Girard c. Dufour |
2015 QCCS 340 |
JR1676 (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
CHICOUTIMI |
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N° : |
150-17-002619-143 |
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DATE : |
6 FÉVRIER 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SIMON RUEL, j.c.s. (JR 1676) |
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YVON GIRARD ET GHISLAINE BERGERON |
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Demandeurs |
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c.
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EMMANUEL DUFOUR |
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Défendeur |
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JUGEMENT
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Le contexte
[1] Le 15 août 2011, les demandeurs achètent un immeuble résidentiel à Chicoutimi du défendeur au prix de 125 000 $ dans le cadre d’une vente privée sans agent immobilier.
[2] L’acte notarié indique que la vente est faite avec garantie légale. Il est également indiqué dans les déclarations des acquéreurs qu’ils prennent l’immeuble dans l’état où il se trouve au 12 juin 2011, déclarant l’avoir vu et examiné à leur satisfaction.
[3] Dans l’offre d’achat signée sur le formulaire standard de duProprio le 12 juin 2011, le vendeur déclare qu’il « n’a connaissance d’aucun facteur se rapportant à l’immeuble susceptible, de façon significative, d’en diminuer la valeur ».[1] Par ailleurs, les acheteurs déclarent avoir examiné l’immeuble et s’en être déclarés satisfaits.[2]
[4] Le défendeur avait acquis l’immeuble de Mme Martine Dufour le 16 janvier 2009. Le fils de la vendeuse est décédé à la maison le 22 septembre 2008. Les parties au présent dossier admettent que, selon les informations disponibles, la cause du décès est une mort par overdose.
[5] Le défendeur a appris cette information de l’agent d’immeuble de la vendeuse. Il a rencontré la vendeuse et n’a pas cherché à creuser la question pour en savoir davantage. Il indique que cette information ne l’a pas affecté et ne l’a pas empêché de conclure la transaction.
[6] Il est admis que le défendeur n’a pas informé les demandeurs dans le cadre de la transaction passée le 15 août 2011 qu’il y avait eu une mort par overdose dans l’immeuble. Le défendeur indique ne pas avoir pensé à transmettre cette information.
[7] En ce qui concerne la clause 5.1(a) dans l’offre d’achat, selon laquelle le vendeur n’est au courant d’aucun facteur se rapportant à l’immeuble susceptible d’en diminuer la valeur de façon significative, le défendeur explique que, selon sa compréhension, il s’agit de questions relatives aux structures.
[8] Le formulaire d’offre d’achat de duProprio signé par les parties n’était pas accompagné du formulaire « Déclaration du vendeur ». Le défendeur a découvert l’existence de ce formulaire après la transaction. À la clause 10.4 de ce formulaire, on trouve la question suivante : « Y a-t-il eu un suicide ou une mort violente dans la propriété? ». Le demandeur indique que s’il avait eu le formulaire, il aurait indiqué qu’il y a eu un décès dans la maison.
[9] Le défendeur affiche sa propriété sur le site de duProprio. Les demandeurs contactent le défendeur et visitent l’immeuble le 12 juin 2011.
[10] Les demandeurs font une visite intérieure. Le défendeur fait état des améliorations faites dans la maison. Il indique aux demandeurs que la raison de la vente est qu’il souhaite faire l’acquisition d’une nouvelle maison étant donné que sa conjointe et lui veulent fonder une famille et que leur maison actuelle est trop petite.
[11] Lors de la visite, les demandeurs sont à l’écoute et ne posent pas de questions au sujet des propriétaires précédents ou à savoir si un décès est survenu dans la maison.
[12] Le défendeur indique aux demandeurs que deux autres personnes ont effectué des visites et qu’elles pourraient faire une offre dans la semaine.
[13] Les demandeurs font alors une offre d’achat le jour même. Le prix demandé est de 129 000 $ et les parties s’entendent pour un montant de 125 000 $.
[14] Parallèlement, le défendeur et sa conjointe font une offre d’achat sur une autre résidence le 10 juin 2011.
[15] Par la suite, la demanderesse indique avoir appris d’une voisine, en mai 2013, la mort de l’occupant de la maison. Elle a appris d’autres détails d’une autre voisine à l’été 2013.
[16] Le 24 octobre 2013, le défendeur reçoit un appel de la demanderesse au cours duquel elle lui indique, d’un ton accusateur, qu’il a fait défaut de déclarer un gros vice caché, soit un décès dans la maison. La demanderesse indique être très perturbée par cette nouvelle.
[17] Le défendeur indique avoir alors offert à la demanderesse de racheter la maison. Selon le défendeur, la demanderesse refuse. Elle dit aimer la maison et souhaiter que le défendeur fasse une offre monétaire.
[18] Suite à des consultations juridiques, le défendeur conclut que la question du décès dans la maison ne constitue pas un vice caché.
[19] Il rappelle la demanderesse le 1er novembre 2013 et expose sa position. La demanderesse mentionne avoir appris d’autres détails sur la mort de l’occupant et qu’elle ne sera pas capable de revendre la maison. Elle demande une compensation de l’ordre de 25 000 $ à 30 000 $, ce que le défendeur refuse.
[20] L’événement a été un cataclysme pour les demandeurs. La demanderesse dit avoir fait une dépression majeure après avoir appris la mort de l’occupant dans la maison. Elle indique avoir été en dépression antérieurement et qu’elle était médicamentée, mais que sa dose a été augmentée suite à cet événement.
[21] Les demandeurs indiquent ne plus pouvoir occuper la résidence et réclament l’annulation de la vente, le remboursement du prix de vente, le remboursement d’améliorations et le paiement d’un montant de 30 000 $ à titre de dommages moraux.
[22] Le défendeur a précédemment acquis l’immeuble de Mme Martine Dufour le 16 janvier 2009 au prix de 83 500 $. Le prix initialement demandé était de 99 000 $. Le demandeur fait une offre à 87 000 $ avec conditions d’inspection et de financement. Cette offre est acceptée.
[23] Le défendeur fait inspecter la résidence le 8 décembre 2008. Le rapport d’inspection fait état de plusieurs problèmes structurels, en particulier, l’affaissement des fondations.[3]
[24] Le défendeur demande alors une réduction de prix et les parties s’entendent sur un prix de vente de 83 500 $. À ce montant, il faut ajouter l’achat du terrain qui a été fait auprès de la Ville de Saguenay au prix de 7 726 $.
[25] Suite à l’achat de la résidence en janvier 2009, le défendeur effectue plusieurs travaux qu’il évalue à 12 000 $. À ce montant, s’ajoute le temps qu’il a lui-même consacré aux rénovations.
Les prétentions des parties
Les demandeurs
[26] Selon les demandeurs, le défendeur savait qu’il y a eu décès dans la résidence. Il a tiré profit de cette information, ayant acheté la maison au rabais, et il l’a par la suite revendue aux demandeurs à profit.
[27] Selon les prétentions des demandeurs, le comportement du défendeur est dolosif. Un dol peut résulter d’un silence ou d’une réticence.
[28] Les demandeurs invitent le Tribunal à tenir compte de la personnalité des parties impliquées. Compte tenu du niveau de sophistication du défendeur par rapport aux demandeurs, sa réticence constitue un dol.
[29] Les demandeurs n’ont pas consenti à habiter dans une maison dans laquelle il y a eu un événement tragique. S’ils avaient connu cette information, ils n’auraient pas acheté la résidence.
[30] Les demandeurs invitent le Tribunal à suivre les enseignements de cette Cour dans l’affaire Fortin c. Mercier,[4] dans laquelle le Tribunal annule la vente d’un immeuble après que le vendeur ait fait défaut de déclarer à l’acheteur qu’il y avait eu mort violente de deux personnes par pacte de suicide dans l’immeuble.
Le défendeur
[31] Le défendeur prétend que bien qu’il y ait eu décès, il n’y a pas eu de suicide ou de mort violente.
[32] Pour qu’il y ait erreur provoquée par le dol, il faut une preuve d’intention de tromper. Aucune preuve ne permet de remettre en question la bonne foi du défendeur.
[33] En ce qui concerne l’argument voulant que le défendeur ait utilisé l’information pour faire un profit, le défendeur indique avoir plutôt acheté un immeuble avec des problèmes et avoir conséquemment négocié le prix à la baisse. Il a fait par la suite des améliorations importantes et a vendu l’immeuble deux ans et demi plus tard, après y avoir résidé.
[34] Selon le défendeur, l’envers de la médaille de l’obligation de divulgation est l’obligation des acheteurs de s’informer. Les demandeurs ne se sont pas informés s’il y avait eu décès dans la maison.
[35] Le défendeur distingue l’affaire Fortin c. Mercier. D’abord, dans ce dossier, il y a eu mort violente, ce qui n’est pas le cas ici. Aussi, le défendeur avait menti dans le cadre de la transaction, ce qui n’est pas le cas ici.
[36] Par ailleurs, le défendeur remet en doute la crédibilité des défendeurs qui habitent toujours la maison.
[37] En ce qui concerne les dommages moraux, il n’y a pas de preuve de diagnostic de dépression majeure en lien avec le décès dans la résidence ou d’autre élément justifiant l’octroi de dommages moraux.
[38] Le défendeur demande donc le rejet de l’action avec dépens.
Les questions en litige
A. Le consentement des demandeurs à l’achat de la propriété a-t-il été vicié par le dol du défendeur?
B. Le cas échéant, y a-t-il lieu d’annuler la vente et d’accorder des dommages moraux?
L’analyse
Le droit
[39] Dans l’exécution des obligations, les parties sont tenues par les exigences de la bonne foi.
[40] Dans ce contexte, l’erreur provoquée par le dol vicie le consentement si l’autre partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes. Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec sont les suivantes :
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.
1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.
[41] Le dol implique « le fait de provoquer volontairement une erreur dans l’esprit d’autrui pour le pousser à conclure le contrat ou à le conclure à des conditions différentes ».[5] Le dol implique un comportement répréhensible ou déloyal de la part du contractant qui a provoqué l’erreur,[6] comme des manœuvres frauduleuses ou le mensonge.
[42] Tel que l’indique l’article 1401, alinéa 2, le dol peut résulter du silence ou d’une réticence :
[…] La réticence est un dol négatif. Elle consiste à laisser le cocontractant croire une chose par erreur, sans le détromper, spécialement en ne lui dévoilant qu’une partie de la vérité. Le silence est le fait de s’abstenir de révéler au cocontractant un fait important qui changerait sa volonté de contracter. Dans les deux cas, le comportement est déloyal, car il vise à amener l’autre partie à contracter malgré son ignorance ou à passer contrat à des conditions plus onéreuses qu’elle ne le ferait autrement. C’est une déloyauté par dissimulation. […][7]
[43] Selon un autre auteur :
[…] Pour qu’il y ait véritablement un dol par réticence, il faut retrouver chez le contractant la volonté de tromper son contractant en ne lui révélant pas certaines informations pertinentes et déterminantes qu’il serait en droit de connaître. En d’autres termes, le dol par réticence suppose l’absence de bonne foi. […][8]
[44] Pour que l’erreur provoquée par le dol soit cause de nullité d’un contrat, il faut également qu’elle ait été déterminante en ce que la partie trompée n’aurait pas contracté si elle avait connu la vérité.[9]
[45] Étant donné que la bonne foi se présume, le dol constitue une exception et doit être spécifiquement prouvé :
[…] La partie qui réclame l’annulation du contrat ou la réduction de ses obligations pour dol a donc un fardeau de preuve assez lourd; elle doit démontrer l’existence de l’erreur dont elle a été victime, son caractère déterminant, l’intention de tromper, et le fait que le dol a émané du cocontractant ou a été connu de Iui. Il n’est pas facile de repousser la présomption de bonne foi et la victime ne parvient pas toujours, tant s’en faut, à convaincre le tribunal qu’il y a eu dol. La règle de la prépondérance de la preuve s’applique ici, comme pour n’importe quel fait juridique, et tout moyen de preuve est admissible pour établir le dol.[10]
[46] Pour évaluer s’il y a dol, le Tribunal doit se resituer au moment de la formation du contrat.[11]
[47] Il existe dans les relations contractuelles une obligation des parties de fournir les informations nécessaires à un consentement éclairé.[12] Le corollaire et la limite de l’obligation d’information sont l’obligation de l’autre partie de se renseigner :
[…] Dans la mesure, en effet, où, dans les circonstances de l’espèce, le contractant a la possibilité de connaître l’information ou d’y avoir accès […], celui qui s’apprête à conclure un contrat doit prendre les mesures raisonnables pour en bien connaître les enjeux importants, les faits susceptibles d’influencer sa décision; l’obligation de se renseigner vient ainsi faire échec au devoir corrélatif de renseignement de l’autre partie. […][13]
[48] Dans l’évaluation du dol, le Tribunal doit donc considérer les démarches et les efforts faits par le contractant qui se prétend victime de dol auprès de son cocontractant ou auprès d’autres sources.[14]
[49] Bien qu’il faille tenir compte de l’expertise et de l’expérience relative des parties pour évaluer les obligations d’information et de se renseigner,[15] la lésion, qui résulte de l'exploitation de l'une des parties par l'autre, ne vicie pas le consentement à l’égard des majeurs, sauf dans les cas prévus par la loi.[16]
L’application aux faits de la cause
A. Le consentement des demandeurs à l’achat de la propriété a-t-il été vicié par le dol du défendeur?
[50] Le présent dossier soulève d’abord la question des obligations respectives d’information et de se renseigner des parties à une vente d’une propriété résidentielle.
[51] Il s’agit d’un enjeu important dont le Tribunal devra tenir compte dans l’évaluation de la prétendue conduite dolosive du défendeur.
[52] Le Tribunal évitera de faire des généralisations, la question devant être évaluée selon les circonstances particulières de chaque dossier. Par exemple, la participation d’un cocontractant vendeur de résidences à des fins commerciales, ou le fait que les parties aient un contrat de courtage, pourraient amener des réponses différentes.
[53] En l’espèce, il s’agit de personnes physiques ayant participé à une vente résidentielle privée, sans l’intermédiaire d’un agent immobilier.
[54] Tel qu’indiqué, bien que le Tribunal puisse tenir compte de l’expertise et de l’expérience relative des parties pour évaluer leurs obligations d’information et de se renseigner, en l’espèce, les parties étaient d’égal à égal.
[55] Les demandeurs soutiennent que le Tribunal devrait tenir compte de la personnalité des parties impliquées - le défendeur serait une personne avec un haut degré de sophistication, alors que la demanderesse est une personne ordinaire, émotive, ne comprenant pas les subtilités des affaires.
[56] Il ne s’agit que d’impressions et le Tribunal estime bien hasardeux de s’aventurer sur ce terrain sans preuve particulière à cet égard, notamment au plan psychologique.
[57] Par ailleurs, la lésion entre majeurs n’est en principe pas reconnue en tant que cause d’annulation de contrats.
[58] Dans les circonstances, quelle est l’étendue de l’obligation de divulgation du vendeur d’une propriété résidentielle en ce qui concerne un décès survenu dans la résidence. S’agit-il d’une information pertinente et déterminante dont la connaissance pourrait affecter la valeur d’un immeuble?
[59] De l’avis du Tribunal, il s’agit d’une question bien subjective. On pourrait penser qu’un suicide ou un décès violent puisse affecter la valeur d’une résidence en ce qu’une proportion d’acheteurs serait rebutée à l’idée d’y habiter.[17] Cependant, le Tribunal ne dispose d’aucun sondage ou de preuve relative au marché immobilier ou d’une preuve économique à ce sujet.[18]
[60] Une multitude de facteurs peuvent influencer la valeur d’une propriété résidentielle. Il est possible qu’un suicide ou une mort violente soit l’un de ces facteurs.
[61] Cependant, l’impact éventuel de cette donnée pourrait être contrebalancé dans un marché résidentiel d’acheteurs ou encore s’il y a un bassin important d’acheteurs, par exemple, dans un grand centre urbain. Le type de résidence pourrait également avoir un impact - s’agit-il d’un bungalow de banlieue, d’une maison d’architecte, d’un condominium en milieu urbain, d’un chalet?
[62] Aussi, quel type de décès survenu dans une résidence peut avoir un impact sur sa valeur? Dans l’affaire Fortin c. Mercier, on faisait état de deux décès à la suite d’un pacte de suicide. La Déclaration du vendeur de duProprio est limitée à une mention au sujet d’un suicide ou d’une mort violente.
[63] Qu’en est-il si la mort violente ou le suicide est survenu il y a 20, 40, 60 ou 80 ans? Le vendeur qui est au courant d’un tel décès survenu il y a plusieurs années est-il obligé de le dénoncer? Quelle est la durée de l’obligation d’information sur un décès, s’il y en a une? Qu’en est-il d’une mort non violente, par exemple le décès d’une personne âgée à domicile? Doit-elle être divulguée par le vendeur? Est-ce que la mort d’un enfant à domicile suite à une infection ou une maladie doit être divulguée?
[64] De l’avis du Tribunal, ces questions sont trop hasardeuses pour justifier une obligation générale de divulgation dans le cas d’une vente privée.
[65] Le défaut de divulguer certains éléments qui peuvent objectivement affecter la valeur d’une propriété peut être considéré comme un dol, par exemple, le fait de camoufler que les fondations ou la toiture sont affectées par des problèmes importants :
La vente d’une résidence est un terreau fertile et pédagogique pour le dol. Une personne qui dissimule des défauts graves dans une propriété commet un dol. Certains vendeurs camouflent des fondations ou un plancher en mauvais état. Le geste peut être moins grave et tout de même constituer un dol. Par exemple, il faut avertir l’acheteur que les installations septiques sont défectueuses ou que l’immeuble contient de l’amiante. Le vendeur a une obligation positive de divulguer une chose aussi importante. Il s’agit alors d’un silence dolosif. La présence d’un problème mineur non mentionné ne constitue toutefois pas un dol, sauf si l’acheteur pose une question sur le sujet et que le vendeur lui ment. […][19]
[66] Par ailleurs, les éléments qui peuvent subjectivement affecter la valeur de la propriété n’ont pas d’emblée à être divulgués :
Par ailleurs, il importe de souligner que le vendeur est tenu de fournir à l’acheteur potentiel uniquement les informations susceptibles d’altérer la valeur de l’immeuble. Ainsi, la survenance dans la maison d’un suicide, d’un meurtre ou d’un décès n’est pas un facteur qui doit être déclaré par le vendeur, car ces événements, quoique susceptibles d’influer sur le consentement de l’acheteur, n’ont pas pour effet de modifier la valeur du bien. Cependant, il en est tout autrement lorsque l’acheteur manifeste clairement au vendeur ses phobies ou craintes concernant la survenance de tels événements. Il en est de même, de la manifestation de considérations subjectives qui pourraient nuire à la jouissance paisible des lieux ou du bien vendus.[20] Notre soulignement.
[67] Tel que le suggèrent les auteurs, si l’acheteur manifeste des craintes particulières ou phobies pour lesquelles le vendeur détient de l’information et la dissimule, ou encore si l’acheteur pose des questions et que le vendeur ment, fait défaut de répondre ou fait preuve de réticences, il pourra commettre une manœuvre dolosive.
[68] Il en va de même lorsque le vendeur prend des mesures actives pour cacher une information potentiellement préjudiciable. C’était le cas dans l’affaire Fortin c. Mercier.
[69] Dans cette affaire, les demandeurs demandaient l’annulation de la vente d’un immeuble après avoir appris la survenance de deux décès dans la résidence à la suite d’un pacte de suicide. Le vendeur est au courant de la situation. Il vend la résidence sans l’avoir habitée. Lors de contacts avec un agent d’immeuble, il refuse de remplir la Déclaration du vendeur et de divulguer les suicides. Dans le cadre d’un autre contrat de courtage, il signe la Déclaration du vendeur, mais ment en indiquant que les suicides ont eu lieu dans le garage, alors qu’ils sont survenus dans la maison. Il tente par la suite de vendre la propriété par lui-même sur duProprio. Il ne révèle pas aux acheteurs que des décès sont survenus dans la maison. Dans une conversation avec un voisin, il dit spécifiquement qu’il ne transmettra pas cette information aux acheteurs. Il ment aux acheteurs sur les motifs de la vente de la propriété.
[70] En fonction de ce contexte, l’honorable juge Dufresne écrit dans sa décision :
Le défendeur avait-il à déclarer aux demandeurs le double suicide s'étant produit immédiatement avant qu'il n'achète lui-même la résidence de la succession? Il faut répondre à cette question par l'affirmative. Subjectivement, il ne fait pas de doute que les demandeurs ont été, dès qu'ils ont su, fortement affectés par cette information.
Sur le plan objectif, le témoignage des trois courtiers immobiliers de même que l'ensemble des autres éléments de preuve convainquent le Tribunal que cette information est de nature à influencer une transaction immobilière.
Le défendeur savait pertinemment ce fait. Il a menti en tentant de situer le double suicide dans le garage. Il a mis fin au mandat de courtage de Mme Lafrance dès qu'elle a exigé de lui qu'il dénonce cette situation.
Le défendeur a menti aux demandeurs en affirmant faussement que le formulaire de "Déclaration du vendeur" n'existait pas auprès de la bannière duProprio.
Cette question est devenue obligatoire dans le domaine du courtage. Ceci se fonde sur la nature humaine et l'expérience de ces gens de métier.
Le Tribunal conclut que cette information sur le double suicide dans la maison doit être dévoilée afin que le consentement du cocontractant soit libre et éclairé.[21] Notre soulignement.
[71] Il est donc évident que la décision de la Cour dans Fortin c. Mercier a été guidée par les faits particuliers de l’affaire, en particulier la conduite du vendeur, qui a activement pris des mesures pour dissimuler une information potentiellement préjudiciable et qui a menti à ce sujet.
[72] Des distinctions importantes doivent être faites avec le présent dossier.
[73] En l’espèce, bien qu’un événement tragique soit survenu dans la résidence, il n’y a pas eu de mort violente ou de suicide.
[74] Ensuite, pour le vendeur, cette information n’était pas matérielle. Il habite dans la résidence et décide de la vendre pour en trouver une plus grande avec sa conjointe, étant donné que le couple souhaite fonder une famille.
[75] Le Tribunal doute que le défendeur n’ait pas songé à divulguer cette information aux acheteurs, mais la preuve ne révèle aucune manœuvre dolosive de sa part visant à cacher cette information aux demandeurs.
[76] L’argument voulant que le défendeur achète la résidence au rabais compte tenu des circonstances et la revende à profit en cachant l’information sur le décès ne peut tenir.
[77] Le défendeur achète une résidence comportant des défectuosités importantes et obtient une réduction du prix de vente. Il paie finalement la résidence 83 500 $, montant auquel il faut ajouter le prix d’achat du terrain à la Ville de Saguenay, soit 7 726 $. Monsieur fait des rénovations estimées à 12 000 $, plus le temps qu’il consacre lui-même aux travaux. Il vend la résidence au montant de 125 000 $ deux ans après l’avoir achetée. Il fait probablement un petit profit, mais ceci n’est pas déraisonnable, ni répréhensible.
[78] De l’avis du Tribunal, la conduite du défendeur ne peut être qualifiée de frauduleuse ou de dolosive dans les circonstances.
[79] Le défendeur n’utilise pas de tactiques déloyales et ne fait pas de pressions indues pour concrétiser la vente, de l’aveu même de la demanderesse.[22]
[80] Le défendeur ne commet pas de réticences en ce qui concerne le décès et, compte tenu des éléments mentionnés précédemment, il n’avait pas l’obligation d’informer les acheteurs d’un élément qui pouvait subjectivement affecter leur intérêt à acheter la propriété.
[81] Dans l’évaluation de la question de savoir s’il y a dol, il faut considérer l’obligation des acheteurs de se renseigner en vue de bien connaître les enjeux importants susceptibles d’influencer leur décision. Aucune question n’est posée par les demandeurs au sujet des propriétaires antérieurs ou sur un décès dans la propriété.
[82] À tout événement, même si le Tribunal en venait à la conclusion que la conduite du défendeur a été dolosive, faut-il encore que l’erreur provoquée par le dol ait été déterminante.
[83] Les demandeurs habitent dans la résidence depuis la transaction en août 2011 et y habitent toujours au moment du procès.
[84] La demanderesse apprend en mai 2013 qu’un décès est survenu dans la résidence, mais ne contacte le défendeur à ce sujet qu’en octobre. La demanderesse indique alors au défendeur aimer la résidence et souhaiter une compensation monétaire,[23] ce que le défendeur refuse.
[85] Après le mois de mai 2013, les demandeurs effectuent plusieurs travaux de rénovation sur la résidence au montant de 13 613,13 $ - la toiture, la galerie, des vénitiennes, un ventilateur de cuisine, de la céramique, de la peinture, des fleurs extérieures.[24] Ces travaux sont principalement des améliorations et ne sont pas de nature conservatoire.
[86] Ces éléments jettent un doute important sur le caractère déterminant de l’erreur qui aurait été commise par les demandeurs, s’il y en a une. Le fait d’avoir appris la nouvelle d’un décès a pu affecter les demandeurs, la demanderesse en particulier. Cependant, leur conduite est en partie incompatible avec leurs prétentions à l’effet qu’ils ne sont plus capables de vivre dans la maison.
[87] Par ailleurs, les défendeurs n’ont pas fait de démarches pour tenter de vendre la maison.[25]
[88] Le Tribunal estime donc que le consentement des demandeurs à l’achat de la propriété n’a pas été vicié par le dol du défendeur.
B. Le cas échéant, y a-t-il lieu d’annuler la vente et d’accorder des dommages moraux?
[89] Compte tenu de la réponse à la question précédente, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
[90] Le Tribunal note cependant, en ce qui concerne la réclamation pour dommages moraux, que le dossier médical et pharmacologique de la demanderesse ne fait pas état d’un épisode dépressif en 2013, quand elle aurait appris le décès de l’occupant de la résidence. Il n’y a aucune mention à ce sujet dans les notes de consultation de son médecin du 22 mai 2013 et du 18 octobre 2013.
[91] La demanderesse souffrait de problèmes de dépression et d’anxiété avant les événements. Le dossier pharmacologique de la demanderesse fait état de prescription d’anxiolytiques dont les doses n’ont pas augmenté entre 2011 et 2014. Des antidépresseurs ont été également prescrits avant 2013.
Conclusion
[92] Le Tribunal rejette donc le recours des demandeurs.
[93] Sur la question des dépens, compte tenu des circonstances particulières de ce dossier et du fait que, sans avoir commis de manœuvre dolosive, le défendeur n’a pas été complètement candide avec les défendeurs, le Tribunal rejette le recours sans frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[94] REJETTE le recours des demandeurs;
[95] LE TOUT, sans frais.
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__________________________________ SIMON RUEL, j.c.s. |
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Me Jean-Roger Brodeur 115, chemin des Berges Canton Tremblay (Québec) G7G 0A7 |
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Pour les demandeurs |
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Mme Annie Tremblay Cain Lamarre Casgrain Wells 255, rue Racine Est, bureau 600 B.P. 5420 Chicoutimi (Québec) G7H 6J6 |
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Pour le défendeur |
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Date d’audience : |
3 décembre 2014 |
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[1] Pièce P-2, clause 5.1(a).
[2] Pièce P-2, clause 4.1(a).
[3] Pièce D-2.
[4] Fortin c. Mercier, 2013 QCCS 5890.
[5] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, page 38.
[6] Frédéric Lévesque, Précis du droit des obligations, Éditions Yvon Blais, 2014, page 59.
[7] J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, précité, note 5, pages 338, 339.
[8] Vincent Karim, Les obligations, vol. I, 3e éd., Montréal, Wilson Lafleur, 2009, pages 355, 356.
[9] Code civil du Québec, art. 1401, alinéa 1; J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, précité, note 5, page 345; V. Karim, précité, note 8, pages 374, 375.
[10] J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, précité, note 5, page 348; V. Karim, précité, note 8, pages 379, 380.
[11] V. Karim, précité, note 8, pages 383, 384.
[12] J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, précité, note 5, page 398.
[13] Id., pages 413, 414.
[14] V. Karim, précité, note 8, pages 384, 386.
[15] J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, précité, note 5, pages 412, 414.
[16] Code civil du Québec, art. 1405, 1406.
[17] Fortin c. Mercier, précité, note 4, paras. 26, 61.
[18] Voir l’affaire Fortin c. Mercier, précité, note 4, dans laquelle l’honorable juge Robert Dufresne indiquait au para. 61 que « Sur le plan objectif, le témoignage de trois courtiers immobiliers de même que l’ensemble des autres éléments de preuve convainquent le Tribunal que cette information [un suicide survenu dans la résidence] est de nature à influencer une transaction immobilière. »
[19] F. Lévesque, précité, note 6, page 59.
[20] V. Karim, précité, note 8, page 381.
[21] Fortin c. Mercier, précité, note 4, paras 60 à 65 (C.S.).
[22] Transcription de l’interrogatoire avant défense de la demanderesse, 16 mai 2014, page 16.
[23] Id., page 137.
[24] Pièce P-5.
[25] Transcription de l’interrogatoire avant défense de la demanderesse, 16 mai 2014, page 117.
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