Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Baril et Entreprise S Mathieu

2015 QCCLP 2979

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

29 mai 2015

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossiers :

546020-03B-1407   547498-03B-1407

 

Dossier CSST :

139042634

 

Commissaire :

Geneviève Marquis, juge administratif

 

Membres :

Gaétan Gagnon, associations d’employeurs

 

Michel Saint-Pierre, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Steve Baril

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Entreprise S Mathieu

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 546020-03B-1407

[1]           Le 7 juillet 2014, monsieur Steve Baril (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative le 19 juin 2014.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a rendue le 28 mars 2014 et déclare que le diagnostic d’amputation au niveau des 3e et 4e doigts de la main gauche n’est pas en relation avec l’accident du travail survenu le 17 janvier 2012, de sorte que le travailleur n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) au regard de ce diagnostic.

Dossier 547498-03B-1407

[3]           Le 23 juillet 2014, le travailleur dépose au tribunal une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST à la suite d'une révision administrative le 10 juillet 2014.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a rendue le 28 avril 2014 et déclare que le travailleur n’a pas droit à la détermination d’un revenu brut plus élevé en vertu de l’article 76 de la loi.

[5]           Le travailleur est présent et représenté par procureur à l’audience qu’a tenue le tribunal à Lévis, le 28 avril 2015. Entreprise S Mathieu (l’employeur), bien que dûment convoqué, n’est ni présent ni représenté. La CSST est représentée par procureure.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

[6]           Le travailleur soutient qu’il a subi, le 28 juillet 2013, une lésion professionnelle aux 3e et 4e doigts de la main gauche en relation avec les importantes séquelles post-traumatiques résultant de l’accident du travail dont il a été victime le 17 janvier 2012.

[7]           Le travailleur estime qu’il y a lieu de déterminer un revenu brut plus élevé que celui établi dans le cadre de la lésion professionnelle qu’il a subie le 17 janvier 2012 puisque, n’eût été de circonstances particulières, il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]           Les membres issus des associations d'employeurs ainsi que des associations syndicales estiment que les requêtes du travailleur doivent être rejetées.

[9]           Bien que le travailleur soit porteur d’importantes séquelles neurologiques et neuropsychologiques en plus d’un problème de vision à la suite du traumatisme craniocérébral sévère qu’il a subi à titre de lésion professionnelle, le 17 janvier 2012, la preuve révèle que les lésions qu’il s’est infligées, le 28 juillet 2013, aux 3e et 4e doigts de la main gauche résultent d’un geste réflexe, sans plus.

[10]        Les plaintes du travailleur voulant qu’il agisse de façon impulsive, irréfléchie et dangereuse, en particulier lorsqu’il s’est blessé à la main gauche en utilisant son banc de scie, ne sont pas corroborées au terme d’une réévaluation complète de ses fonctions cognitives, en novembre et décembre 2013, par le centre de réadaptation en déficience physique (CRDP). Il en est de même après une réévaluation des séquelles neurologiques par le docteur Francoeur en août 2014. Aucune opinion complémentaire à ce sujet n’a par ailleurs été demandée auprès du neurologue ainsi que de la neuropsychologue ayant évalué le travailleur de façon exhaustive au présent dossier. La nature de même que l’étendue des séquelles qu’invoque le travailleur en l’instance ne peuvent être présumées, et ce, d’autant plus qu’elles sont susceptibles d’avoir une incidence marquée sur son autonomie dans la réalisation de ses activités, incluant la conduite automobile et le travail de maintenance de bâtiment à temps partiel.

[11]        Ces membres estiment, d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de déterminer un revenu brut plus élevé que celui ayant servi de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur depuis la lésion professionnelle incapacitante dont il a été victime à compter du 17 janvier 2012. Si le travailleur a déjà occupé un emploi plus rémunérateur dont il a démissionné à l’automne 2010 par crainte de perdre son permis de conduire, d’entacher son dossier professionnel et d’être éventuellement congédié, il n’a aucunement été établi qu’il aurait exercé de nouveau cet emploi ou un emploi similaire aussi rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle le 17 janvier 2012. L’article 76 de la loi ne peut donc trouver application en l’espèce.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[12]        Le tribunal doit décider, d’une part, si le travailleur a subi, le 28 juillet 2013, une lésion professionnelle aux 3e et 4e doigts de la main gauche en relation avec l’accident du travail dont il a été victime le 17 janvier 2012.

[13]        Le tribunal doit décider, d’autre part, s’il y a lieu de déterminer un revenu brut plus élevé que celui déjà établi par la CSST aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur depuis le 17 janvier 2012.

[14]        Le travailleur est âgé de 30 ans et travaille comme installateur de portes de garage pour le compte de l’employeur depuis octobre 2010 lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 17 janvier 2012.

[15]        C’est en tombant d’une échelle que le travailleur subit alors un traumatisme craniocérébral sévère ainsi que des fractures du massif facial et de la base du crâne, en plus d’une parésie du 4e nerf crânien gauche. L’événement est suivi d’une période de coma de 24 heures et d’une amnésie post-traumatique d’environ 15 jours.

[16]        Après une intervention chirurgicale réalisée pour son traumatisme craniocérébral et plusieurs investigations, le travailleur est dirigé en réadaptation à l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ) où il est suivi et traité du 31 janvier 2012 jusqu’à son retour à domicile le 20 juin suivant.

[17]        Au terme de l’intervention multidisciplinaire à l’IRDPQ, la condition du travailleur est améliorée de façon significative. Il persiste toutefois des difficultés modérées sur les plans surtout cognitif et langagier. Il y a un ralentissement du traitement de l’information, un trouble attentionnel, une atteinte de la mémoire verbale, une atteinte de la mémoire du travail, une atteinte des fonctions exécutives et une diminution des capacités d’apprentissage. Il persiste également une diplopie compensée par prismothérapie.

[18]        Malgré ses atteintes résiduelles, le travailleur demeure apte à poursuivre les travaux de rénovation qu’il avait entrepris à son domicile, comme il appert de l’extrait suivant du rapport d’intervention final du mois de juin 2012 de l’IRDPQ se rapportant aux activités scolaires, professionnelles et socio-occupationnelles :

En cours d’internat, Monsieur s’intègre bien avec les autres clients et participe à la plupart des activités de loisirs organisées sur le département. Dans le cadre d’activités de menuiserie, Monsieur démontre un travail minutieux et précis et est sécuritaire pour l’utilisation d’outils électriques (sableuse, scie à ruban). À domicile, Monsieur a repris certaines activités de loisirs comme certains travaux d’entretien et de rénovation sur sa maison qui sont pour lui importants et dont il est très fier. L’utilisation de son ordinateur et la navigation sur internet sont fonctionnels pour ses besoins et considérant ses habitudes antérieures.

Au niveau de la reprise du travail, Monsieur réalise qu’il n’aurait pas actuellement les capacités physiques (endurance) et cognitives pour reprendre son travail antérieur qui consistait souvent en plusieurs petits contrats pour différents employeurs (installation de porte de garage, construction, électromécanique). Il se perçoit apte à travailler mais est conscient qu’il ne pourrait pas offrir un rendement productif et efficace et gérer le stress comme antérieurement. Il a débuté sa réflexion en lien avec un retour au travail dans des tâches plus routinières et moins exigeantes cognitivement (ex : entretien). Monsieur sait que le retour au travail n’est pas prévu pour les prochains mois et qu’il est toujours en réadaptation. Il nous mentionne avoir été sollicité par certains employeurs pour prendre certains contrats, mais avoir refusé spontanément. Un suivi en lien avec l’évaluation des capacités de travail est recommandé à plus long terme.

[19]        Tout en étant en mesure de reprendre l’ensemble de ses activités quotidiennes et de ses habitudes de vie, le travailleur doit cependant poursuivre sa réadaptation en externe auprès du service local de réadaptation (CRDP), en plus d’effectuer du conditionnement physique trois fois par semaine. Le pronostic de retour à l’emploi prélésionnel apparaissant défavorable, une évaluation des capacités de travail sera effectuée au terme du processus de réadaptation.

[20]        Alors que le travailleur est suivi par le CRDP, une réévaluation partielle de son fonctionnement neuropsychologique est effectuée les 24 septembre et 4 octobre 2012.

[21]        Bien qu’il s’interroge sur la pertinence de ce nouveau processus d’évaluation, le travailleur offre malgré tout une bonne collaboration. Il parvient à mobiliser ses énergies et son attention lorsqu’il fait face à des tâches concrètes. Il est également en mesure de se vérifier et de se corriger. Il porte des verres avec prisme pour la passation des épreuves auxquelles il est soumis. Malgré certaines améliorations notées en ce qui concerne plus particulièrement la sphère attentionnelle, la mémoire de travail et la vitesse d’exécution pour des tâches simples, des faiblesses cognitives significatives demeurent présentes dans la réalisation de tâches plus complexes où on l’on note plus particulièrement un ralentissement du traitement de l’information et des difficultés sur le plan de la mémoire verbale. Il importe de bien consolider un apprentissage avant d’en ajouter de nouveaux. Une réévaluation plus exhaustive sur le plan neuropsychologique est recommandée deux ans après le traumatisme alors que le pronostic de retour au travail demeure réservé.

[22]        Le 20 février 2013, le travailleur est évalué par le docteur Dan Bergeron pour une parésie traumatique du grand oblique, plus marquée à gauche qu’à droite. La condition ophtalmologique n’est pas encore consolidée puisqu’une intervention chirurgicale est recommandée. En précisant qu’il est trop tôt pour évaluer les séquelles permanentes, le docteur Bergeron émet les limitations fonctionnelles temporaires suivantes :

Mr Baril occupe un emploi d’installateur de portes de garage. Comme il ne voit pas double avec son prisme correcteur, il n’a pas de limitation fonctionnelle visuelle significative actuellement. Il doit simplement porter sa correction prismatique et celle-ci embrouille légèrement son œil gauche pouvant restreindre les activités requérant une très grande précision visuelle d’ordre millimétrique. Cependant, ces limitations ne sont pas permanentes et devront être réévaluées 6 à 12 mois après la chirurgie.

[23]        Le 29 avril 2013, le docteur Francoeur conclut à la consolidation sur le plan neurologique de la lésion professionnelle du travailleur qui en conserve un déficit anatomo-physiologique évalué à 19 % ainsi que des limitations fonctionnelles dont l’existence et l’évaluation sont précisées en ces termes par ce neurologue :

EXISTENCE DE LIMITATIONS FONCTIONNELLES RÉSULTANT DE LA LÉSION PROFESSIONNELLE :

Il n’existe pas de limitation fonctionnelle reliée aux fractures du crâne, à la base du crâne et du massif facial. Monsieur cependant présente une perturbation de la sensibilité au niveau de l’hémiface droite et celle-ci peut nécessiter certaines limitations mineures.

Quant aux restrictions reliées aux séquelles d’ordre neuropsychologique, c’est l’évaluation de l’automne 2013 qui pourra les déterminer.

Quant à l’atteinte du 4e nerf crânien gauche, l’évaluation sera faite en ophtalmologie.

ÉVALUATION DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES RÉSULTANT DE LA LÉSION PROFESSIONNELLE :

Les limitations fonctionnelles reliées à la perturbation de la sensibilité au niveau de l’hémiface droite sont minimes. Monsieur doit s’assurer de manger des aliments qui ne sont pas brûlants et d’éviter de placer son visage du côté droit devant des obstacles comme retrouvés dans une maison ordinaire.

[24]        Entretemps, le travailleur entreprend des démarches en vue de travailler comme préposé à l’entretien de bâtiment à l’IRDPQ où il est dirigé par les thérapeutes du CRDP aux fins d’un stage visant à évaluer ses capacités de travail.

[25]        Le 17 juin 2013, le travailleur informe le conseiller en réadaptation de la CSST qu’il souhaite attendre au mois de septembre suivant pour entreprendre un nouveau stage de travail dans l’entretien de bâtiment envisagé avec la collaboration du CRDP. Il invoque les raisons suivantes dont la teneur est rapportée en ces termes aux notes évolutives du dossier :

Titre : Appel au T [travailleur] : Stage début septembre

-   ASPECT PROFESSIONNEL :

Je communique avec le T et le questionne sur comment la rencontre s’est passé avec la personne responsable dans son potentiel nouveau milieu de stage. T affirme que la rencontre s’est bien passé. T affirme vouloir donner bonne impression lors de son stage et désire que ce dernier se passe bien. Je questionne le T à savoir pourquoi il préfère attendre à la fin de l’été pour débuter son stage. T affirme qu’il veut que le stage se passe bien et affirme qu’il ne doit pas avoir d’autres stress et d’autres choses en tête. T m’indique qu’il a beaucoup de choses à régler comme certaines rénovations. T affirme avoir une date limite pour terminer son revêtement extérieur. T m,indique donc qu’il préfère attendre en septembre pour le stage pour ces raisons. J’informe le t que tout est ok pour débuter le stage à fin de l’été. Nous convenons que je le contacterai lorsque j’aurai la date de début de stage. [sic]

[26]        Le 28 juillet 2013, le travailleur, qui est droitier, subit une section et/ou amputation au niveau des 3e et 4e doigts de la main gauche en utilisant le banc de scie lors des travaux de rénovation à son domicile. Il s’ensuit une réparation chirurgicale avec réimplantation des doigts lésés.

[27]        En date du 23 décembre 2013, le travailleur précise en ces termes à la CSST le contexte entourant la survenance de ce nouvel accident survenu à domicile :

Titre : Contexte accident personnel / 2ième opération

-   ASPECT MÉDICAL :

J’appelle t [travailleur] et lui explique que j’ai quelques questions a valider avec lui afin de déterminer si l’accident qui est arrivé à la maison, le 28 juillet 2013, avec la banc de scie est en lien avec l’ÉO. T me dit comprendre.

Je demande à t le contexte de l’événement et comment l’accident est arrivé. T me mentionne qu’il était en train de couper du bois avec son banc de scie afin de terminer les rénovations de sa maison. Il m’explique que le morceau de bois s’est levé et n’a pas embarqué comme il faut sous la lame. T a alors mit sa main sur le morceau de bois afin de le retenir. T m’explique qu’il n’avait aucune logique lorsqu’il a posé ce geste. Il me mentionne qu’il ne comprend pas sa réaction d’avoir mit sa main à cet endroit.

Je demande à t si c’était la première fois depuis son accident de travail du 17 janvier 2012 qu’il utilisait son banc de scie. T m’explique que ce n’était pas la première fois. Je demande à t environ combien de fois et à quelle fréquence. T m’explique qu’il ne peut me confirmer le nombre de fois et qu’il se servait du banc de scie au besoin.

Je demande à t si les autres fois qu’il a utilisé le banc de scie, si tout allait bien. T me confirme que ça allait bien. Je demande à t si il était concentré. T me confirme que oui, il devait s concentrer à toutes les fois qu’il utilisait la banc de scie, sachant que c’était dangereux.

Je demande à T à quelle période de la journée l’accident est arrivé. Il me confirme 11h50 - 11h55. Je demande à t si il avait eu une activité particulière ce matin là. T me confirme que non. Il m’explique qu’il travaillait fort sur sa maison depuis quelques jours, dans l’objectif de finir le revêtement extérieur et de pouvoir par la suite commencer son stage. T m’explique qu’il n’aurait pas été concentré à son stage si il avait à travailler sur sa maison en même temps.

Je mentionne à t que nous allons confirmer sous peu si son accident à la maison est en lien avec ÉO. [sic]

[28]        À la suite d’une réévaluation complète des fonctions cognitives du travailleur, réalisée par le CRDP en novembre et décembre 2013, l’évolution de la condition de ce dernier est résumée en ces termes au rapport de la neuropsychologue et psychologue daté du 9 janvier 2014 :

SOMMAIRE, IMPRESSIONS CLINIQUES ET RECOMMANDATIONS

Il s’agit d’un homme de 32 ans ayant été victime d’un accident de travail le 17 janvier 2012 lors duquel il a subi un TCC grave. Monsieur a fait une chute d’une échelle. Monsieur vit seul dans sa propriété. Il est célibataire sans enfant. Il a très peu de contact avec les membres de sa famille. Au moment de l’accident, il travaillait comme installateur de portes de garage. En juillet 2013, le client s’est sectionné deux doigts de la main gauche avec une scie mécanique en effectuant des travaux de construction pour terminer le revêtement extérieur de sa maison.

Le client rapporte actuellement plusieurs plaintes, soit de la fatigue et une grande variabilité dans ce qu’il est en mesure de réaliser dans ses journées. Il cherche beaucoup ses instruments/outils lorsqu’il tente d’exécuter une tâche. Il dit avoir des réactions peu réfléchies qui ne tiennent pas compte du danger (ex. : accident de travail survenu sur sa propriété à l’été 2013). M. rapporte de plus avoir parfois des sensations d’étourdissements accompagnées de vision double. Il rapporte se sentir parfois perdu, se dit souvent dans la lune et il perd le fil de ses réflexions. Des difficultés de sommeil sont également parfois rapportées.

La présente ré-évaluation en neuropsychologie montre des habiletés intellectuelles verbales se retrouvant au niveau de la moyenne et des habiletés non verbales se retrouvant au niveau de la moyenne inférieure. Des améliorations sont ainsi notées comparativement à l’évaluation des fonctions intellectuelles réalisée au printemps 2012 (IRDPQ). Les forces relatives du client ressortent quant aux habiletés de construction et en ce qui concerne la capacité à planifier et à trouver des solutions. Monsieur montre également de bonnes habiletés de raisonnement sur le plan visuo-spatial lorsqu’il n’a pas de limites de temps à respecter. Il est également en mesure d’effectuer des calculs arithmétiques lorsque plus de temps lui est accordé. La vitesse d’exécution est pour sa part adéquate en ce qui concerne les tâches simples, tout comme le balayage visuel. Les habiletés mnésiques nous apparaissent actuellement adéquates tant sur le plan verbal que non verbal et M. est en mesure de rappeler les informations après un délai. Des améliorations sont ainsi perçues dans cette sphère comparativement à l’évaluation de l’automne 2012.

Les fluctuations et faiblesses actuelles touchent particulièrement les fonctions exécutives. La mémoire de travail (moyenne inférieure à déficit léger à modéré) est ainsi affectée tout comme la vitesse d’exécution lors des tâches plus complexes qui exigent le traitement de l’information (déficit léger à modéré). Le client perd le but de la tâche et il a de la difficulté à alterner d’un concept à un autre. Des fluctuations attentionnelles ressortent également toujours dans un contexte individualisé favorable, le client a ainsi besoin de répétitions lorsqu’il y a plus de contenu verbal. Bien que des améliorations soient notées en ce qui concerne la mémoire et l’apprentissage verbal, il demeurera sans doute bénéfique de bien consolider les nouveaux apprentissages à faire.

Des progrès ont été notés quant au cheminement psychologique du client qui devient davantage en mesure de se centrer sur le présent. Ses capacités d’auto-perception se sont également améliorées. L’humeur demeure fluctuante en lien avec la problématique d’isolement et avec l’adaptation aux nombreuses pertes subies qui amènent des questionnements chez le client quant à sa capacité à occuper un emploi standard et stable.

Le pronostic concernant la reprise du travail demeure réservé compte tenu des faiblesses cognitives ressorties au niveau des fonctions exécutives qui sont particulièrement affectées lors des tâches plus complexes. La fatigue rapportée par le client ainsi que la variabilité dans son efficacité à réaliser ses tâches quotidiennes amène aussi des questionnements sur sa capacité à occuper un emploi stable. La réalisation du stage de travail en cours contribuera à préciser davantage ce pronostic.

Quelques rencontres de suivi en psychologie sont prévues dans les prochains mois afin de poursuivre les objectifs en cours.

[29]        Un rapport sommaire de suivi de stage est également produit par le CRDP, le 10 avril 2014, dont l’analyse et les recommandations se lisent comme suit :

Monsieur présente des habiletés manuelles lui permettant de réaliser différents travaux de maintenance générale. Ainsi, la blessure qu’il a subie à la main gauche en juillet dernier n’a aucun impact sur la vitesse d’exécution et la qualité du travail. En effet, il compense la prise digitale gauche avec les 3e et 4e doigts au besoin. Quant aux impacts du TCC grave sur la capacité du client à réintégrer le marché du travail, il est d’emblée possible d’affirmer que la fatigue et la fatigabilité sont des éléments qui limiteront la reprise d’un travail à temps complet bien que seulement quatre semaines de stage aient été réalisées. En effet, les signes de fatigue observés sont suffisamment importants pour prétendre que monsieur ne pourra pas réaliser des quarts de travail de plus de trois à quatre heures consécutives. Au-delà de ce nombre d’heures, les faiblesses cognitives documentées dans le rapport de réévaluation et de suivi en neuropsychologie, produit par madame Dominique Lemay et daté du 9 janvier 2014, risquent d’être accentuées et, conséquemment, affecteront son rendement et sa qualité de vie.

Dans le cadre du stage, monsieur a démontré des habiletés cognitives suffisantes pour lui permettre de réaliser un travail manuel dirigé et encadré. En effet, il a été en mesure d’exécuter les tâches de travail demandées par le superviseur. Toutefois, un questionnement se pose sur sa capacité à occuper un emploi où il aurait à planifier et à organiser son horaire et ses tâches de travail en fonction des demandes de services reçues et des délais exigés. Certaines difficultés liées à la mémoire de travail pourraient également ressortir, ce qui se répercuterait par des oublis et une efficacité diminuée. Ces aspects n’ont pas pu être évalués, car le stage a pris fin précipitamment en raison de l’opération au 3e doigt gauche. Ainsi, il est recommandé de poursuivre le stage de travail à la suite de la période de convalescence afin de s’assurer de l’adéquation entre les capacités du client et les exigences psychiques critiques liées à l’emploi d’ouvrier de maintenance. Par le fait même, le pronostic de réintégration à temps partiel sur le marché du travail pourra être précisé.

[30]        Le 28 mars 2014, la CSST refuse les lésions qu’a subies le travailleur aux 3e et 4e doigts de la main gauche au motif qu’elles découlent d’un événement personnel sans lien avec les conséquences de l’accident du travail survenu le 17 janvier 2012. Cette décision, que conteste le travailleur, est confirmée par la CSST à la suite d’une révision administrative dans la première décision en litige dont le tribunal est saisi (19 juin 2014).

[31]        Le 28 avril 2014, la CSST refuse la demande du travailleur concernant la détermination d’un revenu brut plus élevé que celui ayant servi au calcul de son indemnité de remplacement du revenu. Cette décision, que confirme la CSST à la suite d’une révision administrative le 10 juillet 2014, fait l’objet de la seconde requête dont le tribunal est saisi.

[32]        À l’appui de sa première requête, le travailleur soutient que les lésions qu’il s’est infligées aux 3e et 4e doigts de la main gauche sont survenues en raison des séquelles majeures dont il demeure porteur à la suite de la lésion professionnelle impliquant un traumatisme craniocérébral sévère qu’il a subi le 17 janvier 2012.

[33]        Le travailleur, jadis prudent, consciencieux et bien au fait des normes de sécurité dans le cadre de sa formation en électromécanique, affirme poser des gestes impulsifs, irréfléchis et dépourvus de jugement au point de mettre en péril sa sécurité à la suite de son accident du travail. Comme il l’a déjà précisé à la CSST, il lui est arrivé de se précipiter soudainement en bas d’un escabeau sans l’avoir planifié.

[34]        Tout en commentant la vidéo du nouvel événement survenu à son domicile le 28 juillet 2013, capté par la caméra de surveillance, le travailleur précise s’être blessé à la main gauche en voulant diriger un morceau de treillis sous la lame du banc de scie dont le garde était enlevé. Ce faisant, il procédait rapidement et non pas de façon sécuritaire. Il aurait plutôt dû utiliser une scie manuelle pour couper la pièce en question. Bien qu’il portait ses lunettes avec prisme à cette occasion, le travailleur précise que sa vision pouvait être quelque peu embrouillée, d’autant plus que ses verres étaient grafignés. En outre, sa concentration et sa mémoire diminuent s’il est fatigué. Il lui arrive à ce moment de chercher ses outils, incluant ceux situés à proximité.

[35]        Monsieur Damien Trépanier, employeur pour lequel le travailleur a exercé un emploi saisonnier impliquant la maintenance d’équipements hydrauliques, mécaniques et électriques de 2004 à 2007, confirme le caractère très méticuleux de ce dernier dans l’exercice de ses fonctions où il était appelé à utiliser des scies, perceuses, soudeuses et autres appareils similaires. Étant spécialisé en électromécanique, le travailleur connaissait et respectait les règles de sécurité qui étaient importantes pour lui.

[36]        Monsieur Trépanier conçoit difficilement, dans ce contexte, que le travailleur ait utilisé un banc de scie dont le garde était enlevé en mettant la main sur la pièce pour effectuer ce genre de coupe. Une telle action témoigne d’un jugement bizarre de la part du travailleur qui n’aurait pas dû utiliser le banc de scie dans les circonstances.

[37]        Outre les séquelles déjà documentées au dossier constitué, le travailleur invoque au tribunal l’ajout de séquelles neurologiques réévaluées par le docteur Francoeur en août 2014, d’où une atteinte permanente supplémentaire de 59,80 % reconnue et indemnisée par la CSST en relation avec la lésion professionnelle qu’il a subie le 17 janvier 2012. Parmi ces séquelles figure une atteinte bilatérale dans l’usage des membres supérieurs avec présence d’une certaine maladresse à laquelle correspond un déficit anatomo-physiologique de 25 %. Sur le plan des limitations fonctionnelles, le travailleur doit être dirigé dans un travail à temps partiel, considérant la fatigabilité après quelques heures de travail où il nécessitera une certaine surveillance ou des directives de la part de son entourage.

[38]        Le tribunal constate que le travailleur ne dispose, au soutien du lien invoqué entre les séquelles du traumatisme craniocérébral sévère qu’il a subi le 17 janvier 2012 et le nouvel événement ayant entraîné la section de deux doigts de la main gauche lors de l’utilisation d’un banc de scie à son domicile le 28 juillet 2013, d’aucune analyse ou opinion complémentaire du neurologue ou du neuropsychologue l’ayant déjà suivi et/ou évalué en lien avec sa lésion professionnelle.

[39]        Outre le fait que le travailleur ait été jugé apte par l’IRDPQ à utiliser de façon sécuritaire de tels outils dans le contexte où il entendait poursuivre ses rénovations à domicile à sa sortie de réadaptation en juin 2012, aucune restriction n’a été émise à ce propos, même dans le cadre des réévaluations de ses difficultés cognitives à la fin des années 2012 et 2013.

[40]        Le docteur Francoeur, neurologue à qui le travailleur invoquait un manque de concentration et de jugement dès la première évaluation des séquelles neurologiques de la lésion jugée consolidée, le 29 avril 2013, concluait à des limitations mineures, tout en s’en remettant à l’évaluation à venir des restrictions neuropsychologiques.

[41]        Le travailleur alléguant ensuite à la neuropsychologue avoir des réactions peu réfléchies qui ne tiennent pas compte du danger, comme lors de l’accident survenu en juillet 2013, aucune conclusion n’a été émise en ce sens à la lumière des résultats de la réévaluation complète de son fonctionnement cognitif. Le travailleur a pu poursuivre depuis l’utilisation sécuritaire d’outils dans l’exercice de ses activités, incluant un stage comme ouvrier en maintenance de bâtiment.

[42]        Ni cette dernière évaluation neuropsychologique réalisée à la fin de l’année 2013 ni même l’évaluation neurologique complémentaire du docteur Francoeur en août 2014 n’attestent d’une atteinte du jugement ou d’un comportement impulsif et irréfléchi sans égard au danger de la part du travailleur.

[43]        Le tribunal ne peut suppléer à l’insuffisance de preuve au soutien de la relation causale devant être établie de façon prépondérante.

[44]        Malgré la sympathie que lui inspire la nouvelle lésion à la main gauche du travailleur survenue lors de l’utilisation d’un banc de scie pour terminer des travaux de rénovation à son domicile, le tribunal ne peut souscrire à la prétention voulant qu’il demeure avec un comportement déficitaire qui ne tienne pas compte du danger à la suite du traumatisme craniocérébral sévère qu’il a subi le 17 janvier 2012.

[45]        Une preuve prépondérante à ce sujet était d’autant plus impérative qu’un tel état résiduel est susceptible d’avoir des conséquences majeures sur l’aptitude du travailleur à vaquer à l’ensemble de ses activités habituelles auxquelles il tient particulièrement, incluant les travaux manuels à l’aide d’outils, la conduite automobile ainsi que la poursuite d’un stage visant à évaluer sa capacité à exercer un travail à temps partiel comme préposé à la maintenance de bâtiment.

[46]        Les nombreuses expertises auxquelles le travailleur s’est soumis jusqu’à ce jour tendent à démontrer qu’il demeure apte à exercer ses activités habituelles. Il en est de même de son témoignage qui fait preuve de réflexion, de bon sens et de mesure.

[47]        L’événement survenu à son domicile le 28 juillet 2013, tel que décrit et illustré par le travailleur, ne résulte ni d’une fatigue avec perte de concentration ou d’équilibre, ni d’une certaine maladresse résiduelle dans l’usage des membres supérieurs, ni même des limitations fonctionnelles temporaires plutôt ténues au niveau de sa vision.

[48]        Il s’agit d’un geste réflexe avec la main gauche, sans plus, pour rediriger la pièce sous la lame, ce que toute personne aurait pu effectuer dans les circonstances lors de la coupe en oubliant que le garde avait été enlevé. Le travailleur aurait certes pu utiliser un outil plus approprié que le banc de scie pour ce faire, sans que cela constitue un geste irréfléchi avec ignorance du danger. Si tel avait été le cas, les spécialistes ayant procédé à la réévaluation complète des fonctions cognitives auraient documenté un tel comportement, à la lumière de ce nouvel événement et des allégations du travailleur sur son comportement allégué à cette occasion, en plus d’émettre des restrictions en conséquence, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

[49]        Les lésions que s’est infligé le travailleur aux 3e et 4e doigts de la main gauche n’ont pas été établies de façon probable en lien avec les séquelles de son accident du travail survenu le 17 janvier 2012. Il ne s’agit donc pas d’une lésion professionnelle pouvant être reconnue en relation avec cet événement initial.

[50]        À l’appui de sa deuxième requête, le travailleur, qui demeure incapable d’exercer son emploi depuis plus de deux ans, expose au tribunal, avec preuve documentaire à l’appui, les circonstances particulières sans lesquelles il estime qu’il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur au moment de la lésion professionnelle qu’il a subie le 17 janvier 2012, d’où la détermination d’un revenu brut plus élevé demandée en vertu de l’article 76 de la loi :

76.  Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.

Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.

__________

1985, c. 6, a. 76.

[51]        Le travailleur étant détenteur d’un diplôme d’étude professionnelle (DEP) en électromécanique, il a travaillé à titre de mécanicien industriel à plein temps pour le compte de l’entreprise Bibby Ste-Croix de 2007 à 2010.

[52]        Le 10 septembre 2009, le travailleur a été suspendu (un jour) par cet employeur en raison de deux absences injustifiées.

[53]        Le 24 avril 2010, une seconde suspension de deux jours a été imposée au travailleur à la suite d’une absence injustifiée le 20 avril 2010.

[54]        Étant donné qu’il demeure au fond d’un rang, le travailleur déclare avoir connu des difficultés de transport pour se rendre au travail lors de la suspension de son permis de conduire du 28 février 2010 au 28 mai 2010.

[55]        Sachant que son permis de conduire serait révoqué à la suite d’une éventuelle condamnation au criminel pour conduite en état d’ébriété, le travailleur a considéré qu’il devait quitter son emploi qu’il aimait et pour lequel il était qualifié. Cela lui semblait être la décision la plus logique dans les circonstances. Il voulait ainsi éviter d’entacher son dossier professionnel par d’autres suspensions, voire même par un congédiement à la suite des avis disciplinaires précités pour absences injustifiées.

[56]        C’est dans ce contexte que le travailleur affirme avoir démissionné, le 8 septembre 2010, de son poste de mécanicien industriel qu’il exerçait depuis 2007 chez Bibby Ste-Croix à raison de 40 heures par semaine, suivant une rémunération horaire de 20,46 $, d’où un revenu brut annuel d’au moins 42 556,80 $.

[57]        À compter du mois d’octobre 2010, le travailleur déclare avoir occupé un nouvel emploi beaucoup moins rémunérateur (24 982,73 $ selon le revenu brut annuel retenu par la CSST) chez l’employeur au dossier en tant qu’installateur de portes de garage, à la suggestion d’un voisin avec lequel il pouvait voyager pour le travail.

[58]        À la suite de sa déclaration de culpabilité pour une infraction au Code criminel[2] le 23 juin 2011, le travailleur s’est vu révoquer son permis de conduire pour un an. Il a cependant bénéficié, à compter du 23 septembre 2011, d’un permis restreint après sa participation à un programme d’utilisation d’un antidémarreur.

[59]        N’eût été les circonstances particulières précitées, le travailleur considère qu’il n’aurait pas démissionné de son emploi de mécanicien industriel en septembre 2010 et qu’il aurait pu ainsi exercer cet emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle le 17 janvier 2012.

[60]        Il estime qu’une erreur de jeunesse ayant entraîné la perte de son permis de conduire, en 2010, puis en 2011, ne doit pas préjudicier sa capacité de gains au cours des 30 prochaines années où il sera toujours indemnisé par la CSST en application de l’article 47 de la loi, selon la décision déjà rendue à ce sujet.

[61]        À la lumière de la preuve et des représentations des procureurs du travailleur et de la CSST, ainsi que de la jurisprudence en la matière, le tribunal considère que la deuxième condition permettant la détermination d’un revenu brut plus élevé en vertu de l’article 76 de la loi n’est pas rencontrée.

[62]        Même s’il demeure incapable d’exercer son emploi depuis plus deux ans en raison de sa lésion professionnelle survenue le 17 janvier 2012, le travailleur n’a pas démontré qu’il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur, n’eût été les circonstances particulières, lorsque s’est manifestée sa lésion.

[63]        La situation du travailleur se distingue nettement de celles analysées dans le cadre de la jurisprudence citée par ce dernier.

[64]        Dans l’affaire Pilon et Restaurant Steak Cie[3], la preuve a révélé qu’à la suite de la maladie de son fils, la travailleuse avait convenu avec l’employeur que tout en gardant les privilèges de son emploi à plein temps, elle ne travaillerait qu’à temps partiel à raison de trois jours par semaine avec rémunération en conséquence. L’employeur et la travailleuse avaient aussi convenu avant la survenance de la lésion professionnelle que la travailleuse reprendrait la semaine suivante son emploi à plein temps à raison de cinq jours par semaine. N’eût été cette situation particulière, la travailleuse aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur à temps complet au moment de la survenance de sa lésion professionnelle.

[65]        Dans l’affaire Nowak et Island Bar[4], le travailleur a démontré au tribunal qu’il aurait pu occuper un autre emploi plus rémunérateur au moment de la survenance de la lésion professionnelle et que cette condition prévalait à ce moment précis. Une lettre émanant du nouvel employeur attestait que le travailleur aurait alors exercé le métier de technicien aux mélanges à compter de la date de la lésion professionnelle et qu’il aurait bénéficié d’un salaire au taux horaire de 15,00 $.

[66]        Dans l’affaire Jolin et Pavillons St-Vincent, St-Joseph, Murray[5], la travailleuse exerçant un emploi à plein temps s’est prévalue d’une disposition de la convention collective lui permettant d’obtenir une réduction de son temps de travail et de profiter durant une période de temps limitée d’un congé partiel sans solde. Dans une période de temps plus ou moins rapprochée, la travailleuse aurait repris son travail à temps complet, d’où la conclusion en faveur de circonstances particulières au sens de l’article 76 de la loi.

[67]        Contrairement aux cas jurisprudentiels précités, le travailleur, au moment où s’est manifesté sa lésion professionnelle le 17 janvier 2012, n’avait plus aucun lien d’emploi avec l’employeur où il a exercé un travail plus rémunérateur de 2007 jusqu’à sa démission le 8 septembre 2010. Il n’a été démontré depuis aucun engagement ou entente formelle entre le travailleur et cet ancien employeur, ou même un nouvel employeur, attestant que le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur en date du 17 janvier 2012.

[68]        Qui plus est, aucune démarche d’emploi n’a été établie ni même invoquée de la part du travailleur qui occupait depuis octobre 2010 un emploi d’installateur de portes de garage chez l’employeur où il a subi sa lésion professionnelle en janvier 2012.

[69]        Comme le rappelle la jurisprudence du tribunal en la matière, les prescriptions de l’article 76 de la loi ont pour but de protéger la capacité de gains d’un travailleur qui doit démontrer, au moyen d’une preuve prépondérante, qu’il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle, n’eût été de circonstances particulières. Ces circonstances ne peuvent toutefois être hypothétiques.[6] Plusieurs facteurs sont en effet susceptibles d’influencer l’orientation professionnelle d’un travailleur au fil du temps. Les circonstances particulières doivent correspondre à la réalité qui prévaut au moment où se manifeste la lésion professionnelle.

[70]        La soussignée souscrit à l’interprétation de l’article 76 de la loi qu’énonce en ces termes la juge administrative Sonia Sylvestre dans l’affaire Gagnon et Les Fermes du Soleil inc.[7] :

[52]      Par ailleurs, même en reconnaissant que les dédales juridiques vécus par le travailleur et l’absence de domicile fixe de mai à août 2010 constituent des circonstances particulières, la preuve ne démontre pas que n’eût été celles-ci, le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur au moment de sa lésion professionnelle.

[53]      Sur ce point, la jurisprudence enseigne qu’il faut se replacer au moment de la survenance de la lésion pour analyser si un autre emploi plus rémunérateur aurait pu être alors occupé.  Il faut que cette condition ait prévalu à ce moment précis et il ne doit pas s’agir d’une situation purement hypothétique9. L’article 76 de la loi « vise à protéger la capacité de gain sur laquelle le travailleur peut compter au moment même de la survenance de sa lésion professionnelle compte tenu de l’emploi qu’il aurait alors pu occuper et dont il a toutefois été privé en raison de circonstances particulières »10

[54]      En d’autres termes, la preuve doit démontrer que l’exercice d’un emploi plus rémunérateur au moment de la lésion n’était pas une simple hypothèse, mais une réalité en voie de se concrétiser, une éventualité ou une situation qui n’a pu se réaliser compte tenu de circonstances particulières11.

[55]      En l’instance, la preuve n’établit aucunement que le 13 octobre 2010, le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur n’eût été des circonstances particulières vécues de mai à août 2010.

[56]      Il n’y a aucune preuve qui démontre que les problèmes vécus par le travailleur de mai à août 2010 ont fait en sorte de le priver d’un emploi plus rémunérateur en particulier, emploi qu’il aurait toujours pu occuper au 13 octobre 2010. Retenir le contraire relèverait de la pure spéculation.

[57]      Au contraire, la preuve démontre que pendant cette période, le travailleur n’a pas fait de recherche d’emploi, non seulement par contrainte, mais aussi par choix.

[58]      En fait, ce que le travailleur invoque, c’est que n’eût été tous ses problèmes entourant la prise de possession de sa nouvelle résidence, il aurait pu chercher et occuper un emploi plus tôt et aurait ainsi pu gagner davantage de revenus pendant les 12 mois précédant sa lésion professionnelle.

[59]      Or, de l’avis du tribunal, ce n’est pas ce que vise l’article 76 de la loi et l'on ne saurait lui donner une interprétation aussi libérale. Les termes utilisés par le législateur sont clairs : il est permis de revoir la base salariale après deux ans d’incapacité si un travailleur démontre qu’il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur au moment où s’est manifestée sa lésion professionnelle et non qu’il aurait pu gagner davantage pendant la période de référence de 12 mois précédant sa lésion professionnelle.

[60]      Pour ces raisons, il n’y a donc pas lieu de modifier, par application de cet article, le revenu brut annuel du travailleur ayant servi à la détermination de l’indemnité de remplacement du revenu.

__________

9                      Bériault et Transport Jean-Louis Allaire et Fils, C.L.P. 144182-08-0008, 17 janvier 2002, M. Lamarre; Sukovic et Scores Sherbrooke, précitée note 6.

10                    Laroche et Entreprises Nortec inc., précitée note 8.

11                    Bériault et Transport Jean-Louis Allaire et Fils, précitée note 9; Léonard et Vitrerie Bellefeuille enr., C.L.P. 255544-62-0502, 13 octobre 2006, R. Daniel.

[71]        La condition suivant laquelle le travailleur aurait pu exercer un emploi plus rémunérateur doit prévaloir au moment précis où survient sa lésion professionnelle. Il ne peut s’agir d’une situation hypothétique comme celle que soulève le travailleur en l’instance.

[72]        Ce dernier a démissionné, le 8 septembre 2010, de l’emploi plus rémunérateur de mécanicien industriel qu’il occupait depuis 2007, bien qu’il détenait de nouveau son permis de conduire depuis le mois de mai 2010 après une suspension de trois mois.

[73]        Si la crainte de se voir révoquer son permis de conduire ultérieurement l’a incité à remettre sa démission dès septembre 2010, le travailleur n’a conclu depuis aucune entente selon laquelle il aurait repris l’exercice de son emploi antérieur lors de sa lésion professionnelle, le 17 janvier 2012, ou tout autre emploi similaire alors qu’il détenait un permis de conduire restreint après septembre 2011.

[74]        L’exercice par le travailleur d’un emploi plus rémunérateur au moment où s’est manifestée sa lésion professionnelle le 17 janvier 2012 relève de l’hypothèse, voire de la spéculation. Il ne s’agit pas d’une réalité en voie de se concrétiser ni d’une situation n’ayant pu se réaliser en raison de circonstances particulières.

[75]        Le tribunal ne peut donc faire droit à la demande du travailleur en ce qui a trait à la détermination d’un revenu brut plus élevé aux fins du calcul de son indemnité de remplacement du revenu en application de l’article 76 de la loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 546020-03B-1407

REJETTE la requête de monsieur Steve Baril, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative le 19 juin 2014;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle aux 3e et 4e doigts de la main gauche en relation avec l’accident du travail dont il a été victime le 17 janvier 2012 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en conséquence.

Dossier 547498-03B-1407

REJETTE la requête déposée par monsieur Steve Baril, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative le 10 juillet 2014;

DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu de modifier le revenu brut annuel du travailleur retenu par la Commission de la santé et de la sécurité du travail aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit à la suite de la lésion professionnelle qu’il a subie le 17 janvier 2012.

 

 

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Geneviève Marquis

 

 

 

Me Vincent Boulet

SLOGAR

Représentant de la partie requérante

 

Me Lucie Rondeau

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           L.R.C. (1985), c. C-46.

[3]           C.L.P. 215595-62C-0309, 22 octobre 2004, M. Sauvé.

[4]           2010 QCCLP 1119.

[5]           2009 QCCLP 901.

[6]           Bénard et Hôpital Sacré-Cœur de Montréal - Qvt, 2014 QCCLP 6470.

[7]           2014 QCCLP 2191.

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