Meilleures Marques |
2013 QCCLP 7272 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Montréal |
16 décembre 2013 |
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Région : |
Montréal |
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Dossier CSST : |
136577517 |
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Commissaire : |
Marie-Anne Roiseux, juge administratif |
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Partie requérante |
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[1] Le 12 avril 2013, Meilleures marques (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 12 mars 2013 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 décembre 2012 et déclare que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi le 8 juin 2010 par un travailleur doit être imputée à l’employeur.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[3]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles un
transfert à compter du 1er novembre 2011, de l’imputation des indemnités
de remplacement du revenu reliées à la lésion professionnelle du 8 juin 2010 en
vertu de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[4] Selon la demande qu’il adresse à la CSST, l'employeur demande un transfert partiel de l'imputation des indemnités de remplacement du revenu au motif que le travailleur ayant pris sa retraite le 1er novembre 2011, les indemnités de remplacement du revenu ont été versées pour une autre raison que la lésion professionnelle.
[5] Du dossier, la Commission des lésions professionnelles retient comme pertinents les faits suivants.
[6] Le travailleur occupe le poste d'opérateur de chariot élévateur chez l’employeur depuis 35 ans lorsqu’il se blesse le 8 juin 2010 en se coinçant la jambe et le pied entre un monte-charge et une palette; il s’inflige une fracture du tibia péroné gauche. Le travailleur est opéré. Lors de l’intervention chirurgicale, une plaque est posée.
[7] Il est prévu que le travailleur doit être réopéré pour enlever la plaque. À compter du 24 novembre 2010, le travailleur est assigné temporairement à un emploi et son employeur assume le versement de son salaire.
[8] Le 5 avril 2011, le travailleur informe madame Bilodeau, agente à la CSST, qu’il entend prendre sa retraite dès qu’il aura un rapport final. Il confirme cette information le 20 juin suivant.
[9] Le travailleur subit la deuxième chirurgie le 24 août 2011. Le 27 septembre 2011, il retourne au travail en assignation temporaire. Le 1er novembre 2011, le travailleur prend sa retraite.
[10] Le 3 novembre 2011, le médecin qui a charge produit un rapport final. Il consolide la lésion du travailleur sans atteinte permanente, mais avec des limitations fonctionnelles. Il informe aussi la CSST qu’il ne rédigera pas le rapport d'évaluation médicale.
[11] Le 4 novembre 2011, l'employeur informe la CSST que le travailleur ne voulait plus travailler à temps plein même en assignation temporaire et que pour cette raison, il a pris sa retraite comme il y avait droit. Le même jour, il adresse à la CSST une demande pour ne pas être imputé des indemnités de remplacement du revenu à compter du 1er novembre 2011 puisque le travailleur a mis fin, par sa retraite, à l'assignation temporaire.
[12] Le 6 mars 2012, la CSST rend une décision et déclare que le travailleur est capable d'exercer son emploi et que le droit à l’indemnité de remplacement du revenu prend fin à cette date.
[13] Il ressort de la demande de l'employeur qu’il est d’avis qu’il n’a pas à assumer les coûts de l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er novembre 2011 puisque la cause empêchant l’assignation temporaire ne relève pas de l’accident du travail, mais bien de la décision personnelle du travailleur de prendre sa retraite.
[14] À l’instar du juge Martin dans une affaire récente[2], la soussignée est d'avis que :
[18] […] l’objet du présent litige s’avère une demande
de transfert partiel de coûts du dossier financier de l’employeur laquelle
relève du chapitre du financement, et plus particulièrement de l’article
[15]
L'article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[16]
Bien que le tribunal ait déjà considéré que les demandes de transfert
partiel des coûts devaient être traitées en regard du deuxième alinéa de
l’article
[17]
Dans l’affaire Supervac 2000[3], la juge administrative
Quigley procède à une étude approfondie de la jurisprudence du tribunal au
sujet des demandes de transfert partiel. Elle retient que c’est en vertu du
premier alinéa de l'article
[92] Parallèlement à cette situation, notre revue de la
jurisprudence révèle que depuis 2003, quelques décisions25 ont été
rendues, traitant de ce type de demande en ayant recours au premier alinéa de
l’article
[93] Récemment, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision portant sur une demande de transfert de l’imputation de
l'employeur en vertu de l’article
[94] Dans le cadre de son analyse, la Commission des lésions professionnelles constate qu’il existe une zone grise relativement aux demandes de transfert partiel du coût des prestations dans les cas où ces coûts ne sont pas reliés ou directement imputables à la lésion professionnelle pendant une période donnée en raison d’une maladie intercurrente.
[95] Le tribunal propose une avenue différente de celle
généralement suivie qui consiste à analyser ce type de demande en fonction du
deuxième alinéa de l’article
[96] Au terme de cette analyse, la Commission des lésions professionnelles retient que les demandes de transfert partiel de
coûts faites en raison d’une maladie intercurrente doivent plutôt être
analysées en vertu du premier alinéa de l’article
[51] Le droit de la travailleuse de recevoir des prestations d’indemnité de remplacement du revenu n’étant pas remis en cause, il est cependant opportun de questionner le lien entre les prestations qu’elle reçoit et la lésion professionnelle subie. De l’avis du tribunal, il n’y a pas matière à précédent en questionnant ce lien. En effet, le tribunal s’inspire du principe retenu dans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc.10.
[…]
[54] De l’avis du tribunal, la méthode contextuelle d’interprétation doit être retenue afin de déterminer, dans le cadre du régime de financement de la loi, le sens à donner à l’expression « impute le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail ».
[…]
[58] À
la lumière de ce qui précède, sous réserve des cas prévus par les articles
contenus à la section VI - imputation des coûts, le tribunal estime que
l’interprétation de l’alinéa premier de l’article
[97] À la lumière de cette revue jurisprudentielle, dans un souci de cohérence et de respect de l’objet même de la loi et des différentes dispositions qui la composent, la Commission des lésions professionnelles s’interroge sur la voie majoritairement retenue jusqu’à maintenant, dans l’analyse des demandes de transfert partiel d’imputation déposées par les employeurs, notamment en vertu de l’émergence de décisions récentes considérant le régime de financement auquel est assujetti un employeur pour déterminer si un employeur est obéré injustement.
[98] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal considère qu’une telle façon de faire semble s’éloigner de l’intention du législateur et comporte plusieurs variables peu définies qui influent directement sur l’issue du litige.
[99] Par conséquent, il apparaît nécessaire de
s’interroger sur l’intention réelle du législateur lorsqu’il a édicté le
principe général d’imputation au premier alinéa de l’article
[100] Pour y parvenir, il est essentiel de revenir à
l’analyse contextuelle globale de la loi qui fait ressortir que le principe
général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article
[101] Cependant, lorsqu’une partie de ces coûts est générée par une situation étrangère n’ayant pas de lien direct avec la lésion professionnelle, comme c’est notamment le cas du congédiement ou encore de la condition intercurrente ou personnelle interrompant une assignation temporaire, est-il justifiable que ces sommes demeurent imputées au dossier de l'employeur?
[102] Dans de telles circonstances, ne serait-ce pas le
premier alinéa de l’article
[103] En vue de se prononcer à cet égard, le tribunal a
analysé le libellé même de l’article
[104] Le deuxième alinéa de l’article
[105] Or, si l’on compare le libellé de cet alinéa à celui
de l’article
[106] D’ailleurs, dans l’affaire Les Systèmes Erin ltée27,
la Commission des lésions professionnelles s’est penchée sur la portée du
deuxième alinéa de l’article
[26] Finalement,
il importe de souligner que l’article
[27] Cela implique, comme dans le cas de l’article 327, qu’il y a transfert de coût et non partage, comme c’est le cas en application des articles 328 et 329. Cette dernière disposition prévoit que la CSST « peut [...] imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités » alors que l’article 326 prévoit que la CSST « peut [...] imputer le coût des prestations [...] aux employeurs [...] ». Ainsi, lorsqu’il y a matière à application de l’article 326 alinéa 2, la totalité du coût des prestations ne doit plus être imputée à l’employeur, un transfert devant être fait : il ne saurait être question de ne l’imputer que d’une partie du coût. C’est, en quelque sorte, tout ou rien.
[28] D’ailleurs, lorsqu’il est question d’un accident du travail attribuable à un tiers, la totalité du coût des prestations est toujours transférée ; il n’est jamais question de partage ou de transfert du coût pour une période donnée.9 Il a d’ailleurs déjà été décidé à plusieurs reprises qu’il devait obligatoirement en être ainsi.
[29] Étonnamment, lorsqu’il est question d’éviter que l’employeur soit obéré injustement, un transfert du coût des prestations pour une période donnée, soit un transfert d’une partie seulement du coût total, a régulièrement été accordé, sans, par contre, qu’il semble y avoir eu discussion sur cette question.10
[30] Avec respect pour cette position, la commissaire soussignée ne peut la partager, pour les motifs exprimés précédemment. Il en va des cas où l’on conclut que l’employeur serait obéré injustement comme de ceux où l’on conclut à un accident attribuable à un tiers : l’employeur ne saurait alors être imputé ne serait-ce que d’une partie du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail.
[31] Il importe cependant de préciser qu’il est possible, en application de l’article 326 (mais alinéa 1), de ne pas imputer à l’employeur une partie du coût des prestations versées au travailleur, pour autant que cette partie du coût ne soit pas due en raison de l’accident du travail. Un bon exemple de cette situation est la survenance d’une maladie personnelle intercurrente (par exemple, le travailleur fait un infarctus, ce qui retarde la consolidation ou la réadaptation liée à la lésion professionnelle) : les prestations sont alors versées par la CSST, mais comme elles ne sont pas directement attribuables à l’accident du travail elles ne doivent, par conséquent, pas être imputées à l’employeur. L’article 326, 1er alinéa prévoit en effet que c’est le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail qui est imputé à l’employeur.
[107] La soussignée souscrit au raisonnement et aux motifs
retenus dans cette décision de même qu’à l’interprétation qui en est faite du
second alinéa de l’article
[108] De plus, un autre élément permet au tribunal de
conclure que le deuxième alinéa de l’article
[109] En effet, le législateur a spécifiquement prévu que l'employeur doit présenter sa demande dans l’année suivant la date de l’accident. Ceci s’explique, de l’avis du tribunal, par le fait que les demandes de transfert total de coûts visent généralement des motifs liés à l’admissibilité même de la lésion professionnelle. C’est clairement le cas à l’égard des accidents attribuables à un tiers et le libellé même de cet alinéa ne permet pas de croire qu’il en va autrement à l’égard de la notion d’obérer injustement. D’autant plus que l’application de ce deuxième alinéa à des demandes de transfert partiel a donné lieu à des interprétations variées de cette notion « d’obérer injustement » et mené à une certaine « incohérence » relativement à l’interprétation à donner à cette notion et à la portée réelle de l’intention du législateur.
[110] La soussignée est d’opinion que le législateur
visait clairement, par les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de
l’article
[111] Ceci semble d’autant plus vrai que la plupart des
demandes de transfert total de coûts, liées principalement à l’interruption de
l’assignation temporaire ou à la prolongation de la période de consolidation en
raison d’une situation étrangère à l’accident du travail, surviennent
fréquemment à l’extérieur de cette période d’un an puisqu’elles s’inscrivent au
cours de la période d’incapacité liée à la lésion professionnelle. Il s’agit
donc là d’un autre élément militant en faveur d’une interprétation selon
laquelle les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article
[112] Dans le cas à l’étude, puisqu’il ne s’agit pas d’une
demande de transfert total, le tribunal en vient à la conclusion qu’il faut
l’analyser en vertu du principe général d’imputation prévu au premier alinéa de
l’article
[Références omises]
[18]
La soussignée est aussi d'avis que c’est plutôt le 1er alinéa
de l’article
[19]
La demande en vertu de l’article
[20]
Il est bien établi depuis l’affaire Supervac 2000[5],
que le coût des prestations qui ne sont pas directement dues en raison de
l’accident du travail ne doit pas être imputé au dossier de l’employeur, et ce,
en application du principe général d’imputation édicté au premier alinéa de
l’article
[21] Dans la présente affaire, il faut donc se demander si les indemnités versées au travailleur l'ont été en raison de son accident du travail ou pour une autre cause. En effet, il doit exister un lien direct entre les prestations versées à un travailleur et imputées au dossier de l’employeur, et l’accident du travail survenu chez ce dernier.
[22] Lorsque les prestations versées à un travailleur et imputées au dossier de l’employeur ne sont pas en lien direct avec l’accident du travail survenu chez ce dernier, elles ne doivent pas être imputées à son dossier.
[23] Selon la preuve, le travailleur aurait pu continuer d'exercer son assignation temporaire chez l'employeur jusqu’à la décision de la CSST sur sa capacité de retour au travail. Il est aussi établi que l’employeur n’avait par ailleurs aucun droit de regard sur la décision du travailleur.
[24] Le versement de l'indemnité de remplacement du revenu a été repris à compter du 1er novembre non parce que le travailleur était incapable à cause de sa lésion professionnelle d’exécuter l’assignation temporaire, mais pour une cause autre, soit sa décision de prendre sa retraite.
[25] Ces indemnités de remplacement du revenu auxquelles le travailleur a droit puisqu’il n’y avait pas encore eu de décision finale sur sa capacité à reprendre son emploi prélésionnel, ne sont pas directement attribuables à l’accident du travail du 8 juin 2010 et elles ne doivent donc pas être imputées à l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par Meilleures marques, l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 mai 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l'employeur ne doit pas être imputé du coût des indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur à compter du 1er novembre 2011.
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Marie-Anne Roiseux |
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Me Jean-François Gilbert |
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GILBERT |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.