Métro-Richelieu inc. Newton et Pinsonneault |
2011 QCCLP 928 |
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[1] Le 14 décembre 2009, Métro-Richelieu inc. Newton (l'employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 novembre 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST maintient sa décision rendue initialement sous forme d’un avis de paiement transmis à l'employeur en date du 10 août 2009 par lequel elle autorise le versement d’une indemnité de remplacement du revenu à monsieur Jean-Guy Pinsonneault (le travailleur) pour la période du 6 au 30 juillet 2009, considérant la non-disponibilité d’un emploi prévu pour une assignation temporaire en raison de la grève sévissant chez son employeur.
[3] Une audience est tenue à Lévis le 6 août 2010 en présence des parties et de leur procureur respectif. L’affaire a été prise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande au tribunal d’infirmer la décision rendue par la CSST le 20 novembre 2009 au motif qu’en situation de grève, le fait de ne pas entrer au travail et d’accomplir son assignation temporaire, le travailleur s’est privé de son droit à une indemnité de remplacement du revenu puisqu’il pouvait alors exercer l’emploi qui était mis à sa disposition.
[5] Le travailleur, au contraire, estime que l’emploi prévu pour son assignation temporaire n’étant pas disponible et accessible, il avait le droit de recevoir à nouveau son indemnité de remplacement du revenu pour la période en cause. Il estime que la décision de la CSST doit être maintenue.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la jurisprudence déposée par l'employeur devrait être retenue. Il estime que le travailleur, en situation de grève, se prive de son droit à une assignation temporaire et, incidemment, de son droit à une indemnité de remplacement du revenu puisque l'employeur propose de lui verser son salaire conformément à l’article 180 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Il est d’avis d’accueillir la requête de l'employeur.
[7] Le membre issu des associations syndicales estime, au contraire, que l’assignation temporaire n’est plus disponible puisque le travailleur ne peut accéder à cet emploi pendant une situation de grève légale. Ce n’est donc pas par la faute du travailleur que celui-ci ne peut exercer l’assignation temporaire qui était disponible avant le début de la grève.
[8] De plus, l’interprétation de la loi formulée par l'employeur a pour effet de forcer le travailleur à commettre un acte illégal en vertu d’une autre loi. Cette interprétation ne peut être retenue et il est d’avis de rejeter la requête de l'employeur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST était bien fondée en fait et en droit de verser une indemnité de remplacement du revenu au travailleur alors que son assignation temporaire a été interrompue par une grève légale chez son employeur du 6 au 30 juillet 2009.
[10] Pour disposer du litige, il y a lieu d’abord de rappeler le libellé des articles 179, 180 et 142 de la loi qui se lisent comme suit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[11] Pour les faits les plus pertinents, la Commission des lésions professionnelles réfère à une décision[2] rendue dans ce dossier en date du 11 septembre 2009 par le soussigné. Ainsi, les faits suivants y sont consignés :
[13] Le 22 janvier 2008, le travailleur manipule des caisses et s’inflige une lésion à l’épaule gauche dans le cadre de son emploi de préparateur de commandes pour l’employeur.
[14] L'attestation médicale émise le 23 janvier 2008 fait état des diagnostics de tendinite à la longue portion du biceps et de tendinite à l’épaule et au coude gauches.
[15] Par la suite, il sera en assignation temporaire du mois de février au mois d’avril 2008.
[16] Le travailleur sera admis à un programme de réadaptation physique entre le 9 juin et le 30 juillet 2008.
[17] Un rapport médical émis le 4 septembre 2008 par le médecin traitant, le docteur Normand Thériault, autorise le retour au travail normal à compter du 14 août 2008, mais de manière progressive.
[18] Il est en preuve que le travailleur occupera à plein temps son emploi habituel et que son indemnité de remplacement du revenu versée par la CSST cessera définitivement le 14 septembre 2008.
[…]
[32] Le travailleur indique qu’il a repris son travail normal le 21 novembre 2008, mais qu’il fut à nouveau mis en arrêt de travail à compter du mois de février 2009. Il fut en assignation temporaire en raison d’une récidive, rechute ou aggravation à compter de cette date, et ce, jusqu’au 15 juin 2009.
[12] À l’audience, le travailleur indique qu’il a poursuivi une assignation temporaire jusqu’en date du 7 juillet 2009. La grève a débuté chez son employeur le 3 juillet 2009.
[13] Le travailleur devait entrer au travail le 6 juillet mais, en raison du conflit, il n’a pas été en mesure d’accomplir son assignation temporaire, et ce, jusqu’au 30 juillet 2009. C’est d’ailleurs cette période qui est en cause quant au droit à son indemnité de remplacement du revenu.
[14] À l’audience, l'employeur dépose la fiche d’assiduité du travailleur (pièce E-1), le formulaire d’assignation temporaire (pièce E-2) et le relevé d’imputation de la CSST daté du 10 septembre 2009 (pièce E-3). C’est d’ailleurs par ce relevé qu’il apprend qu’une indemnité de remplacement du revenu a été versée au travailleur.
[15] Les faits mentionnés précédemment sont admis par les parties et le litige concerne uniquement le droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu en situation de grève au cours de la période en cause.
[16] Dans son argumentation, le représentant de l'employeur soumet que lorsque le travailleur est au travail, dans le cadre d’une assignation temporaire, il est rémunéré par l'employeur en vertu de l’article 180 de la loi. Il est alors dans la même situation que les autres travailleurs qui exercent leur travail normal. Il y a alors changement du statut juridique du travailleur puisqu’il n’est plus sous la gouverne de la LATMP, mais bien sous l’empire de la convention collective et du Code du travail.
[17] À cet égard, lorsque la grève se déclenche, le travailleur fait le choix de poser ce geste et se prive ainsi de son droit au travail tout comme les autres travailleurs. Il est alors privé de son salaire et, dans un tel contexte juridique, lui verser une indemnité de remplacement du revenu au cours de cette période constitue une injustice en regard des droits des autres travailleurs.
[18] Ainsi, alors que les autres travailleurs n’ont plus leur salaire mais uniquement leurs prestations de grève, le travailleur est alors privé de son emploi comme ses collègues mais il bénéficie d’une pleine indemnité de remplacement du revenu. En somme, pour reprendre l’expression du représentant de l'employeur, le travailleur réclame « le beurre et l’argent du beurre ».
[19] Le représentant de l'employeur soumet qu’il y a divergence dans la jurisprudence du tribunal et qu’il s’en remet donc aux décisions confirmant ses prétentions quant à l’absence de droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu alors qu’il est en assignation temporaire au moment où débute une grève des employés.
[20] Ainsi, dans l’affaire Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas et als[3], la décision fait ressortir clairement que le travailleur en assignation temporaire voit ainsi suspendre le versement de son indemnité de remplacement du revenu, l’application de la présomption prévue à l’article 46 de la loi n’existant plus, puisqu’il est alors pris en charge à nouveau par son employeur quant à ses conditions de travail, incluant le versement de son salaire et de ses avantages sociaux.
[21] Le représentant de l'employeur soumet que la décision du travailleur de ne pas bénéficier de l’assignation temporaire au motif qu’il est en grève découle d’une décision qui relève de ce dernier et non de l'employeur.
[22] La représentante du travailleur soumet, au contraire, que le droit à l’indemnité de remplacement du revenu découle de l’application de l’article 44 de la loi. Or, pour mettre fin au droit à l’indemnité de remplacement du revenu, seuls les articles 57 et 132 prévoient les dispositions pouvant mettre fin à ce droit.
[23] Ainsi, l’article 57 de la loi prévoit que la fin du droit à une indemnité de remplacement du revenu survient dans trois conditions, soit lorsque le travailleur redevient capable d’exercer son emploi, s’il décède ou encore s’il atteint l’âge de 65 ans. En l’espèce, elle soumet qu’aucun de ces critères ne s’applique au travailleur.
[24] Quant à l’article 132 de la loi, ce n’est pas le droit à l’indemnité de remplacement du revenu qui s’éteint mais simplement la cessation du versement de celle-ci qui peut survenir lorsque le travailleur retourne au travail dans son même emploi ou lorsqu’un rapport médical confirmant la date de la consolidation de sa lésion est produit par son médecin traitant et qu’il n’est porteur alors d’aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ni d’aucune limitation fonctionnelle. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
[25] En effet, en date du 6 juillet 2009, le travailleur n’est pas redevenu capable d’exercer son emploi puisque sa lésion n’est toujours pas consolidée.
[26] Par ailleurs, même si l'employeur ne l’a pas invoqué, la représentante soumet qu’en vertu de l’article 142 (2) (e) de la loi, il est possible de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu si un travailleur omet ou refuse, sans raison valable, d’exercer un emploi qui lui est offert dans le cadre d’une assignation temporaire alors que son employeur offre de lui verser son salaire.
[27] Dans la présente affaire, elle rappelle qu’il est en preuve que le travailleur est en grève à compter du 3 juillet 2009 et qu’il ne peut entrer dans l’établissement pour exercer son emploi conformément à l’article 109 du Code du travail du Québec. Le travailleur n’est donc pas dans une situation où il omet ou refuse d’exercer son emploi mais dans une situation où il est dans l’impossibilité de l’exercer. L’article 142 (2) (e) de la loi ne peut d’ailleurs s’appliquer de manière rétroactive comme le prévoit la jurisprudence du tribunal et ce n’est d’ailleurs pas là la prétention de l'employeur.
[28] La représentante du travailleur soumet également que le travailleur est indemnisé en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Tout au long de son indemnisation, il relève des modalités d’application de cette loi, y compris au moment de son assignation temporaire en vertu de l’article 179 de la loi. Durant cette période, le travailleur voit simplement la modalité de versement de son salaire être prise en charge par son employeur. Sa lésion n’est toujours pas consolidée et il n’y a donc aucune modification du statut juridique du travailleur au cours de cette période. Il est toujours dans une situation où sa lésion l’empêche de reprendre son emploi habituel. Il est toujours sous le régime de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[29] Elle soutient, à cet égard, qu’il ne s’agit pas d’un courant de jurisprudence différent, mais bien de la jurisprudence majoritaire qui a retenu l’interprétation qu’elle vient d’exposer.
[30] À cet égard, elle réfère à la décision rendue dans Société en commandite Manoir Richelieu et Dollard Émond (Fils)[4], décision rendue à la suite d’une requête en révision maintenant une décision initiale du tribunal où les principes décrits précédemment ont été élaborés.
[31] Ainsi, il est établi que si les articles 179, 180 et 142 existent tels qu’ils sont libellés, c’est la preuve qu’en matière d’assignation temporaire, le droit à l’indemnité de remplacement du revenu n’est pas éteint puisque dans une telle situation, l’article 142 en prévoyant la suspension aurait été inutile.
[32] Le seul changement apporté par l’application des articles 179 et 180 de la loi est celui qui fait obligation à l'employeur de verser directement au travailleur le salaire et les autres avantages afférant à son emploi pré-accidentel lorsqu’il est autorisé par son médecin traitant à exercer un emploi dans le cadre d’une assignation temporaire.
[33] La lecture de ces articles ne permet donc pas de conclure au fait que le statut d’une victime de lésion professionnelle est modifié pendant cette période de réadaptation alors qu’il lui est permis d’exercer un emploi pour maintenir, par exemple, ses qualifications professionnelles, tout en permettant à l'employeur des économies de prestations.
[34] Ainsi, l’interprétation de ces articles de loi met en évidence que le travailleur bénéficiant d’une assignation temporaire est toujours assujetti à la loi et qu’il peut en réclamer les bénéfices. Rien n’indique dans la lecture de ces articles et de l’ensemble de la loi qu’une personne ayant été victime d’une lésion professionnelle devient exclue du champ d’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ou en perd un droit quelconque du fait qu’elle accepte une assignation temporaire.
[35] Ce principe est également repris dans l’affaire Max Meilleur et Fils ltée et Villeneuve[5] où il est également retenu le principe voulant que lorsque l’assignation temporaire n’est plus possible, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit à nouveau reprendre en faveur de la personne ne pouvant plus bénéficier d’une telle assignation temporaire alors que son employeur s’était engagé à lui payer le salaire et les avantages reliés à un tel emploi. Lorsque cette assignation temporaire n’est plus disponible, l’article 44 de la loi reprend son plein effet.
[36] La représentante du travailleur relève l’argument de l'employeur soulignant que la reprise du versement des indemnités de remplacement du revenu constitue une injustice alors que la grève à laquelle le travailleur participe ne découle pas de la décision de l'employeur.
[37] La représentante du travailleur allègue que le travailleur privé d’une assignation temporaire alors que ses collègues, toujours en arrêt de travail dans le cadre d’une lésion professionnelle, pourraient bénéficier de 90 % de leur salaire net alors que ce dernier serait totalement privé de cette indemnité de remplacement du revenu selon l’interprétation de l’employeur. Le travailleur, dont la lésion ne serait pas consolidée, serait alors sans indemnité de remplacement du revenu. Cette hypothèse constitue une iniquité tout à fait contraire à l’objectif et à l’esprit de la loi.
[38] Enfin, dans l’affaire Westroc inc. et Beauchamp[6], le tribunal estime que l’une des conditions prévues aux articles 179 et 180 de la loi est que le travail offert en assignation temporaire soit disponible. Il n’y a pas d’exception à ce principe comme le rappelle la décision susmentionnée :
La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles n’a pas prévu d’exceptions pour régir les cas des employeurs dans l’impossibilité d’offrir un travail en assignation temporaire, que ce soit en raison d’un cas fortuit, de force majeure, d’un lockout, d’une grève ou même simplement parce qu’inexistant.
[39] En réplique, l'employeur soumet qu’être imputé du coût des indemnités versées en raison de l’absence d’un travailleur à une assignation temporaire au motif qu’il est en grève constitue une injustice. Il estime d’ailleurs qu’il s’agit là d’une obération injuste correspondant à l’un des critères prévus à l’article 326 de la loi. Il assimile d’ailleurs la situation de la présente affaire au cas du travailleur victime d’une maladie intercurrente pour laquelle les prestations continuent à être versées alors qu’elles sont retirées du dossier financier de l'employeur.
[40] Le tribunal constate que l’article 142 de la loi, c’est-à-dire celui permettant à la CSST de suspendre le versement d’une indemnité de remplacement du revenu lorsqu’un travailleur refuse ou omet de se prévaloir d’une assignation temporaire ne peut être d’aucun secours en l’espèce.
[41] En effet, il est en preuve que jamais l'employeur n’a demandé l’application de l’article 142 au moment opportun. On ne peut toutefois lui en faire reproche puisqu’il n’en a jamais été informé en temps opportun par la CSST. Ce n’est que par le relevé des prestations émis le 10 août 2009 que l’employeur est avisé de la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur. De toute façon, l’indemnité de remplacement du revenu ne pouvait plus être suspendue au mois d’août 2009 puisque le travailleur avait repris son assignation temporaire.
[42] En fait, la question consiste à débattre uniquement du droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu pour la période en cause en raison de la grève sévissant chez son employeur et faisant en sorte qu’il n’a pas accompli l’assignation temporaire qu’il accomplissait avant le début de cette grève.
[43] En matière de droit à l’indemnité de remplacement du revenu, ce sont les articles 44 et 46 qui s’appliquent. Ils sont libellés comme suit :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
[44] L’article 44 de la loi prévoit que le versement d’une indemnité de remplacement du revenu découle de l’incapacité d’un travailleur à exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle.
[45] Le travailleur bénéficie également d’une présomption d’incapacité tant que sa lésion n’est pas consolidée. Certes, cette présomption peut être renversée lorsque le travailleur exécute le travail qu’il faisait préalablement, mais cette présomption continue à s’appliquer lorsque le travailleur est en assignation temporaire et qu’il n’exerce pas l'emploi qu’il exerçait au moment de la survenance de sa lésion professionnelle.
[46] Ces deux seuls articles illustrent que le travailleur bénéficie toujours de droits même lorsqu’il est en assignation temporaire, démontrant ainsi qu’il demeure toujours sous la protection de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles même dans une situation où il entre chez son employeur et exerce un emploi correspondant à celui prévu à l’article 179 de la loi.
[47] Ainsi, le tribunal retient l’interprétation indiquée dans la jurisprudence présentée par la représentante du travailleur quant à l’absence de modification du statut juridique du travailleur dans le cadre d’une assignation temporaire. C’est la position majoritaire du tribunal.
[48] La question consiste donc à déterminer si le travailleur peut recouvrer le droit au versement de son indemnité de remplacement du revenu au moment où une grève fait en sorte qu’il ne peut accomplir l'emploi prévu dans le cadre de son assignation temporaire.
[49] Tel que l’a indiqué la représentante du travailleur, la cessation du versement de l’indemnité de remplacement du revenu est prévue aux articles 57 et 132 de la loi ainsi libellés :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
132. La Commission cesse de verser une indemnité de remplacement du revenu à la première des dates suivantes :
1° celle où elle est informée par l'employeur ou le travailleur que ce dernier a réintégré son emploi ou un emploi équivalent;
2° celle où elle reçoit du médecin qui a charge du travailleur un rapport indiquant la date de consolidation de la lésion professionnelle dont a été victime le travailleur et le fait que celui-ci n'en garde aucune limitation fonctionnelle, si ce travailleur n'a pas besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi.
Cependant, lorsque le délai pour l'exercice du droit au retour au travail du travailleur est expiré à la date de consolidation de sa lésion, la Commission cesse de verser l'indemnité de remplacement du revenu conformément à l'article 48 .
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1985, c. 6, a. 132.
[50] Or, aucun des critères qui sont prévus à ces articles ne s’applique à la présente affaire puisqu’au moment où le travailleur réclame la reprise du versement de son indemnité de remplacement du revenu, celle-ci a déjà cessé depuis quelques semaines, soit au moment où il a commencé son emploi dans le cadre de son assignation temporaire.
[51] En somme, il s’agit véritablement de déterminer si le droit à l’indemnité de remplacement du revenu s’applique ou renaît dans le cas en l’espèce compte tenu de la présence d’une grève, faisant en sorte que le travailleur n’exerce pas l’emploi qui lui a été assigné temporairement par son employeur.
[52] Le tribunal estime que la jurisprudence, d’ailleurs illustrée par celle citée par la représentante du travailleur, est conforme à l’état de la jurisprudence majoritaire du tribunal sur la question qui nous est soumise.
[53] Ainsi, il a déjà été déterminé, et le soussigné souscrit à cette interprétation, que l’incapacité d’un travailleur à exercer son emploi dans le cadre d’une assignation temporaire pendant une grève ne découle pas de son choix personnel, mais bien d’une décision collective appliquée par l’ensemble des travailleurs. Cette décision appartient d’ailleurs non pas à chaque travailleur, au plan individuel, mais au syndicat accrédité en vertu de la loi et qui détient ce pouvoir.
[54] À cet égard, tel qu’il a déjà été mentionné dans d’autres décisions, même si le travailleur avait voté contre la grève, celui-ci serait astreint à la faire, aux conditions stipulées au Code du travail.
[55] En ce sens, le travailleur n’a pas le choix et doit se conformer à la décision majoritaire prise par l’ensemble des travailleurs en application d’un vote pris conformément aux dispositions prévues au Code du travail du Québec.
[56] Dans ce contexte, de l’avis du tribunal, l’employeur fait erreur lorsqu’il plaide que le travailleur a volontairement pris la décision de ne pas entrer au travail alors qu’il est en grève, se privant ainsi d’une assignation temporaire qui est disponible, cela est tout à fait inexact.
[57] L’assignation temporaire demeure disponible sur un plan uniquement théorique puisqu’en réalité, le travailleur devrait entrer au travail et exercer ce travail à l’encontre des dispositions prévues au Code du travail. Il s’expose alors à des conséquences pénales.
[58] De même, l'employeur s’expose également à de telles conséquences puisqu’il transforme alors son travailleur en « travailleur de remplacement », allant ainsi à l’encontre du Code du travail.
[59] Le tribunal ne peut retenir l’argument soumis par l'employeur faisant en sorte que si l’on pousse l’argument présenté par ce dernier, les deux parties, travailleur et employeur, se retrouvent en situation d’illégalité en regard du Code du travail.
[60] La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que malgré les propos et l’argument soumis par l'employeur, ce dernier n’était plus en mesure d’offrir une assignation temporaire conforme aux articles 179 et 180 de la loi pour une raison bien simple, une telle assignation n’était plus accessible au travailleur.
[61] Dans ce contexte, ce dernier recouvrait à nouveau son droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu prévue à l’article 44 de la loi puisqu’il n’était toujours pas dans une situation où sa lésion était consolidée.
[62] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas l’argument de l'employeur voulant que l’imputation à son dossier du coût des prestations versées au cours de cette période constitue un cas flagrant où il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la loi.
[63] Le tribunal constate qu’aucune décision n’a été rendue par la CSST en première instance, en application de l’article 326 de la loi, et qu’il n’a donc pas la compétence pour se prononcer sur une telle question.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée le 14 décembre 2009 par Métro-Richelieu inc. Newton, l'employeur;
CONFIRME la décision rendue le 20 novembre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative; et
DÉCLARE que monsieur Jean-Guy Pinsonneault, le travailleur, a droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 6 au 30 juillet 2009 conformément à l’article 44 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Alain Tremblay |
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Me Stéphane Beauchamps |
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MÉTRO-RICHELIEU INC. |
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Représentant de la partie requérante |
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Mme Audrey Croteau |
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C.S.N. |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Pinsonneault et Métro-Richelieu inc., C.L.P. 368110-03B-0901, 11 septembre 2009, A. Tremblay.
[3] C.L.P. 187742-62-0207-C 14 mars 2005, M. Denis, requête en révision rejetée, 1er mars 2006, M. Zigby.
[4] C.L.P. 287806-31-0604-R et 301000-31-0610-R, 12 novembre 2007, G. Marquis.
[5] C.L.P. 289833-64-0605 et 289834-64-0605, 14 août 2007, F. Poupart.
[6] C.L.P. 152387-62-0012-C et 152388-62-0012-C, 28 août 2001, L. Vallières.
AVIS :
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