Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Perreault (Succession de) et Plomberie Jules Ducasse inc.

2013 QCCLP 5866

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

4 octobre 2013

 

Région :

Lanaudière

 

Dossiers :

431557-63-1102      480472-63-1208

 

Dossier CSST :

129398079

 

Commissaire :

Manon Gauthier, juge administrative

 

Membres :

Francine Melanson, associations d’employeurs

 

Serge Lavoie, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Pierre Perreault (succession)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Plomberie Jules Ducasse inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 431557-63-1102

 

[1]           Le 25 février 2011, monsieur Pierre Perreault[1] (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 18 février 2011, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 janvier 2011 et déclare que le cancer pulmonaire dont souffre le travailleur n’est pas d’origine professionnelle et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).

Dossier 480472-63-1208

[3]           Le 24 août 2012, la succession de monsieur Pierre Perreault (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 août 2012, à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 22 juin 2012 et déclare qu’aucune indemnité de décès ne peut être versée à la succession étant donné que le décès du travailleur n’est pas relié à la maladie professionnelle de pleurésie amiantosique dont il souffrait.

[5]           La Commission des lésions professionnelles devait tenir une audience à Joliette le 26 mars 2013, mais le représentant de la succession du travailleur a indiqué qu’il renonçait à l’audience et demandé un délai pour déposer une argumentation écrite.

[6]           La cause a été prise en délibéré le 15 avril 2013. L’employeur concerné, Plomberie Jules Ducasse inc., n’est pas intervenu au dossier, bien que dûment convoqué.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 431557-63-1102

[7]           La succession de monsieur Pierre Perreault, le travailleur, demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le cancer pulmonaire constitue une maladie professionnelle.

Dossier 480472-63-1208

[8]           La succession de monsieur Pierre Perreault, le travailleur, demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le décès du travailleur est relié à une maladie professionnelle, soit le cancer pulmonaire et que par conséquent, elle a droit aux indemnités prévues par la loi.

LES FAITS

[9]           La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier médico-administratif qui lui a été soumis. Elle retient les faits suivants.

[10]        Le travailleur a travaillé comme plombier dans l’industrie de la construction de l’âge de 18 ans jusqu’au moment de sa demi-retraite à 55 ans. Par la suite, il a effectué des travaux légers de plomberie environ quatre ou cinq mois par année.

[11]        Il a effectué en grande majorité de la plomberie résidentielle, soit environ 80 % de son temps de travail. Il a aussi travaillé à la plomberie industrielle. Il a travaillé l’équivalent d’une année dans les raffineries de l’Est de Montréal où il a été exposé à la poussière d’amiante.

[12]        En juin 2004, il consulte son médecin de famille, le docteur Méthot, en raison de toux, de fièvre et de dyspnée. Le docteur Méthot pose le diagnostic d’épanchement pleural et le réfère au docteur Candide Tremblay, pneumologue.

[13]        Le 5 août 2004, une tomodensitométrie thoraco-abdominale est réalisée; le médecin radiologiste considère que l’épanchement pleural est de nature indéterminée et qu’il n’existe pas de signe de néoplasie. Il note une plaque pleurale calcifiée, suggérant une exposition à l’amiante. 

[14]        Le docteur Tremblay procède à une thoracoscopie, des biopsies pleurales et un drainage de l’épanchement en octobre 2004.

[15]        Le résultat de cette procédure est une pleurésie fibrineuse associée à un infiltrat inflammatoire lymphocytaire mixte, relativement proéminent, d’aspect réactionnel. Il n’y a pas d’agents infectieux aux colorations spéciales.

[16]        Au plan respiratoire, le travailleur se plaignait de toux et d’expectorations chroniques de longue date, plus importantes lorsqu’il fumait. Il a cessé de fumer 23 ans auparavant.

[17]        Le travailleur est par la suite suivi régulièrement. Le 22 décembre 2005, une autre tomodensitométrie thoracique est réalisée. Par rapport à l’examen antérieur du 5 août 2004, on note une régression complète de l’épanchement pleural, la présence d’épaississements pleuraux partiellement calcifiés des deux côtés, de même que deux petites lésions nodulaires sous-pleurales stables depuis l’examen antérieur possiblement en relation avec de l’exposition antérieure à l’amiante.

[18]        Le travailleur est vu à la clinique externe de pneumologie du Centre hospitalier Pierre-Le-Gardeur, le 2 mars 2006, pour une pleurésie amiantosique probable.

[19]        À la tomodensitométrie du 17 janvier 2007, le docteur Dubé, radiologiste, notait, en comparaison avec l’examen du 22 décembre 2005, la stabilité des plaques pleurales partiellement calcifiées des deux côtés chez ce patient qui a un antécédent de contact avec l’amiante.

[20]        Le 5 avril 2007, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles (CMPP) a évalué le travailleur. Il mentionne que le travailleur a fumé de 25 à 30 cigarettes par jour pendant 24 ans, mais qu’il a complètement cessé à l’âge de 40 ans. Les membres reconnaissent que le travailleur a été exposé de façon significative à l’amiante dans le cadre de son travail de plombier. Il a développé des plaques pleurales sur les deux poumons, dont certaines sont calcifiées, ainsi qu’un épanchement pleural du côté gauche en juin 2004. Ils sont d’avis qu’il s’agit d’un épanchement pleural amiantosique et retiennent le diagnostic de pleurésie amiantosique, pour lequel ils reconnaissent un déficit anatomophysiologique (DAP) évalué à 5 %.

[21]        Le 26 avril 2007, le Comité spécial des présidents retient le même diagnostic de pleurésie amiantosique mais accorde un déficit anatomophysiologique de 10 %, soit 5 % pour la thoracotomie et 5 % pour une maladie pulmonaire professionnelle irréversible.

[22]        Le 23 juillet 2007, la CSST donne suite au rapport du Comité spécial des maladies professionnelles pulmonaires et accepte la réclamation du travailleur. Elle estime que cette lésion entraîne une atteinte permanente de 11,50 % et que le travailleur doit éviter d’être exposé à l’amiante.

[23]        Le travailleur a poursuivi son travail de plombier à temps partiel jusqu’à l’été 2008.

[24]        Au début de l’année 2010, il consulte de nouveau, car il ne se sent pas bien. Il demande à son médecin de passer une nouvelle tomodensitométrie de contrôle. Le 21 janvier 2010, le docteur Racine note que le travailleur est connu comme porteur de stigmates d’exposition à l’amiante antérieure qui présente une progression de l’épaisseur de l’épaississement pleural droit avec apparition d’une lésion nodulaire adjacente avec accotement pleural. Il suggère une consultation en pneumologie avec complément d’investigation.

[25]        Le travailleur reverra le docteur Tremblay le 13 avril 2010, qui pose le diagnostic de pleurésie amiantosique avec plaques pleurales.

[26]        Le 19 mai 2010, une tomodensitométrie thoracique est réalisée avec biopsie trans-thoracique en sous-pleural du lobe inférieur droit et le rapport histologique indique de rares cellules suspectes de néoplasie de type carcinome épidermoïde. Le 14 juin suivant, une tomodensitométrie TEP est réalisée confirmant la condition avec suspicion de lésions métastasiques au foie.

[27]        Le 18 juin 2010, le docteur Tremblay signe un rapport médical dont le diagnostic est celui de cancer du poumon et demande une réévaluation par le CMPP.

[28]        Le travailleur soumettra une réclamation à la CSST le 23 juin 2010.

[29]        Le 7 octobre 2010, le CMPP examine à nouveau le travailleur. Il maintient le diagnostic de pleurésie amiantosique et mentionne qu’entretemps, le travailleur a développé un cancer pulmonaire au niveau du lobe inférieur droit prouvé par biopsie avec métastases au foie. Bien que le travailleur soit un ancien fumeur, étant donné qu’il a complètement cessé l’usage de la cigarette depuis 25 ans, les membres sont d’avis qu’il y a une relation entre son exposition à l’amiante et le développement du cancer pulmonaire. Ils estiment qu’il s’agit d’un diagnostic de cancer pulmonaire d’origine professionnelle et accorde un DAP total de 125 %. Ils considèrent le travailleur complètement invalide.

[30]        Le Comité spécial des présidents produit son rapport le 4 novembre 2010. Contrairement au CMPP, il ne reconnaît pas de relation entre l’exposition du travailleur à l’amiante et le développement de son cancer pulmonaire. Les membres sont d’avis que le temps d’exposition à l’amiante est insuffisant pour être à l’origine du cancer pulmonaire. Les membres s’expriment comme suit à ce sujet :

Certes, ce réclamant était déjà connu comme porteur d’une pleurésie amiantosique avec un DAP de 10 %, puisqu’il avait subi une thoracoscopie avec biopsie pleurale et drainage d’un épanchement en octobre 2004. Lorsqu’il a été évalué en 2007, on notait qu’il n’y avait pas d’évidence d’amiantose, mais on retrouvait quelques plaques pleurales bilatérales calcifiées, ainsi qu’un émoussement du cul-de-sac diaphragmatique gauche et le bilan fonctionnel était normal. Cette condition ne s’est pas modifiée et le bilan fonctionnel respiratoire était normal. Cette condition ne s’est pas modifiée et le bilan fonctionnel respiratoire demeure essentiellement normal.

 

Depuis son évaluation de 2007, monsieur Perreault a développé un cancer pulmonaire à la base droite avec métastases au foie, prouvée par biopsie. Il reçoit présentement de la chimiothérapie. Or, le scan thoracique actuel montre un nodule néoplasique à la base droite, mais il n’y a toujours pas d’évidence d’atteinte parenchymateuse suggestive de pneumoconiose. On retrouve des plaques pleurales bilatérales calcifiées, ainsi qu’un émoussement du cul-de-sac costo-diaphragmatique latéral gauche.

 

Or, les membres du Comité ne reconnaissent pas une relation entre l’exposition à l’amiante que monsieur Perreault a eu comme plombier et le développement de son cancer pulmonaire. Il a développé une pleurésie amiantosique qui est une complication reliée à l’amiante, mais ne nécessite pas une exposition intense à l’amiante pour se manifester. Toutefois, la relation entre cancer pulmonaire et l’exposition à l’amiante nécessite une exposition intense à l’amiante et prolongée, ce que nous ne retrouvons pas à l’histoire professionnelle de ce réclamant. En effet, il nous a confirmé qu’il a travaillé pendant 37 ans comme plombier, mais la majorité du temps, il a été plombier dans le domaine résidentiel, de telle sorte que l’exposition professionnelle à l’amiante nous semble vraiment peu importante. Toutefois, elle est suffisante pour expliquer sa pleurésie amiantosique.

 

[Sic]

 

 

[31]        Le 12 janvier 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle rejette la réclamation du travailleur pour un diagnostic de cancer pulmonaire au motif que celui-ci n’est pas d’origine professionnelle.

[32]        Le travailleur décède d’un cancer pulmonaire métastasique au foie le 4 mars 2012. Le bulletin de décès émis par le centre hospitalier indique que la cause du décès est la néoplasie pulmonaire métastasique. Le 15 mai suivant, la succession du travailleur produit une réclamation à la CSST en lien avec ce décès.

[33]        Le 22 juin 2012, la CSST rend une décision qu’aucune indemnité de décès ne peut être versée puisque le décès n’est pas relié à la maladie professionnelle dont souffrait le travailleur.

[34]        Le procureur de la succession a déposé un article de littérature médicale soulignant que selon l’Organisation mondiale de la santé, il n’existe pas de preuve de seuil sécuritaire pour les effets cancérigènes de l’amiante et qu’un accroissement du risque de cancer a été observé même dans les populations exposées à de très faibles concentrations d’amiantes.[3]

L’AVIS DES MEMBRES

[35]        Conformément à la loi, la soussignée a demandé et obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs sur les questions en litige.

[36]        Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que les requêtes doivent être accueillies. En effet, le diagnostic de cancer pulmonaire permet l’application de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi et il a été reconnu que le travailleur avait été exposé de façon significative à l’amiante lors de sa réclamation en 2007. De toute façon, l’intensité de l’exposition n’est pas précisée à l’annexe.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[37]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si le cancer pulmonaire dont monsieur Pierre Perreault, le travailleur, a été victime et qui a entraîné son décès, était relié à son travail de plombier dans l’industrie de la construction. Selon la réponse à cette question, la succession du travailleur aura ou non droit aux indemnités prévues par la loi.

[38]        La Commission des lésions professionnelles a attentivement analysé le dossier et pris en compte les arguments apportés par le représentant de la succession du travailleur. Elle rend en conséquence la décision suivante.

[39]        Il revient ici à la succession du travailleur de faire la preuve, de façon prépondérante, que le cancer du poumon constitue une maladie professionnelle au sens de la loi.

[40]        La loi définit comme suit la notion de « maladie professionnelle » :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[41]        Afin de faciliter la preuve d’une maladie professionnelle, l’article 29 de la loi crée une présomption en faveur d’un travailleur :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

 

 

 

 

 

[42]        La section V de l’annexe I prévoit ce qui suit :

SECTION V

 

 

MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES ORGANIQUES ET INORGANIQUES

 

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

1.     Amiantose, cancer pulmonaire ou mésothéliome causé par l'amiante:

un travail impliquant une exposition à la fibre d'amiante;

__________

1985, c. 6, annexe I.

 

 

[43]        Pour bénéficier de la présomption prévue à l’article 29 de la loi, la succession doit démontrer que le travailleur était atteint d’une maladie prévue à l’annexe I de la loi et, d’autre part, qu’il a exercé un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante.

[44]        La première condition prévue à l’annexe est remplie; le travailleur a souffert d’une maladie énumérée à l’annexe I, soit un cancer pulmonaire. Quant à la seconde condition, la preuve démontre que le travailleur a exercé le métier de plombier dans l’industrie de la construction pendant près d’une quarantaine d’années et qu’il a été exposé à la poussière d’amiante dans l’exercice de ses fonctions.

[45]        L’exposition du travailleur à l’amiante a été reconnue. En 2007, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Montréal reconnaissait que le travailleur a été exposé de façon significative à l’amiante dans le cadre de son travail comme plombier et qu’il a développé des plaques pleurales bilatérales - dont certaines sont calcifiées - de même qu’un épanchement pleural en juin 2004. Ils ont conclu à un diagnostic d’épanchement pleural amiantosique. Le Comité spécial des présidents entérinait ce diagnostic de pleurésie amiantosique tout en augmentant le déficit anatomophysiologique. En juillet 2007, la CSST acceptait la réclamation du travailleur pour un diagnostic de pleurésie amiantosique avec atteinte permanente à l’intégrité physique.

[46]        Ainsi, la preuve indique que le travailleur a souffert d’un cancer pulmonaire, d’une part, et qu’il a été exposé à l’amiante, d’autre part. Les deux conditions étant réunies, la présomption de l’article 29 de la loi trouve donc application. Le travailleur ou sa succession en l’espèce n’a pas à faire la démonstration d’une relation causale entre l’exposition à l’amiante et le cancer pulmonaire pour bénéficier de l’application de la présomption. Cette question est réglée depuis l’affaire Guillemette[4] et il ne fait plus de doute que pour bénéficier de l’application de la présomption, le seul fardeau qu’a à démontrer le travailleur, ou sa succession, est d’avoir souffert d’une maladie énumérée à l’annexe, en l’espèce un cancer pulmonaire, et avoir été exposé à l’amiante. Au stade de l’application de la présomption, la succession du travailleur n’a pas à prouver que ce cancer a été causé par l’amiante. Exiger cette preuve viderait la présomption de tout son sens.[5]

[47]        La succession n’a pas davantage à prouver un certain degré ou une intensité d’exposition puisque le législateur n’a pas prévu cette exigence. Seule l’exposition à la fibre d’amiante suffit pour permettre l’application de la présomption.

[48]        Lorsque ces deux conditions sont remplies, le travailleur est présumé porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[49]        Ceci étant dit, cette présomption peut être renversée par une preuve prépondérante à l’effet contraire.

[50]        Or, en l’espèce, le tribunal considère que cette présomption n’a pas été renversée.

[51]        D’abord, le tribunal constate que le travailleur a déjà souffert d’une maladie professionnelle pulmonaire reliée à son exposition à l’amiante. En 2007, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles et le Comité spécial des présidents concluaient à un diagnostic de pleurésie amiantosique et les trois pneumologues du premier comité reconnaissaient que le travailleur a été exposé de façon significative à l’amiante dans le cadre de son travail comme plombier. L’épanchement pleural dont a souffert le travailleur en 2007 a engendré des séquelles permanentes évaluées à 10 % par les pneumologues du second comité. Cette maladie professionnelle pulmonaire a été reconnue par la CSST le 23 juillet 2007.

[52]        Concernant le diagnostic de cancer pulmonaire, le tribunal partage l’avis des pneumologues du Comité des maladies professionnelles pulmonaires qui reconnaissent une relation entre l’exposition du travailleur à l’amiante et son cancer pulmonaire. Les membres maintiennent le diagnostic de pleurésie amiantosique, mais mentionnent que depuis ce diagnostic, le travailleur a développé un cancer au niveau du lobe inférieur droit avec des métastases au foie. Selon le Comité, l’exposition à l’amiante ne semble pas avoir été très importante,[6] mais il souligne que le travailleur a tout de même développé une pachypleurite liée à l’amiante et reconnue par la CSST. On mentionne que le travailleur était un ex-fumeur, mais qu’il a cessé tout tabagisme depuis 25 ans. Dans ce contexte, les pneumologues de ce comité estiment qu’il existe une relation entre le diagnostic de cancer pulmonaire et l’exposition du travailleur aux fibres d’amiante dans le cadre de son métier de plombier dans l’industrie de la construction.

[53]        Le Comité spécial des présidents n’entérine pas les conclusions du Comité des maladies professionnelles pulmonaires au motif que l’exposition à l’amiante lui semble vraiment peu importante. Selon les membres, la relation entre un cancer pulmonaire et l’exposition à l’amiante nécessite une exposition intense et prolongée. Le comité convient que l’exposition a été suffisante pour engendrer un diagnostic de pleurésie amiantosique (qui constitue une complication reliée à l’amiante), mais le développement de cette pathologie ne nécessite pas une exposition intense à l’amiante pour se manifester, contrairement au cancer pulmonaire qui, lui, nécessiterait une exposition intense et prolongée pour se développer.

[54]        Le tribunal estime que cet avis n’est pas suffisant pour renverser la présomption dont bénéficie le travailleur. Celui-ci n’avait pas à prouver le degré ou l’intensité d’exposition à l’amiante pour pouvoir bénéficier de la présomption. À l’inverse, il ne suffit pas d’affirmer que la relation entre un cancer pulmonaire et l’amiante nécessite une exposition prolongée et intense à l’amiante pour contrer l’effet de la présomption. Le tribunal ne connaît d’ailleurs pas quel aurait été le degré suffisant ou la période d’exposition nécessaire pour que cette relation soit reconnue par le Comité spécial des présidents. Quant au Comité des maladies professionnelles pulmonaires, il reconnait cette relation causale entre l’exposition à l’amiante et le cancer pulmonaire dont a souffert le travailleur, compte tenu de son historique médical et du fait qu’il avait cessé tout tabagisme depuis fort longtemps.

[55]        Le tribunal rappelle que la relation causale entre une lésion et le travail est une question d’ordre juridique[7] et non une question médicale. L’opinion du Comité spécial des présidents sur la relation causale ne lie pas la CSST ou le présent tribunal. Les membres du comité spécial sont des scientifiques ayant recours à des normes scientifiques d’analyse et non à la norme juridique de la prépondérance des probabilités édictée par le législateur. Ainsi, avec le degré de preuve requis, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que la présomption de maladie professionnelle pulmonaire dont bénéficiait le travailleur n’a pas été renversée, le cancer ayant emporté ce dernier était d’origine professionnelle.

[56]        Par conséquent, le tribunal conclut que la succession du travailleur a droit aux indemnités de décès prévues par la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 431557-63-1102

ACCUEILLE la requête de la succession de Pierre Perreault, le travailleur;

INFIRME la décision rendue le 18 février 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur était atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, soit un cancer du poumon, et qu’il est décédé des suites et conséquences de cette maladie professionnelle.

Dossier 480472-63-1208

ACCUEILLE la requête de la succession de Pierre Perreault, le travailleur;

INFIRME la décision rendue le 20 août 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la succession de monsieur Pierre Perreault a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

__________________________________

 

Manon Gauthier

 

 

 

 



[1]         Le travailleur étant décédé en mars 2012, c’est la succession de ce dernier qui poursuit le dossier.

 

[2]         L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           Marie-Hélène BOURGAULT et Denis BELLEVILLE, « Présence de fibres d’amiante dans l’air intérieur et extérieur de la ville de Thetford Mines : estimation des risques de cancer du poumon et de mésothéliome », Institut National de Santé Publique du Québec, 2009.

[4]           Succession Clément Guillemette et J.M. Asbestos inc., [1991] C.A.L.P. 309, requête en révision judiciaire accueillie, [1992] C.A.L.P. 1640 (C.S.), appel rejeté, [1996] C.A.L.P. 1342 (C.A.), pourvoi accueilli, [1998] C.A.L.P. 585 (C.S.C.).

[5]           Bouchard (Succession de) et Logistec Arrimage inc., 2010 QCCLP 7869.

[6]           Pourtant, en 2007, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires mentionnait que le travailleur a été exposé de façon significative à l’amiante dans le cadre de son travail comme plombier.       

[7]           Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Bélair, C.A.M. C.L.P.E. 2004LP-49.

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