Décision

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6337741 Canada inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu)

2014 QCCQ 19

JV0516

 
COUR DU QUÉBEC

(« Chambre civile »)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-22-024427-131

 

 

 

DATE :

 10 janvier 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

6337741 CANADA INC.

Requérante

c.

 

SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

Intimé

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le Tribunal est saisi d'une demande de la requérante (« AVRO ») en révision du refus de proroger le délai d'opposition à un avis de cotisation, en vertu de l'article 93.1.5 de la Loi sur l'administration fiscale (« LAF »).

[2]           Le Sous-ministre du Revenu du Québec conteste cette requête et maintient sa décision antérieure de refuser de prolonger ledit délai, étant d'avis que AVRO n'a pas démontré qu'elle était dans l'impossibilité en fait d'agir ni qu'elle a agi le plus rapidement possible dans les circonstances.

La question en litige

[3]           Le Tribunal doit décider, à la lumière de la preuve, s'il y a eu, de fait, impossibilité d'agir de la requérante et si celle-ci a agi dès que possible.

 

LES FAITS ÉMANANT DE LA PREUVE

[4]           Le 24 février 2010, AVRO reçoit un avis de cotisation de Revenu Québec (#0450041) relativement aux taxes sur les primes d'assurance (« TPA ») qui n'auraient pas été payées entre le 4 avril 2005 et le 30 septembre 2009.

[5]           Selon cet avis de cotisation (P-2), AVRO devait la somme de 931 556,17$ qui se répartit comme suit :

Ø  les droits :                                                    733 069,67$;

Ø  les intérêts :                                                   88 536,05$;

Ø  la pénalité de 15% :                                   109 960,45$

[6]           AVRO confie alors à Me Victor A. Carbonneau, avocat inscrit au Tableau de l'ordre, le mandat de la représenter devant Revenu Québec puisqu'elle désire contester les intérêts et la pénalité inscrits à l'avis de cotisation.

[7]           Les droits eux-mêmes (733 069,67$) ne sont pas contestés.

[8]           Des problèmes de santé empêchent Me Carbonneau de compléter son mandat et d'envoyer l'avis d'opposition à Revenu Québec.  N'ayant pas d'associés à qui transmettre ce mandat, il se le voit retirer par AVRO le 31 mars 2010, le tout comme en font foi les courriels produits en liasse sous la cote P-3.

[9]           Le même jour, soit le 31 mars 2010, AVRO confie le mandat à Me Joseph Takhmizdjian de l'Étude Borden Ladner Gervais (« BLG »), sur la recommandation de Me Charles Marquette, associé de cette étude.

[10]        Il appert que Me Takhmizdjian n'a pas produit d'avis d'opposition mais a plutôt recommandé une stratégie consistant à effectuer une demande de renonciation et d'annulation des intérêts et des pénalités en vertu de l'article 94.1 de la Loi sur le Ministère du Revenu (« LMR »), par voie de lettre au ministère du Revenu, comme en font foi les lettres datées respectivement des 26 avril et 7 mai 2010 et produites en liasse comme pièce P-4.

[11]        Cette demande de renonciation invoque notamment l'incompétence et la négligence de la responsable de la comptabilité chez AVRO (madame Florio) ainsi que de sa remplaçante (madame Durrell).

[12]        La demande invoque également l'incapacité financière de AVRO de s'acquitter des intérêts et pénalités imposés à moins d'avoir un arrangement financier avec Revenu Québec qui prévoirait un étalement des paiements sur 36 mois.

[13]        Madame Durrell est remplacée à son tour par un autre comptable, Roman Susel chez AVRO.

[14]        La demande de renonciation est refusée le 4 juin 2010 par Revenu Québec, comme en fait foi la lettre du 4 juin 2010 produite comme pièce P-5.

[15]        Malgré des négociations qui ont cours entre BLG et Revenu Québec, BLG reçoit, le 21 juillet 2010, un deuxième avis de cotisation de Revenu Québec (#0450042), daté du 30 juin 2010, toujours relativement aux TPA et pour la même période, comme le démontre la pièce P-6.

[16]        Toutefois, en vertu de ce nouvel avis de cotisation, la dette fiscale de AVRO est maintenant de 1 298 925,05$, soit :

Ø  droits                                                            733 069,67$;

Ø  intérêts                                                           94 625,72$;

Ø  pénalités de 15%                                       109 960,45$;

Ø  seconde pénalité[1]                                      361 269,21$

 

[17]        Il est indiqué à ce second avis de cotisation que celui-ci constitue une réponse négative à l'avis d'opposition de AVRO.  Cette mention s'avérera être une erreur de la part de Revenu Québec.

[18]        Le 21 juillet 2010, selon les rapports informatiques d'une conversation téléphonique tenue entre Me Takhmizdjian et madame Maryse Hébert de la Direction générale du service de recouvrement de Revenu Québec, celle-ci aurait réitéré les motifs de refus relativement à la demande de renonciation et l'aurait informé que AVRO avait jusqu'au 30 septembre 2010 pour faire son avis d'opposition sur le deuxième avis de cotisation (#04500042), le tout tel qu'en fait foi la pièce P-7.

[19]        Selon le témoignage de Me Takhmizdjian, celui-ci aurait déconseillé à AVRO de produire un avis d'opposition et d'aller en Cour, compte tenu des coûts associés à une telle démarche et des chances plutôt minimes de réussite.  Il préfère négocier avec Revenu Québec.

[20]        Il ajoutera dans son témoignage que AVRO était cependant prête à franchir les étapes administratives afin de contester la pénalité de 50% et les intérêts.  L'avocat voulait tout faire pour éviter les mesures de recouvrement du ministère et affirme n'avoir jamais eu de mandat de faire appel à la Cour du Québec. Quoi qu'il en soit, Me Takhmizdjian ne produit pas d'avis d'opposition sur le second avis de cotisation afin de contester les intérêts et la pénalité de 50%.  Il préfère attendre la réaction de Revenu Québec.

[21]        Le 30 juillet 2010, Me Takhmizdjian envoie un courriel (P-8) au président de AVRO, Chris Minkoff, l'informant qu'il avait formulé une demande d'accès à l'information auprès de Revenu Québec afin de connaître de celui-ci les raisons qui l'ont incité à imposer la pénalité de 50% à sa cliente.  Le délai d'obtention de ces renseignements serait de 30 à 60 jours, ajoute-t-il.  Il lui fait part aussi d'une proposition du ministère que AVRO lui verse 5 000$ par mois durant six mois, délai à l'expiration duquel cet arrangement pourrait être révisé.

[22]        Bien que ce courriel fasse référence à un éventuel avis d'opposition (notice of objection), Revenu Québec ne recevra jamais cet avis, ni de Me Takhmizdjian, ni de AVRO.

[23]        Le 4 novembre 2010, Revenu Québec exécute un mandat de perquisition à la place d'affaires de AVRO.

[24]        Une fois de plus, BLG conseille à sa cliente d'attendre les résultats de cette perquisition et de voir quelles mesures entend prendre Revenu Québec à cet égard.

[25]        Le 8 mars 2011, BLG reçoit un relevé de compte de Revenu Québec (P-9) qu'elle transmet à AVRO.

[26]        Vers la fin d'août 2011, Me Takhmizdjian rencontre Revenu Québec pour connaître les suites de la perquisition et on l'informe que des accusations pénales seront portées contre AVRO et possiblement contre monsieur Minkoff.

[27]        Encore une fois, le procureur conseille à sa cliente d'attendre.

[28]        Monsieur Minkoff commence à douter de la pertinence et de la justesse des conseils juridiques de Me Takhmizdjian et consulte Me Stéphane Eljarrat, associé de l'Étude Davies, Ward, Philips & Vineberg (« Davies ») qui confirme plusieurs irrégularités sur le plan des conseils juridiques et de la stratégie mais consent à représenter AVRO et monsieur Minkoff au pénal seulement.

[29]        Il conseille à sa cliente d'insister auprès de BLG pour faire une demande de prorogation de délai avant le 28 septembre 2011, ce que celle-ci fait après quelques pressions de la part de AVRO, le tout comme en fait foi la lettre datée du 27 septembre 2011 et produite comme pièce P-10.

[30]        Par cette lettre, Me Takhmizdjian demande aussi que sa lettre du 26 avril 2010 demandant la renonciation et l'annulation des intérêts et pénalités (P-4) soit considérée comme un avis d'opposition.  Nulle mention de l'impossibilité d'agir d'AVRO n'y apparaît toutefois.

[31]        Cette demande de prorogation du délai d'opposition du 27 septembre 2011 est faite 364 jours après l'expiration du délai d'opposition du second avis de cotisation (celui du 30 juin 2010).  En vertu de l'article 93.1.3 de la Loi sur l'administration fiscale[2] (LAF), AVRO n'avait plus qu'une journée pour déposer sa demande :

« 93.1.3. Lorsqu'une personne ne s'est pas opposée à une cotisation dans le délai prévu à l'article 93.1.1 et qu'il ne s'est pas écoulé plus d'un an depuis l'expiration de ce délai, elle peut demander par écrit au ministre de proroger ce délai en exposant les motifs pour lesquels l'avis d'opposition n'a pas été notifié dans le délai prévu. »

[32]        Le 12 octobre 2012, la Direction des oppositions de Revenus Québec transmet à AVRO son refus de proroger le délai, comme le démontre la lettre P-11.

[33]        Cette lettre P-11 fait état que AVRO n'a pas démontré, dans sa demande de prorogation du délai d'opposition, qu'elle était dans l'impossibilité en fait d'agir ni que sa demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient.

Les prétentions de parties

[34]        La requérante soutient que les mauvais conseils juridiques de Me Takhmizdjian ont retardé son intervention auprès de Revenu Québec et ont constitué, dans les faits, une impossibilité en fait d'agir.

[35]        Le Tribunal réfère les parties au paragraphe 39 de la requête introductive d'instance pour connaître les motifs qui soutiennent l'impossibilité d'agir de Avro.

[36]        Qu'il me suffise de les résumer ainsi :

1.    AVRO a toujours agi avec diligence en faisant des suivis répétés auprès de ses différents procureurs;

2.    AVRO s'est fiée sur l'expérience et la notoriété de ses procureurs, et notamment de BLG qui, de toute évidence, l'a mal conseillée et a mal agi en omettant de produire des avis d'opposition aux deux avis de cotisation (#04500041 et #0450042);

3.    Il est reconnu par la jurisprudence que la négligence, même grossière, de l'avocat constitue une impossibilité en fait d'agir pour le client qui ne doit pas être privé de ses droits à cause de l'incompétence de son procureur;

4.    AVRO a agi dès qu'elle a pu en suivant les conseils de Me Eljarrat le 24 septembre 2011;

5.    Enfin, AVRO a des motifs valables de contestation des avis de cotisation, notamment le fait que ses dirigeants, dont monsieur Minkoff, ignoraient tout du non-paiement des taxes sur les primes d'assurances, se fiant sur sa comptable, madame Florio, remplacée rapidement par madame Durrell, puis par monsieur Susel.

6.    Tous les faits au soutien de ces avis d'opposition sont énumérés au paragraphe 47 de la requête introductive d'instance et à ses 24 sous-paragraphes.

[37]        De son côté, le Sous-ministre du Revenu du Québec soutient que les différentes décisions et conversations qu'a eues Me Takhmizdjian tant avec Revenu Québec qu'avec monsieur Minkoff ne constituent pas une impossibilité en fait d'agir puisque AVRO n'avait nullement l'intention de faire opposition mais désirait simplement éviter les mesures de recouvrement et négocier avec le ministère un échéancier de paiements.

[38]        Revenu Québec ajoute que le fait que les délais d'obtention des résultats d'une demande d'accès à l'information retardent ou même coïncident avec l'expiration du délai d'opposition ne constitue pas une impossibilité d'agir.

L'ANALYSE

[39]        La Cour du Québec est saisie de la présente demande en révision de la décision du ministre de refuser la demande de AVRO de proroger le délai d'opposition au second avis de cotisation, faite conformément à l'article 93.1.5 de la Loi sur l'administration fiscale[3] (LAF), lequel se lit comme suit :

« 93.1.5. Une personne peut, dans les 90 jours de la date du dépôt à la poste de la décision du ministre en vertu de l'article 93.1.4, demander à un juge de la Cour du Québec de réviser cette décision.

Le juge fait droit à cette requête s'il est d'avis que la personne respecte les conditions prévues aux articles 93.1.3 et 93.1.4 et la décision du juge est un jugement final de la Cour du Québec au sens du Code de procédure civile (chapitre C-25). »

[40]        L'article 93.1.4 de la LAF donne les critères que le ministre doit évaluer pour accorder une demande de prorogation du délai d'opposition :

« 93.1.4. Le ministre doit examiner avec diligence toute demande qui lui est présentée en vertu de l'article 93.1.3, y faire droit ou non et notifier sa décision à la personne.

Il est fait droit à une telle demande si la personne démontre qu'elle était dans l'impossibilité en fait d'agir et que la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient.

Le délai est alors prorogé pour une période n'excédant pas le trentième jour suivant la date du dépôt à la poste de la décision du ministre. »

[41]        Selon la décision rendue le 12 octobre 2011, AVRO n'a pas démontré qu'elle a été dans l'impossibilité en fait d'agir ni que sa demande a été faite dès que les circonstances le permettaient.

[42]        AVRO allègue dans sa requête introductive d'instance (par.39 et ses sous-paragraphes) cette impossibilité d'agir.  A-t-elle réussi à le démontrer à l'audience?

[43]        Le Tribunal estime que oui, pour les raisons décrites ci-après. 

[44]        Il a été mis en preuve que monsieur Minkoff avait donné le mandat à Me Carbonneau de faire un avis d'opposition sur le premier avis de cotisation (#0450041).  Malheureusement, la maladie a empêché ce dernier de compléter son mandat.  Il s'agit là du premier élément de l'impossibilité d'agir de AVRO.

[45]        Monsieur Minkoff s'est vu conseiller l'étude BLG, reconnue pour son expérience et ses compétences notamment en matières commerciale et fiscale, qu'il a rapidement consultée - dès le 31 mars 2010 - et à qui il a donné le mandat de représenter AVRO auprès de Revenu Québec en poursuivant le mandat précédemment accordé à Me Carbonneau.

[46]        La preuve démontre aussi que Me Takhmizdjian n'a jamais déposé d'avis d'opposition sur le premier avis de cotisation auprès de Revenu Québec (deuxième élément de l'impossibilité d'agir de AVRO), préférant contester la pénalité et les intérêts en formulant une demande de renonciation et d'annulation de ceux-ci sous l'article 94.1 de la Loi sur le ministère du Revenu[4], devenue la Loi sur l'administration fiscale depuis le 1er avril 2011.  Ceci s'avère une décision douteuse puisque, contrairement aux avis d'opposition, la décision du ministre sur une telle demande est sans appel conformément à l'article 94.1 :

« 94.1. Le ministre peut renoncer, en tout ou en partie, à un intérêt, une pénalité ou des frais prévus par une loi fiscale.

Il peut également annuler, en tout ou en partie, un intérêt, une pénalité ou des frais exigibles en vertu d'une loi fiscale.

La décision du ministre ne peut faire l'objet d'une opposition ni d'un appel.

 

Le ministre dépose à l'Assemblée nationale un sommaire statistique des renonciations et des annulations qui ont été faites au cours d'un exercice financier de l'Agence dans le même délai que celui prévu à l'article 76 de la Loi sur l'Agence du revenu du Québec (chapitre A-7.003) pour le dépôt des documents mentionnés à cet article relatifs à cet exercice financier. »

[47]        Le procureur n'était pas sans savoir que cette option n'était pas susceptible d'appel et avait donc ses limites : troisième élément de l'impossibilité d'agir de AVRO.

[48]        Me Takhmizdjian a voulu négocier avec le ministère mais au lieu d'une offre de règlement, il reçoit un second avis de cotisation daté du 30 juin 2010, pour les mêmes défauts de paiement et pour la même période que l'avis de cotisation de février, mais pour un montant beaucoup plus élevé puisque s'ajoutait au montant initial une pénalité de 50%.

[49]        Me Takhmizdjian a mentionné dans son témoignage que sa demande de renonciation du 26 avril constituait son avis d'opposition et que l'émission du second avis de cotisation par Revenu Québec le 30 juin 2010 constituait la réponse du ministère à cette « opposition », ce qui l'empêchait de faire opposition à nouveau. 

[50]        Le Tribunal ne retient pas cette position de Me Takhmizdjian : premièrement, une demande de renonciation et d'annulation sous l'article 94.1 LAF n'est pas l'équivalent d'un avis d'opposition fait sous l'article 93.1.1 et n'en revêt pas du tout les mêmes conséquences juridiques.  En second lieu, même si le second avis de cotisation contenait dans sa dernière phrase l'idée qu'il constituait « la décision du ministre suite à votre opposition », cela ne saurait influencer l'opinion d'un fiscaliste compétent au point de penser que cette phrase empêcherait toute autre opposition à ce second avis de cotisation.

[51]        D'autant plus que, selon la preuve, madame Maryse Hébert, de Revenu Québec, a informé Me Takhmizdjian en juillet qu'il avait jusqu'au 30 septembre 2010 pour déposer son avis d'opposition sur ce second avis de cotisation.  La mémoire de Me Takhmizdjian à cet égard était plutôt défaillante à l'audience.

[52]        Il conseille à sa cliente AVRO de ne pas produire d'avis d'opposition vu que sa contestation sur la pénalité de 50% aurait peu de chances de réussir.  Il préfère négocier avec le ministère.  Quatrième élément de l'impossibilité d'agir.

[53]        Le 4 novembre 2010, un mandat de perquisition est exécuté chez AVRO.  Me Takhmizdjian conseille à sa cliente d'en attendre les résultats : cinquième élément de l'impossibilité d'agir.

 

[54]        Vers la fin d'août 2011, Me Takhmizdjian rencontre les autorités du ministère pour s'enquérir des résultats de la perquisition pratiquée quelques mois plus tôt. On l'informe que des accusations pénales seront portées contre AVRO.

[55]        Encore une fois, il conseille à sa cliente d'attendre : sixième élément de l'impossibilité d'agir.

[56]        Monsieur Minkoff commence à douter de la justesse de la stratégie et des conseils juridiques prodigués par son procureur et décide de consulter quelqu'un d'autre.

[57]        Selon son témoignage, Me Eljarrat l'informe des irrégularités commises par Me Takhmizdjian et l'avise, compte tenu de l'urgence, d'exiger de BGL que Me Takhmizdjian envoie une demande de prorogation du délai d'opposition en vertu de l'article 93.1.3 LAF (précité) le jour même ou le lendemain au plus tard. 

[58]        Monsieur Minkoff s'empresse de suivre le conseil de Me Eljarrat.  La lettre (P-10) est envoyée le 27 septembre 2011, le délai expirait le 28, soit le 365e jour après l'expiration du délai pour faire opposition conformément à l'article 93.1.3 LAF (précité). 

[59]        Cette lettre envoyée par Me Takhmizdjian ne contenait toutefois aucune allusion ni ne faisait référence à aucun fait pouvant démontrer une impossibilité d'agir : septième élément de l'impossibilité d'agir.  Résultat :  la demande fut rejetée.

[60]        Ce bref résumé des irrégularités commises par Me Takhmizdjian démontre bien qu'aucune négligence ou omission n'est imputable à AVRO ou à monsieur Minkoff.  Ce dernier n'est pas juriste et il s'est fié à l'expérience et à la notoriété d'une firme d'avocats reconnue qui, malheureusement pour lui, ne lui a pas donné satisfaction et ne lui a surtout pas rendu service.

[61]        La jurisprudence reconnaît que le justiciable n'a pas à payer pour les erreurs et la négligence de son procureur, lesquelles constituent, pour le justiciable, une impossibilité en fait d'agir et lui permettent d'être relevé de son défaut.

[62]        Dans Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Stever[5], la Cour d'appel reconnaît ce principe en ces termes :

« À cet égard, il y a lieu de préciser que toute erreur de l'avocat, qu'elle résulte de son ignorance ou de sa négligence, même grossière, peut permettre à une partie d'être relevée de son défaut. »

[63]        Notre collègue, l'honorable Daniel Dortélus, a suivi cet arrêt de la Cour d'appel et a appliqué ce principe dans Tran c. Québec (Sous-ministre du Revenu)[6] .

[64]        Par ailleurs, tant l'arrêt Stever que le jugement Tran ont statué que Revenu Québec ne subissait pas de préjudice réel découlant de ces décisions favorables au contribuable.  Le Tribunal est du même avis :  aucune preuve concluante en l'espèce n'établit un tel préjudice.

[65]        Le Tribunal conclut donc de l'ensemble de la preuve, des arguments soulevés de part et d'autre et de la lecture des autorités soumises que la requête de AVRO est bien fondée en faits et en droit, celle-ci ayant démontré de façon prépondérante qu'elle a été dans l'impossibilité en fait d'agir et qu'elle a transmis sa demande de prorogation dès que les circonstances lui ont permis de le faire, obéissant ainsi aux prescriptions de l'article 93.1.4 LAF.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la requête introductive d'instance de la requérante;

PROROGE le délai de notification de l'avis d'opposition à l'Avis de cotisation #0450042;

PERMET à la requérante de notifier son avis d'opposition à l'Avis de cotisation # 0450042 dans un délai de trente jours du présent jugement;

LE TOUT avec dépens.

 

 

__________________________________

SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

 

Me Stéphane Nobert

Me Éric Stachecki

ANDERSON, SINCLAIR

Procureurs de la requérante

 

Me Nadja Chatelois

LARIVIÈRE MEUNIER

Procureurs de l'intimé

 

Date d’audience :

26 juin 2013

 



[1]     De 50% cette fois en application de l'article 59.4 LMR

[2]     L.R.Q., c. A-6.002

[3]     L.R.Q., c. A-6.002

[4]     L.R.Q., c. M-31, abrogé le1er avril 2011 et remplacée par la Loi sur l'administration fiscale

[5]     Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Stever, 2007 QCCA 257

[6]     Tran c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2007 QCCQ 12511

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