Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Directrice des poursuites criminelles et pénales c. Beaupré

2016 QCCQ 9173

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE

SHERBROOKE

« Chambre Criminelle et pénale »

N° :

450-01-089632-140

 

 

 

DATE :

14 juillet 2016

______________________________________________________________________

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CLAIRE DESGENS J.C.Q.

 

______________________________________________________________________

 

 

DIRECTRICE DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Poursuivante - Intimée

c.

PASCAL BEAUPRÉ

Accusé - Requérant

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR LA REQUÊTE EN ARRÊT DES PROCÉDURES

(articles 11b) et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés)

______________________________________________________________________

 

[1]           Le requérant demande l’arrêt des procédures invoquant le délai déraisonnable à subir son procès, plus de 19 mois après son inculpation, suivant les articles 11b) et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[1].

[2]           La citation à comparaître dans ce dossier est confirmée le 5 décembre 2014 et le requérant comparaît le 13 janvier 2015 sous les chefs d’accusation suivants :

-       Le ou vers le 18 octobre 2014, à Richmond, district de Saint-François, a conduit un véhicule à moteur, alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue aux articles 253(1)a) et 255(1) du Code criminel.

-       Le ou vers le 18 octobre 2014, à Richmond, district de Saint-François, a conduit un véhicule à moteur, alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue aux articles 253(1)b) et 255(1) du Code criminel.

LES PROCÉDURES

[3]           Les infractions sont alléguées avoir été commises le 18 octobre 2014, la citation a été émise à l’accusé le même jour et confirmée le 5 décembre 2014 par un juge de paix pour comparution le 13 janvier 2015.

[4]           À cette date, l’avocat du requérant, Me Michel Dussault enregistre des plaidoyers de non-culpabilité et remet la cause au 10 mars 2015.

[5]           Me Jean-Guillaume Blanchette remplace ensuite Me Dussault et exige une date rapide d’audition ;  le procès est alors fixé au 22 mai 2015 soit environ quatre mois après la première comparution.

[6]           Une remise est ensuite accordée le 6 mai à la demande de l’avocat de la défense pour des raisons familiales mais des dates d’audition rapides sont proposées en juillet.

[7]           Une communication de preuve supplémentaire est toutefois remise à l’accusé le 11 mai 2015 et la tenue du procès est fixée au 14 septembre 2015.

[8]           À la date prévue, le procès débute effectivement par l’audition de la policière Sabrina Cheeney.

[9]           La témoin est d’abord interrogée par la procureure de la poursuite, Me Marie-Andrée Ayotte et au début du contre-interrogatoire, ressort le fait que l’original du rapport policier n’a jamais été communiqué à la défense tel que le requiert la loi[2].  L’audition est suspendue jusqu’au 5 octobre 2015 pour divulgation de la preuve, la suite du procès est fixée au 7 décembre 2015.

[10]        Le 20 novembre 2015, la poursuite présente une requête en désassignation puisque la policière Cheeney ne peut rendre témoignage le 5 octobre pour des raisons médicales.  Le dossier est fixé au 24 novembre 2015 devant le juge coordonnateur.

[11]        À cette date, il est annoncé que la policière est hospitalisée suite à un accident routier.  Le dossier est alors remis pour fixer date au 2 février 2016.

[12]        Le 2 février 2016, la poursuite informe le juge coordonnateur que la policière Cheeney est en arrêt de travail jusqu’à la fin mai 2016.  À cette date, le requérant insiste pour fixer une date de procès puisqu’il invoque subir un préjudice vu la longueur des délais. 

[13]        Le procès est fixé au 15 juin pour la suite de l’audition du témoin Cheeney et pour la présentation de cette requête en arrêt des procédures déposée le 30 mai 2016.

[14]        Le dernier témoin de la poursuite est entendu en date du 14 juillet 2016 ; la fin de l’audition est prévue pour le 26 septembre 2016.

DROIT APPLICABLE

[15]        Beaucoup a été écrit au sujet du droit pour un accusé d’obtenir son procès dans un délai raisonnable.  Plusieurs décisions des tribunaux supérieurs dressaient jusqu’à tout récemment un tableau complet des enjeux sous-jacents à cette protection constitutionnelle[3].

[16]        Cependant, le 8 juillet 2016, par les décisions de Jordan et Williamson[4], la Cour suprême a révisé complètement le cadre d’analyse que doivent désormais appliquer les juges de première instance face à des requêtes de cette nature[5].

[17]        Avant ces décisions, le Tribunal devait se livrer à un exercice compliqué qui nécessitait d’examiner les raisons de chacun des délais, de les qualifier puis, de déduire les périodes auxquelles la défense avait renoncé et évaluer le préjudice prouvé par le requérant avant de finalement décider si le délai était déraisonnable.

[18]        Il y avait plusieurs défis posés par ce type d’analyse[6] ; l’exercice d’une pondération entre les intérêts du requérant et ceux de la société ne cernait pas toujours les enjeux véritables.

[19]        Désormais, la Cour suprême facilite la tâche des juges de première instance en fixant un plafond de 18 mois pour les causes visant des infractions sommaires comme celle en l’espèce, sujet à certains assouplissements. 

[20]        Elle crée ainsi une présomption que le délai à poursuivre, dans toute cause excédant ce plafond[7] sera réputé déraisonnable, imposant de ce fait à la poursuite le fardeau d’expliquer les débordements, s’il y a lieu.

[21]        Ce nouveau cadre d’analyse impose que tous les participants au système de justice travaillent de concert pour accélérer le déroulement des procès tout en tenant compte que l’on doive tirer le plus grand parti possible des ressources limitées dont dispose le système judiciaire[8].

[22]        Dans le cas présent, il est clair que le requérant n’a jamais renoncé à invoquer quelque délai que ce soit.  Son procureur a même insisté à deux reprises pour que son dossier procède le plus rapidement possible en exigeant des dates de procès rapprochées[9].  Mais en fonction du nouveau cadre d’analyse, cette insistance, dans les circonstances particulières de ce dossier-ci, ne change pas le résultat.

[23]        Le temps écoulé ici entre la date d’inculpation du requérant, le 5 décembre 2014 et la prochaine date d’audition le 26 septembre 2016, totalise 21 mois.  L’étude de cette requête se poursuit donc en évaluant si le ministère public a démontré l’existence de circonstances exceptionnelles pouvant justifier ce délai qui, a priori, se qualifie de délai déraisonnable.

[24]        La Cour suprême définit les circonstances exceptionnelles pouvant être retenues, comme étant des événements indépendants de la volonté du ministère public qui sont raisonnablement imprévus ou imprévisibles et auxquels il ne pouvait remédier[10].

[25]        Dans les circonstances particulières de ce dossier-ci, qui n’est pas une affaire complexe, il s’agit d’une cause entrant dans la première catégorie définie par l’arrêt Jordan, le cas d’un témoin indisponible à la suite d’un accident[11].

[26]        Un retard d’environ sept mois pour traiter le cas de monsieur Beaupré doit donc être attribué à cet événement imprévisible et inattendu qui sera retranché du cumul des 21 mois, laissant un reliquat de 14 mois de délais.

[27]        Force est d’admettre que l’ensemble des délais peuvent paraître anormalement longs pour l’accusé mais, basés sur l’état de la jurisprudence et les circonstances particulières de cette cause, ils ne sont pas déraisonnables en soi.

[28]        L’analyse pourrait s’arrêter ici ; est cependant pris en considération le témoignage de monsieur Beaupré sur la nature et l’ampleur du préjudice qu’il dit subir dans l’attente de la conclusion de son procès.

[29]        La preuve de ce préjudice était un élément central à l’évaluation que l’on devait faire, avant l’arrêt Jordan, du caractère déraisonnable des délais lorsque ceux-ci étaient d’abord jugés anormalement longs. 

[30]        Les nouvelles règles jurisprudentielles ne ferment certes pas la porte à l’argument qu’un délai inférieur au plafond fixé puisse être considéré déraisonnable si, dans un contexte particulier, le préjudice relié à ce délai est établi.  La défense devra alors prouver qu’elle a pris les mesures utiles pour faire avancer l’instance et que le procès est nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement être[12].

[31]        Ici, il est incontestable que monsieur Beaupré subit du stress, de la souffrance et de l’angoisse reliés à cette poursuite et que ces conséquences, que ce soit au niveau de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), de son travail ou dans son milieu familial, sont certainement amplifiées par le temps que prend son dossier à se conclure[13].

[32]        Mais, l’équité de son procès n’est pas ici affectée par la longueur des procédures judiciaires.  Même si son témoin est sous médication depuis cet événement, rien ne supporte actuellement l’affirmation que le droit du requérant à une défense pleine et entière soit menacé ou risque d’être enfreint d’une façon quelconque[14]

[33]        Il est vrai qu’une poursuite criminelle de cette nature comporte toujours des aléas qui perdurent tant et aussi longtemps que les procédures ne sont pas terminées, mais il s’agit dans le cas de monsieur Beaupré, de préjudices reliés aux accusations elles-mêmes et non causés spécifiquement par les délais.

[34]        En conséquence, la requête est rejetée et le procès se poursuivra le 26 septembre 2016.

 

 

 

__________________________________

Claire Desgens, J.C.Q.

 

Me Marie-Andrée Ayotte

Procureure de la poursuivante-intimée

 

Me Jean-Guillaume Blanchette

Procureur du requérant Pascal Beaupré

 

 



[1]     Charte canadienne des droits et libertés, dans Loi de 1982 sur le Canada, L.R.C. (1985), App. II, no 44, annexe B, partie I.

[2]     R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326.

[3]     R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 105 à 117, référant à : R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771; R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368; R. c. Godin, [2009] 2 R.C.S. 3; R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659; DPCP c. Chantal, 2013 QCCS 2945, paragr. 27 à 38; R. c. Gagnon, 2013 QCCS 3567, paragr. 50 à 107; R. c. Jean-Jacques, 2012 QCCA 1628, paragr. 5; R. c. Boisvert, 2014 QCCA 191, paragr. 12 à 33; R. c. Camiran, 2013 QCCA 452.

[4]     R. c. Jordan, id.; R. c. Williamson, 2016 CSC 28.

[5]     R. c. Jordan, id., paragr. 105 à 117.

[6]     R. c. Godin, précité, note 3, paragr. 18; R. c. Jean-Jacques, précité, note 3, paragr. 5, 9 à 16; R. c. Morin, précité, note 3, paragr. 30 à 78; voir R. c. Jordan, id., paragr. 29 à 39.

[7]     R. c. Jordan, id., paragr. 5, 46 à 59, 68 à 71, 105, 112.

[8]     R. v. Omar, 2007 ONCA 117, paragr. 32.

[9]     R. c. Godin, précité, note 3, paragr. 23 à 28; R. c. Jordan, précité, note 3, paragr. 55 à 59, 60 à 67, 84 à 86, 108 à 114.

[10]    R. c. Jordan, id., paragr. 68 à 79.

[11]    Id., paragr. 72.

[12]    Id., paragr. 34, 56, 76, 82, 86, 99.

[13]    R. c. Morin, précité, note 3, paragr. 63.

[14]    R. c. Jordan, précité, note 3, paragr. 19 à 28, 82; Lepage c. R., 2008 QCCA 105, paragr. 20 à 28, demande d’autorisation d’en appeler à la RCS refusée.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.