Émond c. Benhaim |
2011 QCCS 4755 |
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JM2257 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-042343-080 |
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DATE : |
7 septembre 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.S. |
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MARC ÉMOND |
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CATHIE ST-GERMAIN, personnellement et |
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en sa qualité de tutrice à son fils mineur, |
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X |
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CATHIE ST-GERMAIN, en qualité de |
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légataire universelle de FEU MARC ÉMOND |
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Demandeurs |
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c. |
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Dr ALBERT BENHAIM |
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Dr MICHEL O'DONOVAN |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Marc Émond (« Monsieur Émond ») incarne la santé. Il a une forme physique exceptionnelle, s’entraîne quotidiennement et voue une attention particulière à son alimentation. Rien n'annonce le diagnostic qui vient bouleverser sa vie et celle de ses proches en janvier 2007.
[2] Malgré l'absence de symptômes, il apprend alors qu'il souffre d'un cancer du poumon de stade IV, dont il décèdera en juin 2008, à l'âge de 47 ans.
[3] Sa conjointe, Cathie St-Germain (« demanderesse »), tant en son nom personnel qu'en ses qualités de légataire universelle de Feu Marc Émond et de tutrice à son fils mineur X (« X »), poursuit son médecin traitant, Dr Albert Benhaim (« Dr Benhaim ») et le radiologue Dr Michael O'Donovan (« Dr O'Donovan ») pour des dommages totalisant 3 780 000 $.
[4] Elle leur reproche d'avoir omis de déceler et/ou investiguer la présence d'un nodule au poumon droit apparu sous forme d'opacité sur une radiographie pulmonaire prise en novembre 2005 et d’avoir fait défaut de proposer à son conjoint les démarches qui auraient permis un diagnostic précoce et une pleine guérison.
[5] Les défendeurs nient toute responsabilité. Ils soutiennent qu'ils se sont comportés en médecins prudents et diligents placés en pareilles circonstances et que même un diagnostic posé en novembre 2005 n'aurait pas permis la guérison de Monsieur Émond, puisque le cancer avait alors déjà atteint un stade avancé.
[6] Dès 1993, Monsieur Émond, qui travaille comme courtier d'assurances dans le domaine du transport, se soumet annuellement à un bilan complet de santé auprès de la Clinique Physimed, où il est suivi depuis le début par le président et fondateur de la clinique, Dr Benhaim, un omnipraticien.
[7] Le 9 novembre 2005, dans le cadre d'une de ses évaluations annuelles, il questionne son médecin sur l'opportunité de subir une colonoscopie. Dr Benhaim lui propose plutôt une radiographie pulmonaire, même s'il ne présente alors aucun symptôme ni problème de nature pulmonaire.
[8] La radiographie est prise le même jour à la Clinique Physimed et transmise à la Clinique de radiologie Ellendale, où elle est interprétée par l'un des ses radiologues, Dr O'Donovan, qui compte près de 40 années de pratique dans le domaine, ayant oeuvré comme radiologue auprès de l'Hôpital Général de Montréal entre 1971 et 2000, avant de joindre les rangs de la Clinique Ellendale.
[9] Le 16 novembre 2005, Monsieur Émond revoit Dr Benhaim pour discuter des résultats de son bilan.
[10] Selon la version de Monsieur Émond, Dr Benhaim lui mentionne alors que le résultat de la radiographie montre la présence d'un morceau de chair sans conséquence.
[11] Dr Benhaim soutient de son côté qu'il n'a pas encore en main le rapport du Dr O'Donovan lorsqu'il revoit Monsieur Émond pour lui communiquer ses résultats qui s'avèrent tous normaux[1].
[12] Le rapport du Dr O'Donovan, dont le Dr Benhaim prend connaissance vers le 15 décembre 2005, signale la présence d'une opacité d'étiologie incertaine de 1.5 à 2 cm dans la partie supérieure du poumon droit. Il note qu'il n'y a pas de calcification ni présence d'autre anomalie et que l'opacité n'est pas identifiée de manière définie dans le film latéral. Il suggère que les films antérieurs soient obtenus aux fins de comparaison, s’ils sont disponibles. Dans l'éventualité où ils ne le seraient pas, il suggère de répéter la radiographie et d'effectuer « probablement » une tomographie (CT Scan )[2]. Son rapport se lit ainsi :
« CHEST
There is a 1.5 to 2 cm ill-defined opacity noted on the PA film in the mid right upper lobe, the etiology of which is uncertain. There is no calcification and no associated abnormality demonstrated.
The opacity is not definitely identified on the lateral film.
CONCLUSION:
If previous films are available for comparison, they should be obtained. If no previous films are available, I would suggest a repeat film and probably a CT Scan.»
[13] Dr Benhaim demande au personnel de convoquer Monsieur Émond le 17 janvier 2006 pour la radiographie de contrôle suggérée par Dr O'Donovan[3].
[14] Il ne tente toutefois pas de retracer les films pulmonaires antérieurs, ni ne vérifie le dossier médical qui contient les rapports de radiographies pulmonaires prises en 1994, 1998 et 1999[4].
[15] Le 17 janvier 2006, Monsieur Émond se présente tel que prévu à la Clinique Physimed pour une radiographie pulmonaire de contrôle. Celle-ci est de nouveau interprétée par Dr O'Donovan qui constate qu'il n'y a pas eu de changement quant à l'opacité décrite au rapport du 16 novembre 2005 et mentionne qu’il soupçonne une lésion chronique. Il suggère une nouvelle radiographie de contrôle dans quatre mois. Il admettra à l'audience qu'il soupçonnait alors un processus de néoplasie, mais n'en a pas fait mention.
[16] Son rapport se lit ainsi :
« CHEST
This examination has been compared to a previous examination done in November 2005, and demonstrates no change in the previously described opacity in the right upper lobe. I would suspect that this is a chronic change, however, a follow-up film certainly should be done in approximately four months' time. »[5]
[17] Le 26 janvier 2006, Mélissa Deblois, l'infirmière responsable des résultats à la Clinique Physimed, prend connaissance du deuxième rapport et en informe Dr Benhaim le 31 janvier 2006[6]. Selon les inscriptions au dossier, l'infirmière communique ce jour-là avec Monsieur Émond à la demande du Dr Benhaim pour l'informer que les résultats de la radiographie sont normaux[7] et ceci, bien que le dossier médical comporte des annotations du Dr Benhaim faisant état d'un résultat anormal[8].
[18] Dr Benhaim soutient qu'au début du mois de février 2006, il rappelle lui-même Monsieur Émond pour discuter des résultats de la radiographie du 17 janvier 2006. Même s'il n'a pas un souvenir précis de la conversation, il présume qu'il lui aurait indiqué qu'à la suggestion du radiologue, une nouvelle radiographie de contrôle devrait être effectuée dans un délai de quatre mois. Il n’inscrit toutefois pas de note au dossier en lien avec cette conversation ou le délai de rappel de quatre mois.
[19] Il importe de signaler l'horaire chargé du Dr Benhaim à l'époque. En plus de diriger la Clinique Physimed qu'il a fondé et qui est alors en pleine effervescence et de s'occuper des tâches administratives, il voit en moyenne 20 à 25 patients par jour, en sus des autres fonctions qui lui sont dévolues comme chef adjoint du Département Régional de Médecine Générale de Montréal.
[20] Monsieur Émond admet avoir reçu un appel du Dr Benhaim lui confirmant que l'opacité observée sur les deux films n'était probablement qu'un morceau de chair sans conséquence, tel que soupçonné en novembre 2005. Il soutient toutefois que le médecin s'est alors voulu rassurant en lui mentionnant qu'il en ferait le suivi, sans en préciser le délai. Il nie qu'on lui ait suggéré de communiquer avec la clinique avant son prochain rendez-vous annuel prévu en novembre ou décembre 2006.
[21] Le 4 décembre 2006, Monsieur Émond se présente à la Clinique Physimed pour son examen annuel de routine et se soumet à une nouvelle radiographie pulmonaire de contrôle[9].
[22] Le 11 décembre 2006, Dr Benhaim reçoit une copie du rapport du radiologue Dr O'Donovan. Ce dernier signale une légère augmentation de la lésion identifiée au lobe supérieur droit du poumon et suggère qu'une tomographie (CT Scan) soit effectuée. Il conclut par ailleurs que le nodule préalablement identifié au lobe droit apparaît avoir un diamètre de 2.5 cm et soulève la possibilité d'un processus de néoplasie.
[23] Son rapport se lit ainsi :
« CHEST
This examination has been compared to our previous examinations on January 2006 and November 2005.
It appears to me that this lesion in the right upper lobe is slightly increasing in size and I would therefore strongly suggest that a CT Scan be done for further evaluation. No associated abnormality is demonstrated.
CONCLUSION:
The previously noted nodule in the right upper lobe now appears to be 2.5 cm in diameter and raising the possibility of a neoplastic process.»
[24] Le même jour, Dr Benhaim revoit Monsieur Émond et lui signale une augmentation du volume de l'opacité notée aux deux radiographies précédentes. Il est inquiet et communique immédiatement avec Dr Nathan Sheiner de l'Hôpital général juif de Montréal. Il obtient un rendez-vous pour son patient la semaine suivante.
[25] Le 14 décembre 2006, Monsieur Émond consulte le Dr Sheiner qui requiert une tomographie du thorax (CT Scan).
[26] Le 19 décembre 2006, les résultats de la tomographie révèlent une lésion dans le poumon droit de 2.8 cm par 2.6 cm ainsi que d'importantes atteintes ganglionnaires, dont des adénopathies au hile droit mesurant 4 cm X 4.2 cm, une extension médiastinale avec adénopathie ante-carénale de 3.7 cm, une adénopathie à la région paratrachéale droite de 2.8 cm, une adénopathie de 1.7 cm à la région sub-carénale et de petites adénopathies dans la fenêtre aorto-pulmonaire ainsi que dans le haut du médiastin[10].
[27] Pendant la période des Fêtes, Monsieur Émond subit une scintigraphie osseuse (Bone scan).
[28] Le 4 janvier 2007, il revoit Dr Sheiner, qui le réfère au Dr Jason Agulnik, un pneumologue spécialisé en oncologie.
[29] Le 9 janvier 2007, lors de la première consultation auprès du Dr Agulnik, Monsieur Émond ne présente toujours aucun symptôme. Le diagnostic d'un cancer du poumon n'est pas alors encore posé.
[30] Le 17 janvier 2007, Monsieur Émond consulte néanmoins Dr Benhaim pour un problème d'anxiété et l'interroge sur la pathologie du cancer du poumon.
[31] Le 19 janvier 2007, Dr Agulnik confirme à Monsieur Émond qu'il souffre d'un cancer du poumon.
[32] Le 24 janvier 2007, suite à l'obtention des résultats d'un PET Scan, Dr Agulnik lui confirme également la présence d'importantes métastases dans la région médiastinale ainsi qu'au niveau du cou et de la région sous-claviculaire qui n'avaient pas été décelées lors de l'examen physique du 9 janvier 2007. Il lui apprend alors que son cancer du poumon a atteint le stade IV et qu'il est incurable.
[33] À compter de cette date, Monsieur Émond est pris en charge par le Dr Agulnik qui le soumet à des traitements de chimiothérapie de nature palliative dans le but de diminuer temporairement la tumeur ou d'en retarder la progression.
[34] Ces traitements se déroulent entre les mois de février et juin 2007. La preuve est toutefois contradictoire quant au nombre exact de cycles de traitements subis. Dr Agulnik soutient dans son rapport qu’il a subi quatre cycles de chimiothérapie tandis que Monsieur Émond mentionne plutôt sept cycles de 21 jours. C'est ce chiffre que retient toutefois le Tribunal.
[35] Entre juin et novembre 2007, les traitements de chimiothérapie sont suspendus. Monsieur Émond se sent bien. Il est en mesure de vaquer à ses occupations quotidiennes et s'entraîner. Aussi, pendant le dernier été de sa vie, Monsieur Émond parcourt plus de 5 600 km à vélo et poursuit ses activités familiales avec sa conjointe et son fils. Dr Benhaim prend d'ailleurs part à deux sorties de vélo de groupe avec son ancien patient. L'intensité de l’effort est alors telle que Dr Benhaim lui-même, malgré une forme physique enviable, parvient difficilement à suivre le rythme de ce dernier.
[36] En novembre 2007, Dr Agulnik suggère à Monsieur Émond de reprendre les traitements de chimiothérapie. Faute de succès, ils sont toutefois abandonnés vers le mois de février 2008.
[37] Monsieur Émond continue à se rendre au bureau quotidiennement.
[38] La poursuite est intentée et Monsieur Émond est interrogé hors Cour à la fin du mois d'avril 2008.
[39] Un mois plus tard, soit le 6 juin 2008, Monsieur Émond s'éteint à l'hôpital, laissant derrière lui sa conjointe Cathy et son fils X, alors âgé de huit ans.
TÉMOINS ORDINAIRES
La demande
[40] La demanderesse a témoigné à l'audience.
[41] Elle a déposé en preuve la vidéo et les transcriptions du témoignage de Monsieur Émond[11].
[42] Elle a également assigné dans sa preuve la tutrice de son fils X, Madame Émilie Drouin-Lauzon.
La défense
[43] Dr Benhaim et Dr O'Donovan ont tous deux témoigné en défense, de même que l'infirmière Mélissa Deblois.
TÉMOINS EXPERTS
La demande
[44] Deux médecins ont témoigné en demande comme experts : Dr Jason Agulnik, pneumologue/oncologue traitant de Monsieur Émond[12], sur son rapport du 17 août 2010[13] et Dr Adrian Langleben, oncologue[14], sur son rapport du 12 mai 2009[15].
[45] Les avocats des défendeurs se sont objectés à ce que Dr Agulnik témoigne comme expert, en raison de son rôle de médecin traitant auprès de Monsieur Émond. Cette objection n'a pas été retenue par le Tribunal puisque le témoignage du médecin traitant est en soi admissible, sous réserve de sa force probante[16].
[46] Les parties ont convenu du dépôt du rapport de la psychologue consultée par X, Madame Karen Hardoon, daté du mois d'avril 2009, pour valoir à titre de témoignage à l'audience concernant son évaluation de l'enfant en 2009[17].
[47] En ce qui a trait à l'évaluation des pertes pécuniaires, la demande a fait témoigner un actuaire, Monsieur Louis Morissette, sur son rapport du 21 janvier 2009[18].
La défense
[48] En terme d'expertise médicale, les défendeurs ont fait appel au Dr Pasquale Ferraro (« Dr Ferraro »), chirurgien thoracique[19], qui a témoigné sur son rapport du 18 avril 2010[20].
[49] Ils ont de plus fait témoigner un actuaire, Monsieur Denis Guertin, sur son évaluation des pertes pécuniaires de la demanderesse, telle que contenue au rapport du 29 avril 2010[21] et mise à jour au 7 décembre 2010[22].
QUESTIONS EN LITIGE
1. Les défendeurs ont-ils commis une faute à l'endroit de Monsieur Émond, par leur défaut de relever, d'investiguer ou d'informer le patient de la présence possible d'un nodule cancéreux au poumon droit?
2. Dans l'affirmative, la ou les fautes commise(s) ont-elles été la cause du décès de Monsieur Émond?
3. Quel est le montant des dommages découlant des fautes alléguées?
ANALYSE
1. Les défendeurs ont-ils commis une faute à l'endroit de Monsieur Émond, par leur défaut de relever, d'investiguer ou d'informer le patient de la présence possible d'un nodule cancéreux au poumon droit?
[50] Selon la demanderesse, les défendeurs auraient dû savoir et informer Monsieur Émond dès le mois de novembre 2005 ou à tout le moins lors de la radiographie de contrôle en janvier 2006, que l'opacité montrée sur la radiographie du poumon droit pouvait être de nature cancéreuse et devait être investiguée, au lieu de lui laisser croire qu'il s'agissait d'un morceau de chair sans conséquence.
[51] La demanderesse soutient que si les défendeurs avaient suggéré les tests requis dans les circonstances, Monsieur Émond s'y serait soumis et le cancer du poumon aurait été décelé en temps utile, référé en chirurgie/oncologie pour une résection chirurgicale combinée à une chimiothérapie en vue d'une guérison complète.
[52] Les défendeurs plaident qu'ils se sont comportés avec la diligence et la compétence requise d'un médecin placé dans les mêmes circonstances. Selon eux, aucun expert en médecine générale ou en radiologie n’est venu établir pour la demande la norme de conduite devant guider le Tribunal, en l’espèce, non plus qu'il n'a été établi qu'il était déraisonnable pour un médecin de famille de suivre les recommandations du radiologue à l'égard d'une radiographie de contrôle.
[53] Dr Benhaim soutient également qu'aucun expert n'a établi sa responsabilité à l'égard du défaut du patient de se conformer à la recommandation de se soumettre à une radiographie de contrôle dans un délai de quatre mois. Finalement, il rappelle que la demanderesse et ses experts ne formulent aucun reproche dans sa gestion et son suivi des résultats de la troisième radiographie du mois décembre 2006, où il a démontré son efficacité en référant rapidement le patient pour qu'il soit investigué et traité dans un délai optimal.
Principes de droit applicables
[54] La partie demanderesse qui poursuit un médecin a le fardeau de prouver la faute de ce dernier.
[55] Cette faute doit être examinée en fonction d'une obligation de moyens, c'est-à-dire suivant la conduite qu'aurait eue un praticien possédant une science normale, placé dans des circonstances semblables[23].
[56] Ainsi, pour s'exonérer, le médecin doit démontrer qu'il s'est comporté en médecin prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances, étant alors comparé aux médecins qui ont une pratique ou une spécialité semblable à la sienne[24]. Lorsque le généraliste agit comme spécialiste, il pourra toutefois être tenu au standard de conduite du spécialiste[25].
[57] Le code de déontologie des médecins nous éclaire par ailleurs sur la portée du devoir du médecin dans l’élaboration de son diagnostic à l'article 46 qui se lit ainsi:
« Le médecin doit élaborer son diagnostic avec la plus grande attention, en utilisant les méthodes scientifiques les plus appropriées et, si nécessaire, en recourant aux conseils les plus éclairés. »[26]
Application des principes aux faits
[58] En fonction des principes applicables et de la preuve, le Tribunal estime que la demanderesse s'est déchargée de son fardeau de démontrer la faute des Drs Benhaim et O'Donovan qui ont agi respectivement à titre d'omnipraticien et de radiologue à l'égard de Monsieur Émond, dans le contexte des radiographies pulmonaires des mois de novembre 2005 et janvier 2006 et du suivi qui en découlait.
[59] Le hasard a voulu que Dr Benhaim suggère la radiographie pulmonaire dans un contexte que d'autres pourraient qualifier de « zèle », son patient étant relativement jeune, dans une forme exemplaire et non fumeur.
[60] Le fait que le nodule ait été découvert de manière fortuite dans le cadre d'une démarche préventive et en l'absence de symptôme n’allège pas toutefois l’obligation du médecin traitant.
[61] Aussi, une fois informé de la présence d'une opacité au poumon droit de son patient par le résultat de sa radiographie pulmonaire, Dr Benhaim ne pouvait l'ignorer.
[62] Dr Agulnik et Dr Langleben, les deux experts retenus par la demanderesse, ont affirmé que la comparaison des films pulmonaires antérieurs à la radiographie du mois de novembre 2005 aurait permis d'écarter tout doute au sujet du caractère inoffensif de l'opacité identifiée à la radiographie du mois de novembre 2005, puisque cette opacité n'était pas présente sur les radiographies antérieures de 1994, 1998 ou 1999, selon les résultats contenus au dossier médical de Monsieur Émond[27].
[63] Dr Ferraro, l'expert retenu par les défendeurs, confirme également la pertinence de la comparaison aux radiographies pulmonaires antérieures et souligne qu'il s'agit d'une approche généralement reconnue et enseignée aux étudiants de médecine.
[64] Or, Dr Benhaim n'a pas tenté cette comparaison malgré la disponibilité des résultats des radiographies pulmonaires passées qui figuraient au dossier et qui ont d'ailleurs pu être consultés et commentés dans le cadre de l'audience[28].
[65] Aucune explication valable n’a par ailleurs été fournie pour justifier qu’il ait choisi de passer outre le moyen dont il disposait pour s’assurer du caractère inoffensif du « morceau de chair » qu'il a représenté à Monsieur Émond avoir décelé sur la radiographie. Or, la lecture des résultats des radiographies antérieures, qui étaient toutes normales, lui aurait permis d’écarter la thèse d’une possible lésion chronique telle qu'avancée par Dr O'Donovan dans son deuxième rapport du mois de janvier 2006.
[66] Dr Benhaim avait l'obligation, comme généraliste compétent et diligent, de questionner les résultats du rapport s'il n'en comprenait pas la portée, en communiquant au besoin avec Dr O'Donovan. Or, Dr Benhaim n'a pas tenté de communiquer avec Dr O'Donovan pour discuter des rapports ou recommandations de ce dernier, alors que tous les experts ont reconnu que les résultats de la radiographie du 9 novembre 2005 étaient préoccupants au point de justifier une investigation plus poussée pour déterminer l'origine et la nature de l'opacité.
[67] L'expert des défendeurs, Dr Ferraro a d'ailleurs précisé que l'investigation incombait davantage au médecin traitant qu'au radiologue qui n’avait pas de contact direct avec le patient.
[68] Or, Dr Benhaim a non seulement passé outre la recommandation de la comparaison des radiographies antérieures, mais il s'est satisfait de la seule suggestion d'une radiographie de contrôle qu'il a fixé deux mois plus tard, sans considérer l'opportunité de soumettre le patient à la tomographie (CT Scan) également suggérée par le radiologue dans son premier rapport. Ce faisant, Dr Benhaim a fait preuve de laxisme et de négligence susceptible d'engager sa responsabilité.
[69] Si d'autres démarches étaient nécessaires pour lui permettre d’approfondir ou de comprendre les résultats des radiographies ou pour en assurer un suivi adéquat, Dr Benhaim devait proposer ces démarches au patient. S’il n'était pas en mesure d'interpréter les résultats ou d'assumer le suivi requis, il devait communiquer avec le radiologue pour saisir les enjeux du rapport ou référer le patient à un spécialiste, comme il l’a d'ailleurs fait en décembre 2006, lorsqu’il a reçu le rapport de la radiographie pulmonaire montrant une augmentation du volume du nodule.
[70] Le fait que Dr Benhaim ait été un médecin généraliste plutôt qu'un oncologue ou un pneumologue ne suffit donc pas à l'exonérer.
[71] En ce qui concerne Dr O'Donovan, sa première recommandation visant l'obtention de radiographies antérieures pour fins de comparaison se justifiait dans le contexte d'un patient sans histoire, relativement jeune, en bonne santé et non-fumeur. Toutefois, le Tribunal estime qu’il a commis une faute à l’égard du second rapport de radiographie émis au mois de janvier 2006, en omettant de mentionner le risque d'un processus néoplasique alors que, de son propre aveu, il craignait déjà qu'un tel processus n'ait été amorcé.
[72] Si sa crainte à cet égard était réelle, la suggestion formulée au rapport de procéder à des radiographies de contrôle dans un délai de quatre mois était imprudente et fautive, puisqu’il aurait dû dès lors proposer la tomographie (CT Scan) initialement suggérée dans son premier rapport, plutôt que de mentionner la possibilité de lésion chronique.
[73] Ceci est d'autant plus vrai, qu'il n'avait pas eu le bénéfice de comparer la radiographie avec les résultats des radiographies pulmonaires antérieures, ni ne s'était assuré auprès du Dr Benhaim qu'une telle comparaison avait été effectuée.
[74] La suggestion d'un suivi dans un délai de quatre mois était donc inappropriée en ce qu'elle n'avait pour effet que de retarder davantage le diagnostic et le traitement du patient, le cas échéant.
[75] D'ailleurs, Dr O'Donovan ne pouvait ignorer, comme l'ont reconnu l'ensemble des experts, que le risque d'un cancer malin augmente en présence d'un nodule unique dans le lobe supérieur du poumon. C'est d'ailleurs ce que précise la littérature médicale citée par Dr Ferraro, au passage suivant du texte intitulé Fleischner Society Statement on CT of Small Pulmonary Nodules:
« For a single nodule, upper lobe location increases the likelihood of malignancy, because primary lung cancers are more common in the upper lobes.»[29]
[76] En mentionnant la possibilité d'une lésion chronique sans en avoir vérifié le fondement, Dr O'Donovan a eu tôt fait de rassurer Dr Benhaim plutôt que de l'amener à investiguer davantage la nature et la cause de l'opacité relevée. Son geste jugé fautif a contribué à conforter Dr Benhaim dans son inaction, face à ce deuxième résultat incomplet.
[77] De son côté, Dr Benhaim a également commis à cette étape une deuxième faute puisqu'en recevant le rapport de radiographie de contrôle du mois de janvier 2006, il a omis de prendre les moyens pour assurer le suivi de quatre mois suggéré par le radiologue. Bien que le Tribunal ait déjà jugé que la recommandation d'un suivi radiologique dans un délai de quatre mois n'ait pas été opportune puisqu'elle contribuait à retarder davantage le diagnostic en présence d'une situation que justifiait une intervention rapide, il demeure qu'un suivi dans un délai de quatre mois aurait rendu possible un diagnostic posé en mai 2006, alors qu'il n'a eu lieu qu'en décembre 2006.
[78] Les notes retrouvées au dossier du patient indiquent que l'infirmière de la Clinique Physimed aurait alors communiqué avec Monsieur Émond, à la demande du Dr Benhaim, pour l'aviser que les résultats de la radiographie de contrôle étaient normaux[30].
[79] Il n'y a par contre aucune indication au dossier d'un délai de suivi de quatre mois, ce qui donne foi à la version de Monsieur Émond voulant qu'on ait voulu alors le rassurer et qu'il n'y ait pas eu de mention d'un tel suivi.
[80] En l'absence d'une inscription au dossier mentionnant un suivi ou délai quelconque pour le patient et d'un témoignage précis du Dr Benhaim à cet égard, le Tribunal est justifié de conclure que le suivi dans un délai de quatre mois n'a pas été évoqué, contrairement à ce que présume Dr Benhaim dans le cadre de son témoignage plutôt vague de sa conversation avec Monsieur Émond. Cette conclusion du Tribunal s'inscrit dans l'approche de la Cour d'appel dans l'arrêt Bérubé c. Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis[31].
[81] À la lumière de la preuve, le Tribunal conclut donc que Dr Benhaim et Dr O'Donovan ont tous deux été négligents dans leur rôle respectif de médecin traitant et de radiologue auprès de Monsieur Émond, par leur laxisme à l'égard de l'opacité révélée par la radiographie et leur défaut d'en recommander l'investigation plus poussée.
2. Dans l'affirmative, la ou les faute(s) commise(s) ont-elles été la cause du décès de Monsieur Émond?
[82] Selon la demanderesse et ses experts, le délai dans le diagnostic du cancer découlant de l'absence d'une investigation plus poussée pour identifier la nature et la cause de l'opacité relevée dans le lobe supérieur droit du poumon de Monsieur Émond dès novembre 2005 est à l'origine de son décès.
[83] Selon eux, si les défendeurs avaient soumis le patient à une tomographie (CT Scan) ou à une biopsie, après avoir comparé les radiographies antérieures de manière à écarter la lésion chronique, ils auraient pu confirmer la présence du nodule cancéreux à un stade précoce (stade I ou IIA au plus) et référer Monsieur Émond en chirurgie pour qu'il puisse être opéré immédiatement et qu'il subisse une chimiothérapie de manière à lui assurer la guérison en toutes probabilités.
[84] Les défendeurs nient de leur côté que le cancer du poumon de stade était alors à un stade précoce. Ils soutiennent par le biais de leur expert que le cancer avait déjà atteint le stade III ou même le stade IV en novembre 2005 et qu'il présentait dès lors très peu de chances de guérison, soit de 10 % à 15 % à long terme.
[85] Selon eux, le délai dans le diagnostic qu'on leur reproche n'a pas causé le décès de Monsieur Émond, qui n'aurait pu être évité.
Principes de droit applicables
[86] Pour permettre au Tribunal de conclure à la responsabilité des médecins poursuivis, la partie demanderesse doit, une fois la faute du médecin démontrée, prouver que, sur la balance des probabilités, cette faute a causé le préjudice[32], qui en est la suite directe et immédiate[33].
[87] En l’espèce, il s’agit de démontrer que n’eut été des fautes des médecins poursuivis, le patient ne serait pas décédé.
[88] L’appréciation du lien de causalité entre la faute et le préjudice subi est une question de fait[34] et le juge ne peut se fonder sur de simples possibilités, ni sur des hypothèses ou des conjectures[35].
[89] Il doit être convaincu que, selon la balance des probabilités et non selon une certitude mathématique, les chances de rétablissement du patient étaient assez importantes et s'avéraient plus que de simples possibilités[36].
[90] Les tribunaux québécois distinguent ainsi la causalité scientifique de la causalité juridique, tel qu'il ressort des propos de la Cour suprême dans Laferrière c. Lawson :
« Il
vaut peut-être la peine de redire qu'un juge sera influencé par les avis
d'experts scientifiques exprimés sous forme de probabilités statistiques ou
d'échantillonnages, mais il n'est pas lié par ce genre de preuve. Les
conclusions scientifiques ne sont pas identiques aux conclusions juridiques.
Récemment, notre Cour a dit clairement dans l'arrêt Snell c. Farrell,
[Soulignement du Tribunal]
[91] C'est ainsi qu'en matière de causalité, le Tribunal doit soupeser la preuve et prendre position, même en présence de théories scientifiques contradictoires[38]. Cependant, en présence d'une preuve d'expert controversée, les présomptions de faits n'auront qu'une utilité relative par rapport à l'opinion d'expert soutenue par des faits établis en preuve.[39]
[92] Il ne peut par ailleurs y avoir de présomption de causalité du fait que la faute des défendeurs aurait privé la partie demanderesse de la possibilité de prouver l’existence du lien de causalité.
[93] À cet égard, il arrive à l'occasion comme c'est le cas en l'espèce qu'il soit difficile pour la partie demanderesse de démontrer la causalité, notamment lorsque le médecin a fait défaut d'obtenir certains tests, qui auraient autrement mené à la détection précoce de la maladie et à sa guérison.
[94] Certains juges ont déjà considéré que cette situation engendrait un renversement du fardeau de la preuve, imposant alors à la défense de démontrer par prépondérance que la détection précoce et le traitement qui s'en serait suivi n'aurait pas mené à la guérison du patient.
[95] Ce fut notamment le cas dans l'affaire Massinon c. Ghys[40], où la Cour supérieure a été appelée à se pencher sur l'erreur de diagnostic reprochée au médecin qui opérait une clinique du sein et avait omis de déceler la présence d'une masse palpable présentant des signes indirects de malignité chez une patiente de 37 ans.
[96] La patiente blâmait le médecin de n'avoir pas alors poursuivi les examens nécessaires avec les moyens techniques disponibles, retardant d'autant le délai du diagnostic du cancer du sein et le traitement de sa maladie.
[97] La juge Carole Julien a considéré que, à la lumière des propos du juge Beauregard de la Cour d'appel dans Grubek c. Cohen[41], le médecin devait assumer le fardeau de convaincre le Tribunal par preuve prépondérante que le cancer de la patiente était à un stade avancé à la première occasion. Dans ce cas cependant, la demanderesse ne prétendait pas qu’elle aurait guéri du cancer si elle avait bénéficié d’un diagnostic précoce mais plutôt qu’elle n’aurait pas subi toutes les souffrances reliées au diagnostic tardif de sa maladie.
[98] Plus tard toutefois, dans l’affaire Zanchettin c. Demontigny[42], la Cour d'appel n'a pas retenu l'argument voulant qu'il se soit opéré un renversement du fardeau de preuve en raison du fait que l'omission de réanimer la victime avait privé le demandeur du moyen de prouver que l'état de l'enfant était lié à la faute défendeur.
[99] La Cour d'appel rappelait à cet égard que l'approche du juge Beauregard dans l'affaire Grubek précitée n'était pas partagée par ses deux autres collègues de la Cour d'appel et qu'elle précédait l'analyse de la Cour suprême à cet égard, le tout exprimé comme suit au passage suivant :
« L'appelant plaide aussi que l'omission de
réanimer l'a privé de la possibilité de prouver que l'état de l'enfant est lié
à la faute. Selon lui, un renversement du fardeau découle de la preuve de
l'omission. Il invoque les arrêts Gburek c. Cohen
[100] Depuis, les auteurs et les tribunaux préfèrent généralement avoir recours à la notion « d'inférence défavorable » contre le défendeur plutôt qu'au renversement du fardeau de preuve. Ils exigent alors du défendeur qu’il démontre que le préjudice subi est aussi compatible avec l’absence de la faute reprochée qu’avec l’existence d’une telle faute, sous réserve du fardeau qui incombe au demandeur, à la lumière des enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt St-Jean c. Mercier, tels qu'on les retrouve au passage suivant :
« Selon Royer, pour éviter la confusion
terminologique en matière de fardeau de preuve, les auteurs et la
jurisprudence ont préféré utiliser une « inférence défavorable »
contre le défendeur plutôt qu’un renversement du fardeau de la preuve. Un
des exemples cités est Snell c. Farrell,
Le C.c.Q. lui-même évoque une telle inférence ou renversement du fardeau de preuve à l’art. 2847 lorsqu’il précise qu’une présomption simple peut être repoussée par une preuve contraire. Jutras, loc. cit., note 24, fait une analyse exacte des conséquences du renversement de la charge de preuve pour le défendeur : ‘Le défendeur peut la renverser en montrant que la survenance du préjudice est tout aussi compatible avec l’absence de faute qu’avec l’existence d’une faute. Néanmoins, le fardeau ultime de la preuve continue d’incomber au demandeur.' »[44]
[Soulignements du Tribunal]
[101] En l'espèce, bien que certains juges aient pu conclure par la suite, notamment dans Leduc c. Têtu[45], qu'un renversement du fardeau de preuve devait s'opérer sur la base du principe énoncé par le juge Beauregard dans l'affaire Grubek précitée[46], le Tribunal estime sage de s'en remettre aux principes énoncés par la Cour suprême dans St-Jean c. Mercier, tel que réitérés par la Cour d'appel dans l'affaire Zanchettin[47].
Application des principes aux faits
[102] La tâche du Tribunal consiste à décider si, n'eut été du délai d'environ 11 à 12 mois dans le diagnostic de son cancer, Monsieur Émond aurait pu en toutes probabilités, être traité en temps utile et guérir de son cancer.
[103] Pour y parvenir, le Tribunal doit d'abord déterminer le stade du cancer de Monsieur Émond en novembre 2005 et janvier 2006 avant d'aborder ses chances probables de guérison à ce stade.
[104] Dans cette tâche et à la lumière des principes établis par la Cour suprême dans Lapointe c. Hôpital Le Gardeur[48], le Tribunal doit éviter de se laisser guider par la sympathie qu'inspire la cause et s'en tenir à l'évaluation de la preuve présentée de part et d'autre en vue d'établir l'existence d'un lien causal probable entre les fautes des défendeurs et le décès de Monsieur Émond.
[105] Au terme d'une analyse détaillée de la preuve qui lui a été soumise, le Tribunal ne parvient pas à conclure que Monsieur Émond aurait survécu, n'eut été du diagnostic tardif, puisqu'il est d'avis qu'il était probablement déjà atteint d'un cancer de stade avancé lorsqu'il a subi des radiographies pulmonaires en novembre 2005 et janvier 2006.
[106] Les experts Drs Agulnik et Langleben pour la demande et Dr Ferraro en défense ont émis de part et d'autre une opinion quant au stade qu'avait atteint le cancer du poumon de Monsieur Émond au mois de novembre 2005 et janvier 2006.
[107] Dans le cas du Dr Agulnik, son rôle n'était cependant pas au départ celui d'établir le stade du cancer de Monsieur Émond à cette époque mais plutôt de traiter le patient en oncologie à compter de janvier 2007. Aussi, ce n'est que quelques mois avant le procès qu'il a été requis de se prononcer rétroactivement sur le stade du cancer de son patient en novembre 2005 et janvier 2006 et qu'il a rédigé son rapport du 17 août 2010[49].
[108] L'ensemble des médecins experts qui ont témoigné s'entendent sur la définition des différents stades du cancer du poumon. Ils décrivent le cancer du poumon de stade I comme se limitant à une lésion au poumon. En ce qui concerne le stade II, ils reconnaissent qu'il s'agit d'un cancer qui s'est propagé aux ganglions tant à l'intérieur[50] qu'à l'extérieur du poumon, notamment dans la région du hile[51]. Au stade III, les ganglions ont atteint le niveau du médiastin[52]. Au stade IV, le cancer est généralisé et s'accompagne de métastases.
[109] Ils partagent le même avis à l'égard du schéma de progression du cancer, en ce que les cellules cancéreuses débutent au niveau du poumon, puis s'attaquent aux ganglions avant de progresser vers le hile puis vers le médiastin.
[110] Ils reconnaissent que le processus de dissémination des lésions cancéreuses vers les ganglions lymphatiques peut se faire à tout moment et que la progression vers les ganglions lymphatiques n’est pas seulement en fonction de la taille de la tumeur primaire.
[111] Ils relatent à l'audience les mêmes statistiques de survie reconnues par la littérature médicale, tout en reconnaissant qu'elles sont fondées sur une évaluation pathologique du stade de cancer, avec le bénéfice d'une biopsie de la tumeur cancéreuse, qui offre davantage de précision que l'évaluation clinique.
[112] Malgré cela cependant, ils admettent que même pour des patients atteints d'un cancer évalué par biopsie au stade I, 30 % ne survivent pas en raison du fait que des micrométastases peuvent se former à tout moment et passer inaperçus au moment de la biopsie.
[113] En fonction de la littérature médicale évoquée par les experts et suivant le stade établi par biopsie, le pronostic varie. Il est de 70 % chez le patient atteint d'un cancer du poumon de stade I. Il varie entre 40 % et 50 % au stade II. Toutefois, lorsqu'une résection chirurgicale a lieu au stade II et qu'elle est conjuguée à la chimiothérapie adjuvante, les chances de guérison sont alors bonifiées de 10 % et se situent alors à environ 55 %. Au stade III, le patient présente un taux de survie beaucoup plus modeste, soit de 10 à 15 %. Au stade IV, il est presque nul, de 0 % à1 %.
[114] Au cours de son témoignage, Dr Ferraro a également référé à une étude intitulée « The Revised TNM Staging System for Lung Cancer »[53]. Cette étude, dont le but premier était d’apporter des améliorations sur la classification des tumeurs selon la taille de la lésion, est basée sur un échantillonnage de 68 000 patients répertoriés à l'échelle internationale ayant reçu un diagnostic de cancer entre 1990 et 2000.
[115] Publiée en 2009, elle révèle des taux de survie répertoriés depuis 1990, qui diffèrent légèrement de ceux évoqués jusqu'à présent dans la littérature médicale citée par la demande. Ces taux de survie ont été reproduits dans le tableau qui suit :
Stade |
Description |
Taux de survie à 5 ans (Évaluation clinique) |
Taux de survie à 5 ans (Évaluation pathologique) |
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I |
Cancer présent seulement dans le poumon |
Entre 47 % et 50 % |
Entre 58 % et 73 % |
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II |
Cancer qui a progressé (qui commence à attaquer les ganglions qui sont à l’intérieur du poumon ou les ganglions au niveau du hile (Pièce D-5 : ganglions #10-11-12 ou 13) |
Entre 26 % et 36 % |
Entre 36 % et 46 % |
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III |
Cancer qui a envahi les ganglions du médiastin (Pièce D-5 : ganglions # 2, 4 et 7) |
Entre 7 % et 19 % |
Entre 9 % et 24 % |
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IV |
Cancer généralisé |
2 % |
13 % |
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[116] Selon Dr Ferraro, ces données servent de référence aux médecins pratiquant au CHUM, à même l'équipe de chirurgie dont fait partie Dr Ferraro.
[117] Ces données démontrent la difficulté réelle du diagnostic d'un cancer du poumon. Suivant cette étude, environ 50 % des patients diagnostiqués avec un cancer du poumon de stade I aux termes des différents tests cliniques réalisés, tels radiographies, CT Scan et PET Scan, vont décéder des suites de leur cancer, parce qu'il s’est alors déjà propagé dans les différents ganglions qui n'ont pas nécessairement été visualisés à l'aide des différents tests d’imagerie. Au stade II, il est question d'un taux de survie clinique de 26 % à 36 %, en deçà du seuil de probabilité.
[118] Tous les experts se sont entendus pour dire que globalement, seulement 10 à 15% des patients atteints du cancer du poumon réussissent à survivre au-delà de la période charnière de cinq ans, au-delà de laquelle ils sont considérés guéris.
[119] Ils expliquent ce faible pourcentage par le fait que plus de 75 % des cancers sont diagnostiqués à un stade avancé et ne peuvent être guéris à compter du moment de la découverte, même s'ils reconnaissent que 78% des cancers décelés de manière fortuite s'avèrent des cancers de stade I. La demande s'appuie d'ailleurs sur cette dernière donnée pour soutenir que le cancer de Monsieur Émond ne pouvait en soi avoir atteint un stade avancé, puisqu'il a été décelé de manière fortuite. Le Tribunal aura l'occasion d'y revenir.
[120] Dr Langleben, lors de son témoignage, bonifie largement les chiffres qu'il présentait initialement dans son rapport concernant les taux de survie. Bien que son rapport faisait état d'un taux de survie de 50 à 60 % pour le patient atteint d'un cancer de stade I, il affirme à l'audience qu'un patient dont le cancer du poumon serait un vrai stade I (« A true stage I »), présenterait des chances de guérison plus élevées pouvant atteindre entre 80 et 90 %, en présence d’un patient jeune et en santé.
[121] Dr Agulnik se révèle plus conservateur et s'en tient davantage à ce qu'enseigne la littérature médicale qui mentionne un taux de survie de 70% pour un cancer de stade IA. Il reconnaît par ailleurs que les taux de survie évoqués dans son rapport et son témoignage sont établis en fonction d'une évaluation pathologique du stade du cancer, avec le bénéfice d'une biopsie, plutôt qu'en fonction d'une évaluation clinique. Il admet aussi que l'évaluation clinique fondée sur la radiographie, le CT Scan et PET Scan sous-estime généralement l'état d'avancement des cancers.
[122] Or, en l'espèce, il n'y a pas eu de biopsie en novembre 2005 permettant de définir le stade du cancer et les experts doivent s'en remettre aux radiographies, de sorte que leur évaluation du stade du cancer de Monsieur Émond demeure une évaluation clinique avec l'imprécision qu'elle comporte.
[123] Dr Agulnik reconnaît d'ailleurs la difficulté d'évaluer le stade du cancer de Monsieur Émond au mois de novembre 2005 sur la seule base d'une radiographie pulmonaire, où la présence de ganglions n'est pas nécessairement décelable.
[124] Il admet à l'audience n'avoir regardé que sommairement les radiographies de novembre 2005 et janvier 2006 lorsqu'il a rencontré Monsieur Émond en janvier 2007[54], puisque sa tâche était de déterminer le traitement le plus adéquat et qu'il n'avait pas à se préoccuper d'une évaluation rétrospective. C'est ainsi qu'il justifie sa note au dossier qui sous-estime la dimension du nodule en mentionnant qu'il mesurait alors 1 cm, tandis que la dimension de 1.5 à 2 cm figure aux résultats des radiographies[55].
[125] Il mentionne que le nodule qui mesure moins de 3 cm et ne comporte pas de ganglions correspond généralement à un cancer de stade IA. Cela dit, il évalue qu'en l'espèce, il pourrait s'agir d'un cancer de stade I ou de stade IIA, sans par ailleurs préciser ce qui l'amène à conclure en faveur d'un stade IIA.
[126] Dr Langleben affirme pour sa part à l'audience de manière catégorique que le cancer de Monsieur Émond était au stade I en novembre 2005, en se fondant sur la dimension de l'opacité relevée à la radiographie pulmonaire qui mesurait moins de 3 cm, de même que sur l'absence de symptôme chez le patient et sur son bon état de santé à l'époque. Il ajoute par ailleurs que si Monsieur Émond avait été atteint d'un cancer de stade III ou IV en novembre 2005, il n'aurait pas pu survivre jusqu'en décembre 2006.
[127] Or, le Tribunal constate qu'en fonction des critères qui guident les experts de la demande, il serait forcé de conclure que le patient était toujours atteint d'un cancer de stade I en décembre 2006, ce qui n'est pas le cas.
[128] En effet, en décembre 2006, la dimension de la lésion était alors toujours inférieure à 3 cm[56], le patient ne présentait aucun symptôme, en plus d'avoir un bon état de santé général et ce, même en janvier 2007, tel qu'il apparaît des résultats de son évaluation annuelle[57] et des notes au dossier du Dr Agulnik[58].
[129] Pourtant, le CT Scan obtenu par la suite en décembre 2006 révélait un cancer de stade III avancé qui, avec la précision des résultats du PET Scan obtenus en janvier 2007, se révélait de stade IV.
[130] De plus, Dr Agulnik comme expert de la demande a admis dans le cadre de son témoignage que le fait que le patient soit asymptomatique ne constituait pas une bonne indication du stade de son cancer, d'autant plus qu'à la fin du mois de janvier 2007, Monsieur Émond ne présentait toujours aucun symptôme et n'est devenu symptomatique qu'à l'automne 2007.
[131] Selon Dr Ferraro, étant donné que Monsieur Émond n'a présenté aucun symptôme avant le mois de novembre 2007, soit moins de huit mois avant son décès alors qu'il était atteint d'un stade IV depuis au moins janvier 2007, on ne peut se fier sur la seule tardiveté des symptômes pour établir le stade de son cancer en novembre 2005. Il ajoute par ailleurs que l'emplacement de la lésion dans le haut du lobe supérieur droit conjugué à son bon état de santé général, peut expliquer l'apparition tardive des symptômes habituels.
[132] À la lumière de l'ensemble des témoignages, le Tribunal estime qu'il ne peut se fier sur la seule dimension de l'opacité relevée à la radiographie non plus que sur l'absence de symptômes et sur le bon état de santé général de Monsieur Émond en novembre 2005 pour se convaincre qu'il était en toutes probabilités atteint d'un cancer de stade I ou même de stade IIA en novembre 2005 ou janvier 2006, puisque toutes ces conditions étaient toujours présentes en décembre 2006 et janvier 2007, lorsqu'il a été diagnostiqué avec un cancer de stade IV.
[133] Le Tribunal retient plutôt la thèse de l'expert des défendeurs voulant que le cancer de Monsieur Émond ait déjà atteint au moins le stade III en novembre 2005.
[134] L'opinion du Dr Ferraro, est fondée sur les trois éléments suivants :
1. Le cancer ne peut être passé d'un stade I à un stade IV en l'espace de 12 mois (entre novembre 2005 et décembre 2006) puisque le cancer pulmonaire évolue lentement et peut prendre jusqu'à trois ans pour atteindre le stade IV;
2. Lorsqu'il examine la radiographie pulmonaire du mois de novembre 2005, avec le bénéfice de la rétrospection et notamment des résultats de CT Scan du thorax et de PET Scan obtenus en décembre 2006 et janvier 2007, il décèle un ombrage au niveau du hile et du médiastin qui est compatible avec la présence de métastases ganglionnaires. Ceci l'amène à conclure que le cancer devait nécessairement avoir atteint un stade III ou IV;
3. La grande majorité des patients se voient diagnostiqués à un stade avancé de la maladie.
[135] Selon lui, il est impossible que le cancer du poumon qui évolue relativement lentement ait pu progresser d'un stade I à un stade IV entre novembre 2005 et décembre 2006, et ce, même s'il s'agissait d'un cancer agressif. À cet égard, il est d'avis qu'il ne faut pas confondre l'agressivité du cancer et le rythme d'évolution de la maladie, puisqu'un cancer peut être très agressif, même s'il évolue lentement.
[136] Il évoque la littérature médicale de même que son expérience à titre de chirurgien thoracique qui l'a amené à constater chez de nombreux patients dont les chirurgies étaient retardées de trois à neuf mois que le cancer n'avait pratiquement pas évolué durant cette période.
[137] Il admet toutefois qu'il n'existe aucune littérature médicale qui confirme qu'il est impossible qu'un cancer progresse d'un stade I à IV en moins de 12 mois lorsqu'il n'est pas traité, puisqu'il serait contraire à l'éthique de laisser un patient atteint d'un cancer du poumon stade I sans traitement pour permettre d'évaluer le rythme de progression du cancer.
[138] En ce qui concerne le rythme d'évolution de la maladie, le Tribunal note qu'entre novembre 2005 et janvier 2006, les résultats des radiographies n'indiquent aucune augmentation dans la dimension de l'opacité, ce qui est compatible avec la thèse d'une progression lente de la maladie.
[139] Suivant les dimensions rapportées aux radiographies, en décembre 2006, la lésion n'avait augmenté que de 0.5 cm à 1 cm, passant d'une dimension estimée de 1.5 à 2 cm à une dimension de 2.5 cm[59].
[140] Par ailleurs, la littérature médicale confirme la thèse d'une progression lente du cancer du poumon particulièrement chez les patients non-fumeurs. Les auteurs de l'article intitulé « Guidelines for Management of Small Pulmonary Nodules Detected on CT Scan: A statement from the Fleischner Society »[60] notent ce qui suit sous le titre « Growth Rate » :
« P. 397
In addition, the mean volume doubling time for cancerous nodules in non-smokers was significantly longer than that for cancer nodules in smokers.
P. 398
« Malignant nodules in smokers grow faster, on average, than do those in non-smokers.»
[141] Finalement, compte tenu du rythme de progression de la maladie rapportée par la littérature médicale et de l'étendue du cancer constatée en décembre 2006, le Tribunal ne peut conclure qu'en l'espèce le cancer était à un stade I du fait qu'il ait été découvert par hasard.
[142] Qu'en est-il de la survie du patient atteint d'un cancer de stade III ou IV sur une période d'un an, telle que soulevée par les experts de la demande?
[143] Selon Dr Langleben, Monsieur Émond ne pouvait être atteint d'un cancer du poumon de stade III en novembre 2005 ou janvier 2006 et survivre jusqu'au prochain bilan annuel en décembre 2006, puisque le patient atteint d'un cancer du poumon de stade III qui demeure non traité, meurt généralement dans un délai d'au plus 12 mois, tandis que celui atteint d'un cancer du poumon de stade IV, décède en moins de huit mois.
[144] Selon Dr Ferraro, la survie de Monsieur Émond entre novembre 2005 et décembre 2006 défie les statistiques mais peut, tout comme l'apparition tardive de ses symptômes, s'expliquer par son bon état de santé général.
[145] Il prévient des dangers d'une application stricte du délai de survie que préconise Dr Langleben, puisqu'il n'est pas compatible avec la réalité des faits, étant donné que Monsieur Émond a survécu 18 mois à compter du diagnostic d'un cancer de stade IV. À cet égard, selon la littérature médicale que rapporte Dr Agulnik dans son témoignage, le délai de survie varie généralement de 10 à 12 mois.
[146] Dr Ferraro insiste par ailleurs sur la présence d'un ombrage ou d'une proéminence au hile et au médiastin, qu'il décèle grâce à l'information révélée par les CT Scan et PET Scan des mois de décembre 2006 et janvier 2007. Ceux-ci montrent la présence de ganglions notamment dans les régions du hile et du médiastin qui l'ont mené à identifier rétrospectivement leur présence sous forme d'ombrages décèle sur les radiographies des mois de novembre 2005 et janvier 2006.
[147] Drs Agulnik et Langleben soutiennent que ces ombrages pourraient être le fait de la présence de vaisseaux sanguins. Dr Agulnik reconnaît que la présence de ganglions n'est pas nécessairement évidente sur une radiographie pulmonaire, tandis que Dr Langleben insiste sur le fait que le radiologue aurait nécessairement noté la proéminence sur son rapport si elle avait existé, allant même jusqu'à affirmer que le radiologue a cherché à identifier d'autres anomalies en novembre 2005 et n'en aurait noté aucune, dans la mesure où il déclare dans son rapport : « No associated abnormality is demonstrated ». Selon lui, ceci laisse sous-entendre qu'il a cherché à identifier sans succès d'autres signes d'anomalies, telles des ganglions.
[148] Or, le Tribunal n'arrive pas à réconcilier les prétentions du Dr Langleben avec celles du Dr Agulnik, non plus qu'avec le contenu du rapport du radiologue du 4 décembre 2006 qui réitère l'absence d'autre anomalie à la radiographie pulmonaire en des termes identiques : « No associated abnormality is demonstrated ».
[149] Suivant le raisonnement du Dr Langleben, le Tribunal devrait forcément conclure que puisque le radiologue n'a pas décelé de telles anomalies en décembre 2006, il n'y avait alors aucun ganglion au hile et au médiastin. Pourtant, le CT Scan du 14 décembre 2006 révélait la présence de ce que Dr Ferraro a qualifié de « bulky disease » en terme de nombre et dimension des ganglions, notamment dans la région du hile (4 cm X 4.2 cm), la région ante-carénale (3.7 cm), la région paratrachéale droite (2.8 cm), la région sub-carénale (1.7 cm), en plus de ganglions dans la fenêtre aorto-pulmonaire et dans le haut du médiastin.
[150] Dans les circonstances, le Tribunal estime qu'il ne peut se fier sur l'approche du Dr Langleben non plus que sur celle du Dr Agulnik à l'égard de leur interprétation des radiographies en ce qui concerne la présence ou non d'ombrages dans la région du hile et du médiastin. Ces témoignages ne permettent pas d'écarter le témoignage par ailleurs crédible du Dr Ferraro qui, à titre de chirurgien thoracique, oriente ses interventions chirurgicales au quotidien à l'aide de radiographies, de CT Scan et de PET Scan, dans le cadre des 250 résections chirurgicales annuelles de nodules cancéreux du poumon qu'il exécute.
[151] Dr Ferraro conclut à la présence d'un ombrage ou d'une proéminence du hile et du médiastin provenant de ganglions qui correspondent à un cancer de stade III, en ayant le bénéfice de la rétrospection que lui procurent les résultats des tests d'imagerie effectués en décembre 2006 et janvier 2007.
[152] Par ailleurs, son témoignage sur l'évolution lente du cancer des poumons est confirmé par la littérature médicale mise en preuve[61].
[153] Aussi, à la lumière de son témoignage, le Tribunal conclut que le cancer du poumon de Monsieur Émond avait en toutes probabilités déjà atteint le stade III en novembre 2005 et janvier 2006.
[154] En fonction de ce stade avancé et des statistiques de survie clinique qui s'appliquent en l'espèce, puisque la seule évaluation dont dispose le Tribunal est une évaluation clinique fondée sur des radiographies, le Tribunal ne peut conclure que Monsieur Émond aurait en toutes probabilités survécu au cancer du poumon s'il avait été découvert en novembre 2005 ou janvier 2006.
[155] Les seules données dont dispose le Tribunal à l'égard du taux de survie clinique sont celles soumises dans le cadre de l'étude intitulée « Revised TNM Stagging System for Lung Cancer », où le taux de survie clinique au stade III se situe entre 7 % et 19 %, tandis que le cancer de stade II affiche un pronostic peu optimiste se situant entre 26 % et 36 %. En fonction de ces chiffres et même en retenant l'évaluation clinique que propose Dr Agulnik de stade IIA, le pronostic de Monsieur Émond se serait situé en deçà du seuil de probabilité.
[156] En fait, même en appliquant les statistiques fondées sur une évaluation pathologique, le taux de survie affiché pour un cancer de stade III se situe entre 9 % et 24 %, dans le cadre de cette étude[62].
[157] À la lumière de l'ensemble de la preuve, le Tribunal n'est pas convaincu sur la balance des probabilités qu'une détection plus hâtive du cancer du poumon de Monsieur Émond en novembre 2005 ou en janvier 2006 aurait évité son décès. Il ne peut donc conclure qu'il existe un lien causal entre les fautes des défendeurs et le préjudice découlant du décès.
3. Dans l'affirmative, quel est le montant des dommages découlant des fautes alléguées?
[158] En conséquence de la faute des défendeurs, la demanderesse réclame des dommages pécuniaires et non pécuniaires en son nom propre, de même qu'au nom du défunt et de son fils X.
[159] Ces dommages sont détaillés comme suit aux procédures :
|
Réclamation de la demanderesse |
|
a) |
Perte de soutien financier et perte de soutien à l'égard de X |
3 000 000 $ |
b) |
Perte de soutien moral et affectif |
100 000 $ |
c) |
Souffrance et perte de jouissance de la vie |
100 000 $ |
|
Sous-total |
3 200 000$ |
|
Réclamation au nom de Feu Marc Émond |
|
a) |
Angoisse profonde à compter de décembre 2007 jusqu'au décès |
100 000 $ |
b) |
Souffrances |
50 000 $ |
c) |
Perte financière |
150 000 $ |
d) |
Frais funéraires et dépenses reliées |
30 000 $ |
|
Sous-total |
330 000 $ |
|
Réclamation au nom de X |
|
a) |
Perte de parent et de compagnon de vie |
100 000 $ |
b) |
Trouble émotionnel, anxiété, souffrance |
100 000 $ |
c) |
Perte de jouissance de la vie |
50 000 $ |
|
Sous-total |
250 000 $ |
|
|
|
|
Total |
3 780 000 $ |
|
|
|
[160] Dans la mesure où le Tribunal en vient à la conclusion que le décès n'aurait pas été évité même si les défendeurs n'avaient pas commis de faute, il ne peut accorder les dommages réclamés.
[161] La demande n'a pas tenté de démontrer qu'alternativement, la détection précoce du cancer de Monsieur Émond lui aurait permis de prolonger sa vie au-delà du 6 juin 2008, de manière à donner ouverture à l'octroi de dommages pour perte de soutien sur une telle période.
[162] En fait, il a survécu près de 18 mois après le diagnostic, alors que les patients atteints d'un cancer du poumon de stade IV, lorsqu'ils sont traités, meurent généralement dans les 12 mois qui suivent.
[163] Même s'il n'a pas été démontré par prépondérance que Monsieur Émond aurait pu guérir s'il avait été diagnostiqué plus tôt ou qu'il aurait survécu sur une plus longue période, il demeure que tant la victime que la demanderesse ont souffert d'angoisse et de frustration associées aux dépistage et diagnostic tardifs, pour lesquels ils sont en droit d'être indemnisés, à la lumière des principes reconnus par la Cour suprême dans Laferrière c. Lawson[63], de même que plus récemment par la Cour d'appel dans Fisch c. St-Cyr[64].
[164] Dans Laferrière, la Cour suprême a refusé de reconnaître la théorie de la perte de chance suivant laquelle la victime aurait été privée de la chance de guérir et aurait dû être indemnisée en conséquence. Le plus haut tribunal du pays accordait toutefois à la victime la somme de 10 000 $ pour la souffrance psychologique directement reliée à l'omission du médecin de la renseigner sur son état. Le juge Gonthier s'exprimait ainsi au nom de la Cour :
« [p.558]
Je suis porté à souscrire à l'avis du Juge Vallerand et, en fait, de la Cour d'appel à l'unanimité, qu'il faut faire droit à la réclamation pour angoisse et frustration. Cet aspect des dommages-intérêts n'a pas été considéré par le juge de première instance. Je ne doute pas que la faute de l'appelant soit directement liée au stress psychologique considérable et inutile que Mme Dupuis a ressenti en apprenant qu'elle avait vécu pendant quatre ans sans savoir qu'elle souffrait d'un cancer et sans bénéficier du suivi, du contrôle et du traitement qui auraient été indiqués dans son cas. Je traiterai plus loin du montant des dommages-intérêts relatifs à ce chef. […]
[p. 610] D'abord je suis convaincu que Mme Dupuis a enduré une sorte de souffrance psychologique directement reliée à l'omission de l'appelant de la renseigner sur son état. De 1975 jusqu'à son décès, elle a subi l'horrible progression de sa maladie et la régularité et l'inefficacité apparente des traitements et des médicaments, tout en sachant que les choses auraient pu être différentes si elle avait su et si elle avait été traitée plus tôt. Ses chances n'étaient peut-être pas suffisantes en droit, mais elles étaient certainement très réelles dans son esprit. Je crois qu'il est aussi probable que les souffrances qu'elle a subies à cause de la progression de la maladie ont été d'autant plus éprouvantes qu'elle avait cette connaissance. Étant une personne préoccupée de sa santé et prête à chercher les meilleurs avis médicaux et à les mettre en pratique, elle a été privée de l'occasion et de la possibilité de le faire à cause de l'omission de l'appelant de la renseigner. Ainsi, elle a continué à prendre des pilules anticonceptionnelles ce qui lui aurait été déconseillé si elle avait connu son état. Je suis donc d'avis d'accepter la reconnaissance précise par le juge Vallerand du préjudice psychologique et, en raison de la nature exceptionnelle de l'espèce, j'augmenterais le montant en question à 10 000 $. »
[Soulignements du Tribunal]
[165] Dans l'arrêt Fisch c. St-Cyr, la Cour d'appel reprenait l'approche du juge Gonthier à l'extrait suivant: :
« [129] La preuve établit que Mme St-Cyr a effectivement subi le type de préjudice dont parle le juge Gonthier, soit l'angoisse et la frustration associées à sa conviction qu'un dépistage plus hâtif aurait représenté des chances plus élevées de guérison ou, à tout le moins, une meilleure qualité de vie. Le stress psychologique qui en est résulté chez elle a duré pendant plus de quatre ans et demi et il a été considérable en raison, notamment, de son jeune âge et du fait qu'elle était la mère de deux très jeunes enfants. En l'instance, ce préjudice psychologique a été amplifié par la tendance qu'elle avait à réagir de façon plus forte que la plupart des gens. Selon la « thin skull rule», on prend le patient dans l'état où il se trouve.
[130] Prenant en compte tous ces éléments, la
Cour croit, à la lumière des balises fixées par la jurisprudence et des
critiques qu'elles ont entraînées (Laferrière c. Lawson, précité;
Massinon c. Ghys,
[132] La Cour est bien consciente des dommages importants subis par Tremblay et ses filles Sarah et Mélanie à la suite de la maladie et du décès de St-Cyr. Cependant, ces dommages, hormis au titre des souffrances psychologiques associées à la perception que le retard de dépistage a pu réduire les chances de guérison de St-Cyr, ne découlent pas de la faute de Bouchard ou de Fisch, mais plutôt de la maladie elle-même. Ils ne peuvent donc en être indemnisés.
[133] Quant à ces souffrances psychologiques, aucun préjudice de cette nature n'a été démontré à l'égard des enfants, qui en raison de leur bas âge, n'ont pu réellement en ressentir. Leur angoisse est plutôt reliée à la perte ou au danger de perte imminente de leur mère causé par la maladie. »
[166] Bien que la demanderesse n'ait pas invoqué ce type de dommages en particulier aux procédures, le Tribunal est d'avis qu'il s'agit de dommages qui sont moindres et inclus à même les dommages non pécuniaires réclamés par la demanderesse au nom du défunt de même qu'en son nom propre et que leur octroi est justifié dans les circonstances.
[167] Suivant la preuve, l'omission des médecins a eu un effet dommageable sur l'état psychologique et moral de Monsieur Émond et sur celui de la demanderesse qui ont cru que le pronostic aurait été différent si le diagnostic avait été posé plus tôt.
[168] À la lumière du raisonnement de la Cour d'appel dans Fisch c. St-Cyr[65], aucun tel dommage n'est toutefois susceptible d'être octroyé au bénéfice de X, dans la mesure où le Tribunal juge qu'à huit ans, il n'était pas susceptible de ressentir la même souffrance psychologique que ses parents du fait du diagnostic tardif, même s'il est indéniable qu'il a souffert d'angoisse due à la perte imminente de son père.
[169] Considérant la jurisprudence précitée et en fonction de la preuve présentée, considérant que les souffrances psychologiques ont été vécues pendant au moins 18 mois et se sont poursuivies dans le cas de la demanderesse, le Tribunal juge opportun d'accorder des dommages non pécuniaires de 45 000 $ pour le préjudice causé à Monsieur Émond et de 25 000 $ pour le préjudice causé à la demanderesse.
[170] De plus, malgré les conclusions auxquelles en vient le Tribunal sur l'absence de causalité entre les fautes reprochées aux défendeurs et le décès de Monsieur Émond, le Tribunal estime qu'il doit également compléter son analyse en se prononçant sur les dommages qu'il aurait autrement accordés, si le lien causal avait été établi, en abordant les pertes non pécuniaires avant de traiter des pertes pécuniaires.
A) Pertes non pécuniaires
[171] La jurisprudence reconnaît que les proches de la victime immédiate peuvent obtenir une compensation pour la douleur et le chagrin (solatium doloris) ainsi que pour la perte de soutien moral découlant du décès de l’être cher. Le courant majoritaire privilégie le regroupement des différentes composantes de cette perte non pécuniaire et leur évaluation globale[66].
[172] Dans l’affaire De Montigny c. Brossard[67], la Cour suprême rappelait que les tribunaux doivent faire appel à une discrétion raisonnée dans l’évaluation des pertes non pécuniaires réclamées par l'entourage de la victime, en l'absence d'un plafond fixé par les tribunaux, en faisant preuve de modération et en tenant compte de la nécessité de préserver le caractère prévisible des dommages non pécuniaires[68].
[173] En 2009, le professeur Daniel Gardner proposait une nouvelle fourchette d'indemnités oscillant entre 60 000 $ et 90 000 $ pour le conjoint survivant et de 30 000 $ et 60 000 $ pour l'enfant, selon son âge et son niveau de dépendance affective[69].
[174] À l'instar de la doctrine et de la jurisprudence, en fonction de la preuve présentée à l'audience à l'égard des liens particuliers qui unissaient le couple et la famille, et ainsi que de l'immense perte causée à la demanderesse et à son fils de huit ans par le décès de Monsieur Émond, le Tribunal aurait accordé une somme de 90 000 $ à la demanderesse au chapitre des pertes non pécuniaires pour compenser l'ensemble de ses souffrances comprenant celles liées à l'accompagnement de son conjoint jusqu'au décès et la perte de compagnonnage, de soutien moral et de jouissance de la vie. Il aurait également accordé 60 000 $ au bénéfice de X pour compenser le décès prématuré de son père[70].
[175] En ce qui concerne Monsieur Émond, la jurisprudence reconnaît que les héritiers d’une personne décédée peuvent également réclamer une indemnité pour la souffrance vécue par la victime immédiate entre le moment de la faute et le moment du décès.
[176] En l’espèce, Monsieur Émond a subi des traitements dès l’hiver 2007 et souffert durant plusieurs mois. Le Tribunal doit néanmoins considérer que même si le cancer avait été diagnostiqué plus tôt, Monsieur Émond aurait dû subir une résection chirurgicale d'une partie du poumon et aurait été forcé de se soumettre à la chimiothérapie avec ses effets secondaires, dont la conséquence probable d'apparition de problèmes circulatoires, comme la thrombose qui a surgi dès le début des traitements et qui lui avait valu des injections quotidiennes jusqu'au décès.
[177] En novembre 2007, Monsieur Émond a tenté une deuxième série de traitements de chimiothérapie, sans succès. Même si la preuve révèle qu'il a été en mesure de continuer ses activités sportives, notamment le vélo et le ski pendant cette période, et qu'il a continué à travailler jusqu’au printemps 2008, le Tribunal convient toutefois qu'il a souffert à compter de cette date et davantage du printemps 2008 jusqu'à sa mort en juin 2008, donnant ainsi ouverture à l'octroi de dommages non pécuniaires à son égard d'un montant de 50 000 $.
A) Pertes pécuniaires
1) Perte de soutien futur
[178] Jusqu'à son décès, Monsieur Émond travaillait comme courtier d'assurances dans le domaine du transport. La demanderesse est avocate et pratiquait à l'époque à son compte dans le domaine du litige d'assurance.
[179] La demanderesse a réduit son rythme de travail en 2007 et 2008, puis cessé de travailler en 2009. Au moment de l'audience, elle signalait toutefois vouloir retourner au travail au printemps 2011.
[180] Elle réclame une perte de soutien futur de 3 000 000 $ en fonction de revenus gagnés par le défunt d'un montant annuel moyen de 131 000 $, tel que calculé par l'expert actuaire en demande, Monsieur Louis Morissette, entre 2003 et 2007.
[181] L'expert actuaire en défense, Monsieur Denis Guertin, utilise à peu près le même montant de revenus pour Monsieur Émond aux fins de ses calculs, soit 131 870 $. Considérant la méthode de calcul qu'il préconise, il considère également les revenus bruts que gagnait la demanderesse en 2005 et 2006, respectivement chiffrés à 81 872 $ et 85 780 $. Puisque les revenus de la demanderesse ont diminué en 2007 à 64 219 $ en raison de la maladie de son conjoint, il n'en tient pas compte dans l'établissement de la moyenne des revenus pour le calcul de la perte de soutien, non plus que de ses revenus de 2008. Il calcule la moyenne des revenus de 2005 et 2006, qu'il indexe en chiffres 2008, à raison d'un montant brut de 90 496 $.
[182] Bien que les experts de part et d'autre s'entendent sur les revenus de Monsieur Émond, de même qu'à l'égard du montant à être appliqué pour le régime de retraite, sur les taux d'intérêt et de mortalité, ils ne s'accordent pas sur le choix de la méthode de calcul de la perte de soutien futur et sur l'opportunité de considérer les revenus de la demanderesse dans le calcul, non plus que sur l'âge de retraite de Monsieur Émond ou sur l'âge de fin de dépendance de X.
[183] L'expert de la demande, Monsieur Morissette, préconise la méthode dite « Single Modified Dependency » (« dépendance simple modifiée »).
[184] Monsieur Guertin privilégie en défense la méthode « Cross-Dependency » (« dépendance croisée ») qui reflète mieux selon lui la réalité contemporaine, où les deux conjoints gagnent des revenus.
[185] La méthode de dépendance croisée consiste à cumuler les revenus après impôts du défunt et du conjoint survivant et à calculer le montant correspondant au maintien du niveau de vie de la famille, en multipliant la totalité des revenus nets par 70 %, puis en soustrayant les revenus nets du conjoint survivant[71].
[186] La méthode de la dépendance simple modifiée consiste plutôt à calculer un pourcentage des revenus totaux après impôts du défunt, généralement 70 % sans tenir compte des revenus du conjoint survivant. En l'espèce, l'expert de la demande propose toutefois un calcul établi à 65 % pour tenir compte du fait que la demanderesse générait certains revenus.
[187] Peu de décisions québécoises permettent d’éclairer le Tribunal sur la méthode à privilégier pour le calcul de la perte de soutien futur.
[188] Aucune ne traite d'ailleurs de circonstances où les deux conjoints gagnaient des revenus et où le défunt gagnait plus de revenus que le conjoint survivant.
[189] Dans Tremblay c. Kysen[72], le juge Barakett soulignait la nécessité de tenir compte du fait que le conjoint survivant gagnait des revenus, mais optait pour la méthode dépendance simple modifiée puisque dans ce cas particulier, les revenus du défunt étaient quatre fois et demie inférieurs à ceux de la conjointe survivante, ce qui menait à un résultat négatif lorsqu'on faisait appel à la méthode dépendance croisée.
[190] Les auteurs Daniel Gardner et Daniel W. Payette se sont penchés sur l'opportunité d'avoir recours à la méthode de la dépendance croisée et ont conclu que cette méthode était concevable dans les situations où les deux conjoints gagnaient un revenu. Par ailleurs, selon le professeur Gardner, cette méthode n'entrave « aucune distorsion importante lorsque le défunt avait le revenu le plus élevé. » [73]
[191] La méthode de dépendance croisée a déjà été reconnue dans d’autres provinces canadiennes, puisqu'elle tient compte de la réalité des ménages et du fait que les deux conjoints gagnaient un revenu avant le décès de l'un deux. Ce fut le cas notamment dans l'affaire Rose c. Bélanger[74], où la Cour d'appel du Manitoba s'exprimait ainsi :
« Percentage of income attributable to deceased’s own use and benefit
[…]
The task of the court continues to be to estimate the amount of the dependency, but where there are two income earners, the surviving spouse is apt to be less dependent because of his or her own earnings. No hard and fast rule can be laid down, because each case will turn on its own particular facts. In the minority judgment in Sonsie et al. v. McIntyre et al., supra, it was stated (at p. 283) that the initial award made by the trial judge should be reduced because he had not taken into account a second income earned by the surviving spouse:
"Obviously, where there are two income earners, the pecuniary impact resulting from the death of one of them will be reduced considerably as compared to situations where the sole income earner is killed."
That statement did not, and was not intended to, establish a formula for calculating the dependency. There may be some cases where the fact that both spouses earn incomes will have a significant effect in reducing a claim, while there will be other cases where the impact is very limited. The task of the court is to value the dependency as best it can in each case.
What is certain is that the income of the surviving spouse must be taken into account. »
[192] Dans Millott Estate c. Reinhard [75] la Cour suprême de l'Alberta approuvait le droit de cette méthode en signalant ce qui suit :
« [244] First, I must determine which approach is correct at law. If more than one approach is correct, I must decide which is appropriate to apply in these circumstances.
[245] There is little direct discussion in the cases on this point. Rather, there are implied assumptions. Often, a court will neither discuss the rationale in detail nor use the labels. The difference is that some cases apply a dependency rate to family income (cross), while some apply a dependency rate to the deceased’s income (sole). Occasionally, a court will find the dependency rate to be a certain number, then apply a lower rate (modified).
[246] A most useful discussion of this area is found in K. Cooper-Stephenson and I. Saunders, Personal Injury Damages in Canada, 2nd ed. (Scarborough: Carswell, 1996) at 671-72. The authors there suggest that a second source of family income should be taken into account, but that the courts are still grappling with how to do this. The authors conclude (at 672):
"What has to be kept in mind is that cross-dependency is simply a mechanism for resolving a financial claim in light of the financial facts. From an emotional standpoint of course most survivors are substantially worse off."
[…]
[249] In Rose v. Belanger (1985), 17 D.L.R. (4th) 212 (Man.C.A.), the Court of Appeal upheld the trial judge’s cross dependency calculation (based on family income, not only on the deceased’s income). The court stressed that each case depends on its own facts, but that it is certain “that the income of the surviving spouse must be taken into account”.
[…]
[253] Returning to the parties’ submissions, I conclude that Bruce’s argument in favour of sole dependency is illogical in circumstances in which both spouses have incomes. In addition, his underlying assumption is still that the survivor loved the deceased and wanted to spend money on the deceased; therefore, the fact of that spending should be overlooked in assessing damages. However, the court cannot, in my view, fall into the trap of deciding which marriages were “for love”, thus qualifying for sole dependency, and which were “for money”, thus qualifying for cross dependency. It would be inappropriate to make the court a forum for parties to call evidence as to the type of marriage a given case involved, or for the court to base an award on the presence or absence of love and affection. As difficult as it may be, the Court must attempt to recognize actual net economic loss.
[…]
[256] The proper method of adjustment (cross or modified) depends on the circumstances. Generally, the modified approach is applicable where there is evidence that the survivor’s income is much greater than the deceased’s (which would lead to an absurd result using cross dependency), or where there is evidence that the deceased was extraordinarily frugal or self-sacrificing (as in Hechavarria).
[257] In the present case, the cross dependency approach is appropriate. The two wage earners in the Millott family pooled their income into a joint account from which they paid the bills (e.g., mortgage, car, groceries and utilities). Whatever was left over was for everybody’s use. Accordingly, some of Millott’s salary would be used for Lauretta’s personal expenses; some of Lauretta’s would be used for Millott. There was no evidence indicating that Lauretta was extraordinarily frugal or self-sacrificing (apart from the obvious thriftiness required in the Millott family’s recent financial circumstances and apart from a mother’s normal sacrifices for her family). The evidence is also clear that Millott was earning (including the WCB supplement) and would have continued to earn significantly more than Lauretta. Therefore, the other rationale for applying the modified approach is also inapplicable (where the survivor’s income is higher). »
[Soulignements du Tribunal]
[193] En l'espèce, même si la demanderesse affirme que ses revenus d'avocate servaient principalement à acquitter ses dépenses personnelles pour s'habiller, se gâter, aller chez le coiffeur, Monsieur Émond a témoigné que les parties se partageaient les dépenses familiales, tel qu'il ressort de l'extrait suivant de son témoignage :
« 190Q-Okay. I’ll take you just to a different subject. In terms of financial arrangements within your family, I understand your spouse is active at work, how do you go about the household expenses. Is someone taking care of a special…
A- No.
191Q-…you know, either groceries, or housing, or something like that, or it’s all in the same account and you share…
A- We don’t have a…we have a common account for the loan on the house, and we don’t…we don’t count the pennies, and that’s the way we work…we do things at home.
As far as the financial planning, I like financial matters, and I take care of…like, our son has…I take care of that at home, Cathie trusts me. And we’re well, we don’t have any debt, the only thing we owe is our house, and it could be paid in four (4) or five (5) years, I believe.
192Q- But when you say you take care of that, it means you do the financial planning…
A- I do.
193Q- …and…okay, but in terms of sharing the expenses, you both contribute…
A- The bill. Yeah we…
194Q- …to the general bill, you just share the expenses, the both of you, with respect…through a common account, is that…would that sum up the financial…
A- For the loan on the house.
195Q- M’hm
A- But for the weekly expenses, we don’t work that way. If Cathie goes to the groceries, and I’ll do something else, at the end it comes up even, we don’t question about …if there’s a twenty-five dollars ($25.00) difference in the expenses.
196Q- Okay, so you just take care of…interne of your own…
A- Yes.
197Q- …of needs of the household
A- Yeah. Our son’s education, we share our son’s education, but for the weekly expenses we don’t…we don’t start having two (2) columns and splitting in half…
198Q- Okay.
A- …the exact amount. »[76]
[194] La demanderesse soutient également que Monsieur Émond dépensait peu, mais ajoute qu'il était élégant, adorait magasiner des vêtements et ne lésinait pas dans l'achat d'équipements et accessoires sportifs de haut niveau, allant même jusqu'à se commander un vélo sur mesure aux États-Unis peu avant son décès.
[195] Elle précise que le couple voyageait régulièrement en Europe avec leur fils, notamment dans les Alpes et qu'ils allaient en famille faire du ski au Mont-Tremblant et au Massif de la Petite-Rivière-Saint-François à Québec. À la lumière de ces faits, le Tribunal ne peut se convaincre que Monsieur Émond vivait dans la frugalité et qu'il faille écarter la méthode de dépendance croisée en l'espèce.
[196] Aussi, le Tribunal est d'avis que les faits de la cause se seraient prêtés à l'application de la méthode de dépendance croisée qui présente l'avantage de respecter le principe de la restitution intégrale du préjudice, dans la mesure où le défunt et le conjoint survivant gagnaient tous deux des revenus, bien que ceux du défunt aient été plus élevés que ceux du conjoint survivant.
[197] Selon la demanderesse, la perte de soutien futur doit être calculée en tenant compte d'une retraite à l'âge de 68 ans, puisque Monsieur Émond formulait le désir de continuer à travailler le plus longtemps possible.
[198] Lors de son témoignage, Monsieur Guertin, l'expert actuaire en défense, a déposé un tableau récapitulatif des statistiques d'âge moyen de retraite dans divers secteurs[77].
[199] En fonction de ces statistiques et tenant compte de l’impact probable qu’aurait eu le cancer sur la vie de Monsieur Émond, le Tribunal juge qu'il aurait été raisonnable d'établir la perte de soutien futur en fonction d'une retraite à l'âge de 62 ans.
[200] Par ailleurs, eut-il conclu à la présence d'un lien causal entre les fautes des défendeurs et le décès de Monsieur Émond, à l'instar de l'affaire Millott Estate c. Reinhard[78], le Tribunal aurait calculé la perte de soutien futur en fonction de la méthode de dépendance croisée en multipliant le total des revenus nets des parties après impôts par 70 % et en déduisant de ce montant les revenus nets du conjoint survivant. En ce qui concerne X, toujours suivant l'approche de la Cour suprême de l'Alberta dans Millott Estate fondée sur les statistiques canadiennes des dépenses des couples, le Tribunal aurait établi ce calcul en fonction d'un taux de dépendance de 4 %.
[201] Vue la position à peu près identique des experts quant aux revenus moyens de Monsieur Émond, le Tribunal aurait calculé la perte de soutien en fonction des revenus bruts moyens de 131 000 $ ou de revenus après impôts de 86 553 $.
[202] En ce qui concerne les revenus de la demanderesse, puisque le Tribunal retient la méthode découlant de la dépendance croisée, il y aurait eu lieu de les considérer, en fonction de la moyenne des revenus de la demanderesse pour 2005 et 2006 telle qu'indexée en 2008, soit des revenus bruts annuels de 90 496 $ ou de 62 575 $ après impôts.
[203] Le montant total des revenus nets à considérer aux fins du calcul serait donc de 149 128 $, soit la somme des revenus nets des parties calculée comme suit:
86 553 $ + 62 575 $ = 149 128 $
[204] En fonction de la méthode de dépendance croisée, le montant de la perte de soutien futur subie par la demanderesse aurait été établie au montant annuel de 41 814,60 $ calculée comme suit à compter de 2008:
(Total des revenus nets X 70%) - Revenus nets de la demanderesse
(149 128 $ X 70 %) - 62 575 $ = 41 814,60 $
[205] Pour ce qui est de X, le Tribunal aurait accordé 4 % des revenus nets du couple jusqu'à l'âge de 25 ans, à raison d'une perte annuelle de soutien de 5 965,12 $ calculée à compter de 2008.
[206] À cet égard, le Tribunal estime probable que X prenne trois ans pour compléter son cégep comme beaucoup d'autres étudiants et qu'il ne termine un baccalauréat ou premier cycle à l'université que vers l'âge de 25 ans, compte tenu des difficultés scolaires évoquées dans le cadre de la preuve.
[207] En fonction du taux d'actualisation proposée par l'expert de la demande, soit 15.8321 pour la demanderesse et 13.2578 pour X, le montant de la perte de soutien futur de la demanderesse se serait chiffré à 662 012,92 $ et celle de X à 79 084,36 $ calculés comme suit :
Ø Perte de soutien futur de la demanderesse
41 814,60 $ X 15.8321 = 662 012,92 $.
Ø Perte de soutien futur de X
5 965,12 $ X 13.2578 = 79 084,36 $.
2) Provisions pour impôts
[208] L’objectif de la provision pour impôts est de prévoir une somme pour compenser l’impôt que la demanderesse aura à payer sur les intérêts du montant d’indemnité qui pourrait lui être versé.
[209] Selon les défendeurs, l’emploi du taux net d’actualisation (3,25 %) et du taux d’inflation (2,5 %) pour un taux combiné de 5,89 % tel que le préconise la demanderesse ne correspond pas au rendement qu'elle pourrait faire en investissant les sommes qui pourraient lui être octroyées. Selon eux, l’emploi du taux retenu par Monsieur Guertin de l'ordre de 4 % a l’avantage de refléter la réalité du marché.
[210] Toutefois, à la lumière de l'article 1614 C.c.Q.[79], le Tribunal ne retient pas cet argument qui ne tient pas compte du taux d'actualisation prescrit par règlement. Selon le Tribunal, il y aurait eu lieu d'appliquer le taux combiné de 5.89 % comme le soutient la demande.
3) Frais et dépenses
[211] Les experts actuaires se sont penchés sur l'analyse des frais et dépenses de la demanderesse à compter du décès afin de les incorporer au calcul de la perte de soutien futur.
[212] À l'origine, ils ont utilisé aux fins de la rédaction de leur rapport original une date d’évaluation au 6 juin 2008, en fonction de la date du décès de Monsieur Émond.
[213] Toutefois, à la veille du procès, Monsieur Guertin a produit un rapport complémentaire daté du 7 décembre 2010[80] afin d'ajuster certains calculs et réévaluer la perte au 1er janvier 2011.
[214] Dans ce rapport complémentaire, il soumet qu’il est souhaitable de modifier les calculs actuariels afin de remplacer les hypothèses utilisées par des données réelles en fonction des faits réellement survenus depuis le décès de Monsieur Émond, de manière à éviter la sous-indemnisation ou une surindemnisation de la victime.
[215] Le Tribunal partage l'avis de l'expert Guertin voulant qu'il y ait lieu de tenir compte des frais réellement encourus, pour les années 2008, 2009 et 2010 à titre de dépenses passées et d'évaluer séparément les dépenses futures à compter du 1er janvier 2011.
[216] Il en va toutefois autrement de la perte de soutien futur qui, selon le Tribunal, doit être calculé à compter du décès, puisqu'elle tient compte des revenus de Monsieur Émond et de la demanderesse avant le 6 juin 2008.
3.1) Dépenses passées
[217] Les dépenses passées réclamées par la demanderesse comprennent celles énumérées à la liste confectionnée par la demande accompagnée de factures[81] pour un montant total de 81 592,28 $[82] couvrant l'année 2007, de même que les dépenses figurant au rapport des actuaires, pour les années 2008, 2009 et 2010.
[218] Ils peuvent être regroupés en deux catégories, soit d'une part les frais funéraires et autres frais de deuil et d'autre part, une catégorie pour les autres frais.
i) Frais funéraires et autres frais de deuil
[219] Les frais suivants sont réclamés à titre de frais funéraires et autres frais de deuil :
Notarial fees: |
$4,179.19 |
Funeral expenses: |
$1,318.96 |
Time spent for organizing funeral (35 h X $100 per hour): |
$3,500.00 |
Cemetery fee : |
$ 200.00 |
Preparation of book in Marc’s memory : |
$1,200.00 |
Buffet after burial: |
$2,300.00 |
Paroisse Ste-Dorothée: |
$ 400.00 |
Monument: |
$2,375.00 |
Flowers: |
$ 682.88 |
Buffet after service: |
$1,876.00 |
Rental of Hall: |
$ 250.00 |
Family Trip after Marc’s death: |
$10,000.00 |
Funeral clothing for X and Cathie: |
$1,450.00 |
New linen for bedroom: |
$1,280.00 |
Purchase of furniture: |
$3,100.00 |
Sub-total: |
$34,112.03 |
[220] Même si la mort demeure une certitude éventuelle, la doctrine et la jurisprudence[83] reconnaissent qu'ils peuvent être octroyés dans le contexte d'un décès jugé prématuré.
[221] Certains paramètres doivent cependant être considérés pour évaluer le caractère raisonnable des frais funéraires encourus, afin d'assurer au défunt des rites funéraires et une sépulture convenables pour son milieu et sa situation[84].
[222] Le Tribunal retient de ces autorités et de la preuve que seuls les frais suivants auraient pu être qualifiés de frais funéraires raisonnables susceptibles d'indemnisation :
Funeral expenses: |
$1,318.96 |
Cemetery fee : |
$ 200.00 |
Preparation of book in Marc's memory: |
$1,200.00 |
Paroisse Ste-Dorothée: |
$ 400.00 |
Monument: |
$2,375.00 |
Flowers: |
$682.88 |
Rental of Hall: |
$ 250.00 |
Buffet after service |
$1,876.00 |
Buffet after burial: |
$2,300.00 |
Funeral clothing for X and Cathy |
$800.00 |
|
|
Sub-total: |
$11,402.64 |
[223] Plus particulièrement au chapitre des vêtements de deuil, le Tribunal ne retrouve pas dans la preuve et notamment dans les pièces produites sous P-8, les factures soutenant l'achat de vêtements pour les funérailles d'un montant de 1 450 $ par la demanderesse et son fils. En fonction de ces lacunes, le Tribunal aurait plutôt attribué un montant forfaitaire de 800 $ qu'il estime réaliste et raisonnable dans les circonstances.
[224] Un certain nombre d'items réclamés ne paraissent pas raisonnables ou ne semblent pas directement reliés aux fautes reprochées, notamment le calcul du temps requis par la demanderesse aux fins d'organiser les funérailles, que la demanderesse réclame au taux horaire de 100 $ autrement facturé à ses clients. De plus, le Tribunal est d'avis que les voyages, l'achat de draps, les frais de décoration et d'achat de téléviseur et de DVD ne peuvent être qualifiés de frais funéraires.
ii) Autres frais de deuil
[225] La demanderesse réclame également des frais de deuil totalisant 44 700,25 $ détaillés comme suit :
Massotherapy (P-17): |
$3,720.00 |
Ventilators, bed, chairs, etc. |
$7,000.00 |
Time for care of Mr. Émond day and night : |
$30,000.00 |
Medigas: |
$290.00 |
Amedco: |
$330.25 |
Tutor for X: |
$500.00 |
Rockland MD: |
$125.00 |
Gas: |
$310.00 |
Hospital parking: |
$425.00 |
Psychological expenses for Cathie and X: |
$2,000.00 |
Sub-total: |
$44,700.25 |
[226] Le Tribunal estime que seules les dépenses pour l'achat de ventilateurs, de lits et de chaises, de même que les factures de Medigas, Amedco, Rockland MD sont admissibles.
[227] De l'avis du Tribunal, les frais de massothérapie réclamés ne sont pas admissibles à titre de frais de deuil raisonnables, non plus que les frais de consultation psychologique qui n'ont pas été encourus, puisque la demanderesse a choisi de ne pas requérir de tels soins ni pour elle-même ou son fils.
[228] Pour ce qui concerne les frais de la neuropsychologue Hardoon, il ne s'agit pas non plus, selon le Tribunal, d'une suite directe et immédiate du décès, puisque la neuropsychologue avait pour mission d'évaluer la condition neuropsychologique de X et d'évaluer la présence d'un déficit d'attention chez l'enfant et qu'il n'a pas été établi de lien direct entre l'existence d'un tel déficit de X d'origine neurologique et le décès de son père.
[229] Quant à la réclamation de 30 000 $ pour le temps consacré par la demanderesse à s’occuper de Monsieur Émond, le Tribunal estime que cette réclamation n’est soutenue qu'en partie par la preuve. Monsieur Émond a témoigné qu'il se rendait seul à ses traitements et c'est davantage à la toute fin de sa vie, en juin 2008, que la demanderesse a indiqué avoir consacré plus de temps à s'occuper de Monsieur Émond. Le Tribunal aurait octroyé une perte de revenus de 15 000 $ à la demanderesse à ce chapitre.
[230] Pour le reste, il s’agit selon le Tribunal de dommages susceptibles d'être inclus à même les dommages non pécuniaires dont le Tribunal a déjà traité.
iii) Aide aux devoirs
[231] La demanderesse a engagé des frais de 3 000 $ pour l’aide aux devoirs prodiguée par Madame Émilie Drouin-Lauzon en 2010[85]. Le Tribunal est d'avis qu'il s'agit d'une dépense qui aurait été admissible à titre de dommages, dans la mesure où Monsieur Émond assurait le suivi scolaire jusqu'à ce que sa santé l'en empêche.
iv) Aide à domicile
[232] La demanderesse soutient que, suite au décès de Monsieur Émond, elle a dû embaucher une aide à domicile pour effectuer les tâches qu'effectuait autrefois Monsieur Émond, soit le ménage, les courses ainsi que le transport de X pour le retour de l’école.
[233] Suivant la preuve, la somme versée pour l'aide à domicile était répartie de la façon suivante :
Chèque de Madame Cathie St-Germain, avocate : |
250,00 $ |
|
Avance sur carte de crédit : |
100,00 $ |
|
Essence : |
60,00 $ |
|
Total : |
410,00 $ |
[234] Puisque avant le décès de Monsieur Émond, le couple payait déjà une somme de 70 $ pour des travaux ménagers, il y a lieu d'ajuster somme réclamée pour qu'elle se chiffre au montant de 340 $ par semaine.
[235] Pour le reste et sur une base annuelle, il s'agit d’un montant de 17 680 $[87] dont le Tribunal aurait tenu compte, calculé comme suit pour les années 2008, 2009 et 2010 :
2008 (208 jours) : |
10 047,65 $ |
2009 : |
17 680,00 $ |
2010 : |
17 680,00 $ |
Total : |
45 407,65 $ |
3.2) Dépenses futures
[236] Les experts évaluent les dépenses futures en termes de dépenses supplémentaires découlant de l'absence de Monsieur Émond. Elles incluent l'aide à domicile, l'aide aux devoirs de X et les travaux d'entretien.
[237] Dans son rapport amendé, Monsieur Morissette évalue le montant des dépenses futures à 305 983 $[88], alors que Monsieur Guertin les chiffre plutôt à 202 706 $.
i) Aide aux devoirs
[238] Selon le témoignage du tuteur, Madame Drouin-Lauzon, des frais annuels de 7 000 $ seront engagés pour aider X avec ses devoirs jusqu’à la fin de son primaire et des sommes du même ordre sont susceptibles d'être engagées au secondaire, pour remplacer l'aide que procurait Monsieur Émond à son fils à titre de soutien scolaire. Il y aurait eu lieu selon le Tribunal de considérer des frais annuels de 7 000 $ jusqu'en 2016.
ii) Aide à domicile
[239] À la lumière de la preuve, en fonction des dépenses engagées à cet égard de 2008 à 2010, il y aurait également eu lieu de considérer un montant annuel de 17 680 $ de 2011 à 2014 et, comme le suggère l'expert de la demande[89], de même qu'un montant annuel de 8 840 $ de 2014 jusqu'en 2024, en raison du fait que l'aide à domicile aurait été réduit à compter du 15e anniversaire de X.
iii) Entretien
[240] Quant aux travaux d’entretien, la demanderesse a déposé certaines factures totalisant environ 1 000 $ pour l’année 2010[90].
[241] Lorsqu'on tient compte des sommes déjà défrayées par le couple avant le décès, notamment pour le déneigement de l'entrée et certains des services ne pouvant être assurés par Monsieur Émond, dont l'épandage d'engrais, le Tribunal retient un montant moindre de 765 $.
[242] Quant aux différents montants inscrits à la liste des dépenses[91], sous réserve du coût de déneigement et d'entretien de pelouse dont le Tribunal a déjà traité, le Tribunal estime que ces dépenses ne sont pas soutenues par des pièces justificatives et paraissent pour certaines exagérées, notamment en ce qui concerne l'étendue des montants réclamés pour le lavage des autos et l'aiguisage des skis. Le Tribunal estime par ailleurs qu'il y a lieu de faire la part des choses entre les frais de main-d'œuvre et les matériaux qui auraient été nécessaires même en présence de Monsieur Émond.
[243] Le Tribunal est d'avis qu'il y aurait eu lieu d'attribuer un montant annuel forfaitaire de 3 000 $ pour les menus travaux qu'aurait effectué Monsieur Émond autour de la maison, tel que le suggère la défense.
iv) Autres dépenses
[244] Quant aux coûts d’assurance médicaments que doit dorénavant assumer la demanderesse, ils représentent une différence annuelle de 1 660 $ que le Tribunal aurait reconnu comme dépense additionnelle[92].
[245] En somme, si le Tribunal avait conclu au lien causal entre les fautes alléguées et le décès de Monsieur Émond, il aurait accordé les montants ci-haut détaillés à titre de dépenses futures et aurait requis le calcul d'une majoration actuarielle applicable à compter du 1er janvier 2011, avec le concours des experts.
4) Point de départ du calcul des intérêts
[246] Les
défendeurs soutiennent que le Tribunal doit fixer le point de départ du calcul
des intérêts, pour les pertes pécuniaires futures, depuis la date d’évaluation
retenue par Monsieur Guertin, soit le 1er janvier 2011, à la lumière
de l’article
« Les dommages-intérêts autres que ceux résultant du retard dans l'exécution d'une obligation de payer une somme d'argent portent intérêt au taux convenu entre les parties ou, à défaut, au taux légal, depuis la demeure ou depuis toute autre date postérieure que le tribunal estime appropriée, eu égard à la nature du préjudice et aux circonstances. »
[247] Si le Tribunal avait accueilli l'action sur la base de l'existence d'un lien causal entre les fautes des défendeurs et le décès, il aurait accordé la perte de soutien futur et la provision pour frais avec intérêt et indemnité additionnelle calculés à compter de la date du décès, soit depuis le 6 juin 2008.
[248] En ce qui concerne toutefois les pertes passées, le Tribunal les aurait octroyé avec l'intérêt et l'indemnité additionnelle à compter de l'assignation. Il aurait toutefois requis un nouveau calcul actuariel des pertes futures à compter du 1er janvier 2011, qu'il aurait majoré également de l'intérêt et indemnité additionnelle à compter de cette date.
[249] Toutefois en l'espèce, comme le Tribunal limite l'octroi des dommages au préjudice non pécuniaire découlant des souffrances psychologiques liées au diagnostic tardif, il y a lieu d'ajouter l'intérêt et l'indemnité additionnelle calculés sur le montant octroyé depuis l'assignation.
[250] Quant aux dépens, vu la conclusion du Tribunal sur la faute, il y a lieu d'accorder les dépens, y incluant les frais de l'ensemble des experts retenus par la demande, tant les médecins que l'actuaire, puisque leurs expertises et témoignages ont été utiles pour établir la faute des défendeurs et pour cerner l'étendue des dommages.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[251] ACCUEILLE en partie l'action;
[252] CONDAMNE les défendeurs solidairement à verser à la demanderesse la somme de 25 000 $ plus intérêts et indemnité additionnelle calculés sur cette somme à compter de la date d'assignation;
[253] CONDAMNE les défendeurs solidairement à verser à la demanderesse en sa qualité de légataire universelle de feu Marc Émond la somme de 45 000 $ plus intérêts et indemnité additionnelle calculés sur cette somme à compter de la date d'assignation;
[254] AVEC DÉPENS, y incluant tous les frais d'expertises encourus pour l'ensemble des experts retenus par la demande tant pour la préparation de leurs rapports que pour leur présence et leur témoignage à la cour.
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__________________________________ GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.S. |
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Me Gordon Kugler |
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Me Stuart Kugler |
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Me Anastasia Flouris |
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KUGLER KANDESTIN |
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Avocats des demandeurs |
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Me Benoît Byette |
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Me David Platts |
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Me Étienne Lacoursière |
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McCARTHY TÉTRAULT |
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Avocats des défendeurs |
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Date d’audience : |
6, 7, 8, 9, 10 et 13 décembre 2010. |
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[1] Pièce D-1, p. 14.
[2] Id., p. 162.
[3] Id.
[4] Id., p. 164 et 165 où on retrouve la note suivante : « There is no active intrathoracic disease demonstrated ».
[5] Pièce D-1, p. 161.
[6] Id.
[7] Id., tel qu'il apparaît de la note manuscrite suivante : « 2006/01/31 Pt appelé pr l'avisé (sic) que les résultats sont OK suite à la demande de Abe. »
[8] Id., p. 13
[9] Id., p. 12 et 159-160.
[10] Pièce D-1, p. 2.
[11]
Vidéo, pièce P-10 et transcriptions de l'interrogatoire hors Cour de
Marc Émond tenu le 21 avril 2008 en vertu de l'art.
[12] Dr Jason Agulnik est diplômé en médecine de l’Université McGill depuis 1997; il a complété une résidence en médecine interne en 2000, un fellowship en pneumologie en 2003, avant de compléter un fellowship en oncologie thoracique en 2004. Il est pneumologue/oncologue auprès de l’Hôpital Général Juif où il occupe le poste de directeur adjoint de la division pulmonaire depuis 2003. Il est également directeur médical du département d’oncologie pulmonaire du Segal Cancer Centre du même établissement. Il enseigne auprès de l’Université McGill dans son domaine de spécialité, tel que détaillé au curriculum vitae produit comme pièce P-9A.
[13] Pièce P-9.
[14] Dr Adrian Langleben est diplômé en médecine de l’Université McGill depuis 1976; il a complété une résidence en médecine interne en 1979 et obtenu un fellow clinique en hématologie auprès de l’Université McGil en 1980. Il a été reçu fellow en oncologie au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, à New York en juin 1983. Il œuvre principalement en oncologie depuis 1983. Il a notamment travaillé auprès de l’Hôpital Royal Victoria, de l’Hôpital Montréal Général, de l’Hôpital Général Juif ainsi que de l’Hôpital St-Mary’s. Entre mars 2002 et juillet 2003, il a été directeur administratif du programme d’oncologie des hôpitaux Jacobi et North Central Bronx à New York. De retour à Montréal à l’automne 2003, il travaille depuis comme oncologue auprès de l’Hôpital St-Mary’s, de l’Hôpital Général Juif de même qu’auprès de l’Hôpital Santa Cabrini. Il consacre 25% de son temps à soigner des patients atteints de cancer du poumon. Il a enseigné et publié depuis le début de sa carrière dans le domaine de l’oncologie et il est professeur associé auprès de l'Université McGill, département d'oncologie, tel que détaillé plus amplement au curriculum vitae produit comme pièce P-6A.
[15] Pièce P-6.
[16]
Voir L'Heureux c. Lapalme, EYB 2002-35416 (C.S.); voir au même
effet Émond c. St-Adophe-d'Howard (Municipalité de),
[17] Pièce P-7.
[18] Pièce P-5.
[19] Dr Pasquale Ferraro est diplômé de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal depuis 1988. Il a complété sa spécialité en chirurgie générale en 1993, puis en chirurgie cardiothoracique en 1995. Il a complété un fellowship en chirurgie thoracique auprès de la Clinique Mayo à Rochester au Minnesota en 1996 et un fellowship en transplantation cardiothoracique à l’Université de Pittsburg en Pennsylvanie en 1997, tel que détaillé au curriculum vitae produit comme pièce D-6. Il travaille au sein de l’équipe de chirurgie thoracique du CHUM auprès de l’Hôpital Notre-Dame où il effectue en moyenne 250 chirurgies du cancer du poumon par année.
[20] Pièce D-4.
[21] Pièce D-3.
[22] Pièce D-3A.
[23]
Parent c. Lapointe,
[1952] 1 R.C.S. 376
, 381; Martel c.
Hôtel-Dieu St-Vallier, [1969] 1 R.C.S. 745, tels que cités dans Hawke c.
Hornstein, [1994] no
[24]
Lapointe c. Hôpital Le Gardeur,
[25] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., Vol. II « Responsabilité professionnelle », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 38; Hawke c. Hornstein, préc., note 23.
[26] (2002) 1213 G.O. 11, 7354.
[27] Pièce D-1, p. 164-166.
[28] Id.
[29] Pièce D-8, p. 399.
[30] Voir notes manuscrites de l'infirmière Deblois, pièce D-1, p.161.
[31]
« Je suis d'accord avec le procureur de l'appelante lorsqu'il plaide que l'on doit d'abord se fier aux notes du dossier médical et que, sauf explications plausibles et claires, on doit tenir que ce qui n'a pas été noté n'a pas en principe été fait ».
[32]
Article
« Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer le préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde. »
Article
« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
Voir Laferrière c. Lawson,
« Les règles de la responsabilité civile exigent la preuve de la faute, de la causalité et du préjudice […] La causalité en droit doit être établie selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de toute la preuve c’est-à-dire la preuve factuelle, la preuve statistique et les présomptions […] Si après considération de ces facteurs, le juge n’est pas convaincu d’après son évaluation de la prépondérance des probabilités, que la faute a causé un préjudice réel quelconque, il doit rejeter la demande d’indemnisation. »
[33]
Article
« Le créancier a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une cause immédiate et directe. »;
Voir Zanchettin c. Demontigny,
[34]
St-Jean c. Mercier,
[35]
Article
« La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
[36] St-Jean c. Mercier, préc., note 34, paragr. 106 :
« Je ne suis pas bien convaincu que la Cour d’appel a
commis une erreur dans l’interprétation de la preuve et en concluant que,
compte tenu du préjudice initial causé par l’accident, la causalité ne peut
être attachée aux fautes de l’intimé. La Cour d’appel conclut qu’une
immobilisation précoce et une diminution de l’œdème dans la moelle épinière offrent
des chances de rétablissement qui étaient plus que de simples possibilités,
mais qu’elles n’étaient pas suffisamment importantes compte tenu du préjudice
initial causé par l’accident. La Cour d’appel touchait là la question de la
probabilité que le traitement ait empêché le rétablissement. Elle
conclut que le traitement prescrit par l’intimé n’a pas causé le préjudice subi.
En utilisant les expressions « plus que de simples possibilités » et « pas
assez significatives », la Cour d’appel conclut fondamentalement que la notion
qu’une immobilisation précoce aurait permis un rétablissement se situait
quelque part dans la gamme allant de la possibilité à la probabilité : la
notion dépassait le domaine du simplement possible, mais n’atteignait pas le
seuil de la probabilité. Le préjudice initial de l’accident l’emporte
simplement sur tout effet que les soins fautifs auraient pu avoir, au point
qu’on ne peut pas dire sur la base des probabilités que le traitement fautif a
eu un effet causal. Il y a lieu de répéter le principe traditionnel formulé
dans Laferrière c. Lawson,
Voir également Weissman-Fickler c. Bouzaglo, REJB 2004-6470, paragr. 97 (C.S.) :
« [97] Pour reprendre les propos du juge Nichols, nos cours de justice ont reconnu depuis longtemps que leurs décisions devaient être basées sur des probabilités et non de simples possibilités, et encore moins sur de simples hypothèses ou des conjectures. La thèse de Weissman sur l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le dommage subi, bien qu'attrayante, demeure dans le domaine des hypothèses et des suppositions et n'a aucune valeur probante. De l'avis du tribunal, confronté à la thèse avancée par la défense, elle ne franchit pas le seuil de la probabilité quoiqu'en disent les experts en demande. »;
Lara KHOURY,
«[…] mathematical certainty. The law is satisfied with a demonstration, on the basis of probabilities, of the existence of causation based on the whole of the evidence. This signifies that evidence is sufficient if it renders the existence of a fact more probable more than its non-existence. There is no need for the relationship to be highly probable, very probable or substantially probable. On the other hand, it is not enough to prove that there is a possible causal connection between a fault and an injury. Moreover, it is not sufficient for the party who bears the burden of proof merely to present a version of the events that is more probable than that of his opponent, since, even if such a threshold is met, neither of the two versions may meet the required standard.»
[37] Laferrière c. Lawson, préc., note 32, p. 606.
[38] Voir les enseignements de la Cour suprême dans St-Jean c. Mercier, préc., note 34, paragr. 55 à 57 :
« La Cour d’appel reproche aussi au premier juge de ne pas avoir pris position dans le débat scientifique sur la causalité. Le juge [de première instance] Morin écrit au par. 90 : [L]e tribunal en vient à la conclusion qu’il se trouve finalement placé en présence de théories médicales opposées entre lesquelles il ne lui appartient pas de trancher concernant le lien de causalité entre les gestes posés par les défendeurs et la paraplégie affectant le demandeur.
Le juge de première instance doit déterminer si la preuve appuie, selon la prépondérance des probabilités, une constatation de causalité. S’il ne satisfait pas à cette norme de preuve, le demandeur n’aura tout simplement pas réussi à s’acquitter de son fardeau de preuve. Il ne suffit pas de dire qu’il existe des théories médicales opposées sur le lien de causalité et qu’il n’appartient pas au tribunal de trancher.
Le juge de première instance doit arriver à une conclusion juridique fondée sur la preuve scientifique et autre. Ne pas arriver à une conclusion finale selon la prépondérance des probabilités revient à conférer un avantage indu au défendeur qui pourrait simplement présenter une théorie scientifique contraire plausible pour réfuter les prétentions du demandeur. Cette approche comporte une modification de la norme de preuve puisque le juge de première instance évite d’examiner quelle est la théorie scientifique la plus probable. Dans l’analyse du lien de causalité c’est une erreur pour le juge de première instance de conclure qu’il ne lui appartient pas de rendre une décision finale en présence de théories opposées.
Le principe de la neutralité judiciaire a sa place dans l’analyse de la faute. Les tribunaux n’ont pas à prendre position entre des théories médicales divergentes mais reconnues touchant les pratiques professionnelles acceptables ou un diagnostic approprié. […] Cependant, on ne doit pas invoquer la neutralité sur des questions de causalité et s’abstenir ainsi de déterminer si le lien de causalité est établi selon la norme juridique de la prépondérance des probabilités. »
[39] St-Jean c. Mercier, préc., note 34, paragr. 115 :
« L’appelant avait des éléments de preuve à
l’appui de sa demande : les radiographies initiales, les notes des
médecins, les notes des infirmières, les observations de son ami Jocelyn
Richard et les examens subséquents. L’article
[40] EYB 1996-30352 (C.S.).
[41]
[42] Zanchettin c. Demontigny, préc., note 33.
[43] Zanchettin c. Demontigny, préc., note 33, paragr. 87.
[44] St-Jean c. Mercier, préc., note 34, paragr. 111-112.
[45]
[46] Grubek c. Cohen, préc., note 41.
[47] Zanchettin c. Demontigny, préc., note 33.
[48]
« Toutefois, je ne saurais terminer sans exprimer une grande sympathie à l'égard du sort tragique de Nancy à la suite de cet accident et de la douleur et de la souffrance imposées à ses parents depuis. Guidée seulement par la sympathie, ma tâche aurait été beaucoup plus facile. Toutefois, en tant que juge, je dois appliquer les règles de droit et la sympathie est un mauvais guide dans ces circonstances. Justice doit être rendue conformément aux règles de droit et justice doit être rendue à l'égard des deux parties à un litige, tant les demandeurs que les défendeurs. »
[49] Pièce P-9.
[50] Ganglions no 11, 12, 13 pièce D-5.
[51] Ganglion no 10 au niveau du hile (racine du poumon) pièce D-5.
[52] Ganglions no 1 à 9 pièce D-5.
[53] Pièce D-7.
[54] Il utilise l'expression « eyeballed » lorsqu'il discute de son analyse des radiographies de novembre 2005 et janvier 2006, alors qu'il rencontre le patient pour la première fois en janvier 2007.
[55] Pièce D-2, p.211, comparativement à la Pièce D-1, p. 161-162.
[56] Pièce D-1, p. 159.
[57] Pièce D-1, p. 9, 10.
[58] Pièce D-2, p.211.
[59] Pièces D-1, p. 159.
[60] Pièce D-8.
[61] Guidelines for Management of Small Pulmonary Nodules Detected on CT Scans: A Statement from the Fleischner Society, pièce D-8.
[62] « The Revised TNM Staging System for Lung Cancer», pièce D-7.
[63] Laferrière c. Lawson, préc., note 32.
[64]
[65] Fisch c. St-Cyr, préc., Id., note 64.
[66] Tremblay c. Kysen inc.,
[67]
[68] Id., paragr. 27 et 31 :
« C. Compensation for Solatium Doloris and Loss of Moral Support
[27] This appeal reminds us once more of the delicate nature of judges’ work. In civil liability cases, judges sometimes have the difficult task of quantifying the value of concepts as intangible as a person’s life, physical inviolability or suffering. In this area, where, by definition, the exercise of reasoned discretion remains the rule, the judge must also give as much priority as possible to following established judicial practice while adapting it to the specific circumstances of each case.
[…]
[31] While the Quebec courts have since used
the sum of $25,000 awarded by L’Heureux Dubé J. as a reference point for
determining the amount to be awarded as compensation for moral prejudice, it
has never been considered a cap in the same way as the $100,000 awarded by
Dickson J. in Andrews v. Grand & Toy Alberta Ltd., 1978 CanLII 1 (S.C.C.),
[69]
Daniel GARDNER,
« 675 - Proposition pour une fourchette d’indemnités. Dans la dernière édition du présent ouvrage, nous indiquions que des indemnités oscillant entre 20 000 $ et 45 000 $ nous semblaient insuffisantes et que les tribunaux disposeraient d’une marge de manœuvre plus grande, permettant de distinguer chaque cas d’espèce, si l’indemnité accordée dans la meilleure hypothèse (couple uni, période significative de vie commune) était au moins doublée. Les indemnités de 80 000 $ dans les affaires Larose et Tremblay, signalées au paragraphe précédent, nous apparaissent donc tout à fait acceptables.
Partons d’un constat : la Loi sur l’assurance automobile accorde aujourd’hui une indemnité minimale de 60 000 $ à la suite du décès d’un conjoint (art. 63 par. 2). Cette indemnité est accordée même dans les cas où le de cujus est une personne retraitée ou encore qu’elle n’apportait aucun revenu au ménage. Il nous semble donc que le droit commun devrait adopter ce chiffre comme norme minimale de la fourchette potentielle des indemnités à accorder au conjoint survivant. Quant à la limite supérieure de la fourchette, nous proposons le chiffre de 90 000 $, soit 50 % de plus que la limite minimale. Ces chiffres sont exprimés en dollars de 2009 et il faudra bien sûr penser à les indexer annuellement. »
[70]
Larose c. Hurtubise, préc., note 63 ; Larouche c. Simard,
[71] Daniel W. PAYETTE, « Décès du conjoint et perte de soutien financier : pour sortir de l'impressionnisme », dans S.F.C.B.Q., Barreau du Québec, vol. 287, Tendances en droit de la santé (2008), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 23 :
« Ce qu’il faut établir au bout du compte, c’est à quelle somme nette le conjoint survivant a perdu accès, le cas échéant. Il s’agit d’un calcul financier, comptable, fondé sur la réalité économique. Évaluer la perte de soutien financier du conjoint survivant sans tenir compte qu’il gagnait son propre revenu et qu’une partie était utilisée par le conjoint décédé, mène inévitablement à une surindemnisation injustifiable. »
[72] Tremblay c. Kysen inc., préc., note 63.
[73] D. GARDNER, préc. note 66, paragr. 625.
[74] (1985) 17 D.L.R. (4th) 212.
[75] (2001) 98 Alta L.R. (3d) 105, paragr. 244 et suiv.
[76] Témoignage hors Cour de Monsieur Émond en date du 29 avril 2008, p. 62.
[77] Pièce D-3B.
[78] Millott Estate c. Reinhard, préc., note 75.
[79]
L'article
« Les dommages-intérêts dus au créancier en réparation du préjudice corporel qu'il subit sont établis, quant aux aspects prospectifs du préjudice, en fonction des taux d'actualisation prescrits par règlement du gouvernement, dès lors que de tels taux sont ainsi fixés. »
[80] Pièce D-3A.
[81] Pièce P-8.
[82] Tel que corrigé au moment de l'audience du 8 décembre 2010.
[83] Gravel c. Édifice Gosselin et Fiset enr., 2007 (QCCS) 5226; Larouche c. Simard, préc., note 67; Lefebvre c. Labonté (Succession de), 2002 CanLII 8255 (QCCS).
[84] Voir notamment Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, au passage suivant :
« 1-521 - Définition des frais funéraires - Les frais funéraires représentent les dépenses encourues en vue d’assurer au défunt des rites funéraires et une sépulture convenables et conformes à son milieu et à sa situation. Les tribunaux sont, en général, d’accord pour inclure les dépenses d’achat de cercueil, d’entrepreneur de pompes funèbres, de service religieux et de sépulture. Par contre, la jurisprudence est divisée sur d’autres chefs, tels les vêtements d’ensevelissement, l’épitaphe, le monument funéraire, le certificat de décès, les couronnes mortuaires, les services anniversaires, les cartes et avis de décès, les frais de déplacement, d’hébergement ou de réceptions, les frais de téléphone et de télégramme, l’achat d’une concession au cimetière. À travers ces divergences, cependant, les tribunaux s’entendent pour n’accorder, de toute façon, qu’une somme raisonnable eu égard aux circonstances, c’est-à-dire en relation avec les revenus et la situation de la victime, les convenances sociales et les coutumes funéraires du groupe et du lieu.
1-522 - Définition des frais de deuil - Les frais de deuil, dont l’actualité est de nos jours douteuse, constituent les dépenses faites pour extérioriser le chagrin et se composaient du coût des vêtements de deuil des proches, même si certains y incluent aussi les cartes mortuaires, annonces de décès et frais de réception des parents. Il est fréquent, lorsqu’ils sont accordés, de les voir inclus sous le vocable plus général des frais funéraires et la distinction entre les deux apparaît sur le plan juridique comme artificielle. Le deuil de la veuve, à la charge des héritiers du mari, était parfois alloué, de même que celui des ascendants et des descendants. Les changements sociaux de l’époque moderne font que ces frais sont de nos jours plus rarement demandés et accordés. »
[85] Pièce P-11.
[86] Pièce P-19.
[87] Rapport d'expertise de Monsieur Guertin du 29 avril 2010, pièce D-3, p. 33.
[88] Pièce P-5A.
[89] Pièce P-5A.
[90] Pièce P-12.
[91] Page couverture de la pièce P-12.
[92] Pièce P-5A.
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