Décision

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COMITÉ DE DISCIPLINE

Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

33-13-1658

 

DATE :

24 août 2016

 

 

LE COMITÉ :

Me Jean-Pierre Morin, avocat

Vice-président

Mme Anouk Vidal, courtier immobilier

Membre

M. Mario Lamirande, courtier immobilier

Membre

 

 

YVES GARDNER, ès qualités de syndic adjoint de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec

Partie plaignante

c.

NICOLAS TÉTRAULT (D4139)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR SANCTION

 

 

[1]       Le 10 juin 2016, le Comité de discipline de l’OACIQ se réunissait pour procéder à l’audition des représentations sur sanctions dans le dossier numéro 33-13-1658;

 

[2]       Le syndic adjoint était alors représenté par Me Laurence Rey El fatih et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Danielle Oiknine;

 

 

I.          La décision sur culpabilité

 

[3]       Le 24 avril 2015, le Comité de discipline composé de Me Daniel M. Fabien, Mme Anouk Vidal et de M. Mario Lamirande a déclaré l’intimé coupable de la plainte qui se lisait comme suit :

 

 1. Le ou vers le 11 août 2010, concernant les immeubles sis au [...], à Montréal, l’intimé ne s’est pas assuré que la somme de 50 000 $ versée à titre d’acompte par le promettant-acheteur, Chun Sheng Huai, soit déposée dans le compte en fidéicommis d’un titulaire de permis, commettant ainsi une infraction à l’article 10 de la Loi sur le courtage immobilier.

2. Le ou vers le 20 juin 2013, dans le cadre d’une enquête menée par le syndic adjoint, Yves Gardner, l'Intimé a faussement déclaré qu’il n’avait pas pris la somme de 50 000 $ versée à titre d’acompte par le promettant-acheteur, Chung Sheng Huai, commettant ainsi une infraction à l'article 106 du Règlement sur les conditions d'exercice d'une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité. 

3. Le ou vers le 24 août 2011, concernant l’immeuble sis au [...], à Saint-Constant, l’intimé n’a pas évité de se placer en situation de conflit d’intérêt en signant à titre de promettant-acheteur la promesse d’achat PA 51754, et ce, alors qu’il était le courtier immobilier du vendeur désigné au contrat de courtage CC 63897, commettant ainsi une infraction à l’article 2 du Règlement sur les conditions d'exercice d'une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité. »

 

[4]       Le vice-président, Me Daniel M. Fabien, s’étant récusé le 2 décembre 2015, un nouveau banc a été constitué, composé du vice-président soussigné et des membres ayant siégé sur culpabilité, Mme Anouk Vidal et M. Mario Lamirande, lesquels n’ont reçu aucun reproche de l’intimé;

 

[5]       Après quelques incidents de parcours, le Comité est donc prêt à entendre la preuve et les représentations des parties sur les sanctions qui devraient être imposées à l’intimé sur les chefs où sa culpabilité a été retenue;

 

 

II.       Preuve sur sanctions

 

[6]     La partie plaignante dépose la pièce PS-1 qui est un engagement volontaire signé par l’intimé le 13 août 2013 où celui-ci s’engage pour une période de cinq (5) ans à ne pas agir comme dirigeant d’agence et à ne pas être signataire d’un compte en fidéicommis d’une agence immobilière; également, il s’engage, avant d’agir à titre de dirigeant d’agence, à suivre la formation intitulée « La gestion des comptes en fidéicommis » et « La tenue des dossiers, livres et registres »;

 

[7]     De son côté, l’intimé a voulu témoigner et après son assermentation il fit les représentations suivantes;

 

[8]     En ce qui concerne le chef 1; l’intimé réitère que selon son opinion, il n’a pas commis d’infractions, car il n’a pas bénéficié de la somme de 50 000 $, que cette somme a été remise au vendeur, qu’il s’agissait d’un dépôt non remboursable, qu’il s’agissait d’une transaction commerciale qui est un domaine mal réglementé par l’OACIQ, et qu’il se sent un bouc émissaire à cause de la réglementation déficiente;

 

[9]     Il dit vivre actuellement des moments difficiles dans sa vie privée ainsi que dans sa vie professionnelle et que le courtage est la seule façon qu’il a actuellement de gagner sa vie;

 


 

[10]   Quant au chef 2, il dit ne pas avoir menti au syndic adjoint, car, pour lui, il n’a pas pris la somme de 50 000 $ qui aurait finalement été remise à l’acheteur;

 

[11]   Pour lui, le syndic adjoint et lui se sont mal compris, mais il n’était pas de mauvaise foi;

 

[12]   Concernant le chef 3, il dit que le vendeur M. Turcot était de mauvaise foi et qu’il a menti sur les baux affectant son immeuble;

 

[13]   M. Tétrault et ses associés étaient intéressés au terrain en vue d’obtenir une licence du CRTC et, lors de la présentation de leur demande, ils ont été ridiculisés à cause des fausses représentations du vendeur;

 

[14]   L’intimé dit qu’il a quand même tenté d’aider le vendeur en lui trouvant du financement et ainsi l’empêcher de perdre son immeuble;

 

[15]   Il n’a reçu aucune rémunération pour ses efforts;

 

[16]   Puis, l’intimé nous parle d’une mésaventure qu’il a subie suite à la non-perception de loyers que lui devait un important locataire de la rue Sainte-Catherine, un bar dans le village gai de Montréal;

 

[17]   Cette perte importante l’a entraîné vers une faillite personnelle et, bien qu’il ait travaillé depuis l’âge de 15 ans, il a tout perdu son patrimoine qu’il évalue à un certain moment à quatre (4) millions de dollars;

 

[18]   Il vit donc des moments difficiles, étant obligé d’emprunter pour payer l’épicerie de sa famille;

 

[19]   Il doit donc travailler comme courtier pour gagner sa vie;

 

[20]   Puis, l’intimé est contre-interrogé par Me El fatih, avocate du plaignant;

 

[21]   Le témoin dit qu’il a ou pourrait avoir plusieurs occupations compte tenu de sa scolarité et de ses diplômes, mais qu’actuellement son seul revenu est celui de courtier;

 

[22]   Il revient sur l’aventure de l’achat du terrain de M. Turcot et explique ce que lui et ses associés projetaient sur le terrain;

 

[23]   Concernant l’immeuble de la rue Sainte-Catherine, il déclare être en défaut et avoir reçu un préavis de 60 jours de la RBC;

 

[24]   Concernant le dépôt de 50 000 $, il dit qu’il a rédigé l’offre de l’acheteur et qu’il s’agissait d’une affaire commerciale non réglementée;


 

 

[25]   L’argent est passé par le compte courant de son agence, mais il n’y voit aucun problème puisque le dépôt était non remboursable;

 

[26]   Il déclare qu’il détenait 15 % des actions de la compagnie propriétaire de l’immeuble en vente au chef 1 et qu’il avait aidé l’actionnaire principale en l’endossant auprès de la CIBC pour une somme de plusieurs millions;

 

[27]   Il n’avait pas le contrôle de cette compagnie et avait donné son avis de divulgation à l’acheteur;

 

[28]   Si l’argent n’a pas été déposé au compte en fidéicommis de l’agence, c’est de la faute du courtier collaborateur qui ne l’a pas requis;

 

[29]   L’agence était gérée par une comptable et c’est elle qui a fait défaut de déposer au bon compte;

 

[30]   L’intimé produit comme pièce PS-2 copie de l’état de renseignements du registraire des entreprises concernant Tietolman & Tétrault Media Inc.;

 

[31]   Puis, la preuve fut déclarée close de part et d’autre;

 

 

III.      Représentations sur sanctions

 

[32]   Me El fatih informe alors le Comité des sanctions recherchées par le syndic adjoint dans le présent dossier à savoir :

         

Chef 1 : suspension de 60 jours

Chef 2 : suspension de 30 jours

Chef 3 : suspension de 30 jours

 

ORDONNER que les périodes de suspension aux chefs 1, 2 et 3 soient purgées de façon consécutive;

 

ORDONNER la publication de l’avis de suspension dans un journal déterminé par le Comité;

 

ORDONNER que tous les frais de l’instance soient à la charge de l’intimé, incluant les frais de publication.

 

 

[33]     Me El fatih résume les grands principes d’imposition de sanctions tels qu’établis par la cause de Pigeon c. Daigneault[1] :

 

            [37]           La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du           dossier.   Chaque cas est un cas d'espèce.

            [38]           La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants: au    premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de            poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa             profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), [1998] D.D.O.P.      311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des          médecins du Québec et al, 1995 CanLII 5215 (QC CA), [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c.         Burns, 1994 CanLII 127 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 656).

            [39]           Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les           facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier.   Parmi les facteurs objectifs, il faut voir   si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue        contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue          un acte isolé ou un geste répétitif, …   Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de         l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté             de corriger son comportement.   La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à    décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de        droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.

            [40]           Ces principes étant posés tant au niveau du pouvoir d'intervention de la Cour du          Québec qu'au niveau de l'imposition des sanctions disciplinaires, il s'agit d'en faire       l'application aux faits de l'espèce.

 

[34]     Au niveau de la protection du public, de façon générale, Me El fatih soumet que l’intimé a toujours priorisé ses propres intérêts au détriment des autres et que seule une suspension temporaire de permis lui permettra d’intérioriser sa situation et de faire ainsi une introspection qui l’amènera à corriger son comportement;

[35]     L’expérience démontre que pour de telles infractions et de tels intimés, une simple amende n’a pas l’effet dissuasif souhaité et qu’au niveau de l’exemplarité cela n’envoie pas un message fort à la profession si on se contente de simples amendes;

[36]     Me El fatih reconnaît à l’intimé le droit de gagner sa vie, mais rappelle qu’être membre d’un ordre professionnel est aussi un privilège qui donne des obligations aux membres d’agir conformément aux standards de ladite profession;

[37]     Concernant le présent dossier, les facteurs subjectifs, mis à part le fait que l’intimé n’a pas d’antécédents disciplinaires, sont plutôt négatifs, car celui-ci n’a pas bien collaboré à l’enquête du syndic ou encore au processus disciplinaire;

[38]     L’attitude hautaine et irrespectueuse de l’intimé tant au niveau de l’enquête que du processus disciplinaire démontre qu’il est axé sur ses propres intérêts et n’est pas conscient de ses devoirs professionnels;

[39]     Au niveau du chef 1, la preuve a démontré que l’agence dont il était le dirigeant a déposé la somme de 50 000 $ à son compte courant et qu’à partir de ce moment, compte tenu du caractère fongible de l’argent, il y a eu incorporation et usage jusqu’au moment du remboursement;

[40]     L’intimé blâme les autres, il ne reconnaît aucune responsabilité pour ce malheureux dépôt;

[41]     Au niveau du chef 3, ici encore, on voit que l’intimé privilégie ses intérêts avant celui de son client;

[42]     Le contrat de courtage est signé la même journée que la promesse d’achat, si l’intimé avait agi comme courtier, il aurait fait ses recherches et aurait découvert les différentes caractéristiques du terrain à mettre en vente;

[43]     Au lieu de cela, il tente de geler la vente aux fins de sa présentation au CRTC et déclare que la fiche MLS, démontrant un prix de 4 950 000 $, donnait une belle visibilité à son agence, et ce, même si la promesse était pour un prix de quelque 1 400 000 $;

[44]     Me El fatih rappelle au Comité que l’intimé a déclaré qu’il n’avait rien à foutre de l’OACIQ et de son Comité de discipline où siègent des courtiers spécialisés en petits bungalows et non pas des courtiers de sa trempe, éduqués dans les meilleures écoles, dont le Collège Brébeuf ou l’Université de Montréal, où il a étudié six (6) ans;

[45]     Me El fatih rappelle également la désinvolture de l’intimé qui lisait une revue pendant que se déroulait la preuve sur culpabilité;

[46]     L’intimé a les qualifications de dirigeant d’agence et, dans ce rôle, il doit servir de modèle et d’exemple;

[47]     L’intimé n’a démontré aucun remord ou volonté de s’amender et ne reconnaît pas sa culpabilité, cette attitude fait craindre un grand risque de récidive pour un intimé non repentant;

[48]     L’intimé n’est pas un novice, il est un homme d’affaires aguerri et un entrepreneur, il est dans un tel contexte un danger pour la protection du public et il ternit l’image de la profession;

[49]     Puis, Me El fatih fait un retour sur chaque chef de la plainte;

[50]     Concernant le chef 1, elle rappelle l’article 10 de la Loi sur le courtage immobilier qui impose l’obligation à tout courtier de déposer dans l’exercice de sa profession toute somme perçue dans un compte en fidéicommis;

[51]     Cette règle est tellement fondamentale pour la profession qu’elle est stipulée dans la loi;

[52]     Cette obligation étant au cœur de la profession, le fait de ne pas la respecter entraîne une suspension, car il en va de la protection du public;

[53]     Me El fatih cite plusieurs causes qui établissent un spectre de 30 à 90 jours de suspension en une telle matière :

            -           OACIQ c. Desautels, 33-013-1606, le 11 septembre 2014;

            -           OACIQ c. Mathieu, 2013 CanLII 29033 (QC OACIQ);

            -           ACAIQ c. Jiang, 33-06-0978, le 20 mars 2007;

            -           ACAIQ c. Brassard, 33-07-1030, le 6 décembre 2007;

            -           OACIQ c. Gaudet, 33-12-1510, le 12 mai 2015;

 

[54]     En ce qui concerne le chef 2, celui d’avoir fait de fausses déclarations au syndic adjoint, Me El fatih rappelle qu’en pareille matière et de façon continue, le Comité de discipline prononce une sanction de l’ordre d’une suspension de trente jours, lors d’une première infraction;

[55]     Enfin, pour le chef 3, le spectre des sanctions imposées par le Comité de discipline en de telles matières de conflit d’intérêts va d’une amende de 1 000 $ à une suspension de trois (3) mois compte tenu des circonstances de chaque affaire;

[56]     Pour l’avocate du plaignant, une sanction de suspension de 30 jours semble appropriée compte tenu que l’intimé a jeté le blâme sur tous sauf lui, qu’il a agi de mauvaise foi et de façon préméditée et qu’il a tenté de favoriser ses intérêts au lieu de ceux de son client;

[57]     Me El fatih soumet six (6) causes de jurisprudence qui supportent ses propos au niveau du spectre des sanctions en pareille matière;

[58]     Puis, l’avocate de l’intimé nous fait part de la position de son client en cette affaire;

[59]     Me Oiknine demande tout d’abord au Comité d’excuser son client qui vit des moments très difficiles au moment de l’audition de la présente affaire;

[60]     L’intimé vit des difficultés financières importantes doublées de problèmes personnels importants;

[61]     Me Oiknine déclare qu’il est faux de prétendre que l’intimé a élaboré des scénarios qui ont mis de l’avant ses intérêts personnels;

[62]     Que ce soit dans les faits concernant le chef 1 ou le chef 3, il n’a reçu aucun avantage;

[63]     Revenant sur le chef 1, Me Oiknine soutient que son client n’avait pas à déposer la somme dans son compte en fidéicommis, car il s’agissait d’un dépôt non remboursable;

[64]     De plus, le compte courant de l’agence bénéficiait d’une marge de crédit de 50 000 $ et dès lors l’agence n’a pas bénéficié même temporairement de la somme déposée et encore moins l’intimé;

[65]     Il n’y a pas de geste prémédité d’appropriation et dans de telles circonstances, une suspension de 60 jours semble exagérée;

[66]     L’avocate de l’intimé déclare qu’une simple réprimande aura l’effet dissuasif souhaité et que compte tenu du caractère commercial de la transaction et du fait que le dépôt était non remboursable, cette sanction est appropriée;

[67]     Quant au chef 2, l’avocate invoque une erreur de compréhension entre l’intimé et le syndic quand celui-ci a dit qu’il n’avait pas pris la somme déposée;

[68]     Me Oiknine dit que son client n’a pas pris l’argent et que l’acheteur a été remboursé, la copie du compte de banque a été remise au syndic adjoint, il n’y a pas eu de cachette;

[69]     Pour Me Oiknine, une amende de 1 000 $ serait dans les circonstances une sanction appropriée;

[70]     Enfin, concernant le chef 3, Me Oiknine invoque la lettre P-29 de M. Turcot qui déclare que seul l’intimé a bien travaillé et tenté de l’aider;

[71]     Cet individu manque de crédibilité telle que le démontre une décision de la Cour Supérieure;

[72]     Ici encore, Me Oiknine suggère une peine légère et demande un délai de paiement advenant que le Comité impose des amendes à l’intimé;

[73]     Les parties par leurs avocates respectives font d’autres commentaires pour étayer leur position;

 

 

IV.       Analyse et décision

[74]     De façon préliminaire, le Comité réitère qu’il ne siège pas en révision de la décision du premier Comité qui a entendu la cause sur culpabilité et que dès lors, malgré les assertions de l‘intimé et de son avocate, le premier Comité a bien analysé la preuve qui lui était présentée et souligné en particulier le cadre législatif et réglementaire qui s’imposait en cette affaire;

[75]     Le présent Comité déplore le manque d’introspection de l’intimé et son attitude à l’effet qu’il est au-dessus de la loi, traitant d’affaires commerciales non réglementées;

[76]     Rappelons que le législateur a défini à l’article 1 de la Loi sur le courtage immobilier ce qu’est une opération de courtage et cette loi s’applique aux activités qu’a exercées l’intimé dans le présent dossier;

[77]     L’avocate de l’intimé et ce dernier ont mis beaucoup d’emphase sur le droit de l’intimé de gagner sa vie qui est un des quatre objectifs qu’un Comité doit examiner pour imposer une sanction telle qu’enseignée dans la cause de Daigneault, déjà citée;

[78]     Certes, cet objectif est important, mais il doit être mis en relation avec les trois autres et surtout est subordonné à celui de la protection du public qui est l’objectif principal au cœur de la mission de l’OACIQ;

[79]     Dans le présent dossier, l’intimé apparaît comme un homme d’affaires qui traite de plusieurs dossiers de front pour la promotion de ses intérêts personnels bien plus que comme un courtier immobilier au service de ses clients;

[80]     Mener des affaires en soi n’est pas un mal et est propre à une économie dite capitaliste;

[81]     Toutefois, un individu qui est membre d’une organisation professionnelle a des obligations déontologiques, car il sert alors des clients qui sont souvent en déficit de compétence et qui recourent aux services d’un professionnel pour les conseiller et leur recommander le meilleur moyen pour atteindre leurs objectifs;

[82]     Dans le présent dossier, que ce soit concernant l’immeuble à revenus, propriété d’une compagnie dont l’intimé était actionnaire à hauteur de 15 %, ou que ce soit concernant l’acquisition de la terre de M. Turcot, ou encore des activités de l’intimé dans cette affaire de bar de la rue Sainte-Catherine, ou encore du cautionnement de plusieurs millions consenti par l’intimé à une partenaire d’affaires, il nous semble que le permis de courtier immobilier de l’intimé est un outil de plus dont il dispose pour atteindre ses objectifs financiers;

[83]     L’intimé a bien déclaré que sa seule activité était le courtage immobilier, mais il n’a même pas tenté d’en faire la preuve en donnant le détail de ses activités pour l’année courante ou encore pour les cinq dernières années;

[84]     Donc, bien que le Comité doive tenir compte de l’objectif du droit de gagner sa vie, il n’est pas démontré au-delà de simples assertions que l’intimé tire sa subsistance de son permis de courtier immobilier;

[85]     En fait, la preuve pointe dans une autre direction, à l’effet que le permis de courtier est pour lui un facilitateur pour l’aider dans l’ensemble de ses entreprises;

[86]     Enfin, et au risque de nous répéter, le premier objectif en pareille matière est la protection du public et le Comité est d’opinion que le comportement de l’intimé et les infractions commises démontrent le peu de préoccupation de l’intimé concernant ses devoirs professionnels envers ses clients ou le public en général;

[87]     L’intimé dit qu’il n’a rien à foutre de l’OACIQ, mais nous dit également qu’il a besoin de gagner sa vie;

[88]     Certes, tous ont besoin de gagner leur vie, mais quand on est membre d’un organisme professionnel, il faut en respecter les règles;

[89]     L’intimé ne reconnaît pas ses fautes et n’admet aucune erreur de sa part, il y a dès lors un grand danger de récidive si le remède choisi par le Comité se limite à de légères sanctions;

[90]     Revenons maintenant à la sanction à imposer sur chaque chef;

[91]     Pour le chef 1, nous avons insisté plus haut sur le fait que c’est la loi qui impose au courtier l’obligation de déposer une somme reçue dans un compte en fidéicommis;

[92]     En insérant cette obligation dans la loi, le législateur a montré l’importance qu’il attache à cette obligation qui est par ailleurs présente dans toutes les professions où un praticien reçoit des sommes qui ne lui appartiennent pas;

[93]     Pour justifier un dépôt dans un compte courant, il faut, au simple niveau comptable, démontrer que cette somme est due à celui qui la reçoit, pour payer un compte par exemple, autrement les comptes ne balancent pas;

[94]     Autrement dit, on ne peut s’approprier même pour un instant le bien d’autrui sans avoir une justification pour le faire;

[95]     Dire qu’il s’agit d’une opération commerciale n’y change rien;

[96]     Dire que c’est de la faute de la comptable est inexcusable et celle-ci a dû avoir bien du mal à justifier son entrée comptable;

[97]     Compte tenu de la nécessité de la protection du public et du risque élevé de récidive dans cette affaire, le Comité considère qu’il est juste et raisonnable d’imposer une suspension temporaire de 60 jours;

[98]     Quant au chef 2, l’intimé et son avocate invoquent une mauvaise interprétation des mots prononcés par l’intimé quand il a dit qu’il n’avait pas pris la somme de 50 000 $;

[99]     Cette erreur d’interprétation n’est pas celle du syndic adjoint, mais de l’intimé lui-même qui ne comprend pas que déposer dans le compte courant de l’agence le bien d’autrui qu’on est censé conserver par-devant soi constitue une « appropriation », et ce, même si la somme est finalement remboursée;

[100]   Dans les circonstances de cette affaire, le Comité ne voit aucune raison de se distancer de la jurisprudence à l’effet qu’en pareilles matières, c’est « tolérance zéro » et qu’une suspension temporaire de 30 jours est juste et appropriée;

[101]   Le Comité a affaire avec un individu bien éduqué, intelligent et informé, il a fait preuve de mauvaise foi en représentant au syndic adjoint qu’il n’avait pas pris le 50 000 $;

[102]   Il ne peut plaider ignorance, et son mépris de la règle doublé de ses fausses représentations au syndic adjoint imposent une suspension temporaire;

[103]   Dans l’échelle de gradation de sanctions, la faute et son origine ont une importance certaine;

[104]   À un bout, il y a l’inexpérience et l’ignorance de la règle, à l’autre bout, il y a la volonté consciente de transgresser la règle et, entre ces deux extrêmes, il y a toute sorte de situations qui doivent être analysées et pondérées afin de déterminer une sanction appropriée;

[105]   Dans le présent dossier, l’intimé connaissait la règle et l’a volontairement ignorée; par la suite, il a choisi de nier le tout lors de son entrevue avec le syndic adjoint, démontrant ainsi une mauvaise foi qui mérite une suspension temporaire;

[106]   Traitons enfin de la sanction à imposer quant au chef 3;

[107]   L’article 2 du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité indique que le courtier doit éviter de se placer en situation de conflit d’intérêts et le dénoncer par écrit sans délai s’il ne peut l’éviter;

[108]   De plus, l’article 22 du même règlement impose au courtier qui souhaite acquérir un intérêt direct ou indirect dans l’immeuble qu’il est chargé de vendre, l’obligation de mettre fin au contrat de courtage;

[109]   Ce n’est pas ce qu’a fait l’intimé quand il fait signer à M. Turcot le 24 août 2011, à 19h01, le contrat de courtage CC 63897 (P-22 et P-23) et le même jour, à 19h15, lui fait accepter la promesse d’achat PA 51754, pièce P-24;

[110]   Le simple avis de divulgation n’est pas suffisant et le Comité l’a bien noté dans sa décision sur culpabilité au paragraphe 59 quand il dit :

            [59]      Tout comme dans la précédente affaire, Le Comité est d’opinion que l’intimé aurait           dû redoubler de vigilance et s’abstenir d’agir comme courtier immobilier relativement à la vente de l’immeuble de M. Turcot. Bref, non seulement l’intimé pouvait éviter de se placer          en situation de conflit d’intérêts, mais dans les circonstances de cette affaire, il devait le             faire.

[111]   Dans cette décision sur culpabilité, le Comité a déclaré que l’intimé a préféré ses intérêts à ceux de son client afin d’appuyer la demande de permis que l’intimé voulait présenter au CRTC;

[112]   Il est évident de la preuve que l’intimé a agi de façon préméditée et était de mauvaise foi, il a volontairement enfreint la règle, ce qui implique une suspension temporaire de 30 jours;

[113]   Demeure enfin la question à savoir si les périodes de suspension doivent être purgées de façon consécutive tel que demandé par le syndic adjoint ou de façon concurrente;

[114]      Le Comité pour répondre à la question se réfère à la Cour d’appel dans la cause de Lebel c. Tan[2] où la cour s’exprime ainsi :

                        [25]          L'argument à propos des sanctions consécutives qui auraient dû plutôt              être concurrentes et celui relatif à la globalité des sanctions mérite qu'on s'y                          attarde. Cette dernière question emporte l’examen du caractère raisonnable                     de la sanction.

                        [26]           En matière pénale, les peines sont généralement concurrentes                                lorsque les infractions sont intimement reliées et découlent du même                             incident. Ce principe doit tout autant prévaloir en matière de sanctions                               disciplinaires.

                        [27]           Les deux accusations du premier chef portent sur le fait d'avoir imité la              signature de son client, dans un cas, sur le contrat de courtage et, dans l’autre,                          sur le formulaire de modifications. Le Comité de discipline a imposé deux                                   suspensions concurrentes de six mois, ce qui respecte le principe énoncé au                                    paragraphe précédent.

                        [28]           L’appelante a été déclarée coupable des deux accusations du                           deuxième chef, pour avoir faussement représenté à certaines personnes, et ce, à                   deux dates différentes, mais rapprochées, détenir un contrat de courtage. Le                         Comité de discipline a infligé, sur le deuxième chef d’accusation, une suspension                         consécutive de six mois à celle imposée sur le premier chef.

                        [29]           Le Comité de discipline n’explique pas pourquoi il impose des                           sanctions consécutives pour les condamnations sur les accusations portées en                          vertu des deux   premiers chefs. L’infraction consistant à avoir imité la signature                          de son client pour faire croire au renouvellement du contrat de courtage et du                             formulaire de modifications et    celle d’avoir, au cours de la même période de                             sept jours, faussement représenté détenir un contrat de courtage présentent un                   lien étroit, au point où, en l’absence d’autres raisons, que ne fait pas voir la                           décision, les suspensions auraient dû être concurrentes pour les deux premiers                         chefs d’accusation. Elles découlent également des mêmes incidents. La                                    décision sur la sanction est, à cet égard, déraisonnable. Il y a donc lieu                                                d’intervenir pour rendre les sanctions de six mois sur chacun des deux                                       premiers chefs concurrentes. L’avocate de l’intimé a d’ailleurs concédé, à                                  l’audience, qu'elles auraient dû l'être, tout en soutenant que la peine de 18 mois               est par ailleurs globalement adéquate. Je reviendrai sur cette question un peu                            plus loin.

                        [30]           Il en va, toutefois, autrement de la suspension consécutive de six                mois imposée sur le troisième chef d'accusation concernant les fausses                            déclarations de l’appelante au syndic durant son enquête. Cette infraction                     est totalement distincte, à la fois dans le temps comme dans son objet, des               autres infractions. La décision du Comité de discipline d’imposer une                                  suspension consécutive pour l’infraction dont l’appelante a été trouvée                           coupable sur le troisième chef trouve justification ici.

                        [31]           D'ailleurs, le juge d'appel explique fort bien, dans le jugement entrepris,                         en quoi la condamnation pour l'accusation portée en vertu du troisième chef est                  distincte des deux premiers et elle justifie l'imposition d'une peine consécutive:

                       [61]      À cet égard, le Tribunal partage l’avis de l’Intimé à l’effet             que, si cette période de suspension devait être purgée de                                  manière concurrente aux autres périodes de suspension, elle                                   aurait pour effet pratique d’encourager un professionnel sous                              enquête à déformer la vérité lors de l’enquête menée par le                                 syndic. L’agent immobilier visé par une enquête pourrait trouver                         avantageux de mentir lors de ses déclarations, afin de                                     compliquer la tâche du syndic dans sa recherche                                               des faits et éventuellement peut-être réussir à faire en sorte que l                       enquête n’aboutisse point à l’émission d’une plainte, en raison de                  l’existence de versions contradictoires.

           ( nos soulignements)

[115]   Les chefs 1 et 3 concernent des évènements distincts et dès lors les périodes de suspension doivent donc être consécutives;

[116]   En ce qui concerne le chef 2, tel que souligné dans l’arrêt Tan, imposer une sanction de suspension concurrente alors que des représentations fausses sont faites au syndic pour des infractions autrement reprochées aurait comme conséquence d’encourager le mensonge et la non-collaboration des intimés qui se verraient alors purger des suspensions concurrentes;

[117]   Cela n’est sûrement pas le but recherché et l’effet d’une suspension consécutive a donc un fondement sérieux et solide;


 

 

[118]   Ainsi, les périodes de suspension seront purgées de façon consécutive;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

Impose à l’intimé, les sanctions suivantes :

 

Chef 1) :

ORDONNE la suspension du permis de courtier immobilier (D4139) de l’intimé pour une période de soixante (60) jours à être purgée à l’expiration des délais d’appel si l’intimé est titulaire d’un permis délivré par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec ou, à défaut, au moment où il en redeviendra titulaire;

Chef 2) :

ORDONNE la suspension du permis de courtier immobilier (D4139) de l’intimé pour une période de trente (30) jours à être purgée à l’expiration des délais d’appel si l’intimé est titulaire d’un permis délivré par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec ou, à défaut, au moment où il en redeviendra titulaire;

Chef 3) :

ORDONNE la suspension du permis de courtier immobilier (D4139) de l’intimé pour une période de trente (30) jours à être purgée à l’expiration des délais d’appel si l’intimé est titulaire d’un permis délivré par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec ou, à défaut, au moment où il en redeviendra titulaire;

DÉCLARE que les périodes de suspension temporaires imposées sur les chefs 1, 2 et 3 seront purgées de façon consécutive;

ORDONNE qu’un avis de la décision de suspension soit publié dans un journal circulant sur le territoire où l’intimé a son établissement, à l’expiration des délais d’appel, si l’intimé est titulaire d’un permis délivré par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec ou, à défaut, au moment où il en redeviendra titulaire;


 

 

condamne l’intimé au paiement de tous les débours, y compris les frais de publication de l’avis de suspension.

 

 

 

____________________________________

Me Jean-Pierre Morin, avocat

Vice-président

 

 

____________________________________

Mme Anouk Vidal, courtier immobilier

Membre        

 

 

____________________________________

M. Mario Lamirande, courtier immobilier

Membre

 

 

Me Laurence Rey El fatih

Avocate de la partie plaignante

 

Me Danielle Oiknine

Avocate de la partie intimée

 

Date d’audience : 10 juin 2016

 

 

 



[1] Pigeon c Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC OACIQ)

[2] Lebel c. Tan, 2010 QCCA 667 (CanLII);

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