Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - juillet 2015

Lepage et Entreprises Construction Québec ltée

2019 QCTAT 1073

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

RĂ©gion :

Outaouais

 

Dossier :

654224-07-1712

 

Dossier CNESST :

070339148

 

 

Montréal,

le 1er mars 2019

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Ann Firlotte

______________________________________________________________________

 

 

 

Gilles Lepage

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Les Entreprises Construction Québec ltée

 

Partie mise en cause

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]           Monsieur Gilles Lepage, le travailleur, occupe un emploi de poseur de systèmes intĂ©rieurs chez Les Entreprises Construction QuĂ©bec ltĂ©e, l’employeur. Le 10 septembre 1979, il subit une lĂ©sion professionnelle alors qu’il transporte un meuble et se cogne le bras droit. Un diagnostic d’épicondylite au coude droit est retenu.

[2]           Cette lĂ©sion est suivie de trois rĂ©cidives, rechutes ou aggravations, la dernière survenant le 3 mai 2012 alors que le travailleur est sans emploi.

[3]           Le 3 avril 2017, le travailleur demande Ă  la Commission des normes, de l’équitĂ©, de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la Commission) de verser Ă  son rĂ©gime de retraite la part des cotisations de l’employeur, et ce, en vertu des dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi).

[4]           Le 17 mai 2017, la Commission dĂ©clare qu’elle ne peut assumer la part des cotisations de l’employeur exigibles au rĂ©gime de retraite offert dans l’industrie de la construction, au motif que les documents factuels et mĂ©dicaux au dossier ne permettent pas d’établir que le travailleur est atteint, en raison de sa lĂ©sion professionnelle du 3 mai 2012, d’une invaliditĂ© grave et prolongĂ©e au sens de l’article 93 de la Loi. Cette dĂ©cision est confirmĂ©e le 1er dĂ©cembre 2017 Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[5]           Le travailleur conteste cette dĂ©cision devant le Tribunal administratif du travail (le Tribunal) et lui demande de dĂ©clarer qu’il a droit Ă  l’application des articles 93 et 116 de la Loi et que la Commission doit assumer la part des cotisations de l’employeur Ă  son rĂ©gime de retraite, et ce, rĂ©troactivement au mois de juillet 2011.

[6]           Pour les motifs qui suivent, le Tribunal dĂ©termine que le travailleur ne rencontre pas les prescriptions des articles 93 et 116 de la Loi, en ce qu’il n’est pas atteint d’une invaliditĂ© grave et prolongĂ©e qui dĂ©coule de sa lĂ©sion professionnelle et qu’il est un travailleur de la construction qui ne participe plus Ă  son rĂ©gime de retraite depuis plusieurs annĂ©es. ConsĂ©quemment, la Commission n’a pas Ă  assumer la part des cotisations de l’employeur au rĂ©gime de retraite du travailleur.

ANALYSE

[7]           Le Tribunal doit dĂ©terminer si la Commission est tenue d’assumer la part des cotisations de l’employeur au rĂ©gime de retraite du travailleur. Les dispositions de la Loi applicables sont les articles 93 et 116, qui Ă©dictent que :

93.  Une personne atteinte d'une invaliditĂ© physique ou mentale grave et prolongĂ©e est considĂ©rĂ©e invalide aux fins de la prĂ©sente section.

Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.

116. Le travailleur qui, en raison d’une lĂ©sion professionnelle, est atteint d’une invaliditĂ© visĂ©e dans l’article 93 a droit de continuer Ă  participer au rĂ©gime de retraite offert dans l’établissement oĂą il travaillait au moment de sa lĂ©sion.

Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s’il y a lieu, et la Commission assume celle de l’employeur, sauf pendant la pĂ©riode oĂą ce dernier est tenu d’assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinĂ©a de l’article 235.

[8]           Ces dispositions prĂ©voient plusieurs conditions Ă  leur application :

o    Le travailleur a subi une lĂ©sion professionnelle.

o    Cette lĂ©sion professionnelle entraĂ®ne une invaliditĂ© physique ou mentale grave et prolongĂ©e qui le rend invalide, c’est-Ă -dire rĂ©gulièrement incapable de dĂ©tenir une occupation vĂ©ritablement rĂ©munĂ©ratrice, et ce, pour le reste de sa vie.

o    Le travailleur continue Ă  participer au rĂ©gime de retraite offert dans l’établissement oĂą il travaille au moment oĂą survient la lĂ©sion qui le rend invalide.

o    Le travailleur doit payer sa part des cotisations exigibles.

[9]           Dans le prĂ©sent dossier, le Tribunal doit donc rĂ©pondre Ă  deux questions :

o   Le travailleur est-il atteint d’une invaliditĂ© au sens de l’article 93 de la Loi et si oui, cette invaliditĂ© dĂ©coule-t-elle de ses lĂ©sions professionnelles ?

o   Un travailleur de la construction qui ne participe plus Ă  son rĂ©gime de retraite depuis plusieurs annĂ©es peut-il bĂ©nĂ©ficier de l’application de l’article 116 de la Loi ?

Le travailleur est-il atteint d’une invaliditĂ© au sens de l’article 93 de la Loi et si oui, cette invaliditĂ© dĂ©coule-t-elle de ses lĂ©sions professionnelles ?

[10]        La lĂ©sion professionnelle du 10 septembre 1979 est consolidĂ©e le 2 juin 1980; elle entraĂ®ne un dĂ©ficit anatomo-physiologique Ă©valuĂ© Ă  3 % et des limitations fonctionnelles. MalgrĂ© ces limitations, le travailleur est dĂ©clarĂ© apte Ă  exercer son emploi habituel.

[11]        Une première rĂ©cidive, rechute ou aggravation survenue le 23 avril 2002 est consolidĂ©e le 4 juin 2003 et entraĂ®ne un dĂ©ficit anatomo-physiologique Ă©valuĂ© Ă  9 % et des limitations fonctionnelles. La Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail[2] dĂ©termine alors un emploi convenable de releveur de compteurs.

[12]        Une deuxième rĂ©cidive, rechute ou aggravation survenue le 1er mars 2006 pour laquelle un diagnostic d’épicondylite latĂ©rale au coude droit avec ostĂ©oarthrose est posĂ©, est consolidĂ©e le 7 mai 2007 et entraĂ®ne un dĂ©ficit anatomo-physiologique Ă©valuĂ© Ă  10 % ainsi que des limitations fonctionnelles. La Commission dĂ©termine alors un emploi convenable de commissionnaire.

[13]        Une troisième rĂ©cidive, rechute ou aggravation survenue le 3 mai 2012 pour laquelle un diagnostic d’arthrose et d’ankylose du coude droit post trauma est posĂ©, est consolidĂ©e le 15 mars 2016 et entraĂ®ne un dĂ©ficit anatomo-physiologique Ă©valuĂ© Ă  16 % et de nouvelles limitations fonctionnelles[3].

[14]        Le refus par la Commission d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation de nature psychiatrique est confirmĂ© par le Tribunal, et ce, au motif que des Ă©lĂ©ments personnels significatifs vĂ©cus par le travailleur et Ă©trangers Ă  sa lĂ©sion professionnelle ont jouĂ© un rĂ´le dĂ©terminant dans l’apparition et le dĂ©veloppement de sa dĂ©pression majeure rĂ©currente.

[15]        La Commission refuse Ă©galement de reconnaĂ®tre un lien entre les nouveaux diagnostics de tendinopathie et de capsulite rĂ©tractile Ă  l’épaule droite et la lĂ©sion professionnelle au coude droit. Cette dĂ©cision n’est pas contestĂ©e.

[16]        Entre 2017 et 2011, le travailleur exerce un emploi convenable de commissionnaire pour une entreprise de construction. Le 22 juillet 2011, il fait l’objet d’un licenciement administratif Ă  la suite d’une rĂ©organisation interne dans l’entreprise. Il ne retourne plus au travail par la suite. Il est donc sans emploi au moment oĂą survient la dernière rĂ©cidive, rechute ou aggravation le 3 mai 2012.

[17]        Le 18 novembre 2016, en raison de son incapacitĂ© Ă  identifier un emploi convenable que le travailleur peut exercer Ă  temps plein et conformĂ©ment aux dispositions des articles 47 et 56 de la Loi, la Commission informe le travailleur qu’il recevra une indemnitĂ© de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 68 ans, le montant de cette indemnitĂ© Ă©tant diminuĂ© de 25 % par annĂ©e Ă  compter de son 65e anniversaire de naissance. Le travailleur est alors âgĂ© de 62 ans.

[18]        Le 3 avril 2017, le travailleur demande Ă  la Commission de verser Ă  son rĂ©gime de retraite la part des cotisations de l’employeur, allĂ©guant que la rĂ©cidive, rechute ou aggravation du 3 mai 2012 a entraĂ®nĂ© son invaliditĂ©.

[19]        La Commission refuse de reconnaĂ®tre que le travailleur est atteint, en raison de sa lĂ©sion professionnelle du 3 mai 2012, d’une invaliditĂ© grave et prolongĂ©e au sens de l’article 93 de la Loi, sa dĂ©cision de novembre 2016 dĂ©coulant plutĂ´t du faible potentiel d’employabilitĂ© du travailleur en raison notamment de sa scolaritĂ©, de ses expĂ©riences de travail antĂ©rieures principalement acquises dans le domaine de la construction, de son âge, du fait qu’il est sans emploi depuis cinq ans et qu’il se considère lui-mĂŞme inapte Ă  rĂ©intĂ©grer le marchĂ© du travail, de son profil d’employabilitĂ© limitĂ©e, de sa condition physique rĂ©siduelle, mais aussi de ses conditions personnelles de capsulite Ă  l’épaule droite et de dĂ©pression majeure rĂ©currente.

[20]        Le Tribunal est d’avis que l’allĂ©gation du travailleur n’est pas supportĂ©e par la preuve probante et prĂ©pondĂ©rante qui dĂ©montre plutĂ´t que les facteurs qui empĂŞchent le travailleur d’exercer un emploi convenable Ă  temps plein ne sont pas liĂ©s principalement Ă  ses lĂ©sions professionnelles et aux limitations fonctionnelles qu’elles entraĂ®nent, mais relèvent davantage de considĂ©rations purement personnelles, incluant une dĂ©pression majeure rĂ©currente considĂ©rĂ©e comme invalidante par le psychiatre qui a charge du travailleur, condition psychique qui n’a pas Ă©tĂ© reconnue en lien avec ses lĂ©sions professionnelles. S’ajoutent Ă©galement une maladie cardiaque non opĂ©rable et une condition personnelle de capsulite Ă  l’épaule.

[21]        Or, suivant le libellĂ© de l’article 116 de la Loi et la jurisprudence constante du Tribunal[4] traitant de son application, l’invaliditĂ© grave et prolongĂ©e doit dĂ©couler des lĂ©sions professionnelles ou des suites de l’ensemble des lĂ©sions professionnelles reconnues par la Commission. Elle ne doit pas dĂ©couler d’une condition personnelle.

[22]        Dans l’affaire Turcotte et CHUS - HĂ´pital Fleurimont[5], la Commission des lĂ©sions professionnelles, aujourd’hui le Tribunal, rappelle que suivant le libellĂ© de l’article 116, pour avoir droit de continuer Ă  participer au rĂ©gime de retraite offert dans l'Ă©tablissement oĂą il travaillait au moment de sa lĂ©sion, il est nĂ©cessaire que cette mĂŞme lĂ©sion fasse en sorte que le travailleur soit atteint d’une invaliditĂ© visĂ©e Ă  l’article 93 de la Loi.

[23]        Dans l’affaire Blais et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique[6], le Tribunal nous rappelle que pour reconnaĂ®tre une invaliditĂ© grave et prolongĂ©e au sens de l’article 93 de la Loi, le travailleur doit ĂŞtre incapable de faire son travail pour des motifs strictement reliĂ©s Ă  sa lĂ©sion professionnelle. Or, dans cette affaire, comme dans le prĂ©sent dossier, la Commission dĂ©termine que le travailleur est incapable d’occuper un emploi rĂ©munĂ©rateur pour plusieurs motifs au-delĂ  de ceux directement rattachĂ©s Ă  sa lĂ©sion professionnelle.

[24]        Cette dĂ©cision est maintenue en rĂ©vision[7], alors que le Tribunal confirme que pour ĂŞtre considĂ©rĂ©e aux fins de l’application de l’article 116 de la Loi, l’invaliditĂ© doit rĂ©sulter de la lĂ©sion professionnelle.

[25]        Suivant ces enseignements et au vu de la preuve probante et prĂ©pondĂ©rante, le prĂ©sent Tribunal dĂ©termine que le travailleur n’est pas atteint d’une invaliditĂ© physique ou mentale grave qui dĂ©coule de ses lĂ©sions professionnelles au sens des articles 93 et 116 de la Loi.

Un travailleur de la construction qui ne participe plus Ă  son rĂ©gime de retraite depuis plusieurs annĂ©es peut-il bĂ©nĂ©ficier de l’application de l’article 116 de la Loi ?

[26]        Le travailleur cesse de participer Ă  son rĂ©gime de retraite au moment de son congĂ©diement en juillet 2011. Il ne contribue plus Ă  ce rĂ©gime par la suite. Ainsi, en avril 2017, lorsqu’il demande que soit appliquĂ© l’article 116 de la Loi, il ne contribue plus Ă  son rĂ©gime de retraite depuis près de six ans.

[27]      Dans l’affaire Turcotte prĂ©citĂ©e[8], la Commission des lĂ©sions professionnelles dĂ©termine que l’article 116 de la Loi ne peut s’appliquer lorsque l’invaliditĂ© survient Ă  la suite d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation alors que la travailleuse n’est plus au service de l’employeur et ne participe plus Ă  son rĂ©gime de retraite :

[32]      Bref, quand la travailleuse fut victime de la rĂ©cidive, rechute ou aggravation du 2 juin 2010 qui l’a rendue inemployable et par ricochet invalide au sens de l’article 93, il y a bien longtemps qu’elle avait cessĂ© de participer au rĂ©gime de retraite offert dans l'Ă©tablissement oĂą elle travaillait avant de subir sa première lĂ©sion professionnelle du 14 janvier 1986.

 

[33]      Dans ces circonstances, l’article 116 ne s’applique pas et le fait que la travailleuse a eu le loisir de procéder au rachat de quelques années de service en 2009 n’y change rien.

[27]        Puis, dans l’affaire Plante et Tafisa Canada inc., le Tribunal dĂ©termine que l’article 116 de la Loi « accorde le droit de continuer Ă  participer au rĂ©gime de retraite offert dans l’établissement au moment d’une lĂ©sion professionnelle, il ne permet pas de rĂ©activer la participation Ă  un tel rĂ©gime lorsque celle-ci a Ă©tĂ© interrompue en raison d’une cessation d’emploi»[9].

[28]        Aussi, dans l’affaire Blais prĂ©citĂ©e[10], le Tribunal est d’avis que le travailleur n’a pas droit Ă  l’application de l’article 116 de la Loi du fait entre autres qu’il n’a pas dĂ©montrĂ© avoir continuĂ© Ă  verser ses cotisations Ă  son rĂ©gime de retraite. Pour le Tribunal, le libellĂ© de l’article 116 est clair : le travailleur doit avoir payĂ© sa part des cotisations Ă  son rĂ©gime de retraite, il s’agit lĂ  d’une exigence Ă  l’application de cette disposition. Cette position repose notamment sur le choix par le lĂ©gislateur des mots « continuer Ă  participer Â» et « Dans ce cas Â».

[29]        Dans la dĂ©cision rendue en rĂ©vision de cette affaire[11], le Tribunal s’exprime ainsi :

[60]      En outre, le libellé même de l’article 116 est éloquent quant au fait qu’un travailleur « a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion » et que « Dans ce cas », il « paie sa part des cotisations exigibles » [nos soulignements] pour que la Commission soit appelée à assumer la part de l’employeur, l’interprétation retenue par le premier juge administratif ne pouvant certes être qualifiée de déraisonnable et encore moins d’irrationnelle.

[30]        Enfin, dans l’affaire très rĂ©cente Archambault et Les Constructions Lachapelle inc.[12], le Tribunal confirme que pour bĂ©nĂ©ficier de l’application de l’article 116 de la Loi, la preuve doit dĂ©montrer que le travailleur a continuĂ© Ă  participer Ă  son rĂ©gime de retraite.

[31]        Le prĂ©sent Tribunal partage la position exprimĂ©e dans ces dĂ©cisions.

[32]        Le Tribunal est aussi d’avis que l’article 116 de la Loi ne s’applique pas au travailleur de la construction, notamment en raison de la prĂ©sence Ă  cet article du mot « Ă©tablissement ». Ce terme, ainsi que celui de « chantier de construction Â», sont ainsi dĂ©finis Ă  la Loi sur la santĂ© et la sĂ©curitĂ© du travail[13] (la LSST), Ă  laquelle nous renvoie l’article 2 de la Loi :

« Ă©tablissement » : l’ensemble des installations et de l’équipement groupĂ©s sur un mĂŞme site et organisĂ©s sous l’autoritĂ© d’une mĂŞme personne ou de personnes liĂ©es, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, Ă  l’exception d’un chantier de construction ; ce mot comprend notamment une Ă©cole, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l’employeur Ă  la disposition du travailleur Ă  des fins d’hĂ©bergement, d’alimentation ou de loisirs, Ă  l’exception cependant des locaux privĂ©s Ă  usage d’habitation.

« chantier de construction » : un lieu oĂą s’effectuent des travaux de fondation, d’érection, d’entretien, de rĂ©novation, de rĂ©paration, de modification ou de dĂ©molition de bâtiments ou d’ouvrages de gĂ©nie civil exĂ©cutĂ©s sur les lieux mĂŞmes du chantier et Ă  pied d’œuvre, y compris les travaux prĂ©alables d’amĂ©nagement du sol, les autres travaux dĂ©terminĂ©s par règlement et les locaux mis par l’employeur Ă  la disposition des travailleurs de la construction Ă  des fins d’hĂ©bergement, d’alimentation ou de loisirs ;

[33]        Ainsi, le lĂ©gislateur a expressĂ©ment exclus les chantiers de construction de la notion d’établissement.

[34]        Dans Y.L. et Compagnie A prĂ©citĂ©e[14], la Commission des lĂ©sions professionnelles, après avoir Ă©tabli que le travailleur n’a pas continuĂ© Ă  participer Ă  son rĂ©gime de retraite tel que requis par l’article 116 de la Loi, retient qu’il ne peut non plus se prĂ©valoir de cette disposition du seul fait qu’il est un travailleur de la construction. Ă€ ce sujet, elle Ă©crit :

[96]      Mais, même si le travailleur avait fait cette preuve, il fait face à une difficulté encore plus sérieuse. En effet, l’article 116 de la loi réfère à la notion d’établissement. Or, la définition retenue par le législateur de ce terme réfère à celle inscrite dans la LSST.

 

[…]

 

[106]    Le tribunal est d’avis qu’il doit nécessairement s’en tenir au choix du législateur de retenir les mêmes définitions des termes établissement et chantier de construction pour la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi) ou pour la loi sur la santé et la sécurité du travail (la LSST).

 

[107]    Or, la notion d’établissement dans la LSST écarte spécifiquement celle de chantier de construction. En retenant les mêmes définitions, le tribunal voit dans le choix du législateur une volonté de distinguer le travailleur de la construction du travailleur en général.

 

[Transcription textuelle]

[35]        Cette position est exprimĂ©e dans plusieurs dĂ©cisions du Tribunal[15], notamment dans la rĂ©cente affaire Archambault prĂ©citĂ©e[16] :

[24]      Le lĂ©gislateur, en prĂ©cisant que cet article vise la participation « au rĂ©gime de retraite offert dans l’établissement oĂą il travaillait au moment de sa lĂ©sion » a donc choisi d’exclure les travailleurs exĂ©cutant leur travail sur des chantiers de construction.

[36]        Une autre indication de l’exclusion des travailleurs de la construction de l’application de l’article 116 de la Loi est la rĂ©fĂ©rence que l’on y retrouve Ă  l’article 235 de la Loi, qui prĂ©voit que le travailleur qui s’absente de son travail en raison d’une lĂ©sion professionnelle continue de participer au rĂ©gime de retraite offert dans l’établissement de son employeur. L’employeur assume aussi sa part des cotisations exigibles, et ce, jusqu’à l’expiration du dĂ©lai prĂ©vu pour l’exercice du droit au retour au travail du travailleur. Après ce dĂ©lai, la Commission assume la part de l’employeur, tel que prescrit par l’article 116.

[37]        Tel que dĂ©terminĂ© dans l’affaire Y.L. et Compagnie A[17] prĂ©citĂ©e, cette rĂ©fĂ©rence Ă  l’article 235 a son importance du fait que cette disposition se trouve dans la section I du chapitre IV de la Loi qui, conformĂ©ment au deuxième alinĂ©a de l’article 234, ne s’applique pas au travailleur de la construction. Ce travailleur est plutĂ´t couvert par la section II du chapitre VII de la Loi qui traite de manière spĂ©cifique des droits qui lui sont confĂ©rĂ©s.

[38]        Or, dans cette section, on ne retrouve aucune disposition similaire Ă  celle du deuxième paragraphe de l’article 235 de la Loi. Ainsi, la Commission des lĂ©sions professionnelles en conclut que le travailleur de la construction ne bĂ©nĂ©ficie pas du droit prĂ©vu Ă  cet article de continuer Ă  participer au rĂ©gime de retraite offert dans l’établissement oĂą il travaille pendant la durĂ©e prĂ©vue pour l’exercice de son droit au retour au travail.

[39]        Aussi, tel que mentionnĂ© plus haut, le travailleur ne travaille pas dans un « Ă©tablissement Â» au sens des articles 116 et 235 de la Loi, mais plutĂ´t sur un « chantier de construction Â».

[40]        Le Tribunal s’est Ă©galement prononcĂ© sur ce sujet dans l’affaire Ouellet et Constructeur GPC (Syndic de)[18]. Traitant de la rĂ©fĂ©rence Ă  l’article 235 inscrite au second alinĂ©a de l’article 116 de la Loi, il Ă©crit :

[39]      Or, le second alinĂ©a de l’article 116 ajoute que, pendant la pĂ©riode oĂą l’employeur est tenu d’assumer sa part en vertu du second paragraphe du premier alinĂ©a de l’article 235, la CSST sera dispensĂ©e de ce paiement.

 

[40]      Il en ressort donc que l’article 116 se trouve Ă  ĂŞtre le prolongement des droits prĂ©vus Ă  l’article 235 paragraphe 2° de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. […]

 

[…]

 

[73]      Il rĂ©sulte donc de ces dĂ©finitions que le lĂ©gislateur a spĂ©cifiquement exclu les chantiers de construction et, qu’en consĂ©quence, Ă  l’intĂ©rieur mĂŞme de l’article 116, le lĂ©gislateur rĂ©itère, par ce biais, la distinction spĂ©cifiquement Ă©noncĂ©e Ă  l’article 234.

 

[74]      Dès lors, force nous est de conclure que les travailleurs de la construction ne peuvent bĂ©nĂ©ficier des dispositions des articles 235 paragraphe 2 et 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

[41]        Ainsi, dans le prĂ©sent dossier, la preuve probante dĂ©montrant que le travailleur est un travailleur de la construction qui, au surplus, a cessĂ© de participer Ă  son rĂ©gime de retraite en juillet 2011, soit avant la rĂ©cidive, rechute ou aggravation de mai 2012 et donc bien avant sa demande Ă  la Commission en avril 2017, le Tribunal dĂ©termine que les conditions d’application de l’article 116 de la Loi ne sont pas rencontrĂ©es.

[42]        Le travailleur fait parvenir au Tribunal un document Ă©manant de la Commission de la construction du QuĂ©bec (la CCQ) intitulĂ© « Participation au rĂ©gime de retraite des salariĂ©s qui sont prestataires de la CNESST Â». On y rĂ©fère Ă  l’article 116 de la Loi ainsi qu’à l’article 8 du Règlement sur les rĂ©gimes complĂ©mentaires d’avantages sociaux dans l’industrie de la construction[19]. Dans ce document, on invite le travailleur qui souhaite se prĂ©valoir de ces dispositions Ă  fournir Ă  la CCQ une confirmation Ă©crite de la Commission indiquant qu’il est atteint d’une invaliditĂ© au sens de l’article 93 de la Loi, qu’il dĂ©sire continuer Ă  participer Ă  son rĂ©gime de retraite, qu’il s’engage Ă  verser Ă  ce rĂ©gime les cotisations dĂ©terminĂ©es par la convention collective qui lui est applicable et que la Commission s’engage Ă  verser les cotisations de l’employeur exigibles.

[43]        Le Tribunal souligne qu’en matière de contribution Ă  un rĂ©gime de retraite, le travailleur de la construction bĂ©nĂ©ficie effectivement d’un autre rĂ©gime lĂ©gal, celui prĂ©vu Ă  la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[20] (la Loi R-20). La possibilitĂ© pour ce travailleur devenu invalide au sens de l’article 93 de la Loi de continuer Ă  contribuer Ă  son rĂ©gime de retraite, est prĂ©vue Ă  l’article 8 du Règlement mentionnĂ© au paragraphe prĂ©cĂ©dent et adoptĂ© sous l’égide de la Loi R-20. Tel que mentionnĂ© dans l’affaire Archambault prĂ©citĂ©e[21], cette question relève de la CCQ.

[44]        Au surplus, le Tribunal n’est pas liĂ© par le contenu du document Ă©manant de la CCQ, non plus d’ailleurs par des politiques ou orientations de la Commission.

[45]        Ainsi, pour les motifs Ă©voquĂ©s plus haut, le Tribunal conclut que le travailleur ne peut bĂ©nĂ©ficier des dispositions de l’article 116 de la Loi et que la Commission n’a donc pas Ă  assumer la part de l’employeur des cotisations au rĂ©gime de retraite offert dans l’industrie de la construction.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la contestation de monsieur Gilles Lepage, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 1er décembre 2017 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’est pas atteint d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée en raison de ses lésions professionnelles au sens des article 93 et 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que le travailleur ne peut bĂ©nĂ©ficier des dispositions prĂ©vues Ă  l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail n’a pas à assumer la part de l’employeur des cotisations au régime de retraite offert dans l’industrie de la construction.

 

 

 

 

Ann Firlotte

 

 

Monsieur Gilles Lepage

Pour lui-mĂŞme

 

 

Date de l’audience :             4 octobre 2018

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, la Commission, assume l’ensemble des compétences qui étaient autrefois dévolues à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Afin d’éviter toute confusion et dans le but d’alléger la présente décision, le Tribunal emploie le terme générique de Commission pour désigner ces deux organismes.

[3]           Éviter de : 1) soulever, porter, pousser ou tirer de façon rĂ©pĂ©titive des charges de plus de deux kilogrammes, les charges devant ĂŞtre soutenues le plus près du corps; (2) soulever toute charge avec le membre en extension; (3) faire tout mouvement rĂ©pĂ©titif sollicitant le coude droit; (4) utiliser une Ă©chelle ou un Ă©chafaudage; (5) subir des vibrations ou des contrecoups au membre supĂ©rieur droit (direct ou avec instrument); (6) s’accrocher ou s’agripper avec le membre supĂ©rieur droit; (7) lancer avec le membre supĂ©rieur droit.

[4]           Voir Ă  cet effet : Demers et Centres Jeunesse de MontrĂ©al, C.L.P. 305083-61-0612, 12 septembre 2007, S. Di Pasquale; Dumont et CĂ©gep LĂ©vis-lauzon, C.L.P. 329479-03B-0710, 31 mars 2009, R. Savard; Y.L. et Compagnie A, C.L.P. 392274-71-0910, 16 juin 2010, M. Gagnon-GrĂ©goire; Dostie et MĂ©tallurgie Castech inc., 2014 QCCLP 2535; Bellemare et Commission scolaire des Navigateurs, 2015 QCCLP 2420; Blais et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2018 QCTAT 472 (confirmĂ©e en rĂ©vision, 2018 QCTAT 4597).

[5]          2013 QCCLP 1547.

[6]           Précitée, note 4.

[7]           Précitée, note 4 (décision en révision).

[8]          Précitée, note 5.

[9]           2017 QCTAT 515, paragraphe 29.

[10]         PrĂ©citĂ©e, note 4. Voir Ă©galement : Y.L. et Compagnie A, prĂ©citĂ©e, note 4.

[11]         Blais et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, précitée, note 4 (décision en révision).

[12]         2019 QCTAT 330.

[13]         RLRQ, c. S-2.1.

[14]         Précitée, note 4.

[15]         Voir Ă  cet effet : Ouellet et Constructeurs GPC inc. (Syndic de), C.L.P. 117232-02-9905, 20 septembre 2000, P. Simard; Barber et Peintre & DĂ©corateur HW inc., C.L.P. 254505-72-0502, 21 avril 2006, S. Arcand; Y.L. et Compagnie A, prĂ©citĂ©e, note 4; VallĂ©e et Construction & RĂ©novation M. Dubeau inc., 2016 QCTAT 4375 (confirmĂ©e en rĂ©vision, 2017 QCTAT 2907).

[16]         Précitée, note 12.

[17]         Précitée, note 4.

[18]         Précitée, note 15.

[19]         c. R-20, r. 10, article 8.

[20]         RLRQ, c. R-20, article 1.

[21]         Précitée, note 12.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.