Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Provigo Distribution inc.

2012 QCCLP 3498

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-JĂ©rĂ´me :

30 mai 2012

 

Région :

Laval

 

Dossier :

462669-61-1202

 

Dossier CSST :

132647157

 

Commissaire :

Isabelle Piché, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Provigo Distribution inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 16 fĂ©vrier 2012, Provigo Distribution inc. (l’employeur) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte par laquelle il conteste une dĂ©cision de la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (CSST) rendue le 3 fĂ©vrier 2012, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[2]         Par cette dĂ©cision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 15 novembre 2011 et dĂ©clare que le coĂ»t des visites mĂ©dicales effectuĂ©es par madame Nathalie-Sophia Vetter, la travailleuse, doit ĂŞtre imputĂ© au dossier de l’employeur.

[3]           L’employeur a renoncĂ© Ă  la tenue d’une audience et a demandĂ© par consĂ©quent que la Commission des lĂ©sions professionnelles procède sur analyse de dossier. Le dossier a ainsi Ă©tĂ© pris en dĂ©libĂ©rĂ© en date du 16 mai 2012.


L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles de dĂ©clarer qu’il ne doit pas ĂŞtre imputĂ© des sommes correspondant Ă  des visites mĂ©dicales effectuĂ©es après le 15 juillet 2008.

LES FAITS

[5]           Le 4 mai 2008, la travailleuse est victime d’une lĂ©sion professionnelle alors qu’elle est frappĂ©e par une porte et une barrière.

[6]           Elle consulte un mĂ©decin le jour mĂŞme qui diagnostique Ă  ce moment une entorse cervicodorsale. Il ordonne un arrĂŞt de travail, la prise de mĂ©dicaments et l’amorce de traitements de physiothĂ©rapie.

[7]           Ă€ compter du 12 mai, des travaux lĂ©gers sont autorisĂ©s.

[8]           Le 15 juillet 2008, l’employeur convoque madame Vetter en expertise. Le mĂ©decin dĂ©signĂ© est le docteur Carl Giasson. Au terme de l’examen, ce dernier conclut Ă  un examen squelettique dans les limites de la normale et retient une contusion cervicodorsale rĂ©solue, qualifiĂ©e d’entorse. Il consolide donc la lĂ©sion au jour de l’examen sans dĂ©signation de sĂ©quelles permanentes.

[9]           Le 8 septembre 2008, le docteur De Sanctis, mĂ©decin qui a charge de la travailleuse, rĂ©pond Ă  cette expertise par le biais du Rapport complĂ©mentaire. Il indique ne pas ĂŞtre d’accord avec les conclusions Ă©mises par le docteur Giasson puisqu’il estime les traitements de physiothĂ©rapie toujours requis.

[10]        ConsidĂ©rant ce diffĂ©rend, le dossier est acheminĂ© au Bureau d’évaluation mĂ©dicale. Le membre dĂ©signĂ© est l’orthopĂ©diste Michel Fallaha. Il signe un avis le 22 septembre 2008 dans lequel il retient un diagnostic de contusion cervicale et pĂ©riscapulaire droite qui n’est pas consolidĂ©e au jour de l’évaluation puisque nĂ©cessitant toujours des traitements de physiothĂ©rapie et d’ergothĂ©rapie.

[11]        Le 5 fĂ©vrier 2009, une rĂ©sonance magnĂ©tique est rĂ©alisĂ©e au niveau thoracique et de l’épaule droite. L’interprĂ©tation effectuĂ©e par le docteur Hudon rĂ©vèle de lĂ©gers signes de tendinopathie au sus-Ă©pineux sans Ă©vidence de dĂ©chirure partielle focalisĂ©e significative ou complète, ainsi qu’une lĂ©gère composante inflammatoire Ă  la bourse sous-acromiale sous-deltoĂŻdienne.

[12]        Le 24 mars 2009, madame Vetter est de nouveau convoquĂ©e en expertise par son employeur. Ă€ la suite de l’examen, le docteur Giasson estime que la date de consolidation et les autres conclusions qu’il a prĂ©alablement Ă©tablies sont toujours valides du point de vue mĂ©dical, mais dĂ©signe un plateau thĂ©rapeutique en date du 24 mars 2009 Ă  titre administratif.

[13]        Le 27 avril 2009, le docteur De Sanctis signe de nouveau son dĂ©saccord Ă  l’opinion du docteur Giasson.

[14]        Le 22 juin 2009, l’orthopĂ©diste et membre du Bureau d’évaluation mĂ©dicale Hany Daoud Ă©met un avis relativement aux sujets 2 Ă  5 Ă©noncĂ©s Ă  l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1].

[15]        Ce spĂ©cialiste retient finalement Ă  titre de date de consolidation le 15 juin 2009 avec suffisance de soins et absence de sĂ©quelles permanentes.

[16]        Le mĂ©decin qui a charge complète pour sa part un Rapport final trois jours plus tard et signale que la travailleuse peut reprendre son travail rĂ©gulier considĂ©rant l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

[17]        Le 5 janvier 2011, la Commission des lĂ©sions professionnelles[2] rend une dĂ©cision par laquelle elle dĂ©clare la lĂ©sion professionnelle de la travailleuse consolidĂ©e en date du 15 juillet 2008 avec suffisance de soins.

[18]        Le 15 novembre 2011, la CSST refuse de dĂ©simputer les visites mĂ©dicales, les frais d’établissement de santĂ© et les frais de dĂ©placement après le 15 juillet 2008. Cette dĂ©cision est maintenue ultĂ©rieurement par la rĂ©vision administrative.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[19]      La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©terminer s’il y a lieu de dĂ©simputer le dossier de l’employeur des coĂ»ts reliĂ©s Ă  ces visites mĂ©dicales effectuĂ©es après le 15 juillet 2008.

[20]      L’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles se lit comme suit :

326.  La Commission impute Ă  l'employeur le coĂ»t des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu Ă  un travailleur alors qu'il Ă©tait Ă  son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[21]      Le premier alinĂ©a de cette disposition prĂ©voit spĂ©cifiquement que la CSST impute Ă  l’employeur le coĂ»t des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu Ă  un travailleur alors qu’il Ă©tait Ă  son emploi. (notre soulignement)

[22]      La loi dĂ©finit la notion de prestation Ă  son article 2 :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

 « prestation Â» : une indemnitĂ© versĂ©e en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la prĂ©sente loi;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

[23]      Dans le prĂ©sent dossier, l’employeur demande au tribunal de retirer certains coĂ»ts de son dossier qui sont postĂ©rieurs au 15 juillet 2008 au motif qu’ils ne sont pas reliĂ©s Ă  l’accident du travail du 4 mai 2008 considĂ©rant la consolidation de la lĂ©sion professionnelle Ă  cette mĂŞme date. Il s’agit de sommes rattachĂ©es Ă  des frais d’assistance mĂ©dicale tel que dĂ©finis aux articles 188 et 189 de la loi :

188.  Le travailleur victime d'une lĂ©sion professionnelle a droit Ă  l'assistance mĂ©dicale que requiert son Ă©tat en raison de cette lĂ©sion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

189.  L'assistance mĂ©dicale consiste en ce qui suit :

 

1° les services de professionnels de la santĂ©;

 

2° les soins ou les traitements fournis par un Ă©tablissement visĂ© par la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3° les mĂ©dicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires mĂ©dicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santĂ© et disponibles chez un fournisseur agréé par la RĂ©gie de l'assurance maladie du QuĂ©bec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas Ă©tabli au QuĂ©bec, reconnu par la Commission;

 

5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visĂ©s aux paragraphes 1° Ă  4° que la Commission dĂ©termine par règlement, lequel peut prĂ©voir les cas, conditions et limites monĂ©taires des paiements qui peuvent ĂŞtre effectuĂ©s ainsi que les autorisations prĂ©alables auxquelles ces paiements peuvent ĂŞtre assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

[24]        L’employeur rĂ©fère au soutien de sa demande aux conclusions qui ont Ă©tĂ© retenues rĂ©cemment par les dĂ©cideurs majoritaires dans l’affaire Centre hospitalier de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al-Pavillon Mailloux et al. et CSST[3], alors qu’un banc de trois juges Ă©tait saisi spĂ©cifiquement de cette question. La position arrĂŞtĂ©e est ainsi rĂ©sumĂ©e :

[447] En conclusion, le tribunal rappelle que :

a) les employeurs ont un intérêt réel à demander le retrait de leur dossier d’expérience des coûts relatifs aux visites médicales effectuées après la date de la consolidation d’une lésion attribuable à un accident du travail sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, même si ces coûts considérés individuellement peuvent sembler minimes;

b) le premier alinéa de l’article 326 de la loi constitue le fondement juridique d’une telle démarche;

c) l’employeur doit agir dans le dĂ©lai de trois ans prĂ©vu Ă  l’article  2925 du Code civil du QuĂ©bec;

d) le point de départ de ce délai est la date où il prend ou il aurait dû prendre connaissance de l’imputation de coûts postérieurs à la date de la consolidation de la lésion professionnelle sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle;

e) toutefois, conformément à ce qui est édicté à l’article 2878 du Code civil du Québec, le tribunal n’a pas à suppléer d’office le moyen résultant de la prescription et à soulever d’office un tel délai;

f) l’article 2 de la loi énonce qu’une lésion professionnelle peut faire l’objet d’une guérison ou d’une stabilisation;

g) une lésion professionnelle guérie est celle qui entraîne un rétablissement complet du travailleur et, donc, une non-nécessité de soins ou de traitements et une absence d’atteinte permanente et de limitation fonctionnelle;

h) une lésion professionnelle guérie ne génère plus de conséquences médicales et n’est donc plus sujette à l’indemnisation, sauf si la preuve révèle des situations particulières permettant d’écarter un tel constat;

i) la consolidation d’une lésion professionnelle sans nécessité de traitements, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle entraîne la fin de l’imputation des coûts relatifs aux visites médicales au dossier d’expérience des employeurs, sans égard au fait que cette consolidation soit déterminée par le médecin qui a charge du travailleur ou qu’elle soit acquise au terme d’un processus d’évaluation médicale et de décisions rendues par la CSST ou par la Commission des lésions professionnelles;

j) le fardeau de la preuve qui incombe à l’employeur est donc de démontrer que les coûts des visites médicales dont il requiert le retrait de son dossier d’expérience émanent d’un accident du travail et sont générés après la date de la consolidation de la lésion professionnelle sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle;

k) les frais relatifs à la procédure d’évaluation médicale doivent toutefois, s’ils n’ont pas déjà été retirés du dossier d’expérience de l’employeur, demeurer imputés à ce dossier puisqu’ils sont toujours générés en raison de la lésion professionnelle et qu’ils sont essentiels à la détermination des conséquences médicales finales de cette lésion.

[448] Le tribunal procédera donc à l’analyse de chacun des cas types soumis par les employeurs et elle en décidera à la lueur des critères énoncés précédemment.

[25]        Il y a lieu de mentionner cependant qu’une dissidence se rattache Ă  cette dĂ©cision et que cette dernière ne règle consĂ©quemment pas la polĂ©mique en cours. Ainsi, bien qu’il aurait Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable pour favoriser l’équitĂ©, la prĂ©visibilitĂ© et l’égalitĂ© de traitement de parvenir Ă  un consensus, ce rĂ©sultat souhaitĂ© n’a toutefois pas Ă©tĂ© atteint et autorise clairement la poursuite de la rĂ©flexion en semblable matière, et ce, d’autant qu’une requĂŞte en rĂ©vision judiciaire de cette dĂ©cision a Ă©tĂ© portĂ©e.


[26]        La juge Perron tient les propos suivants lorsqu’elle signe sa dissidence :

[472] D’autre part, comme la Cour supĂ©rieure a eu l’occasion de le rappeler « la notion de consolidation est essentiellement mĂ©dicale Â»[72]. La question de la consolidation d’une lĂ©sion doit ĂŞtre tranchĂ©e sur la base de considĂ©rations mĂ©dicales[73].

[473] Ces mêmes remarques s’appliquent à l’égard des conclusions relatives à l’absence de la nécessité des soins ou traitements, l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

[474] Toutefois, au contraire, la détermination qu’une prestation est due en raison d’un accident du travail relève essentiellement de l’ordre juridique, car il s’agit alors de vérifier l’existence ou l’absence d’une relation de cause à effet (lien causal) entre l’accident du travail et, en l’occurrence, la visite médicale.

[475] Je ne crois pas que des conclusions essentiellement médicales doivent automatiquement emporter le sort d’une question essentiellement juridique.

[476] Avec respect pour l’opinion contraire, je suis donc d’avis que l’on ne peut conclure à l’absence de relation entre des services de professionnels de la santé et un accident du travail pour la seule raison qu’une lésion professionnelle est consolidée sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle. Cela explique ma dissidence avec les conclusions émises par le tribunal aux paragraphes i) et j).

[477] À mon avis, il y a toujours lieu d’examiner si la visite médicale est bel et bien effectuée « en raison de la lésion » pour déterminer si son coût peut être imputé à l’employeur parce qu’il est alors dû « en raison de l’accident du travail ».

[478] Notons ici que cette vérification est simple. En général, un rapport médical complété par le médecin qui a charge figure au dossier. Tel qu’indiqué par un des témoins des employeurs et comme la Commission des lésions professionnelles est elle-même en mesure de le constater, en pratique, le médecin complète toujours un rapport médical pour la CSST lorsqu’il s’agit d’une consultation qu’il constate être en raison de l’accident du travail. À l’inverse, en l’absence d’un tel rapport, il y a lieu d’avoir de sérieux doutes quant à la relation entre la consultation et l’accident du travail. Également, plus le temps s’écoule entre la date de la consolidation d’une lésion et une visite médicale, plus le lien de causalité entre les deux s’amenuise. On s’approche alors davantage à une guérison qu’à une stabilisation sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle. Il s’agit toujours d’une appréciation de l’ensemble des faits.

[479] En pratique, la date de consolidation de la lésion est fixée dans l’un ou l’autre des scénarios suivants :

· La date de la consolidation de la lésion professionnelle est déterminée par la CSST à la suite de l’émission d’un rapport final par le médecin qui a charge;

· La date de la consolidation de la lésion professionnelle est déterminée par la CSST à la suite d’un avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale qui l’a fixée à la date de son examen ou à une date antérieure;

· La date de la consolidation de la lésion professionnelle est déterminée par la Commission des lésions professionnelles à la suite d’une audience ou d’une entente qui l’a fixée nécessairement à une date antérieure à la décision.

[480] Dans la plupart des cas, la première situation met fin aux visites médicales. Au cas contraire, les faits particuliers du dossier doivent être analysés pour déterminer si les coûts engendrés sont oui ou non en raison de l’accident en dépit de la consolidation.

[481] Les litiges (demandes de transfert d’imputation) surgissent surtout dans les cas où la date de consolidation a été fixée par un membre du Bureau d’évaluation médicale ou par la Commission des lésions professionnelles alors qu’elle est saisie d’une contestation à ce sujet. L’employeur demande alors de ne pas être imputé pour les visites médicales effectuées par le travailleur pendant la période où il y avait une contestation médicale et que la date de consolidation de la lésion n’était pas définitivement établie, ni médicalement, ni juridiquement.

La procédure d’évaluation médicale et les recours

[482] Rappelons qu’en cas de litige, la loi offre à la fois une procédure d’évaluation médicale détaillée pour contester des conclusions médicales précises et une procédure de contestation sur le plan juridique, à plusieurs paliers.

[483] En ce qui concerne les conclusions médicales contestables, celles-ci sont décrites à l’article 212 de la loi :

212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

1° le diagnostic;

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

[484] On remarque que les services de professionnels de la santé prévus à titre d’assistance médicale n’y figurent pas. Peut-on assimiler les services d’un professionnel de la santé, ici une visite médicale, aux termes « soins ou traitements administrés ou prescrits » que l’on retrouve au troisième alinéa de l’article 212 ?

[485] Dans la Loi médicale[74], l’article 31 énonce en quoi consiste l’exercice de la médecine :

31. L'exercice de la médecine consiste à évaluer et à diagnostiquer toute déficience de la santé de l'être humain, à prévenir et à traiter les maladies dans le but de maintenir la santé ou de la rétablir.

Dans le cadre de l'exercice de la médecine, les activités réservées au médecin sont les suivantes:

1° diagnostiquer les maladies ;

2° prescrire les examens diagnostiques;

3° utiliser les techniques diagnostiques invasives ou présentant des risques de préjudice;

4° déterminer le traitement médical;

5° prescrire les médicaments et les autres substances;

6° prescrire les traitements;

7° utiliser les techniques ou appliquer les traitements, invasifs ou présentant des risques de préjudice, incluant les interventions esthétiques;

8° exercer une surveillance clinique de la condition des personnes malades dont l'état de santé présente des risques;

9° effectuer le suivi de la grossesse et pratiquer les accouchements;

10° décider de l'utilisation des mesures de contention.

__________

1973, c. 46, a. 29; 2002, c. 33, a. 17.

[486] On comprend que lors d’une visite médicale, le médecin peut poser une foule d’actes différents. Notamment, il peut prescrire un traitement qu’il prodiguera lui-même. Il apparaît donc clairement, qu’une visite médicale ne peut être assimilable à un soin ou traitement. D’ailleurs, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, à laquelle se rallie le tribunal, considère que le législateur, lorsqu’il traite des « services de professionnels de la santé » à l’article 189 de la loi et des « soins et traitements » à l’article 212, fait appel à deux notions distinctes, non assimilables.

[487] La soussignée estime qu’il faut donc tenir compte de cette distinction et non simplement la constater et déclarer ensuite « qu’il s’agit de deux entités » mais qu’elles doivent connaître le même sort.

[488] Si le législateur avait voulu qu’on confonde ces deux notions ou qu’on les traite pareillement, il n’aurait eu qu’à inclure les visites médicales avec les soins et traitements au point 3 des éléments médicaux contestables énoncés à l’article 212 de la loi. Ou, il n’aurait eu qu’à indiquer, au chapitre de l’Assistance médicale, qu’un travailleur n’a plus droit aux services de professionnels de la santé lorsque sa lésion est consolidée et même y préciser que ceci s’applique que lors d’une consolidation sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle.

[489] L’article 224.1 de la loi établit que la CSST est liée par l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale lorsqu’il se prononce sur les points médicaux prévus à l’article 212 de la loi et rend une décision en conséquence :

224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

[…]

__________

1992, c. 11, a. 27.

[490] Par conséquent, à la suite de l’examen par le membre du Bureau d'évaluation médicale, le travailleur est avisé, et ce par une décision de la CSST, de la date de la consolidation de sa lésion professionnelle. Celle-ci est, soit rétroactive à la date de l’examen par le médecin désigné de l’employeur, soit fixée à la date de l’examen par le membre du Bureau d'évaluation médicale.

[491] Notons que l’article 361 de la loi prévoit que la décision rendue a un effet immédiat, malgré une demande de révision :

361. Une décision de la Commission a effet immédiatement, malgré une demande de révision, sauf s'il s'agit d'une décision qui accorde une indemnité pour dommages corporels ou une indemnité forfaitaire de décès prévue par les articles 98 à 100 et 101.1, le deuxième alinéa de l'article 102 et les articles 103 à 108 et 110, auquel cas la décision a effet lorsqu'elle devient finale.

__________

1985, c. 6, a. 361; 1989, c. 74, a. 10; 1992, c. 11, a. 34; 2009, c. 19, a. 8.

[492] La procédure d’évaluation médicale prévue à la loi est alors complétée.

[493] Par ses articles 349, 358 et suivants et 359 et suivants, la loi instaure un système décisionnel à trois niveaux : la décision initiale, la décision à la suite d’une révision administrative et la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles.

[494] Il ressort de ce qui précède que la loi permet les visites médicales et qu’elle n’instaure pas de mécanisme médical pour contester leur bien-fondé comme elle le fait pour les soins et traitements. Ainsi, à l’issue de la procédure d’évaluation médicale, aucune décision n’est rendue quant au droit du travailleur de consulter son médecin ni à l’issue de la contestation sur le plan juridique, cette question ne pouvant faire partie du litige.

L’analyse et le fardeau de preuve

[495] Le tribunal considère que pour donner effet à la consolidation et aux décisions portant sur les conséquences médicales d’un accident du travail il faut, sur simple preuve de la consolidation, sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle, conclure que la visite médicale ne peut avoir eu lieu« en raison de l’accident du travail » à moins d’une preuve contraire, précise-t-on. Ce faisant, le tribunal procède à un transfert d’imputation puisque la preuve de la date de consolidation et de l’absence de déficit anatomo-physiologique et de limitations fonctionnelles a été fournie. Il considère tenir ainsi compte de « l’ensemble des conséquences médicales finales résultant de la lésion professionnelle ». Par ailleurs, le tribunal estime que de demander une preuve additionnelle à l’employeur serait lui imposer un fardeau trop lourd et, dans la très grande majorité des cas, impossible à respecter.

[496] La soussignĂ©e est plutĂ´t d’avis que, dans les faits, lors d’une demande de retrait des coĂ»ts des visites mĂ©dicales, le dossier dĂ©montre qu’il y a eu des visites mĂ©dicales qui ont Ă©tĂ© faites auprès du mĂ©decin qui a charge ou auprès d’un consultant et que ces mĂ©decins ont complĂ©tĂ© un rapport mĂ©dical. Avec respect, dĂ©cider en de telles circonstances, que le travailleur n’a pas ainsi consultĂ© son mĂ©decin en raison de son accident du travail Ă©quivaut Ă  fonder sa dĂ©cision sur certains faits seulement (la preuve de la consolidation sans dĂ©ficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle Ă©tablie par la Commission des lĂ©sions professionnelles) sans tenir compte du reste de la preuve (par exemple, que le travailleur a consultĂ© son mĂ©decin parce que ce dernier Ă©tait d’avis que la lĂ©sion n’était pas consolidĂ©e). Ce n’est pas parce que la Commission des lĂ©sions professionnelles subsĂ©quemment, avec l’ensemble de la preuve prĂ©sentĂ©e y compris souvent des expertises mĂ©dicales supplĂ©mentaires par les deux parties, conclut Ă  une consolidation sans dĂ©ficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle que l’on doive conclure que le travailleur n’a pas consultĂ© « en raison de son accident du travail Â». Ce raisonnement m’apparaĂ®t ne pas tenir compte de l’ensemble de la preuve prĂ©sentĂ©e. De plus, il s’agit lĂ  d’un raisonnement basĂ© sur une dĂ©duction et non sur des faits prouvĂ©s : on « infère Â» que le travailleur n’a pas consultĂ© « en raison de sa lĂ©sion professionnelle » malgrĂ© que, tel que permis par la loi, il a consultĂ© et le mĂ©decin a complĂ©tĂ© un rapport mĂ©dical et que ceci figure au dossier.

[497] Pour ces motifs, la soussignée ne peut se rallier à l’opinion voulant que, dans de telles conditions, ces visites médicales n’ont pas été effectuées en raison de l’accident du travail subi et que les frais qui en découlent ne constituent pas un risque assurable pour l’employeur concerné.  (références omises)

[27]        La soussignĂ©e estime plus conforme Ă  l’esprit du rĂ©gime de mĂŞme qu’au caractère exceptionnel de la dĂ©simputation de se rallier Ă  cette dernière position.

[28]        Il est intĂ©ressant de noter sur cette question que tous les dĂ©cideurs du banc de trois s’entendent Ă  l’effet qu’il faut imputer au dossier de l’employeur le coĂ»t des frais reliĂ©s au processus de contestation mĂ©dicale, et ce, peut importe la rĂ©troaction en cause d’une date de consolidation et la manière d’y parvenir. La majoritĂ© dĂ©cisionnelle cependant soustrait de ce principe le coĂ»t affĂ©rant aux visites au mĂ©decin qui a charge du travailleur.

[29]        La soussignĂ©e estime pour sa part que ces visites au mĂ©decin traitant font partie intĂ©grante du mĂ©canisme de contestation puisque sans un avis de ce professionnel de la santĂ©, il ne saurait y avoir amorce du mĂ©canisme de contestation mĂ©dicale. Il est clair en effet que l’article 212 de la loi, notamment, ne rĂ©fère pas seulement aux formulaires de Rapport final ou de Rapport d’évaluation mĂ©dicale, mais bien Ă  tout rapport ou attestation produit par le mĂ©decin qui a charge. Ainsi, dans un esprit logique, il y a lieu Ă©galement de conclure que les frais de ces visites mĂ©dicales se doivent de demeurer facturĂ©es Ă  l’employeur.

[30]        Le tribunal considère que la visite mĂ©dicale appartient Ă  un processus Ă©volutif permettant Ă  un employeur ou Ă  la CSST d’enclencher les contestations mĂ©dicales. La question de savoir si le soin est ou non toujours requis appelle pour sa part une rĂ©ponse strictement mĂ©dicale. Il y a donc lieu en dĂ©finitive de distinguer le vĂ©hicule ou le moyen versus le rĂ©sultat.

[31]        Ă€ cet Ă©gard , la juge administrative Perron Ă©crit avec justesse dans l’affaire EntrepĂ´t non-pĂ©rissable MontrĂ©al[4] ce qui suit :

[20]      Par ailleurs, selon la Commission des lésions professionnelles, tant que le médecin qui a charge n’a pas consolidé la lésion et qu’un processus de contestation au Bureau d'évaluation médicale est entamé, les visites médicales au médecin qui a charge ou à des consultants sont nettement en relation avec la lésion professionnelle. Peut-être que le fait de déterminer une date antérieure de consolidation par la suite signifie que la nécessité de ces visites étaient discutables, mais il n’en demeure pas moins qu’elles ont été faites en relation avec la lésion professionnelle et le législateur n’exige pas la démonstration du bien-fondé ou non des visites médicales.

 

 

[32]        la soussignĂ©e est d’avis que toute conclusion contraire vide de son sens la procĂ©dure de contestation mĂ©dicale Ă©tablie par le lĂ©gislateur et le principe gĂ©nĂ©ral d’imputation voulant qu’un employeur soit responsable des coĂ»ts liĂ©s Ă  une lĂ©sion qui survient chez lui.

[33]        De plus, en optant pour un tel raisonnement, le tribunal est d’opinion qu’il donne malgrĂ© tout un effet juridique aux dĂ©cisions finales faisant suite Ă  un accord ou Ă  une dĂ©cision dĂ©terminant rĂ©troactivement une date de consolidation puisque le mĂ©rite de l’affaire concerne alors spĂ©cifiquement la question des soins ou des traitements. Or, les frais qui y sont liĂ©s sont pour leur part dĂ©simputĂ©s lorsque jugĂ©s non nĂ©cessaires postĂ©rieurement Ă  la date de consolidation retenue.

[34]        Il est Ă©loquent au surplus, dans le prĂ©sent dossier, de constater que l’employeur indique dans son argumentaire Ă©crit qu’il demande au tribunal de dĂ©clarer que les coĂ»ts de mĂŞme que les frais liĂ©s Ă  la lĂ©sion professionnelle doivent ĂŞtre dĂ©simputĂ©s de son dossier Ă  partir du 15 juillet 2008. (nos soulignements)

[35]        En dĂ©finitive, la Commission des lĂ©sions professionnelles juge qu’il y a lieu de rejeter la demande de l’employeur puisque les visites mĂ©dicales ciblĂ©es et les frais de dĂ©placements ou d’établissement qui y sont rattachĂ©s appartiennent au mĂ©canisme de contestation mĂ©dical ayant menĂ© Ă  la dĂ©cision finale sur la question de la date de consolidation en date du 15 juillet 2008.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Provigo Distribution inc., l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 3 février 2012;

DÉCLARE que l’employeur doit être imputé des frais d’assistance médicale postérieurs au 15 juillet 2008, à savoir les visites médicales, les frais de déplacements et les frais d’établissements qui y sont rattachés relativement à la lésion professionnelle subie par la travailleuse, madame Nathalie-Sophia Vetter, le 4 mai 2008.

 

 

 

__________________________________

 

Isabelle Piché

 

 

 

 

Monsieur Claude Stringer

Claude Stringer inc.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q.,c. A-3.001

[2]           362873-61-0811, 5 janvier 2011, J-David Kushner

[3]           C.L.P. 383712-71-0907, 5 avril 2012, D. Martin, P. Perron et C. Racine.

[4]           C.L.P. 326368-71-0708, 3 septembre 2009, P. Perron.

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