Décision

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Shokat et Entreprises Dero inc.

2007 QCCLP 3809

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

27 juin 2007

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

272025-62-0509

 

Dossier CSST :

125227249

 

Commissaire :

Me Richard L. Beaudoin

 

Membres :

M. Jean-Marie Jodoin, associations d’employeurs

 

Mme Osane Bernard, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Dr Monique Bourbeau

______________________________________________________________________

 

 

 

Hamir Shokat

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Entreprises Dero inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 21 septembre 2005, Hamir Shokat (le travailleur) exerce, par requête, un recours à l’encontre d’une décision rendue le 17 août 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la C.S.S.T.), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Cette décision infirme une décision rendue le 26 avril 2005 par la C.S.S.T. et détermine que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 11 février 2004 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]                Les parties sont convoquées à une audience, à Longueuil, le 5 mars 2007. Le travailleur est présent et représenté. Entreprises Dero inc. (l’employeur) est représentée. La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier et entendu la preuve soumise à l’audience. Les documents requis, à l’audience, ont été produits et les parties ont plaidé par écrit. Le dossier a été mis en délibéré le 1er mai 2007.

OBJET DU RECOURS

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle, soit une maladie professionnelle pulmonaire, sous forme d’asthme.

PREUVE

[5]                Le travailleur, né le 15 juillet 1945, est opérateur. Le 12 février 2004, il signe une réclamation à la C.S.S.T. qui allègue :

I have been feeling this situation (asthma) for more than 2 years and it getting worst every day.

 

 

[6]                Une attestation médicale, signée le 11 février 2004 par le docteur Glady, indique :

occupationnal asthma exposure to styrene + polyethylene at work. Peak flow variation at/away from work.

 

 

[7]                Le docteur Ostiguy, pneumologue, signe également ce rapport médical. Il signe une autre attestation médicale, ce même jour. On peut y lire :

Asthme professionnel probable aux plastiques (Polyéthylène - Styrène). En chômage. PEFR suggestif et compatible (avec) asthme professionnel. Candidat à IRR ??

 

 

[8]                Dans l’histoire occupationnelle apparaissant au formulaire de réclamation, le travailleur indique qu’il travaille pour l’employeur, un fabricant de produits de plastique, depuis février 1999. Il opère des machines à extrusion de plastique. Il les répare également. Il y indique qu’il a cessé de travailler le 19 décembre 2003. Ce formulaire a été signé après mars 2004.

[9]                Il a travaillé de 1963 à 1987, à titre de technicien en électricité, pour le ministère de l’eau et de l’électricité, en Afghanistan.

[10]           Le dossier contient divers documents dont il y a lieu de rapporter la teneur. La Commission des lésions professionnelles fera ensuite état de la preuve testimoniale entendue à l’audience ainsi que de la preuve documentaire produite au cours et après l’audience.

[11]           Le docteur Ostiguy, le 6 mai 2004, signe un document faisant état des tests fonctionnels respiratoires. On peut tout d’abord y lire que le bilan de base fait état d’obstruction sévère des voies aériennes peu influencée par l’administration d’un bronchodilatateur. Cependant, deux heures et demie avant le test, le travailleur a pris de l’Advair et de la Prednisone. Le test démontre un syndrome restrictif très important avec des valeurs diminuées de l’ordre de 40 à 50 %. Il n’y a pas eu de bilan à la méthacholine, compte tenu de la valeur trop basse du volume expiratoire maximum par seconde (V.E.M.S.).

[12]           Le docteur Ostiguy conclut ainsi :

Syndrome mixte sévère obstructif et restrictif. Si la capacité de diffusion du monoxyde de carbone se situe à la limite inférieure de la normale malgré l’anémie, on a des anomalies importantes des paramètres d’oxygénation au repos et à l’effort. Ce sujet désature à l’effort et sa tolérance à l’effort est très diminuée. Il épuise rapidement ses réserves ventilatoires.

 

Il existe un peu d’hypercapnie au repos et cette hypercapnie persiste à l’effort en régime stable. Effort léger correspondant à une consommation d’oxygène d’à peine 700 ml/min.

 

 

[13]           Le même jour, le dossier du travailleur est soumis au Comité B de Montréal des maladies professionnelles pulmonaires (le comité), présidé par le docteur Ostiguy et dont les docteurs Labrecque et Colman, pneumologues, sont membres. Le premier paragraphe du rapport du comité se lit comme suit :

Il est référé à la CSST par le Dr G. Ostiguy qui l’avait vu en consultation pour le Dr S. Mannix, pneumologue.

 

 

[14]           Dans cet avis, on indique tout d’abord qu’il n’est plus au travail depuis le 11 février 2004, ce qui correspond à la date de la signature du rapport médical mentionné plus haut. On y lit également que la révision des fiches signalétiques montre qu’il est exposé à du polyéthylène, des résines thermoplastiques, du styrène et du polypropylène. Le travailleur ne s’exprime ni en français ni en anglais. Le comité a recours à une interprète. Le travailleur déclare qu’il présente des difficultés respiratoires depuis environ deux ans, le premier épisode étant relié à une infection respiratoire sévère lors d’un voyage à La Mecque vers février-mars 2001. Lors d’un séjour à l’hôpital Fleury, à son retour de voyage, on retient des diagnostics de bronchiectasies du lobe inférieur droit, d’hémoptysies et de pachypleurite droite avec calcifications pleurales. Il est porteur d’un syndrome mixte obstructif, mais surtout restrictif sévère avec labilité bronchique documentée et confirmée, selon cet avis.

[15]           Les examens radiologiques montrent des images compatibles avec une amiantose et une pachypleurite d’amiante. Cela pourrait être en relation avec le travail effectué dans des centrales électriques, en Afghanistan. Le comité ajoute que le travailleur souffre d’asthme depuis décembre 2003 :

Il souffre d’asthme depuis décembre 2003. Cet asthme s’est donc développé depuis maintenant plus de 2 ans, mais il était présent en 2001 lorsqu’il fut hospitalisé à l’Hôpital Fleury. […]

 

 

[16]           Le travailleur déclare au comité que chaque fois qu’il met les pieds maintenant dans l’usine, les difficultés respiratoires s’accentuent. La dyspnée est évaluée à 4/5 et le travailleur a de la difficulté à marcher, à traverser une rue ou monter des marches. Les mesures des débits expiratoires de pointe prises par le travailleur sont améliorées lorsque mesurées à domicile. Il se sent mieux depuis son arrêt du travail. Les débits expiratoires de pointe mesurés en décembre 2003, janvier et février 2004, se situent entre 180 et 230 lorsqu’il est au travail et s’améliorent la fin de semaine. Depuis l’arrêt du travail, ces débits se situent autour de 300-320. Le travailleur se dit beaucoup mieux depuis. Le travailleur a un tabagisme de 35 paquets-années, soit un paquet de cigarettes par jour depuis 35 ans. Il prend de l’Advair et du Salbutamol. Les tests d’allergie sont négatifs.

[17]           Le rapport du comité reprend les données des tests des fonctions respiratoires administrés par le docteur Ostiguy. Le comité ajoute que le patient a développé des problèmes respiratoires sévères alors qu’il était exposé dans son milieu de travail à des agents sensibilisants.

[18]           Le comité ajoute :

[…] Une enquête industrielle demandée par la compagnie dont nous avons le rapport au dossier démontre qu’il n’y aurait pas de vapeur particulière ni d’exposition à des irritants en quantité importante sur son milieu de travail. Ceci vient en contradiction avec ce que le patient nous raconte de son milieu de travail. Le patient fait de la surveillance de l’équipement industriel qui produit les pièces de plastique et doit aussi les réparer en cas de bries [sic]. Il dit être exposé à des odeurs fortes, des vapeurs et une quantité importante d’irritants.

 

 

[19]           Le comité conclut son avis en demandant une enquête de la C.S.S.T., par des inspecteurs ou hygiénistes, afin de mieux évaluer les conditions de travail.

[20]           Dans le rapport d’évaluation de la qualité de l’air préparé par la firme Contex Environnement, Jean-Pierre Gauvin, physicien et hygiéniste industriel, le 3 mars 2004, est d’avis que les vapeurs de styrène ou autres solvants organiques volatils ne peuvent causer de malaises respiratoires chez le personnel. Il appuie cette affirmation sur la mesure des concentrations de composés organiques volatils effectuée à l’aide d’appareils destinés à cette fin. Les mesures qu’il a prises révèlent :

Lors de notre passage, les concentrations de composés organiques volatils étaient inférieures à 2,5 ppm. Aucune trace de styrène dans l’air ne fut observée. Tous les postes situés à proximité des appareils à injection de styrène et de polyéthylène ont fait l’objet de mesures durant le fonctionnement.

 

 

[21]           Il a mesuré plus particulièrement la présence de styrène, considérant le rapport médical initial alléguant la présence de ce produit.

[22]           Le 11 août 2004, le docteur Ostiguy signe un rapport médical de la C.S.S.T. sur lequel il inscrit que le travailleur est porteur de pachypleurite d’amiante. Il note également qu’il y a une forte présomption d’asthme professionnel aux amines des plastiques. Le docteur Ostiguy souligne que le travailleur n’a aucun revenu et demande s’il ne pourrait pas recevoir des indemnités de remplacement du revenu.

[23]           Le 21 octobre 2004, le comité, alors composé des docteurs Ostiguy, Desjardins et Colman, pneumologues, rapporte avoir pris connaissance d’un projet de rapport d’évaluation environnementale, préparé par Christian Fortin, ingénieur et hygiéniste du travail au C.L.S.C. Montréal-Nord. Le comité s’étonne de nouveau de la discordance entre les faits rapportés par le travailleur et ce rapport. Le comité rapporte que le travailleur a réparé des machines et a dû être exposé à de plus fortes concentrations de vapeurs de plastique. Les membres du comité souhaitent alors que Christian Fortin effectue une visite de l’entreprise avec le travailleur accompagné d’un interprète. Curieusement, au dossier constitué, seule la signature du docteur Ostiguy apparaît sur ce rapport du comité.

[24]           Le 25 octobre 2004, Christian Fortin signe un rapport d’évaluation environnementale de l’exposition par fonction. Dans la fiche de présentation de son rapport, Christian Fortin fait état des démarches et des contacts qu’il a établis. Il précise avoir visité l’entreprise le 14 juillet 2004, après avoir pris connaissance des fiches signalétiques des produits utilisés. Une seconde visite de l’entreprise a lieu le 28 septembre 2004. Toutes les démarches qu’il a effectuées pour joindre le travailleur (messages téléphoniques et courrier) se sont avérées vaines. Il a donc effectué cette seconde visite sans lui.

[25]           L’opinion de cet ingénieur, docteur en génie électrique et génie informatique, avec une maîtrise en génie industriel portant sur l’ergonomie et la sécurité industrielle, se lit comme suit :

Considérant :

 

1.         la très faible toxicité des quatre principaux polymères considérés (polypropylène, polyéthylène, polystyrène et caoutchouc thermoplastique)

 

            2.         la forme granulaire non poussiéreuse des matières premières

 

3.         les conditions d’utilisation des matières premières durant le moulage par injection

 

4.         le fait notamment que les étapes de ramollissement, de fluage, d’injection, de moulage et de resolidification de ces plastiques s’effectuent toutes entièrement en circuit fermé, selon une séquence contrôlée par la machine et ses ajustements de mise en course

 

5.         le fait également que les températures de fluage sont nettement inférieures aux températures où la pression de vapeur commence à apparaître, et très inférieures aux températures de dépolymérisation, de dégradation thermique anormale, de combustion ou de pyrolyse qui pourraient émettre des substances nocives dans l’air

 

6.         les conditions environnementales observées dans cette usine au cours de nos visites antérieures

 

7.         les résultats de l’échantillonnage du 3 mars 2004 par Contex Environnement

 

8.         les données indiquées sur les fiches signalétiques des produits utilisés par l’entreprise, y compris les additifs tels que les colorants,

 

9.         les données provenant de fiches toxicologiques et d’une référence en toxicologie industrielle

 

10.        le fait que la rhinite, les réactions asthmatiformes, l’asthme professionnel et la fibrose pulmonaire attribués à des polymères sont généralement expliquées par des réactions immunitaires de diverses classes, de divers types et selon une variété de mécanismes

 

11.        le fait que les symptômes graves d’irritation ou d’effets toxiques semblent généralement associés dans la littérature médicale et scientifique à des niveaux très élevés de contamination aérienne

 

12.        la période de deux ans de travail du requérant chez cet employeur, ainsi que les tâches qu’il y effectuait

 

nous sommes d’avis qu’il n’y a pas de lien raisonnable dans ce cas entre les problèmes de santé du requérant et son travail chez cet employeur.

 

En conséquence, si ceux-ci étaient confirmés, nous pensons qu’ils pourraient éventuellement s’expliquer par :

 

1.         une condition médicale personnelle et antérieure, telle qu’une tuberculose ancienne, le tabagisme, une sensibilisation personnelle à certains hydrocarbures volatils, ou une autre condition médicale personnelle

 

2.         une condition professionnelle acquise antérieurement chez un autre employeur, telle qu’une pneumocomiose fibrosante associée par exemple à un mélange d’amiante et de silice, ou telle qu’une sensibilisation à certains hydrocarbures volatils ou à certains monomères sous différentes formes.

 

 

[26]           Notons que cette entreprise fait l’objet d’un suivi par le C.S.L.C. de Montréal-Nord depuis 1996 et que ce n’est pas la première fois que Christian Fortin visite ces lieux, selon le sommaire du rapport de gestion des entreprises déposé à l’audience.

[27]           Le 26 novembre 2004, le docteur Simard, médecin spécialiste en santé communautaire, de la Direction de la santé publique, et Claude Huneault, hygiéniste, écrivent à la C.S.S.T. :

Conclusion :

 

En raison de la nature des procédés industriels (procédé en circuit fermé) et de l’utilisation de thermoplastiques qui sont chauffés à des températures relativement basses, on ne peut mettre en évidence d’exposition directe à des produits chimiques susceptibles de causer de l’asthme professionnel. Les conditions d’empoussièrement sont faibles également, compte tenu de l’utilisation de matières premières déjà sous forme de pastilles ou de granules. Selon l’opinion exprimée par les médecins membres du Comité B de Montréal des maladies pulmonaires professionnelles, les données environnementales telles que décrites par le requérant ne concordent pas avec l’évaluation environnementale réalisée par monsieur Christian Fortin. J’ai eu l’occasion de discuter ce cas au cours des récents mois à de multiples reprises avec monsieur Christian Fortin; notamment, je lui demandé [sic] de bien vérifier les températures des presses, la présence de colorants sous forme de poudre, la présence de ventilation aux presses et l’empoussièrement en général. Monsieur Fortin a donc déjà réalisé deux visites dans ce dossier afin de vérifier les points ci-haut mentionnés. De plus, j’ai recommandé à Christian de tenter de questionner monsieur Hamir Shokat, en ayant recours à des services d’interprètes. Cette tentative s’est révélée malheureusement infructueuse, en raison de plusieurs facteurs, dont la difficulté d’avoir accès à un interprète. Nous maintenons donc l’avis précédemment exprimé par monsieur Fortin dans le rapport que vous avez déjà en votre possession.

 

 

[28]           Le 23 décembre 2004, le comité, ayant pris connaissance de ces rapport et lettre, émet l’avis qu’il y a lieu d’interroger le travailleur, en présence d’un interprète afghan, pour confirmer si oui ou non, il y a eu des expositions susceptibles d’avoir donné de l’asthme professionnel. Le rapport continue :

Le Dr Ostiguy contactera une technicienne pouvant agir comme interprète ou un agent d’immigration officiant cette fonction afin d’apporter l’éclairage supplémentaire demandé afin de clore le dossier.

 

 

[29]           Le 3 février 2005, le comité, composé des docteurs Ostiguy, Labrecque et Colman, dans son rapport, encore signé exclusivement par le docteur Ostiguy, relate que le travailleur maintient qu’il a été exposé à des fumées et vapeurs de plastique chauffé. Le comité ajoute que le travailleur aurait été congédié à la suite de sa réclamation. Cette information s’avérera fausse. Le travailleur allègue également qu’il y aurait eu un changement dans le processus d’extrusion du plastique qui ferait en sorte qu’il serait plus propre. Le rapport précise qu’il n’est pas possible de faire des tests de provocation bronchique spécifique en laboratoire. Le comité s’en remet aux fiches signalétiques pour confirmer l’exposition aux styrène, polyéthylène, polypropylène, etc. Le travailleur ne faisait pas d’asthme avant son arrivée au Canada. Dans ce contexte, le comité reconnaît un asthme professionnel chez le réclamant.

[30]           Le comité est d’avis que le travailleur ne devrait plus être exposé aux vapeurs, aux fumées qui se dégagent des processus de fabrication de pièces en plastique.

[31]           Le 25 février 2005, le Comité spécial des présidents entérine l’avis du comité et accorde un déficit anatomophysiologique de 3 % au travailleur, ainsi que des limitations fonctionnelles.

[32]           À l’audience, la Commission des lésions professionnelles a entendu le travailleur, Rohullah Rahimzai, un collègue de travail, le docteur Ostiguy ainsi que Christian Fortin. La Commission des lésions professionnelles était assistée d’une interprète pour entendre le travailleur.

[33]           Le travailleur déclare qu’il est opérateur de machines extrudant le plastique depuis 1999. Il répare également ces machines. Le travailleur déclare qu’il travaille six ou sept jours par semaine et jusqu’à dix heures par jour, selon les besoins.

[34]           Il précise que ses symptômes ont augmenté en février 2004 et qu’il a consulté le docteur Ostiguy, à la suggestion du docteur Mannix, pneumologue. Le docteur Ostiguy a autorisé l’arrêt du travail. Les notes de consultation du docteur Mannix ont été produites après l’audience.

[35]           Le travailleur déclare que sa respiration s’accélérait car il y avait beaucoup d’odeurs et de fumées à l’usine. Il a des problèmes respiratoires depuis deux ans. Il ne comprenait pas ce qui se passait. C’est le docteur Ostiguy qui s’est informé des produits utilisés dans l’usine.

[36]           Le travailleur déclare que la première consultation à l’Institut thoracique de Montréal remonte à avril 2003. Le docteur Mannix lui prodiguait des soins. Il lui arrivait de passer des journées à l’hôpital, en hospitalisation de jour.

[37]           C’est le docteur Ostiguy qui lui a demandé de mesurer ses débits expiratoires de pointe.

[38]           Le travailleur déclare que son état s’améliorait en quittant le travail. Il ne peut marcher beaucoup et le froid lui cause beaucoup de difficultés. Il n’avait pas de problème auparavant.

[39]           L’employeur, à un moment, a commencé à utiliser ce que le travailleur nomme des débris de plastique (« scrap »), mais il ne peut préciser à quel moment. Ces produits causaient de la fumée. Certaines machines ne fonctionnaient pas bien. Le travailleur devait alors arrêter ces machines, en extraire le plastique fondu et les réparer. La fumée le dérangeait. Il n’y a pas de système de climatisation de l’air dans l’entreprise. Il devait ouvrir les fenêtres pour ventiler la pièce.

[40]           Lorsque les machines ne fonctionnaient pas bien, il y avait beaucoup d’odeurs ou de fumées.

[41]           En février et mars 2001, il a effectué un voyage à La Mecque. Il n’a pas été malade au cours de ce voyage. Il s’est enrhumé. À son retour au Canada, il a été hospitalisé à l’hôpital Fleury. Il ne savait trop ce que le mot asthme voulait dire. Il ne souffrait pas de maladie respiratoire alors, il était bien.

[42]           Le travailleur fumait. Les notes médicales indiquent qu’il a cessé de fumer au moment des interventions du docteur Mannix, mais le témoignage du travailleur est imprécis sur ce sujet.

[43]           Rohullah Rahimzai témoigne à l’effet qu’il a travaillé pour l’employeur de 1996 à 2002. C’est à cette occasion qu’il a rencontré le travailleur. Il a été en arrêt du travail en 1997 et a repris le travail sporadiquement, à cause d’une lésion au bras. Il témoigne à l’effet que les machines ne fonctionnaient pas bien et qu’elles dégageaient des odeurs et des fumées. Il n’y a pas de ventilation ni de fenêtre dans cette partie de l’usine. Il travaillait dans le secteur fonderie et plastique de cette entreprise. Il a quitté cet employeur en mauvais termes[2].

[44]           La Commission des lésions professionnelles a ensuite entendu le docteur Ostiguy. Il est président du comité des maladies professionnelles pulmonaires depuis 1980. Il enseigne aux universités de Montréal et McGill. La Commission des lésions professionnelles a reconnu son expertise en pneumologie.

[45]           Le docteur Mannix l’a consulté pour analyser la possibilité que le travailleur soit affecté par des agents sensibilisants. Le diagnostic d’asthme lui semble assez bien documenté au dossier. Il est d’avis qu’il se serait développé en cours d’emploi. Il a rempli une attestation médicale de la C.S.S.T. dans le contexte de cette consultation, afin de faciliter le traitement du dossier du travailleur par la C.S.S.T. Il a ensuite amorcé le processus d’évaluation par le comité. Le docteur Ostiguy déclare qu’il n’est pas le médecin traitant du travailleur. Le docteur Mannix occupe cette fonction. Ce n’est que pour accélérer le processus qu’il a signé les rapports destinés à la C.S.S.T.

[46]           Le docteur Ostiguy témoigne qui si l’asthme est pire ou s’aggrave dans le milieu de travail, il y a lieu de s’informer des produits utilisés dans l’entreprise. Il y a du styrène, du propylène et du polyéthylène. Il n’y a pas eu de test de provocation bronchique spécifique afin de ne pas exposer le travailleur à une investigation qui aurait pu mettre sa santé en danger, compte tenu de la présence de l’amiantose. Il souligne par ailleurs que cette maladie est présente chez le travailleur depuis bien avant son arrivée au Canada.

[47]           Des mesures des capacités pulmonaires du travailleur ont été prises au travail et hors du travail et il appert que les valeurs sont diminuées au travail. Ces mesures sont prises par le travailleur. Leur fiabilité dépend exclusivement du travailleur. Cependant, sur les documents déposés lors de l’audience, l’horaire de travail n’est pas indiqué non plus que la prise de médication sur ces mesures de débits expiratoires de pointe. La date de l’arrêt du travail n’est pas précise, l’employeur ayant produit un avis de cessation d’emploi indiquant que le dernier jour travaillé est le 12 décembre 2003.

[48]           Par ailleurs, la labilité bronchique, lorsqu’il y a une variable de plus de 15 %, est une indication de l’asthme. Ici, encore, il y a lieu de vérifier l’écart lors de la présence au travail.

[49]           Le travailleur est porteur d’amiantose, qui diminue considérablement ses fonctions respiratoires.

[50]           Le docteur Ostiguy est d’avis que le dossier de l’hôpital Fleury, en 2001, permet de conclure que le travailleur était porteur d’asthme à ce moment.

[51]           Comment établir la distinction entre une condition personnelle et une maladie professionnelle pulmonaire ?

[52]           Dans le cas actuel, le docteur Ostiquy est d’avis que c’est la présence, sur les lieux du travail, de substances sensibilisantes. Il cite à cet effet quatre articles de littérature médicale[3] à cet effet.

[53]           Le docteur Ostiguy est d’avis qu’il ne pouvait procéder à des tests de provocation à cause de la mauvaise fonction pulmonaire du travailleur. Il ne pouvait non plus procéder à des tests à la métacholine pour confirmer l’asthme.

[54]           Une exposition minime suffit pour sensibiliser une personne. Il suffit que les produits soient présents pour conclure à une exposition.

[55]           Le dossier de l’hôpital Fleury ne permet pas de conclure que le travailleur était alors porteur de tuberculose active. Cependant, on peut lire, dans les notes de consultation, que le docteur Mannix s’interroge fréquemment sur la présence de cicatrices pulmonaires qui auraient pu avoir été causées par la tuberculose.

[56]           Le tabagisme n’est pas une cause de l’asthme. Il est plutôt la cause d’une bronchite chronique ou d’emphysème. Cependant, le fait d’arrêter de fumer améliorera plus substantiellement l’asthme que la maladie pulmonaire obstructive chronique (M.P.O.C.) qui affecte également le travailleur.

[57]           Le docteur Ostiguy poursuit en indiquant que le délai d’apparition de l’asthme démontre une lente progression. Une sensibilisation peut évoluer de façon sournoise et insidieuse.

[58]           De façon synthétique, le docteur Ostiguy résume la situation ainsi : le travailleur n’a pas d’histoire d’asthme; il ne présente pas un terrain atopique; il n’a pas d’allergie connue; il consulte après quatre ans de travail dans un milieu où il est exposé à des agents sensibilisants. Il faut donc conclure à un asthme d’origine professionnelle.

[59]           L’asthme peut s’améliorer lorsque l’exposition aux agents cesse. Il existe des agents pour contrôler l’asthme.

[60]           L’asthme correspond à des obstructions bronchiques variables dans le temps. Lors des tests, il est possible de mesurer une amélioration de l’obstruction des voies respiratoires en administrant des bronchodilatateurs à effet court.

[61]           Lors du test administré en mai 2004, il n’y a pas de démonstration de réversibilité de l’obstruction des voies aériennes, possiblement à cause de l’administration, deux heures et demie avant l’examen, d’Advair et de Prednisone.

[62]           La mesure des débits expiratoires de pointe n’est pas aussi fiable que les V.E.M.S. car les premiers s’effectuent sans supervision et dépendent exclusivement de la collaboration et de la fiabilité du patient dans la prise des mesures et indications de la prise de médicaments.

[63]           Aucun test de sensibilisation cutanée avec les produits sensibilisants n’a été effectué. Il n’y a pas eu d’analyse des expectorations pour déterminer des profils cellulaires, mais ce sont des tests qui ne sont pas faits habituellement dans les cas d’asthme, selon le docteur Ostiguy.

[64]           Selon lui, il est difficile d’évaluer si c’est l’ajustement de la médication qui améliore l’état du travailleur ou simplement le retrait du travail.

[65]           Face aux données contradictoires, entre la version du travailleur quant à la présence de fumées et odeurs dans l’usine et les données recueillies par Christian Fortin et Jean-Pierre Gauvin, analysées par le docteur Simard, le docteur Ostiguy déclare qu’il préfère retenir la version du travailleur.

[66]           Une sensibilisation en moins de trois mois est assez rare, mais possible.

[67]           Le travailleur est rappelé comme témoin. Il déclare avoir cessé de fumer en 2003. Il déclare que les températures de chauffage des produits pouvaient se rendre jusqu’à 800° C. Il est d’avis qu’il a été congédié. Cependant, il reçoit des prestations d’assurance-maladie de l’assureur de l’employeur en février 2007, ce qui rend cette affirmation du travailleur peu probable.

[68]           La Commission des lésions professionnelles a ensuite entendu Christian Fortin. Il a effectué des visites de l’entreprise. Il y a trois départements dans cette compagnie, dont deux utilisent un processus industriel. Le premier traite des métaux alors que le second extrude du plastique. Il n’a jamais aperçu de fumées ou de gaz lors de ses visites. L’employeur respecte les températures de fluage des produits. Au-delà de ces températures, le plastique perd ses propriétés utiles. Il a observé les processus pendant quelques heures et il n’a pas détecté d’odeur de styrène. L’objet du processus n’est pas la polymérisation, mais le ramollissement du plastique, pour le mouler.

[69]           Dans son rapport, on peut lire que les quatre types de plastique utilisé sont généralement considérés comme inertes biologiquement et écologiquement et non toxiques, sauf pour les monomères et les plastiques non curés. Ces produits n’émettent pas de gaz, de vapeurs ou fumées en quantités significatives, sauf éventuellement en cas de fait purement accidentel, tel l’exposition à une flamme nue ou des températures beaucoup plus élevées que la normale.

[70]           Il ajoute :

Le risque le plus important d’après la littérature est celui de dermatite, lorsqu’on manipule de la poudre de polymère ou des monomères, ce qui n’est pas le cas ici.

 

Les risques d’atteinte au système respiratoire, sous forme d’irritation importante, d’asthme professionnel et, dans de rares cas, de fibrose pulmonaire, semblent systématiquement associés à des niveaux très élevés de concentrations (plus de 10 mg de poussière par mètre cube d’air, et plus de 400 à 700 ppm de gaz ou vapeurs) et, par conséquent, à une ventilation générale et locale inadéquate. Ce qui n’est pas le cas non plus ici.

 

 

[71]           Le processus industriel est en circuit fermé. Les colorants sont déjà incorporés dans le plastique.

[72]           Le rapport continue en indiquant que les plastiques sont chauffés à des températures ne dépassant pas la limite de dégagement de produits nocifs, par une marge importante. Les plastiques ne sont pas chauffés à plus 200° C.

[73]           Lors de ses visites, il a pu observer le processus de fabrication.

[74]           Christian Fortin ne peut affirmer qu’un mauvais fonctionnement de la machinerie ne produirait pas de vapeur.

[75]           Lors des visites de l’entreprise, Christian Fortin ne s’est pas adressé aux travailleurs. Il n’a pas noté la présence d’un système de ventilation de l’immeuble.

[76]           Il est en mesure d’affirmer que si le système avait produit de la vapeur ou des fumées dans le processus, il les aurait vues et senties.

[77]           Les niveaux de température mentionnés par le travailleur, soit jusqu’à 800° C, sont nettement au-dessus des températures d’ébullition des produits utilisés et même deux fois plus élevés que ce niveau d’ébullition ou même de combustion pouvant émettre des vapeurs nocives.

[78]           En 1996, un programme de santé a été mis en place. À la suite d’une visite du docteur Blais, médecin responsable à ce moment, aucun risque associé au plastique n’a été identifié. Aucun changement dans le processus de fabrication n’a été identifié depuis la mise en place de ce programme. On peut lire, dans ce rapport, que les mesures prises dans des entreprises semblables n’ont jamais démontré des expositions supérieures aux normes pour les différents produits de dégradation du plastique. La priorité de l’intervention est la diminution du bruit.

[79]           Du dossier hospitalier du travailleur à l’Institut thoracique de Montréal, la Commission des lésions professionnelles retient que la première consultation a lieu le 12 février 2003. Le travailleur consulte alors pour une évaluation d’une dyspnée depuis environ trois ans, pire depuis un an, dont la cause principale est l’effort. Le travailleur mentionne alors son type de travail, mais précise que ses problèmes sont antérieurs à son entrée en fonction. Le docteur Mannix est alors d’avis que le travailleur présente vraisemblablement une combinaison d’anciennes cicatrices de tuberculose, un fibrothorax et une maladie pulmonaire obstructive chronique. Elle s’interroge également sur l’origine professionnelle possible de l’état du travailleur.

[80]           En avril 2003, l’essai de Ventolin ne soulage pas. En juin 2003, le Singulair n’améliore pas la maladie pulmonaire obstructive chronique ni l’asthme. Le travailleur est encore limité. En août 2003, le docteur Mannix note que le travailleur se sent mieux.

[81]           Le travailleur est hospitalisé, en séjour de jour, du 10 au 17 décembre 2003. On note, tout au cours de cette hospitalisation, que le froid est à l’origine des bronchospasmes qui l’affectent. On peut lire dans les notes de consultation du 11 décembre 2003 que le travailleur retourne au travail ce soir-là. Ce retour au travail ne semble pas avoir exacerbé ses symptômes, selon la note de consultation du lendemain. Il reçoit son congé de l’hôpital le 17 décembre 2003.

[82]           Le 7 janvier 2004, le docteur Ostiguy examine le travailleur et se questionne sur l’origine professionnelle des problèmes respiratoires du travailleur. Il note que la labilité bronchique est documentée dans le dossier de l’hôpital Fleury. Il constate également que les mesures de débits expiratoires de pointe prises par le travailleur depuis le 18 décembre 2003 l’ont été à domicile exclusivement.

[83]           Lors de la visite du 14 janvier 2004, le docteur Mannix note que le travailleur souffre d’une augmentation de dyspnée à l’air froid, qui s’améliore nettement à la température de la pièce.

[84]           En avril 2004, le travailleur déclare que son état s’est amélioré de 50 % depuis l’arrêt du travail, que le médecin situe alors le 11 février 2004.

[85]           En mai 2004, le docteur Ostiguy note que le travailleur ne se sent pas bien. Il prend alors de la Prednisone depuis deux semaines.

[86]           En septembre 2004, le docteur Mannix s’interroge sur la fiabilité des données prises par le travailleur. Une partie de la note de consultation se lit comme suit :

59 yo♂ multiple resp problems

asbestosis, COPD, old TB, pleural plaques 2° asb, occupational exposures

 

All combining to creat mod to severe resp limitations tough not O2 dep. Seems impossible to maintain his ideal « best » flows despite lots of rx (?just not reactive vs compliance vs technique)

 

Evidently, still dyspneic at rest not whiz, problems at CSST

 

 

[87]           En novembre 2004, l’air froid cause des problèmes de dyspnée. Le travailleur est cependant mieux qu’habituellement.

[88]           En février 2005, l’air froid cause aussi des problèmes de dyspnée.

[89]           Le 15 février 2005, le docteur Ostiguy signe une lettre à l’intention de l’Office municipal d’habitation de Longueuil. Il y mentionne que le travailleur a des difficultés à monter des marches lorsqu’il a une exacerbation de son asthme. Il ajoute que l’air froid, l’humidité, les odeurs fortes sont des facteurs aggravants de cette maladie. Cette lettre a pour but d’accélérer le processus d’attribution d’un logement convenant au travailleur.

[90]           Une consultation spontanée a lieu en mars 2005 à cause d’une dyspnée causée par l’air froid.

ARGUMENTATION

[91]           L’avocat du travailleur soumet qu’il y a des présomptions graves, précises et concordantes permettant de conclure à un asthme d’origine professionnelle. Les pneumologues composant les comités concluent en ce sens.

[92]           Le docteur Ostiguy témoigne que la simple exposition à un irritant suffit pour causer un asthme. Le témoignage d’un membre du comité des maladies professionnelles pulmonaires et du comité spécial des présidents est recevable.

[93]           Les mesures de débits expiratoires de pointe prises par le travailleur sont fiables.

[94]           Il y a des produits sensibilisants dans l’usine de l’employeur. Le travailleur a dû réparer des machines qui avaient surchauffé et donc qui produisaient des vapeurs de composants de plastique. Le travailleur est crédible et son témoignage est corroboré par celui d’un collègue.

[95]           Le témoignage de Christian Fortin n’exclut pas la possibilité du mauvais fonctionnement des machines et la production de fumées dans ce cas.

[96]           La présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi s’applique en l’espèce. Le diagnostic d’asthme est posé en l’instance et l’exposition à des agents sensibilisants est démontrée.

[97]           Il y a donc lieu d’accueillir la requête du travailleur et de conclure qu’il souffre d’un asthme d’origine professionnelle.

[98]           L’employeur soumet que le travailleur a de graves problèmes respiratoires attribuables à plusieurs maladies pulmonaires. Dès 2001, le diagnostic d’asthme est posé, diagnostic confirmé par le docteur Ostiguy.

[99]           Le travailleur a fumé de façon importante dans sa vie. L’amélioration des volumes respiratoires notée depuis février 2004 peut, selon le témoignage du docteur Ostiguy, être attribuable au fait d’avoir cessé de fumer.

[100]       L’employeur soumet que la preuve ne permet pas de conclure à une exposition au travail, au styrène, polyétylène et au polypropylène. Il n’y a pas d’histoire de problème respiratoire dans l’entreprise.

AVIS DES MEMBRES

[101]       Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le travailleur est porteur de plusieurs maladies pulmonaires graves. Le rôle du docteur Ostiguy est ambigu : agit-il à titre de médecin traitant et de président du comité ? Quoi qu’il en soit, la preuve n’est pas prépondérante que le travailleur est exposé, à son travail, à des agents sensibilisants. Les mesures scientifiques et le processus industriel démontrent l’absence d’exposition à des produits de décomposition du plastique.

[102]       La membre issue des associations syndicales est d’avis que le travailleur a été exposé à des agents spécifiques sensibilisants et que la présomption de l’article 29 de la loi s’applique. La preuve ne permet pas d’établir l’exposition en 2001. Le témoignage du travailleur est crédible en ce qui a trait à la présence de fumées et de vapeurs dans l’usine. Par ailleurs, il est notable que Christian Fortin n’a pas parlé au travailleur ou à ses collègues de travail lors de la visite de l’usine. Son rapport ne fait état d’aucune démarche ou mesure quant au procédé industriel : prise de température ou consultation d’un registre de réparations, conséquences d’un mauvais fonctionnement du processus industriel ou autres informations pertinentes. Par ailleurs, les pneumologues qui ont examiné le travailleur sont tous du même avis. Il y a donc lieu d’accueillir la requête du travailleur.

MOTIFS

[103]       La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[104]       Les dispositions pertinentes de la loi se lisent comme suit :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

 

 

[105]       L’asthme bronchique est mentionné à l’Annexe I de la loi et est associé à un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant.

[106]       Afin d’appliquer la présomption de maladie professionnelle pulmonaire, le travailleur doit démontrer un asthme bronchique. Il doit également démontrer, par une preuve prépondérante, une exposition à un agent spécifique sensibilisant.

[107]       On trouve, aux articles 226 à 233 de la loi, la procédure d’évaluation par le comité des maladies professionnelles pulmonaires. Ces démarches ont été suivies en l’instance.

[108]       L’analyse de la preuve démontre plusieurs difficultés.

[109]       Dans un premier temps, le travailleur est porteur de plusieurs maladies pulmonaires. Il est atteint d’amiantose, une maladie pulmonaire restrictive. Il souffre également d’une maladie pulmonaire obstructive chronique. Le docteur Mannix soupçonne une ancienne tuberculose qui aurait laissé des cicatrices aux poumons.

[110]       Le diagnostic d’asthme est également posé, en l’instance, et n’est pas contesté. L’asthme du travailleur est présent depuis à tout le moins 2001, alors que ce diagnostic est posé lors d’une hospitalisation à l’hôpital Fleury.

[111]       Dans un autre ordre d’idées, la Commission des lésions professionnelles doit conclure que le docteur Ostiguy, pour les fins de la réclamation du travailleur, est le médecin traitant. Il a signé les attestations médicales destinées à la C.S.S.T. Le dossier constitué par la C.S.S.T. ne comporte pas de rapport médical signé par le docteur Mannix.

[112]       Or, le docteur Ostiguy effectue les tests fonctionnels respiratoires le 6 mai 2004. Il est également le président du Comité B de Montréal des maladies professionnelles pulmonaires, chargé d’analyser la réclamation du travailleur. On peut lire, à l’occasion, des notes signées de sa part dans le dossier hospitalier du travailleur. Il initie le processus de réclamation en février 2004.

[113]       Il y a apparence de conflit d’intérêt. La preuve démontre que le docteur Ostiguy prend fait et cause en faveur du travailleur. Qu’il suffise de lire le premier rapport médical signé par le docteur Ostiguy demandant le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Ce n’est certes pas une opinion médicale.

[114]       Cette prise de position du docteur Ostiguy ne remet pas en cause son expertise de pneumologue émérite. On peut cependant s’interroger sur son objectivité, particulièrement lorsqu’il doit choisir, pour les fins de son analyse, entre les faits rapportés par le travailleur et les faits rapportés par d’autres personnes. La force probante de son témoignage est moins grande que celle d’un expert désintéressé.

[115]       Un expert doit donner un avis objectif à la C.S.S.T. et à la Commission des lésions professionnelles, lorsqu’il est appelé à témoigner devant elles. Ainsi, dans les lignes directrices relatives au rôle des experts, la Commission des lésions professionnelles énonce cette attente :

6.4       L'expert évite de se comporter en représentant de la partie qui l'engage, s'abstenant, entre autres, de commenter les règles de droit applicables au cas soumis.

 

 

[116]       Le Collège des médecins a aussi cette exigence d’indépendance professionnelle : le médecin expert ne devrait pas être partie prenante des soins donnés au patient[4].

[117]       Le législateur a également tenté d’éviter ce genre de situation à l’article 231 de la loi en excluant du comité spécial des présidents, le président du comité qui a fait le rapport faisant l’objet de l’examen par le comité spécial. On peut certes tenir le même raisonnement pour un membre d’un comité : il devrait s’abstenir d’être à la fois un médecin traitant et siéger sur le comité.

[118]       Le président d’un comité ne devrait pas intervenir, à titre de consultant ou de médecin traitant, dans le dossier d’un patient dont il aura à déterminer s’il est atteint ou non d’une maladie professionnelle pulmonaire. S’il a donné son avis, il devrait s’exclure du comité ou soumettre le dossier à un autre comité.

[119]       Ceci étant établi, la preuve soumise à l’audience permet-elle de conclure que le travailleur a été exposé à un agent spécifique sensibilisant ?

[120]       Le travailleur déclare qu’à son travail, il a été exposé à des fumées et à de fortes odeurs, principalement lorsque les machines fonctionnaient mal. Un collègue de travail confirme ces faits. Cependant, ce collègue de travail n’est plus en emploi depuis 2002 et il ne travaillait pas régulièrement dans le même département que le travailleur.

[121]       Le travailleur précise également que son état s’est nettement amélioré depuis l’arrêt du travail.

[122]       Quelle est la date de cet arrêt du travail ? Le travailleur situe cet arrêt du travail le 19 décembre 2003 dans le formulaire portant sur son expérience professionnelle. Il s’agit de la dernière journée de la période de paie incluant le 12 décembre 2003. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que c’est en décembre 2003, plus précisément le 12 décembre 2003, dernière journée travaillée selon le relevé de cessation d’emploi remis au travailleur par l’employeur. Le travailleur n’a pas travaillé chez l’employeur depuis à tout le moins la mi-décembre 2003. La date du 11 février 2004 ne peut être retenue. Il s’agit de la date de la signature du premier rapport médical par le docteur Ostiquy.

[123]       La Commission des lésions professionnelles ne peut donc retenir l’avis du comité en ce qui a trait aux mesures de débits expiratoires de pointe effectuées par le travailleur. En effet, le comité retient, comme date d’arrêt du travail, le 11 février 2004, alors qu’effectivement, c’est en décembre 2003 que le travailleur cesse de travailler. Les points de comparaison du comité sont donc faussés par cette information inexacte. Par ailleurs, les variations de ces mesures sont compatibles, entre autres, avec le changement de température saisonnier. Rappelons que la consultation qui a donné lieu à l’hospitalisation de jour du travailleur, en décembre 2003, est associée à une mauvaise tolérance au froid. Cette mauvaise tolérance au froid est constante dans les notes des consultations postérieures au retrait du travail.

[124]       Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles comprend mal qu’un travailleur que l’on dit exposé à un ou des agents spécifiques sensibilisants depuis quatre ans, sans crise aiguë documentée au dossier hospitalier, ne puisse subir un test de sensibilisation dont l’objet serait de démontrer à quel est l’agent il est sensible.

[125]       L’analyse des notes de consultation médicale, postérieures au retrait du travail, démontrerait, selon le docteur Ostiguy, une amélioration de l’état du travailleur.

[126]       Cette amélioration est, selon son témoignage, aussi compatible avec l’arrêt relativement récent du tabagisme.

[127]       La note de consultation du docteur Mannix, en septembre 2004, soit plus de sept mois après le retrait du travail, ne confirme pas l’analyse du docteur Ostiguy et remet également en cause la fiabilité du travailleur (« compliance vs technique »).

[128]       La condition asthmatique du travailleur est telle, à l’hiver 2005, que le docteur Ostiguy se sent l’obligation de solliciter, pour le travailleur, un changement de logement, à cause de l’humidité, du froid et des odeurs fortes.

[129]       On ne peut donc conclure que le retrait du travail est la cause de l’amélioration de l’état du travailleur. Sur cet aspect, il faut donc remettre en cause l’exposition au travail à des agents spécifiques sensibilisants.

[130]       Quels sont ces agents sensibilisants ?  Le docteur Ostiguy ne peut les préciser. Il se fie aux fiches signalétiques.

[131]       Le travailleur et son collègue soumettent qu’il y a des fumées et des odeurs dans l’usine et que les températures de chauffage peuvent atteindre 800° C.

[132]       Dans un premier temps, il faut noter que la preuve ne permet pas d’identifier un moment, depuis 2001, où le travailleur, après des réparations à une machine défectueuse, aurait consulté pour une exacerbation de ses symptômes respiratoires.

[133]       La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de trois rapports d’analyse de la situation dans l’usine de l’employeur.

[134]       Dans la première, Contex Environnement, en mars 2004, détermine qu’il n’y a pas de trace de styrène dans l’air. Les composés organiques volatils sont présents à une concentration inférieure à 2,5 parties par million (ppm).

[135]       Dans la seconde, réalisée par Christian Fortin, qui a vainement tenté d’obtenir la participation du travailleur aux visites industrielles qu’il a effectuées, il appert que le processus industriel est en vase clos, qu’il n’y a pas de vapeur ni de fumée qui s’échappe des machines. De plus, il n’y a pas de poussière de plastique ou de ses dérivés, le procédé utilisant des granules de plastique. Le processus de fabrication ne demande pas de polissage des plastiques. Il n’y a donc pas de débris ou de particules de plastique dans l’air ambiant. La température mentionnée par le travailleur, soit 800° C dépasse de beaucoup le point d’ébullition et de combustion.

[136]       Dans la troisième étude, le docteur Simard analyse les données préparées par Christian Fortin, à la lumière de la littérature médicale qu’il a pu consulter[5]. Il est d’avis que l’on ne peut mettre en évidence d’exposition directe à des produits chimiques susceptibles de causer de l’asthme professionnel.

[137]       Dans le programme de santé préparé dans le contexte de la Loi sur la Santé et la Sécurité du travail[6], il n’y a pas de risque associé aux produits de dégradation du plastique dans les usines du même type que celle de l’employeur.

[138]       La Commission des lésions professionnelles n’a aucune raison de mettre de côté ces avis.

[139]       Compte tenu de l’avis de ces experts, dans leur domaine d’expertise spécifique, quant à l’absence ou à la quantité minime de particules dans l’air face à la généralité de l’affirmation du travailleur et de son collègue à l’effet qu’il y a des fumées et des vapeurs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis de retenir l’avis des trois experts qui se sont prononcés sur cette situation.

[140]       Considérant donc que le travailleur est affecté de plusieurs maladies pulmonaires importantes, dont de l’asthme;

[141]       Considérant que le travailleur est porteur d’amiantose;

[142]       Considérant que le travailleur est également affecté d’une maladie pulmonaire obstructive chronique;

[143]       Considérant que l’asthme est médicalement documenté depuis 2001;

[144]       Considérant que la preuve ne permet pas d’établir qu’à un moment particulier, depuis 2001, le travailleur a été victime d’une manifestation importante d’asthme que l’on peut directement relier à son travail ou à une réparation d’une machine défectueuse;

[145]       Considérant que l’hospitalisation de jour du travailleur, en décembre 2003, est associée au froid;

[146]       Considérant qu’aucun test n’a permis de préciser l’agent spécifique sensibilisant;

[147]       Considérant que le retrait du travail n’a pas entraîné d’amélioration sensible de l’état du travailleur, au-delà d’une amélioration compatible avec l’arrêt du tabagisme et un ajustement de sa médication;

[148]       Considérant que l’asthme du travailleur, deux ans après son retrait du travail, exige une intervention pour changer de logement à cause de l’humidité;

[149]       Considérant que lors des mesures prises dans l’usine, les agents sensibilisants soupçonnés par le docteur Ostiguy (styrène et polyéthylène) sont soit absents (styrène), soit en quantité minime;

[150]       Considérant que le fardeau de la preuve du travailleur est de démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il a été exposé à un agent spécifique sensibilisant afin que la présomption de lésion professionnelle s’applique;

[151]       Considérant que la conclusion du comité repose sur le choix de croire le travailleur malgré les études mentionnées plus haut;

[152]       Considérant que le président du comité a pris fait et cause pour le travailleur;

[153]       Considérant que les faits mis en preuve ne permettent pas d’appliquer une présomption de faits, compte tenu de l’absence de concordance entre le retrait du travail et le peu d’amélioration de son état;

[154]       La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, qu’il a été exposé à un agent spécifique sensibilisant au travail.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Hamir Shokat, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue le 17 août 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 11 février 2004.

 

 

__________________________________

 

Me Richard L. Beaudoin

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Jacques Lauzon

F.A.T.A. - Montréal

Représentant de la partie requérante

 

 

Mme Louise Lanthier, consultante

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Rahimzai et Entreprises Dero inc., C.L.P. 158924-71-0104 et al, 15 août 2002, Me M. Bélanger.

[3]           P.F.G. GANNON, P.S. BURGE, G.F.A. BENFIELD, Occupational asthma due to polyethylene shrink wrapping (paper wrapper’s asthma, Occupational Lung Disease Unit, East Birmingham Hospital, Birmingham, p. 759; G. MOSCATO, G. BISCALDI, D. COTTICA, F. PUGLIESE, S. CANDURA, F. CANDURA, Occupational Asthma Due to Styrene: Two Case Reports, Journal of Occupational Medicine, vol. 29, no 12, Décembre 1987; J.P. HAYES, L. LAMBOURN, J.A.C. HOPKIRK, S.R. DURHAM, A.J. NEWMAN TAYLOR, Occupational asthma due to styrene, Department of Occupational and Environmental Medicine, Royal Brompton and National Heart Hospital, Londres, p. 396-397, J.-L. MALO, A. CARTIER, L. PINEAULT, M. DUGAS, A. DESJARDINS, Occupational asthma due to heated polypropylene, Dept of Chest Medicine, Hôpital du Sacré-Cœur, Montréal, Canada, p. 415-417.

[4]           La médecine d’expertise, Guide d’exercice du Collège des médecins.

[5]           Occupational Health Case Reports - No 7, Okawa-MT, Polakoff-PL; HHE Report HHE-72-68-25, North American Rockwell, Reinforced Plastics Operation, Astabula, Ohio, Cohen-SR, Vandervort-R; HHE Report HHE-73-1-66, Robin Products Company, Warren, Michigan, Rosensteel-RE, Polakoff-PL; HHE Determination Report No HHE-73-30-90, King Seeley Thermos Company Macomb, Illinois, Vandervort-R, Shama-SK; HHE Determination Report No HHE-73-103-128, American Standard Fiberglass Stockton, California, Bodner-AH, Butler-GJ, Okawa-MT; Changes in Pulmonary Function in Workers Exposed to Vinyl Chloride and Polyvinyl Chloride, Miller-A, Teirstein-AS, Chuang-M, Selikoff-IJ, Warshaw-R; Polyvinyl Chloride Pyrolysis Products a Potential Cause for Respiratory Impairment, Polakoff-PL, Lapp-NL, Reger-R; Respiratory Tract Illness in Meat Wrappers, Falk-H, Portnoy-B; Polyvinyl Chloride Film Thermal Decomposition Products as an Occupational Illness 2, Clinical Studies, Brooks-SM, Vandervort-R; HHE Report No HETA-81-174-962, Sport Craft Inc., Perry, Florida, Moody-PL, Hartle-R; HHE/Toxicity Determination Report No. HHE-73-30-90, King Seeley Thermos Company, Macomb, Illinois, Vandervort-R, Shama-SK; Occupational Asthma and Rhinitis, Salvaggio-JE, Taylor-G, Weill-H; HHE Report No. HETA-90-011-2034, Xomox Corporation, Cincinnati, Ohio, Reh-CM; Clinical Surveillance and Management of Occupational Asthma: Tertiary Prevention by the Primary Practitioner, Cullen-MR; HHE Report No. HETA-89-083-2134, Parker Hannifin Corporation, Ravenna, Ohio, Orgel-DL, Isocyanates in Plastics Manufacturing, Vandervort-R, Shama-SK; HHE Report No. HETA-92-0297-2396, Exxon Chemical Company, Pottsville Film Plant, Polyethylene Film Department, Mar-Lin, Pennsylvania, Burkhart-JE, Jennison-EA; An Outbreak of Naphthalene DI-isocyanate-induced Asthma in a Plastics Factory, Fuortes-LJ, Kiken-S, Makowsky-M; HHE Report No. HETA-79-034-1440, Intex Plastics, Corinth, Mississippi, Salisbury-S; Work-Related Skin Disease in the Plastics Industry, Socie-EM, Gromen-KD, Migliozzi-AA, Geidenberger-CA; Health Hazard Evaluation Report HETA 97-0154-2693, Siemens Energy and Automation Inc., Distribution Products Division, Urbana, Ohio, Morley-JC, Trout-D, Hanley-K; Health Hazard Evaluation Report, HETA-98-0072-2762, Allgrind Plastics Inc., Portal, New Jersey, Weissman-D, Piacitelli-C, Schill-DP; Fatal Asthma from Powdering Shark Cartilage and Review of Fatal Occupational Asthma Literature, Ortega-HG, Kreiss-K, Schill-DP, Weissman-DN.

[6]           L.R.Q., c. S-2.1.

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