Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - avril 2013

M.P. et Emploi développement social Canada

2014 QCCLP 2656

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

30 avril 2014

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

526606-63-1311

 

Dossier CSST :

129393989

 

Commissaire :

Luce Morissette, juge administratif

 

Membres :

Francine Melanson, associations d’employeurs

 

Régis Gagnon, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

M... P...

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Emploi Développement Social Canada

Société canadienne des postes

 

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 12 novembre 2013, M... P... (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 6 novembre 2013 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 septembre 2013 et déclare que la travailleuse n’a plus droit au paiement des frais d’aide personnelle à domicile à compter du 19 septembre 2013.

[3]           L’audience s’est tenue le 10 avril 2014 à Joliette en présence de la travailleuse qui n’était pas représentée. Emploi Développement Social Canada/Société canadienne des postes (l’employeur) avait informé le tribunal qu’il ne serait pas représenté à l’audience. La cause a été mise en délibéré le 10 avril 2014.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande de déclarer qu’elle avait droit à la poursuite du paiement des frais d’aide personnelle à domicile le 19 septembre 2013.

LA PREUVE[1]

[5]           Le 20 février 2006, la travailleuse est commis postal chez l’employeur. Alors qu’elle est seule, et qu’elle travaille de nuit à la succursale, une tentative d’introduction se produit par un individu qui la menace. La police est appelée, mais le suspect n’est pas retrouvé.

[6]           À la suite de cet événement, la travailleuse a déposé une réclamation pour un accident du travail. La CSST a alors reconnu qu’elle avait subi une lésion professionnelle le 20 février 2006, soit un stress post-traumatique.

[7]           La lésion professionnelle a été consolidée le 3 mars 2010 avec un déficit anatomophysiologique de 45 %[2] et des limitations fonctionnelles soit :

- Ne peut retourner travailler pour Postes Canada;

- Ne peut plus travailler en relation avec le public;

- Ne peut plus se déplacer en voiture dans des périodes de circulation dense;

- Ne peut plus travailler dans un endroit où il y aurait un potentiel d’agression.

 

 

[8]           Le 26 avril 2012, la Commission des lésions professionnelles[3] déclare que la travailleuse a subi le 7 avril 2011 une récidive, rechute ou aggravation. À la suite de cette lésion professionnelle, la CSST détermine que la travailleuse est inemployable. Elle accepte ainsi de lui verser une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle ait 68 ans.

[9]           Le 6 août 2013, la Commission des lésions professionnelles[4] rend une décision par laquelle elle reconnaît que la travailleuse a droit au paiement des frais d’aide personnelle à domicile à compter du 13 juin 2012.

[10]        À cette occasion, une revue des différentes expertises dont a fait l’objet la travailleuse au plan psychique est faite.

[11]        On y lit notamment que la travailleuse est porteuse d’un syndrome névrotique envahissant comme il a été reconnu lors de l’octroi de l’atteinte permanente à l'intégrité psychique. Une telle condition bouleverse tant les relations interpersonnelles de la travailleuse que ses activités de la vie quotidienne. Un besoin de surveillance ou l’assistance de l’entourage est requis.

[12]        On y lit aussi que le 18 juillet 2012, le docteur Lalanda, psychiatre, a rédigé un rapport d’évaluation médicale selon lequel la travailleuse est incapable de dormir seule puisqu’elle a peur. À cette époque, son conjoint travaille de nuit comme signaleur routier et la travailleuse ne s’endort qu’à son retour du travail. Le médecin indique que la travailleuse conserve des symptômes de stress post-traumatique chronique avec un trouble anxieux et des attaques de panique importante.

[13]        De son côté, le 4 décembre 2012, le docteur Serge Gauthier, psychiatre, recommande la présence d’une accompagnatrice durant la nuit quand le conjoint de la travailleuse s’absente pour travailler. Il insiste sur un besoin de surveillance marquée en lien avec le contrôle de soi la nuit.

[14]        En regard de cette preuve, la Commission des lésions professionnelles déclare le 6 août 2013 que la travailleuse a besoin d’une surveillance constante la nuit, besoin qui découle des conséquences de sa lésion professionnelle. L’aide demandée s’assimile à celle requise par un travailleur qui a besoin d’assistance pour se laver ou préparer ses repas. Elle répond ainsi aux prescriptions de la loi concernant l’aide personnelle à domicile.

[15]        Cette aide est ainsi octroyée à compter du 13 juin 2012 pour la surveillance marquée du contrôle de soi de la travailleuse.

[16]        C’est dans ce contexte que la CSST procède au paiement des montants suivants pour donner suite à la décision rendue :

Pour la période du 13 juin 2012 au 6 septembre 2013 un montant global de 9 281,00 $ est versé.

 

Pour la période du 7 au 18 septembre 2013, la travailleuse a droit à un montant de 252,80 $; après, elle n’a droit à aucun montant.

 

 

[17]        Le détail de ces montants apparaît à la note évolutive de la CSST du 16 septembre 2013. On y lit qu’en 2013 le montant d’aide personnelle à domicile est de 632 $ par mois pour un besoin de surveillance de niveau 2.

[18]        À cette note, la conseillère en réadaptation indique également que la situation de la travailleuse a changé. En effet, son conjoint a démissionné de son emploi de nuit parce qu’elle n’arrivait pas à dormir. Il occupe maintenant deux emplois qu’il gère à partir de son domicile. Immédiatement, la conseillère en réadaptation exprime un doute sur le droit à la poursuite du paiement de l’aide personnelle à domicile. En effet, à son avis, la situation qui donnait droit au paiement n’existe plus. Elle informe la travailleuse qu’elle procèdera à une vérification en ce sens.

[19]        Le 18 septembre 2013, la conseillère en réadaptation informe la travailleuse que son conjoint étant dorénavant présent jour et nuit, le paiement pour des frais d’aide personnelle à domicile doit cesser. La travailleuse est mécontente de cette décision. Elle aurait affirmé à la conseillère que l’allocation lui permettrait à elle et son conjoint qu’il abandonne son travail plus rémunérateur de signaleur. En cessant le versement, il devra retourner travailler de nuit.

[20]        À l’audience, la travailleuse dépose la lettre de démission de son conjoint. Elle est datée du 7 juin 2013 donc antérieure à la décision de la CSST de mettre fin au versement de l’aide personnelle à domicile. On y lit ce qui suit :

[…]

 

C’est avec beaucoup d’émotions que je vous informe, par la présente, que je vous remets ma démission de mon travail de nuit pour l’état de santé de mon épouse.

 

[…]

 

Soyez assuré que j’apprécie au plus haut point l’expérience que j’ai acquise dans votre compagnie.

 

[….]

 

 

[21]        La travailleuse confirme qu’elle était incapable de dormir dès le départ de son conjoint vers 18 heures quand il partait travailler de nuit. Elle demeurait éveillée jusqu’à son retour. Durant quelque temps, sa belle-fille est venue coucher chez elle, mais personne d’autre ne l'a fait depuis. La travailleuse ajoute qu’elle craint toute autre personne que sa famille proche qui serait appelée à coucher chez elle.

[22]        À l’audience, elle nie avoir dit à la conseillère en réadaptation que la fin du versement de l’allocation constituerait un manque à gagner pour elle et son conjoint. Dans tous les cas, elle affirme avoir connu le montant alloué par la CSST de manière concomitante à la décision de mettre fin à son versement.

[23]        Le 20 septembre 2013, la CSST a rendu sa décision de mettre fin au versement du paiement des frais d’aide personnelle à domicile. Cette décision a été confirmée en révision administrative le 6 novembre 2013 quand la CSST conclut que l’aide personnelle à domicile demandée par la travailleuse n’est plus nécessaire à son maintien à domicile à compter du 19 septembre 2013. Il s’agit du litige dont le tribunal est saisi.

L’AVIS DES MEMBRES

[24]        Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales ont des avis différents.

[25]         Selon le membre issu des associations d’employeurs, la preuve montre que les motifs ayant justifié le paiement des frais d’aide personnelle à domicile à la travailleuse n’existent plus. En conséquence, la CSST était bien fondée à mettre fin à son versement le 19 septembre 2013.

[26]        De son côté, le membre issu des associations syndicales est plutôt d’avis que la travailleuse a toujours besoin de l’aide personnelle à domicile pour les motifs exprimés à la décision du 6 août 2013. En effet, elle a toujours besoin d’une surveillance marquée pour le contrôle de soi. Le fait que c’est son conjoint qui assume cette surveillance ne doit pas la priver du paiement prévu à la loi à cette fin.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[27]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse avait droit le 19 septembre 2013 à la poursuite du paiement de l’aide personnelle à domicile.

[28]        Le tribunal note que la décision de la CSST pour refuser le paiement de l’aide personnelle à domicile repose sur un seul motif, soit que la situation qui permettait de la verser n’existe plus. C’est l’article 162 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la loi) qui prévoit dans quelles circonstances l’aide peut ainsi être cessée, on y lit :

162. Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :

 

1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou

 

2° est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S - 4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5).

__________

1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.

[29]        Il va de soi qu’en l’espèce le deuxième alinéa ne s’applique pas. Il reste à décider si la travailleuse était redevenue capable de prendre soin d’elle-même le 19 septembre 2013 ou d’effectuer sans aide les tâches qu’elle pouvait faire avant sa lésion professionnelle. La soussignée est d’avis qu’aucune de ces situations ne se retrouve dans les circonstances du présent dossier.

[30]        En effet, il y a absence de preuve prépondérante d’un quelconque changement concernant le besoin de surveillance marquée pour le contrôle de soi de la travailleuse. Or, c’est en regard de ce seul besoin que l’aide personnelle lui a été accordée par une décision finale de la Commission des lésions professionnelles. Donc, le besoin existe toujours.

[31]        Ce qui a changé par ailleurs, c’est la situation familiale de la travailleuse. Comme elle en a témoigné, depuis le 7 juin 2013, son conjoint est à la maison jour et nuit alors qu’antérieurement ce n’était pas le cas.

[32]        Bien que dans la décision qui est en litige, la CSST ne le précise pas en ces mots, manifestement elle évalue que l’apport du conjoint permet de cesser le paiement de l’aide personnelle à domicile. La soussignée ne partage pas une telle interprétation pour les motifs suivants.

[33]        D’une part, l’article 159 de la loi énonce clairement que l’aide personnelle à domicile comprend les frais d’engagement d’une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui-même. Or, cette disposition prévoit aussi que cette  personne peut être le conjoint d’un travailleur.

[34]        D’autre part, s’il est vrai que la jurisprudence du tribunal[6] a déjà indiqué que cet apport familial fait obstacle au paiement de l’aide personnelle à domicile, dans l’affaire Melo et Aluminium Varina inc.[7] (la décision Melo) une nuance a été apportée concernant cette interprétation. De l’avis de la soussignée, les propos suivants tirés de cette décision, en les adaptant, reflètent bien l’esprit dans lequel l’article 162 de la loi doit être interprété :

[58] La Commission des lésions professionnelles considère que si la CSST et le tribunal prennent en compte l’apport du conjoint ou de la famille d’un travailleur pour refuser de lui accorder de l’aide personnelle à domicile, l’équité commande que le tribunal considère l’épuisement de cet apport familial lorsque celui-ci découle des conséquences de la lésion professionnelle du travailleur. Dans un tel contexte, l’aide personnelle demandée permet d’atteindre l’objectif de la loi qui est de réparer les conséquences d’une lésion professionnelle et non d’apporter un support à un aidant naturel.

 

[59] Dans le présent dossier, la preuve établit que la conjointe du travailleur effectue plus de tâches domestiques et de tâches reliées au bien-être du travailleur en raison des conséquences importantes de la lésion professionnelle de ce dernier. En effet, bien que le travailleur ait acquis une certaine autonomie malgré sa paraplégie, son épouse l’aide notamment dans certains transferts notamment au lever et au coucher. Le travailleur indique également qu’elle apporte son soutien pour l’habillement, notamment enfiler ses pantalons et pour son hygiène personnelle. Il ajoute qu’en raison de sa condition, sa conjointe a plus de travail parce qu’elle doit installer et nettoyer le siège pour les toilettes et qu’elle doit laver plus souvent les draps du lit en raison de problèmes reliés à sa condition au chapitre de la fonction intestinale.

 

[Nos soulignements]

 

 

[35]        En l’espèce, la travailleuse n’a pas allégué et encore moins prouvé que son conjoint souffrait d’un épuisement quelconque. Elle a toutefois prouvé que ce dernier a abandonné son emploi pour un seul motif, soit parce qu’elle a un besoin de surveillance marquée, notamment la nuit. Ce besoin a été reconnu postérieurement à la démission du conjoint de la travailleuse, ce qui prouve qu’il existait réellement et que la démission n’a pas été faite pour un seul motif pécuniaire.

[36]        De plus, la travailleuse a témoigné de manière non contredite et crédible qu’elle est incapable d’envisager la présence chez elle d’une personne autre que son conjoint ou de  l’un des membres proches de sa famille. Il ne s’agit pas d’un caprice, mais bien d’une séquelle de sa lésion professionnelle qui, rappelons-le, a permis l’octroi d’un déficit anatomophysiologique important et des limitations tout aussi importantes qui ont conduit à une déclaration de non-employabilité.

[37]        Ainsi, le conjoint de la travailleuse peut être considéré non seulement comme un aidant naturel, mais, dans les circonstances du présent dossier, comme étant l’un des seuls en mesure de remplir une telle fonction. Comme il est mentionné dans la décision Melo, il ne s’agit pas en l’espèce d’apporter un appui à un aidant naturel, mais bien de tenter de réparer l’une des séquelles de la lésion professionnelle.

[38]        De plus, la preuve montre que le conjoint de la travailleuse n’a pas réellement choisi de démissionner de son emploi de nuit. La condition psychique de la travailleuse l’y a en quelque sorte forcé. Il s’agit d’un motif supplémentaire permettant de déclarer que l’aide personnelle à domicile ne devait pas cesser le 19 septembre 2103.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de M... P..., la travailleuse;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 novembre 2013, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le paiement que l’aide personnelle à domicile ne devait pas cesser le 19 septembre 2103 et que la travailleuse y avait toujours droit.

 

 

_________________________________

 

Luce Morissette

 

 

 

 

 



[1]           Le résumé des faits est tiré du dossier du tribunal.

[2]           Ce pourcentage a été accordé pour une névrose du groupe 3.

[3]           2012 QCCLP 2880.

[4]           2013 QCCLP 4846.

[5]           RLRQ, c. S-2.1.

[6]           Savoie et Hydro-Québec, [1993] C.A.L.P. 980; Palumbo et Bedarco McGruer inc., C.A.L.P. 64519-60-9411, 20 novembre 1996, B. Roy; Beauregard c. CALP, [2000] C.L.P. 55 (C.A.); Guy et D.R.H.C. Direction travail, C.L.P. 130835-72-0001, 18 août 2000, M. Bélanger; Lebel et Municipalité Paroisse de Saint-Éloi, C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault; Jallal et Compagnie d’assurance Allstate du Canada, C.L.P. 178570-72-0202, 8 mai 2002, S. Lemire; Nicolas et Centre d’hébergement de soins de longue durée de Cap-Chat, C.L.P. 157485-01C-0103, 10 janvier 2003, R. Arsenault, révision rejetée, 14 août 2003, M. Carignan.

[7]           2011 QCCLP 3356.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.