Décision

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COUR D'APPEL

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

 No:

500-09-009300-005

 

(705-05-002283-979)

 

DATE: 9 mai 2001

___________________________________________________________________

 

 EN PRÉSENCE De:

LES HONORABLES

MORRIS J. FISH J.C.A.

ANDRÉ FORGET J.C.A.

ANDRÉ ROCHON J.C.A. (AD HOC)

___________________________________________________________________

 

VILLE DE REPENTIGNY,

APPELANTE (Défenderesse)

c.

LES HABITATIONS DE LA RIVE-NORD INC.

et

PLACEMENTS J.J.L.T. INC.

et

GESTION M.T.C. INC.,

INTIMÉES (Demanderesses)

___________________________________________________________________

 

ARRÊT

___________________________________________________________________

 

[1]                LA COUR statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement rendu le 7 février 2000, par le juge Julien Lanctôt de la Cour supérieure, district de Joliette, qui a accueilli l'action en nullité et en dommages des intimées;

[2]                Après étude du dossier, audition et délibéré;

[3]                Pour les motifs énoncés dans l'opinion ci-jointe du juge Rochon, auxquels souscrivent les juges Fish et Forget;

[4]                ACCUEILLE l'appel avec dépens à la seule fin de retrancher du dispositif du jugement le troisième alinéa ayant trait à la condamnation de 214 500$.

 

 

 

 

________________________________

MORRIS J. FISH J.C.A.

 

 

________________________________

ANDRÉ FORGET J.C.A.

 

 

________________________________

ANDRÉ ROCHON J.C.A. (AD HOC)

 

Mes Alain-Claude Desforges et Marc Lalonde

BÉLANGER, SAUVÉ

Avocats de l'appelante

 

Me Michel Lalande

DEVEAU, LAVOIE

Avocat des intimées

 

Date d'audience:  22 mars 2001

 Domaine du droit:

MUNICIPAL (DROIT)

 

 


___________________________________________________________________

 

Opinion du juge ROCHON

___________________________________________________________________

 

[5]                Une corporation municipale peut-elle transiger au sujet de ses prérogatives réglementaires en matière de zonage ?

[6]                Tel est l'objet du pourvoi.

[7]                Le 12 juin 1996, les intimées, promoteurs immobiliers signent un protocole d'entente avec la Ville de Repentigny (la ville).  Ce protocole est l'aboutissement de plus de six ans de négociation.  Les parties conviennent de cessions et d'échanges de terrains.  La condition essentielle à cet acte de cessions et d'échanges est l'engagement ferme de la ville de procéder à une modification à sa réglementation de zonage:

"L’acte de vente chez le notaire devra contenir une clause à l’effet que les cessions et échanges de terrains dont il est fait mention aux articles 0.6, 3 et 6 sont conditionnels au changement de zonage visant à rendre commercial le lot P-167-153 (parcelle C figurant à l’annexe « F » du présent protocole) ainsi que les parties des lots 167-152 et 166-149 actuellement zonées TR-600, telle modification au zonage devant être réalisée sans frais pour les propriétaires "[1]. (je souligne)

 

[8]                Devant l'opposition des citoyens au changement de zonage, la ville fait marche arrière et refuse d'honorer son engagement contractuel.  Les intimées entreprennent alors un recours en nullité et en dommages et intérêts.  Le premier juge accueille leur demande en majeure partie.  La ville se pourvoit.

[9]                Pour mieux cerner les enjeux, il importe de reprendre succinctement la trame des événements.

[10]           En mai 1990, les intimées présentent à la ville un plan de développement.  Elles projettent la construction de 2400 unités résidentielles et l'aménagement d'une bretelle de sortie à l'intersection de l'autoroute 40 et de la rue Valmont.

[11]           En mars 1991, la ville amende sa réglementation de zonage pour y incorporer le plan de développement des intimées.  La même année, les intimées cèdent à la ville le terrain "C"[2] qui sera zoné parc.  À compter de 1993, plusieurs études sont réalisées, à la demande de la ville et des intimées, quant à la faisabilité de la bretelle de sortie d'autoroute.  On évalue les coûts d'acquisition par la ville du terrain "A" pressenti pour y faire les travaux à des montants variant de 500 000 à 750 000$.

[12]           En 1994, la ville propose aux intimées d'acquérir le terrain "A" pour 1$ et d'y réaliser la construction de la bretelle de sortie.  Cette offre est refusée.

[13]           En 1996, les parties en arrivent finalement à une entente.  Les intimées cèdent à la ville les terrains "D", "E" et "F" dans le but de permettre à la ville de réaligner son éventuelle piste cyclable.  En échange, la ville cède le terrain "C" qui est adjacent au terrain "B" propriété des intimées.  De plus, la ville s'engage à donner aux terrains "B" et "C" un zonage de type commercial.  Cet engagement est important.  Suivant l'admission des parties, cette modification au zonage fait passer le prix au pied carré du  terrain "B" de 0,15$ à 4,00$.  Finalement, le terrain "A" est cédé à la ville pour la réalisation de la bretelle de sortie.

[14]           De façon contemporaine à la signature du protocole, la ville adopte un règlement d'emprunt pour défrayer le coût de la construction de la bretelle de sortie.  Aux termes de ce règlement, soixante-quinze pour cent (75%) des coûts sont à la charge des immeubles propriétés des intimées, notamment le terrain "A".

[15]           En juillet 1996, la ville entreprend les procédures afin de modifier le zonage des terrains "B" et ."C" et ainsi se conformer à son engagement du 3 juin 1996.  Les citoyens se mobilisent.  Ils s'opposent aux modifications réglementaires projetées.

[16]           Le 7 octobre 1996, le conseiller municipal représentant ce secteur donne un avis de motion afin de redonner l'affectation «parc» au terrain "C".  Alertées par la situation, les intimées sont rapidement rassurées par le directeur général de la ville, selon la version des intimées que retiendra le juge d'instance :

"Selon les demanderesses, M. Weemaes leur a représenté que l’avis de motion donné le 7 octobre était le geste d’un conseiller agissant seul, sans l’aval des autres conseillers, et qu’il n’avait pas pour effet de remettre en question ce qui était prévu au protocole d’entente. M. Weemaes aurait également demandé aux demanderesses de consentir une servitude sur le terrain A afin que la Ville et le ministère des Transports du Québec puissent entreprendre sans tarder les travaux de la bretelle de sortie. Ce sont sur ces représentations de M. Weemaes que les demanderesses ont, disent-elles, accepté de consentir une servitude de « passage » sur le terrain A."

 

[17]           Malgré la mise en demeure des intimées, le 2 décembre 1996 la ville adopte le projet de règlement qui confirme le zonage de «parc» au terrain "C".

 

JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

 

 

[18]           Dans un jugement structuré, le juge d'instance se dit d'avis que la ville a manqué à ses engagements contractuels.  Ce défaut permettait aux intimées de demander la résolution de la vente et des dommages-intérêts de nature contractuelle.

[19]           Le premier juge rejette la prétention de la ville que le protocole reflétait deux ententes distinctes : l'une pour le terrain "A" et l'autre pour les autres terrains.

[20]           En 1996, selon la ville, les intimées retiraient un avantage considérable pour leur développement de la construction de la bretelle de sortie.  Partant, elles étaient disposées à céder le terrain "A" pour 1$ indépendamment des autres échanges et cessions de terrains prévus au protocole.

[21]           Après une analyse détaillée de la preuve et l'analyse du texte du protocole, le juge d'instance rejette cette prétention :

" […] la cession du terrain A, l’échange des autres terrains et la modification de zonage du terrain C prévus au protocole d’entente constituent des éléments indissociables d’une seule et même transaction selon laquelle, entre autres, le terrain A est cédé pour 1 $, si les autres conditions du protocole sont respectées "

 

[22]           De même, le premier juge ne retient pas la proposition de l'avocat de la ville sur la portée de l'acte de servitude du 9 octobre 1996 :

"[…]  Il s'agit bel et bien d'une servitude de construction avec droit de passage en faveur de ceux chargés de la construction de la bretelle de sortie, en l'occurrence la Ville en collaboration avec le ministère des Transports du Québec. Nulle part n'est-il prévu dans cette servitude que celle-ci est consentie pour la circulation publique une fois la construction de celle-ci complétée. Il n'y a aucune preuve de procédures d'expropriation ou d'une convention entre les parties permettant la circulation publique dans la bretelle de sortie".

 

[23]           Les travaux de construction de la bretelle de sortie sont complétés en juin 1997.  Le premier juge se dit d'avis que la rétrocession du terrain "A" aux intimées, à la suite de la résolution de la vente «entraîne des conséquences non souhaitables et contraires au bon sens».  Il choisit de donner suite à l'offre des intimées de céder le terrain "A" moyennant un juste prix qu'il fixe à 845 950,00$, soit 4$ le pied carré.

[24]           De même, le juge d'instance ordonne à la ville le remboursement des taxes payées par les intimées sur le terrain "A" depuis que la ville a pris possession  du terrain pour y construire la bretelle de sortie (9 octobre 1996).  Il accorde également un dédommagement (204 500$) pour la perte de valeur du terrain "B" qui conserve son zonage résidentiel (.0,15$ le pied carré) par opposition à la valeur du même terrain si l'usage commercial avait été autorisé (4$ le pied carré).  Finalement, le juge d'instance octroie 10 000$ aux intimées pour les compenser des troubles et inconvénients subis à la suite de la faute contractuelle de la ville.

 

ANALYSE

 

 

[25]           Avant d'aborder la question centrale du pourvoi, il convient d'examiner la prétention de la ville sur le caractère autonome de la cession du terrain "A".  Si cette prétention était retenue, la cession de ce terrain survivrait à l'attaque en nullité.

[26]           Comme le relève le premier juge, plusieurs éléments de preuve tendent à démontrer que les intimées ont constamment refusé de céder ce terrain pour 1$.  L'aménagement de la bretelle de sortie favorisait certes le développement immobilier des intimées.  La ville y trouvait un avantage certain pour l'ensemble de la collectivité comme l'expose le maire dans une lettre aux autorités provinciales.

[27]           Les intimées ont refusé de céder en 1994 le terrain "A" pour 1$.  Ce terrain fut évalué à plus de 500 000,00$ dans des études défrayées en partie par la ville.  Le texte du protocole est précis :  tant les cessions que les échanges «sont conditionnels au changement de zonage».  Le tout devient alors indissociable.  Bref, la ville ne m'a pas convaincu de l'existence d'erreur dans l'appréciation de la situation par le juge de première instance qui justifierait l'intervention de la Cour sur cette question.

[28]           J'aborde maintenant la question essentielle du pourvoi :  la ville pouvait-elle contractuellement s'engager à modifier le zonage ?

[29]           Cette question ne fut pas débattue en première instance.  Il importe de souligner que ni le juge ni les avocats n'ont eu l'occasion de prendre connaissance, à l'époque, de l'arrêt récent de la Cour suprême : Pacific National Investments Ltd c. Ville de Victoria.[3]  Cet arrêt a pour effet de trancher définitivement la question posée par le pourvoi :  une municipalité ne peut conclure un contrat qui entrave de quelques façons que ce soit sa liberté de réglementer en matière de zonage en fonction de l'intérêt public.  Pareil engagement serait nul comme étant contraire à l'ordre public.  Le juge LeBel écrit:

" Comme le démontrent clairement la jurisprudence et la doctrine, une restriction du pouvoir de réglementation d'une municipalité représente une question sérieuse.  Comme Rogers, The Law of Canadian Municipal Corporations, l'affirme au par. 199.4, [TRADUCTION] "[à] moins d'être expressément autorisées à le faire, les autorités locales n'ont pas le pouvoir de conclure un contrat ayant pour effet de restreindre ou de retirer les pouvoirs de réglementation des conseils subséquents en ce qui concerne toute matière touchant le public en général".  Rogers ajoute que cela ne signifie pas qu'un conseil qui agit dans l'exercice de ses fonctions en matière de droits de propriété ou d'activités commerciales ne peut pas conclure des contrats.  Cependant, cela signifie qu'un conseil ne peut pas en quelque sorte renoncer à ses pouvoirs de réglementation:  cf. Birkdale District Electric Supply Co. c. Corporation of Southport, [1926] A.C. 355 (H.L.), aux pp. 364, 371 et 372.

On trouve dans la jurisprudence canadienne des  passages qui reflètent de façon éloquente ce principe:

[TRADUCTION]  Nos conseils municipaux sont de véritables organismes législatifs dans les limites de leur compétence, au même titre que le Parlement ou l'assemblée législative, et tout contrat qui entraverait l'exercice régulier du pouvoir discrétionnaire et du jugement d'un membre d'un tel conseil doit également être frappé de nullité comme étant contraire à l'ordre public. (Town of Eastview c. Roman Catholic Episcopal Corporation of Ottawa (1918), 44 O.L.R. 284 (C.A.), aux pp. 297 et 98.)

[L]es municipalités doivent être libres de modifier leurs règlements lorsque cela se révèle nécessaire.  Elles ne peuvent pas conclure avec une tierce partie un contrat dans lequel elles s'engagent et engagent leurs conseils subséquents à maintenir le statu quo.  (Capital Regional District c. District of Saanich  (1980), 115 D.L.R. (3d) 596 (C.S.C.-B.), à la p. 605.)

[U]ne municipalité ne saurait renoncer d'avance à l'exercice de ses pouvoirs de réglementation.  (Re Galt-Canadian Woodworking Machinery Ltd. and City of Cambridge  (1982), 135 D.L.R. (3d) 58 (Cour div. Ont.), à la p. 63, conf. par  (1983), 146 D.L.R. (3d) 768 (C.A.Ont.).

Les pouvoirs de réglementation municipaux font partie intégrante d'un mode de régie auquel les municipalités ne peuvent pas renoncer.  Les conseils municipaux ne sauraient entraver le pouvoir discrétionnaire des conseils subséquents de s'engager dans le processus de réglementation sans subir des influences indues.

Cela implique que, en l'absence d'une mesure législative provinciale mettant en oeuvre une politique officielle différente, les municipalités n'ont pas le droit de vendre un type de zonage:  Jones et de Villars, Principles of Administrative Law (3e éd. 1999), à la p. 181; Vancouver c. Registrar Vancouver Land Registration District, précité; Ingledew's Ltd. c. City of Vancouver, précité.  Elles ne peuvent pas consentir à modifier un zonage ou à le maintenir  en échange d'une contrepartie particulière."[4] (je souligne)

 

[30]           En l'absence d'une disposition législative habilitante une corporation municipale ne peut se lier relativement à son pouvoir de réglementation.  Le juge LeBel précise :

"Une municipalité peut conclure des contrats  relatifs à des droits de propriété et à des activités commerciales, mais elle ne peut pas souscrire à des conditions qui entravent son pouvoir de réglementation, à moins qu'une mesure législative n'énonce une politique officielle  l'autorisant à le faire."[5] (je souligne)

 

[31]           L'engagement de la ville de modifier le zonage était la considération principale qui a conduit les intimées à la signature du protocole.  En souscrivant à cette condition essentielle sans qu'une disposition précise ne l'y autorise, l'engagement de la ville était "ultra vires".  La convention des parties allait à l'encontre d'une règle d'ordre public qui s'impose pour la protection de l'intérêt général.  Un tel contrat doit en conséquence être sanctionné par la nullité absolue.  (1417 C.c.Q.)

[32]           Le contrat entre les parties sera résolu non pas parce que la ville a manqué à ses obligations contractuelles, mais plutôt à cause du caractère illicite de l'objet du contrat.  La nuance est importante.  Les intimées se sont vu accorder des dommages contractuels après que le premier juge eût conclu à la faute de la ville.  La nullité du contrat conclu avec une corporation publique en contravention d'une règle d'ordre public ne peut entraîner une condamnation à des dommages-intérêts.  Les intimées sont des promoteurs immobiliers professionnels.  Elles ne sont pas sans savoir que les corporations publiques sont régies par des règles particulières souvent impératives.  Le manquement à ces règles entraîne la nullité de la convention sans que le cocontractant ne puisse réclamer des dommages.  L'arrêt Gravel c. St-Léonard[6] en est un parfait exemple.  L'ingénieur Gravel avait préparé des plans et devis pour la ville de St-Léonard.  Il réclamait ses honoraires de 697 000,00$.  La ville de St-Léonard ne pouvait, selon les règles de l'époque, engager son crédit sans la permission de la Commission municipale.  Cette permission n'avait pas été obtenue.

[33]           La Cour suprême confirma l'arrêt de notre Cour qui avait affirmé qu'aucun dommage ne pouvait être accordé.  La ville de St-Léonard ne pouvait être liée puisqu'une règle d'ordre public n'avait pas été respectée.

[34]           Dans l'arrêt Pacific National Investments Ltd c. Ville de Victoria (précité) le juge LeBel écrit :

"L'obligation d'indemniser pour une décision de ce genre en matière de réglementation assujettirait nécessairement cette décision à des considérations autres que l'examen objectif du meilleur intérêt de la collectivité."[7]

 

[35]           Pour la minorité le juge Bastarache écrit:

"Il est reconnu que la ville ne peut être tenue responsable de la violation d'une clause ultra-vires". (paragr. 89)

 

[36]           La dissidence du juge Bastarache repose essentiellement sur sa conclusion que la ville avait le pouvoir, aux termes des lois de Cobombie-Britannique, de souscrire à la clause implicite litigieuse (paragr. 92 et suiv.).

[37]           En droit civil, en l'espèce, il n'y a pas de faute contractuelle.  Je ne saurais pas non plus conclure à l'existence d'une faute extracontractuelle.  Le respect des règles intéressant l'ordre public instaurées pour la protection de l'intérêt général incombe à toutes les parties contractantes.  Les parties ne peuvent pas les ignorer et encore moins réclamer des dommages à la suite de leur violation.

[38]           Par voie de conséquence, les condamnations pour des dommages pour la perte de valeur du terrain "B" (204 500$) et pour troubles et inconvénients (10 000$) doivent être retranchées du dispositif du jugement entrepris.

[39]           Reste à disposer de l'ordonnance de remboursement de taxes foncières du terrain "A" et de l'évaluation retenue par le premier juge de ce terrain.

[40]           J'analyse ces deux derniers points à l'aide des règles applicables à la restitution des prestations et à ses accessoires.  L'acte juridique est anéanti de façon rétroactive.  Chaque partie doit restituer la prestation reçue.  Le premier juge a conclu, à bon droit, que la restitution du Terrain "A" entraînait «des conséquences non souhaitables et contraires au bon sens».  Il s'inspirait sans aucun doute de la règle d'exception énoncée à l'article 1700 C.c.Q. :

"La restitution des prestations se fait en nature, mais si elle ne peut se faire ainsi en raison d'une impossibilité ou d'un inconvénient sérieux, elle se fait par équivalent.

L'équivalence s'apprécie au moment où le débiteur a reçu ce qu'il doit restituer."

 

[41]           À l'évidence cette règle s'impose.  À l'audience, aucune des parties n'a soutenu qu'il devait en être autrement.  Le débat a uniquement porté sur l'évaluation du terrain "A" si jamais la ville échouait quant au caractère autonome et distinct de cette partie de la convention.

[42]           Le premier juge a été appelé à trancher un débat d'expert évaluateur afin de fixer la valeur du terrain "A".  Les intimées avaient retenu les services d'André Poisson de la firme Poisson, Bazinet et Associés (P.B.A.).  Réal Provost de la firme Thérien, Dansereau, Courcelles (T.D.C.) agissait pour la ville.

[43]           L'approche initiale de chaque expert est correctement décrite au tableau P-42.A:

"HABITATION RIVE-NORD

DIFFÉRENCE ET SIMILITUDE

RAPPORTS D'ÉVALUATION

 

PBA                             TDC

Terrain commercial Brien                   8,00 $/p.c.                   8,50 $/p.c.

Moins value commerciale                25% (P14)                 25% (P36)

secteur Valmont

Absence de bretelle                            ----                               -25% (P38)

Ratio d'occupation au sol                   ----                               -17% (P39)

Actualisation de la valeur                 ----                               période 7 ans à 8%

                                                                                                (P39) en 3 phases

Valeur finale du terrain                        6,00 $/p.c.(P15)          0,86 $/p.c. (P49)

Dommage au résidu                           540 500 $ (P15)          ----

Plus value au résidu                           ----                               227 000 $ (P53)"

 

[44]           Les deux experts ont recours à la même technique d'évaluation (technique de parité),  Ils retiennent tous deux les mêmes comparables.  Leur conclusion diffère pourtant considérablement :  4$ le pied carré pour l'expert Poisson et 0,86 $ le pied carré pour l'expert Provost.  L'écart s'explique par trois ajustements à la baisse effectués par l'expert de la ville:

1.      ajustement pour l'absence de bretelle de sortie à proximité du terrain "A"
(-25%).

 

2.      actualisation de la valeur sur une période de 7.15 années à un taux de 8%.

 

3.      ratio d'occupation au sol (-17%).

 

 

[45]           Le premier juge a examiné les deux premiers ajustements.  Le jugement ne traite pas du troisième ajustement.

[46]           Avant d'entreprendre l'analyse de la question, il y a lieu de rappeler que l'évaluation des témoignages d'expert est laissée à l'appréciation souveraine du juge d'instance.  À moins d'une erreur manifeste et déterminante, une Cour d'appel ne doit pas intervenir sur ces questions.[8]

[47]           Je dispose en tout premier lieu du troisième facteur d'ajustements :  le ratio d'occupation au sol.  Cet ajustement n'a pas été repris par l'expert Provost dans son témoignage.  Seul l'expert Poisson en traite pour signaler que cette question fut réglée entre les experts et qu'elle n'est plus pertinente au débat.  Le silence du premier juge sur cette question allait de soi.  Il n'avait pas à examiner la portée d'un ajustement devenu sans objet.

[48]           En second lieu, j'aborde ensemble les deux premiers ajustements proposés par l'expert Provost.

[49]           Les deux experts partaient de prémisses similaires :  l'évaluation du terrain doit s'effectuer en fonction d'un zonage commercial, la technique de parité est la seule méthode applicable.  De même, les deux experts s'entendent sur les ventes retenues à seule fin de comparaison.

[50]           La proposition principale de la ville veut que le juge de première instance ait commis une erreur manifeste et déterminante en attribuant au terrain "A" une même valeur qu'au terrain "B", ce dernier étant desservi par une bretelle de sortie, alors que le terrain "A" ne l'était pas aux fins d'évaluer sa valeur.

[51]           Ce reproche est sans fondement.

[52]           Il importe de reprendre la dynamique des témoignages et des admissions.  Les deux experts avaient reçu un double mandat.  Ils devaient fixer la valeur du terrain "A" et la perte de valeur du terrain "B" à la suite de l'échec du protocole.  Avant d'entreprendre leur témoignage, ils ont convenu hors cour de fixer la valeur du Terrain "B" à 4$ le pied carré si le protocole avait été respecté.  Il s'agissait là d'un compromis.  L'expert Poisson, dans un témoignage non contredit, a affirmé avoir accepté le prix de 4$.  Jamais, ajoute-t-il, il n'a été question de fixer ce prix en fonction de la présence ou de l'absence d'une bretelle de sortie.  Au contraire, ses sujets comparables ne tenaient pas compte d'un tel facteur.

[53]           Mais il y a plus.

[54]           Le débat entre experts ne portait pas sur cette question.  Il suffit d'examiner le témoignage de l'expert de la ville pour nous en convaincre.  Contrairement au texte de son rapport, l'expert Provost témoigne du cheminement intellectuel qu'il a suivi pour fixer la valeur du terrain "A".  Il débute par l'analyse d'une vente d'un terrain comparable, soit la vente à "I.G.A." conclue pour un prix de 5,50$ le pied carré.  Il applique une dépréciation globale de 25% pour tenir compte de l'absence de bretelle de sortie et d'un secteur moins favorable à la comparable I.G.A.: rue Valmont par rapport au secteur du boul. Brien.  Il obtient donc un prix après ces ajustements de 4$ le pied carré.

[55]           Ce montant est similaire à celui retenu par l'expert Poisson.  La seule question en jeu était de savoir si le prix devait être réduit par d'autres ajustements proposés par l'expert Provost qui conclut à un montant de 0,86$ le pied carré.  Provost parvient à ce résultat par un mécanisme d'actualisation et de réduction de valeur en fonction de la profondeur du terrain.  Au risque de simplifier sa pensée, Provost fait deux hypothèses: le terrain se développera sur une période de 10 années et la valeur du terrain varie en fonction de sa profondeur.

[56]           Le premier juge n'a pas retenu ces hypothèses.  Elles reposaient sur des simples conjectures.  Aucun élément factuel et pertinent ne les appuyait.  Il a préféré l'approche directe de l'expert des l'intimées.  Ce dernier a examiné la vente de terrains comparables.  Rien dans l'analyse de ces ventes ne justifiait les ajustements proposés par l'expert de la ville.

[57]           Je suis d'avis que le juge d'instance a correctement apprécié ces témoignages.  Il n'a commis aucune erreur qui justifierait l'intervention de la Cour.  Son analyse est rigoureuse.  Il tranche un débat qui relève de son appréciation souveraine des faits et des témoignages d'expert.  Il retient l'expertise qui s'appuie sur des éléments prouvés qu'il préfère aux conjectures de la partie adverse.

[58]           Reste à disposer de l'ordonnance de remboursement de taxes municipales payées par les intimées sur le terrain "A".  À toutes fins utiles la ville s'est emparée de ce terrain le 9 octobre 1996, à compter de la signature de l'acte de servitude.  Le terrain a servi depuis pour l'usage du public.  La ville s'est conduite en véritable propriétaire.  Elle a eu l'usage constant de l'immeuble depuis 1996.  Tout au long des procédures, les parties ont tenu pour acquis que la ville conservait la propriété nonobstant la demande en nullité de l'acte.  La ville suggère que les intimées auraient dû déposer une plainte auprès du Tribunal administratif du Québec et qu'à défaut, leur réclamation est irrecevable.  Soit dit avec égards, je ne suis pas de cet avis.   Il n'aurait été d'aucun secours aux intimées de se plaindre de la valeur inscrite au rôle d'évaluation et encore moins de la qualité de propriétaire qui faisait l'objet du débat devant la Cour supérieure.

[59]           Je propose de faire droit à l'appel avec dépens à la seule fin de retrancher du dispositif du jugement la condamnation de 214 500,00 $.

 

 

 

 

________________________________

ANDRÉ ROCHON J.C.A. (AD HOC)

 

 

[N.D.L.É. : Schéma non reproduit en l’espèce, veuillez vous référer au texte intégral papier original.]



[1]               M.A., page 42, clause 6.

[2]           J'annexe à la présente opinion un schéma qui reprend les cessions et échanges de terrains convenus au protocole de juin 1996.  J'utilise les lettres de ce schéma aux fins de la présente opinion.

[3]           [2000] C.S.C. 64 , 14 décembre 2000.

[4]           id., paragr.55-56-57.

[5]           id., paragr. 65.

[6]           [1978] 1 R.C.S. 660 .

[7]           id., paragr. 64.

[8]           Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351 .

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