’ajouter le fait d’utiliser des outils vibrants.

[109]       Tant pour le diagnostic d’épicondylite gauche, que pour celui de syndrome du canal carpien gauche, le tribunal retient que le travailleur travaille principalement de la main gauche, étant gaucher. Il utilise divers outils qu’il tient avec la main gauche.

[110]       Pour l’utilisation de ces outils, le travailleur doit effectuer divers mouvements du poignet gauche afin d’être bien positionné pour le travail à accomplir. Il effectue ainsi diverses flexions ou extensions du poignet gauche. Le travailleur travaille également avec des outils qui causent des vibrations et ou des percussions.

[111]       Malgré l’opinion du docteur Trudeau sur la question des vibrations, le tribunal retient que les divers outils utilisés par le travailleur peuvent être qualifiés d’outils causant des vibrations. L’opinion du docteur Trudeau à l’effet que les percussions ne peuvent causer de syndrome du canal carpien n’est appuyée sur aucune donnée scientifique. La distinction faite par le docteur Trudeau entre les percussions et les vibrations n’empêche pas la reconnaissance d’une maladie professionnelle telle le syndrome du canal carpien.

[112]       En effet, lorsque le travailleur utilise ses outils, il les tient à pleine main, dans un mouvement de préhension des doigts, ce qui sollicite les fléchisseurs. Il doit serrer ces outils afin d’éviter de les échapper. Il doit également exercer une pression importante de tout le membre supérieur gauche afin de pouvoir réussir à faire son travail.

[113]       Le tribunal retient le fait que le travailleur doit utiliser un outil pneumatique, qui donne des contrecoups tant à la main gauche qu’au coude gauche. Le travailleur utilise un « Zip Gun », afin d’enlever les rivets des pièces de métal dont sont constitués les autobus.

[114]       Le travailleur a expliqué devoir visser et dévisser divers boulons avec un perceuse pneumatique qui donne un contrecoup au niveau du poignet et du coude, lorsque le boulon est vissé à fond. Il utilise ces outils durant de longues périodes de travail, et ce, depuis 1986. Il peut passer une journée complète à visser ou dévisser des boulons et à travailler avec le « Zip Gun » pour enlever les rivets.

[115]       Le docteur Trudeau a émis des doutes quant à la position que pouvait adopter le travailleur pour effectuer son travail. Le tribunal retient cependant le témoignage du travailleur et estime plausible l’explication qu’il a fournie quant à la position qu’il doit adopter pour arriver à faire son travail, surtout lorsqu’il s’agit de percer l’acier pour insérer les nouveaux rivets ou écrous ou pour les enlever. En effet, ce dernier a précisé qu’il doit appliquer une pression de son corps sur son coude gauche afin de pouvoir forcer pour, par exemple, percer l’acier. Cette pression fait en sorte de placer son poignet gauche en dorsiflexion et en déviation cubitale. Cette position amène une flexion plus importante du poignet gauche.

[116]       Le tribunal retient également que pour arriver à faire ce travail, le travailleur doit forcer avec son membre supérieur gauche et exercer une pression de sa main sur les divers outils qu’il tient fermement à pleine main.

[117]       Le tribunal estime que le travailleur effectue des gestes de cette nature et ce, sur une période de temps prolongée puisqu’il travaille depuis de nombreuses années pour l’employeur. La preuve prépondérante démontre que l’épicondylite gauche est reliée aux risques particuliers de son travail. Il est aussi convaincu que le syndrome du canal carpien est relié aux risques particuliers du travail exercé par le travailleur.

[118]       Bien que le docteur Trudeau doute de la relation causale en raison de l’absence de relation temporelle entre le travail et les symptômes, le tribunal est d’avis que cette relation est démontrée par la durée d’exposition du travailleur aux divers facteurs de risques énoncés précédemment. Et bien qu’il ait évoqué plusieurs possibilités, autres que le travail, pour expliquer l’étiologie du syndrome du canal carpien diagnostiqué chez le travailleur, il est le seul médecin à avoir proposé de telles hypothèses.

[119]       Le tribunal note que le diabète rapporté par le docteur Berger dans l’électromyogramme est d’apparition récente. Le docteur Trudeau a mentionné que cette découverte récente n’empêchait pas cette maladie d’être responsable des engourdissements ressentis par le travailleur depuis trois ans. Le tribunal est plutôt d’avis que bien que les engourdissements ressentis par le travailleur intéressaient les deux mains, les constatations à l’électromyogramme sont plus importantes au membre supérieur gauche. De plus, le docteur Beaumont ne note aucun signe clinique d’un syndrome du canal carpien à droite. Le tribunal estime que même si le diabète était la cause des symptômes du travailleur, comme le soutient le docteur Trudeau, le fait que les symptômes et les signes cliniques soient plus importants à gauche, alors que le travailleur est gaucher et qu’il travaille principalement avec sa main gauche dans des gestes de nature à causer cette maladie, empêche de nier la relation entre le travail et le syndrome du canal carpien.

[120]       Le tribunal note que le docteur Trudeau ne remet pas en cause le diagnostic de syndrome du canal carpien posé par le docteur Beaumont. Il propose plutôt diverses hypothèses pour expliquer les symptômes du travailleur. Il avance celle d’une polyneuropathie diabétique. Or, le tribunal constate que bien que cette maladie (diabète) soit identifiée par le docteur Berger neurologue, ce dernier n’envisage pas cette possibilité de polyneuropathie diabétique lorsqu’il pose le diagnostic de syndrome du canal carpien.

[121]       Quant à la possible neuropathie d’origine médicamenteuse, le tribunal note qu’il s’agit également d’une hypothèse qui n’est pas confirmée. Si une telle neuropathie était à l’origine des symptômes accusés par le travailleur, le tribunal estime qu’ils auraient dû être symétriques. Or, les constatations cliniques sont plus importantes au membre supérieur gauche qui est le membre dominant chez le travailleur et le membre utilisé dans le travail quotidien.

[122]       Les diagnostics d’épicondylite et de syndrome du canal carpien gauches ne sont d’ailleurs pas remis en question par l’employeur puisqu’il n’a pas contesté les questions médicales. D’affirmer, comme le prétend le docteur Trudeau, que le travailleur souffre de polyneuropathies diabétiques ou médicamenteuses équivaut à remettre en question le diagnostic posé dans le dossier, ce que l’employeur a soutenu ne pas contester.

[123]       Le tribunal note également que le docteur Beaumont, membre du Bureau d’évaluation médicale, retient le travail comme cause du syndrome du canal carpien.

[124]       Le docteur Mathieu de la CSST conclut que le travail sollicite les muscles épicondyliens.

[125]       Le tribunal ne peut retenir les conclusions des études[3] déposées par le docteur Trudeau. Si en Suisse la présence d’une maladie telle le diabète empêche la reconnaissance d’une lésion professionnelle, il en est tout autre au Québec, alors que la théorie du crâne fragile peut trouver application. Il est vrai que le diabète peut, dans certains cas, empêcher la reconnaissance d’une maladie professionnelle. Cependant, lorsque le travail est exercé principalement avec le membre supérieur gauche, bien que les symptômes soient bilatéraux, que les signes cliniques sont plus importants à gauche (chez un travailleur gaucher) au point de nécessiter une chirurgie de ce côté, et comme les tâches du travailleur impliquent la présence des facteurs de risques généralement reconnus comme responsables de ces pathologies, cet élément ne suffit pas pour convaincre le tribunal de l’absence de lésion professionnelle.

[126]       Même en retenant la thèse proposée par le docteur Trudeau à l’effet que le diabète soit responsable des engourdissements ressentis par le travailleur, le tribunal estime que le travail ne peut être écarté comme cause des maladies diagnostiquées chez le travailleur étant donné la présence des facteurs de risques généralement reconnus comme responsables de ces pathologies.

[127]       La preuve prépondérante permet de conclure que les deux maladies diagnostiquées sont caractéristiques ou reliées aux risques particuliers du travail exercé par le travailleur, pour l’employeur depuis 1986.

[128]       Le tribunal estime donc devoir rejeter la requête de l’employeur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de la Société de transport de Montréal;

CONFIRME la décision rendue le 18 septembre 2003, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Serge Riendeau a subi, le 10 janvier 2003, une lésion professionnelle, soit une épicondylite gauche et un syndrome du canal carpien gauche, lui donnant droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Lucie Couture, avocate

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Carmen Poulin

Jean Cantin et Associés

Représentante de la partie requérante

 

 

Jacques Morency

C.S.N.

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Bien que les médecins utilisent les termes tunnel carpien, le tribunal entend utiliser les termes syndrome du canal carpien. Ces termes sont maintenant ceux utilisés dans la communauté médicale.

[3]           W. VOGT, Syndrome du canal carpien: pathogénèse, diagnostic et causes: aspects de médecine des assurances, Lucerne, SUVA, Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, 1998, 111 p.;  V. J. DEREBERY, « Determining the Cause of Upper Extremity Complaints in the Workplace », (1998) 13 Occupational Medicine: State of the Art Reviews 569, p.;  Peter A. NATHAN et Richard C. KENISTON, « Carpal Tunnel Syndrome and its Relation to General Physical Condition », (1993) 9 Hand Clinics253, p.;  N. M. HADLER, « Repetitive Upper-Extremity Motions in the Workplace Are Not Hazardous », (1997) 22 Journal of Hand Surgery, American Volume, 19, p.

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