Décision

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9353-0913 Québec inc. c. Paré

2019 QCCQ 4324

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

« Chambre civile »

N° :

705-22-016866-178

 

DATE :

21 juin 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU

JUGE

DENIS LE RESTE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

9353-0913 QUÉBEC INC.

Demanderesse

c.

MICHEL PARÉ

-et-

KAROLANE RENAUD

Défendeurs

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           9353-0913 Québec inc. (Québec inc.) réclame 38 000 $ à Michel Paré et Karolane Renaud pour diffamation et atteinte à sa réputation consécutivement à des commentaires via Facebook

[2]           La demanderesse, qui exploite un centre de conditionnement physique à Terrebonne, soutient qu’il s’agit d’une atteinte illicite et intentionnelle à ses droits.

[3]           Monsieur Paré et madame Renaud plaident les difficultés à être remboursés des frais d’abonnement de Québec inc. et que le seul recours à leur disposition pour faire réagir les représentants de la demanderesse était d’écrire sur Facebook de tels propos.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE:

[4]           Les principales questions en litige sont les suivantes:

1.    Les propos sont-ils diffamatoires?

2.    Y a-t-il lieu à indemnisation?  Et, si oui, pour combien?

 

CONTEXTE:

[5]           Québec inc. exploite un centre de conditionnement physique à Terrebonne sous la raison sociale de Tech Gym Terrebonne.

[6]           La promotion des produits et services offerts par Québec inc. se fait en grande partie via les réseaux sociaux et en particulier sur la plateforme Facebook.

[7]           Plus de 6 500 personnes suivent la page Facebook de Québec inc.

[8]           Le 26 juin 2016, Michel Paré signe avec Québec inc. un contrat de service à exécution successive relatif à un studio de santé.  Les articles 198 et suivants de la Loi sur la protection du consommateur prévoient le droit applicable.  Monsieur Paré effectue le premier paiement et veut, par la suite, faire annuler son abonnement.

[9]           Le litige émane principalement autour de cette situation.

[10]        Michel Paré et sa conjointe, Karolane Renaud, soutiennent qu’ils ont tout tenté pour faire annuler cet abonnement.  Plusieurs appels téléphoniques, plusieurs écrits, de l’aide auprès de l’Office de la protection du consommateur, mais en vain, Québec inc. ne veut pas les rembourser.

[11]        Québec inc. soutient que l’avis écrit de résiliation est hors délai et que pour cette raison, ils sont justifiés de ne pas accéder à sa demande.

[12]        On ajoute que sur le formulaire d’adhésion, la marche à suivre pour la résiliation du contrat en vertu de la Loi sur la protection du consommateur est décriteMonsieur Paré ne s’en prévaut pas.

[13]        Le 7 juin 2017 à 17 h 58, Karolane Renaud écrit ce qui suit sur Facebook :

Pour ce qui est d’annuler un abonnement avant les 30 jours prévus par la loi.  Et même après… Je dois dire que Tech Gym Terrebonne est une grande déception.  En plus d’être sous enquête perpétuelle par la protection du consommateur pour non respect des lois pour leur contrat.  Ils aiment bien fourrer le monde… Pas moyen de parler avec le staff responsable, et qu’on veut prouver notre point sur des erreurs commises, ils ne sont plus en charge de rien ou ne sont pas responsable... (Reproduction intégrale)

[14]        Un peu plus tard, utilisant le profil Facebook de Michel Paré, elle écrit à 18 h 14 :

Staff désagréable quand vient le temps de régler un problème. Pour ce qui est d’annuler un abonnement avant les 30 jours prévus par la loi.  Je dois dire que Tech Gym Terrebonne n’est pas dans le respect des lois en terme de contrat.  En plus d’être sous enquête par la protection du consommateur pour non respect des lois pour leur contrat.  Ils aiment bien fourrer le monde…Pas moyen de parler avec le staff responsable, et qu’on veut prouver notre point sur des erreurs commises, ils ne sont plus en charge de rien ou ne sont pas responsable…

(Reproduction intégrale)

[15]        Corine Lortie et Mario Marinoni administrent Québec inc.  Ils prennent connaissance le jour même des propos en litige.

[16]        Ils se disent stupéfaits de pareilles affirmations.  Ils soutiennent que les commentaires publiés par les défendeurs portent atteinte à la réputation de Québec inc.  Ils sont clairement diffamatoires, faux et calomnieux.  Pour eux, il s’agit d’un geste gratuit, de mauvaise foi et dénué d’un quelconque fondement factuel.

[17]        Ils réclament 38 000 $ soit :

à Michel Paré :

-

15 000 $

pour dommages moraux causés par la diffamation;

-

3 000 $

pour dommages punitifs.

à Karolane Renaud :

-

15 000 $

pour dommages moraux causés par la diffamation;

-

5 000 $

pour dommages punitifs.

[18]        À l’instruction, Karolane Renaud justifie de tels écrits par l’historique contractuel conflictuel entre les parties.

[19]        Dans les jours suivant la signature du contrat, le 26 juin 2016, ils tentent d’annuler le contrat.  Parce qu’on refuse chez Québec inc. cette résiliation, on fait des arrêts de paiement pour les prélèvements bancaires mensuels subséquents.

[20]        Madame Renaud fait une plainte à l’Office de la protection du consommateur (OPC) le 25 janvier 2017.  Elle discute à plusieurs reprises avec une des représentantes de l’OPC.  C’est de cette façon qu’elle dit apprendre que Tech Gym a d’autres démêlés avec l’OPC.  Elle témoigne qu’elle n’aurait jamais écrit pareille affirmation si elle n’était pas sûre d’avoir obtenu cette information.

[21]        Elle reproche à Québec inc. de ne pas l’avoir contactée pendant une période trop longue de plus de six mois.

[22]        À l’instruction, elle ajoute : «On a essayé avant ça de leur téléphoner […] de plein de façon, c’est le moyen public qui nous restait […] c’était juste que c’était notre dernier moyen pour entrer en communication avec eux.»

[23]        Madame Renaud et monsieur Paré admettent qu’ils n’ont jamais transmis le formulaire de résiliation prévu au contrat à Québec inc., ni de mise en demeure.

[24]        Le Tribunal conclut que la preuve est très loin d’établir que les défendeurs ont tout fait pour discuter de la situation avec Québec inc.  En 12 mois, ils ne font rien de concret, outre une ou deux tentatives par téléphone.  Aucun écrit.

[25]        Le 2 juin 2017, une agence de recouvrement écrit à monsieur Paré.  C’est ce qui enflamme aussitôt la réaction de madame Renaud.

[26]        Elle signe un chèque de 458,80 $ fait à l’ordre de la compagnie de recouvrement, représentant le solde dû à Québec inc.  Par la suite, elle fait un arrêt de paiement sur ce chèque.

[27]        C’est cinq jours plus tard sur Facebook que madame Renaud écrit ses doléances.  Cela est démesuré, inapproprié et aucunement justifié dans les circonstances.

[28]        Québec inc. expédie à monsieur Paré et madame Renaud une mise en demeure le 13 juin 2017.  On retire les publications le soir même.

[29]        Malgré la volonté de Québec inc., les défendeurs ne produisent aucune rétractation ni excuse publique.

 

1.         Les propos sont-ils diffamatoires?

[30]        Le rôle principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec (C.c.Q.).

[31]        Comme le rappelle l’honorable Jacques J. Lévesque dans l’arrêt de la Cour d’appel Lemieux c. Aon Parizeau[1], le droit civil québécois porte en lui un principe cardinal qui s’applique à tous les recours judiciaires : «Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.»

[32]        Ainsi, les justiciables ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit.  Les règles du fardeau de la preuve signifient l'obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion.  Il s'agit donc de l'obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.

[33]        En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.

[34]        Tel que le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Prud’homme[2], les recours en diffamation au Québec reposent sur l’article 1457 C.c.Q. puisqu’on ne prévoit pas de recours particulier pour l’atteinte à la réputation.

[35]        C’est pourquoi Québec inc. doit démontrer, selon la prépondérance de la preuve, l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien causal.  Ainsi, on doit convaincre le Tribunal que les propos sont diffamatoires.

[36]        La diffamation consiste en la publication, l’énoncé ou la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération d’une personne ou qui suscitent à son égard des sentiments désagréables, défavorables ou nuisibles.

[37]        Le tout s’évalue en fonction d’une norme objective.  On doit se demander si toute autre personne estime que les propos tenus sont de nature à déconsidérer la réputation.  Les paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment précisément ou encore par les insinuations qui s’en dégagent.

[38]        Dans l’arrêt Bou Malhab[3] nous pouvons lire :

[23]       L’action en diffamation fait aussi intervenir la Charte québécoise, puisque, comme je l’ai souligné plus tôt, l’action repose sur une atteinte au droit à la sauvegarde de la réputation, garanti à l’art. 4 de cet instrument. L’article 49 de la Charte québécoise prévoit le droit à la réparation du préjudice causé par une atteinte illicite aux droits de la personne. La Charte québécoise n’a toutefois pas créé un régime indépendant et autonome de responsabilité civile qui ferait double emploi avec le régime général (de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64, par. 44). Les principes généraux de la responsabilité civile servent toujours de point de départ pour l’octroi de dommages-intérêts compensatoires à la suite d’une atteinte à un droit (Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, par. 119 (le juge Gonthier) et par. 16 et 25 (la juge L’Heureux-Dubé, dissidente en partie), et de Montigny). Les actions en responsabilité civile fondées sur une atteinte à un droit, tel le recours en diffamation, constituent donc un point de rencontre de la Charte québécoise et du Code civil. Cette convergence des instruments doit être considérée dans la définition des trois éléments constitutifs de la responsabilité civile, c’est-à-dire la faute, le préjudice et le lien de causalité. Je ne ferai que quelques commentaires sur la faute, étant donné qu’elle n’est pas contestée en l’espèce.  Le lien de causalité n’est pas non plus en cause. Je m’attacherai plutôt à l’étude du préjudice, l’élément qui est au cœur du débat.

[39]        C’est ainsi que la Cour suprême établit un lien entre l’action civile en diffamation et les droits protégés par la Charte.

[40]        En l’espèce, le Tribunal conclut que la faute est établie par prépondérance de preuve.  La défenderesse, Karolane Renaud, a écrit des propos mensongers, injurieux et diffamatoires à l’égard de Québec inc. sur Facebook le 7 juin 2017.  Michel Paré les endosse entièrement et n’intervient nullement pour empêcher pareille parution.  De tels propos s’écartent de la norme du comportement d’une personne raisonnable.

[41]        Ainsi, suivant les critères énoncés ci-avant, Québec inc. a établi que les propos sont diffamatoires.

[42]        C’est objectivement en se référant au point de vue d’un citoyen ordinaire que la Cour suprême a précisé que le préjudice qui définit la diffamation ou l’atteinte à la réputation doit être évalué.

[27]       Ce niveau d’analyse se justifie par le fait qu’une atteinte à la réputation se traduit par une diminution de l’estime et de la considération que les autres portent à la personne qui est l’objet des propos. Il n’y a donc pas que l’auteur et la personne qui fait l’objet des propos qui entrent en scène. Une personne est diffamée lorsqu’un individu donné ou plusieurs lui renvoient une image inférieure à celle que non seulement elle a d’elle-même, mais surtout qu’elle projetait aux « autres » dans le cours normal de ses interactions sociales. Dans notre société, toute personne peut légitimement s’attendre à un traitement égal sur le plan juridique. L’atteinte à la réputation se situe à un autre niveau. Diffamer quelqu’un, c’est attenter à une réputation légitimement gagnée. Par conséquent, l’effet de la diffamation n’est pas tant l’incidence sur la dignité et le traitement égal reconnus à chacun par les chartes, mais la diminution de l’estime qui revient à une personne à la suite de ses interactions sociales.

[28]       C’est l’importance de ces « autres » dans le concept de réputation qui justifie le recours à la norme objective du citoyen ordinaire qui les symbolise. Un sentiment d’humiliation, de tristesse ou de frustration chez la personne même qui prétend avoir été diffamée est donc insuffisant pour fonder un recours en diffamation. Dans un tel recours, l’examen du préjudice se situe à un second niveau, axé non sur la victime elle-même, mais sur la perception des autres. Le préjudice existe lorsque le « citoyen ordinaire estim[e] que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation » de la victime (Prud’homme, par. 34).  Il faut cependant se garder de laisser glisser l’analyse du préjudice vers un troisième niveau et de se demander, comme semble l’avoir fait la majorité de la Cour d’appel (par. 73), si le citoyen ordinaire, se portant lui-même juge des faits, aurait estimé que la réputation de la victime a été déconsidérée aux yeux d’un public susceptible d’ajouter foi aux propos de M. Arthur.  C’est plutôt ce citoyen ordinaire qui est observé par le juge et qui incarne les « autres »[4].

[43]        Certes, la demanderesse est une incorporation, mais les personnes morales ont aussi droit à la protection de leur réputation, qui est un droit individuel intrinsèquement rattaché à la personne qu’elle soit morale ou physique.

[44]        Le fait que madame Renaud et monsieur Paré soutiennent qu’il s’agisse de la seule façon d’entrer en communication avec les représentants de Québec est inexact.

[45]        De leur aveu, entre la signature du contrat de juin 2016 et la lettre de l’agence de recouvrement du 2 juin 2017, aucune action réelle et concrète n’est entreprise par eux.

[46]        Dès la réception de l’avis de recouvrement, ils se portent à l’attaque sur Facebook.  Cette réaction est difficilement conciliable avec celle que toute autre personne aurait eue en semblable matière.  Rappelons que quelques heures auparavant, ils expédient le chèque en paiement complet du recouvrement de la dette à l’agence de recouvrement.

[47]        Le principal reproche vise les termes «sous enquête perpétuelle par la protection du consommateur pour non-respect des lois pour leur contrat».  La preuve n’établit nullement qu’une personne travaillant à l’Office de la protection du consommateur a affirmé de tels propos.

[48]        Bien au contraire, la lettre de l’Office de la protection du consommateur du 26 octobre 2017 et le tableau récapitulatif des appels n’en font pas mention.

[49]        Les propos tenus sont faux et clairement diffamatoires.  Ils portent atteinte à la réputation de Québec inc.

 

2.         Y a-t-il lieu à indemnisation?  Et, si oui, pour combien?

[50]        Le Tribunal a déjà établi la faute, le préjudice et le lien causal entre les deux.

[51]        Rappelons que Michel Paré et Karolane Renaud admettent avoir diffusé les propos sur Facebook.

[52]        La jurisprudence nous enseigne que de tels propos diffamatoires projetés sur Internet et sur les réseaux sociaux sont particulièrement destructeurs et répréhensibles.

[53]        Dans Graf c. Duhaime[5], nous pouvons lire:

[248]     Les mots sont des outils puissants de communication:  ils détruisent une réputation en peu de temps alors que, parfois, il a fallu des années pour la construire. L'Internet est un puissant outil de diffusion:  la communication n'a presque plus de frontière.  La liberté d'expression est une valeur fondamentale de première importance mais le respect de la dignité et de la réputation de la personne l'est tout autant.  Ceux qui parlent ou écrivent et ceux qui diffusent sur Internet doivent le réaliser.

[54]        Cependant, Québec inc. ne fait pas la preuve de ses pertes de revenus, de l’absence de ses revenus ou de la modification de tels revenus suite aux propos du 7 juin 2017.  Aucune preuve de partage de ces messages avec des amis ou d’autres personnes n’est établie.

[55]        Le total des abonnés de la page avant les propos est de 6 549 et après, de 6 537.  C’est sans grande signification.  Aucune preuve n’établit un dommage particulier.  En somme, aucune preuve prépondérante n’établit le nombre de personnes qui ont consulté les propos en litige.

[56]        Dans la décision 9190-6206 Québec inc. c. Lagha[6], notre collègue le juge Éric Dufour écrit :

[56]             Les tribunaux reconnaissent que les personnes morales peuvent réclamer de tels dommages, quoiqu’ils se montrent moins généreux envers elles, une compagnie ne pouvant souffrir d’insomnie ou d’angoisse, par exemple.

[57]             La jurisprudence admet aussi la difficulté de quantifier les dommages moraux. Son évaluation relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal, ce qui ne signifie cependant pas qu’elle soit arbitraire. Le Tribunal bénéficie de divers critères pour l’assister, dont la gravité intrinsèque de l’acte, sa portée, l’importance de sa diffusion, la durée de la publication, pour ne nommer que ceux-là, plus près de l’espèce.

[…]

[64]       Soupesant le tout, le Tribunal fixe à 1 000 $ le montant des dommages moraux à octroyer à la demanderesse.

[57]        Dans Gagné c. Fortin[7], la juge Hélène Carrier mentionne :

[31]             De ces propos Facebook publiés le 29 septembre 2016, il ressort que :

·         Aucun internaute n’a cliqué « J’aime »;

·         Aucun internaute n’a transféré le message;

·         Aucun internaute n’a participé à une conversation à ce propos;

·         Aucun internaute [n’] a commenté le message.

[…]

[58]       Enfin, dans l’évaluation du préjudice subi, les tribunaux prennent notamment en considération le nombre de personnes ayant pu lire le commentaire diffamatoire ainsi que le temps que ce commentaire est demeuré disponible en ligne.

[59]             D’ailleurs, les tribunaux supérieurs ont dégagé un certain nombre de critères susceptibles de faciliter cet exercice toujours délicat:

Huit critères guident le Tribunal dans l'évaluation de la réclamation et du quantum à accorder: (1) la gravité intrinsèque de l'acte, (2) sa portée particulière sur celui ou celle qui en a été la victime, (3) l'importance de la diffusion, (4) l'identité des personnes qui en ont pris connaissance et les effets que l'écrit a provoqués chez ces personnes, (5) le degré de déchéance plus ou moins considérable à laquelle la diffamation a réduit la victime par comparaison à son statut antérieur, (6) la durée raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie, (7) la contribution possible de la victime par sa conduite ou ses attitudes et, finalement, (8) les circonstances extérieures qui, de toute façon et indépendamment de l'acte fautif, constituent des causes probables du préjudice allégué ou de partie de ce préjudice.

(Références omises)

[…]

[82]             Le Tribunal souligne l’absence de preuve quant à l’identité des personnes qui ont pris connaissance des propos litigieux et les effets que ceux-ci ont pu provoquer chez elles. De plus, monsieur Gagné ne fait état d’aucun commentaire reçu de la part de clients, fournisseurs, gens du milieu des affaires à la suite de la publication des propos sur Facebook. Il ignore, donc, les impressions causées à ceux qui les ont lus.

[83]             De surcroît, la preuve ne démontre pas que les propos ont diminué l’estime que porte l’entourage à l’endroit de monsieur Gagné. Aucun proche, client ou ami n’a changé d’attitude envers lui.

[…]

[102]         De l’avis du Tribunal, les propos tenus par messieurs Fortin et Nadeau constituent un exercice légitime de leur liberté d’expression. Ils n’ont pas franchi la limite de cette liberté d’expression de manière à entacher aux yeux d’une personne raisonnable, c’est-à-dire avisée, diligente et attentive aux droits d’autrui, la réputation de monsieur Gagné.

(Reproduction intégrale et références omises)

[58]        En l’espèce, la preuve de Québec inc. est, somme toute, très succincte et peu documentée sur les dommages et les conséquences des propos diffamatoires tenus contre elle.


[59]        Usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal fixe le quantum des dommages à ce qui suit :

Quant à Michel Paré :

-

1 000 $

pour dommages moraux causés par la diffamation;

-

500 $

pour dommages punitifs.

Quant à Karolane Renaud :

-

1 000 $

pour dommages moraux causés par la diffamation;

-

1 000 $

pour dommages punitifs.

[60]        Ainsi, la réclamation est accueillie pour 3 500 $.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[61]        ACCUEILLE en partie la réclamation.

[62]        CONDAMNE solidairement Michel Paré et Karolane Renaud à payer à 9353-0913 Québec inc. 3 500 $ plus les intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 13 juin 2017.

[63]        LE TOUT, avec frais de justice.

 

 

__________________________________

DENIS LE RESTE, J.C.Q.

 

 

 

Me Lukas Ross

Avocat de la demanderesse

 

Me Geneviève Perrin

RATELLE, AVOCATS ET NOTAIRES

Avocate des défendeurs

 

Date d’audience :

3 juin 2019

 



[1] 2018 QCCA 1346.

[2] Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663.

[3] Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 R.C.S. 214.

[4] Idem.

[5] J.E. 2003-1141.

[6] 2018 QCCQ 8361.

[7] 2018 QCCQ 4470.

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