Commission scolaire de Montréal c. Villaggi |
2018 QCCS 725 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-096893-162 |
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DATE : |
Le 19 février 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
michel déziel, J.C.S. |
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COMMISSION SCOLAIRE DE MONTRÉAL |
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Requérante |
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c. |
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ME JEAN-PIERRE VILLAGGI |
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Intimé et |
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ALLIANCE DS PROFESSEURES ET PROFESSEURS DE MONTRÉAL |
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Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] La Commission scolaire de Montréal (« la CSDM ») demande la révision judiciaire d’une partie d’une décision rendue le 17 novembre 2016 (« la Décision » par l’intimé, Me Jean-Pierre Villaggi, arbitre de griefs (« l’Arbitre »).
1. LE CONTEXTE
[2] Le 2 novembre 2015, Madame J. D. (« la Salariée ») enseignante à la CSDM depuis 2002 formule un grief libellé comme suit[1]
« «[…]
Madame [J.D.] enseigne à la CSDM depuis 2002. Le 5 janvier 2015, le Dr De Vette, médecin traitant de Mme [D.], lui signait un certificat médical dans lequel il recommandait un arrêt de travail complet, notamment pour une fibromyalgie sévère et une dépression.
Le vendredi 5 juin 2015, madame [D.] a été vue par le docteur Jean-Robert Turcotte dans le cadre d’une expertise médicale demandée par le CSDM. Dans son rapport, daté du 23 juin 2015, le Dr Turcotte émet certaines recommandations.
Dans la semaine du 19 octobre 2015, la CSDM a convoqué madame [D.], par téléphone, à une rencontre « médico-administrative » dans ses locaux. L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal s’est opposée à la tenue de ladite rencontre, la jugeant contraire à l’esprit et la lettre de la clause 5-10.34. Devant la menace de la CSDM de couper les prestations de salaire de madame [D.] si elle ne se présentait pas à la rencontre, cette dernière s’est tenue le 26 octobre 2015 à la CSDM. Lors de cette rencontre, la CSDM s’est carrément intégrée dans le plan de traitement du Dr De Vette, médecin traitant de madame D., et s’est substituée à celui-ci.
L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal est d’avis que la tenue de cette rencontre ainsi que son contenu sont contraires à la clause 5-10.34 de l’entente nationale et qu’en agissant de la sorte, la CSDM s’est arrogé un droit qu’elle n’avait pas.
Au surplus, en tenant cette rencontre alors que madame [D.] était toujours en invalidité et présentait un état de fragilité et de vulnérabilité, la CSDM a également porté atteinte à l’intégrité physique et psychologique de celle-ci.
L’Alliance des
professeures et professeurs de Montréal considère que cette façon est
déraisonnable et constitue un abus de droit de l’employeur tout en contrevenant
notamment aux articles
Il sera demandé à l’arbitre de grief :
1.
De
constater la violation de la clause 5-10.34 de l’entente nationale et des
articles
2. D’ordonner à la Commission scolaire de Montréal de cesser cette pratique;
3. De condamner la Commission scolaire de Montréal au paiement d’une somme à déterminer visant à compenser le stress et les inconvénients vécus par madame [D.] ainsi qu’à des dommages moraux et exemplaires découlant de l’atteinte intentionnelle aux droits fondamentaux de madame [D.];
4. D’augmenter toutes les sommes dues, des intérêts et de l’indemnité prévue au Code du travail.
[…] »
(reproduit tel quel, sauf quant à l’identification de la plaignante) »
[3] Le 17 novembre 2016, l’Arbitre rend sa décision et conclut comme suit[2] :
« [89] ACCUEILLE en partie le grief déposé par le Syndicat;
[90] RECONNAÎT que l’Employeur pouvait rencontrer la salariée même si elle était bénéficiaire de prestations d’assurance salaire invalidité;
[91] CONSTATE que l’Employeur a agi illégalement en imposant à la salariée un plan de traitement;
[92] DÉCIDE que, dans les circonstances, l’Employeur n’a pas agi de façon abusive;
[93] CONSERVE compétence pour trancher toute mésentente quant à l’application ou l’interprétation de la présente décision;
[94] CONSERVE compétence pour déterminer tout montant dû à titre de dommages découlant de la présente décision, advenant que le Syndicat veuille faire valoir des droits à cet égard ;
[95] DÉCLARE que les frais et honoraires de l’arbitrage seront assumés en parts égales par l’Employeur et le Syndicat. »
[4] La CSDM conteste la conclusion 91 de cette décision.
2. POSITION DES PARTIES
[5] La CSDM reproche à l’Arbitre d’avoir mal interprété le Code de déontologie des médecins lorsqu’il écrit que «l’employeur se transforme en médecin traitant[3] ».
[6] Elle reproche aussi à l’Arbitre d’avoir conclu que la CSDM « s’immisce dans la vie privée de la salariée en lui imposant un suivi[4].
[7] La CSM soumet que la norme de révision est celle de la décision correcte sur la première question et celle de la décision raisonnable sur la deuxième.
[8] L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal (« le Syndicat ») conteste la demande et recherche le maintien de la décision arbitrale.
[9] Le Syndicat avance que l’Arbitre n’a pas interprété le Code de déontologie des médecins, mais a plutôt décidé que la CSDM a imposé des conditions de traitement à la Salariée, se substituant alors au médecin traitant.
[10]
La référence à l’article
[11] Quant à la violation du droit à la vie privée, il s’agit d’une question d’appréciation de la preuve qui ne donne pas ouverture à une révision judiciaire.
[12] Enfin, le Syndicat soumet que les deux questions sont soumises à la norme de la décision raisonnable.
3. LES QUESTIONS EN LITIGE
[13] Les questions en litige sont les suivantes :
1) Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?
2) La décision de l’Arbitre est-elle révisable en fonction de cette norme?
4. ANALYSE
1) Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?
[14] La Cour suprême dans Dunsmuir[5] enseigne qu’il faut appliquer la norme de la raisonnabilité en présence de certains éléments :
« [55] Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :
· Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de deference
· Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).
· La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents. »
[15] La Cour d’appel dans Commission Scolaire des Découvreurs[6] stipule que les questions d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère à la compétence spécialisée de l’arbitre sont rares :
« [6] L'arbitre, en effet, n'avait pas à
se pencher ici, de manière abstraite, sur le sens et la portée des articles 10
et s. de la Charte; il lui était plutôt demandé de vérifier
l'application de ces dispositions à la situation d'espèce portée à son
attention, et ce, dans un cadre (celui de l'interprétation des dispositions
d'une convention collective) qui se trouve au cœur non seulement de son
expertise, mais aussi de la compétence exclusive que lui confie le législateur
québécois aux termes des articles
[7] Précisons (car c'est l'argument premier de l'appelante) que la question tranchée par l'arbitre et qui est soumise aujourd'hui à la Cour est, certes, importante. On ne peut toutefois dire qu'elle soit de ce fait capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère à la compétence spécialisée de l'arbitre, au sens que l'arrêt Dunsmuir donne à cette expression (étant entendu qu'il ne s'agit par ailleurs ni d'une question constitutionnelle, ni d'une question de compétence au sens strict (vires), ni d'une question de compétences concurrentes).
[8] Il y a du reste peu de questions de cet ordre, comme le rappelle la Cour suprême, notamment dans l'arrêt Front des artistes canadiens c. Musée des beaux-arts du Canada, où elle nous invite même « à donner une interprétation restrictive à cette catégorie de questions […] ». Or, ce n'est pas parce que la question soulevée a de l'intérêt pour les employeurs québécois en général que cela en fait une question capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère à la compétence spécialisée de l'arbitre, conditions qui sont cumulatives. »
[16] En 2016, la Cour suprême dans Commission scolaire de Laval[7] rappelle encore la rareté des questions soumises à la décision correcte :
« [34] La présomption établie par l’arrêt Alberta Teachers n’est pas réfutée ici. Les questions que soulève le litige ne font pas partie de la catégorie restreinte de questions pour lesquelles l’arrêt Dunsmuir prévoit l’application de la norme de la décision correcte. Selon Dunsmuir, cette norme peut s’appliquer aux questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui se situent hors du domaine d’expertise du décideur (par. 55 et 60). De telles questions doivent parfois être traitées de façon uniforme par les tribunaux judiciaires et administratifs, « étant donné [leurs] répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble » (par. 60). Cependant, les questions de cette nature restent rares et se limitent le plus souvent à des situations qui mettent en cause la « cohérence de l’ordre juridique fondamental du pays ».
[17] Le tribunal conclut que la norme de raisonnabilité s’applique aux deux questions.
2) La décision de l’Arbitre est-elle révisable en fonction de cette norme?
[18] L’Arbitre a rendu une décision motivée qui comporte 39 pages.
[19] Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à sa justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[20] Le grief demande à l’Arbitre de déclarer que la CSDM a contrevenu à la clause 5-10.34 de l’Entente nationale[8].
[21] L’Arbitre fait référence à cette disposition aux paragraphes 64, 70 et 74 de sa décision.
[22] L’Arbitre établit clairement les faits, dont la teneur n’est pas contestée, et résume la preuve.
[23] Il débute son analyse à la page 24 sur la première question en se référant à une abondante jurisprudence pour conclure à la page 33 que la CSDM pouvait convoquer la Salariée à une rencontre pour s’informer du suivi de ses traitements.
[24] Sa conclusion quant au plan de traitement est intelligible et motivée.
[25] L’article 69 du Code de déontologie des médecins[9] se lit comme suit :
« [69] Le médecin agissant pour le compte d’un tiers comme expert ou évaluateur ne peut devenir médecin traitant du patient qu’à la demande ou après autorisation expresse de ce dernier, et après avoir mis fin à son mandat avec le tiers. »
[26] Il s’agit d’une disposition claire et non ambiguë.
[27] L’Arbitre n’a pas interprété cette disposition en y faisant référence.
[28] Voici ses propos lorsqu’il traite de la question suivante : « l’Employeur pouvait-il imposer un plan de traitement à l’enseignante[10] :
« [78] Selon la preuve qui nous a été faite, le contenu de la rencontre du 26 octobre 2015 a largement dépassé ce qui était autorisé tant du point de vue du contenu de la convention collective que du respect du droit à la vie privée.
[79] L’enseignante au moment où elle se présente à la rencontre du 26 octobre est suivie par son médecin traitant. Elle respecte ses recommandations. Les notes du médecin traitant du 27 août 2015 (pièce S-13) font mention d’un changement de médication, d’un suivi avec un psychologue et du fait que l’enseignante s’adonne à la marche. L’enseignante lors de son témoignage a expliqué les démarches qui étaient en cours, démarches dont elle a fait part à l’Employeur lors de la rencontre du 26 octobre. Il n’y a aucune preuve que la salariée ne collabore pas avec son médecin traitant ou ne fait pas le nécessaire pour donner suite à ses recommandations. Comme nous le disions, l’Employeur peut vérifier si la salariée collabore au suivi de ses traitements. L’Employeur pourrait se contenter du rapport médical, mais il peut dans un cas complexe rencontrer la salariée pour obtenir davantage d’information et s’assurer que le salarié pose les gestes nécessaires à sa réadaptation, dans la mesure de ses capacités.
[80] Il suffit de nous référer au courriel de l’Employeur du 27 octobre qui résumait la rencontre du 26 octobre pour nous convaincre qu’on a outrepassé les objets d’une telle rencontre (pièce S-6, courriel du 27 octobre de Dominique Cadieux). L’Employeur a imposé à l’enseignante de respecter des conditions de traitement dont une émanait du médecin conseil de l’Employeur. L’Employeur se transforme en médecin traitant. Le médecin conseil de l’Employeur ne peut davantage prétendre à ce statut. L’article 69 de Code de déontologie des médecins[11] est instructif : « Le médecin agissant pour le compte d’un tiers comme expert ou évaluateur ne peut devenir médecin traitant de patient qu’à la demande ou après autorisation expresse de ce dernier, et après avoir mis fin à son mandat avec le tiers.»
[81] Que doit faire l’enseignante : faire fi des recommandations de son médecin traitant et lui indiquer qu’elle est maintenant suivi médicalement par son Employeur ? L’Employeur reconnaît que le médecin traitant est libre de donner suite aux recommandations qu’on peut lui faire. Le témoignage de Dominique Cadieux est à cet effet. Que fait aussi l’Employeur, il s’immisce dans la vie privée de la salariée en lui imposant un suivi. Nous référons notamment au courriel du 19 novembre 2016 dont un extrait est reproduit ci-dessus (pièce S-6, en liasse). On peut y lire que l’Employeur demande à l’enseignante d'aviser la travailleuse sociale responsable de son dossier de lui faire parvenir les informations relatives à la demande de service qu’elle aurait formulée. Évidemment, la situation aurait été différente si la salariée avait consenti à ce que le médecin conseil de l’Employeur communique avec son médecin traitant. Nous ne tirons aucune conclusion. Nous ne faisons que le constater. Il n’en demeure pas moins que l’Employeur s’est attribué un pouvoir qu’il n’avait pas. Ainsi, il a obligé la salariée à poser des gestes comme si ce plan de traitement émanait de son médecin traitant. Il a aussi placé la salariée en «porte-à-faux» face à son médecin traitant, mettant celle-ci inutilement mal à l’aise dans ses interactions avec ce dernier. »
[29] L’Arbitre n’avait pas à interpréter le Code de déontologie des médecins.
[30] En effet, il devait déterminer eu égard à la preuve, si la CSDM a imposé un plan de traitement à la Salariée en violation de l’Entente nationale.
[31] Sa conclusion sur ce point est claire et fait partie des issues possibles acceptables.
[32] Il en est de même de sa conclusion relative à la violation du droit à la vie privée.
[33] L’Arbitre a reconnu le droit à la CSDM de communiquer les recommandations de son médecin-traitant à la Salariée.
[34] Il conclut qu’il n’est pas en présence d’une situation ou la Salariée ne collaborait pas avec son médecin-traitant ou qu’elle ne suivait pas les recommandations de ce dernier[12].
[35] Après avoir analysé la preuve, l’Arbitre conclut que la CSDM avait outrepassé ce qui est autorisé en vertu de l’Entente nationale et du droit à la vie privée.
[36] Il n’y a rien à redire quant à cette conclusion qui répond au critère de la raisonnabilité et qui appartient aux issues possibles acceptables.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[37] REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire;
[38] LE TOUT avec frais de justice.
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__________________________________MICHEL DÉZIEL, j.c.s. |
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Me Alexis Charpentier |
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FASKEN MARITNEAU DuMOULIN |
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Procureurs de la requérante |
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Me Chantal Poirier |
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MATTEAU POIRIER AVOCATS INC. |
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Procureurs de la mise en cause |
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Date d’audience : |
15 février 2018 |
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[1] R-2.
[2] R-1. Sentence arbitrale.
[3] Id, par. 80.
[4] Id, par. 81.
[5]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick
[6]
Commission scolaire des Découvreurs c. Syndicat de l’enseignement
des Deux-Rives (SEDR-CSQ),
[7]
Commission scolaire de Laval et Fédération des commissions scolaires du
Québec c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval et Fédération
autonome de l’enseignement et Centrale des syndicats du Québec
[8] Entente nationale 2015.2020.
[9] Code de déontologie des médecins, chapitre M-9, r. 17.
[10] Précité note 2.
[11] RLRQ, c. M-9, r.17.
[12] Précité note 2, par. 10.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.