STM (Réseau des autobus) et Théroux (Succession de) |
2010 QCCLP 2939 |
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RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
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[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu le 16 avril 2010, une décision dans le présent dossier;
[2] Cette décision contient une erreur d’écriture qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article 429.55 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001;
[3] Sur la page frontispice, nous lisons :
Robert Théroux (Succession)
[4] Alors que nous aurions dû lire :
Réal Théroux (Succession)
[5] À la page 2, au paragraphe 2, nous lisons :
Robert Théroux
[6] Alors que nous devrions lire :
Réal Théroux
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Claude-André Ducharme |
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Me François Bouchard |
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Langlois Kronstöm Desjardins |
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Représentant de la partie requérante |
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Pierre Kingsbury |
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S.C.F.P. (local 1983) |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Myriam Sauviat |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
STM (Réseau des autobus) et Théroux (Succession de) |
2010 QCCLP 2939 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Montréal |
16 avril 2010 |
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Région : |
Lanaudière |
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Dossiers : |
313961-63-0704-R 314619-63-0704-R |
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Dossiers CSST : |
119885804 116497396 |
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Commissaire : |
Claude-André Ducharme, juge administratif |
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Membres : |
René F. Boily, associations d’employeurs |
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Daniel Flynn, associations syndicales |
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S.T.M. (Réseau des autobus) |
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Partie requérante |
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et |
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Robert Théroux (Succession) et Jean Pauzé |
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Parties intéressées |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 15 mai 2009, l’employeur, S.T.M. (Réseau des autobus), dépose une requête par laquelle il demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer une décision qu’elle a rendue le 31 mars 2009.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette les requêtes de l’employeur concernant deux décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendues le 28 mars 2007 à la suite de révisions administratives, modifie ces décisions et déclare que la CSST n’a pas à rembourser à l’employeur les sommes d’argent qu’il a versées aux travailleurs, monsieur Robert Théroux (dossier 313961-63-0704) et monsieur Jean Pauzé (dossier 314619-63-0704) à compter de la quinzième journée de leur arrêt de travail.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 22 février 2010 à Joliette en présence des représentants des parties.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur prétend que la décision rendue le 31 mars 2009 comporte des vices de fond qui sont de nature à l’invalider. Il demande de la révoquer et de convoquer les parties à une nouvelle audience portant sur le fond de ses contestations.
LES FAITS
[5] Monsieur Théroux et monsieur Pauzé ont subi des lésions professionnelles en 1999 et en 2000. Monsieur Théroux a été en arrêt de travail du 4 au 28 mars 1999 et monsieur Pauzé, du 20 décembre 2000 au 6 janvier 2001.
[6] En vertu de la convention collective, l’employeur verse aux employés victimes d’une lésion professionnelle une indemnité non seulement pour la période obligatoire des quatorze premiers jours qui suivent l’arrêt de travail visée par l’article 60 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), mais aussi pour la période postérieure. Il se fait rembourser par la CSST les sommes d'argent qu'il a versées à partir du quinzième jour d'arrêt de travail en vertu de l’article 126 de la loi.
[7] Les articles 60 et 126 de la loi prévoient ce qui suit :
60. L'employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle lui verse, si celui-ci devient incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, 90 % de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé, n'eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.
L'employeur verse ce salaire au travailleur à l'époque où il le lui aurait normalement versé si celui-ci lui a fourni l'attestation médicale visée dans l'article 199 .
Ce salaire constitue l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit pour les 14 jours complets suivant le début de son incapacité et la Commission en rembourse le montant à l'employeur dans les 14 jours de la réception de la réclamation de celui-ci, à défaut de quoi elle lui paie des intérêts, dont le taux est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts courent à compter du premier jour de retard et sont capitalisés quotidiennement.
Si, par la suite, la Commission décide que le travailleur n'a pas droit à cette indemnité, en tout ou en partie, elle doit lui en réclamer le trop-perçu conformément à la section I du chapitre XIII.
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1985, c. 6, a. 60; 1993, c. 5, a. 1.
126. La Commission peut prélever sur une indemnité de remplacement du revenu et rembourser à l'employeur l'équivalent de ce qu'il paie au travailleur à compter du quinzième jour complet d'incapacité sous forme d'allocation ou d'indemnité, à moins que ce paiement ne soit fait pour combler la différence entre le salaire du travailleur et le montant de l'indemnité à laquelle il a droit.
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1985, c. 6, a. 126.
[8] Selon un témoin entendu lors de l’audience initiale, sans qu’il y ait d’entente formelle à cet effet, dans 95 % des cas, la CSST rembourse à l’employeur les sommes d’argent qu’il a versées au travailleur à partir du quinzième jour d’incapacité sur la seule production du formulaire « Avis de remboursement et demande de remboursement » (ADR).
[9] Ce n’est pas ce qui s’est passé dans les cas de messieurs Théroux et Pauzé. L’indemnité, qui leur a été versée pour la période des quatorze premiers jours d'arrêt de travail, a été remboursée à l’employeur conformément à l'article 60, mais pas celle versée à partir du quinzième jour d’incapacité. Les 30 juin 2005 et 22 août 2006, il réclame à la CSST le remboursement de ces sommes.
[10] Par deux décisions rendues le 19 octobre 2006, la CSST décide qu’elle ne peut pas procéder au remboursement des sommes réclamées parce que l'employeur a présenté ses demandes après l’expiration du délai de trois ans prévu par l’article 2925 du Code civil du Québec, lequel se lit comme suit :
2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
[11] Le 28 mars 2007, à la suite de révisions administratives, la CSST confirme ses deux décisions, d’où l’appel à la Commission des lésions professionnelles.
[12] Lors de l’audience initiale, l’employeur prétend que l’article 126 de la loi ne comporte aucun délai de prescription et que l'imposition d'un tel délai modifie le texte de l’article en y ajoutant une condition. La représentante de la CSST plaide, pour sa part, que la prescription de trois ans de l’article 2925 du Code civil du Québec doit être appliquée parce que l’indemnité de remplacement du revenu est une rente équivalant à un droit personnel.
[13] Dans l’hypothèse où cette dernière prétention est retenue, l’employeur soumet que le dépôt des formulaires ADR a eu pour effet d'interrompre la prescription.
[14] Le 2 février 2009, alors que la cause est en délibéré, la juge administrative transmet aux parties des extraits du Journal des débats de l’Assemblée nationale concernant l’adoption des articles 60 et 126 de la loi accompagnés de la lettre suivante :
Dans le cadre du délibéré de l’audience qui s’est tenue le 21 octobre 2008 dans les dossiers mentionnés en rubrique, je me suis interrogée sur la portée et le problème auxquels le législateur s’adressait lors de la rédaction des articles 60 et 126 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001) (la loi).
À cette fin, le Journal des débats est apparu être une source d’information utile. Toutefois, étant donné que cette preuve n’a pas été présentée lors de l’audience, je vous prierais de m’informer si vous souhaitez soumettre des commentaires ou encore qu’une audience soit fixée pour vous permettre de compléter la preuve offerte.
[15] Le 13 février 2009, le représentant de l’employeur répond à la juge administrative ce qui suit :
Nous avons pris connaissance des extraits du Journal des débats que vous nous avez transmis. Nous ne sommes pas certains d’avoir en main l’ensemble des documents que vous considérez pertinents.
Par ailleurs, il nous est difficile de fournir des commentaires écrits étant donné que nous n’avons pas été informés des arguments que vous désirez tirer de ces documents.
[16] Le 31 mars 2009, la juge administrative rend la décision de la Commission des lésions professionnelles qui fait l’objet de la présente demande de révocation.
[17] Après avoir résumé le témoignage du responsable des dossiers de lésions professionnelles chez l’employeur, elle fait état des argumentations des parties qui ont été résumées précédemment. Elle rapporte également ce qui suit de l'argumentation de la CSST :
[59] La représentante souligne qu’il serait périlleux, pour le régime de financement de la CSST, de permettre aux employeurs de réclamer des sommes à la CSST à n’importe quel moment sans considérer un délai quelconque. Un déséquilibre certain risquerait de s’installer dans les dossiers d’imputation si les employeurs ne sont soumis à aucun délai pour réclamer des remboursements.
[18] Dans les motifs qu’elle énonce au soutien de la décision, la juge administrative cite des passages des extraits du Journal des débats et en vient aux conclusions suivantes :
[77] Dans les faits, le 3e alinéa de l’article 60 contient bien un délai obligeant la CSST à rembourser les sommes versées par un employeur pour les quatorze premiers jours.
[78] Le tribunal comprend des propos rapportés plus haut qu’il s’agissait d’une sorte de « caution » en faveur de l’employeur.
[79] En effet, les employeurs qui se voyaient dorénavant obligés de payer eux-mêmes les quatorze premiers jours d’indemnités et de « gérer administrativement » le dossier d’un travailleur pour cette période, en lieu et place de la CSST, recevaient ainsi l’assurance d’être remboursés rapidement à défaut de quoi des intérêts leur seraient versés.
[80] Ces extraits du Journal des débats ont l’avantage d’expliquer les raisons qui ont amené le législateur à écrire l’article 60 comme il l’a fait en prévoyant, entre autres, un délai en dehors duquel la CSST devra payer des intérêts si elle n’a pas remboursé les quatorze premiers jours à un employeur. Les articles 268 et 269 complètent l’article 60 en indiquant à l’employeur de quelle manière il doit procéder pour obtenir les sommes déboursées pour les 14 premiers jours.
[81] Concernant l’article 126, le tribunal retient ce qui suit du Journal des débats :
M. Fréchette : Cet article permettra à la commission de rembourser à l’employeur, à même l’indemnité de remplacement du revenu due à un travailleur, les sommes que cet employeur aura versées à celui-ci pendant son incapacité de travail, à l’exclusion des quinze premiers jours. […]
[…]
M. Lincoln : Mais, est-ce qu’à ce moment-là, on ne devrait pas mettre la même chose, à savoir qu’il [l’employeur] devrait être remboursé dans les quinze jours qui suivent ou bien est-ce que ce sont des cas exceptionnels? […]
M. Fréchette : Remarquez, par exemple, que, dans ce cas-ci, c’est le choix de l’employeur. C’est lui qui, de sa propre initiative décide de continuer de payer après le quatorzième jour, en attendant probablement que le cas de l’accidenté soit réglé.
[…]
M. Fréchette : Il n’y a aucune espèce d’obligation. Dans le cas des quatorze jours, il est obligé.
(Nos soulignements)
[82] Comme le tribunal l’a rapporté, l’article 126 ne mentionne aucun délai pour l’envoi de la demande de remboursement ou pour le remboursement lui-même et il semble que le législateur l’ait voulu ainsi en toute connaissance de cause.
[83] En effet, après avoir évalué que c’était le choix d’un employeur, et non une obligation en vertu de la loi, de se substituer à la CSST et d’assurer le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu, comme c’est le cas en l’espèce, il est apparu que la mention d’un délai de réclamation ou de remboursement était inutile. Il en va de même pour la manière de réclamer les sommes versées qui n’est pas autrement prévue.
[84] Le tribunal en conclut qu’il revient à l’employeur de s’occuper ou de gérer le dossier pour lequel il a volontairement choisi de se substituer à la CSST pour le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu après la 14e journée d’incapacité. Cette obligation inclut celle de voir à obtenir le remboursement des sommes ainsi versées.
[85] À cet égard, le témoin Lavallée a confirmé la pratique chez l’employeur d’un système de gestion qui prévoit la relance des « comptes en souffrance ».
[86] Le tribunal en déduit que l’employeur était d’avis que ce n’était pas à la CSST qu’il appartenait, à partir de la réception de l’ADR, de faire le suivi des dossiers de l’employeur et de gérer les ratés du système de l’employeur. C’était plutôt à ce dernier d’avertir la CSST de l’omission du versement pour la période postérieure aux quatorze premiers jours.
[87] Or, c’est bien ce que l’employeur a fait dans les dossiers en litige, mais plusieurs années après qu’il ait versé les sommes aujourd’hui réclamées.
[88] Est-ce que le fait que la loi ne prévoit aucun délai pour demander un remboursement permet de cautionner un tel comportement? Le tribunal ne le croit pas pour les raisons suivantes.
[88] D’une part, tel qu’il a été mentionné, il appartenait à l’employeur de gérer ses dossiers puisque c’était son choix d’agir ainsi. De l’avis du tribunal, il y a une conséquence à ce choix qui est l’obligation de gérer les dossiers avec diligence.
[89] En effet, cette notion de diligence ne peut être écartée même s’il n’y a aucun délai qui est prévu à l’article 126 de la loi, qui, dans tous les cas, impose uniquement une obligation de remboursement de la part de la CSST. Également, il y a lieu de rappeler que cette notion de diligence a été retenue même en regard des dispositions législatives qui ne contenaient aucun délai.
[19] La juge administrative commente par la suite deux décisions de la Commission des lésions professionnelles dont l’une[2] a retenu une obligation d’agir avec diligence alors que l’article de la loi en cause ne faisait mention d’aucun délai. Puis, elle écarte l’argument soumis par le représentant de l’employeur selon lequel imposer un délai avait pour effet d'ajouter au texte de l’article 126. Elle écrit :
[97] Ainsi, en vertu de l’article 126, le législateur a choisi de remettre entre les mains d’un employeur la responsabilité de gérer les dossiers des travailleurs au moment où cet employeur choisit volontairement de continuer de payer un travailleur en lieu et place de la CSST. Le fait de lui imposer de gérer diligemment cette tâche s’inscrit parfaitement dans cette démarche.
[98] Le représentant de l’employeur a souligné que la Commission des lésions professionnelles a toujours refusé en matière de financement et plus particulièrement en regard de l’article 327 de la loi d’ajouter un délai alors que le législateur n’en avait pas prévu.
[99] La soussignée est d’avis que dans le présent dossier, il ne s’agit pas d’ajouter un délai à l’article 126 qui n’en prévoit aucun. Il s’agit plutôt de décider si, même en l’absence d’un tel délai, il est permis à un employeur de réclamer son dû cinq ou six années après l’avoir déboursé. Pour les motifs invoqués plus haut, le tribunal est d’avis que non.
[20] Elle explique par la suite les raisons pour lesquelles elle ne retient pas l'argument du représentant de l'employeur voulant que le dépôt de l’ADR constitue une demande de remboursement pour la période postérieure aux quatorze premiers jours pour finalement conclure dans les termes suivants :
[105] Selon le tribunal, en cas de non-paiement, l’employeur doit, comme monsieur Lavallée a témoigné qu’il se faisait habituellement chez l’employeur, relancer la CSST, et ce, diligemment. S’il ne le fait pas, il doit en assumer les conséquences, entre autres, voir ses demandes rejetées.
[106] Ainsi, dans les circonstances du présent dossier, le tribunal retient que le délai pris par l’employeur, pour manifester à la CSST le fait qu’il n’avait pas été remboursé pour des paiements faits cinq et six années auparavant, constitue un délai injustifiable. Il démontre une absence de diligence.
[107] En conséquence, la CSST avait raison de refuser de lui verser les montants réclamés. Le témoin Lavallée n’a d’ailleurs soumis aucun autre motif pour expliquer ce délai qu’un raté dans le système de gestion des dossiers. Est-ce à la CSST d’assumer les conséquences de ces ratés? Le tribunal est d’avis que non.
[108] À ce chapitre, le tribunal retient l’argument de la représentante de la CSST selon lequel le système de financement du régime de la CSST pourrait être mis en péril s’il était permis à des employeurs négligents de réclamer des sommes à n’importe quel moment.
[21] Au soutien de sa requête en révocation, l’employeur reproche à la juge administrative d’avoir commis les quatre erreurs suivantes qu’il estime manifestes et déterminantes :
- avoir ajouté au texte de l’article 126 une obligation d'agir avec diligence que ne prévoit pas cet article;
- l’avoir privé de son droit d’être entendu du fait que l’hypothèse d’une obligation de diligence n’a pas été soulevée lors de l’audience ni soumise aux parties par la juge administrative au cours du délibéré de telle sorte qu’il n’a pas été en mesure de la commenter ni de déposer de la jurisprudence sur la question;
- avoir transmis des extraits du Journal des débats « d’une trentaine de pages, non paginés et peut-être incomplets en demandant aux parties de commenter, sans autre précision ou commentaires », cette façon de faire faisant en sorte que la juge administrative a utilisé une preuve extrinsèque;
- avoir retenu sans preuve que le régime de financement de la CSST pourrait être mis en péril s’il était permis à des employeurs de lui réclamer des sommes d’argent à n’importe quel moment.
L’AVIS DES MEMBRES
[22] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête doit être rejetée. Il estime que les arguments soumis par l’employeur n’établissent pas que la décision comporte un vice de fond qui justifie la révocation de la décision. Il considère notamment que la juge administrative n’avait pas l’obligation d’informer les parties qu’elle avait l’intention de retenir une obligation d’agir avec diligence avant de rendre la décision.
[23] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête doit être accueillie. Il estime que la juge administrative a privé l’employeur de son droit d’être entendu en retenant qu’il devait agir avec diligence alors que cette dimension n’avait pas été soulevée lors de l’audience ni soumise aux parties au cours du délibéré.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[24] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de révoquer la décision rendue le 31 mars 2009.
[25] Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu'elle a rendue est prévu par l'article 429.56 de la loi, lequel se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[26] Cet article apporte une dérogation au principe général énoncé par l'article 429.49 de la loi voulant qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles soit finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.
[27] Les arguments soumis par l’employeur concernent le troisième motif, soit celui qui autorise la Commission des lésions professionnelles à réviser ou révoquer une décision qui comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.
[28] La jurisprudence assimile cette notion de « vice de fond qui est de nature à invalider une décision » à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[3]. Elle précise par ailleurs qu’il ne peut s'agir d'une question d'appréciation de la preuve ni d'interprétation des règles de droit parce que le recours en révision n'est pas un second appel[4].
[29] Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[5], la Cour d'appel rappelle ces règles comme suit :
[21] La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.
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1. Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.
[30] La Cour d'appel a réitéré cette position dans les arrêts Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[6] (l'arrêt Fontaine) et CSST et Toulimi[7]. Dans la décision Savoie et Camille Dubois (fermé)[8], la Commission des lésions professionnelles retient que par ces arrêts, la Cour d’appel l’invite à une très grande retenue dans l’exercice de son pouvoir de révision pour vice de fond, que la première décision fait autorité et que ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle peut être révisée.
[31] Ces balises jurisprudentielles étant posées, il convient d’examiner les arguments invoqués au soutien de la requête en révocation.
L’ajout au texte de l’article 126
[32] Cet argument a été soumis par le représentant de l’employeur à la juge administrative, mais elle ne l’a pas retenu. Il revient à la charge en soumettant cette fois que le fait d’avoir ajouté au texte de loi constitue une erreur manifeste et déterminante.
[33] Le tribunal estime que ce n’est pas le cas. Ce n’est pas parce que l’article 126 de la loi ne prévoit pas, comme tel, un délai pour l’obtention du remboursement visé par cet article que la question ne pouvait être soulevée, surtout dans le contexte où, comme en l’espèce, le remboursement est réclamé cinq ans après le versement de l’indemnité.
[34] La jurisprudence ne comportait alors aucune décision à ce sujet[9]. La conclusion à laquelle en vient la juge administrative résulte de l’interprétation qu’elle a faite de cet article à la lumière des autres dispositions de la loi, des extraits du Journal des débats et de la jurisprudence. Elle réfère d'ailleurs à une décision de la Commission des lésions professionnelles où l'approche qu’elle adopte a été retenue à l’égard d’un autre article de la loi qui ne comportait pas de délai.
[35] L’interprétation d’une disposition de la loi relève de la compétence d’un juge administratif appelé à trancher un litige et le fait qu’une autre interprétation que celle retenue par la juge administrative soit possible ne peut donner ouverture à la révision ou à la révocation de la décision, comme l'indique la Cour d'appel dans l'extrait suivant de l'arrêt Fontaine :
[51] […] L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»53 mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»54 un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)55.
__________
53 Arrêt Amar, supra, note , paragr. 27.
54 Ibid., paragr. 26
55 Supra, note , paragr. 24.
La violation du droit de l’employeur d’être entendu sur l’obligation de diligence
[36] Le représentant de l’employeur plaide que l’objet du litige consistait à déterminer si le délai de prescription de trois ans de l’article 2925 du Code civil du Québec s’appliquait à la demande de remboursement prévue à l’article 126 de la loi et qu'il n’a jamais été question, lors de l’audience initiale, d’une obligation d'agir avec diligence. Il prétend que l’employeur a été privé de son droit d’être entendu parce qu’il n’a pas eu l’occasion de faire des commentaires et de déposer de la jurisprudence à ce sujet.
[37] De l’avis du tribunal, l’objet du litige débordait la question de l’application du délai de prescription du Code civil du Québec et concernait bien davantage l’existence d’un délai pour réclamer le remboursement prévu à l’article 126. La CSST prétendait que la demande de remboursement devait être faite dans le délai de trois ans du Code civil du Québec alors que pour l’employeur, elle n’était assujettie à aucun délai.
[38] La juge administrative n’était pas limitée aux arguments qu’ils avaient soumis et elle disposait d’une marge de manœuvre dans son appréciation de la question de droit soulevée par le litige. Elle a choisi une voie mitoyenne en retenant que l’employeur devait agir avec diligence. Cette obligation de diligence faisait partie des hypothèses qui pouvaient certainement être envisagées sans déborder pour autant du cadre de la question qu’elle était appelée à trancher et, dans cette optique, on ne peut pas considérer que le fait d’avoir retenu cette voie, sans avoir avisé préalablement les parties, viole leur droit d’être entendues.
[39] Accepter la prétention de l’employeur pourrait conduire à la limite à la situation où un juge administratif ne serait jamais en mesure de rendre sa décision parce que constamment appelé à informer les parties du résultat de son analyse des questions soulevées par le litige.
L’utilisation d’une preuve extrinsèque
[40] L’argument soumis concerne les extraits du Journal des débats que cite la juge administrative dans la décision. Il prend appui sur l’une des composantes de la règle jurisprudentielle du droit d’être entendu qui est reprise dans les termes suivants à l’article 29 des Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles[10] :
29. La Commission ne peut retenir, dans sa décision, un élément de preuve que si les parties ont été à même d’en commenter ou d’en contredire la substance.
[41] Cette règle n'a certainement pas été violée dans le présent cas puisque la juge administrative a pris soin de faire parvenir aux parties les extraits du Journal des débats dont elle cite certains passages dans la décision. C'est la situation contraire qui aurait pu constituer un manquement à cette règle.
[42] Il convient de mentionner de plus, que contrairement à ce qui est allégué, les extraits transmis sont paginés et de plus, la page titre du Journal des débats a été envoyée. Il est vrai qu'il manque quelques pages dans la série de pages transmises, mais c'est vraisemblablement parce qu'elles ne présentaient aucune pertinence.
[43] Essentiellement, ce que l'employeur reproche à la juge administrative, sous le couvert de cet argument, c'est de ne pas avoir indiqué aux parties, en transmettant les extraits du Journal des débats, l'argument qu'elle entendait en tirer.
[44] Dans la lettre accompagnant l'envoi de ce document, la juge administrative explique très bien les raisons pour lesquelles elle veut référer au Journal des débats, soit parce qu'il s'agissait d'une source d'information utile sur la portée des articles 60 et 126 de la loi.
[45] La conclusion à laquelle elle vient, voulant que l'employeur devait agir avec diligence, n'est pas fondée directement et uniquement sur les extraits du Journal des débats qu'elle a transmis aux parties, mais résulte plutôt de son analyse de la question à la lumière de ceux-ci, des dispositions de la loi et de la jurisprudence.
[46] Tel que mentionné précédemment, elle n'avait pas l'obligation, avant de rendre la décision, d'informer les parties de l'évolution de sa réflexion et du résultat de son analyse de la question en litige parce que cela relevait du délibéré, de la même façon qu'un juge administratif n'a pas à informer les parties, lors du déroulement d'une audience, de l'appréciation qu'il fait de la preuve qui est soumise.
L’absence de preuve de la mise en péril de la CSST
[47] Ce dernier argument ne justifie pas davantage la révocation de la décision puisque les propos que tient la juge administrative à ce sujet sont de la nature d'un commentaire et ne constituent pas un motif réel de la décision.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de l'employeur, S.T.M. (Réseau des autobus).
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Claude-André Ducharme |
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Me François Bouchard |
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Langlois Kronstöm Desjardins |
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Représentant de la partie requérante |
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Pierre Kingsbury |
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S.C.F.P. (local 1983) |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Myriam Sauviat |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Touchette et Airboss, C.L.P. 308154-62B-0701, 3 décembre 2007, N. Blanchard
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[4] Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix.
[5] [2003] C.L.P. 601 (C.A.)
[6] [2005] C.L.P. 626 (C.A.)
[7] C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159
[8] C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau
[9] Une décision a été rendue postérieurement : Société de Transport de Montréal et Richer, C.L.P. 314421-71-0704, 9 novembre 2009, L. Crochetière, révision pendante
[10] (2000) 132 G.O. II, 1627
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.