Hossain c. Groupe Sutton |
2014 QCCQ 11557 |
||||||
COUR DU QUÉBEC |
|||||||
|
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
||||||
LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
||||||
« Chambre civile » |
|||||||
N° : |
500-22-197218-129 |
||||||
|
|||||||
DATE : |
Le 4 novembre 2014 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SYLVIE LACHAPELLE, J.C.Q. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
TANZIR HOSSAIN |
|||||||
-et- |
|||||||
LUBABA SHAHRIN |
|||||||
Demandeurs |
|||||||
|
|||||||
c. |
|||||||
|
|||||||
GROUPE SUTTON |
|||||||
-et- |
|||||||
ESTHER DAYAN |
|||||||
Défenderesses |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1] Le 28 août 2009, les demandeurs, M. Tanzir Hossain (« M. Hossain ») et madame Lubaba Shahrin (« madame Shahrin ») achètent un condominium, propriété de madame Xia-Hoe Tran (« madame Tran »), par l'entremise du courtier inscripteur de cette dernière, madame Esther Dayan (« madame Dayan »), membre du Groupe Sutton (« Groupe Sutton »), partie défenderesse.
[2] Au printemps 2012, alors que M. Hossain et madame Shahrin veulent vendre leur condominium, ils apprennent que la superficie de la surface habitable est de 774 pieds carrés alors qu'il croyait avoir acheté un condominium de 928 pieds carrés.
[3] M. Hossain et madame Shahrin reprochent à madame Dayan d'avoir manqué à son obligation de vérification et d'information et lui réclament 30 500 $ de dommages-intérêts, soit la valeur de la superficie entre 928 pieds carrés et 774 pieds carrés.
[4] Madame Dayan conteste cette réclamation. Elle allègue que :
1. ce recours est mal fondé en droit puisqu'il n'y a aucun lien contractuel entre Groupe Sutton et madame Dayan et les demandeurs acheteurs ;
2. Groupe Sutton et madame Dayan n'ont pas commis de fautes;
3. de toute façon, M. Hossain et madame Shahrin n'ont subi aucun préjudice et n'ont pas prouvé leurs dommages ;
Questions en litige
a) La vente de la propriété a-t-elle été faite sans égard à la superficie annoncée de 928 pieds carrés ?
b) Les demandeurs ont-ils un recours contre la défenderesse ?
c) La défenderesse a-t-elle commis une faute dans l'exercice de ses fonctions ?
d) Les demandeurs ont-ils subi un préjudice et ont-ils prouvé le montant des dommages réclamés ?
Les faits
[5] Après avoir entendu la preuve testimoniale et révisé la preuve documentaire, le Tribunal retient les faits pertinents suivants.
[6] M. Hossain et madame Shahrin désiraient acheter une propriété dans le quartier Ville St - Laurent.
[7] La location est une priorité et ce quartier répond à leurs attentes. Ils sont à distance de marche du métro et à proximité des facilités.
[8] M. Hossain et madame Shahrin voient l'annonce d'un condominium à vendre et communiquent avec madame Dayan, alors courtier pour le Groupe Sutton qui a été contacté par madame Tran pour vendre sa propriété, tel qu'il appert du contrat de courtage D-1.
[9] Madame Dayan travaille avec le Groupe Sutton depuis 2002.
[10] Madame Dayan témoigne que madame Tran voulait un certain prix, lequel aurait été établi à 219 000 $ après vérification avec des propriétés comparables.
[11] Madame Dayan demande à madame Tran de lui remettre les documents suivants :
· Compte de taxes ;
· Compte de copropriété ;
· Acte d'hypothèque ;
· Certificat de localisation ;
· Procès-verbal des réunions du Syndicat de copropriété ;
[12] Madame Tran ne trouvant pas le compte de taxes, madame Dayan fait elle-même une demande au Registre des états fonciers.
[13] Madame Tran remet à madame Dayan le plan de la propriété D-2 ainsi que l'acte d'hypothèque qu'elle transmet à son associé pour entrer les données sur MLS et dans Centris. Le certificat de localisation sera remis à M. Hossain et madame Shahrin chez le notaire d'après madame Dayan et deux semaines après l'achat, selon M. Hossain et madame Shahrin.
[14] La fiche descriptive sur MLS indique une superficie habitable de 928 pieds carrés.
[15] M. Hossain et madame Shahrin témoignent qu'ils visitent la propriété et auraient fait une offre d'achat la même journée.
[16] Selon madame Dayan, M. Hossain et madame Shahrin recherchaient un condominium avec deux chambres dans cet immeuble. Ils l'auraient informé qu'ils en ont vu plusieurs dans l'immeuble avant de communiquer avec elle.
[17] Madame Dayan aurait fait visiter un appartement de coin dans cet immeuble, le 309, mais M. Hossain et madame Shahrin préfèrent le 310.
[18] Selon madame Dayan, c'est après la deuxième visite que M. Hossain et madame Shahrin informent cette dernière qu'ils sont très intéressés et qu'ils sont prêts à faire une offre d'achat.
[19] Au moment de préparer l'offre d'achat, madame Dayan remarque d'après les plans remis par madame Tran que la superficie de 928 pieds carrés comprend le balcon de 67 pieds carrés. Elle témoigne qu'elle n'est pas à l'aise d'inscrire 928 pieds carrés comme superficie habitable au document d'offre d'achat.
[20] Aussi, madame Dayan inscrit sur le formulaire que la superficie de la propriété est de 861 pieds carrés et elle fait corriger par la suite la fiche descriptive.
[21] Madame Dayan rencontre M. Hossain et madame Shahrin à leur domicile pour leur présenter l'offre d'achat.
[22] Cette dernière témoigne qu'elle aurait alors expliqué point par point cette offre d'achat à M. Hossain et madame Shahrin et pourquoi elle n'incluait pas le balcon dans la superficie habitable, ce qui, selon madame Dayan « n'était pas quelque chose qui était important pour eux. »
[23] M. Hossain et madame Shahrin nient que madame Dayan leur aurait parlé de la superficie. Selon ces derniers, ils auraient plutôt parlé du prix qu'ils voulaient offrir qu'ils fixent à ce moment à 190 000 $.
[24] M. Hossain et madame Shahrin témoignent qu'il n'a pas été porté à leur attention que la superficie du condominium n'était pas celle de la fiche descriptive, qui, ajoutent-t-ils, n'indique pas s'il s'agit d'une superficie brute ou nette.
[25] M. Hossain et madame Shahrin auraient signé l'offre d'achat préparée par madame Dayan sans réaliser que la superficie était de 861 pieds carrés au lieu de 928 pieds carrés :
« We had no discussion about the size. I had no reason to ask. I had the information in the listing. It wasn't my concern. I visited the condo. I trusted her. We sold the property and we were more focussed on the price. I didn't notice 861² and if it's written 861 it doesn't say gross or net. »
[26] M. Hossain ajoute que le prix lui semblait raisonnable.
[27] Des offres et contre-offres sont échangées. À un certain point, l'écart est de 195 000 $ versus 205 000 $. Madame Dayan offre à M. Hossain et madame Shahrin de payer les frais de notaire à la vendeuse, sa cliente, et de baisser sa commission de 5 % à 3.5 %, et tous s'entendent pour conclure à 200 000 $.
[28] La vendeuse remet l'acte de vente ainsi que le certificat de localisation à madame Dayan qui les transmet au notaire quelques jours plus tard.
[29] Madame Dayan était présente lors de la signature de l'acte de vente chez le notaire Dakota. Cette dernière aurait lu l'acte de vente et montré le certificat de localisation où apparaît l'annotation manuscrite de 774 pieds carrés à côté de la superficie indiquée en mètres carrés de 72 mètres carrés.
[30] M. Hossain et madame Shahrin nient avoir été informés chez le notaire que la superficie n'était que de 774 pieds carrés.
[31] Lors du contre-interrogatoire, cependant M. Hossain se ravise un peu. C'est probable que le notaire leur ait montré le certificat de localisation.
« Probably. I'm not sure. She went through the legal documents. The size wasn't a concern back then until it represents a problem to sell. »
[32] Madame Dayan argumente qu'elle a montré à M. Hossain et madame Shahrin les plans de l’entrepreneur où il apparaît clairement que tout est calculé dans la superficie habitable, soit les garde-robes, les murs, etc. … ce qui donne une superficie brute de 928 pieds carrés, laquelle correspond à une superficie nette de 774 pieds carrés.
[33] Madame Dayan ajoute que M. Hossain et madame Shahrin n'ont jamais demandé si les mesures indiquées au plan étaient brutes ou nettes et qu'au moment où la transaction a été conclue, ils n'étaient pas préoccupés par la dimension du condominium et ils étaient très heureux de leur achat.
[34] En réplique, M. Hossain insiste lors de l'audience :
« There was also the investment as a criteria. »
[35] M. Hossain et madame Shahrin venaient de vendre leur condominium et ils planifiaient vendre celui-ci après l'avoir habité deux ou trois ans, le temps qu'il prenne de la valeur pour ensuite s'acheter une maison.
[36] Aussi, en juillet 2011, M. Hossain et madame Shahrin remettent leur propriété sur le marché. Après avoir comparé avec d'autres propriétés de superficie d'environ 921 pieds carrés, ils fixent le prix demandé à 245 000 $.
[37] M. Hossain et madame Shahrin ne recevaient pas d'offre. Le courtier au dossier leur représentait que le prix demandé était trop élevé pour un petit condominium.
[38] M. Hossain et madame Shahrin diminuent le prix demandé à 239 000 $, mais ne réussissent pas à vendre.
[39] En mars 2012, M. Hossain et madame Shahrin changent de courtier qui les informe que la superficie habitable n'est que de 706.76 pieds carrés et ils retirent cette information de la fiche descriptive.
[40] Le troisième agent retenu en août 2012 met le condominium sur le marché à un prix de 235 000 $, qui ne se vend pas non plus. M. Hossain s'exprime ainsi :
« It was an investment property. I was desperate. I make no money with it. The lowest price $235 000, 4 years later … It's the same amount that I paid because of the size. »
[41] Finalement, M. Hossain et madame Shahrin décident de louer le condominium et s'achètent une maison.
[42] Monsieur Pierre Sirois (« M. Sirois »), évaluateur agréé, a reçu le mandat d'évaluer la perte de valeur de cette propriété.
[43] Ce dernier a calculé l'écart de superficie entre celle indiquée au certificat de localisation et l'inscription à la fiche technique, soit 153 pieds carrés.
[44] M. Sirois a ensuite pris en considération le prix payé de 200 000 $ dont il a déduit 15 000 $, soit la valeur du stationnement pour établir la valeur du condominium à 185 000 $, qu'il divise par 775 pieds carrés, ce qui donne 199 $ le pied carré qu'il multiplie ensuite par 153 pieds carrés pour arriver à une perte de 30 500 $.
[45] M. Sirois précise que le travail fait pour M. Hossain et madame Shahrin ne visait pas à évaluer la valeur du condominium lors de l'achat. Par conséquent, ce dernier n'a fait aucune démarche pour établir la juste valeur marchande ni au moment de l'achat ni lors des tentatives de vente.
[46] M. Sirois ne peut donc dire si le condominium valait plus de 200 000 $ lors de l'achat. Il avait un mandat précis, lequel n'était pas celui d'établir la juste valeur marchande.
[47] Subsidiairement, M. Sirois évalue l'hypothèse selon laquelle les acheteurs savaient qu'ils achetaient un condominium de 861 pieds carrés, tel qu'inscrit à l'offre d'achat. Dans ce cas, la perte serait de 18 497,93 $, établie selon la même règle de trois expliquée au paragraphe précédent.
Jugement
[48] Groupe Sutton et madame Dayan plaident que M. Hossain et madame Shahrin ne peuvent initier un recours contre elles sans d'abord poursuivre les vendeurs, la faute du courtier n'étant que subsidiaire.
[49] Le Tribunal dispose donc d'abord de la question de la nature du recours.
[50] Groupe Sutton et madame Dayan basent leur argument sur la jurisprudence[1] qui établi que deux défendeurs dont la nature du recours est différent, soit contractuel pour l'un et extracontractuel pour l'autre ne peuvent être condamnés solidairement à des dommages, mais « in solidum ».
[51] Aussi, selon Groupe Sutton et madame Dayan, M. Hossain et madame Shahrin ont initié un recours en diminution du prix de vente basé sur l'article 1720 du Code civil du Québec[2] (« C.c.Q. »), lequel se lit comme suit :
« 1720. Le vendeur est tenu de délivrer la contenance ou la quantité indiquée au contrat, que la vente ait été faite à raison de tant la mesure ou pour un prix global, à moins qu'il ne soit évident que le bien individualisé a été vendu sans égard à cette contenance ou à cette quantité. »
[52] M. Hossain et madame Shahrin argumentent que c'est la vendeuse qui a une obligation d'information et de délivrance et non le courtier dont la faute, si faute il y a, ne peut être que subsidiaire. En conséquence, la requête introductive d'instance doit être rejetée pour ce motif.
[53] Le Tribunal n'est pas de cet avis.
[54] Les vendeurs et les courtiers ont des obligations différentes face aux éventuels acheteurs.
[55] Les premiers sont liés par contrat de vente l'unissant aux vendeurs, les seconds encourrent une responsabilité professionnelle en raison de leur inexécution fautive.
[56] Aussi, M. Hossain et madame Shahrin peuvent initier un recours uniquement contre les courtiers en responsabilité professionnelle.
[57] Dans le présent cas, M. Hossain et madame Shahrin allèguent que Groupe Sutton et madame Dayan ont manqué à leur devoir de vérification des documents remis par la vendeuse avant d'indiquer la superficie habitable sur la fiche descriptive et en tant qu'acheteurs, ils ont été induits en erreur.
[58] Comme ici les demandeurs et les courtiers ne sont pas liés par contrat, le recours exercé contre ces derniers en est donc un sur la base de la responsabilité extra-contractuelle.
Le droit applicable
[59] Les courtiers ont une obligation d'informer leurs clients basés tant sur l'article 2102 C.c.Q.[3] que sur le Règlement sur les conditions d'exercice d'une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité[4]. [Règlement]
[60] Les articles pertinents sont les suivants :
Code civil du Québec
2102. L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, avant la conclusion du contrat, de fournir au client, dans la mesure où les circonstances le permettent, toute information utile relativement à la nature de la tâche qu'il s'engage à effectuer ainsi qu'aux biens et au temps nécessaires à cette fin.
Règlement
5. Le titulaire de permis doit vérifier, conformément aux usages aux règles de l'art, les renseignements qu'il fournit au public ou à un autre titulaire de permis. Il doit toujours être en mesure de démontrer l'exactitude de ces renseignements
83. Le courtier ou le dirigeant d'agence doit conseiller et informer avec objectivité la partie qu'il, ou l'agence pour laquelle il agit, représente et toutes les parties à une transaction. Cette obligation porte sur l'ensemble des faits pertinents à la transaction ainsi que sur l'objet même de celle-ci et doit être remplie sans exagération, dissimulation ou fausse déclaration.
85. Le courtier ou le dirigeant d'agence doit informer la partie qu'il représente et toutes les parties à une transaction de tout facteur dont il a connaissance qui peut affecter défavorablement les parties ou l'objet même de la transaction. »
[61] L'auteur Henri Richard[5], aujourd'hui juge à la Cour du Québec, s'exprime ainsi sur les obligations du courtier :
« Il est indéniable que les obligations d'habileté, diligence et prudence incluent l'obligation de vérification. Le législateur nous l'indique clairement en vertu de son pouvoir réglementaire. Il est utile de rappeler qu'à l'instar des dispositions de la Loi sur le courtage immobilier, celles de ses règlements sont aussi d'ordre public de protection.
… »
[62] Il ajoute que dans l'état actuel du droit, il y a lieu de préférer l'opinion unanime de la Cour d'appel dans Hamel c. Compagnie Trust Royal[6] qui établit que :
« Le courtier ou vendeur prudent, diligent et compétent ne peut permettre que de telles informations qui serviront éventuellement - et qui ont ici servi - à la préparation d'une offre d'achat soient disponibles sans une vérification de base[7]. »
[63] Dans cette affaire, la Cour d'appel conclut au bien-fondé de la réclamation de l'acheteur, sur la base de la responsabilité extra contractuelle puisque le courtier indique à la fiche descriptive que le terrain de son client a une superficie de 9,180 pieds carrés alors qu'en réalité, il n'a que 6,000 pieds carrés.
[64] Le juge Henri Richard[8] illustre ensuite ses propos de la façon suivante :
« La jurisprudence renchérit à plusieurs reprises sur cette obligation de vérification en décidant qu'un courtier doit faire plus qu'une courte visite de l'immeuble et qu'il ne peut se fier uniquement aux informations transmises par son client « puisque ce dernier n'est pas un expert en la matière » et qu'il doit s'assurer que le contenu de la fiche descriptive reflète la situation de l'immeuble.
…
Cette obligation « positive » de vérification s'étend aussi aux documents reliés à la propriété pour y déceler toute limitation (hypothèque, servitude, etc.) de même qu'aux indices ou renseignements disponibles permettant de découvrir la présence d'un bail sur une partie du terrain mis en vente. Un courtier immobilier ne peut se contenter de réclamer des documents se rapportant à l'immeuble et de les transmettre au notaire à la suite de la conclusion d'une promesse d'achat, sans en prendre connaissance, puisqu'il doit s'assurer que le vendeur fera toutes les déclarations pertinentes concernant son immeuble, et ce, en exécution de son obligation d'information, tant envers le vendeur que l'acheteur. » (références omises)
[65] Comme nous l'avons vu précédemment, M. Hossain et madame Shahrin allèguent que Groupe Sutton et madame Dayan ont manqué à leur devoir de vérification des documents remis par la vendeuse avant d'indiquer la superficie habitable sur la fiche descriptive.
[66] Madame Dayan argumente qu'elle a remis à M. Hossain et madame Shahrin les plans de l’entrepreneur où il apparaît clairement que la superficie habitable donnait 928 pieds carrés bruts parce qu'elle inclut des garde-robes, les murs, etc.
[67] Elle ajoute que M. Hossain et madame Shahrin ne lui ont jamais posé la question si les mesures indiquées au plan étaient brutes ou nettes.
[68] Effectivement, M. Hossain a admis que la superficie « wasn't a concern by then until it represents a problem to sell. »
[69] La preuve révèle que les acheteurs qui ont visité leur condominium avant de l'acheter, ont pris pour acquis que leur condominium était de 982 pieds carrés, tel qu'indiqué à la fiche descriptive. Lors de l'achat, la dimension physique des lieux visités leur convenait quelle que soit la superficie en chiffre. De toute évidence, ils ne se souciaient pas non plus s'il s'agissait d'une superficie nette ou brute.
[70] Ils ont pris conscience de cette distinction lorsqu'ils ont remis leur condominium sur le marché et qu'un courtier leur aurait expliqué cette notion.
[71] Effectivement, pour le Tribunal, un acheteur qui n'est pas familier avec les notions de superficie brutes ou nettes n'aura pas le réflexe de poser des questions à ce sujet.
[72] Par contre, le courtier qui est un expert en la matière doit s'assurer que le contenu de la fiche descriptive reflète la situation de l'immeuble pour ne pas induire en erreur d'éventuels acheteurs.
[73] La preuve révèle que madame Dayan n'était pas confortable avec l'idée d'indiquer à l'offre d'achat une superficie incluant le balcon.
[74] C'est donc dire qu'elle voyait bien que la superficie indiquée de 928 pieds carrés ne reflétait pas la véritable dimension du condominium.
[75] D'ailleurs, après avoir complété l'offre d'achat, madame Dayan a fait corriger la fiche descriptive pour indiquer que cette propriété avait une superficie de 774 pieds carrés ce qui correspond en fait à la superficie nette.
[76] Pour le Tribunal, madame Dayan aurait dû s'assurer que la superficie habitable inscrite sur la fiche lors de la mise en vente du condominium était en fait la superficie nette, ou elle aurait dû faire remarquer cette différence aux acheteurs lors de la préparation de l'offre d'achat puisqu'elle s'était rendu compte que les plans de l'entrepreneur ne font pas référence à la véritable superficie habitable.
[77] Si cette dernière n'était pas à l'aise avec l'inclusion du balcon, le même raisonnement s'impose pour l'ajout de la dimension des murs et des garde-robes qui ne sont pas inclus aux fins de calcul de la superficie habitable, tel qu'indiqué au certificat de localisation.
[78] De plus, madame Dayan a obtenu le certificat de localisation avant la visite chez le notaire. Elle aurait dû s'assurer que les promettant acheteurs le reçoivent à l'avance et aussi attirer leur attention sur le fait que la superficie indiquée sur le plan accompagnant le certificat de localisation était une superficie nette.
[79] Aussi, le Tribunal conclut que madame Dayan a commis une faute en ce qu'elle a manqué à ses obligations de vérification, de diligence, de prudence et d'information, de telle sorte que M. Hossain et madame Shahrin ont été induits en erreur en ce qu'ils ont cru acheter un appartement de 928 pieds carrés, tel qu'indiqué à la fiche d'inscription.
[80] Maintenant, est-ce que la faute du courtier a causé des dommages à M. Hossain et madame Shahrin ?
[81] M. Hossain et madame Shahrin allèguent que la différence de superficie les empêche de vendre leur condominium à un prix leur permettant de faire un profit.
[82] Aussi, le dommage réclamé par M. Hossain et madame Shahrin est donc la portion de profit dont ils seraient privés, selon eux.
[83] Or, M. Hossain et madame Shahrin ont fait entendre un évaluateur qui a établi qu'ils ont subi un dommage qu'il évalue à 30 500 $, soit la différence de prix au pied carré entre un condominium de 928 pieds carrés et de 774 pieds carrés.
[84] Pour le Tribunal, cette évaluation des dommages ne peut être retenue.
[85] D'une part, la preuve révèle que M. Hossain et madame Shahrin ont acheté et pris possession d'un condominium de 928 pieds carrés bruts.
[86] Physiquement, ils n'ont pas reçu un appartement plus petit que celui visité.
[87] Il n'y a pas d'erreur de dimension, mais il s'agit plutôt ici de deux façons différentes de représenter la superficie.
[88] On comprend de la preuve qu'un entrepreneur peut, pour rendre ses unités plus attrayantes, remettre aux clients potentiels des plans qui donnent des dimensions plus généreuses parce qu'ils intègrent dans la superficie habitable les murs, les garde-robes et les balcons.
[89] Par ailleurs, la réelle superficie habitable ne tient pas compte de tout cela de telle sorte qu'il est plus représentatif de référer à la superficie nette qui est ici de 774 pieds carrés.
[90] Mais comme dit précédemment, M. Hossain et madame Shahrin n'ont pas été privés d'une superficie de 152 pieds carrés.
[91] Ils n'ont, par conséquent, pas droit au remboursement de 30 500 $ représentant la valeur au pied carré de cette superficie de 152 pieds carrés.
[92] M. Hossain et madame Shahrin ont théoriquement un recours pour réclamer la portion de profit dont ils disent être privés, mais encore faut-il qu'ils aient fait la preuve de ce préjudice.
[93] Autrement dit, la Cour doit vérifier si M. Hossain et madame Shahrin ont démontré, selon la balance des probabilités, qu'ils ne réussissent pas à vendre leur condominium avec profit parce qu'ils doivent annoncer un condominium d'une superficie nette de 774 pieds carrés.
[94] Or, M. Hossain et madame Shahrin n'ont fait aucune preuve de la juste valeur marchande de leur condominium, ni au moment de l'achat ni lors des tentatives de vente.
[95] Aussi, la preuve ne révèle pas par exemple si le prix payé à l'achat était trop cher pour un condominium de cette dimension ni non plus à quel prix a été vendu un condominium comparable en 2011, 2012, 2013 et 2014 ?
[96] Les propriétaires d'un condominium comparable acheté en 2009 et revendu en 2012, 2013 et 2014 ont-ils vendu en faisant un profit et, si oui, de combien ?
[97] Est-ce que les condominiums de 774 pieds carrés demeurent invendus alors que ceux de 981 pieds carrés le sont ?
[98] Est-ce que les condominiums vendus sont plus attrayants que d'autres ?
[99] Est-ce un marché d'acheteurs ou de vendeurs, etc. ?
[100] Autant de questions auxquelles le Tribunal n'a pas de réponse pour évaluer la question des dommages.
[101] La difficulté de vendre un condominium peut dépendre de plusieurs facteurs, et la preuve ne permet pas au Tribunal de conclure que les demandeurs ne réussissent pas à vendre leur condominium à profit.
[102] Aussi, le Tribunal conclut que M. Hossain et madame Shahrin n'ont pas prouvé leurs dommages.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la requête introductive d'instance des demandeurs ;
AVEC DÉPENS.
|
||
|
__________________________________ SYLVIE LACHAPELLE, J.C.Q. |
|
|
||
Procureur des demandeurs : |
||
|
||
Me Daniel Brook |
||
MBD AVOCAT |
||
6807, chemin Heywood |
||
Montréal (Qc) H4W 3K9 |
||
|
||
Procureur des défenderesses : |
||
|
||
Me François Mainguy |
||
LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
||
Tour Scotia |
||
1002, rue Sherbrooke Ouest, 28e étage |
||
Montréal (Qc) H3A 3L6 |
||
Dates d’audience : |
16 et 17 janvier 2014 |
|
[1] Veilleux c. Dubeau 2013 Q.C.C.Q. 3383 ; Chartré c. Exploitation agricole et forestière des Laurentides inc. 2002 CanLII 41135 (QC CA) [Chartré] ; Bourque c. Poudrier 2013 Q.C.C.A. 1663.
[2] (L.Q., 1991, c. 64.).
[3] Idem supra.
[4] L.R.Q., chap. C-73.2, r. 1.
[5] Le courtage immobilier au Québec, 3e édit., Les Éditions Yvon Blais, p. 123.
[6] 1990, RJQ 2178 (C.A.).
[7] Ibid, p. 2181.
[8] Ibid note 3, aux pages 126 et 127.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.