Forget et Résidence de Lachute inc. |
2012 QCCLP 2956 |
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[1] Le 20 janvier 2012, madame Nicole Forget (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 4 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 novembre 2011 et déclare irrecevable la réclamation de la travailleuse. La CSST conclut que la réclamation de la travailleuse a été produite hors délai et qu’elle n’a pas démontré un motif raisonnable permettant de la relever de son défaut.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jérôme le 25 avril 2012. La travailleuse est présente et représentée par Me Vincent Boulet. Madame Sylvie D’Aragon est présente pour l’employeur, La Résidence de Lachute inc., qui est représenté par Me Stéphanie Rainville.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande de déclarer recevable la réclamation produite le 26 octobre 2011, car elle a été produite dans le délai prévu par la loi et, subsidiairement, qu’elle a un motif raisonnable lui permettant d’être relevée de son défaut.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d'avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête de la travailleuse, d’infirmer la décision rendue par la CSST le 4 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative et de déclarer que sa réclamation a été produite dans le délai prévu par la loi.
[6] Il y a lieu de considérer que le point de départ pour produire la réclamation est la date de l’arrêt de travail, soit le 5 mai 2011. La travailleuse a donc respecté le délai légal de six mois pour produire une réclamation.
[7] Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis qu’il y a lieu de rejeter la requête de la travailleuse, de confirmer la décision rendue par la CSST le 4 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative et de déclarer irrecevable la réclamation produite par la travailleuse le 26 octobre 2011. La réclamation a été produite hors délai et la travailleuse n’a pas démontré qu’elle a un motif raisonnable permettant de la relever de son défaut.
[8] La travailleuse n’a pas fait preuve de diligence et n’a pas démontré qu’elle avait l’intention de produire une réclamation alors qu’elle a eu plusieurs occasions pour en produire une.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a produit sa réclamation dans le délai prévu par la loi et à défaut, si elle a un motif raisonnable lui permettant d’être relevée de son défaut.
[10] Les articles 270 et 271 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoient des délais pour produire une réclamation. Ces articles sont libellés comme suit :
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
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1985, c. 6, a. 270.
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.
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1985, c. 6, a. 271.
[11] Dans le présent dossier, la travailleuse, une préposée aux bénéficiaires, produit une réclamation le 26 octobre 2011 à la suite d’un événement survenu le 12 avril 2011. Le tribunal retient ceci de la description de l’événement produite dans sa réclamation :
Pendant le tranfer d’une résidente du lit à la chaise d’aisance soudainement ses jambes ont flanchées et j’ai fait un mouvement brusque pour prévenir une chute. Aussitôt j’ai senti une douleur aïgue dans l’épaule gauche. [sic]
[12] La travailleuse consulte le docteur Jean Therrien le 5 mai 2011 qui note la présence d’une douleur à l’épaule gauche depuis trois mois. Il indique qu’il n’y a pas de traumatisme précis. Il prescrit une radiographie de l’épaule gauche, des exercices, de la physiothérapie ainsi que du Naproxyn. Il recommande un arrêt de travail jusqu’au 5 juin 2011. Il ne produit pas de Rapport médical pour la CSST.
[13] Le 2 juin 2011, la travailleuse revoit le docteur Therrien. Il considère que le diagnostic est celui de tendinite de l’épaule gauche. Il indique que les traitements de physiothérapie n’ont pas amélioré la travailleuse et qu’elle a vu un massothérapeute de St-Jérôme. Il note que la travailleuse aimerait « appliquer » à la CSST, car elle trouve que sa condition dure depuis longtemps. Il procède à une infiltration sous acromiale gauche. Il indique ceci dans son commentaire : « finalement pas clair CSST ». Il ne rédige pas de Rapport médical pour la CSST.
[14] La travailleuse revoit le docteur Therrien le 7 juillet 2011. Il indique qu’il y a une légère amélioration en physiothérapie et l’encourage à poursuivre ses traitements. Il ne rédige pas de Rapport médical pour la CSST.
[15] Le 16 août 2011, le docteur Therrien note une détérioration de la condition de la travailleuse. Il prescrit un examen d’imagerie par résonance magnétique.
[16] Le 31 août 2011, la travailleuse subit un examen d’imagerie par résonance magnétique pour l’épaule gauche. Le radiologiste Bartlomiej Pleszewski indique qu’il y a présence d’une tendinose sévère ainsi que d’une probable déchirure partielle de haut grade de la surface inférieure du tendon distal.
[17] La travailleuse revoit le docteur Therrien le 29 septembre 2011 en présence d’une conseillère syndicale. Le docteur Therrien note que la travailleuse a eu une douleur vive le 12 avril 2011, mais que le début des douleurs remonte en février 2011. Il s’interroge s’il s’agit d’un cas relevant de la CSST. Il lui recommande une consultation en orthopédie avec le docteur Joseph Kornacki ainsi que de produire une réclamation à la CSST. En bas de page, il indique que la travailleuse le rappelle pour lui dire qu’elle ne veut pas produire de réclamation à la CSST.
[18] Le docteur Therrien produit un premier Rapport médical pour la CSST le 24 octobre 2011 à la suite de la visite médicale du 29 septembre 2011. Il retient le diagnostic de déchirure tendineuse du sus-épineux de l’épaule gauche et recommande des travaux légers. Lors de l’audience, la travailleuse dépose un autre Rapport médical daté du 29 septembre 2011 concernant la même visite médicale.
[19] La CSST rend une décision le 10 novembre 2011 et refuse la réclamation de la travailleuse, car elle n’a pas été produite dans le délai de six mois prévu par la loi et qu’elle n’a pas présenté de motif raisonnable justifiant son retard.
[20] Le 4 janvier 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative et confirme celle rendue le 10 novembre 2011. Elle conclut que la réclamation de la travailleuse a été produite en dehors du délai prévu par la loi et que la travailleuse n’a pas démontré un motif raisonnable permettant de la relever de son défaut. Le tribunal retient ceci de cette décision :
De l’avis de la Révision administrative, le motif invoqué par la travailleuse n’est pas un motif raisonnable permettant de relever la travailleuse du défaut de ne pas avoir soumis sa réclamation dans le délai. En effet, la travailleuse a eu plusieurs occasions de déclarer l’événement. Elle a fait la relation entre sa lésion et son travail dès sa première visite chez le médecin en mai 2011. Elle avait alors un intérêt à réclamer, puisqu’elle a cessé de travailler et a demandé des prestations d’assurances. De plus, elle a été informée de ses recours au début septembre par son syndicat, mais elle s’est volontairement désistée. Elle aurait pu produire sa réclamation en tout temps en septembre et n’avait pas besoin d’attendre un rendez-vous médical. [sic]
[21] Lors de l’audience, la travailleuse mentionne qu’elle travaille pour l’employeur depuis mai 1997 à titre de préposée aux bénéficiaires. Elle subit un événement au travail le 12 avril 2011 qui lui occasionne une vive douleur à l’épaule gauche. Elle ne rédige pas de rapport d’accident, mais avise madame Marcelle Labonté qui est la chef d’équipe des préposés aux bénéficiaires. Elle continue à exercer son travail dans les jours suivants sauf pour quelques jours de vacances à la fin avril 2011. Elle arrête de travailler le 5 mai 2011 lorsqu’elle consulte un médecin pour la première fois.
[22] Elle mentionne qu’elle n’a pas discuté de la possibilité de produire une réclamation à la CSST avec son employeur. Toutefois, en septembre 2011, elle en parle avec son syndicat. Elle ne se souvient pas d’en avoir parlé avec l’employeur en juillet 2011. Elle retourne à un travail allégé à temps plein à compter du 13 octobre 2011.
[23] Lorsqu’elle consulte le docteur Therrien le 29 septembre 2011, elle reçoit le résultat de l’examen d’imagerie par résonance magnétique et se rend compte qu’elle est blessée sérieusement. Elle n’a pas produit de réclamation à la CSST, mais elle est d’accord, à ce moment, pour en produire une. Elle rappelle son médecin plus tard durant la même journée, car elle a changé d’idée. Elle indique qu’elle a parlé à madame Ginette Larocque qui est une conseillère syndicale régionale. Cette dernière lui aurait mentionné qu’elle pouvait perdre le droit de recevoir de l’assurance salaire si elle produisait une réclamation. Elle n’a pas vérifié auprès de l’employeur si cette affirmation était exacte ou non.
[24] Elle discute avec son conjoint en octobre 2011 et se décide à produire une réclamation à la CSST. Elle ne produit pas tout de suite de réclamation, car elle croit qu’elle a besoin d’un autre Rapport médical.
[25] Depuis l’événement, elle a subi des traitements de physiothérapie de mai à juillet 2011, elle a eu une infiltration de cortisone et a pris des médicaments prescrits par son médecin. Elle a déboursé des frais pour tous ces soins et traitements.
[26] La travailleuse ajoute qu’elle a fait une relation entre sa lésion à l’épaule et l’événement survenu le 12 avril 2011 dès sa survenance. Elle est certaine qu’elle a parlé de l’événement survenu au travail à son médecin au moins à compter de la deuxième consultation médicale. Elle a produit une réclamation pour recevoir de l’assurance salaire et en reçoit à la suite de l’arrêt de travail. Elle n’avait pas de formulaire à compléter pour en obtenir.
[27] Elle se rappelle, en cours de témoignage, qu’elle a discuté de sa problématique avec madame Céline Papillon, présidente du syndicat, et madame D’Aragon de l’employeur. Elle dit que madame D’Aragon lui a suggéré, vers le 21 septembre 2011, de produire une réclamation à la CSST. Plus tard au cours de son témoignage, elle mentionne qu’elle ne se souvient pas si elle a discuté de la possibilité d’une réclamation à la CSST avec madame D’Aragon. Elle constate, lors de la visite médicale du 29 septembre 2011, qu’elle devrait produire une réclamation à la CSST.
[28] La travailleuse mentionne qu’elle faisait partie de l’exécutif syndical depuis environ un an et demi au moment de l’événement. Elle est convaincue qu’il s’agit d’un accident du travail qui est survenu le 12 avril 2011. Elle mentionne toutefois qu’elle avait une petite tension au niveau cervical auparavant.
[29] Madame Sylvie D’Aragon témoigne à la demande de l’employeur. Elle est directrice générale pour l’employeur depuis le 12 juillet 2006. Depuis 2010, elle doit faire le suivi des dossiers relatifs à la santé des employés. Elle a fait évaluer la travailleuse par le docteur Paradis en juin 2011. Ce dernier considère qu’il est possible que la travailleuse ne soit plus capable d’exercer son emploi. À la suite de cette évaluation, durant l’été 2011, elle discute avec la travailleuse de la possibilité de produire une réclamation à la CSST.
[30] Elle rencontre de nouveau la travailleuse avec madame Papillon et peut-être aussi avec madame Larocque du syndicat en septembre 2011. La travailleuse aurait mentionné qu’elle ne sait pas précisément la date de l’événement tandis qu’une personne du syndicat considérait qu’une réclamation à la CSST était tardive.
[31] Le tribunal doit analyser si la réclamation de la travailleuse est produite dans le délai prévu par la loi.
[32] Dans le présent dossier, le tribunal considère que l’article 271 de la loi trouve application étant donné que la travailleuse a été capable de poursuivre son travail pendant quelques semaines.
[33] Le tribunal ajoute que le délai est le même que ce soit l’article 270 ou 271 qui trouve application. Il s’agit dans les deux cas d’un délai de six mois qui court à compter de la survenance de la lésion[2].
[34] Dans l’affaire Paradis et Gouttière A. Champoux inc.[3], la Commission des lésions professionnelles indique que le délai prévu à l’article 271 de la loi court à compter de la survenance de la lésion même s’il n’y a pas d’arrêt de travail. Le tribunal retient ceci de cette décision :
[75] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le texte de l’article 271 de la loi, tout comme celui de l’article 270 d’ailleurs, est clair et demande au travailleur la production de sa réclamation « dans les six mois de sa lésion ». En comparaison, le texte de l’article 272 de la loi, qui est également fort clair, précise qu’en matière de maladie professionnelle, le travailleur doit produire sa réclamation « dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas. »
[76] Pour le tribunal, si le législateur avait voulu permettre au travailleur de produire une réclamation dans les six mois à compter du moment où il a un intérêt à le faire, il se serait exprimé différemment.
[77] Le tribunal partage l’avis émis par le juge Bérubé dans l’affaire Brassard et Voltech18 et croit que l’expression « s’il y a lieu » qu’on retrouve à l’article 271 de la loi doit recevoir une interprétation restrictive et qu’elle se rattache au fait de produire ou non une réclamation à la CSST et non pas de le faire dans un délai qui excède celui qui est prévu à la loi.
[78] En ce sens, le tribunal est donc d’avis que c’est davantage par le biais de l’analyse d’un motif raisonnable, faite dans le contexte de l’application de l’article 352 de la loi, que l’on devrait se référer à la question d’un intérêt réel et actuel à produire une réclamation à la CSST et non en interprétant largement l’article 271 de la loi afin d’y insérer un critère, l’intérêt réel et actuel, qui ne s’y trouve pas.
[79] Avec égard pour les tenants d’une opinion à l’effet contraire, le recours à une interprétation de l’article 271 de la loi permettant d’y faire entrer la notion d’intérêt réel et actuel à produire une réclamation risque en définitive d’amener des situations qui pourraient mettre en péril la stabilité juridique voulue par le législateur, situation justement soulignée par la juge Tardif dans l’affaire Belley19. Jusqu’à quel délai pourra-t-on étirer le début d’un intérêt réel et actuel à produire une réclamation à la CSST? Six mois, un an, deux ans?
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Références omises.
[35] La travailleuse a produit une réclamation le 26 octobre 2011 alors que l’événement s’est produit le 12 avril 2011. Elle avait jusqu’au 12 octobre 2011 pour produire une réclamation. Sa réclamation n’est donc pas produite dans le délai prévu par la loi.
[36] Le tribunal doit se demander si la travailleuse a un motif raisonnable pour être relevée de son défaut d’avoir produit sa réclamation dans le délai prévu à l’article 271 de la loi.
[37] L’article 352 de la loi permet de relever une partie de son défaut de respecter un délai :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
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1985, c. 6, a. 352.
[38] Dans l’affaire Structures G.B. ltée et Fiola[4], la Commission des lésions professionnelles définit ce que peut être un motif raisonnable au sens de l’article 352 de la loi. Le tribunal retient ceci de cette décision :
[21] La notion de « motif raisonnable » est vaste et, de ce fait, sujette à beaucoup d’interprétation et à l’exercice d’une discrétion importante de la part du décideur qui doit examiner toutes les circonstances du cas particulier qui lui est soumis6. Le motif raisonnable a par ailleurs déjà été décrit pas la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles comme étant « un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion »7.
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6 Roy et Communauté urbaine de Montréal [1993] C.A.L.P. 1974 (C.A.); Dansereau et Hôpital Maisonneuve-Rosemont [1993] C.A.L.P. 1074 (C.S.); Lussier et Godin et als [1987] R.J.Q. 1328 (C.S.); C.S.S.T. et Groupe Paré-Brosset ltée [1998] C.L.P. 617 ; Raymond et Pharmacie Jean-Coutu C.L.P.E. 99LP-65 .
7 Purolator ltée et Langlais C.A.L.P. 87109-62-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur.
[39] Dans le présent dossier, le tribunal retient que la travailleuse a peut-être été induite en erreur par une représentante syndicale quant à la possibilité de produire une réclamation à la CSST alors qu’elle reçoit de l’assurance salaire. Par ailleurs, cette conversation a eu lieu le 29 septembre 2011, soit plusieurs mois après l’événement d’avril 2011.
[40] Toutefois, il n’en demeure pas moins que la travailleuse ne s’est pas informée auprès de la CSST afin de vérifier si elle pouvait produire une réclamation à la suite de l’événement allégué.
[41] Il appert des notes évolutives de la CSST en date du 9 novembre 2011 que son syndicat lui a expliqué, en septembre 2011, qu’elle pouvait produire une réclamation à la CSST.
[42] La travailleuse mentionne, dans son témoignage, qu’elle savait dès sa survenance qu’il y avait un lien entre l’événement du 12 avril 2011 et une blessure à l’épaule. Elle choisit alors de réclamer de l’assurance salaire. Dès la visite médicale du 2 juin 2011, il est indiqué, dans les notes cliniques du docteur Therrien, qu’il s’agit peut-être d’un cas relevant de la CSST.
[43] Le tribunal constate que c’est à compter de septembre 2011 que la travailleuse s’aperçoit que son état de santé ne lui permettrait peut-être pas de retourner à son travail habituel.
[44] Le tribunal est d’avis que c’est la gravité de son état qui est l’élément déclencheur pour la travailleuse afin qu’elle se décide à produire une réclamation.
[45] Toutefois, lorsqu’elle consulte son médecin le 29 septembre 2011, elle change d’idée en cours de journée et décide de ne pas produire de réclamation.
[46] Le tribunal est d’avis que l’évaluation de la condition d’une travailleuse ne peut constituer un motif raisonnable permettant de la relever de son défaut.
[47] La jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles a établi que la gravité insoupçonnée de la lésion au moment de l'accident ne constitue pas un motif raisonnable[5].
[48] De plus, la jurisprudence reconnaît que le niveau de connaissance requis pour produire une réclamation n’est pas la certitude qu’il existe un lien entre une pathologie et le travail, mais qu’il y a un lien possible[6].
[49] Par ailleurs, il est vrai que selon certaines décisions[7] du tribunal, l’absence d’intérêt d’un travailleur peut justifier une prolongation de délai.
[50] Toutefois, dans le présent dossier, le tribunal considère que la travailleuse avait un intérêt à produire une réclamation dès que des traitements ou des soins lui ont été prescrits. Le docteur Therrien lui a prescrit de la physiothérapie et de la médication dès la première visite médicale du 5 mai 2011 et la travailleuse a commencé ses traitements en physiothérapie par la suite. Par ailleurs, elle a reçu une infiltration le 2 juin 2011 et elle est en arrêt de travail à compter du 5 mai 2011.
[51] Le tribunal considère que la travailleuse avait certainement un intérêt à produire une réclamation étant donné qu’elle aurait pu se faire rembourser par la CSST tous ces soins dans l’éventualité où sa réclamation était acceptée.
[52] Par ailleurs, la travailleuse aurait très bien pu produire une réclamation en temps utile. En juin 2011, son médecin note qu’il est possible que ce soit un cas relevant de la CSST et elle est sur l’exécutif de son syndicat. Elle aurait très bien pu se renseigner rapidement sur les possibilités de se faire reconnaître une lésion professionnelle, mais elle n’a pas agi en ce sens. L’employeur lui a même parlé de cette possibilité durant l’été 2011. En septembre 2011, elle se décide à réclamer et elle est encore dans le délai légal pour produire une réclamation. Toutefois, elle change d’idée et attend encore quelques semaines avant de produire une réclamation à la CSST.
[53] Le tribunal retient que la preuve ne démontre pas que l’employeur ait empêché la travailleuse de produire une réclamation ou de s’informer de ses droits auprès de la CSST. La travailleuse n’a pas mis en preuve que l’employeur l’ait menacée de quelconque façon que ce soit si elle produisait une réclamation.
[54] Le tribunal considère que la travailleuse a été imprudente en ne s’informant pas de ses droits auprès de la CSST. Elle a agi avec négligence et n’a pas démontré qu’elle désirait produire une réclamation dans le délai prévu par la loi.
[55] Dans l’affaire Lemelin et Inter-Cité Construction ltée[8], la Commission des lésions professionnelles a décidé que malgré qu'il n'y ait pas eu d'arrêt de travail avant plusieurs mois, le travailleur avait un intérêt réel et actuel à déposer sa réclamation à la CSST dès l’événement puisqu’il a eu des traitements de physiothérapie ainsi que des médicaments prescrits. Même si ces coûts étaient minimes et ont été payés en bonne partie par une compagnie d'assurances, il n’en demeure pas moins que le travailleur n'a pas agi comme une personne prudente et diligente dans la conduite de ses affaires.
[56] De même, dans l’affaire Baril et Centre Hospitalier de Verdun[9], la Commission des lésions professionnelles a décidé que l’intérêt à produire une réclamation n’est pas que d’ordre pécuniaire. Dans cette affaire, le tribunal a décidé que le travailleur avait un intérêt à déposer une réclamation au plus tard lors de sa première consultation médicale, alors qu'il a reçu un traitement.
[57] Dans le présent dossier, le tribunal est convaincu que la travailleuse avait un intérêt à produire une réclamation, car elle a consulté un médecin, a reçu une infiltration et a subi des traitements en physiothérapie.
[58] Le tribunal conclut que la travailleuse n’a pas démontré qu’elle avait un motif raisonnable pour justifier une prolongation de délai. En conséquence, sa réclamation est donc irrecevable.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la travailleuse, madame Nicole Forget, du 20 janvier 2012;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE irrecevable la réclamation de la travailleuse du 26 octobre 2011.
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Michel Lalonde |
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Me Vincent Boulet |
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Slogar |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Stéphanie Rainville |
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Monette, Barakett |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Voir Carrière et S.G.L. Canada inc. (Gic), C.L.P. 384444-64-0907, 23 mars 2010, L. Nadeau.
[4] C.L.P. 160639-01A-0105, 18 juillet 2002, L. Desbois.
[5] Paris et Ministère Loisir, Chasse et Pêche, C.A.L.P. 11983-09-8906, 30 novembre 1990, P.-Y. Vachon, (J2-19-09); Lemelin et Inter-Cité Construction limitée, C.L.P. 338870-02-0801, 18 août 2008, J. Grégoire.
[6] Roy et Alcatel Canada inc., C.L.P. C.L.P. 129915-31-0001, 29 mars 2001, P. Simard; Boivin et Extermination P.E. Tremblay & Lemieux inc., C.L.P. 296413-02-0608, 13 janvier 2009, R. Bernard, révision rejetée, 9 juin 2009, C.-A. Ducharme.
[7] Morand et Forage expert G.R. inc., [2007] C.L.P. 170 ; Dussault et Autobus Laval ltée, C.L.P. 164513-32-0107, 26 juin 2002, G. Tardif;
[8] C.L.P. 338870-02-0801, 18 août 2008, J. Grégoire, (08LP-189).
[9] C.L.P. 359158-62-0809, 1er avril 2010, L. Vallières.
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