Décision

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Benoit c. Pilon

2015 QCCQ 10206

JV0516

 
COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-138398-138

 

 

 

DATE :

  14 octobre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

MARIE BENOIT

Demanderesse

c.

NORMAND PILON

et

CAROLE COUTURIER

Défendeurs

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Marie Benoît a acheté un triplex de Normand Pilon au printemps 2011 et réclame 7 000$[1] à ce dernier en réduction du prix de vente après qu'elle eut découvert que la consommation d'énergie dans cet immeuble était beaucoup plus élevée que ce qu'elle avait reçu comme information.  Elle l'accuse de lui avoir caché la vérité à cet égard et souligne qu'elle n'aurait pas payé un prix aussi élevé si elle l'avait su.

[2]           Elle poursuit également l'agente immobilière de monsieur Pilon, madame Carole Couturier, à qui elle reproche de ne pas avoir donné des renseignements exacts sur la fiche MLS relativement aux coûts d'énergie.

[3]           Monsieur Pilon nie devoir ce montant et nie avoir fait de fausses représentations, alléguant avoir mis à la disposition des visiteurs - et de la demanderesse en particulier - toutes les factures et documents nécessaires à démontrer le coût réel d'énergie, de même que les factures de taxes municipales et scolaires et autres documents d'intérêt.  Ces documents étaient placés sur le buffet devant la porte d'entrée.

[4]           Monsieur Pilon ajoute que lors des visites de madame Benoît, il a toujours répondu à ses questions, factures en mains, notamment sur les coûts d'énergie puisqu'il s'agissait d'un immeuble construit en 1910.

[5]           Il estime que si madame Benoît avait fait les vérifications d'usage auprès des différents fournisseurs de services tels que Hydro-Québec et Gaz Métro comme il le lui avait suggéré, elle aurait été informée des coûts exacts d'énergie reliés à chacun des trois logements de l'immeuble, devenus deux à la suite de rénovations.

[6]           Se portant demandeur reconventionnel, monsieur Pilon réclame à son tour 5 000$ en dommages à madame Benoît pour les troubles et inconvénients que lui causent la poursuite intentée par celle-ci et les fausses allégations qu'elle contient.

[7]           Quant à madame Couturier, l'agente immobilière de monsieur Pilon, elle nie également devoir ce montant, alléguant n'avoir commis aucune faute à titre de courtier immobilier, ajoutant, au contraire, avoir toujours respecté ses obligations légales et professionnelles et agi avec prudence et diligence dans le mandat qui lui a été confié.

[8]           Elle ajoute avoir vu les documents et factures colligés par monsieur Pilon sur le buffet devant la porte d'entrée et se dit assurée qu'elle et monsieur Pilon ont répondu à toutes les questions de madame Benoît lors de ses visites ainsi que lors de l'inspection pré-achat. 

Les questions en litige

[9]           Le Tribunal doit décider des questions suivantes :

·           Y a-t-il eu fausses représentations de la part des défendeurs ou de l'un d'eux sur les coûts réels d'énergie?  Ceux-ci ont-ils informé madame Benoît adéquatement sur cette question?

·           La poursuite de madame Benoît est-elle abusive d'une façon telle qu'elle constitue une faute et engendre des dommages pour le défendeur Pilon?

Le contexte

[10]        Au printemps 2011, monsieur Pilon décide de mettre son triplex en vente et conclut un contrat de courtage immobilier avec Carole Couturier.

[11]        Madame Benoît, désirant de son côté se porter acquéreur d'un immeuble à revenus, conclut à son tour un contrat de courtage immobilier avec monsieur Robert Théorêt.

[12]        Elle prend connaissance de la fiche MLS (P-1) sur Internet le 25 mars 2011, laquelle suscite un grand intérêt chez elle, notamment à cause des coûts d'énergie qu'elle trouve très bas compte tenu qu'il s'agit d'un triplex et d'un triplex qui est, de surcroît, centenaire.

[13]        Elle visite en bonne partie le triplex le 27 mars 2011 pour la première fois et selon elle, monsieur Pilon lui confirme que les coûts d'électricité et de gaz figurant sur la fiche MLS visent l'appartement principal qui se situe sur deux étages (2e et 3e), le troisième étage étant chauffé au gaz à l'exception de deux chambres qui contiennent aussi des plinthes électriques.

[14]        Madame Couturier n'est pas présente lors de cette visite de sorte que madame Benoît, accompagnée de Manon Robert, courtier associée de monsieur Théorêt, ne peut voir le dossier monté par la défenderesse et constitué des photos du logement du rez-de-chaussée et des factures d'énergie. 

[15]        Elle reçoit les photos le 29 mars ainsi que la facture de rénovation du toit mais pas les factures de chauffage.

[16]        Elle fait quand même une offre d'achat en surenchère vu le nombre assez élevé de promettant-acheteurs.  Se fiant sur son agent monsieur Théorêt qui lui dit que madame Couturier est très fiable et qu'elle peut avoir confiance dans les renseignements qu'elle a inscrits sur la fiche descriptive, madame Benoît fait rayer du formulaire AB 14989 faisant partie des documents précontractuels (P-10) la condition portant sur la vérification des dépenses afférentes à l'immeuble et sur la remise par le vendeur « des états financiers ou d'une liste de dépenses concernant l'immeuble accompagnée des pièces justificatives » (clause B2.3).

[17]        Son offre d'achat est acceptée en deuxième le 1er avril 2011 mais la première est annulée de sorte que madame Benoît se voit confirmée dans son offre acceptée, le 7 avril 2011.

[18]        L'inspection préachat a lieu le 12 avril en présence du vendeur et de son agente Couturier, de Manon Robert et de madame Benoît.  Selon cette dernière, monsieur Pilon confirme que les coûts d'énergie figurant sur la fiche descriptive visent le logement situé sur les deux étages supérieurs.

[19]        Madame Benoît retourne visiter le triplex le 15 avril 2011 avec une amie.  Contrairement à ce qu'affirme monsieur Pilon, elle prétend que celui-ci ne lui a pas montré les factures d'électricité.

[20]        Le 29 avril 2011, l'acte de vente est signé par Normand Pilon et Marie Benoît devant la notaire Amélie Tremblay (P-9).

[21]        Durant la semaine du 25 avril 2011, de potentiels locataires viennent visiter le logement de deux étages. Un bail sera conclu le 1er mai pour ce logement et le 3 mai pour celui du rez-de-chaussée et les locataires y emménageront respectivement les 19 et 26 juin.

[22]        Le 23 juin, monsieur Pilon avise madame Benoît que les coûts d'électricité seront un peu plus élevés que prévu puisqu'il manquait une facture dans le dossier monté par madame Couturier, dossier que madame Benoît dit n'avoir jamais vu.

[23]        Celle-ci vérifie par téléphone auprès de Hydro-Québec et de Gaz Métro le 28 juin 2011 : les coûts s'avèrent être, pour le logement sur deux étages, de 563,74$ + 1 579,28$ pour l'électricité et de 904$ pour le gaz, ce qui fait 3 047$ pour l'année, chiffre passablement plus élevé que celui inscrit sur la fiche MLS (1 277$). 

[24]        Quant au logement du rez-de-chaussée, ses vérifications montrent que le coût d'électricité est de près de 165$ par mois, donc légèrement plus élevé que ce que lui révélaient les renseignements obtenus (150$ par mois).

[25]        Elle en fait part à son agent, monsieur Théorêt, (voir le courriel du 28 juin 2011 produit comme pièce P-3) et lui demande d'obtenir de madame Couturier copie des factures de ces deux fournisseurs, copies qu'elle n'a jamais reçues.

[26]        Madame Benoît considère que la fiche MLS est fausse et trompeuse puisqu'elle n'indique pas que les coûts d'énergie qui y figurent ne valent que pour un étage sur trois.

[27]        Elle décide d'assumer les coûts additionnels d'électricité de ses locataires, soit 1 667,26$ de juillet 2011 au 30 juin 2013, le tout tel qu'en fait foi la pièce P-12, et réduit de 50$ par mois leur loyer pour l'année suivante.

[28]        Le 20 mars 2013, elle envoie une mise en demeure à monsieur Pilon ainsi qu'à madame Couturier, leur réclamant solidairement la somme de 38 114,95$ (P-7).  Monsieur Pilon lui répond le 12 avril 2013 (P-8) en réitérant le fait qu'il a mis à la disposition de madame Benoît toutes les photos et factures d'énergie relatives à chaque étage lors de chacune de ses visites et a répondu à toutes ses questions, notamment à celles concernant les coûts d'énergie.

ANALYSE ET DISCUSSION

[29]        Dans tout recours en justice, la partie demanderesse - et cela vaut tant en demande principale qu'en demande reconventionnelle - doit démontrer au Tribunal, par une preuve prépondérante, le bien fondé de ses prétentions conformément aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, lesquels se lisent comme suit :

« 2803.    Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

                Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804.       La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

1.         La demande principale

[30]        Madame Benoît réclame 7 000$ des deux défendeurs solidairement parce qu'elle se dit victime de fausses représentations et de renseignements trompeurs de leur part sur les coûts d'énergie de l'immeuble acheté de monsieur Pilon, coûts qui ont d'ailleurs été l'un des facteurs principaux qui l'ont incitée à acheter tellement ils étaient bas. 

[31]        La crédibilité des témoins joue ici un rôle majeur dans la décision du Tribunal.

[32]        Or, sur cet aspect, le Tribunal accorde davantage de crédibilité aux témoins de la partie demanderesse qu'à ceux de la partie défenderesse.

[33]        Pourquoi monsieur Pilon aurait-il insisté auprès de madame Benoît pour qu'elle vérifie à Hydro-Québec et à Gaz Métro les coûts réels d'énergie s'il les lui avait montrés et confirmés oralement à maintes reprises, comme il le prétend?

[34]        Le Tribunal croit madame Benoît lorsqu'elle affirme - à plusieurs reprises d'ailleurs - avoir requis de son agent Théorêt qu'il demande à madame Couturier de lui envoyer copie des factures d'énergie, copies qu'elle n'a jamais eues.  Voir à cet égard les courriels produits en liasse sous la cote P-3.  Elle n'a donc pas pu refuser lorsque monsieur Pilon lui a offert de lui en donner des copies, comme il le prétend.

[35]        Madame Benoît s'est fiée à la fiche MLS préparée par madame Couturier où il n'est nullement indiqué que les coûts d'énergie ne s'appliquent qu'à un étage, le troisième. Son agent, monsieur Théorêt, lui avait affirmé que celle-ci était compétente et fiable;  elle l'a cru, et c'est sur cette déclaration de confiance de la part de monsieur Théorêt que madame Benoît a fait rayer de son offre d'achat (formulaire AB 14989) sa demande d'obtention des dépenses de l'immeuble et des états financiers.  Elle désirait ainsi éliminer toutes les sources de tracasserie chez son interlocuteur et mettre toutes les chances de son côté, n'étant pas la seule sur les rangs pour l'achat de cet immeuble. 

[36]        La preuve a pourtant démontré un écart substantiel de consommation d'énergie entre les coûts réels et les chiffres indiqués sur la fiche MLS.  Cet écart a incité madame Benoît à douter de la qualité d'isolation de l'immeuble et à faire faire une évaluation énergétique professionnelle en août 2011 par la firme Legault Dubois inc. (P-4), laquelle a suggéré quelques mesures susceptibles d'augmenter substantiellement l'efficacité énergétique du bâtiment, telles que isoler le toit, les murs du vide sanitaire et les murs extérieurs, remplacer les fenêtres, et améliorer l'étanchéité à l'air de l'immeuble.

[37]        De plus, avant d'acheter, madame Benoît s'est à ce point fiée aux chiffres et aux autres renseignements indiqués sur la fiche MLS (planchers de bois, réfection de la toiture, salles de bain et plomberie refaites) qu'elle a biffé des documents précontractuels les mentions relatives à l'obtention des dépenses et des états financiers de l'immeuble.

[38]        En outre, le Tribunal n'a nulle raison de douter de la véracité du témoignage écrit de Manon Robert dont personne n'a requis la présence à l'audience.  Selon elle, monsieur Pilon n'a exhibé aucune facture d'électricité lors de la première visite, celle du 27 mars 2011, et monsieur Pilon a clairement mentionné que les coûts figurant sur la fiche MLS concernaient le logement à deux étages.

[39]        Le Tribunal n'a pas davantage de raison de douter du témoignage de monsieur Jean-Philippe Lalonde, locataire du deuxième étage de cet immeuble depuis quatre ans : il n'a jamais vu de dossier contenant des factures lors de sa visite du logement en avril 2011, quelques jours avant la signature de l'acte de vente. 

[40]        Il a été mis en preuve que le 23 juin 2011, monsieur Pilon a avisé madame Benoît que le coût d'énergie serait sans doute plus élevé que prévu puisqu'il avait omis d'inclure une facture dans le dossier monté par madame Couturier.  Pourquoi avoir tant tardé à lui communiquer cette information?

[41]        Ce détail renforce la responsabilité de monsieur Pilon dans cette affaire et minimise celle de madame Couturier qui s'est fiée aux chiffres qu'elle avait pour remplir la fiche descriptive MLS.  Or, de l'aveu même de monsieur Pilon, il lui manquait une facture.

[42]        Toutefois, madame Couturier connaissait les lieux, elle savait que les trois logements n'en faisaient maintenant que deux, bien que les factures d'énergie aient été distinctes.  Si elle a effectivement monté un dossier à l'intention des visiteurs et des futurs acheteurs, elle a dû y placer les factures des trois logements.  Pourquoi alors n'avoir inscrit sur la fiche descriptive qu'un coût partiel, laissant croire que ce coût couvrait l'immeuble dans son entier? 

[43]        Compte tenu de son expérience, ne peut-on pas s'attendre à ce qu'elle-même trouve pour le moins curieux que la facture d'énergie pour tout cet immeuble ne s'élève annuellement qu'à 1 277$?  D'autant plus qu'elle a mentionné à l'audience que monsieur Pilon ne lui avait remis pour son dossier que les factures d'Hydro-Québec et de Gaz Métro relatives au troisième étage (le 3512).  Elle savait donc que les factures d'Hydro touchant le second étage (le 3514) et le rez-de-chaussée (le 3516) étaient manquantes.

[44]        De deux choses l'une : ou madame Couturier n'a pas rempli la fiche MLS selon tous les renseignements qu'elle avait, ou elle s'est rendue coupable d'aveuglement volontaire en inscrivant des chiffres qui, pour tout citoyen raisonnable - et particulièrement un agent d'immeuble -, ne pouvaient vraisemblablement pas être exacts. 

[45]        Dans Tessier c. Le Bouthillier[2], le juge Michel Pinsonnault, aujourd'hui à la Cour supérieure, écrit :

« Il faut remarquer immédiatement que le Courtier ne peut se fier aux déclarations du vendeur, lesquelles sont formulées au « meilleur de sa connaissance ».  Il doit vérifier toute information que celui-ci lui transmet.  Ce que le Courtier reçoit du vendeur sont des « renseignements » et ces renseignements, il a l'obligation d'en vérifier l'exactitude.  Il n'a pas le droit d'imposer aux tiers, qui prendront connaissance de ces renseignements, le fardeau de vérifier ce que lui, l'expert dans le domaine du courtage immobilier, leur soumet. »

[46]        Compte tenu de son obligation de donner aux citoyens des renseignements exacts sur les fiches MLS, madame Couturier aurait dû s'enquérir auprès de son client, monsieur Pilon, à savoir si ces chiffres étaient exacts ou non.  En effet, l'article 5 du Règlement sur les conditions d'exercice d'une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité[3] spécifie essentiellement que le courtier doit vérifier les renseignements qu'il fournit au public ou à un autre courtier car il doit toujours être en mesure de démontrer l'exactitude de ces renseignements :

« 5.  Le titulaire de permis doit vérifier, conformément aux usages et aux règles de l'art, les renseignements qu'il fournit au public ou à un autre titulaire de permis. Il doit toujours être en mesure de démontrer l'exactitude de ces renseignements. »

[47]        Il faut toutefois noter qu'une faute déontologique n'est pas nécessairement synonyme de faute civile ou de responsabilité professionnelle.

[48]        Le Tribunal estime néanmoins que madame Couturier a été négligente dans l'accomplissement de son mandat en ne poussant pas plus loin ses vérifications, et a ainsi causé un préjudice à madame Benoît.  D'ailleurs, un avertissement lui a été servi par l'Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ), tel que le révèle la lettre de cet organisme datée du 27 juillet 2012 (P-2), bien que les lacunes identifiées dans la conduite de madame Couturier n'aient pas justifié d'enclencher le processus disciplinaire.

[49]        En l'espèce, monsieur Pilon a admis à l'audience qu'il manquait une facture dans les documents fournis à madame Couturier - on ignore toutefois si cette facture manquante aurait pu donner l'heure juste à madame Couturier.  Peut-être en manquait-il davantage puisque chaque étage comportait sa propre facture d'énergie.  Une vérification adéquate par madame Couturier l'aurait sans doute révélé.

[50]        Le Tribunal est donc d'avis qu'une faute a été commise par madame Couturier dans ce dossier.

[51]        Par ailleurs, le Tribunal estime que monsieur Pilon a également manqué à son devoir de franchise et de bonne foi à l'égard des acheteurs potentiels. 

[52]        Lorsque madame Couturier lui a soumis la fiche descriptive de l'immeuble avant de la rendre publique sur Internet, monsieur Pilon aurait dû réagir aux deux mentions des coûts d'énergie qui y figurent (pages 1 et 3) et faire préciser que ces coûts ne visaient qu'un étage sur trois.  Il est certes à blâmer pour ne pas l'avoir fait.

[53]        Outre l'article 6 C.c.Q. qui est l'énoncé général de l'obligation d'agir de bonne foi, l'article 1375 C.c.Q. stipule que les parties à un contrat doivent être de bonne foi à toutes les étapes du contrat, de sa formation à son exécution :

« 6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction. »

[54]        Or, le Tribunal n'accorde pas beaucoup de crédibilité au témoignage de monsieur Pilon : à l'audience, il avait la désagréable impression que monsieur Pilon mentait tout au long de celui-ci.

[55]        En premier lieu, il a affirmé que madame Couturier était présente lors de la première visite de madame Benoît le 27 mars 2011 alors qu'elle n'y était pas.  C'est d'ailleurs en raison de cette absence que madame Benoît n'a pas pu voir les photos du logement du rez-de-chaussée (le 3516) ni les factures de chauffage des trois adresses, lesquelles étaient censées toutes se trouver dans le dossier de madame Couturier, aux dires de monsieur Pilon.

[56]        Monsieur Pilon a aussi affirmé que madame Benoît avait vu le logement du rez-de-chaussée lors de sa première visite.  Cela s'est avéré faux.

[57]        Il a également affirmé, en référant à sa pièce D-8, onglet A, page 7 de 7, qu'il s'agissait de son dossier sur le buffet qui comprenait plusieurs documents. Or, on constate que les documents en question ne sont pas sur un buffet mais plutôt sur une table (la table de la salle à manger) où on peut voir également deux chaises.

[58]        Monsieur Pilon, commentant l'onglet B de sa pièce D-8, mentionne que ces photos, prises par madame Couturier, avaient été données à madame Benoît dès sa première visite.  Or, la preuve démontre que ce ne fut pas le cas : madame Benoît a reçu ces photos de son agent monsieur Théorêt deux jours après sa première visite, après que celui-ci en eut fait la demande à madame Couturier.

[59]        De plus, sa preuve documentaire est parfois inexacte : par exemple, à la première page de sa pièce D-8, monsieur Pilon écrit « DÈS SA PREMIÈRE VISITE avec son agent M. Théorêt », ce qui n'est pas exact : monsieur Théorêt n'était pas présent lors de la première visite, madame Benoît était accompagnée de Manon Robert, l'associée de monsieur Théorêt. 

[60]        Le Tribunal met aussi en doute certaines affirmations que monsieur Robert Lussier a faites dans sa déclaration écrite D-3, notamment celles où il confirme avoir été présent à « toutes les visites des acheteurs potentiels, incluant les multiples visites de Mme Marie Benoît » et avoir été « témoin de toutes les réponses données par monsieur Pilon à tous les visiteurs concernant l'état de l'immeuble et les coûts d'énergie. ».  Jamais le nom de monsieur Lussier n'a-t-il été mentionné dans les témoignages oraux ou écrits relatant les visites de madame Benoît.  Il est en outre difficile de croire que monsieur Lussier suivait son ami Pilon et chacun des visiteurs partout dans l'immeuble, à chacune des visites.

[61]        En outre, jamais ne voit-on sur les photos du buffet dans l'entrée du 3514 (2e étage) (D-8A) les factures que monsieur Pilon dit avoir laissées à cet endroit jusqu'à son déménagement en mai 2011.  Si elles y étaient tout ce temps, pourquoi ne pas les avoir prises en photo? 

[62]        À la lumière de la preuve soumise, le Tribunal est satisfait que le défendeur Pilon a induit en erreur la demanderesse madame Benoît en lui laissant faussement croire que les coûts d'énergie se rapportant à l'immeuble n'étaient que de 1 277$ annuellement.  Cette fausse croyance lui a permis d'obtenir un prix de vente plus élevé que si madame Benoît avait connu, avant d'acheter, les coûts réels d'énergie se rapportant aux trois étages.

[63]        Ces représentations trompeuses de la part du vendeur Pilon confèrent au vice dont se plaint madame Benoît un caractère caché, donnant ouverture à l'application de l'article 1726 C.c.Q. :

« 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus. 0

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.»

[64]        Une déclaration trompeuse d'un vendeur dans sa fiche descriptive MLS a en effet été considérée équivaloir à un vice caché justifiant la réduction du prix de vente, par mon collègue, le juge Michel Pinsonnault dans Tessier c. Le Bouthillier (précitée) :

« [46]    Quant aux Vendeurs, la preuve permet de conclure que leur fausse déclaration ayant trait à l'espace de stationnement inexistant, formulée dans les fiches descriptives et confirmée dans l'Offre qu'elles ont signée, équivaut à un vice caché qui justifie la réduction du prix de vente versé par Tessier. »

[65]        Conformément à ce qu'exigent les règles applicables aux vices cachés, le Tribunal estime que le vice est également grave, inconnu de l'acheteur et antérieur à la vente. Il a été, de plus, dénoncé au vendeur en temps utile, comme le prévoit l'article 1739 C.c.Q.  La garantie de qualité s'applique donc intégralement ici et le défendeur Pilon doit indemniser madame Benoît des conséquences engendrées par ces vices, en plus de la dédommager pour le préjudice qu'elle a subi, compte tenu qu'il savait pertinemment que les coûts d'énergie qu'on pouvait lire sur la fiche MLS ne portaient que sur le troisième étage.  Il l'a même dit à l'audience.  L'article 1728 C.c.Q. s'applique donc en l'espèce :

« 1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de réparer le préjudice subi par l'acheteur. »

[66]        En outre, le Tribunal estime que les fausses représentations de monsieur Pilon constituent un dol de sa part, qui a vicié le consentement de madame Benoît laquelle, si elle avait connu les coûts réels d'énergie, n'aurait pas acheté l'immeuble à ce prix.  L'article 1401 C.c.Q. énonce à cet égard :

« 1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence. »

[67]        Suite à ce dol, madame Benoît est justifiée de demander une réduction du prix de vente conformément à l'article 1407 C.c.Q. :

« 1407. Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d'erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s'il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu'il eût été justifié de réclamer. »

[68]        Que l'on base le recours de madame Benoît sur des vices cachés ou sur un vice de consentement, le résultat est le même : monsieur Pilon doit lui verser des dommages. 

[69]        Il en est de même pour madame Couturier qui a commis une faute en laissant croire aux acheteurs potentiels - et à madame Benoît en particulier - que les coûts d'énergie pour tout l'immeuble n'étaient que de 1 277$.  Celle-ci a fait une offre d'achat sur cette base qui, de toute évidence, était fausse et madame Couturier le savait.

[70]        Le Tribunal retient donc la responsabilité extracontractuelle de cette dernière et la responsabilité contractuelle de monsieur Pilon envers madame Benoît. Les défendeurs sont tenus responsables « in solidum » des dommages subis par madame Benoît dans une proportion de 65% pour monsieur Pilon et de 35% pour madame Couturier, pour ne valoir qu'entre eux cependant, comme le permet l'article 469 du Code de procédure civile :

« 469. Le jugement portant condamnation doit être susceptible d'exécution. Celui qui condamne à des dommages-intérêts en contient la liquidation; lorsqu'il prononce une condamnation solidaire contre les personnes responsables d'un préjudice, il détermine, pour valoir entre elles seulement, la part de chacune dans la condamnation, si la preuve permet de l'établir. »

Le quantum

[71]        Madame Benoît réclame 7 000$ en dommages. Selon la preuve, le fait d'assumer, en lieu et place de ses locataires, la différence du coût d'énergie entre juillet 2011 et le 30 juin 2013 lui a fait perdre du revenu.  Cette perte s'élève à 1 667,26$ selon la pièce P-12.

[72]        De plus, sa décision de réduire les loyers de 50$ par mois à compter de juillet 2013 pour ne pas pénaliser ses locataires a créé un manque à gagner récurrent de 840$ annuellement. Le montant à cet égard sera donc calculé sur deux ans (1 680$).

[73]        En outre, pour diminuer l'impact de la perte d'énergie et de la mauvaise isolation, madame Benoît a dû ajouter des plinthes électriques et des thermostats (435,86$), faire isoler avec de la mousse polyuréthane, et faire l'acquisition d'une porte (169,62$ selon les factures P-13).

[74]        Avec les factures que le Tribunal a considérées sous P-5 et celles de P-13, les coûts et pertes s'élèvent à 6 071,56$.  Les quelque 928$ qui restent pour couvrir la somme de 7 000$ peuvent être considérés comme des dommages partiels résultant de la différence entre le montant qu'elle aurait payé si elle avait connu les réels coûts d'énergie et le montant effectivement versé au défendeur Pilon.

[75]        Le Tribunal conclut donc de l'ensemble de la preuve que la réclamation de la demanderesse Benoît est bien fondée.

2.      La demande reconventionnelle

[76]        Monsieur Pilon réclame 5 000$ à madame Benoît pour « fausses allégations, troubles, ennuis et inconvénients causés pour répondre à la mise en demeure, contester la poursuite et déposer une demande reconventionnelle. Temps professionnel alloué au dépôt des documents de ma contestation, à mon éventuelle comparution et à celle de mes témoins. Troubles, ennuis, inconvénients et stress inutiles pour moi, mes proches et mes témoins. ».

[77]        D'entrée de jeu, mentionnons qu'une partie, que ce soit en demande principale ou en demande reconventionnelle, ne peut réclamer pour autrui, elle ne peut réclamer que pour elle-même. 

[78]        En second lieu, outre les « fausses allégations » qui, de toute façon, doivent être démontrées, les motifs à la base de la réclamation de monsieur Pilon sont les troubles, ennuis et inconvénients vécus par ce dernier et reliés à la poursuite principale, ainsi qu'à la nécessité d'y répondre.

[79]        Or, ces troubles, ennuis et inconvénients ne constituent pas des motifs de dommages pouvant être réclamés à la partie adverse.  Ils font partie du processus normal que doit suivre toute personne qui décide de se défendre lorsqu'elle est poursuivie en justice.

[80]        Les dommages susceptibles d'être compensés monétairement doivent reposer sur des faits qui, eux-mêmes, doivent être allégués dans une procédure par la partie qui les réclame.  Ils doivent dans tous les cas être prouvés de façon probante et prépondérante comme l'exigent les règles de preuve énoncées au Code civil du Québec.

[81]        Monsieur Pilon n'a non seulement pas respecté les règles de procédure en n'alléguant aucun fait susceptible de donner lieu à des dommages, mais il n'a apporté aucune preuve comme quoi la poursuite de madame Benoît avait un caractère abusif.

[82]        La demande reconventionnelle de monsieur Pilon doit donc être rejetée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la demande de la demanderesse Marie Benoît;

CONDAMNE les défendeurs solidairement à payer à la demanderesse la somme de 7 000$ avec les intérêts au taux légal de 5% l'an et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 20 mars 2013, date de la mise en demeure, ainsi que les frais de timbre judiciaire au montant de 167$.

DÉCLARE en vertu des dispositions de l'article 469 C.p.c. que la part de responsabilité des défendeurs, pour valoir entre eux seulement, est de 65% pour monsieur Pilon et de 35% pour madame Couturier;

Rejette la demande reconventionnelle du défendeur Pilon, sans frais.

 

 

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SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dates d’audience :

27 mars et 1er juin 2015

 



[1]     Selon la mise en demeure du 20 mars 2013 (P-7), la réclamation initiale était de 38 115,00$.

[2]     Tessier c. Le Bouthillier, 2007 QCCQ 8097

[3]     Chap. C-73.2, r.1

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