Décision

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Modèle de décision CLP - janvier 2010

R.P. (Succession de) et Compagnie A

2012 QCCLP 2569

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

10 avril 2012

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossiers :

410779-03B-1005   423638-03B-1011

 

Dossier CSST :

125588111

 

Commissaire :

Michel Sansfaçon, juge administratif

 

Membres :

Jean-Guy Guay, associations d’employeurs

 

Francine Roy, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Johanne Gagnon, médecin

 

 

______________________________________________________________________

 

R... P... (succession)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

[Compagnie A] (faillite)

 

Villeneuve Venne Coosa inc.

 

Parties intéressées

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 410779-03B-1005

[1]           Le 20 mai 2010, la succession de monsieur R... P... (la succession), en la personne de madame C... V..., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 8 avril 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 22 octobre 2009 et déclare que monsieur R... P... (le travailleur) n’est pas décédé des suites d’une lésion professionnelle et que sa succession n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

Dossier 413638-03B-1011

[3]           Le 3 novembre 2010, la succession dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 21 septembre 2010 à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 7 avril 2010 et déclare que le travailleur n’a pas subi d’aggravation de sa maladie professionnelle et que sa succession n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel étant donné l’absence d’atteinte permanente supplémentaire.

[5]           Une audience a eu lieu à Thetford Mines le 10 janvier 2012. La succession était présente et représentée. [Compagnie A] (l’employeur) était absent, tout comme l’étaient Villeneuve Venne Coosa inc. (le syndic) et la CSST.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 410779-03B-1005

[6]           La succession demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le décès du travailleur est relié au cancer pulmonaire dont il a souffert en 1999 et 2001 et que, par conséquent, elle a droit aux prestations prévues à la loi à titre de conjointe.

Dossier 413638-03B-1011

[7]           La succession demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST aurait dû procéder, en 2007, à une révision du dossier du travailleur tel qu’il avait été recommandé de le faire en 2004 par le Comité Spécial des présidents.

 

L’AVIS DES MEMBRES

Dossier 410779-03B-1005

[8]           Le membre issu des associations d’employeurs considère que la requête doit être rejetée. À son avis, la preuve démontre que le décès du travailleur est relié à sa maladie pulmonaire obstructive chronique et non pas à son cancer pulmonaire. Il s’en remet à l’opinion du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité Spécial des présidents.

[9]           La membre issue des associations syndicales considère que la requête doit être accueillie. À son avis, le cancer pulmonaire d’origine professionnelle a eu pour effet d’aggraver la maladie pulmonaire du travailleur. Sans ce cancer, le travailleur n’aurait probablement pas mis fin à ses jours le 3 février 2009. Elle est d’accord avec les motifs du soussigné.

Dossier 423638-03B-1011

[10]        Le membre issu des associations d’employeurs considère que la requête doit être rejetée. À l’instar du Comité Spécial des présidents, il juge que le cancer pulmonaire du travailleur n’a aucunement évolué depuis la seconde intervention qui a eu lieu en 2001. Selon lui, l’aggravation du syndrome obstructif du travailleur est attribuable au tabac dont il a fait usage durant de très nombreuses années.

[11]        La membre issue des associations syndicales considère que la requête doit être accueillie. À son avis, le dossier du travailleur devrait être réévalué comme l’avait recommandé le Comité Spécial des présidents en 2004. Elle est d’accord avec les motifs du soussigné.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[12]        Le travailleur est né le [...] 1934. Il exerce différents métiers dans les mines d’amiante du début des années 1960 jusqu’à sa retraite en 1995. Durant ces nombreuses années, il subit une exposition à la poussière d’amiante qui, à certains moments, est qualifiée d’intense et de prolongée[2].

[13]        Le travailleur fume la cigarette durant plusieurs années et cesse en 1995, en raison d’une toux persistante. Dans un rapport de consultation daté du 29 avril 1997, le docteur Francis Laberge écrit en effet que le travailleur a fait usage du tabac jusqu’à 40 cigarettes par jour. La toux a motivé l’arrêt du tabagisme. Malgré cet abandon, le travailleur ne note pas d’amélioration de ses symptômes respiratoires.

[14]        Dans le même rapport, le docteur Laberge explique que, depuis plusieurs années, le travailleur éprouve une dyspnée progressive qui survient lors d’efforts modérés. Le docteur Laberge diagnostique une maladie pulmonaire obstructive chronique de type bronchique tabagique. Il qualifie le syndrome obstructif de modéré. L’examen physique est décrit comme suit :

Examen physique : patient en bon état général. Pas d’adénopathie. Pas d’hippocratisme digital. Le murmure vésiculaire est diminué et il y a la présence de quelques ronchis. L’examen cardiaque est normal, de même que l’examen abdominal.

 

Une radiographie pulmonaire ne démontre pas de pathologie active. Il y a un peu d’hyperinflation.

 

Des tests de fonction respiratoire ont été effectués. Les volumes pulmonaires sont normaux, de même que la diffusion. Les débits expiratoires sont toutefois abaissés de façon modérée avec un VEMS qui se situe à 48 % de la prédite. Il n’y a pas de changement après la prise de bronchodilatateurs.

 

 

[15]        Dans une note d’évolution rédigée le 2 février 1998, on peut lire que le travailleur consulte en raison d’une décompensation avec surinfection respiratoire de sa maladie pulmonaire.

[16]        Un bilan de base des fonctions respiratoires, effectué le 17 mars 1998, démontre que le travailleur présente un syndrome obstructif avec hyperinflation et abaissement de la diffusion, le tout suggérant un emphysème.

[17]        Le 17 mars 1998, le docteur Bruno Raby, pneumologue, explique que le travailleur présente toujours une dyspnée à l’effort qui est modérée. Il peut aller marcher sans trop de problèmes, même par temps froid et par grand vent. Le bilan de base des fonctions respiratoires, fait le 11 mars 1998, est sensiblement le même que celui d’avril 1997. Il conclut que la maladie pulmonaire obstructive chronique modérée du travailleur est stable.

[18]        Le 31 mars 1998, une épreuve d’effort sur bicyclette ergométrique amène la conclusion suivante :

Conclusion : Épreuve d’effort démontrant une limitation ventilatoire à l’exercice. Désaturation importante en oxygène à l’exercice.

 

 

[19]        Une tomodensitométrie thoracique et abdominale, effectuée le 17 décembre 1998, permet de soupçonner la présence d’une néoplasie au segment antérieur du lobe supérieur droit. Une bulle emphysémateuse de près de 4 cm est également visualisée à l’apex du poumon droit.

[20]        Dans un rapport de consultation daté du 4 février 1999, le docteur Jocelyn Grégoire, chirurgien thoracique, explique que le travailleur présente un carcinome à grandes cellules au niveau du lobe supérieur droit. Il recommande de procéder à une thoracotomie et à une lobectomie supérieure. Il signale notamment que le travailleur est très actif dans sa région; il marche plusieurs kilomètres par jour avec une dyspnée à l’effort très acceptable. À la fin de son rapport, le docteur Grégoire ajoute que les risques de l’intervention sont expliqués au travailleur, incluant l’insuffisance respiratoire.

[21]        Le 8 février 1999, le travailleur subit une bilobectomie supérieure et moyenne pour exérèse d’un carcinome à grandes cellules du lobe supérieur droit. Il présente par la suite plusieurs complications, dont une fuite aérique persistante et prolongée associée à des espaces résiduels au niveau de l’espace pleural droit. Il présente aussi un iléus suite à des pneumopéritoines iatrogéniques. L’hospitalisation dure 42 jours.

[22]        Dans un rapport émis le 19 mai 1999, le docteur Jean Deslauriers, chirurgien thoracique, mentionne que l’état du travailleur présente une bonne évolution. Il a bien récupéré, mais le pronostic demeure difficile à déterminer considérant le stade élevé de la maladie du travailleur qui est démontrée par la présence d’un nodule satellite dans un lobe qui est non primaire.

[23]        Le 15 décembre 1999, le docteur Grégoire explique que le travailleur a présenté un épisode de toux importante accompagnée de douleurs au niveau du site de son opération. En novembre de la même année, il a souffert d’une infection des voies respiratoires supérieures avec toux et expectorations. Une cartographie osseuse et des radiographies n’ont toutefois pas démontré de récidive néoplasique.

[24]        Dans un rapport daté du 16 novembre 1999, le docteur Noël Lampron, pneumologue, explique que le travailleur dit présenter un peu plus de dyspnée dans le contexte d’une surinfection bronchique au Neisseria. Les tests de fonction respiratoire  sont sensiblement superposables aux précédents. Il conclut à un état pulmonaire relativement stable.

[25]        Le travailleur est hospitalisé du 19 au 23 juin 2000 pour un complément d’investigation en raison d’une petite lésion suspecte démontrée par une radiographie. Dans le rapport d’hospitalisation, le docteur Grégoire explique que les tests effectués démontrent de petites formations bénignes.

[26]        Le 11 octobre 2000, le docteur Grégoire mentionne que le travailleur a récemment fait deux épisodes de surinfection bronchique. Il est toutefois redevenu asymptomatique. Il tousse légèrement et n’est pas dyspnéique. Le docteur Grégoire est d’avis que le travailleur est en rémission clinique et radiologique depuis sa chirurgie.

[27]        Une tomodensitométrie axiale thoracique, effectuée le 11 juillet 2001, démontre l’apparition de nouvelles lésions au poumon droit, suggérant une possible récidive néoplasique :

La dernière radiographie pulmonaire du 8 juillet 2001 et l’examen d’aujourd’hui démontrent de nouvelles lésions au poumon droit.

 

Il y a d’abord de multiples lésions cavitaires qui sont apparues au sommet pulmonaire droit, avec des parois relativement épaisses et un remaniement du parenchyme pulmonaire adjacent.

 

Juste au-dessus du hile pulmonaire droit, il y a également une zone un peu nodulaire mesurant près de 2 cm de diamètre.

 

Ces changements au niveau du poumon droit soulèvent deux possibilités :

 

Soit une récidive néoplasique, ou soit une infection par la tuberculose, étant donné la présence de multiples lésions cavitaires que l’on ne voyait pas sur le cliché pulmonaire de novembre 1999.

 

 

[28]        Le travailleur est, d’abord, hospitalisé du 9 au 12 juillet 2001 et, ensuite, du 16 au 21 juillet 2001 pour une pneumonie.

[29]        Dans un rapport daté du 4 septembre 2001, le docteur Francis Laberge évoque la possibilité d’une pneumonie nécrosante à Aspergillus.

[30]        Le 23 octobre 2001, le docteur Louis-Philippe Boulet mentionne que le travailleur a possiblement fait une infection à Aspergillus. Il précise que la maladie pulmonaire obstructive chronique semble identique au niveau des symptômes.

[31]        Le travailleur est hospitalisé du 14 au 23 novembre 2001. Dans le rapport d’hospitalisation, on peut lire qu’un TACO pulmonaire, effectué le 15 novembre 2001, révèle une lésion suspecte dans le segment postérieur du lobe inférieur gauche. Une biopsie confirme la présence de cellules atypiques de cancer non à petites cellules. La docteure Johanne Côté résume en disant que le travailleur présente une détérioration importante de sa condition pulmonaire avec une récidive probable de néoplasie au niveau du lobe inférieur gauche. Elle conseille au travailleur d’attendre la stabilisation de son état avant d’entrevoir une chirurgie thoracique.

[32]        Dans un rapport de consultation émis le 3 janvier 2002, le docteur Grégoire mentionne que le travailleur a été traité en raison d’une bronchopneumonie importante et d’une surinfection à Pseudomonas. Il précise également qu’une biopsie a confirmé la présence d’un carcinome non à petites cellules au poumon gauche.

[33]        Le travailleur est hospitalisé à compter du 29 janvier 2002. Le 6 février 2002, il subit une thoracoscopie gauche pour la résection cunéiforme d’une formation nodulaire du lobe inférieur gauche.

[34]        Le 7 mai 2002, le docteur Francis Laberge mentionne que la condition du travailleur évolue bien. La perte de volume du poumon droit ne s’est pas accentuée. Les tests de fonction respiratoire démontrent un syndrome mixte avec une participation restrictive modérée et obstructive sévère.

[35]        Dans un rapport daté du 18 juin 2002, le docteur Noël Lampron précise que le travailleur continue d’avoir des problèmes de surinfection. Il mentionne une extériorisation de sang par la bouche. Il ajoute qu’il est porteur d’une maladie pulmonaire obstructive chronique relativement sévère, avec un VEMS aux alentours de 45 % des valeurs prédites, soit 1,22 litre. La diffusion au monoxyde de carbone est abaissée à 39 % et s’améliore à 60 % lorsqu’on tient compte du volume alvéolaire. Le docteur Lampron conclut qu’il y a probablement de l’emphysème associé.

[36]        Le 19 août 2002, le docteur Rosaire Vaillancourt précise que l’état du travailleur semble se détériorer lentement, quoique son état général soit assez bon. Une radiographie récente ne révèle pas de nouvelles lésions.

[37]        Dans un rapport produit le 23 juin 2002, le docteur Grégoire mentionne que le travailleur connaît une bonne évolution. Il se sent plus fort et a moins de dyspnée d’effort.

[38]        Un bilan respiratoire effectué le 13 février 2003 démontre que le travailleur présente un syndrome obstructif sévère peu réversible avec amputation de la diffusion du CO, le tout compatible avec de l’emphysème pulmonaire.

[39]        Dans un rapport émis le 10 juin 2003, le docteur Francis Laberge précise que le travailleur rapporte une certaine détérioration de ses symptômes.

[40]        Le 2 septembre 2003, le docteur Louis-Philippe Boulet produit un rapport d’examen dans lequel il explique que l’état du travailleur est stable. La radiographie pulmonaire ne démontre aucune modification par rapport au test précédent. La courbe d’expiration forcée n’est pas modifiée par rapport aux valeurs habituelles avec un VEMS à 0,96 augmentant à 1,1 litre après bronchodilatateurs. Le docteur Boulet conclut qu’il n’y a pas d’évidence de progression des différentes pathologies.

[41]        Dans un rapport produit le 9 décembre 2003, le docteur Laberge conclut à une stabilité clinique.

[42]        Le 15 décembre 2003, le docteur Grégoire explique que le travailleur présente une légère dyspnée à l’effort qui module ses activités, mais qui est cependant stable. Il suggère au travailleur de soumettre une réclamation à la CSST.

[43]        Le 19 janvier 2004, le docteur Serge Boucher, pneumologue, retient un diagnostic d’amiantose présumée. Il explique que le travailleur a une histoire d’exposition importante à l’amiante ainsi que des antécédents de tabagisme et de néoplasie pulmonaire. Selon lui, il est évident que le tabagisme a pu être le facteur principal en ce qui concerne la néoplasie pulmonaire, mais il est également bien connu que l’exposition à l’amiante augmente considérablement le risque de présenter une néoplasie pulmonaire. Il recommande de soumettre le dossier au Comité des maladies pulmonaires professionnelles pour opinion et recommandations.

[44]        Le 29 janvier 2004, le travailleur soumet une réclamation à la CSST dans le but de faire reconnaître une maladie professionnelle.

[45]        Des tests de fonction respiratoire, effectués le 12 août 2004, permettent au docteur Mathieu Simon, pneumologue, de conclure à ce qui suit :

CONCLUSION :

 

Sévère limitation de la tolérance à l’effort liée à l’épuisement des réserves ventilatoires et de la capacité d’échange de la membrane alvéolo-capillaire. Désaturations très significatives avec rétention progressive de CO2 et épuisement des réserves ventilatoires. L’élévation prématurée de la fréquence cardiaque est en lien avec la charge de travail ventilatoire.

 

 

[46]        Le 3 septembre 2004, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires reconnaît que le travailleur a souffert d’un cancer bronchique d’origine professionnelle, en 1999, et d’une récidive de ce cancer, en 2001 :

OPINION ET COMMENTAIRES : Monsieur P... a développé un cancer bronchique en 1999 qui a nécessité une bilobectomie supérieure et moyenne droite. Une récidive de ce cancer dans le poumon gauche en 2001 a justifié une segmentectomie au lobe inférieur. On note dans le dossier qu’il présente de forts antécédents de tabagisme.

 

Mais sur le plan professionnel, il a travaillé pendant environ vingt-sept ans dans les mines d’amiante et nous apparaît avoir occupé des emplois qui par moments l’ont soumis à une exposition intense et prolongée aux poussières d’amiante. On retrouve de nombreuses plaques pleurales qui témoignent de cette exposition, mais il n’y a pas de signe d’amiantose dans le parenchyme pulmonaire.

 

Considérant l’ensemble de ces données et en appliquant le principe de la prépondérance des probabilités, notre Comité estime que l’exposition professionnelle à l’amiante a joué un rôle causal significatif dans l’installation de ce cancer. Nous recommandons de le reconnaître comme un cancer d’origine professionnelle. Au niveau de la compensation toutefois, nous pensons qu’une partie des séquelles doit être imputée aux antécédents de tabagisme, en particulier les changements obstructifs importants. Nous recommandons donc d’établir ainsi le bilan des séquelles :

 

223001             MALADIE IRRÉVERSIBLE (cancer bronchique)                                   5 %

123020             SÉQUELLES DE BILOBECTOMIE                                                     6 %

104700             THORACOTOMIE DROITE                                                                 5 %

104700             THORACOTOMIE GAUCHE                                                               5 %

223136             DÉFICIT FONCTIONNEL CLASSE 2                                                 20 %

 

DAP TOTAL :                                                                                                        41 %

 

TOLÉRANCE AUX CONTAMINANTS : Patient retraité. Il ne doit plus être exposé à l’amiante.

 

LIMITATION FONCTIONNELLE : Patient retraité.

 

RÉÉVALUATION PROPOSÉE : Dans trois ans.

 

 

[47]        Le 14 octobre 2004, le Comité Spécial des présidents produit un rapport qui corrobore les conclusions du Comité des maladies pulmonaires professionnelles :

[…]

 

Ce patient a développé un cancer bronchique. Sur le plan professionnel, il a travaillé environ 27 ans dans les mines et moulins d’amiante. Il nous a appris avoir occupé des emplois qui l’ont soumis à des expositions intenses et prolongées aux poussières d’amiante.

 

On retrouve de nombreuses plaques pleurales qui témoignent de cette exposition.

 

Considérant l’ensemble des données, le comité est donc d’accord pour reconnaître que le cancer bronchique dont souffre ce patient a été favorisé par les antécédents professionnels d’exposition à l’amiante.

 

Il s’agit donc d’un cancer d’origine partiellement professionnelle.

 

Au niveau de la compensation, nous recommandons d’établir ainsi le bilan des séquelles.

 

CODE              DESCRIPTION                                                                           DAP %

 

223001             MPP à caractère irréversible                                                              5 %

 

123020             Bilobectomie                                                                                    6 %

 

104700             Thoracotomie droite                                                                           5 %

 

104700             Thoracotomie gauche                                                                        5 %

 

223136             Classe fonctionnelle 2                                                                     20 %

 

                                                                                              DAP TOTAL :           41 %

 

Tolérance aux contaminants :

 

Patient retraité. Il ne doit plus être exposé à l’amiante.

 

Limitations fonctionnelles :

 

Patient retraité.

 

Réévaluation :

 

Dans trois ans.

 

 

[48]        Le 17 mars 2005, le docteur Laberge signale que le travailleur présente peu de modifications au point de vue du syndrome obstructif. Il n’y a pas d’évidence de récidive néoplasique.

[49]        Le travailleur est hospitalisé du 1er au 2 septembre 2005 suite à la détérioration de sa condition. Dans le rapport d’hospitalisation, la docteure Trépanier explique que le travailleur est de plus en plus dyspnéique, au point d’avoir de la difficulté à marcher. Elle doit régulièrement augmenter sa cortisone. Durant l’été, le travailleur a restreint ses activités à faire du tracteur, lors de la tonte du gazon, ou à se promener avec sa camionnette sur sa terre. Un bilan respiratoire récent a démontré une nette détérioration, la diffusion ayant passé de 32 à 16 %, avec une chute drastique du VEMS et une saturation à 88 % et 86 %. Une oxygénothérapie a été recommandée. En fin de rapport, la docteure Trépanier explique que le travailleur va bien, si ce n’est de la dyspnée.

[50]        Le 8 septembre 2005, le docteur Mathieu Simon explique que le travailleur a présenté une perforation digestive compliquée d’une éventration puis d’une réanastomose digestive. Depuis ce temps, il se dit un peu diminué dans sa capacité respiratoire, ce qui ne l’a pas empêché de passer l’été sur sa plantation de sapins et dans son jardin. Le docteur Simon précise que les examens ont mis en évidence une réduction de ses chiffres de VEMS qui s’est abaissé à 27 %. Le bilan de base montre un effondrement de la DLCO, mais une préservation des volumes pulmonaires. En conclusion, le docteur Simon mentionne qu’il n’y a pas de détérioration spécifique autre que l’évolution naturelle à blâmer pour l’abaissement du VEMS. Il est d’accord avec l’utilisation d’oxygène. Le travailleur est hospitalisé du 11 au 16 novembre 2005 pour une pneumonie.

[51]        Dans un rapport daté du 15 décembre 2005, le docteur Grégoire explique que l’année 2005 a été très difficile pour le travailleur :

[…] L’année 2005 a été particulièrement éprouvante à cause de ses problèmes abdominaux. Notons par ailleurs qu’il a aussi présenté une nette détérioration de sa fonction respiratoire alors qu’il est actuellement sous oxygène à domicile à raison de 12 heures par jour. Plus récemment il a présenté des symptômes pouvant suggérer une broncho-pneumonie de la base gauche traitée efficacement avec antibiothérapie pendant quelque temps au Centre hospitalier régional de l’Amiante.

 

 

[52]        Le docteur Grégoire note que le travailleur va mieux. À l’effort, il est plus essoufflé qu’auparavant, ce qui est compréhensible. À l’examen physique, le docteur Grégoire fait remarquer que le travailleur garde un état général qu’il qualifie de relativement acceptable. Il présente un faciès cushingoïde discret.

[53]        Dans un rapport daté du 12 janvier 2006, le docteur Boulet mentionne que le travailleur a une atteinte pulmonaire importante et un emphysème sévère. Il ne fume plus depuis quelques années, mais demeure quand même avec des séquelles importantes d’autant plus qu’il est oxygénodépendant et assez limité dans ses activités quotidiennes. Le travailleur est hospitalisé du 8 au 12 février 2007 pour une surinfection à streptocoque.

[54]        Le 31 mai 2007, la docteure Johanne Côté produit un rapport expliquant que le travailleur est eupnéique au repos. Des tests respiratoires démontrent un syndrome obstructif très sévère avec un VEMS qui est abaissé à 21 % de la valeur prédite. La capacité pulmonaire totale est normale avec une diffusion effondrée à 16 %. Elle conclut à une maladie pulmonaire obstructive chronique corticodépendante et oxygénodépendante. Le travailleur est hospitalisé du 26 juin 2007 au 4 juillet 2007 en raison d’une pneumonie.

[55]        Dans un rapport émis le 16 octobre 2008, le docteur Michel Laviolette rapporte des œdèmes aux membres inférieurs un peu plus importants à droite qu’à gauche. Il indique qu’il n’y a pas de signe de récidive de la néoplasie ni de signe d’infection.

[56]        Le travailleur est hospitalisé du 16 au 26 janvier 2009 en raison de sa maladie pulmonaire obstructive chronique surinfectée. La docteure Maggie Lachance explique que le travailleur est un patient de 74 ans connu pour une maladie pulmonaire obstructive chronique très sévère oxygénodépendante avec traitement maximal en regard de la médication. Il a été hospitalisé dans un contexte de dyspnée augmentée avec toux et impression d’oppression au niveau costal. Elle ajoute que le travailleur s’est amélioré de jour en jour, mais qu’il demeure dyspnéique.

[57]        Le travailleur est de retour à sa résidence le 26 janvier 2009. Il met fin à ses jours, à l’aide d’une arme à feu, le 3 février 2009.

[58]        Le compte rendu final de l’autopsie, qui a lieu le 5 février 2009, contient les conclusions suivantes :

 

CONCLUSION

 

1 -        Décès par arme à feu avec entrée d’un projectile unique au niveau de la région cervicale latérale droite et sortie de ce projectile au niveau du tiers postérieur du maxillaire inférieur gauche avec, sur le trajet, section de la trachée et vraisemblablement des vaisseaux majeurs du cou.

 

2 -       Altérations pulmonaires multiples :

 

-           Bronchite chronique.

-           Nodules silicotiques.

-           Pneumonie en organisation au lobe inférieur gauche.

-           Fibrose interstitielle légère à modérée.

-           Status postlobectomie supérieur et moyenne droite pour carcinome non à petites cellules.

-           Adhérences pleurales bilatérales.

 

 

[59]        Le 22 octobre 2009, la CSST rejette la réclamation de la succession et déclare que le décès du travailleur n’est pas relié à sa maladie professionnelle.

[60]        Le 17 novembre 2009, la docteure Line Trépanier, médecin du travailleur, fait parvenir à la CSST une lettre dans laquelle elle explique qu’à son avis, le travailleur s’est suicidé pour cesser de souffrir de toutes les complications reliées à son cancer pulmonaire :

Nous savons que monsieur P... avait un cancer pulmonaire relié à l’amiante. Il fut opéré une première fois, en février 1999, par bilobectomie supérieure et moyenne droite. Le tout s’était compliqué d’une importante infection à Aspergillus et un pneumothorax. Il a été hospitalisé pendant 42 jours.

 

Avant 1998, soit l’année de la découverte de son cancer, monsieur P... était très actif : il travaillait à tous les jours sur sa terre à bois et avait une vie sociale très active. Monsieur P... n’avait jamais utilisé de pompes et n’avait jamais passé de bilan respiratoire ou consulté un pneumologue pour des fins médicales. Au surplus, monsieur P... n’avait jamais été traité pour quelque problème psychologique ou psychiatrique que ce soit.

 

Après cette chirurgie, l’état pulmonaire de monsieur P... s’est lentement détérioré : il est devenu de plus en plus dyspnéique et sa qualité de vie n’a jamais cessé de se détériorer. Dans les années qui ont suivi, il a présenté de multiples infections pulmonaires qui ont été très difficiles à traiter.

 

En 2002, Monsieur a subi une deuxième chirurgie par lobectomie inférieure gauche, cette fois-ci pour ce qui était considéré comme une métastase de son cancer initial de 1999.

 

À la suite de cette deuxième chirurgie, monsieur P... a subi de multiples surinfections broncho-pulmonaires, à de multiples bactéries dont du Pseudomonas et du Klebsiella Pneumonia.

 

L’introduction de la cortisone au long court et la corticodépendance qui a suivi ont amené son lot de complications : performation digestive qui a nécessité une procédure de Hartmann, qui elle s’est compliquée d’une éventration, suivie d’une réanastomose digestive, un faciès cushingoïde, de l’ostéoporose, etc. Il a également fait de multiples surinfections pulmonaires.

 

En 2004, il y a eu une première évaluation par le Comité des pneumoconioses. En 2007, monsieur P... aurait dû subir une deuxième évaluation, mais il a été incapable de se soumettre aux mêmes tests. Le simple voyage à Québec aurait été une aventure en soi. Dans sa consultation d’avril 2007, la docteure Johanne Côté encourageait même monsieur P... à cesser ses débits de pointes expiratoires, à cause de sa capacité inspiratoire trop petite. Le docteur Laviolette avait abondé dans le même sens en demandant de cesser tout bilan respiratoire.

 

En 2005, il y a eu introduction de l’oxygène à domicile à raison de 12 heures par jour et il est également devenu corticodépendant.

 

Entre 2005 et 2007, la dépendance à l’oxygène est passée à 24 heures sur 24.

 

En décembre 2008, monsieur P... a été confronté à la dure réalité. Il savait qu’on ne pouvait rien changer à ses traitements qui étaient déjà optimaux.

 

Des soins de confort lui ont été proposés. Il était anxieux à l’idée de mourir étouffé. Il était bien conscient que son expérience de vie n’était que de quelques semaines, tout au plus, quelques mois.

 

Avant la détection de son cancer pulmonaire, monsieur P... menait une vie active et travaillait dur sur sa terre à bois.

 

À mon avis, n’eut été de son cancer, des trois lobectomies bilatérales et toutes les complications des traitements postopératoires, monsieur P... aurait maintenu une vie acceptable et aurait continué son travail qu’il affectionnait tant, sur sa terre à bois.

 

C’est bien pour cesser de souffrir de toutes ces complications reliées à son cancer pulmonaire que monsieur P... a posé son geste suicidaire.

 

[…]

 

 

[61]        Le 18 novembre 2009, le fils du travailleur demande à la CSST de procéder à une réévaluation du pourcentage d’atteinte permanente du travailleur. Il explique que son dossier devait être réévalué en 2007, mais que sa condition pulmonaire ne le lui permettait pas. Il ajoute que les dossiers médicaux de l’Hôpital Laval et de l’Hôpital de Thetford contiennent toutes les informations nécessaires pour effectuer une évaluation sur dossier.

[62]        Le 15 mars 2010, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires produit un rapport dans lequel il conclut que le décès du travailleur est consécutif à la dégradation de sa maladie pulmonaire obstructive chronique tabagique. Il n’est pas en relation avec la progression de sa néoplasie :

La question soulevée ici est la suivante :

 

Le réclamant était connu porteur d’un cancer pulmonaire et d’une M.P.O.C. sévère. Il avait eu deux interventions chirurgicales pour néoplasie qui n’avait pas récidivé. Le cancer pulmonaire qui avait été reconnu comme une maladie pulmonaire professionnelle chez ce réclamant n’est donc pas la cause primaire du décès du réclamant. Cette maladie pulmonaire professionnelle a-t-elle joué un rôle dans l’évolution de la M.P.O.C. tabagique de ce réclamant?

 

Nous avons les données d’autopsie qui ne démontrent pas de récurrence de la néoplasie et nous avons des bilans de fonction respiratoire qui démontrent qu’après les interventions chirurgicales de monsieur P..., le VEMS et la capacité de diffusion ne se sont pas détériorés de façon significative immédiatement après ces interventions.

 

La détérioration ultérieure de la fonction respiratoire ne peut donc être attribuée aux interventions chirurgicales en relation avec la maladie pulmonaire professionnelle reconnue chez ce réclamant.

 

La maladie pulmonaire professionnelle avait été reconnue et le DAP de 41 % lui avait été attribué au moment de l’expertise du 3 septembre 2004.

 

L’évolution clinique et fonctionnelle démontre une détérioration significative de la fonction respiratoire qui à notre avis ne peut être attribuée à la néoplasie puisqu’elle n’était pas récurrente ni à la chirurgie, puisque les tests de fonction respiratoire, quelques mois en postopératoire, démontrent que la fonction à ce moment avait été très peu modifiée en comparaison avec l’évaluation préopératoire.

 

 

[63]        Le 25 mars 2010, le Comité Spécial des présidents entérine l’opinion du Comité des maladies pulmonaires professionnelles :

[…] Le comité considère qu’il n’y a aucune évidence de progression de la néoplasie de ce réclamant et par contre il y a évidence de progression de la MPOC tabagique chez ce réclamant et le décès est survenu par suicide. Il n’y a donc pas de relation entre la néoplasie de ce réclamant pour laquelle il a reçu une compensation lors de l’expertise de 2004 et cette néoplasie n’a pas été récurrente par la suite. Le décès est survenu par suicide en phase terminale d’une MPOC avancée.

 

 

[64]        Le 7 avril 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare qu’il y a absence d’aggravation de l’atteinte permanente du travailleur.

Dossier 410779-03B-1005

[65]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si le suicide du travailleur survenu le 3 février 2009 est relié à sa maladie professionnelle, un cancer pulmonaire, reconnue par la CSST en 2004.

[66]        La jurisprudence offre quelques exemples d’affaires similaires. Dans S. R. (Succession) et C.B.[3], le tribunal avait à décider si le suicide d’un travailleur était attribuable à des lésions professionnelles reconnues antérieurement. Après analyse, la juge administrative Diane Beauregard donnait raison à la succession puisque la preuve démontrait l’existence d’un lien déterminant entre les lésions professionnelles et le geste suicidaire posé par le travailleur.

[67]        Dans l’affaire Béland (Succession) et Abattage et Émondage d’arbres F. Gagnon & Fils[4], la Commission des lésions professionnelle a estimé que les faits mis en preuve établissaient que le suicide du travailleur était relié, de manière probante, à la lésion professionnelle qu'il avait subie initialement en 1994.

[68]        Dans la décision Fluet (Succession) et Perreault Soudure Mobile[5], la Commission des lésions professionnelles a conclu qu’un lien de causalité existait entre l’état dépressif ayant conduit le travailleur au suicide et les conséquences d’un accident du travail survenu en 1987. Selon le juge administratif André Gauthier, la lésion professionnelle avait été l’élément déterminant (le déclencheur) de la cascade d’événements malheureux auxquels le travailleur avait été confronté et qui l’avait finalement mené au suicide.

[69]        À la lumière de la jurisprudence, la question en litige consiste donc à se demander s’il existe un lien de causalité probable entre les conséquences de la maladie professionnelle du travailleur et son suicide, par arme à feu survenu, le 3 février 2009.

[70]        La position de la CSST est à l’effet que le décès du travailleur ne résulte pas des conséquences de son cancer pulmonaire. Dans sa décision rendue le 8 avril 2010, elle fait valoir que le travailleur était en rémission depuis quelques années au moment où il a posé le geste fatal. D’ailleurs, le rapport d’autopsie ne démontre pas de récurrence de ce cancer. La dégradation de sa capacité pulmonaire entre 2005 et 2009 est attribuable à la progression de sa maladie pulmonaire obstructive chronique qui, elle, a pour origine un usage prolongé du tabac. Si le travailleur a pris la décision de mettre fin à ses jours, c’est d’abord et avant tout en raison des conséquences de cette maladie préexistante qui a évolué indépendamment du cancer et de ses séquelles.

[71]        La CSST fonde sa décision en bonne partie sur l’opinion émise en 2010 par les pneumologues du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité Spécial des présidents. Les membres du premier comité retiennent, entre autres, que la condition pulmonaire du travailleur ne s’est pas détériorée de façon significative suite aux deux chirurgies reliées à son cancer pulmonaire. De plus, il y a eu absence d’évolution de ce cancer après l’intervention de 2002. Ils sont d’avis que le décès du travailleur est relié directement à l’évolution de sa maladie pulmonaire non professionnelle. La conclusion du Comité Spécial des présidents est donc que le décès est survenu par suicide en phase terminale d’une MPOC avancée.

[72]        Le représentant de la succession prétend que la CSST commet une erreur en dissociant les deux pathologies pulmonaires du travailleur. Même s’il est vrai que le cancer n’a pas récidivé, on ne peut ignorer les effets débilitants que les deux chirurgies ont eus sur la condition personnelle préexistante du travailleur. Le représentant de la succession fait valoir que, n'eût été le cancer pulmonaire résultant d’une exposition intense à l’amiante, la maladie pulmonaire obstructive chronique n’aurait pas évolué de façon aussi rapide et le travailleur ne se serait pas suicidé le 3 février 2009. Ses arguments se résument comme suit :

-           le travailleur était atteint d’un cancer pulmonaire de stade avancé avec métastase;

-           avant la découverte de son cancer, le travailleur n’avait eu que deux épisodes de bronchite;

-           il avait entièrement cessé de fumer en 1995;

-           avant sa première opération, il était porteur d’une maladie obstructive chronique modérée et avait une capacité fonctionnelle quasi normale;

-           l’intervention en février 1999 a entraîné de nombreuses complications dont une fuite aérique persistante ainsi qu’un iléus; l’hospitalisation a duré 42 jours, dont une grande partie aux soins intensifs;

-           le travailleur a souffert d’une pneumonie nécrosante à Aspergillus en 2001; ce type d’infection est généralement associé à la chirurgie que le travailleur a subie; il a également présenté de nombreuses surinfections;

-           le 6 février 2002, il a dû se soumettre à une seconde intervention chirurgicale impliquant le lobe inférieur gauche;

-           à partir d’avril 2002, les médecins ont parlé d’un syndrome obstructif sévère;

-           en août 2002, le docteur Vaillancourt rapportait une nette détérioration de la qualité de vie du travailleur;

-           lors de l’évaluation faite en 2004, les examens de base ont démontré un VEMS à 30 % des valeurs prédites et une PO2 à 63 % à l’air ambiant; ainsi, en cinq ans, après deux lobectomies et une résection cunéiforme du lobe inférieur gauche, le VEMS est passé de 51 % à 30 % de la prédite; la PO2 à l’air ambiant est passée de 92 % à 63 %;

-           à compter de 2005, la condition du travailleur s’est dégradée considérablement; il est devenu progressivement oxygénodépendant et de moins en moins capable de s’adonner à ses activités personnelles;

-           en décembre 2008, des soins palliatifs lui ont été offerts;

-           le 3 février 2009, il a décidé de mettre fin à ses jours pour éviter ce qu’il craignait le plus, c’est-à-dire mourir en étouffant;

-           l’autopsie, effectuée le 5 février 2009, a permis de constater que le poumon droit pesait 110 grammes alors que le gauche en pesait 450; il y avait des adhérences pleurales et de la fibrose interstitielle.

[73]        La difficulté de la présente affaire provient du fait que le travailleur présentait à la fois une pathologie pulmonaire d’origine personnelle, une MPOC identifiée dès 1997 et un cancer pulmonaire reconnu par la CSST en 2004.

[74]        Il ne fait aucun doute que le travailleur souffrait d’une maladie pulmonaire d’étiologie personnelle lorsque le diagnostic de cancer pulmonaire a été posé en 1999. Dans un rapport d’examen daté du 29 avril 1997, le docteur Francis Laberge, pneumologue, retenait un diagnostic de maladie pulmonaire obstructive chronique du type bronchite chronique résultant de l’usage du tabac. Il précisait que le travailleur éprouvait une dyspnée progressive depuis plusieurs années suite à des efforts modérés. Même s’il avait cessé de fumer un an auparavant en raison d’une toux persistante, sa condition ne s’était pas améliorée.

[75]        Il existe des imprécisions quant aux habitudes tabagiques du travailleur. Dans le rapport précité, le docteur Laberge mentionne qu’il a fumé jusqu’à 40 cigarettes par jour. En 2004, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles rapporte un usage du tabac d’une vingtaine d’années à raison d’un demi à un paquet par jour. Dans son rapport de 2010, le même comité parle plutôt d’un paquet et demi, ce qui est probablement une erreur d’écriture. La conjointe du travailleur précise, pour sa part, que le travailleur a commencé à fumer à l’adolescence. Il a arrêté durant quelques années dans la décennie 1970. À l’instar du médecin traitant, elle ajoute que le travailleur fumait un demi-paquet par jour.

[76]        C’est sur ce fond de maladie pulmonaire obstructive irréversible causée par la cigarette que l’on a découvert, en 1999, un cancer pulmonaire. Le travailleur a alors dû subir une bilobectomie supérieure et moyenne au poumon droit le 8 février 1999. Cette chirurgie a été suivie de graves complications (dont une fuite aérique persistante et prolongée) et de plusieurs surinfections bronchiques.

[77]        Une récidive du cancer a été mise évidence en novembre 2001. Les tests ont révélé une lésion suspecte dans le segment postérieur du lobe inférieur gauche. Une biopsie a confirmé la présence de cellules atypiques de cancer non à petites cellules. À ce moment, le travailleur présentait une détérioration importante de sa condition pulmonaire. Il a été opéré, le 6 février 2002, pour la résection cunéiforme d’une formation nodulaire au lobe inférieur gauche. Encore une fois, la période postopératoire a été ponctuée de diverses infections.

[78]        En 2004, la CSST a accepté de reconnaître le caractère professionnel du cancer pulmonaire du travailleur malgré ses antécédents de fumeur. Le Comité Spécial des présidents a retenu un déficit anatomo-physiologique de 41 %.

[79]        Contrairement à ce qui est allégué, la preuve ne démontre pas une détérioration drastique de la condition pulmonaire du travailleur immédiatement après les interventions chirurgicales. Dans les faits, c’est surtout à partir de 2005 que sa condition s’est dégradée de façon marquée. Le dossier documente bien cette détérioration progressive et inexorable de la condition du travailleur jusqu’au 3 février 2009, date à laquelle il s’est donné la mort chez lui.

[80]        Il est impossible de savoir avec précision ce qu’il serait advenu du travailleur s’il n’avait pas présenté un cancer pulmonaire en 1999 et une récidive en 2001. On sait cependant que l’espérance de vie d’une personne souffrant d’une maladie pulmonaire obstructive chronique dépend de certains facteurs tels :

-          l’âge au moment du diagnostic;

-          la gravité de l’atteinte aux poumons;

-          le fait de continuer ou d’arrêter de fumer;

-          le mode de vie;

-          les soins et les traitements reçus;

-          d'autres problèmes de santé.

 

[81]        Il est important de mentionner que le travailleur avait complètement cessé de fumer en 1995, à l’âge de 60 ans. Il n’était pas non plus exposé à la fumée secondaire ou à d’autres contaminants. Son mode de vie était sain et actif. Il était suivi régulièrement par son médecin de famille et prenait la médication appropriée. Même si sa maladie était irréversible, elle était qualifiée de modérée.

[82]        Le portrait que l’on retient de monsieur P..., avant la découverte de son cancer, est celui d’un homme qui aimait la vie et qui jouissait pleinement d’une retraite bien méritée en effectuant divers travaux sur sa propriété. Dans un rapport daté du 4 février 1999 (avant la première intervention chirurgicale), le docteur Jocelyn Grégoire rapporte que le travailleur est très actif dans sa région et qu’il marche plusieurs kilomètres par jour avec une dyspnée d’effort très acceptable.

[83]        De ce qui précède, on constate donc que le travailleur mettait toutes les chances de son côté afin de limiter la progression de sa maladie. Il est reconnu que l’abandon de la cigarette jumelé à un mode de vie sain augmentent substantiellement la qualité et l’espérance de vie d’une personne atteinte de maladie pulmonaire obstructive chronique.

[84]        Durant sa carrière, le travailleur a été exposé à la fibre d’amiante de façon prolongée et intense. Le cancer qui en a résulté était très grave, ayant nécessité une amputation à deux reprises du tissu pulmonaire bilatéral. Dans le rapport d’autopsie, le pathologiste précise que le poumon droit résiduel pèse 110 grammes alors que le gauche en pèse 450. Il note des altérations pulmonaires multiples, dont des nodules silicotiques, une fibrose interstitielle qualifiée de légère à modérée et des adhérences pleurales bilatérales.

[85]        Suite aux deux interventions, le travailleur a dû composer avec des infections à répétition. Bien que les infections thoraciques fassent partie des complications attribuables à la maladie pulmonaire obstructive chronique, elles peuvent également être reliées aux conséquences des deux chirurgies. En ce qui a trait à l’infection à Aspergillus, il est plus que probable qu’elle soit une conséquence de la bilobectomie. Même si on peut présumer que le travailleur aurait probablement eu des infections en l’absence de son cancer, il est raisonnable de croire qu’elles auraient été moins fréquentes, moins sévères et plus faciles à contrôler.

[86]        À l’instar du représentant de la succession, le soussigné considère qu’on ne peut ignorer l’effet combiné de la maladie personnelle et du cancer pulmonaire pour expliquer la dégradation à moyen et à long terme de la condition du travailleur. N’eût été ce cancer et deux interventions chirurgicales, il est raisonnable de penser que la maladie pulmonaire du travailleur aurait évolué plus lentement. Ceci est particulièrement vrai dans le contexte où il avait définitivement cessé de fumer et qu’il n’était plus exposé à d’autres facteurs aggravants alors que sa maladie en était encore à un stade modéré.

[87]        À partir de l’ensemble des circonstances de cette affaire, le tribunal retient donc qu’il y a suffisamment d’indices graves, précis et concordants pour permettre de présumer que le cancer pulmonaire du travailleur a eu pour effet d’aggraver significativement sa maladie pulmonaire obstructive chronique. Sans ce cancer résultant d’une exposition intense à l’amiante, la maladie pulmonaire n’aurait pas évolué de façon aussi importante et le travailleur ne se serait pas enlevé la vie le 3 février 2009.

[88]        La Commission des lésions professionnelles considère que la requête doit être accueillie. La preuve est suffisante pour établir l’existence d’un lien probable entre le cancer pulmonaire reconnu comme maladie professionnelle en 2004 et le geste suicidaire qu’a posé le travailleur le 3 février 2009.

Dossier 423638-03B-1011

[89]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a présenté une aggravation de son atteinte permanente en 2007.

[90]        Dans son avis rendu en 2004, le Comité Spécial des présidents recommandait une réévaluation de la condition du travailleur dans trois ans.

[91]        Les faits démontrent qu’en 2007, une demande a été adressée au travailleur afin qu’il soit rencontré par les membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles conformément à cette recommandation. Or, tel que rapporté par la conjointe du travailleur, ce dernier était si sévèrement handicapé (il était alors oxygénodépendant) qu’il n’a pu se déplacer pour être examiné.

[92]        C’est seulement après son décès que le représentant du travailleur a pris conscience que le Comité des maladies pulmonaires professionnelles pouvait se prononcer à partir du dossier médical et qu’il a adressé une demande en ce sens à la CSST. Le dossier a ainsi été soumis au Comité des maladies pulmonaires professionnelles et au Comité Spécial des présidents afin que ceux-ci déterminent s’il y a eu aggravation de la condition du travailleur entre 2004 et 2007.

[93]        Selon le soussigné, rien ne s’oppose à ce que la CSST procède comme elle l’a fait en l’espèce. Le décès du travailleur n’empêchait aucunement l’un ou l’autre des comités de procéder à la réévaluation qui était prévue depuis 2004.

[94]        À la lecture des avis rendus en 2010, on constate que les membres des deux comités ont surtout cherché à déterminer la cause du suicide du travailleur. Ils ont en quelque sorte joué le rôle de la CSST en se prononçant sur la question de la relation.

[95]        Le rôle du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité Spécial des présidents est énoncé clairement aux articles 230 et 231 de la loi. Il consiste à se prononcer sur le diagnostic, les limitations fonctionnelles, le pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et la tolérance du travailleur à un contaminant :

230.  Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.

 

Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.

__________

1985, c. 6, a. 230.

 

231.  Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.

 

Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.

 

Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.

__________

1985, c. 6, a. 231.

 

 

[96]        Le fait que les membres des comités se soient prononcés sur une question juridique n’invalide pas leur avis. Ils ont par ailleurs conclu à une absence de progression de la néoplasie du travailleur après 2004.

[97]        Compte tenu de la décision rendue dans le dossier 410779-03B-1005, le tribunal considère que la condition pulmonaire du travailleur s’est aggravée entre 2004 et 2007 et que cette aggravation est due, en partie, au cancer pulmonaire d’origine professionnelle dont a souffert le travailleur.

[98]        Selon les résultats obtenus lors du bilan respiratoire du 31 mai 2007, la capacité vitale est à 49 % de la prédite, le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) est à 21 % de la prédite et la capacité de diffusion de l’oxyde de carbone (DLCO) est à 16 %, ce qui correspond à une classe 5 selon le tableau 32 (Évaluation fonctionnelle pulmonaire) du Règlement sur le barème des dommages corporels :


 

TEST*

V.E.M.S. ou

TEST*              V.E.M.S. (2)     TEST*

C.V. (1)                 C.V.                        D.L.C.O. (3)      DAP

CODE              CLASSE           %                     %                     %                     %

 

223127 1                                  80 à 120           plus de 85         80 à 120           0

223136             2                      plus de 75         70 à 85             plus de 70         20

223145             3                      60 à 75             55 à 70             60 à 70             40

223154             4                      50 à 60             moins de 55      50 à 60             60

223163             5                      moins de 50      moins de 55      moins de 50      100

 

Les valeurs obtenues par la mesure du Vo2 MAX (consommation maximale de l'oxygène à l'effort) sont utilisées pour l'évaluation des limitations fonctionnelles.

 

 (1)                   C.V.                             Capacité vitale

 (2)                   V.E.M.S.                      Volume expiratoire maximal/seconde

 (3)                   D.L.C.O.                       Capacité de diffusion de l'oxyde de carbone

 

* Valeur réelle déjà connue ou, en l'absence de celle-ci, pourcentage de valeur prédite.

 

 

[99]        Cependant, en vertu de la règle particulière numéro 2 applicable au système respiratoire, on doit distinguer entre les facteurs professionnels et non professionnels, le cas échéant :

2          L'évaluation doit tenir compte des séquelles anatomiques, des séquelles fonctionnelles et, le cas échéant, des facteurs de sévérité tant pour les lésions pulmonaires à caractère irréversible que pour celles à caractère régressif. De plus, elle doit distinguer entre les facteurs professionnels et les facteurs non professionnels, le cas échéant.

 

 

[100]     Dans le présent dossier, il est difficile de départager avec précision les facteurs professionnels des facteurs non professionnels en regard de l’aggravation survenue entre 2004 et 2007. Afin de tenir compte du rôle prépondérant de l’usage prolongé du tabac dans l’évolution de la maladie pulmonaire, le soussigné estime qu'il est approprié et juste de reconnaître une classe 3 au lieu d’une classe 5, ce qui donne un déficit anatomo-physiologique de 40 % pour l’évaluation fonctionnelle pulmonaire[6]. Il appartient à la CSST de soustraire les séquelles antérieurement reconnues.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 410779-03B-1005

ACCUEILLE la requête de la succession de monsieur R... P...;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 8 avril 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le décès de monsieur R... P..., le travailleur, survenu le 3 février 2009, est en relation avec sa maladie professionnelle reconnue en 2004.

Dossier 413638-03B-1011

ACCUEILLE la requête de la succession de monsieur R... P...;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 21 septembre 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la condition pulmonaire de monsieur R... P... s’est aggravée entre 2004 et 2007 et que cette aggravation est due, en partie, au cancer pulmonaire d’origine professionnelle dont il a souffert;

DÉCLARE que monsieur R... P... présentait, en 2007, une évaluation fonctionnelle pulmonaire de classe 3 (code 223145) en lien avec sa maladie professionnelle, ce qui donne un déficit anatomo-physiologique de 40 %; il appartient à la CSST de soustraire les séquelles antérieurement reconnues.

 

 

__________________________________

 

Michel Sansfaçon

 

 

Monsieur Louis Pomerleau

Représentant de la partie requérante

 

Me Lucie Rondeau

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Rapport du Comité des maladies pulmonaires professionnelles du 3 septembre 2004.

[3]           2011 QCCLP 4785 .

[4]           C.L.P. 179498-64-0203-C, 18 juillet 2003, C.-A. Ducharme.

[5]           C.L.P. 109342-08-9901, 19 mai 2003.

[6]           Dans l’affaire Iacono et CSST (C.L.P. 350106-71-0806, 12 mars 2009, F. Juteau), le tribunal a choisi de réduire de la moitié le déficit anatomo-physiologique afin de départager les facteurs professionnels des facteurs non professionnels.

 

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