Décision

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Gabarit CFP

Lessard et Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports

2017 QCCFP 22

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER N° :

1301644

 

DATE :

16 juin 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Me Sonia Wagner

______________________________________________________________________

 

 

BENOIT LESSARD

 

Appelant

 

et

 

Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports

 

Intimé

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 33, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

L’APPEL

[1]         M. Benoit Lessard dépose un appel à la Commission de la fonction publique (Commission) pour contester la décision du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports de mettre fin à son stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion à titre de cadre, classe 4.

[2]         Le ministère soulève deux moyens préliminaires : d’abord, l’appel logé par M. Lessard est prescrit et, subsidiairement, il y a chose jugée.

[3]         L’audience de la Commission n’a porté que sur ces moyens préliminaires et les parties n’ont présenté que des argumentations. Avant de les analyser, la Commission juge utile de situer le contexte dans lequel l’appel de M. Lessard s’inscrit.

Le CONTEXTE et les décisions antérieures

[4]         Le 27 février 2013, le ministère informe M. Lessard de sa décision de mettre fin à son stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion à titre de cadre, classe 4. Conséquemment, il est réintégré à la classe d’emplois qu’il occupait avant ce stage, soit analyste en informatique et procédés administratifs, un emploi de niveau professionnel.

[5]         Pour contester cette décision, M. Lessard dépose à la Commission des normes du travail, le 11 avril 2013, une plainte de congédiement sans cause juste et suffisante en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[1] (LNT). Il connaît alors l’existence du recours[2] prévu à l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[3] (Loi). Toutefois, comme la Commission fait, selon lui, une interprétation restrictive des notions de congédiement et de congédiement déguisé, il choisit le recours de la LNT pour tirer avantage de l’interprétation plus libérale de ces notions par la Commission des relations du travail[4] (CRT). Or, M. Lessard bénéficiant d’un recours équivalent, soit celui prévu à l’article 33 de la ce tribunal accueille l’objection préliminaire du ministère et le renvoie à la Commission[5].

[6]         M. Lessard dépose donc un appel à la Commission, le 20 janvier 2014. Il prétend que la décision de mettre fin à son stage probatoire constitue un congédiement et précise que son recours s’appuie sur le paragraphe 3° de l’article 33 de la Loi qui permet à un fonctionnaire non syndiqué d’interjeter appel devant la Commission d’une décision l’informant de son congédiement.

[7]         Dans une décision rendue le 9 juillet 2014[6], la Commission, constate d’abord que le lien d’emploi est maintenu à la fin du stage probatoire de sorte qu’il n’est pas possible de considérer la situation en litige comme un simple congédiement. Elle en déduit que l’appel de M. Lessard ne peut donc porter que sur la notion de congédiement déguisé qui est incluse dans celle de congédiement. Poursuivant son analyse, la Commission conclut alors que, puisque la réintégration dans sa précédente classe d’emplois à la suite de l’échec de son stage probatoire constitue une simple application de ses conditions de travail[7] et non une modification unilatérale de celles-ci, M. Lessard n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé. Enfin, constatant que la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres[8] ne contient pas de disposition à l’égard du stage probatoire, la Commission statue que M. Lessard ne dispose pas non plus d’un recours en matière de conditions de travail en vertu de l’article 127 de la Loi. La Commission rejette l’appel en déclarant qu’elle n’a pas compétence.

[8]         M. Lessard se pourvoit alors en révision judiciaire de la décision de la CRT, au motif qu’il n’a pas bénéficié d’un recours utile devant la Commission. Dans une décision rendue le 12 décembre 2014[9], la Cour supérieure constate que la Commission a exercé sa compétence en rejetant l’appel de M. Lessard pour le motif que la fin de son stage probatoire ne constituait pas un congédiement. La Cour conclut dès lors que la décision de la CRT voulant que M. Lessard bénéficiait effectivement d’un recours en matière de congédiement auprès de la Commission était « correcte ».

[9]         M. Lessard en appelle de cette décision. Le 13 juillet 2016, la Cour d’appel du Québec conclut aussi que la décision de la CRT ne souffre d’aucune erreur. La Cour d’appel ajoute :

[48]      La CFP dispose des mêmes pouvoirs que la CRT : elle peut rendre toute décision qu’elle estime appropriée et peut ordonner la réintégration d’un salarié victime d’un congédiement injustifié.

[49]      Contrairement à ce que prétend l’appelant, la CFP n’a pas formellement décliné compétence. Elle a examiné la preuve administrée, y compris le Règlement sur le classement des fonctionnaires [27] et la Directive concernant la classification et la gestion des emplois de cadres et de leurs titulaires (630) [28]. Elle a appliqué les critères pertinents au concept de congédiement déguisé et conclu qu'elle n'était pas en présence d'un tel congédiement.

[50]      Elle a également pris en compte le règlement et la directive encadrant le stage probatoire auquel est astreint un fonctionnaire promu à un poste de cadre avant de conclure que ceux-ci ne font pas partie de son champ de compétence additionnelle, ce qui lui interdirait en conséquence d’examiner le comportement du MTQ en marge du stage probatoire suivi par M. Lessard.

[51]      Le juge de première instance a donc raison de conclure que la décision de la CRT est correcte.

[52]      Le recours exercé par M. Lessard était irrecevable suivant les termes mêmes de l'article 124 LNT.

[53]      L’appelant bénéficiait d'un recours équivalent devant la CFP et cette dernière a rendu la décision que je résumais précédemment.

[10]        Le 2 août 2016, M. Lessard dépose une plainte au Tribunal administratif du travail (TAT) en vertu du paragraphe 5o du premier alinéa de l’article 122 de la LNT. Il allègue que le ministère a mis fin précipitamment et sans préavis à son stage probatoire, le 27 février 2013, dans le but d’éluder l’application de l’article 82 de la LNT.

[11]        Dans une décision rendue le 21 novembre 2016[10], le TAT rapporte :

[10]      Les faits à la base de ce nouveau recours sont les mêmes que ceux invoqués dans le cadre de sa plainte pour congédiement déguisé ayant fait l’objet de plusieurs décisions et jugements.

[11]      Dans sa documentation transmise au Tribunal à la suite de l’avis du 9 août 2016, monsieur Lessard précise que cette nouvelle plainte constitue une autre tentative de faire valoir son droit et invoque l’article 2895 du Code civil du Québec[…] (C.c.Q.) à l’appui de sa prétention.

[12]        Le TAT explique ainsi pourquoi il rejette la plainte :

[18]      Monsieur Lessard reproche à l’employeur d’avoir mis fin à son stage probatoire sans préavis dans le but d’éluder l’application de la Loi. Cette pratique interdite qu’il dénonce serait survenue le 27 février 2013.

[19]      À l’évidence, sa plainte est prescrite et, contrairement à ce qu’il prétend, l’article 2895 du C.c.Q. ne peut proroger ce délai.

[]

[22]      Il est vrai que la Commission des relations du travail a rejeté la plainte de monsieur Lessard sur un moyen préliminaire sans statuer sur le fond de l’affaire en concluant qu’il avait un recours équivalent devant la Commission de la fonction publique.

[23]      En effet, l’existence d’un autre recours rend irrecevable toute plainte déposée selon l’article 124 de la Loi. […]

[24]      C’est cette situation qui a permis à monsieur Lessard de faire valoir de nouveau son droit devant un autre forum, soit la Commission de la fonction publique, malgré l’expiration du délai de prescription pour le dépôt de sa plainte devant cette instance.

[25]      Or, la nouvelle plainte déposée au Tribunal, par laquelle monsieur Lessard dit vouloir faire de nouveau valoir son droit, ne peut constituer une autre demande au sens de l’article 2895 du C.c.Q.

[…]

[29]      L’article 2895 du C.c.Q. vise à empêcher la perte d’un droit en raison d’une erreur de forum en prolongeant le délai de prescription. En l’espèce, monsieur Lessard tente de faire revivre son droit en déposant devant le même forum une nouvelle plainte dont le fondement est tout autre que celle ayant fait l’objet de la décision de la Commission des relations du travail en 2013.

[30]      Le Tribunal ne peut que constater que cette nouvelle plainte, déposée le 2 août 2016, excède le délai de 45 jours de la pratique interdite dont se plaint monsieur Lessard et qu’elle est prescrite. Son recours est donc voué à l’échec sans qu’il soit nécessaire d’examiner le fond de l’affaire.

[La Commission souligne]

[13]        Le 7 octobre 2016, M. Lessard dépose un nouvel appel à la Commission.

[14]        Dans son avis d’appel, il mentionne :

La lecture du jugement de la Cour d’appel m’a permis de comprendre mes erreurs et de m’instruire sur ce que j’aurais dû faire d’est le départ. En bref, ce jugement m’a fait comprendre que c’était une erreur d’invoquer seulement le congédiement devant la [Commission] et que l’erreur fatale de ma démarche judiciaire a été de ne pas inclure la décision de la [Commission] à ma requête en révision judiciaire.

[15]        Il prétend maintenant que la décision du ministère du 27 février 2013 de mettre fin à son stage probatoire constitue une rétrogradation et précise que son recours s’appuie sur le paragraphe 2° de l’article 33 de la Loi.

[16]        Le délai de prescription prévu à l’article 33 étant expiré, il demande de se prévaloir de l’application de l’article 2895 du C.c.Q. :

2895.   Lorsque la demande d’une partie est rejetée sans qu’une décision ait été rendue sur le fond de l’affaire et que, à la date du jugement, le délai de prescription est expiré ou doit expirer dans moins de trois mois, le demandeur bénéficie d’un délai supplémentaire de trois mois à compter de la notification de l’avis du jugement, pour faire valoir son droit. […]

LES Argumentations

L’argumentation du ministère

[17]        Le ministère invoque d’abord la prescription du recours de M. Lessard puisque le délai de 30 jours est expiré : la décision du ministère de mettre fin au stage probatoire de M. Lessard est datée du 27 février 2013 et le présent appel a été reçu le 7 octobre 2016.

[18]        Quant à l’article 2895 du C.c.Q., le ministère en précise les critères d’application en s’appuyant sur la jurisprudence[11], soit :

·        une demande antérieure par la partie qui invoque cet article;

·        le rejet de cette demande sans qu’il n’y ait eu de décision sur le fond du litige;

·        une nouvelle demande de la même nature que la demande antérieure;

·        présentée devant un autre forum dans les 90 jours du rejet;

·        un écoulement du délai de prescription applicable à cette nouvelle demande.

[19]        Le ministère conclut que deux des critères prévus dans cette disposition ne sont pas respectés dans le présent dossier puisque M. Lessard a déjà déposé un appel à la Commission et que celle-ci s’est déjà prononcée sur le fond du litige. L’article 2895 du C.c.Q. ne trouve donc pas application.

[20]        Comme deuxième moyen préliminaire, le ministère invoque qu’il y a chose jugée au sens de l’article 2448 du C.c.Q. :

2848.   L’autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même. […]

[21]        Pour le ministère, la demande de M. Lessard est fondée sur la même cause, elle implique les mêmes parties agissant dans les mêmes qualités, et la même chose est demandée. Il en est ainsi parce que la Commission s’est déjà prononcée sur le fond dans le dossier. Le ministère appuie cette prétention sur quelques décisions[12].

[22]        Le ministère demande donc le rejet de l’appel de M. Lessard.

L’argumentation de M. Lessard

[23]        M. Lessard rappelle l’historique du dossier. Il indique avoir déposé le présent appel dans les trois mois de la décision de la Cour d’appel et invoque l’article 2895 du C.c.Q. pour justifier la suspension du délai de prescription.

[24]        Pour lui, la décision de la Commission rendue en 2014 n’était pas une décision finale et définitive puisque la Commission a mis fin à son appel pour un motif de procédure, soit l’absence de compétence.

[25]        Il rappelle que, à l’époque, les parties ont convenu de ne pas présenter de preuve au fond et ont demandé à la Commission de se prononcer uniquement quant à sa compétence, ce qu’elle a fait. À la réception de la décision de la Commission et après avoir obtenu les conseils d’un avocat, M. Lessard a demandé la révision judiciaire de la décision de la CRT, puisqu’elle avait statué qu’il bénéficiait d’un recours à la Commission alors que cette dernière a décliné compétence.

[26]        M. Lessard estime que les articles 2892, 2895 et 2896 du C.c.Q. peuvent s’appliquer dans le présent dossier puisqu’il fait face à la perte d’un droit. En appliquant ces dispositions, il s’ensuit que le présent recours n’est pas prescrit puisque la computation du délai de prescription de 30 jours a été suspendue tout au long de ses différents recours.

[27]        Quant au moyen préliminaire fondé sur la chose jugée, M. Lessard estime qu’il ne trouve pas application dans son dossier puisqu’il n’y a pas identité d’objet. En effet, dans sa décision rendue en 2014, la Commission s’est prononcée sur sa compétence à entendre son appel en matière de congédiement alors que, aujourd’hui, il demande à la Commission d’établir qu’il a été rétrogradé à la suite de la décision du ministère de mettre fin à son stage probatoire.

[28]        De même, il ne peut y avoir chose jugée puisque, si la Commission s’est prononcée sur le fond, elle l’a fait sans entendre la preuve ce qui constitue un vice de fond de nature à invalider la décision.

[29]        En vertu de l’article 123 de la Loi, la Commission a le pouvoir de réviser ses propres décisions. En gardant à l’esprit les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Durocher[13], la Commission doit se montrer prudente avant de conclure qu’il y a chose jugée dans le présent dossier.

[30]        M. Lessard demande donc à la Commission de rejeter les moyens préliminaires du ministère et d’entendre son appel en matière de rétrogradation.

Réplique du ministère

[31]        La Commission n’a pas la compétence d’un tribunal d’appel. Si la Commission a effectivement le pouvoir de réviser ses propres décisions en vertu de l’article 123 de la Loi, cette demande doit lui être soumise dans un délai raisonnable. Or, dans le présent dossier, M. Lessard demande de réviser une décision rendue trois ans et demi plus tôt.

[32]        Par ailleurs, le ministère réitère qu’il y a chose jugée dans le présent dossier : la Cour supérieure et la Cour d’appel l’ont d’ailleurs confirmé.

Duplique de M. Lessard

[33]        Selon lui, la Cour supérieure et la Cour d’appel n’ont pu se prononcer à l’égard de la décision de la Commission parce qu’elle ne faisait pas l’objet de la requête en révision judiciaire. Ces tribunaux l’ont donc uniquement interprétée en fonction de la requête présentée.

[34]        M. Lessard soumet que la Commission a toute la latitude légale pour jeter un nouveau regard sur sa décision de 2014 et pour statuer quant à la décision du ministère de mettre fin à son stage probatoire qui a pris la forme d’une rétrogradation.

LES MOTIFS

[35]        La Commission doit décider si l’appel de M. Lessard contestant la décision du ministère de mettre fin à son stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion est recevable.

[36]        Le 27 février 2013, le ministère informe M. Lessard de sa décision de mettre fin à son stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion. Pour contester cette décision, il dépose une plainte de congédiement sans cause juste et suffisante qui sera rejetée par la CRT le 19 décembre 2013, au motif que M. Lessard bénéficie d’un recours équivalent à la Commission.

[37]        Le 20 janvier 2014, M. Lessard dépose un appel à la Commission.

[38]        Préalablement à l’audience, le ministère et M. Lessard soulèvent des moyens préliminaires, le ministère invoquant la prescription du recours de M. Lessard et ce dernier questionnant la compétence de la Commission à l’entendre. En fait, conscient que la Commission n’a qu’une compétence d’attribution limitée notamment aux matières mentionnées aux articles 33 et 127 de la Loi, M. Lessard soulève lui-même l’absence de compétence de la Commission.

[39]        À cet égard, la juge administrative rapporte dans sa décision :

[7]        À la suite de la tenue de deux conférences préparatoires afin de cerner les questions préliminaires et l’ordre dans lequel elles seraient traitées, il a été convenu de régler d’abord les questions de M. Lessard qui se veulent, de l’avis de la Commission, des questions davantage d’accès à une procédure que de compétence au sens strict. Si la Commission est d’avis qu’elle doit répondre par la négative à ces questions, cela mettra fin au litige qui lui est soumis. M. Lessard a renoncé à présenter une preuve pour permettre une réponse à ces questions.

[8]        Le libellé des questions a été formulé en tenant compte des allégations de M. Lessard dans son appel à la Commission voulant que la fin de son stage probatoire constitue un congédiement au sens du paragraphe 3° de l’article 33 de la Loi. Il a été par ailleurs clairement établi qu’il ne prétend pas que la fin de son stage constituerait une rétrogradation ou une mesure disciplinaire au sens des paragraphes 2° et 4° de cette même disposition. Ainsi, la qualification de la fin de son stage probatoire en tant que mesure disciplinaire ne fait pas l’objet du débat. […]

[La Commission souligne]

[40]        Les parties conviennent alors du libellé des questions à répondre par la Commission :

1.         Étant donné que le lien d’emploi de M. Lessard est maintenu à la fin de son stage probatoire, et compte tenu de ses conditions de travail, la notion de congédiement déguisé peut-elle s’appliquer, ce qui permettrait à la Commission d’intervenir en application du paragraphe 3° de l’article 33 de la Loi?

2.         Si la réponse à cette question est non, sur quelle base juridique la Commission pourrait-elle avoir la compétence d’examiner si une décision de mettre fin à un stage probatoire satisfait aux exigences de la bonne foi, notamment l’article 127 de la Loi?

[La Commission souligne]

[41]        Dans sa décision de 2014, la Commission procède d’abord à l’analyse de la première question. Après avoir affirmé sa compétence pour entendre un recours d’un fonctionnaire non syndiqué à l’égard d’un congédiement, la Commission conclut que la décision de mettre fin à un stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion ne constitue pas un simple congédiement, le lien d’emploi avec le ministère étant conservé. Puisque la notion de congédiement déguisée est incluse dans celle de congédiement, la Commission se demande alors si elle est en présence d’un tel congédiement déguisé, ce qui permettrait à M. Lessard d’avoir accès au recours pour congédiement en vertu de l’article 33 de la Loi.

[42]        Pour répondre à cette question, la Commission analyse le concept de congédiement déguisé, rapportant les principaux critères élaborés par la Cour suprême dans l’arrêt Farber[14], qu’elle enrichit des indicateurs proposés par la doctrine[15]. Forte de ces enseignements, la Commission statue :

[26]      Dans les circonstances présentes, les conditions du contrat de travail d’un cadre en situation de stage probatoire à l’occasion d’une promotion relèvent de la connaissance d’office de la Commission à titre de tribunal administratif spécialisé pour entendre les recours des fonctionnaires. En effet, ces conditions sont établies dans le Règlement sur le classement des fonctionnaires[15] et la Directive concernant la classification et la gestion des emplois de cadres et de leurs titulaires (630) adoptés conformément à la Loi[16]. Il ressort des dispositions de ces textes législatifs qu’un fonctionnaire qui, lors d’une promotion, accède pour la première fois à l’une des classes d’emplois de cadre, « doit accomplir et réussir un seul stage probatoire de vingt-quatre (24) mois ». Par ailleurs, il est prévu que le fonctionnaire qui ne réussit pas ce stage probatoire se voit alors attribuer à la date de la fin du stage la classe d’emplois et, le cas échéant, le grade qu’il détenait avant ce stage.

[27]      En conséquence, à l’évidence, la décision du MTQ relativement à la réussite de M. Lessard de son stage probatoire et, en cas d’échec, à sa réintégration dans sa classe d’emplois qu’il occupait avant sa promotion ne constitue pas des modifications unilatérales de ses conditions de travail, mais bien une application de celles-ci. Cet état de situation ressort clairement et de façon objective, sans qu’il soit nécessaire qu’une preuve soit présentée devant la Commission, contrairement aux prétentions du MTQ. D’ailleurs, les décisions qu’il cite pour appuyer cette position concernent des situations où le tribunal devait déterminer s’il s’agissait de mesures disciplinaires ou administratives, ce qui n’est pas du tout le cas dans les circonstances présentes.

[28]      En conséquence, la réponse à cette première question est clairement que les conditions de travail de M. Lessard au regard de son stage probatoire effectué lors de sa promotion ne permettent pas l’application de la notion de congédiement déguisé puisque la réintégration dans sa précédente classe d’emplois en cas d’échec constitue une application de ses conditions de travail.

[29]      En conséquence, M. Lessard n’a pas accès au recours en matière de congédiement puisque le concept de congédiement déguisé prévu au paragraphe 3° de l’article 33 de la Loi ne peut s’appliquer à sa situation.

[La Commission souligne]

[43]        La Commission poursuit ensuite son analyse de la seconde question « afin d’évaluer si M. Lessard dispose d’un recours devant la Commission[16] ». Elle conclut finalement que les dispositions relatives à la fin d’un stage probatoire ne font pas non plus partie du champ de compétence de la Commission en vertu de l’article 127 de la Loi.

[44]        La Commission déclare donc qu’elle n’a pas compétence pour entendre l’appel de M. Lessard.

[45]        Ce faisant, et contrairement aux prétentions de M. Lessard, la Commission ne s’est pas seulement prononcée sur une question de procédure : elle s’est demandée si la décision de mettre fin à un stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion était une décision pouvant faire l’objet d’un appel à la Commission.

[46]        En effet, la Commission est un tribunal administratif qui possède une compétence d’attribution. Elle ne peut donc exercer que la compétence qui lui est attribuée expressément par le législateur, notamment dans sa loi constitutive[17] :

À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence, à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s’étend donc pas à l’intégralité de la situation juridique des individus. [...]

[La Commission souligne]

[47]        L’article 33 de la Loi prévoit la compétence de la Commission en matière de mesures administratives et disciplinaires :

33.       À moins qu’une convention collective de travail n’attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant:

1° de son classement lors de son intégration à une classe d’emploi nouvelle ou modifiée;

2° de sa rétrogradation;

3° de son congédiement;

4° d’une mesure disciplinaire;

5° qu’il est relevé provisoirement de ses fonctions.

[48]        Dans sa décision de 2014, la Commission a statué que la décision de mettre fin à un stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion ne constitue pas un congédiement déguisé de sorte que M. Lessard ne pouvait se prévaloir du recours prévu au paragraphe 3o de l’article 33 de la Loi.

[49]        Malheureusement pour M. Lessard, il ne peut aujourd’hui demander à la Commission de se prononcer à nouveau sur la même situation en alléguant maintenant que la décision du ministère de mettre fin à son stage probatoire constitue une rétrogradation : son recours est prescrit et il y a chose jugée.

[50]        Le recours est prescrit car il s’est écoulé plus de trois ans depuis la décision qui fait l’objet du présent appel. Or, l’article 33 de la Loi prévoit que le recours d’un fonctionnaire doit être déposé dans les 30 jours de la décision contestée. Ce délai en est un de rigueur et l’article 2895 du C.c.Q. ne lui est d’aucun secours :

2895.   Lorsque la demande d’une partie est rejetée sans qu’une décision ait été rendue sur le fond de l’affaire et que, à la date du jugement, le délai de prescription est expiré ou doit expirer dans moins de trois mois, le demandeur bénéficie d’un délai supplémentaire de trois mois à compter de la notification de l’avis du jugement, pour faire valoir son droit. […]

[51]        Cette disposition prolonge le délai de prescription de façon à éviter la perte d’un droit par suite du choix d’un mauvais forum[18]. En l’espèce, M. Lessard ne s’est pas trompé de forum puisque la Commission a déjà rendu une décision au fond dans son dossier en 2014.

[52]        C’est la raison pour laquelle il y a chose jugée dans la présente affaire. L’article 2848 du C.c.Q. consacre l’autorité de la chose jugée :

2848.   L’autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même. […]

[53]        Cette disposition a justement pour but d’empêcher la multiplication des recours à l’égard d’une même affaire comme en l’espèce. La Cour d’appel s’exprime à ce sujet dans l’arrêt Jean-Paul Beaudry ltée[19] :

[36]      La chose jugée, qui fait obstacle à ce que soit tranché de nouveau ce qui l'a déjà été, répond à un souci de stabilité juridique et vise à ce que soient évitées la multiplicité des procès et la possibilité de jugements contradictoires. Il s'agit d'une présomption absolue dont l'effet s'étend à tous les jugements définitifs prononcés par un tribunal ayant juridiction civile au Québec dans une matière contentieuse. Elle repose sur la prémisse d'une triple identité entre le premier jugement et la demande qui est faite par la suite : identité des parties, identité de la cause, identité de l'objet (la chose demandée).

[37]      L'effet de la chose jugée s'attache non seulement au dispositif du jugement mais également aux motifs - c'est ce que reconnaît la jurisprudence -, dans la mesure qu'indique, par exemple, l'arrêt Contrôle technique appliqué ltée c. Québec (Procureur général)[[20]]. La Cour se penchait alors sur l'article 1241 C.c.B.-C., ancêtre de l'article 2848 C.c.Q., mais ses propos demeurent pertinents :

On doit bien comprendre cependant la portée de cette règle. Cette présomption de vérité ne se limite pas seulement au dispositif formel du jugement : elle s'étend aux motifs essentiels qui s'y trouvent intimement liés. Elle comprend les conclusions même implicites qui résultent comme une conséquence nécessaire du dispositif de ce jugement[[21]: […]

[54]        M. Lessard s’attache au dispositif de la décision de 2014 pour prétendre que son appel a été rejeté sur une question de procédure. Toutefois, cette décision a bel et bien statué sur le fond du litige à savoir si la décision du ministère de mettre fin à un stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion est une décision qui peut pas faire l’objet d’un appel à la Commission en vertu du paragraphe 3° de l’article 33 de la Loi.

[55]        Tel qu’exposé précédemment, la Commission a pris grand soin d’analyser si la décision de mettre fin à un stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion constitue un congédiement ou un congédiement déguisé, et ce, de manière à permettre un recours à M. Lessard. Elle a toutefois conclu qu’une telle décision n’en est pas une où elle a droit de regard.

[56]        M. Lessard demande aujourd’hui à la Commission de refaire le même exercice à l’égard de la même décision, prise à son endroit par le même employeur, mais en la qualifiant cette fois de rétrogradation. Il y a donc une triple identité dans les deux affaires : parties, cause et objet. L’autorité de la chose jugée empêche M. Lessard de faire une deuxième tentative :

[18]      Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative. L’appelante a décidé de se prévaloir du recours prévu par la LNE. Elle a perdu. Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités.[22]

[La Commission souligne]

[57]        La Commission souligne néanmoins qu’elle avait aussi abordé la qualification de la décision de mettre fin à un stage probatoire effectué dans le cadre d’une promotion sous l’angle de la rétrogradation dans sa décision de 2014 :


 

[30] Dans une logique juridique semblable, la Commission a déjà conclu, dans l’affaire Machalaani-Yared[[23]], alors que l’appelante se trouvait dans la même situation que celle de M. Lessard d’échec à un stage probatoire à l’occasion d’une promotion, que le recours en matière de rétrogradation prévu au paragraphe 2° de l’article 33 de la Loi ne pouvait s’appliquer, puisque le contrat de travail était sujet à une condition résolutoire au sens de l’article 1507 du Code civil du Québec.

[58]        En conséquence, les deux moyens préliminaires soulevés par le ministère trouvent application dans la présente affaire.

Pour ces motifs, la Commission de la fonction publique :

rejette l’appel de M. Benoit Lessard.

 

 

 

 

 

Original signé par :

 

 

__________________________________

Sonia Wagner

 

 

 

M. Benoit Lessard

Appelant

 

 

Me Micheline Tanguay

Procureure du Ministère des Transports, de la Mobilité durable
et de l'Électrification des transports

Intimé

 

Lieu de l’audience :     Québec

 

Date de l’audience :

 14 décembre 2016

 



[1]     RLRQ, c. N-1.1.

[2]     Lessard c. Ministère des Transports, 2013 QCCRT 578, par. 15 et 19.

[3]     RLRQ, c. F-3.1.1.

[4]     La Loi instituant le Tribunal administratif du travail (RLRQ, c. T-15.1) a créé le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail depuis le 1er janvier 2016.

[5]     Préc., note 2, par. 26 à 28.

[6]     Lessard et Ministère des Transports, 2014 QCCFP 20.

[7]     Règlement sur le classement des fonctionnaires (RLRQ, c. F-3.1.1, r.2, art. 4) et Directive concernant la classification et la gestion des emplois de cadres et de leurs titulaires (630) (C.T. 198195 du 30 avril 2002 et ses modifications, art. 22).

[8]     C.T. 208914 du 20 avril 2010 et ses modifications.

[9]     Lessard c. Commission des relations du travail (CRT), 2014 QCCS 6110.

[10]    Lessard et Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports, 2016 QCTAT 6571.

[11]    Société canadienne des postes c. Ripeur, 2013 QCCA 1893; Carbonneau c. Retraite Québec, 2016 QCCQ 6679; Enwood c. Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances, 2015 QCCS 1240; Lessard et Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports, 2016 QCTAT 6571.

[12]    Jean-Paul Beaudry ltée c. 4013964 Canada inc., 2013 QCCA 792; Lagacé et 9132-5126 Québec inc., 2011 QCCRT 437; Ville de Montréal et Association des pompiers de Montréal (grief patronal), 2016 QCTA 854; Syndicat de la fonction publique du Québec c. Lavoie, 2011 QCCS 1499.

[13]    Durocher c. Commission des relations du travail, 2015 QCCA 1384.

[14]    Farber c. Cie Trust Royal, 1997 CanLII 387 (CSC).

[15]    Patrick L. Benaroche et Jean-Marc Fortin, Le congédiement déguisé au Québec, fondements théoriques et aspects pratiques, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 23 et 24.

[16]    Préc., note 6, par. 33.

[17]    Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementale - Précis de droit des institutions administratives, 3édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 421-422.

[18]    Société canadienne des postes c. Ripeur, préc., note 10, par. 40.

[19]    Préc., note 12.

[20]    [1994] R.J.Q. 939 (C.A.) p. 943 et 944.

[21]    Ellard c. Millar, [1930] R.C.S. 319, p. 326.

[22]    Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460.

[23]    Machaalani-Yared c. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2012 CanLII 53511 (QC CFP).

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