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[1] Le 28 septembre 2005, Electro-Fusion (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 15 septembre 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST annule en partie la décision du 9 mai 2005 relative à la reconsidération d’une décision du 18 avril 2005 mais confirme le reste de la décision concernant le trouble d’adaptation.
[3] Dans cette même décision, la CSST déclare nulle la décision rendue par la CSST le 30 juin 2005. Celle-ci est à l’effet de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 30 juin 2005, advenant le cas où un palier d’appel renversait la décision du 9 mai 2005, parce que le travailleur a refusé ou négligé de fournir les renseignements demandés, le tout en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[4] L’audience s’est tenue à Saint-Jérôme, le 25 juillet 2006, en l’absence du travailleur et de son représentant, lequel toutefois a informé le tribunal qu’il allait transmettre une argumentation écrite. Pour sa part, Electro-Fusion (l’employeur) est représenté. Le représentant de l’employeur a demandé au tribunal de soumettre une argumentation écrite. Après réception des argumentations des parties, le dossier a été pris en délibéré, et ce, à compter du 15 août 2006.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer régulière la reconsidération effectuée par la CSST le 9 mai 2005 de sa décision initiale du 18 avril 2005. Il demande également de conclure que, le 13 janvier 2005, le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 20 janvier 2003. Enfin, il demande que soit confirmée la décision de la CSST rendue le 30 juin 2005 à l’effet de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
LES FAITS
[6] Le 20 janvier 2003, monsieur Jonathan Thibault (le travailleur) occupe un poste de conducteur de chariot-élévateur. Le jour de l’événement il fait une chute au sol en descendant de son chariot-élévateur en raison d’une poutre métallique qui bascule. À cette occasion, il est projeté au sol et la poutre tombe sur son membre supérieur gauche.
[7] La CSST reconnaît alors que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle et retient les diagnostics de fracture à l’humérus gauche et de fracture avec luxation au poignet gauche.
[8] Le 19 novembre 2003, le docteur Sylvain Gagnon consolide la lésion et complète un Rapport final. Dans un Rapport d’évaluation médicale daté du 21 janvier 2004, le docteur Gagnon suggère au travailleur de porter une orthèse au poignet au besoin et indique que la lésion a laissé un déficit anatomo-physiologique de 8 % ainsi qu’un préjudice esthétique de 4 % en plus des limitations fonctionnelles suivantes :
- Éviter de pousser, tirer, soulever des charges de plus de 20 livres de façon répétée ;
- Éviter les torsions et contrecoups au membre supérieur gauche.
[9] Le 11 mars 2004, la CSST déclare qu’il résulte de la lésion professionnelle du 20 janvier 2003 une atteinte permanente de 13,60 %.
[10] Le 26 avril 2004, la CSST retient l’emploi convenable de chauffeur de « lift » et emballeur et déclare que le travailleur est capable de l’exercer à compter du 26 avril 2004, date à laquelle le versement des indemnités de remplacement du revenu prendra fin, puisque l’emploi est disponible et que cet emploi rapportera un revenu équivalent ou supérieur au revenu prélésionnel.
[11] Le 13 janvier 2005, le docteur A. Payne complète une Attestation médicale selon laquelle le travailleur est victime d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle du 20 janvier 2003. Il pose alors un diagnostic de fracture complexe avec luxation du poignet gauche ainsi qu’un trouble d’adaptation. Il réfère le travailleur en orthopédie et recommande des travaux légers.
[12] Un électromyogramme est effectué le 2 mars 2005. Dans son rapport, le docteur Jean-Marie Peyronnard, neurologue, mentionne ce qui suit : « Donc, les seules "discrètes irrégularités" concernent le nerf cubital gauche, où on a constaté une discrète diminution d’amplitude des réponses sensitives enregistrées dans les terminaisons de ce nerf, s’ajoutant à une légère décélération de conduction constatée dans les fibres motrices du nerf cubital gauche, essentiellement au niveau du coude. Le reste de l’évaluation s’est révélé entièrement normal. »
[13] Le 4 mars 2005, le docteur Michael Rosman, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur et réfère à une ancienne fracture à l’humérus et au radius gauche. Le 10 mars suivant, il mentionne à nouveau cette ancienne fracture et ajoute que le résultat de l’électromyogramme met en évidence de discrets changements sensitifs au niveau du nerf cubital gauche.
[14] Le 14 avril 2005, le docteur D. Cousineau, du bureau médical de la CSST, mentionne aux notes évolutives qu’il y a eu un traumatisme important au bras gauche en janvier 2003, qu’une importante diminution de la force au bras gauche avait été notée en janvier 2004 mais qu’aucune attention n’a été portée à ce fait. Le docteur Cousineau ajoute qu’un électromyogramme a été fait, en raison de la présence de dysesthésie au bras gauche, et que le résultat de ce test a montré une atteinte du nerf cubital. Il ajoute qu’une expertise en neurologie serait utile.
[15] Le 18 avril 2005, la CSST accepte la réclamation du travailleur relative à une récidive, rechute ou aggravation et déclare que la lésion, diagnostiquée comme étant un changement sensoriel du nerf cubital gauche qui s’est manifesté le 13 janvier 2005, est en relation avec la lésion initiale du 20 janvier 2003.
[16] Le 21 avril 2005, la docteure Allard, du bureau médical de la CSST, est sollicitée pour émettre une opinion médicale approfondie. Le docteur Allard est alors d’avis que la situation actuelle du travailleur est superposable à la condition dans laquelle il se trouvait au moment de la rédaction du Rapport d’évaluation médicale daté du 21 janvier 2004, puisque des dysesthésies au membre supérieur gauche étaient déjà notées. Selon ce médecin, le « substratum anatomique » aux dysesthésies déjà présentes et mises en évidence par l’électromyogramme aurait probablement aussi été noté avant le 21 janvier 2004, si un électromyogramme avait été effectué à l’époque.
[17] Suite à cette deuxième opinion médicale du bureau médical, la CSST examine à nouveau l’admissibilité de la réclamation du travailleur, de telle sorte qu’elle rend une décision le 9 mai 2005 dans laquelle elle reconsidère sa décision du 18 avril 2005. Elle déclare qu’il n’y a pas de détérioration objective de la condition au poignet gauche et refuse la réclamation du travailleur pour la récidive, rechute ou aggravation alléguée du 13 janvier 2005.
[18] Le 17 mai 2005, le docteur Jacques Étienne Des Marchais examine le travailleur à la demande de la CSST. À l’analyse de l’électromyogramme il constate qu’il y a des modifications très légères et anciennes au niveau du nerf cubital gauche. Selon lui, le travailleur présente une légère amélioration puisque la flexion du coude est complète à 140°. Par contre, il note que la perte d’’extension demeure de 5° et que la perte de supination est encore de 60°. À son avis, le travailleur ne présente aucune aggravation sur le plan objectif.
[19] Le 15 juin 2005, une agente de la CSST communique avec la secrétaire du représentant du travailleur, monsieur Daniel Sabourin. Elle lui demande d’identifier par écrit le nom du médecin qui a charge du travailleur, afin d’être en mesure de lui transmettre le rapport d’expertise du docteur Des Marchais ainsi qu’un formulaire pour un rapport complémentaire.
[20] Or, le 23 juin 2005, en guise de réponse à cette demande, le représentant du travailleur écrit à la CSST et lui demande de reconsidérer la décision du 9 mai 2005, afin de reconnaître la récidive, rechute ou aggravation. Il demande également de rétablir le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Il précise que c’est à cette condition que le travailleur consentira à identifier le nom de son médecin traitant.
[21] Le 30 juin 2005, la CSST rend une décision en application de l’article 142 de la loi et suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date puisque le travailleur a refusé ou négligé de fournir les renseignements demandés.
[22] Le 5 juillet 2005, le représentant du travailleur transmet une lettre à la CSST dans laquelle il indique que le docteur Allen Payne est le médecin qui a charge du travailleur. Il demande alors la révision de la décision du 30 juin 2005.
[23] La CSST fait alors parvenir au docteur Payne un formulaire intitulé « Rapport complémentaire » afin qu’il donne son avis sur la possibilité d’une aggravation de l’état de santé du travailleur depuis le Rapport d’évaluation médicale du 21 janvier 2004.
[24] Le 3 octobre 2005, le docteur Payne complète un Rapport complémentaire. Il confirme alors que le travailleur connaît une aggravation de son état depuis son évaluation du 21 janvier 2004.
[25] Le 14 janvier 2006, le docteur Payne complète un autre Rapport complémentaire dans lequel il pose alors le diagnostic d’anciennes fractures à l’humérus et au poignet gauche. Il conclut que la lésion est consolidée et prévoit une atteinte permanente. À la suite de la réception de ce rapport, la CSST transmet le dossier au Bureau d’évaluation médicale.
[26] Le 16 février 2006, le docteur Sevan Gregory Ortaaslan, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, rend son avis motivé sur les conséquences de la récidive, rechute ou aggravation du 13 janvier 2005, soit la date de consolidation, les traitements, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles résultant du diagnostic de changement sensoriel du nerf cubital gauche.
L’AVIS DES MEMBRES
[27] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la CSST ne pouvait reconsidérer sa décision initiale du 18 avril 2005 puisqu’aucune erreur n’est démontrée comme le requiert le libellé de l’article 365 de la loi. Dès lors, ils estiment que la décision rendue le 9 mai 2005 constitue une reconsidération illégale et qu’il y a lieu de rétablir la décision du 18 avril 2005 qui accepte la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation du 13 janvier 2005.
[28] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs constatent que le représentant du travailleur a refusé de transmettre à la CSST une information qui était nécessaire au dossier, ce qui ne respectait pas les dispositions de la loi à l’égard de la procédure d’évaluation médicale. Ils estiment qu’en raison du mandat donné par le travailleur à son représentant, ce dernier doit assumer les conséquences d’un tel refus d’agir. Ce faisant, la décision de la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu était donc justifiée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[29] Le tribunal doit déterminer si la décision rendue par la CSST, le 9 mai 2005 constitue une reconsidération conforme à l’article 365 de la loi. Advenant que cette décision ne respecte pas ladite disposition, le tribunal devra également déterminer si la CSST pouvait effectuer une suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu en application de l’article 142 de la loi.
[30] L’article 365 de la loi prévoit la possibilité pour la CSST de reconsidérer une décision qu’elle a rendue. Cet article se lit comme suit :
365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.
Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.
Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.
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1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.
[31] Dans le présent dossier, la décision de reconsidération datée du 9 mai 2005 est rendue à l’intérieur du délai de 90 jours prévu à la loi. De plus, en date du 9 mai 2005, aucune décision n’avait été rendue à la suite d’une révision administrative. Dans ce contexte, si la CSST constatait une erreur ou qu’elle avait rendue sa décision avant que ne soit connu un fait essentiel, elle pouvait alors valablement reconsidérer sa décision initiale d’admissibilité du 18 avril 2005.
[32] Dans l’affaire Aubé & Aubé inc. et Delanoix[2] la Commission des lésions professionnelles analyse l’évolution du libellé de l’article 365 de la loi et en conclut ce qui suit :
[…]
[26] Les termes toute erreur sont les plus larges et les plus exhaustifs qui soient. Ils incluent en eux-mêmes tous les types d’erreurs, qu’il s’agisse d’erreurs de faits, d’erreurs de droit ou d’erreurs d’appréciation des faits. Il est manifeste que l’intention du législateur était de permettre à la CSST d’utiliser son pouvoir de reconsidération de façon non limitative, à condition de le faire dans un délai de 90 jours suivant le jour où la décision initiale a été rendue4. Ce faisant, le législateur entendait manifestement écarter la jurisprudence développée précédemment.
[27] Avec égard pour l’opinion contraire5, la commissaire soussignée est d’avis que l’intention du législateur est limpide et qu’il ne lui appartient pas de juger de l’opportunité de l’amendement apporté en 1992 à l’article 365. Il semble que ce soit ce qu’on fait indirectement, lorsqu’on exige de la CSST la preuve qu’elle a commis une véritable erreur, ce qu’apprécie le tribunal et non la CSST elle-même, afin de reconnaître son pouvoir de reconsidérer. Cet exercice équivaut à évaluer si quant au fond, la CSST a bien apprécié la question sur laquelle elle s’est prononcée. Avec égard, l’exercice doit être fait au stade ultérieur et non à l’étape de l’ouverture au pouvoir de reconsidération. Autrement, on ne permettrait à la CSST de se reconsidérer que si on est en accord avec elle sur le fond de la question. La commissaire soussignée ne croit pas que le législateur a voulu pareil résultat.
[28] L’erreur commise initialement dans le présent cas serait, selon la CSST, celle d’avoir mal apprécié le lien de causalité entre l’incident décrit par le travailleur et les pathologies. Il s’agit d’une erreur d’appréciation des faits qui est comprise dans l’expression toute erreur. La CSST n’avait qu’à agir dans les 90 jours pour corriger l’erreur qu’elle croit avoir commise, ce qu’elle a fait en l’espèce. Il n’y a pas à aller plus loin : les conditions d’ouverture au pouvoir de reconsidération visé à l’alinéa 1 sont réunies.
[…]
[33] Il est maintenant établi que l’article 365 de la loi étant une disposition d’exception et qui est susceptible de porter atteinte au principe de la stabilité et de l’irrévocabilité des décisions, il doit être interprété restrictivement.
[34] Dans Lebel et Union Carbide Canada ltée.[3] la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST ne peut reconsidérer sa décision lorsqu’au moment de sa décision initiale, elle avait en mains toutes les informations nécessaires.
[35] Dans Succession Gaston Lacasse et CSST[4], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles s’exprime en ce qui concerne la notion de « toute erreur » prévue au premier alinéa de l’article 365. Le tribunal rappelle que la reconsidération est un recours extraordinaire qui exige une preuve exhaustive et qui ne peut se limiter à l’expression de quelques commentaires. Ainsi, une erreur doit exister et doit être démontrée de façon rigoureuse.
[36] Dans l’affaire Renaud et Services Joron Chicoutimi ltée[5], la Commission des lésions professionnelles écrit ce qui suit relativement au pouvoir de la CSST de reconsidérer l’une de ses décisions sur la base du changement d’opinion de l’un de ses médecins :
[…]
[34] La Commission des lésions professionnelles établit que la preuve documentaire aurait dû révéler l’existence d’une erreur afin de justifier le fondement même de la reconsidération. En effet, bien que cette disposition de la loi permette à la CSST de corriger toute erreur, faut-il encore qu’une telle erreur ait été commise.
[35] La Commission des lésions professionnelles considère que l’opinion d’un de ses médecins modifiant une première opinion de la CSST ne peut constituer une erreur au sens de la loi.
[…]
[37] De même, dans l’affaire Gilles Simonet et Domaine boisé Miramont inc. et Guy et Dodo Moralie et Restaurant l’Actuel et Restaurant La Marguerite et Restaurant La Soubise inc.[6], la commissaire Giroux s’exprimait ainsi :
(…)
Si l’amendement porté à la loi en 1992 pour permettre à la Commission de reconsidérer une décision pour corriger toute erreur, il ne lui permet pas à revenir purement et simplement sur une décision parce qu’un nouvel examen de la question l’amène à décider différemment. Il en va du respect du principe de la stabilité des décisions.
(…)
Dans l’espèce, il appert que la Commission a reconsidéré sa décision en juillet 1995 parce que deux médecins régionaux de la Commission ont émis une opinion contraire à celle qu’un de leur collègue avait émise dans un premier temps. Les extraits reproduits plus haut des notes évolutives du dossier n’identifient en effet aucune erreur précise commise dans l’appréciation du dossier. Un examen attentif de celui-ci ne permet pas de mettre en évidence une telle erreur si ce n’est que les médecins consultés le 19 mai et le 19 juillet ont donné une opinion contraire à celle qu’avait donné le premier médecin le 2 mai.
(…)
Le législateur a adopté en 1992 une modification à l’article 365 de la loi pour permettre à la Commission de corriger toute erreur. Ce terme n’est pas défini ni qualifié et il n’appartient pas à la Commission d'appel d’en restreindre le sens. Ceci dit, cependant, et comme l’a dit la Commission d'appel dans les affaires précitées, il faut qu’une erreur existe et soit mise en preuve.
[…] [sic]
[38] Le tribunal constate dans le dossier que la CSST disposait, en date du 9 mai 2005, des mêmes documents, à savoir des rapports médicaux et le rapport de l’électromyogramme du 2 mars 2005, que ceux qui avaient été portés à sa connaissance au moment de rendre sa décision le 18 avril 2005. La CSST avait en main tous les rapports médicaux des docteurs Payne et Rosman rédigés entre les mois de janvier et mars 2005. Elle avait également en main une opinion émanant de son bureau médical, en l’occurrence l’opinion émise par le docteur Cousineau.
[39] Le seul élément nouveau au dossier est l’obtention d’un deuxième avis de son bureau médical, soit celui de la docteure Allard. Or, cet avis ne commente aucun autre élément du dossier médical et ne constitue en fait qu’une opinion différente d’un autre médecin quant au même dossier médical. Ce deuxième avis, n’ajoute donc rien de nouveau ou ne corrige aucune erreur quant à la décision à rendre sur la réclamation du travailleur pour la récidive, rechute ou aggravation du 13 janvier 2005.
[40] Le tribunal est d’avis que le seul fait que cette opinion médicale soit différente ne permet pas de conclure que la CSST a corrigé une erreur ou encore qu’elle a pris connaissance d’un fait essentiel au sens de l’article 365 de la loi.
[41] L’existence d’une telle opinion médicale ne saurait justifier la CSST de reconsidérer une décision d’admissibilité d’une récidive, rechute ou aggravation. La CSST aurait pu obtenir ce deuxième avis avant de rendre sa décision initiale ce qu’elle n’a pas fait. D’ailleurs, cette opinion a été obtenue le 21 avril 2005, soit quelques jours après sa décision du 18 avril 2005. Il apparaît donc évident que la CSST pouvait demander cet avis avant de se prononcer sur la réclamation du travailleur ce qu’elle n’a pas fait. Le pouvoir de reconsidération ne peut certes pas être utilisé pour corriger une telle situation puisqu’il constitue une exception à la règle de la stabilité des décisions.
[42] Ainsi, selon l’analyse du dossier, aucune erreur ou fait essentiel n’est mis en évidence afin de donner ouverture à la reconsidération.
[43] Le tribunal conclut que la décision rendue le 9 mai 2005 par la CSST constitue une reconsidération illégale. Il convient donc de rétablir la décision initiale du 18 avril 2005 par laquelle il est reconnu que le travailleur a subi, le 13 janvier 2005, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale du 20 janvier 2003.
La suspension des indemnités
[44] Le tribunal doit maintenant décider si la CSST pouvait suspendre, à compter du 30 juin 2005, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur.
[45] Il ressort du dossier que cette suspension serait appliquée advenant qu’un palier d’appel renverserait la décision du 9 mai 2005, ce qui a été fait puisque le tribunal a rétabli la décision du 18 avril 2005.
[46] La situation invoquée par la CSST dans sa décision étant présente, il reste alors au tribunal à déterminer la régularité de la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur à compter du 30 juin 2005, et ce, jusqu’à ce qu’il fournisse les renseignements demandés.
[47] L’article 142 de la loi permet à la CSST de réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité dans certaines circonstances. Ainsi, au paragraphe 1b), on lit ce qui suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
1° si le bénéficiaire:
[…]
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
[…]
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[48] Dans le présent dossier, la CSST avisait le travailleur qu’elle allait suspendre son indemnité puisqu’il refusait ou négligeait de donner les renseignements demandés, à savoir le nom de son médecin conformément à la procédure d’évaluation médicale prévue aux articles 199 et suivants de la loi.
[49] En vertu de l’article 199 de la loi, le travailleur peut choisir son médecin pour émettre les rapports requis par la loi.
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
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1985, c. 6, a. 199.
[50] Dans le présent dossier, le travailleur a soumis une réclamation à la CSST pour une récidive, rechute ou aggravation, reliée à un diagnostic de changement sensoriel du nerf cubital gauche qui s’est manifesté le 13 janvier 2005, le tout en relation avec une lésion initiale du 20 janvier 2003.
[51] Dans le traitement de cette réclamation la CSST a demandé à un médecin d’évaluer le travailleur en conformité avec l’article 204 de la loi. C’est ainsi que le 17 mai 2005, le docteur Jacques Étienne Des Marchais a examiné le travailleur et rédigé son rapport qui a été transmis à la CSST.
[52] À cette date, le travailleur avait déposé au dossier de la CSST des rapports de plus d’un médecin, à savoir des rapports du docteur Payne ainsi que du docteur Rosman. Le travailleur avait consulté ce dernier médecin le 4 février ainsi que le 10 mars 2005.
[53] Ainsi, lorsque la CSST reçoit le rapport du docteur Des Marchais et qu’elle souhaite le transmettre au médecin qui a charge, elle doit demander au travailleur le nom dudit médecin.
[54] Or, le 15 juin 2005, une agente de la CSST communique avec le représentant du travailleur, monsieur Daniel Sabourin. Elle tente alors d’obtenir le nom du médecin qui a charge pour lui transmettre ce rapport et pour qu’il complète un Rapport complémentaire, le tout en application de la procédure prévue à l’article 205.1 de la loi.
[55] L’article 205.1 se lit comme suit :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
[56] La réponse du représentant du travailleur est transmise à la CSST en juin 2005. Le représentant mentionne dans une lettre qu’il soumettra le nom du médecin seulement si la CSST reconsidère sa décision du 9 mai 2005, afin de reconnaître la récidive, rechute ou aggravation. Il demande également de rétablir le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[57] Par le biais de son représentant, le travailleur a donc négligé ou refusé de donner une information qu’il devait soumettre conformément à la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi. Il ne pouvait assortir cette obligation d’une condition préalable, car cela est contraire à l’esprit de la loi.
[58] En vertu des articles 199, 205.1 et 217 de la loi, la CSST peut exiger du travailleur qu’il lui fasse connaître le nom du médecin qui a charge. C’est ce qui a été fait par l’agente de la CSST, le 15 juin 2005. Le travailleur ne s’est donc pas conformé aux dispositions de la loi.
[59] La Commission des lésions professionnelles a eu l’occasion de s’exprimer sur le droit du travailleur de consulter le médecin de son choix et les obligations du travailleur.
[60] La CSST pouvait donc suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 30 juin 2005.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de Electro-Fusion, l’employeur;
MODIFIE en partie la décision de la CSST rendue le 15 septembre 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la décision rendue par la CSST, le 9 mai 2005, en reconsidération de la décision initiale du 18 avril 2005 est irrégulière et illégale;
RÉTABLIT la décision de la CSST du 18 avril 2005;
DÉCLARE en conséquence que, le 13 janvier 2005, monsieur Jonathan Thibault, le travailleur, a subi une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 20 janvier 2003 et a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
RÉTABLIT la décision de la CSST du 30 juin 2005;
DÉCLARE que la CSST était bien fondée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 30 juin 2005.
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Daniel Martin, avocat |
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Commissaire |
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Monsieur Daniel Sabourin |
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Daniel Sabourin Consultant inc. |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.