Élément et CMS Entrepreneurs généraux inc. |
2009 QCCLP 6846 |
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[1] Le 15 octobre 2008, monsieur Simon Élément (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 9 octobre 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur quant à l’évaluation médicale faite par son médecin. Elle confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 21 août 2008 et déclare que la lésion professionnelle du 13 septembre 2004 n’a entraîné aucune atteinte permanente supplémentaire donnant droit à une indemnité pour dommage corporel.
[3] Une audience était prévue à Ste-Anne-des-Monts le 9 septembre 2009 toutefois, en accord avec le tribunal pour procéder uniquement sur le moyen préalable relatif à la régularité de la procédure d’évaluation médicale, le représentant du travailleur a choisi de produire une argumentation écrite en lieu et place de l’audience, argumentation reçue le 31 août 2009. Le 1er septembre 2009, la représentante de l’employeur a avisé le tribunal qu’elle n’avait aucun commentaire à soumettre.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Dans sa contestation du 15 octobre 2008, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui reconnaître une atteinte permanente supplémentaire à la suite de sa rechute, récidive ou aggravation du 13 septembre 2004.
MOYEN PRÉALABLE
[5]
Le travailleur soutient que la procédure d’évaluation médicale est
irrégulière en ce que le médecin traitant n’a pas étayé ses conclusions comme
l’exige l’article
LES FAITS RELATIFS AU MOYEN PRÉALABLE
[6] Le travailleur subit un accident du travail le 10 septembre 2003 alors qu’il est frappé à la tête et au côté gauche par une pelle mécanique. Les diagnostics retenus sont une contusion cervico-dorsale gauche, une contusion à l’épaule gauche, une tendinite de la coiffe des rotateurs et une ténosynovite de De Quervain droite. La lésion professionnelle est consolidée et elle entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[7] Le 13 septembre 2004, le travailleur subit une rechute, récidive ou aggravation. Les diagnostics de désinsertion du labrum et de hernie discale C3-C4 sont retenus.
[8] À la suite de cette rechute, récidive ou aggravation, la docteure Guimond, physiatre, devient la médecin responsable du travailleur à compter du 6 octobre 2004. Elle assure un suivi épisodique à tous les quatre à six mois.
[9]
Au printemps 2008, devant l’échec des traitements et étant donné que le
travailleur éprouve des difficultés à obtenir un rendez-vous avec la docteure
Guimond, la CSST décide de faire examiner le travailleur par le docteur Giroux
comme le lui permet l’article
[10]
En vertu de l’article
Docteur, si vous êtes en accord avec la date de consolidation, pourriez-vous nous faire connaître votre position en ce qui a trait au pourcentage d’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles. Existence? Si oui, dirigerez-vous le patient pour évaluation ou entérinerez-vous l’avis du rapport ci-joint à ce sujet? Merci de votre collaboration.
[11] Le 7 mai 2008, la docteure Guimond remplit le rapport complémentaire et déclare qu’elle est d’accord avec le rapport du docteur Giroux. Elle précise que la médication demeure nécessaire.
[12] Le 21 août 2008, forte des conclusions de la docteure Guimond et étant liée par ces dernières, la CSST écrit au travailleur et déclare qu’il ne conserve de la rechute, aucune atteinte permanente supplémentaire à l’intégrité physique ou psychique. En conséquence, aucune indemnité pour préjudice corporel ne lui sera versée.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[13]
Le travailleur soutient que la CSST s’est erronément dite liée par
l’opinion de la docteure Guimond contenue au rapport complémentaire du 7 mai
2008. Il réfère à l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[14] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales rejettent la requête du travailleur. Ils sont d’avis que c’est à bon droit que la CSST s’est dite liée par les conclusions de la docteure Guimond au rapport complémentaire du 7 mai 2008. Les notes cliniques et les notes de la CSST contenues au dossier traduisent clairement son intention d’entériner l’opinion du docteur Giroux. Elle avait, par ailleurs, déjà discuté avec le travailleur d’un retour sur le marché du travail.
LES MOTIFS RELATIFS AU MOYEN PRÉALABLE
[15] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la procédure d’évaluation médicale a été valablement suivie selon les dispositions de la loi.
[16] La Commission des lésions professionnelles estime que la procédure d’évaluation médicale a été valablement suivie.
[17] Dans un premier temps, il importe de préciser que la jurisprudence à laquelle réfère le travailleur se distingue du présent dossier. Chaque cas doit être apprécié en fonction des faits qui lui sont propres.
[18] Les articles 192, 203, 204 et 205.1, pertinents au litige, stipulent ce qui suit :
192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.
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1985, c. 6, a. 192.
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
__________
1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
[19]
Il n’est pas contesté que la docteure Guimond soit un médecin choisi par
le travailleur et qu’il soit devenu le médecin ayant charge de ce dernier. Il
n’est pas, non plus, contesté que le docteur Giroux est un médecin désigné par
la CSST en vertu de l’article
[20] La jurisprudence[5] a connu une évolution au niveau de cette exigence de clarté en ce que l’on doit comprendre les motifs qui amènent le médecin ayant charge à changer d’opinion avant de lui accorder un caractère liant.
[21]
Dans le présent dossier, la preuve documentaire révèle que même si le
rapport complémentaire du 7 mai 2008 n’est pas motivé par la docteure Guimond,
elle a pu exprimer clairement sa position à la suite d’une conversation
téléphonique avec l’agent d’indemnisation de la CSST qui avait pour but de
s’assurer que le médecin était bien d’accord avec tous les aspects médicaux
prévus à l’article
[22] Aux notes évolutives du 14 mai 2008, l’agente d’indemnisation indique ce qui suit :
Appel au bureau du Dre Guimont (418-775-7261) suite à discussion avec c.é. pour m’assurer qu’elle est bien d’accord avec tous les points du 204 sauf en ce qui concerne la médication (médication = ok, pas un litige : réf. c.é.). Dre Guimont me précise que pour une fois, c’était clair et elle ne comprend pas pourquoi elle doit préciser qu’elle est d’accord avec chacun des points. Je lui explique qu’effectivement, c’est bien ce que j’avais compris mais que j’ai eu comme consigne de lui demander verbalement si elle était bien d’accord avec chacun de ceux-ci afin de pouvoir l’inscrire dans mes notes évolutives et que c’est pour des raisons légales(si contestations plus tard, etc.). Elle dit que oui, elle est bien d’accord avec chacun des 4 points cochés (conso, txs, APIPP et L.F.) sauf en ce qui concerne la médication qui doit demeurer présent pour l’instant à titre palliatif (durée = indéterminée). Elle mentionne que la prochaine fois, elle précisera par écrit qu’elle est bien d’accord avec chacun des points pour éviter les questionnements. […]
Compte tenu que Dre Guimont nous a donné ces précisions. Le 204 du Dr Giroux est entériné par le mdt et il devient donc applicable.
[…]
[23] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le médecin a pu librement prendre position et ce, malgré le fait qu’elle n’ait pas motivé son accord au rapport complémentaire du 7 mai 2008.
[24] De plus, à la lecture du dossier, il n’y a pas lieu de s’étonner de la position du médecin traitant à ce rapport complémentaire. Le travailleur, pour avoir discuté avec lui à quelques reprises, savait pertinemment que son médecin n’avait plus rien à lui offrir.
[25] Au moment de remplir le formulaire « Information médicale complémentaire écrite », le 27 juin 2007, soit près d’un an avant le rapport complémentaire contesté, la docteure Guimond note que ses interventions sont maintenant limitées à l’ajustement de la médication. Elle note qu’un support psychologique est souhaitable pour le travailleur en raison de ses multiples douleurs chroniques et elle suggère le programme de l’IRDPQ (Institut de réadaptation en déficience physique de Québec). Elle précise qu’elle prévoit consolider la lésion après et que les limitations fonctionnelles seront objectivées par cet organisme.
[26] Le travailleur en est certes informé puisque lors d’un échange avec la CSST, il déclare avoir parlé avec la docteure Guimond qui lui mentionne que le dernier recours est l’IRDPQ.
[27] Le 30 octobre 2007, la docteure Guimond note qu’il existe une chronicité. Une réadaptation interdisciplinaire est souhaitable à l’IRDPQ. Or, le 23 novembre 2007, dans une lettre adressée au travailleur, monsieur Arcand, psychologue à l’IRDPQ, note que le suivi apparaît difficile à mettre en place et il formule des recommandations. Devant cet échec et parce que la docteure Guimond ne peut revoir le travailleur avant le printemps 2008, la CSST désigne le docteur Giroux pour un examen physique.
[28] La preuve révèle aussi que lors d’une rencontre avec la CSST le 16 avril 2008, le travailleur explique que la docteure Guimond n’a pas vraiment autre chose à lui offrir, il doit la revoir que pour ajuster sa médication. Bien qu’il n’a pas été question d’une date effective pour la consolidation de sa lésion, le travailleur déclare qu’elle a fait une « allusion » au fait qu’elle n’avait pas autre chose à lui proposer.
[29] De fait, à la lecture des notes cliniques de la docteure Guimond du 8 avril 2008, cette dernière note que le travailleur nie toute discussion avec la CSST concernant sa réorientation vocationnelle. Toutefois, elle l’encourage à penser à un autre emploi. Le 3 septembre 2008, elle indique qu’elle n’a plus rien à offrir au travailleur et elle lui donne congé.
[30] De ces faits, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’opinion de la docteure Guimond, même si elle n’est pas étayée au formulaire « Rapport complémentaire » du 7 mai 2008, demeure claire, limpide et sans ambigüité en ce qu’il est possible d’inférer sa position. De plus, le travailleur ne peut s’en étonner et déclarer qu’il n’en a pas été informé. Il n’est pas pris par surprise. Près d’un an auparavant, soit en juin 2007, il était question de consolider la lésion professionnelle. La référence à un organisme de réadaptation était le dernier recours avant de penser à un retour au travail dans un emploi qui respecterait ses capacités résiduelles. Devant l’échec du processus de réadaptation physique, la docteure Guimond a sensibilisé le travailleur à une réorientation vocationnelle.
[31] Par ailleurs, l’exercice de validation de la CSST auprès de la docteure Guimond est prudent et démontre que cette dernière a pris position en se disant d’accord avec le docteur Giroux en toute connaissance de cause. Il n’y a pas eu de pression indue et rien ne permet de croire que le médecin qui a charge a pu abdiquer la fonction qui lui est dévolue par la loi.
[32]
La Commission des lésions professionnelles estime qu’en matière
d’application de l’article
[33]
Enfin, concernant la mention de la docteure Guimond au rapport
complémentaire du 7 mai 2008 relative à la poursuite de la médication, dans la
mesure où la CSST est d’accord avec cette recommandation et se dit liée, elle
n’a pas à soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale. L’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE le moyen préalable soulevé par monsieur Simon Élément, le travailleur, le 31 août 2009;
RETOURNE le dossier au greffe du tribunal afin que les parties soient convoquées pour débattre le fond du litige.
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Diane Beauregard |
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Me Jacques Ricard |
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Ricard Lebel, Avocats |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marie-Ève Vanden Abeele |
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A.P.C.H.Q. - Savoie Fournier |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2]
[3] C.L.P.334647-71-0712, 9 avril 2009, J.-C. Danis.
[4] C.A.
[5] Guillemette et
Kruger inc., C.L.P.
AVIS :
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appel; la consultation
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