Batten et Chariots Kirmar inc. |
2012 QCCLP 7405 |
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[1] Le 13 avril 2012, monsieur Bruce Batten (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 6 mars 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 4 janvier 2012. Elle conclut que la demande de révision du travailleur a été produite hors délai, mais qu’un motif raisonnable a été démontré pour le relever de son défaut. Elle déclare que le travailleur n’a pas subi le 28 octobre 2011 de lésion professionnelle et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi). Par conséquent, la réclamation par la CSST de la somme de 841,73 $ est justifiée. Cette somme sera exigible quand la décision deviendra finale.
[3] L’audience s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield, le 25 octobre 2012, en présence du travailleur, du représentant des Chariots Kirmar inc. (l’employeur) monsieur Ricky Jones et de son avocat.
[4] Le tribunal a mis le dossier en délibéré à la fin de l’audience le 25 octobre 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a subi le 28 octobre 2011 une lésion professionnelle en raison d’un accident du travail et d’infirmer la décision de l’instance de révision de la CSST.
LES FAITS
[6] Le travailleur, âgé de 20 ans, a été embauché à titre de mécanicien chez l’employeur le 26 septembre 2011.
[7] Le vendredi 28 octobre 2011, il a terminé son quart de travail.
[8] Les samedi et dimanche 29 et 30 octobre 2011, il est en congé.
[9] Le 31 octobre 2011, il ne se présente pas au travail et déclare un évènement survenu le 28 octobre 2011 à son employeur. La dernière journée travaillée est donc le 28 octobre 2011, comme il appert de l’avis et demande de remboursement de l’employeur à la CSST.
[10] Le 31 octobre 2011, il consulte un docteur (nom illisible) en lien avec un évènement en date du 28 octobre 2011. Le médecin remplit une attestation médicale initiale à l’intention de la CSST, diagnostique une entorse lombaire à la suite d’un effort, prescrit du Celebrex et du Flexeril.
[11] Le 7 novembre 2011, le travailleur voit le docteur Lalonde. Le médecin maintient le diagnostic d’entorse lombaire et prolonge l’arrêt de travail jusqu’au 22 novembre suivant.
[12] Le 22 novembre 2011, le docteur Lalonde revoit le travailleur. Il rapporte que l’entorse lombaire est améliorée et suggère du travail allégé.
[13] À sa réclamation à la CSST en date du 2 décembre 2011, le travailleur allègue que le vendredi 28 octobre 2011, alors qu’il déplace des paquets de fourches de chariots élévateurs, l’un d’eux commence à tomber vers lui. Il tente de l’attraper avant qu’il ne le frappe et sent que quelque chose se produit dans le bas de son dos. Il termine son quart de travail.
[14] Le 8 décembre 2011, le docteur Lalonde produit un rapport médical final. L’entorse lombaire est consolidée en date du 8 décembre 2011, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles.
[15] Le 29 décembre 2011, le travailleur s’entretient avec la CSST. L’évènement est survenu le 28 octobre 2011, mais il a terminé son quart de travail. Il n’a pas déclaré l’évènement à son employeur le 28 octobre 2011 croyant que la douleur disparaîtrait durant la fin de semaine. Il a consulté le 31 octobre 2011, car la douleur était devenue trop grande. Il a déclaré l’évènement à son employeur le 31 octobre 2011. Il devait déplacer des paquets de fourches de chariot élévateur. Un paquet est tombé vers lui et il a tenté de le rattraper. Lorsqu’il a rattrapé le paquet de fourches, il a ressenti une douleur dans le bas de son dos. Il était en mesure de faire son travail régulier, mais ressentait de la douleur. Cette dernière est devenue plus grande lorsqu’il était à son domicile.
[16] Le 29 décembre 2011, l’agente de la CSST documente sa décision d’admissibilité de la lésion professionnelle. Elle refuse la lésion à cause des délais dans la déclaration de l’évènement à l’employeur et dans la première consultation médicale. Elle note que le travailleur a pu poursuivre son travail régulier le 28 octobre 2011 et qu’il avait la possibilité de déclarer l’évènement à son employeur le 28 octobre 2011.
[17] À sa demande de révision du 20 février 2012, le travailleur relate que son employeur lui a demandé d’empiler des paquets de fourches de chariots élévateurs les uns sur les autres sur une palette. Ce qui était peu prudent vu le poids de ces fourches. À la fin de la journée, il charge les derniers paquets, quand l’un d’eux commence à tomber vers lui. Instinctivement, il veut le rattraper. Il se tenait debout de côté quand il a tenté de rattraper le paquet et il a ressenti un pop et une déchirure (rip) dans le bas du dos. Il était alors 14h50 et il terminait à 15h30. Il a fini son quart de travail. Son dos était un peu douloureux, mais il a cru qu’il irait bien. En remisant ses outils, il a dit à un autre mécanicien, Stéphane (Ménard), ce qui s’était produit et que son dos était douloureux, car il ne pouvait trouver son patron qui avait sans doute quitté plus tôt comme d’habitude le vendredi. Le lundi suivant, en conduisant son véhicule en route vers le travail, son dos est tellement douloureux qu’il ne peut conduire. Alors, il arrête et appelle son patron. Son épouse répond. Il lui explique et lui dit qu’il se rend chez le docteur. Après la consolidation, au retour au travail, il a été mis à pied.
[18] Le 1er mars 2012, le travailleur laisse un message à la CSST. Un de ses collègues a écrit qu’il s’était fait mal au travail, mais l’employeur a confisqué la lettre.
[19] À l’instance de révision de la CSST, le travailleur soumet qu’il s’est blessé en effectuant son travail. Il déclare qu’il a fait un faux mouvement en tentant de rattraper la fourche qui tombait. La douleur a augmenté durant la fin de semaine, mais lundi matin, le 31 octobre 2011, il se sentait mieux. À mi-chemin, en route vers le travail cette journée-là, il arrête sa voiture et appelle la femme de son employeur qui est aussi comptable pour lui dire qu’il va consulter un médecin. Il affirme avoir déclaré l’évènement le jour même à son superviseur et que ce dernier signera une déclaration à cet effet. Par la suite, le travailleur déclare qu’il a été incapable d’obtenir la déclaration écrite du superviseur, car ce dernier aurait été surpris au travail en train de la rédiger et l’employeur le lui a retirée. L’employeur soutient qu’il n’a jamais empêché quiconque de faire une déclaration.
[20] À sa contestation à la Commission des lésions professionnelles, il affirme que ses déclarations ont mal été reproduites. Il a connu des complications avec un collègue qui devait attester qu’il s’est fait mal au travail le 28 octobre 2011, mais sa déclaration a été prise par son patron, monsieur Rick Jones.
[21] D’entrée de jeu à l’audience, le travailleur décline le droit à un représentant et choisit d’agir seul.
[22] Le travailleur a témoigné.
[23] Il est au service de l’employeur depuis le 26 septembre 2011 à raison de 40 heures par semaine.
[24] Une fourche de chariot élévateur pèse de 50 à 100 livres et a des coins coupants.
[25] Le 28 octobre 2011, alors qu’il empilait des paquets de fourches de chariot élévateur sur une palette, les côtés ont commencé à tomber. Il a tenté de les arrêter avant qu’ils ne tombent. Certains paquets sont tombés, l’ont frappé dans les jambes et l’ont coupé. En tentant de les rattraper, il a entendu un pop et senti une déchirure dans le bas du dos. Le dos était douloureux, mais pas insupportable. Cela s’est produit à la fin de la journée qui débute à 7h et se termine à 15h30, à 14h50. Il se trouvait, seul, dans le fond de l’atelier et personne ne l’a vu.
[26] Questionné, le travailleur explique que quatre fourches mesurent un pied de hauteur et pèsent entre 200 et 400 livres et ne peuvent être soulevées, car trop lourdes. La pile tombait. Il était debout, à côté, faisant face à la pile. Il s’est déplacé sur le côté, a étiré le bras pour arrêter la pile et a senti un pop et une déchirure. Il a plié le tronc et étiré le bras et son dos a tourné en même temps. Il y a eu un gros bruit, mais personne n’est venu voir.
[27] En nettoyant son banc de travail, près de Stéphane Ménard, il lui a dit ce qui était arrivé et que son dos était douloureux, car il n’y avait personne d’autre aux alentours à la fin de la journée. Il ne pouvait trouver son superviseur, monsieur Jones, et a vu monsieur Ménard et un autre mécanicien. Il n’y avait personne d’autre présent, ils quittent tôt le vendredi. Il n’a pas vu Jean-Philippe Clermont, qui remplace monsieur Jones en son absence. Il n’a pas tenté de rejoindre monsieur Jones. Il s’est nettoyé et a cru que le problème se résorberait.
[28] Interrogé, le travailleur confirme qu’il ne sait si quelqu’un d’autre était présent au travail le vendredi et que monsieur Jones lui a donné ses coordonnées de cellulaire. Il n’a pas tenté de le rejoindre au téléphone, il n’avait plus ses coordonnées. Il n’a parlé de l’incident à personne d’autre qu’à Stéphane Ménard et le lundi suivant. Il n’a tenté de rejoindre personne d’autre.
[29] Durant la fin de semaine, le dos est douloureux, mais pas insupportable. Il croit qu’il se rétablit. Il est resté à la maison avec son père et n’a rien fait, sauf des étirements et prendre des comprimés Tylenol. Il n’a pas vu de médecin.
[30] Le lundi 31 octobre, en conduisant au travail, la douleur est insupportable. Il ne peut rester assis dans sa voiture. Il a téléphoné à la comptable, madame Jones, l’épouse de son patron, et lui a dit ce qui était arrivé et qu’il allait voir son médecin de famille.
[31] Le docteur Lalonde a diagnostiqué une entorse lombaire basse.
[32] Au moment de l’incident, le travailleur évalue la douleur à 4/10 de même qu’à la maison durant la fin de semaine. Le lundi en conduisant, la douleur se situe à 9/10. Il a mis un mois avant que la douleur ne commence à s’améliorer.
[33] Il a mis deux mois avant de se rétablir et de pouvoir retourner au travail. Le 8 ou 9 décembre 2011, il est retourné au travail et a été remercié.
[34] En contre-interrogatoire, le travailleur dit qu’il a travaillé cinq semaines avant l’évènement. Il a manqué beaucoup de temps de travail : la journée du 7 octobre, une heure de travail le 14 octobre, quatre heures de travail le 18 octobre pour prendre soin de son père, huit heures de travail le 19 octobre, une heure de retard le 24 octobre pour des problèmes de voiture, trois heures le 25 octobre, 30 minutes le 27 octobre 2011. Il a manqué l’équivalent de 7 jours de travail sur 25 jours, ou sur 24 jours si on exclut le congé de l’Action de grâce.
[35] Il confirme que monsieur Jones l’a averti qu’il ne pouvait continuer de la sorte. Il a eu beaucoup de problèmes et c’est sa faute s’il a perdu son emploi de rêve.
[36] Il n’a jamais eu de problèmes au dos avant ni d’accident du travail.
[37] Il était mécanicien sauf pour les deux derniers jours de travail où il effectuait du nettoyage. Il sait que son patron n’est pas content de ses absences, mais ignorait qu’il pouvait être congédié à cause de ces dernières.
[38] Il a un deuxième travail, il récupère des pièces de métal, mais n’avait fait aucune récupération du 24 au 28 octobre et les 29 et 30 octobre 2011.
[39] Monsieur Robert William Thomas Batten a également témoigné à l’audience. Il est le père du travailleur.
[40] Il a entendu une conversation sur le haut-parleur du téléphone entre son fils et monsieur Ménard. Le travailleur lui a demandé s’il pouvait remplir un papier parce qu’il s’est fait mal et monsieur Jones n’était pas là.
[41] Monsieur Ménard a accepté de remplir le papier reconnaissant que le travailleur lui avait dit au sujet de l’accident, mais qu’il avait peur de perdre son emploi. Monsieur Ménard était inquiet pour son travail s’il remplissait le papier. Ce fut la fin de cette conversation. Puis 10 minutes après, monsieur Ménard a rappelé pour dire que monsieur Jones avait pris le papier et que si la CSST le voulait qu’elle l’appelle et il lui donnerait le papier.
[42] En contre-interrogatoire, le témoin confirme que cet entretien a eu lieu en fin d’avant-midi après que son fils ait été congédié en décembre 2011. Le travailleur a téléphoné à monsieur Ménard et l’a mis sur le haut-parleur, sans le lui dire, et le témoin a écouté. Il indique que le papier n’avait pas encore été écrit et qu’il a commencé à l’écrire et monsieur Jones l’a pris. Monsieur Ménard a indiqué qu’il pouvait remplir un papier indiquant que le travailleur a dit qu’il s’est fait mal, mais pas qu’il a vu l’accident ou se blesser. Le témoin confirme que monsieur Ménard parlait en anglais et pas très bien.
[43] Monsieur Stéphane Ménard a témoigné à l’audience à la demande de l’employeur.
[44] Il est mécanicien au service de l’employeur depuis 15 ans. Il n’a pas de responsabilité de supervision.
[45] Le 28 octobre 2011, le travailleur lui a dit : j’ai mal dans le dos, mon dos est fini. Le travailleur n’a pas fait de lien avec le travail. Il n’a rien vu. Le travailleur lui a dit qu’il s’est fait mal au dos et il lui a répondu : tu as la fin de semaine, tu devrais être correct lundi. Il ne connaît pas le travailleur et n’a pas à aviser qui que ce soit. Il fait son travail.
[46] Le travailleur lui a téléphoné pour lui demander de venir témoigner. Le travailleur lui a aussi donné un coup de fil pour lui demander un papier et il lui a répondu qu’il n’a rien vu.
[47] En contre-interrogatoire, il répète que le travailleur lui a donné un coup de fil et lui a demandé s’il peut faire un papier disant qu’il était au courant qu’il s’est blessé, un mal dans le dos. Il n’a rien vu. Il n’est pas superviseur et il n’a rien à voir là-dedans.
[48] Il ajoute qu’il n’est pas sûr d’avoir bien compris monsieur Batten en anglais. Il a compris que le travailleur voulait qu’il remplisse un papier disant ce qui s’était passé et il lui a répondu qu’il n’a rien vu. Il n’était pas sûr à 100 % de faire un papier. Il a parlé à son patron qui lui a répondu que ce n’est pas à lui que le travailleur doit parler, c’est au patron.
[49] Il est catégorique. Le travailleur a dit j’ai une douleur. Il n’a pas fait le lien et n’a pas dit accident du travail.
[50] Le travailleur a un deuxième travail. Il ramasse des métaux et dans les cinq semaines avant, il y avait des pièces de métal dans son camion.
[51] Monsieur Ricky Jones a témoigné à l’audience.
[52] Il a embauché le travailleur comme apprenti pour l’entraîner comme mécanicien. Il a commencé chez l’employeur le 26 septembre et la dernière journée fut le 28 octobre 2011.
[53] Le travailleur était souvent absent du travail et avait beaucoup d’excuses, comme des problèmes de voiture, son père à l’hôpital, la maladie. Il avait cumulé beaucoup d’absences et avait été averti. Une semaine avant le 28 octobre 2011, le témoin a expliqué au travailleur qu’il ne peut avoir quelqu’un qui manque. Il ne pouvait l’entraîner parce qu’il manquait. Aussi, il lui donne du ménage à faire.
[54] Jean-Philippe Clermont et le témoin ont parlé le 28 octobre 2011 et ils ont décidé de remercier le travailleur, le lundi suivant.
[55] Selon leur procédure, le travailleur doit aviser monsieur Jones ou monsieur Clermont d’un accident et toujours un des deux est présent. Son cellulaire est toujours ouvert et il a donné son téléphone au travailleur. Le 28 octobre 2011, il a quitté vers 13h ou 13h30
[56] Il a appris que le travailleur se serait blessé quand madame Sandy Jones a reçu l’appel du travailleur qui disait que son dos était douloureux et il allait voir un docteur.
[57] Interrogé, le témoin mentionne que monsieur Clermont et lui-même partagent un bureau. Un mécanicien est difficile à trouver et l’employeur les entraîne. Ils ont discuté durant la semaine de ce qu’ils allaient faire. Le vendredi matin, monsieur Clermont a dit je ne peux pas prendre de commandes, il est absent. Ils ont décidé de laisser aller jusqu’au lundi, car il ne remercie pas le vendredi.
[58] Monsieur Clermont était là le 28 octobre 2011 et allait barrer l’entreprise. Le bureau de monsieur Clermont est dans l’atelier et sa porte ouvre sur l’atelier à 30 pieds du travailleur. Le bureau est tout vitré, on y voit l’atelier et monsieur Clermont est au bureau.
L’AVIS DES MEMBRES
[59] Le membre issu des associations d’employeurs trouve qu’il y a des délais de déclaration à l’employeur et de consultation médicale et on ne sait pas ce qui est arrivé. Le travailleur affirme qu’il a parlé à monsieur Ménard de l’accident, mais ce dernier dit plutôt que le travailleur lui a dit qu’il s’est blessé sans lui parler d’un accident du travail. De plus, le travailleur appelle monsieur Ménard après son congédiement. Le travailleur affirme que la douleur est devenue insupportable le lundi suivant, soit 72 heures après l’évènement, alors on ne peut relier l’évènement au travail. Le membre rejetterait la réclamation du travailleur et maintiendrait la décision de l’instance de révision de la CSST.
[60] Le membre issu des associations syndicales trouve le témoignage du travailleur crédible. Il a parlé à son confrère et n’a vu personne d’autre au travail pour déclarer l’évènement à l’employeur. Le travailleur a expliqué les délais et le membre considère que la présomption de l’article 28 doit s’appliquer. Il accepterait la lésion professionnelle et infirmerait la décision de l’instance de révision de la CSST.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[61] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle en raison d’un accident du travail le 28 octobre 2011.
[62] Le tribunal ne peut faire droit aux prétentions du travailleur et s’explique.
[63] Notons, d’entrée de jeu, que le tribunal partage le point de vue de la CSST eu égard au motif raisonnable démontré pour justifier la demande de révision tardive du travailleur. Il n’est donc pas opportun d’y revenir plus longtemps.
[64] Les notions de lésion professionnelle et d’accident du travail sont définies à l’article 2 de la Loi.
[65] Une lésion professionnelle est une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
[66] Un accident du travail est un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle.
[67] Ainsi, pour obtenir les prestations qu’il réclame, le travailleur doit établir qu’il a subi une lésion professionnelle par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail.
[68] Afin de faciliter la preuve d’une lésion professionnelle, le législateur a édicté une présomption légale à l’article 28 de la Loi, en l’occurrence : une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
[69] Les dispositions de l’article 28 de la Loi sont explicites. Trois conditions sont nécessaires à l’application de la présomption. Il faut : 1- une blessure, 2- qui arrive sur les lieux du travail, 3- alors que le travailleur est à son travail.
[70] Le travailleur doit démontrer, par une preuve prépondérante que les trois conditions sont satisfaites. Il pourra alors profiter de l’effet de la présomption légale. Si la présomption s’applique sans être contrée, le travailleur pourra voir sa lésion reconnue comme une lésion professionnelle sans l’obliger à prouver le fait accidentel ou la causalité entre la blessure et le travail. L’employeur ou toute partie intéressée peut réfuter cette preuve et renverser la présomption en établissant l’absence de causalité entre la blessure diagnostiquée et l’évènement. En l’absence de cette démonstration contraire, le travailleur verra sa lésion reconnue.[2]
[71] Cette présomption légale s’applique-t-elle dans ce cas-ci?
[72] La première condition nécessaire est la présence d’une blessure.
[73] Le tribunal doit donc regarder quel est le diagnostic à retenir en l’espèce? Les 31 octobre, 7 et 22 novembre ainsi que le 8 décembre 2011, le médecin qui a charge du travailleur pose le diagnostic d’entorse lombaire.
[74] Au stade de l’admissibilité de la lésion, rappelons qu’aucun autre diagnostic n’a été posé dans ce cas du côté de l’employeur ou de la CSST. Il n’y a pas eu contestation du diagnostic par la voie de la procédure d’arbitrage médical prévue aux articles 216, 217, 221 et 222 de la Loi ou avis du Bureau d’évaluation médicale. Le tribunal est donc lié par le diagnostic du médecin qui a charge du travailleur selon les dispositions des articles 224, 224.1 et 212 de la Loi.
[75] Le tribunal retient donc que la lésion diagnostiquée par le médecin du travailleur est une entorse lombaire.
[76] La lésion diagnostiquée équivaut-elle à une blessure au sens de l’article 28 de la Loi?
[77] La Commission des lésions professionnelles a déjà statué qu’une blessure au sens de l’article 28 de la Loi est une lésion de nature traumatique.[3] Cette lésion doit être provoquée par un agent vulnérant extérieur qui peut se manifester sous la forme d’une pression, de la chaleur, ou autres.[4] En général, on retient qu’une blessure constitue une lésion aux tissus vivants provoquée par un agent vulnérant extérieur qui entraîne une perturbation dans la texture des organes ou une modification dans la structure normale d’une partie de l’organisme.[5]
[78] Une entorse lombaire entraîne une perturbation dans la texture des organes ou une modification dans la structure normale d’une partie de l’organisme.
[79] De plus, les circonstances décrites par le travailleur signalent la présence d’un agent vulnérant extérieur et d’une lésion traumatique.
[80] La Commission des lésions professionnelles a déjà décidé que la survenance d’une entorse nécessite obligatoirement la présence d’un agent extérieur, soit un mouvement brutal de distorsion, occasionnant une élongation ou arrachement des ligaments sans déplacement des surfaces articulaires ni fracture. [6]
[81] La jurisprudence a donc conclu qu’une entorse répond à la définition de blessure au sens de l’article 28 de la Loi.[7]
[82] Le tribunal trouve donc que l’entorse lombaire présente en l’espèce constitue une blessure au sens de l’article 28 de la Loi.
[83] Cette blessure est-elle arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail?
[84] Même si le tribunal retient que l’entorse lombaire constitue une blessure au sens de l’article 28 de la Loi, il ne trouve pas que le travailleur a fait la démonstration que cette blessure est arrivée, le jour dit, sur les lieux du travail alors qu’il est à son travail.
[85] En vertu des dispositions des articles 267 et 199 de la Loi, le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui le rend incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion doit remettre à son employeur une attestation médicale que le médecin qui le premier en prend charge est tenu de lui remettre sans délai.
[86] Dans ce cas-ci, le travail cesse le 28 octobre 2011 et la première attestation médicale est en date du 31 octobre 2011, soit trois jours après l’évènement allégué.
[87] Les délais dans la première consultation médicale et dans le premier rapport médical adressé à la CSST ne documentent pas que l’évènement allégué est arrivé le jour dit, soit le 28 octobre 2011, dans les circonstances décrites.
[88] Selon l’employeur, le travailleur lui a déclaré l’évènement le 31 octobre 2011.
[89] Selon les notes évolutives du 29 décembre 2011, le travailleur a confirmé à la CSST qu’il n’avait pas déclaré l’évènement à son employeur avant le 31 octobre 2011.
[90] Le tribunal retient que le travailleur a confirmé, au départ, à la CSST qu’il avait déclaré l’évènement à son employeur le 31 octobre 2011.
[91] Il y a également un délai dans la déclaration de l’évènement à l’employeur.
[92] En vertu des dispositions de l’article 265 de la Loi, le travailleur victime d'une lésion professionnelle doit en aviser son employeur, avant de quitter l'établissement.
[93] Le délai dans la déclaration de l’évènement à l’employeur ne documente pas que l’évènement est survenu le 28 octobre 2011, sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail.
[94] La Commission des lésions professionnelles a maintes fois décidé que l’omission par un travailleur de rapporter immédiatement un évènement accidentel à son employeur ou son omission de consulter rapidement un médecin ne constitue pas en soi un obstacle à l’application de la présomption.[8]
[95] La dénonciation à l’employeur et la consultation médicale sont des éléments qui pourront servir à apprécier la crédibilité de la version des faits donnée par le travailleur, à colorer l’appréciation de la preuve des éléments requis à l’article 28 de la Loi.[9]
[96] La version des faits donnée par le travailleur présente des contradictions, est peu crédible et ne convainc pas le tribunal.
[97] La version des faits donnée par le travailleur présente des contradictions au niveau de la déclaration de l’évènement à l’employeur. Il n’a pas déclaré à l’employeur avant le 31 octobre 2011, malgré qu’il le pouvait, parce qu’il espérait que le problème se résorberait. Il aurait déclaré l’évènement à son superviseur le jour même et ce dernier signera une déclaration écrite à cet effet. Puis, il n’a pas été capable d’obtenir la déclaration écrite du superviseur parce que ce dernier aurait été surpris au travail en train de la rédiger et que l’employeur lui a retirée. Selon le témoignage du travailleur, son superviseur est monsieur Jones et non, monsieur Ménard. Il n’a pas déclaré parce que personne n’était là, mais il n’a pas vérifié. Il l’aurait déclaré à monsieur Ménard qui craint de lui remettre un document.
[98] Monsieur Jones rétorque qu’il a appris l’évènement le 31 octobre et pas avant, qu’il n’empêche personne de déclarer et que monsieur Clermont se trouvait au bureau ce jour-là.
[99] Monsieur Ménard dit : il n’est pas le superviseur et le travailleur ne m’a jamais parlé d’un accident du travail.
[100] La version des faits donnée par le travailleur présente aussi des contradictions au niveau de la description de l’évènement du 28 octobre 2011.
[101] À sa réclamation à la CSST en date du 2 décembre 2011, il déplace des paquets de fourches de chariots élévateurs, l’un d’eux commence à tomber vers lui. Il tente de l’attraper avant qu’il ne le frappe et sent que quelque chose se produit dans le bas de son dos. Il n’a donc pas été frappé.
[102] À la CSST, il devait déplacer des paquets de fourches de chariot élévateur. Un paquet est tombé vers lui et il a tenté de le rattraper. Lorsqu’il a rattrapé le paquet de fourches, il a ressenti une douleur dans le bas de son dos.
[103] À sa demande de révision, il charge les derniers paquets, quand l’un d’eux commence à tomber vers lui. Instinctivement, il veut le rattraper. Il se tenait debout de côté quand il a tenté de rattraper le paquet et il a ressenti un pop et une déchirure (rip) dans le bas du dos.
[104] À l’instance de révision de la CSST, il a fait un faux mouvement en tentant de rattraper la fourche qui tombait.
[105] À l’audience, il empilait des paquets de fourches de chariots élévateurs sur une palette, les côtés ont commencé à tomber. Il a tenté de les arrêter avant qu’ils ne tombent. Certains paquets sont tombés, l’ont frappé dans les jambes et l’ont coupé. En tentant de les rattraper, il a entendu un pop et senti une déchirure dans le bas du dos. Ou encore, la pile tombait, il était debout, à côté, faisant face à la pile, il s’est déplacé sur le côté, a étiré le bras pour arrêter la pile et a senti un pop et une déchirure, il a plié le tronc, étiré le bras et son dos a tourné en même temps.
[106] La version des faits donnée par le travailleur présente des discordances au niveau de la douleur ressentie.
[107] La douleur est devenue plus grande lorsqu’il était à son domicile et trop grande le 31 octobre 2011, ou encore la douleur a augmenté durant la fin de semaine, mais lundi matin, le 31 octobre 2011, il se sentait mieux ou finalement, à l’audience, la douleur ressentie sur le coup et par la suite durant la fin de semaine est stable et devient insupportable le lundi suivant.
[108] Le travailleur demande au tribunal de retenir que les fourches ont fait un gros bruit en tombant, mais que personne n’est venu voir ou qu’il est victime d’une entorse lombaire au travail le vendredi 28 octobre 2011, mais peut terminer son quart de travail ou encore que la douleur en lien avec une entorse lombaire ne devienne insupportable que 72 heures après et ne nécessite une consultation qu’à ce moment, au retour de la fin de semaine.
[109] Le travailleur ne peut bénéficier de l’application de la présomption de l’article 28 de la Loi car sa version des faits présente des contradictions et ne convainc pas le tribunal qu’il a subi une entorse lombaire le 28 octobre 2011 sur les lieux du travail alors qu’il était au travail.
[110] Le travailleur a-t-il subi un accident du travail au sens de l’article 2 de la Loi?
[111] Afin d’établir qu’il a subi un accident du travail, le travailleur doit démontrer par une preuve prépondérante : 1- un évènement imprévu et soudain, 2- attribuable à toute cause, 3- survenu au travailleur par le fait ou à l’occasion de son travail, 4- et qui entraîne pour lui une lésion professionnelle. Il s’agit là de la preuve de la causalité entre la lésion diagnostiquée et l’évènement imprévu et soudain.
[112] Sans reprendre au long les raisons déjà explicitées, les délais pour déclarer l’évènement à l’employeur et consulter un médecin, la version des faits donnée par le travailleur qui comporte des contradictions au niveau de la description du fait accidentel, entre autres, ne convainquent pas le tribunal qu’un évènement imprévu et soudain est survenu le 28 octobre 2011 par le fait ou à l’occasion du travail.
[113] Rappelons que le travailleur est en mesure de terminer son quart de travail et que la douleur demeure stable durant la fin de semaine pour ne devenir insupportable que 72 heures après l’évènement allégué, au retour de la fin de semaine.
[114] De plus, il n’y a pas de preuve médicale de causalité entre la lésion diagnostiquée et l’évènement imprévu et soudain allégué.
[115] Il n’y a pas de preuve prépondérante de la survenance d’un évènement imprévu et soudain et aucune preuve médicale de causalité entre la lésion diagnostiquée et l’évènement imprévu et soudain allégué.
[116] Le travailleur n’a donc pu établir par une preuve prépondérante qu’il ait subi un accident du travail le 28 octobre 2011.
[117] Le travailleur sait que son employeur est insatisfait de sa performance. Il a été averti que ses absences sont trop fréquentes. Il se retrouve à faire du ménage durant deux jours plutôt que de recevoir l’entraînement de mécanicien anticipé. Il est à l’emploi depuis cinq semaines et a manqué sept jours. Il sait ou doit savoir que son emploi tire à sa fin.
[118] Les faits, avoir un accident qu’il ne déclare à personne avant de connaître les motifs du refus de sa réclamation par la CSST, qui ne demande pas une consultation médicale sur le champ mais 72 heures après l’évènement, au retour de la fin de semaine, alors qu’il sait son employeur insatisfait de lui au point de lui assigner du ménage à faire, ne convainquent pas le tribunal du bien-fondé de la réclamation.
[119] Le travailleur n’a pas démontré le bien-fondé de sa réclamation en vertu de l’article 2 de la Loi.
[120] Le diagnostic d’entorse lombaire n’est pas visé par la présomption de l’article 29 de la Loi. Le travailleur n’a ni allégué ni prouvé que cette lésion soit caractéristique du métier exercé ou relié aux risques particuliers de ce dernier au sens de l’article 30 de la Loi. Il n’y a pas de preuve médicale de causalité reliant la lésion diagnostiquée au travail. Il ne peut s’agir d’une maladie professionnelle au sens des articles 29 ou 30 de la Loi.
[121] Il ne peut y avoir récidive, rechute ou aggravation en l’absence d’un accident du travail antérieur ni aggravation d’une condition personnelle sans évènement imprévu et soudain reconnu ou maladie professionnelle accepté.
[122] Quant au trop-payé de 841,73 $ réclamé au travailleur, le tribunal ne voit pas de raison de revoir les conclusions de la CSST à cet égard, vu les dispositions de l’article 60 de la Loi. Ces dernières se lisent comme suit :
60. L'employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle lui verse, si celui-ci devient incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, 90 % de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé, n'eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.
L'employeur verse ce salaire au travailleur à l'époque où il le lui aurait normalement versé si celui-ci lui a fourni l'attestation médicale visée dans l'article 199 .
Ce salaire constitue l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit pour les 14 jours complets suivant le début de son incapacité et la Commission en rembourse le montant à l'employeur dans les 14 jours de la réception de la réclamation de celui-ci, à défaut de quoi elle lui paie des intérêts, dont le taux est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts courent à compter du premier jour de retard et sont capitalisés quotidiennement.
Si, par la suite, la Commission décide que le travailleur n'a pas droit à cette indemnité, en tout ou en partie, elle doit lui en réclamer le trop-perçu conformément à la section I du chapitre XIII.
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1985, c. 6, a. 60; 1993, c. 5, a. 1.
[123] La CSST doit réclamer les 14 premiers jours, si elle décide que le travailleur n’y a pas droit, c’est-à-dire si la réclamation du travailleur est rejetée. Il s’agit d’une obligation, d’un devoir pour la CSST et non d’une discrétion ou d’un pouvoir. Elle doit demander le trop-perçu si la réclamation du travailleur est refusée.
[124] Pour ces raisons, la contestation du travailleur est rejetée et la décision de l’instance de révision de la CSST maintenue.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Bruce Batten, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 6 mars 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Bruce Batten, le travailleur, n’a pas subi de lésion professionnelle le 28 octobre 2011 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Par conséquent, la réclamation par la Commission de la santé et de la sécurité du travail de la somme de 841,73 $ est justifiée.
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Francine Charbonneau |
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Me Nicolas Métivier |
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Aumais, Chartrand ass. |
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Représentants de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Chaput c. S.T.C.U.M., [1992] C.A.L.P. 1253 (C.A.).
[3] Ville de Trois-Rivières Ouest et Piché, C.L.P. 117143-04-9905, le 31 mars 2000, P. Simard.
[4] Lévesque et S.T.C.U.M., [1998] C.A.L.P. 903.
[5] Turcotte et C.H.S.L.D. du centre Mauricie, C.L.P. 123275-04-9909, le 13 septembre 2000, S. Sénéchal, (00LP-62).
[6] Lévesque et S.T.C.U.M., [1988] C.A.L.P. 903 .
[7] Bourret et Dominion Textile inc., [1992] C.A.L.P. 313 .
Hôpital Louis-H. Lafontaine et Teasdale, [1993] C.A.L.P. 894 .
[8] Transport Morneau inc. et Trudel, C.L.P. 197635-01C-0301, le 18 juin 2004, R. Arseneau.
[9] Frigidaire Canada et Chartrand, [2000] C.L.P. 379 .
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