Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35
Le juge Richard Therrien, j.c.q. Appelant
c.
La ministre de la Justice Intimée
et
La procureure générale du Québec Intimée
et
Le procureur général de l’Ontario,
le procureur général du Nouveau-Brunswick,
l’Office des droits des détenus et
l’Association des services de réhabilitation
sociale du Québec Intervenants
Répertorié : Therrien (Re)
Référence neutre : 2001 CSC 35.
No du greffe : 27004.
2000 : 2 octobre; 2001 : 7 juin.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, Iacobucci, Bastarache, Binnie et Arbour.
en appel de la cour d’appel du québec
Appel - Cour suprême du Canada - Compétence - Rapport de la
formation d’enquête de la Cour d’appel du Québec - Déontologie judiciaire -
Rapport de la Cour d’appel recommandant la destitution d’un juge de la Cour du
Québec - La Cour suprême a-t-elle compétence pour se saisir de l’appel du
rapport de la Cour d’appel? - Ce rapport constitue-t-il un
« jugement » au sens de la Loi sur la Cour suprême? - Loi sur la Cour
suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, art.
2
(1),
Tribunaux - Compétence - Cour d’appel du Québec - Cour supérieure - Déontologie judiciaire - Cour d’appel saisie d’une requête du ministre de la Justice concernant la destitution d’un juge de la Cour du Québec - Juge concerné présentant en Cour supérieure des requêtes pour faire annuler le rapport du comité d’enquête du Conseil de la magistrature et contester la constitutionnalité d’une disposition d’une loi provinciale - La Cour supérieure a-t-elle compétence pour entendre ces requêtes? - La Cour d’appel a-t-elle compétence exclusive pour décider de questions de droit et de compétence dans le cadre de l’enquête? - Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T-16, art. 95 .
Tribunaux - Juges - Déontologie judiciaire - Conseil de la magistrature - Compétence - Le Conseil de la magistrature peut-il examiner la conduite d’un juge même si le manquement déontologique est antérieur à sa nomination?
Droit constitutionnel - Indépendance judiciaire - Inamovibilité des juges - Loi provinciale prévoyant la destitution d’un juge d’une cour provinciale sans adresse parlementaire - La loi provinciale est-elle conforme aux exigences de l’indépendance judiciaire? - Loi constitutionnelle de 1867, préambule - Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T-16, art. 95 .
Droit constitutionnel - Indépendance judiciaire - Inamovibilité des juges - Loi provinciale prévoyant que le gouvernement ne peut démettre un juge que sur un rapport de la Cour d’appel à la suite d’une requête du ministre de la Justice - La fonction judiciaire est-elle à l’abri de toute intervention discrétionnaire de la part de l’exécutif? - Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T-16, art. 95 .
Droit administratif - Justice naturelle - Obligation d’agir équitablement - Droit d’être entendu - Dépôt d’une plainte contre un juge de la Cour du Québec auprès du Conseil de la magistrature - Comité d’enquête du Conseil recommandant la destitution du juge - Le juge a-t-il bénéficié d’un préavis suffisant quant aux conclusions susceptibles d’être tirées par le comité d’enquête? - Le juge avait-il droit à une audition distincte sur la question des sanctions?
Droit administratif - Justice naturelle - Obligation d’agir équitablement - Droit à une audition impartiale - Dépôt d’une plainte contre un juge de la Cour du Québec auprès du Conseil de la magistrature - Conseil contraint de suivre les recommandations de son comité d’enquête - Comité d’enquête recommandant la destitution du juge - La structure décisionnelle du Conseil et de son comité d’enquête viole-t-elle la maxime delegatus non potest delegare? - La présence de personnes non membres de la magistrature au stade préliminaire du processus disciplinaire porte-t-elle atteinte à la dimension institutionnelle du principe structurel de l’indépendance judiciaire? - Le fonctionnement du comité d’enquête, en particulier le rôle de son procureur, soulève-t-il une crainte raisonnable de partialité institutionnelle?
Libertés publiques - Droits à l’égalité - Renseignements relatifs à l’emploi - Antécédents judiciaires - Candidat à la magistrature - Le comité de sélection peut-il questionner un candidat sur ses antécédents judiciaires? - Cette question porte-t-elle atteinte aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne? - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 10 , 18.1 , 18.2 , 20 .
Droit constitutionnel - Droits à l’égalité - Renseignements relatifs à l’emploi - Antécédents judiciaires - Candidat à la magistrature - La procédure intentée contre le juge concerné porte-t-elle atteinte aux droits à l’égalité garantis par la Charte canadienne? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 15.
Tribunaux - Juges - Déontologie judiciaire - Sanctions -- Destitution d’un juge d’une cour provinciale - Omission d’un juge de révéler ses antécédents judiciaires alors qu’il était candidat au poste de juge - Rapport de la Cour d’appel recommandant la révocation de la commission d’un juge - Cette sanction est-elle appropriée?
Droit criminel - Effet de l’octroi d’un pardon - Sens et portée du pardon obtenu en vertu de la Loi sur le casier judiciaire - Un pardon anéantit-il rétroactivement une condamnation? - Loi sur le casier judiciaire, S.R.C. 1970 (1er suppl.), ch. 12, art. 5.
En 1970, l’appelant est condamné à un an d’emprisonnement pour avoir
illégalement fourni une aide quelconque à quatre membres du Front de libération
du Québec. Après avoir purgé sa peine, il poursuit ses études de droit. De
1976 à 1996, l’appelant pratique le droit et, en 1987, à sa demande, le
gouverneur général en conseil lui accorde un pardon en vertu de l’al. 5b)
de la Loi sur le casier judiciaire. Entre 1989 et 1996, l’appelant
soumet sa candidature à cinq concours pour l’obtention d’un poste de juge. En
1991 et 1993, il révèle ses condamnations antérieures et mentionne qu’il a fait
l’objet d’un pardon et sa candidature n’est pas retenue à cause de ses
antécédents judiciaires. Lors du dernier concours, il ne révèle pas ses
antécédents judiciaires ni même l’existence d’un pardon. En septembre 1996,
suivant la recommandation favorable du comité de sélection, le ministre de la
Justice recommande la nomination de l’appelant comme juge à la Cour du Québec.
À la fin d’octobre, le juge en chef adjoint de la Cour du Québec et présidente
du comité de sélection ayant recommandé la candidature de l’appelant apprend
que celui-ci a eu des démêlés avec la justice. Elle informe le ministre de la
Justice de la situation et indique que l’appelant a omis de révéler ces
informations au comité. Le ministre dépose une plainte auprès du Conseil de la
magistrature du Québec. Un comité d’enquête du Conseil conclut au bien-fondé
de la plainte et recommande d’engager des procédures de destitution. Le Conseil
recommande alors au ministre de la Justice d’engager des procédures de
destitution à l’endroit de l’appelant en présentant une requête en ce sens à la
Cour d’appel, conformément à l’art.
Parallèlement, l’appelant conteste la procédure de destitution et présente en Cour supérieure une requête en révision judiciaire demandant de déclarer nuls et sans effet le rapport d’enquête du comité, la recommandation et l’ordonnance de suspension prononcées par le Conseil de la magistrature et demandant de déclarer irrecevable la requête présentée à la Cour d’appel. À la même occasion, il dépose une requête en jugement déclaratoire contestant la constitutionnalité de l’art. 95. Le ministre de la Justice présente à l’encontre de ces deux requêtes des requêtes en irrecevabilité alléguant que la Cour d’appel est compétente pour trancher ces questions dans le cadre de l’enquête dont elle est saisie en vertu de l’art. 95. La Cour supérieure rejette les requêtes en irrecevabilité. Le ministre en appelle des décisions. La Cour d’appel accueille les deux pourvois et déclare irrecevables les requêtes en révision judiciaire et en jugement déclaratoire présentées par l’appelant. En 1998, cinq juges de la Cour d’appel remettent un rapport fait après enquête au ministre de la Justice dans lequel ils recommandent au gouvernement de révoquer la commission de l’appelant.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
(1) Les questions de compétence
Puisque les conditions prévues au par.
La Cour supérieure n’avait pas compétence pour examiner les requêtes
en révision judiciaire et en jugement déclaratoire présentées par l’appelant.
En vertu de l’art.
Le Conseil de la magistrature avait compétence pour examiner la conduite de l’appelant même si le manquement déontologique est survenu avant sa nomination. Le Conseil avait compétence sur la personne visée par la plainte et sur l’objet de la plainte. Que les gestes de l’appelant soient antérieurs à sa nomination n’est pas un critère pertinent au sens de la L.T.J. Au nom de l’indépendance judiciaire, il importe aussi que la discipline relève au premier chef des pairs. Le comité d’enquête du Conseil a la responsabilité de veiller à l’intégrité de l’ensemble de la magistrature. En ce sens, il doit pouvoir examiner la conduite passée d’un juge si, comme en l’espèce, celle-ci est pertinente à l’appréciation de sa candidature eu égard à sa capacité d’exercer ses fonctions judiciaires et pour décider si, en conséquence, elle peut raisonnablement porter atteinte à la confiance du public envers le titulaire de la charge. Enfin, le processus de sélection des personnes aptes à être nommées juges est si intimement lié à l’exercice même de la fonction judiciaire qu’il ne saurait en être dissocié.
(2) Les questions constitutionnelles
L’article
(3) Les questions de fond
Le Conseil de la magistrature et son comité d’enquête sont assujettis
aux règles de l’équité procédurale. L’obligation d’agir équitablement comporte
essentiellement deux volets, soit le droit d’être entendu et le droit à une
audition impartiale. La nature et la portée de cette obligation peuvent varier
en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles
l’organisme administratif est confronté, ainsi que de la nature des litiges
qu’il est appelé à trancher. En l’espèce, le droit d’être entendu a été
respecté. Premièrement, l’appelant a bénéficié d’un préavis suffisant. Le
comité d’enquête du Conseil de la magistrature ne tient pas une enquête en
général, mais il étudie une plainte précise portée à l’encontre d’un juge en
particulier. Ce juge est donc partie prenante dès le début des procédures et
est informé de ce qui lui est reproché. Dans la présente affaire, l’appelant a
reçu une copie de la plainte conformément à l’art.
Le droit à une audition impartiale a également été respecté. Bien que le Conseil de la magistrature n’exerce pas lui-même son pouvoir décisionnel puisqu’il est lié par les conclusions tirées par le comité, la structure décisionnelle du Conseil et de son comité ne viole pas la maxime delegatus non potest delegare. Les termes utilisés par la L.T.J. sont impératifs et reflètent une intention claire du législateur d’autoriser la délégation des pouvoirs d’enquête et de décision sur le bien-fondé d’une plainte à un comité formé de cinq personnes choisies parmi les membres du Conseil (art. 268, 278 et 279). Même si 4 des 15 membres du Conseil de la magistrature ne sont pas des juges, la présence de personnes non membres de la magistrature au stade préliminaire du processus disciplinaire ne porte pas atteinte à la dimension collective ou institutionnelle du principe structurel de l’indépendance judiciaire en ce que seul un organisme composé de juges peut recommander la révocation d’un juge. Le rapport ainsi que les recommandations formulées par le comité d’enquête du Conseil ne constituent que la première étape du processus mis en place par la L.T.J. La recommandation définitive de destitution d’un juge d’une cour provinciale est exclusivement réservée au plus haut tribunal de la province. Dans ce contexte, la composition du comité d’enquête du Conseil de la magistrature est conforme au principe structurel de l’indépendance judiciaire et aux règles de l’équité procédurale. Enfin, le fonctionnement du comité d’enquête ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité institutionnelle. Le procureur du comité ne joue pas le rôle de juge et partie. Le but recherché par le comité est de recueillir les faits et les éléments de preuve afin de formuler ultimement une recommandation au Conseil de la magistrature. En interrogeant et contre-interrogeant les témoins, le procureur n’agit pas comme un poursuivant, mais fournit une aide au comité dans l’accomplissement du mandat qui lui est confié par la loi. En l’absence de juge et de parties, le procureur du comité ne peut être en conflit d’intérêts. Puisque la recommandation du comité n’est pas définitive quant à l’issue du processus disciplinaire, le rôle joué par le procureur indépendant ne saurait porter atteinte à l’équité procédurale, ni soulever une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas chez une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique.
Le pardon obtenu par l’appelant conformément à la Loi sur le casier judiciaire ne l’autorisait pas à nier son dossier judiciaire et à répondre négativement à la question portant sur ses « démêlés avec la justice » posée par le comité de sélection des personnes aptes à être nommées juges. Une analyse objective de cette loi ne permet pas de soutenir que le pardon anéantit rétroactivement sa condamnation. Sans faire disparaître le passé, le pardon en efface les conséquences pour l’avenir. L’intégrité de la personne réhabilitée est rétablie et elle ne doit pas subir les effets liés à sa condamnation de façon arbitraire ou discriminatoire. Même si l’on devait considérer l’opinion que s’est subjectivement formée l’appelant, la Cour d’appel a jugé que le dossier de l’appelant contenait suffisamment d’éléments de preuve tendant à démontrer qu’il connaissait le sens et la portée de la loi et qu’il les a subjectivement ignorés.
La décision du ministre de la Justice de déposer une plainte
déontologique contre l’appelant repose principalement, voire exclusivement, sur
son omission de révéler l’existence de ses démêlés avec la justice aux membres
du comité de sélection. Même si cette décision était fondée en partie sur la
présence d’antécédents judiciaires, elle ne porterait pas atteinte au droit à
l’égalité de l’appelant garanti par le par.
La question des démêlés avec la justice pouvait être posée à
l’appelant par les membres du comité de sélection et ce, sans porter atteinte
aux dispositions de la Charte québécoise. L’article 18.1 prévoit
que nul ne peut, lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une
personne des renseignements sur les motifs visés dans l’art. 10, sauf si
ces renseignements sont utiles à l’application de l’art. 20. Il n’est pas
certain que la fonction judiciaire soit visée par le terme « emploi »
prévu à l’art. 18.1 et les antécédents judiciaires, même pardonnés, ne
font pas partie des motifs énumérés à l’art. 10. Même si l’information
portait sur l’un des motifs prévus à l’art. 10, la question serait
toujours permise dans le cadre d’un processus de sélection des personnes aptes
à être nommées juges puisqu’il s’agit d’une distinction fondée sur les aptitudes
ou les qualités requises par la fonction judiciaire laquelle est réputée non
discriminatoire en vertu de l’art.
Quant à l’art.
La révocation de la commission de l’appelant est la sanction appropriée. La confiance que porte le public envers son système de justice et que chaque juge doit s’efforcer de préserver est au cœur du présent litige. La Cour d’appel a fait une étude approfondie et une appréciation nuancée de la situation de l’appelant et elle a centré sa décision sur le maintien de l’intégrité de la fonction judiciaire. Dans ces circonstances, et eu égard aux faits qu’elle constitue le forum judiciaire désigné par le législateur pour se prononcer sur la conduite d’un juge et qu’une recommandation de destitution ne saurait équivaloir à une intervention arbitraire de l’exécutif dans l’exercice de la fonction judiciaire, il n’y a pas lieu de revenir sur le choix de la sanction imposée par la Cour d’appel. Le manque de transparence et l’omission de l’appelant à révéler des informations pertinentes alors qu’il était candidat au poste de juge a suffisamment ébranlé la confiance de la population pour le rendre incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge.
Jurisprudence
Arrêt appliqué : Valente
c. La Reine,
Lois et règlements cités
Act of Settlement, 12 & 13 Will. 3, ch. 2.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11, 15.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 4 , 5 , 10 [mod. 1982, ch. 61, art. 3], 18.1 [idem, art. 5], 18.2 [idem; mod. 1990, ch. 4, art. 133], 20 [mod. 1982, ch. 61, art. 6; mod. 1996, ch. 10, art. 1].
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 690, 748, 748.1, 749.
Code de déontologie de la magistrature, R.R.Q. 1981, ch. T-16, r. 4.1, art. 2, 4, 5, 10.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 25 , 31 , 33 [mod. 1992, ch. 57, art. 179], 46 [idem, art. 422].
Code des professions, L.R.Q., ch. C-26, art. 45 [mod. 1994, ch. 40, art. 40], 116 [idem, art. 103].
Judges of the Provincial Court Act, R.S.N.S. 1989, ch. 238, art. 6(4).
Judicature Act, R.S.A. 1980, ch. J-1, art. 32.6(2)h), 32.7(2), 32.91.
Loi constitutionnelle de 1867, préambule, art. 92(4), (14), 96 à 100, 99.
Loi d’interprétation, L.R.Q., ch. I-16, art. 57 .
Loi modifiant la Loi des tribunaux judiciaires, S.Q. 1941, ch. 50, art. 2.
Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et une autre loi en conséquence, L.C. 2000, ch. 1, art. 4.
Loi sur la Cour provinciale, L.R.M. 1987, ch. C275, art. 39.1(1)h), 39.4.
Loi sur la Cour provinciale, L.R.N.-B. 1973, ch. P-21, art. 6.11(4)d), 6.11(8).
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, art. 2(1) « jugement », « jugement définitif », 40(1) [mod. 1990, ch. 8, art. 37], 53.
Loi sur la Cour territoriale, L.R.T.N.-O. 1988, ch. T-2, art. 31.8.
Loi sur la Cour territoriale, L.Y. 1998, ch. 26, art. 49(3)d), 50(2).
Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C-47, art. 5, 6, 7, 8.
Loi sur le casier judiciaire, S.R.C. 1970, ch. 12 (1er suppl.), art. 5.
Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11, art. 6.
Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, ch. Y-1, art. 36(1).
Loi sur les mesures de guerre, S.R.C. 1952, ch. 288.
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 51.8.
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T-16, art. 9 [mod. 1988, ch. 21, art. 12; mod. 1995, ch. 42, art. 3, 46], 10 [mod. 1995, ch. 42, art. 4], 86, 95 [mod. 1988, ch. 21, art. 30], 96, 248, 256 [mod. 1988, ch. 21, art. 56], 260, 262 [mod. 1980, ch. 11, art. 99; mod. 1988, ch. 21, art. 57; mod. 1988, ch. 74, art. 8; mod. 1989, ch. 52, art. 138], 263 [mod. 1988, ch. 21, art. 58], 266, 268 [idem, art. 60; mod. 1990, ch. 44, art. 24], 269, 272, 275, 277, 278, 279 [mod. 1980, ch. 11, art. 101; mod. 1988, ch. 21, art. 62; ch. 74, art. 9], 281.
Provincial Court Act, R.S.B.C. 1996, ch. 379, art. 28(1), 29.
Provincial Court Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. P-25, art. 10(7).
Provincial Court Act, 1991, S.N. 1991, ch. 15, art. 22, 23.
Provincial Court Act, 1998, S.S. 1998, ch. P-30.11, art. 62(2)a), 62(7).
Règlement de 1970 concernant l’ordre public, DORS/70-444, art. 3, 4c), 5.
Règlement sur la procédure de sélection des personnes aptes à être nommées juges, R.R.Q. 1981, ch. T-16, r. 5, art. 7, 18.
Doctrine citée
Beetz, Jean. Présentation du premier conférencier de la Conférence du 10e anniversaire de l’Institut canadien d’administration de la justice, propos recueillis dans Mélanges Jean Beetz. Montréal : Thémis, 1995.
Brunelle, Christian. « La Charte québécoise
et les sanctions de l’employeur contre les auteurs d’actes criminels œuvrant
en milieu éducatif »
Canada. Proposition de réforme de la Loi sur le casier judiciaire -- Document explicatif du Solliciteur général du Canada, Recommandation no 7. Ottawa : Solliciteur général du Canada, 20 juillet 1991.
Conseil canadien de la magistrature. Principes de déontologie judiciaire. Ottawa : Conseil canadien de la magistrature, 1998.
Côté,
Pierre-André.
Dumont, Hélène. « Le casier judiciaire : criminel un jour, criminel toujours? », dans Les Journées Maximilien-Caron 1995, Le respect de la vie privée dans l’entreprise : de l’affirmation à l’exercice d’un droit. Montréal : Université de Montréal, 1996.
Dumont, Hélène.
Friedland, Martin L. Une place à part : l’indépendance et la responsabilité de la magistrature au Canada. Ottawa : Rapport préparé pour le Conseil canadien de la magistrature, 1995.
Gall, Gerald L. The Canadian Legal System. Toronto : Carswell, 1977.
Glenn, H. Patrick.
« Indépendance et déontologie judiciaires »
Morissette, Yves-Marie. « Figure actuelle du juge dans la cité » (1999), 30 R.D.U.S. 1.
Nadin-Davis, R. Paul. « Canada’s Criminal Records Act: Notes on How Not to Expunge Criminal Convictions » (1980-81), 45 Sask. L. Rev. 221.
Ouellette, Yves.
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Russell, Peter H. The Judiciary in Canada: The Third Branch of Government. Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 1987.
Singleton, Thomas J. « La discrimination fondée sur le motif des antécédents judiciaires et les instruments anti-discriminatoires canadiens » (1993), 72 R. du B. can. 456.
POURVOI contre un rapport de la formation d’enquête de
la Cour d’appel du Québec,
Jean-Claude Hébert, Sophie Bourque et Christian Brunelle, pour l’appelant.
Benoît Belleau, Robert Mongeon et Monique Rousseau, pour les intimées.
Lori Sterling et Sean Hanley, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Cedric L. Haines, c.r., pour l’intervenant le procureur général du Nouveau-Brunswick.
Julius H. Grey et Elisabeth Goodwin, pour les intervenants l’Office des droits des détenus et l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge Gonthier --
I. Introduction
1
Le présent pourvoi soulève des questions fort
importantes et, pour la plupart, inédites. Elles sont essentiellement de trois
ordres. D’abord, il pose des questions de compétence de notre Cour et des
cours inférieures dans le cadre de la procédure disciplinaire des juges de
nomination provinciale, mise en place par la Loi sur les tribunaux
judiciaires, L.R.Q., ch. T-16 (« L.T.J. »). Ensuite,
il met à l’épreuve la constitutionnalité de l’art.
II. Les faits
2
Octobre 1970, le Québec est secoué par une
importante crise politique. À cette époque, Richard Therrien est mineur et
étudiant en première année de droit à la Faculté de droit de l’Université de
Montréal. Il réside à proximité de la Faculté dans l’appartement de sa sœur
Colette, rue Queen Mary. Ni l’un ni l’autre n’est alors membre en règle du
Front de libération du Québec (« F.L.Q. »), une association déclarée
illégale par l’art.
3
Le 26 novembre 1970, Richard Therrien est accusé
d’avoir illégalement et sans droit fourni une aide quelconque à ces quatre individus
dans l’intention d’empêcher leur arrestation, leur jugement ou leur châtiment,
sachant ou ayant des motifs raisonnables de croire que ces personnes étaient
membres de l’association illégale, le tout contrairement à l’art.
4 Après avoir purgé sa peine, Richard Therrien poursuit ses études de droit et obtient sa licence. Au printemps 1974, le comité de vérification du Barreau du Québec, institué pour étudier la candidature de l’appelant eu égard au fait qu’il avait eu des antécédents judiciaires, recommande son admission à l’École professionnelle du Barreau. Il est inscrit au Tableau de l’Ordre pour la première fois le 26 janvier 1976. De 1976 à 1996, il pratique le droit dans différents bureaux d’aide juridique de la province avec compétence et dignité et gagne ainsi le respect de ses collègues et des membres de la magistrature.
5 Le 20 août 1987, à la demande de l’appelant, le gouverneur général en conseil lui accorde un pardon en vertu de l’al. 5b) de la Loi sur le casier judiciaire, S.R.C. 1970, ch. 12 (1er suppl.). Le document qu’il reçoit précise qu’il constitue une preuve de bonne conduite et du fait que la condamnation à l’égard de laquelle il est accordé ne devrait plus nuire à sa réputation. Il indique aussi que le pardon obtenu annule cette condamnation et élimine toute déchéance que celle-ci entraîne pour la personne en vertu de toute loi du Parlement du Canada ou d’un règlement établi sous son régime.
6 Entre 1989 et 1996, Me Therrien soumet sa candidature à cinq concours pour l’obtention d’un poste de juge. Il est reçu en entrevue par le comité de sélection des personnes aptes à être nommées juges à quatre occasions et les membres de ce comité abordent la question des démêlés avec la justice lors de chacune de ces rencontres. En 1991 et 1993, il révèle sa condamnation et mentionne qu’il a fait l’objet d’un pardon. Sa candidature n’est pas retenue pour les deux premiers postes et il ressort clairement des témoignages de membres du comité de sélection de l’époque que l’existence d’antécédents judiciaires est déterminante dans la décision de rejeter sa candidature. Il n’est pas clair que la question ait été directement abordée lors de la troisième entrevue, mais il est certain que lors du dernier concours, il ne révèle pas ses antécédents judiciaires ni même l’existence d’un pardon, alors qu’on lui pose, en un bloc, la série de questions suivantes : « Est-ce que vous avez déjà eu des démêlés avec la justice ou avec le Barreau? Est-ce que vous avez déjà fait l’objet de sanctions disciplinaires? Est-ce que vous avez des plaintes disciplinaires pendantes? » Devant le comité d’enquête du Conseil de la magistrature, le juge Therrien témoigne s’être senti justifié de répondre « non » à ces questions pour deux raisons. D’abord, il comprend alors que le pardon obtenu a annulé sa condamnation et que l’esprit de la loi est justement à cet effet-là. Ensuite, une telle réponse lui permettait d’être jugé sur ses qualités et mérites personnels tout en étant, par ailleurs, convaincu que le ministre de la Justice serait informé de ses antécédents.
7
Le 18 septembre 1996, suivant la recommandation
favorable du comité de sélection des personnes aptes à être nommées juges et
après vérifications auprès du Barreau du Québec et de la Sûreté du Québec
témoignant d’un dossier sans tache, le ministre de la Justice recommande la
nomination de Richard Therrien comme juge à la Cour du Québec. À la fin
d’octobre 1996, la juge en chef adjointe de la Cour du Québec et présidente du
comité de sélection ayant recommandé la candidature du juge Therrien, Louise
Provost, apprend que celui-ci a eu des démêlés avec la justice au début des
années 1970. Elle informe le ministre de la situation et indique que
l’appelant a omis de révéler ces informations au comité. Le 11 novembre
1996, le ministre dépose une plainte auprès du Conseil de la magistrature du
Québec en vertu de l’art.
8
Conformément aux art.
9
Le 22 juillet 1997, suivant la recommandation
majoritaire du comité d’enquête, le Conseil de la magistrature recommande au
ministre de la Justice d’engager des procédures de destitution à l’endroit du
juge Therrien en présentant une requête à la Cour d’appel conformément à
l’art.
10 Le ministre de la Justice appelle des décisions de la Cour supérieure devant la Cour d’appel. Le 14 mai 1998, cette dernière accueille à la majorité le premier pourvoi et déclare irrecevable la requête en révision judiciaire présentée par le juge Therrien; le juge Beauregard est dissident. La Cour d’appel accueille également le deuxième pourvoi, cette fois à l’unanimité, et déclare irrecevable la requête en jugement déclaratoire présentée par le juge Therrien.
11 Le 28 octobre 1998, les cinq juges de la Cour d’appel remettent au ministre de la Justice un rapport fait après enquête dans lequel ils recommandent au gouvernement de révoquer la commission du juge Therrien.
III. Les décisions dont appel
A. Le comité d’enquête du Conseil de la magistrature
1. Question préliminaire
12 Dès le début de l’enquête, l’appelant conteste la compétence du Conseil et de son comité pour enquêter sur sa conduite puisque la plainte repose sur des faits antérieurs à sa nomination en tant que juge. Sur cette question préliminaire, le comité d’enquête conclut, à l’unanimité, qu’il est compétent pour examiner la conduite passée d’un juge lorsque celle-ci risque d’avoir des effets sur sa capacité à exercer ses fonctions judiciaires et pour décider si elle porte atteinte à la confiance du public envers le titulaire de la charge.
2. Les juges Lachapelle, Lalande et Quesnel et Me Michel Caron (majoritaires)
13
Les quatre membres majoritaires estiment que le
pardon obtenu par l’appelant, bien qu’il réhabilite sa réputation, n’efface pas
le passé et ne l’autorisait pas à nier son dossier judiciaire et à répondre
négativement à la question posée par le comité de sélection sur ses
condamnations. De plus, même en prenant pour acquis que le motif des
antécédents judiciaires peut être considéré comme un motif analogue aux fins de
l’art.
14 Les quatre membres majoritaires se prononcent finalement sur la conduite du juge Therrien. Le critère applicable à cet égard est lié à la confiance de la personne raisonnablement informée qui se présente devant le tribunal et du public en général en son honnêteté, son intégrité et son impartialité. Puisque le pardon n’efface pas le passé, un observateur impartial pourrait douter qu’une personne condamnée à une année d’incarcération puisse remplir son rôle selon toutes les prescriptions du Code de déontologie. Le public pourrait également douter de sa capacité à être juge. D’où l’importance pour le candidat Therrien d’agir en toute transparence et de répondre affirmativement aux questions posées par le comité. Celui-ci avait le mandat d’éclairer le ministre et le juge Therrien ne pouvait présumer que seul le ministre de la Justice pouvait prendre connaissance de son dossier. Il a plutôt choisi d’interpréter la loi à ses fins et a omis de dévoiler un renseignement dont le comité devait être informé en substituant son jugement au leur. Or, tout le système judiciaire repose sur la vérité. Ils estiment donc qu’une réprimande n’est pas une sanction appropriée; elle ne saurait rétablir la confiance du public à l’endroit du juge concerné et de la magistrature. En raison de la gravité du manquement et des effets qu’il continue d’avoir, il y a lieu de recommander sa destitution.
3. La juge Rivet (dissidente)
15
La juge Rivet, présidente du Tribunal des droits de la
personne, est d’avis de rejeter la plainte. Elle estime que le pardon obtenu
en vertu de l’al. 5b) de la Loi sur le casier judiciaire a
pour effet d’annuler la condamnation visée, laquelle entre alors dans la sphère
de vie privée protégée par les chartes. En ce sens, le juge Therrien doit
bénéficier de la protection de l’art.
16 En conclusion, elle affirme qu’elle ne peut lui reprocher sa façon de répondre au comité de sélection, car il l’a fait dans le but de faire juger sa candidature dans le respect de ses droits, sans discrimination. Ce faisant, il n’a pas menti. La présence d’antécédents judiciaires, même pardonnés, avait eu un impact majeur sur le rejet de sa candidature lors des concours précédents et, conscient de cette situation, le juge Therrien était justifié de retenir ces informations et d’exiger que sa candidature soit considérée sur son mérite réel. Ainsi, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur et de façon réaliste et pratique ne perdrait pas confiance dans l’impartialité ou l’intégrité du système de justice et du juge Therrien, mais considérerait plutôt qu’il est un exemple de réhabilitation.
B. La Cour supérieure du Québec, [1998] A.Q. no 180 (QL)
17 Tenant pour avérées toutes les allégations des requêtes en révision judiciaire et en jugement déclaratoire et sans statuer sur le fond, le juge Cliche est d’avis que celles-ci contiennent suffisamment de motifs pour être présentées à un juge de la Cour supérieure. Le refus de soumettre la décision du Conseil de la magistrature à la révision judiciaire priverait l’appelant de son droit de révision et de son droit d’appel qui, par ailleurs, pourrait être exercé par toute autre personne. Il n’existe aucune raison pour refuser d’exercer sa discrétion.
C. La Cour d’appel du Québec
1. Les requêtes en irrecevabilité,
a) Le juge LeBel (majorité)
18
Le juge LeBel est d’avis que la compétence
attribuée à la Cour d’appel en vertu de l’art.
b) Le juge Beauregard (dissident en partie)
19 Le juge Beauregard aurait accueilli le pourvoi du ministre portant sur l’irrecevabilité de la requête pour jugement déclaratoire au motif qu’il n’appartient pas à la Cour supérieure de se prononcer sur la possibilité pour la Cour d’appel de donner suite ou non à la requête du ministre. Il n’aurait cependant accueilli qu’en partie le pourvoi du ministre portant sur l’irrecevabilité de la requête en révision judiciaire faisant droit à la quatrième conclusion selon laquelle la Cour d’appel ne peut se saisir de la requête. Il estime que la procédure d’enquête en Cour d’appel n’est pas tributaire de la légalité de la procédure suivie devant le Conseil de la magistrature. Par ailleurs, il considère que l’appelant avait parfaitement le droit de s’adresser à la Cour supérieure en révision judiciaire et que l’on ne saurait le priver de ce recours. Il aurait donc rejeté cet aspect du pourvoi.
2. Le rapport de la formation d’enquête,
20
La Cour d’appel rejette l’argument de l’appelant
selon lequel l’absence de toute intervention de la législature dans la
procédure de destitution des juges prévue à l’art.
21 Pour les motifs exposés par le comité d’enquête du Conseil de la magistrature, la Cour d’appel est d’avis que celui-ci avait compétence pour se saisir de la plainte. Elle ajoute que le processus de sélection des personnes aptes à être nommées juges est si intimement lié à l’exercice de la fonction judiciaire qu’il ne saurait en être dissocié. Elle considère également que la structure et le fonctionnement du Conseil et de son comité sont conformes aux exigences de l’équité procédurale et ce, en regard du rôle joué par le comité, de la procédure qu’il a suivie et de la composition du Conseil. Le juge Beauregard ne souscrit pas à cette partie du rapport portant sur la légalité de la recommandation du Conseil de la magistrature pour les motifs exposés dans son jugement dissident sur les requêtes en irrecevabilité.
22 La Cour d’appel s’attarde ensuite à l’effet du pardon obtenu en vertu de l’al. 5b) de la Loi sur le casier judiciaire. Elle le distingue de la clémence royale et du pardon absolu et conditionnel octroyés en vertu du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Le pardon de type administratif accordé au juge Therrien ne remet pas en question sa culpabilité et n’emporte donc pas une annulation rétroactive de celle-ci, mais entraîne la remise totale ou partielle d’une condamnation et de ses effets juridiques pour l’avenir. Ainsi, ce pardon ne permet pas à la personne qui l’a reçu de nier l’existence de condamnations antérieures lorsqu’on lui pose directement la question, mais simplement de fournir une explication.
23
Les articles
24 Sous cette réserve, la question du comité de sélection était légitime et appelait une réponse sincère de la part de l’appelant. Le gouvernement aurait pu considérer les événements d’octobre 1970 comme une erreur de jeunesse, mais il devait avoir la possibilité de le faire en toute connaissance de cause. L’appelant savait qu’il ne pourrait être nommé juge sans révéler ces faits, mais il les a volontairement tus et cette conduite justifie de recommander la révocation de sa commission au gouvernement.
IV. Les questions en litige
25 Les questions en litige peuvent être regroupées en trois catégories distinctes : les questions de compétence, les questions constitutionnelles et les questions de fond.
A. Les questions de compétence
26
1. En vertu du par.
2. La Cour
d’appel a-t-elle erré en droit en se déclarant compétente pour décider des
questions de droit et de compétence relatives à l’enquête demandée par le
ministre de la Justice en vertu de l’art.
3. Le Conseil de la magistrature était-il compétent pour faire enquête sur la conduite de l’appelant à l’égard d’événements relatifs à sa candidature survenus avant qu’il ne soit nommé juge?
B. Les questions constitutionnelles
27 Le 1er octobre 1999, le juge Arbour a formulé les questions constitutionnelles suivantes :
1. La règle de droit - adoptée
en 1941 (Loi modifiant la Loi des tribunaux judiciaires, S.Q. 1941,
ch. 50, art. 2, sanctionnée le 17 mai 1941) et actualisée par
l’art.
2. S’il doit être répondu
négativement à la première question, la règle de droit contenue à
l’art.
C. Les questions de fond
28 1. La formation d’enquête de la Cour d’appel a-t-elle erré en fait et en droit dans son rapport en concluant que la nature, le fonctionnement et le processus d’enquête suivi par le comité d’enquête du Conseil de la magistrature respectaient les exigences de l’équité procédurale?
2. La formation d’enquête de la Cour d’appel a-t-elle erré en fait et en droit dans son interprétation du sens de la portée du pardon obtenu par l’appelant?
3. Eu égard
au par.
4. Le rapport de la formation d’enquête de la Cour d’appel est-il mal fondé en fait et en droit en regard du critère de destitution d’un juge?
V. Analyse
A. Les questions de compétence
1. Les dispositions législatives pertinentes
29 Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« jugement » Selon le cas, toute décision d’une juridiction inférieure, ou tout arrêt ou ordonnance de la Cour.
« jugement définitif » Jugement ou toute autre décision qui statue au fond, en tout ou en partie, sur un droit d’une ou plusieurs des parties à une instance.
40. (1) Sous réserve du paragraphe (3), il peut être interjeté appel devant la Cour de tout jugement, définitif ou autre, rendu par la Cour d’appel fédérale ou par le plus haut tribunal de dernier ressort habilité, dans une province, à juger l’affaire en question, ou par l’un des juges de ces juridictions inférieures, que l’autorisation d’en appeler à la Cour ait ou non été refusée par une autre juridiction, lorsque la Cour estime, compte tenu de l’importance de l’affaire pour le public, ou de l’importance des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait qu’elle comporte, ou de sa nature ou importance à tout égard, qu’elle devrait en être saisie et lorsqu’elle accorde en conséquence l’autorisation d’en appeler.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25
25. La Cour d’appel est le tribunal général d’appel pour le Québec; elle connaît de l’appel de tout jugement sujet à ce recours, à moins d’une disposition expresse au contraire.
31. La Cour supérieure est le tribunal de droit commun; elle connaît en première instance de toute demande qu’une disposition formelle de la loi n’a pas attribuée exclusivement à un autre tribunal.
33. À l’exception de la Cour d’appel, les tribunaux relevant de la compétence de la Législature du Québec, ainsi que les corps politiques, les personnes morales de droit public ou de droit privé au Québec, sont soumis au droit de surveillance et de réforme de la Cour supérieure, en la manière et dans la forme prescrites par la loi, sauf dans les matières que la loi déclare être du ressort exclusif de ces tribunaux, ou de l’un quelconque de ceux-ci, et sauf dans les cas où la compétence découlant du présent article est exclue par quelque disposition d’une loi générale ou particulière.
46. Les tribunaux et les juges ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence. Ils peuvent, dans les affaires dont ils sont saisis, prononcer, même d’office, des injonctions ou des réprimandes, supprimer des écrits ou les déclarer calomnieux, et rendre toutes ordonnances qu’il appartiendra pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de remède spécifique.
Code des professions, L.R.Q., ch. C-26
116. Un comité de discipline est constitué au sein de chacun des ordres.
Le comité est saisi de toute plainte formulée contre un professionnel pour une infraction aux dispositions du présent code, de la loi constituant l’ordre dont il est membre ou des règlements adoptés conformément au présent code ou à ladite loi.
Le comité est saisi également de toute plainte formulée contre une personne qui a été membre d’un ordre pour une infraction visée au deuxième alinéa, commise alors qu’elle était membre de l’ordre. Dans ce cas, une référence au professionnel ou au membre de l’ordre, dans les dispositions du présent code, de la loi constituant l’ordre dont elle était membre ou d’un règlement adopté conformément au présent code ou à ladite loi, est une référence à cette personne.
Loi d’interprétation, L.R.Q., ch. I-16
57. L’autorisation de faire une chose comporte tous les pouvoirs nécessaires à cette fin.
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T-16
9. La cour et les juges qui la composent ont une compétence d’appel dans toute l’étendue du Québec, à l’égard de toutes les causes, matières et choses susceptibles d’appel, venant de tous les tribunaux dont, suivant la loi, il y a appel, à moins que cet appel ne soit affecté à la compétence d’un autre tribunal.
Sauf dans les cas prévus par la loi, ces appels sont entendus par trois juges, mais le juge en chef peut augmenter ce nombre lorsqu’il le juge à propos.
10. La compétence accordée à la cour par l’article 9, comme tribunal d’appel, comporte l’attribution de tous les pouvoirs nécessaires pour lui donner effet.
95. Le gouvernement ne peut démettre un juge que sur un rapport de la Cour d’appel fait après enquête, sur requête du ministre de la Justice.
256. Le conseil a pour fonctions:
. . .
c) de recevoir et d’examiner toute plainte formulée contre un juge auquel s’applique le chapitre III de la présente partie;
260. Le présent chapitre s’applique à un juge nommé en vertu de la présente loi . . .
263. Le conseil reçoit et examine une plainte portée par toute personne contre un juge et lui reprochant un manquement au code de déontologie.
279. Si le rapport d’enquête établit que la plainte est fondée, le conseil, suivant les recommandations du rapport d’enquête,
a) réprimande le juge; ou
b) recommande au ministre de la Justice et procureur général de présenter une requête à la Cour d’appel conformément à l’article 95.
S’il fait la recommandation prévue par le paragraphe b, le conseil suspend le juge pour une période de trente jours.
2. La compétence de la Cour suprême
30
Le 17 juin 1999, notre Cour a accordé la
permission d’en appeler demandée par le juge Therrien à l’encontre de deux
décisions de la Cour d’appel statuant sur les requêtes en irrecevabilité des
intimées et à l’encontre du rapport de la formation d’enquête de cette même
Cour, sous réserve d’une audition sur la question de la compétence soulevée par
la procureure générale du Québec. La compétence de la Cour suprême pour
entendre l’appel sur les deux premières décisions n’est pas contestée. Par
contre, les intimées prétendent que le rapport de la Cour d’appel n’est pas
susceptible d’appel devant notre Cour puisqu’il ne s’agit pas d’un jugement au
sens du par.
31
Le paragraphe
32 En l’espèce, il m’apparaît clair que les deuxième et troisième conditions sont remplies. D’ailleurs, l’objet de la contestation ne porte que sur la première condition sur laquelle il convient donc de s’attarder.
33
Les concepts de « jugement » et de
« jugement définitif » sont définis au par.
[traduction] Dans cette définition, le mot sur lequel nous voulons insister est le mot « détermine ». Pour qu’un jugement corresponde à cette définition, il doit avoir tranché ou réglé « en totalité ou en partie » la question soulevée et faisant l’objet du jugement.
Cette idée fut
reprise dans l’affaire Wartime Housing Ltd. c. Madden, [1945] R.C.S.
169, p. 172. Quant à la notion de jugement, la version anglaise du
par.
3. La compétence de la Cour d’appel en vertu de l’art.
34
De création législative, les cours d’appel
détiennent exclusivement leurs pouvoirs de la loi : R. c. W. (G.),
35
Il convient d’abord d’examiner le contexte
déontologique dans lequel s’inscrit l’art.
36
Dans ce contexte, lorsque le ministre de la
Justice soumet une requête en Cour d’appel en vertu de l’art.
37
Le rapport de la Cour d’appel se situe à un tout
autre niveau. D’abord, les termes utilisés par le législateur diffèrent.
L’article
38
Ensuite, ce rapport relève du domaine judiciaire
et, de surcroît, du plus haut tribunal de la province. Il n’existe pas
simplement pour assister le ministre dans sa prise de décision, mais il
constitue une condition essentielle de la procédure pouvant mener à la
destitution d’un juge de nomination provinciale. Le Québec est, d’ailleurs, la
seule province canadienne qui exige la participation de sa Cour d’appel dans le
processus de destitution : P. H. Russell, The Judiciary in Canada: The
Third Branch of Government (1987), p. 181, et M. L. Friedland, Une
place à part : l’indépendance et la responsabilité de la magistrature au
Canada (1995), un rapport préparé pour le Conseil canadien de la
magistrature, p. 145-146. Son rapport est un passage obligé dans la
procédure pouvant mener à la destitution d’un juge de la Cour du Québec.
Aussi, n’est-ce pas par hasard que l’art.
39
J’ajouterai, dans un troisième temps, que la
procédure de destitution d’un juge mise en place par la Loi sur les
tribunaux judiciaires s’inscrit dans le contexte plus général du respect
des exigences constitutionnelles en matière d’indépendance de la magistrature. En
effet, le caractère décisionnel et judiciaire du rapport de la Cour d’appel est
une des conditions qui assurent la constitutionnalité de la procédure de
destitution des juges prévue par la L.T.J. Je reviendrai plus loin sur
cette question, mais qu’il suffise maintenant de rappeler qu’aux fins de
l’al. 11d) de la Charte canadienne, la première des trois
garanties essentielles de l’indépendance judiciaire est l’inamovibilité de
fonction. Pour satisfaire à cette garantie en matière de révocation des juges
des cours provinciales, il faut répondre aux deux critères suivants : (1)
la révocation doit être faite pour un motif déterminé lié à la capacité du juge
d’exercer ses fonctions judiciaires; et (2) une enquête judiciaire doit
être prévue pour établir que ce motif existe dans le cadre de laquelle le juge
visé doit avoir l’occasion de s’y faire entendre : Valente,
précité, p. 696; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour
provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard,
40
Eu égard au libellé non restrictif de
l’art.
41
Ainsi, de façon accessoire et nécessaire à la
compétence particulière qui lui est conférée par l’art.
42
À cet égard, je souligne que la présente
situation se distingue de l’affaire Thomson c. Canada (Sous-ministre de
l’Agriculture),
43
En ce sens, le rapport de la Cour d’appel
constitue bien davantage que l’expression d’une simple opinion, mais revêt un
caractère décisionnel important. Cela suffit en l’espèce pour répondre aux
définitions de « jugement » ou de « jugement définitif »
prévues au par.
44
Je formulerai tout de même quelques commentaires
en terminant sur trois décisions de notre Cour et du Conseil privé qu’il y a
lieu de distinguer du présent cas. Les intimées invoquent d’abord, à l’appui
de leur prétention selon laquelle le rapport de la Cour d’appel n’a pas de
caractère décisionnel, le récent arrêt de notre Cour dans l’affaire Canada
(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass,
Même si la décision faisait suite à une audience au cours de laquelle de nombreux éléments de preuve ont été produits, il s’agissait simplement d’une conclusion de fait de la part de la Cour, qui devait constituer le fondement d’un rapport du ministre et, à terme, d’une décision du gouverneur en conseil, comme le décrivent l’article 10 et le paragraphe 18(1). La décision n’a déterminé en fin de compte aucun droit juridique. [Je souligne.]
Pour bien comprendre la portée de ces propos, on doit lire la version
anglaise des motifs selon laquelle « The decision did not finally
determine any legal rights » (je souligne), c’est-à-dire de façon
définitive. Or, comme je le soulignais précédemment, le par.
45
Par ailleurs, notre Cour a rendu récemment une
décision dans l’affaire R. c. Kelly,
[2001] 1 R.C.S. 741
,
46
Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que le
rapport de la Cour d’appel du Québec constitue un jugement, définitif ou autre,
au sens où l’entendent les par.
4. La compétence de la Cour supérieure
47 Dans son jugement rendu en appel des deux décisions de la Cour supérieure, qui avait rejeté les requêtes en irrecevabilité présentées par les intimées à l’encontre des requêtes de l’appelant en révision judiciaire et en jugement déclaratoire, la Cour d’appel a, à juste titre, décidé qu’elle avait compétence pour examiner l’ensemble des questions de droit et de fait liées à la demande d’enquête du ministre de la Justice. Elle a déclaré que l’exercice de « [l]a compétence qui lui est attribuée pour les fins de cette enquête exclut l’exercice de celle de la Cour supérieure » (je souligne), donnant ainsi l’impression de l’exercer en exclusivité. Subsidiairement, la Cour d’appel a ensuite émis l’opinion qu’elle exerçait sa compétence de façon concurrente à celle de la Cour supérieure. Le juge LeBel s’exprime ainsi, aux p. 1402 - 1403 :
Le contexte de cette procédure spéciale [prévue à
l’art.
L’appelant soutient que l’art.
48
En vertu de l’art.
49
Il peut être utile d’établir un parallèle avec
l’interprétation retenue par notre Cour en matière d’arbitrage de griefs dans
les affaires St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des
travailleurs du papier, section locale 219,
45 (1) Chaque convention collective contient une disposition sur le règlement, par voie de décision arbitrale définitive et sans interruption du travail, de tous les différends entre les parties que soulèvent l’interprétation, l’application, l’administration ou une prétendue inexécution de la convention collective, y compris la question de savoir s’il y a matière à arbitrage.
Bien que le texte ne fasse aucune mention explicite du fait que l’exercice de la compétence des arbitres de griefs dans l’interprétation, l’application, l’administration ou la prétendue inexécution de la convention collective exclut toute procédure concomitante devant les tribunaux de droit commun, notre Cour y a vu là aussi l’expression claire de la volonté du législateur en ce sens. Cependant, notre Cour prenait soin de préciser que le modèle de la compétence exclusive des arbitres de griefs à l’égard des litiges résultant de la convention collective ne fermait pas la porte à toutes les actions en justice mettant par ailleurs en cause l’employeur et l’employé.
50
À mon avis, le législateur québécois ne s’est
pas exprimé différemment concernant la compétence de la Cour d’appel en vertu
de l’art.
51
En l’espèce, la Cour d’appel fut saisie de la
requête déposée par le ministre conformément à l’art.
52
L’appelant prétend ensuite qu’une telle
conclusion a pour effet de le priver des recours extraordinaires ouverts à tous
les justiciables. Il estime qu’il est absurde qu’un juge réprimandé puisse
faire réviser judiciairement (avec droit d’appel) le processus d’enquête, comme
ce fut le cas dans l’arrêt Ruffo c. Conseil de la magistrature,
5. La compétence du Conseil de la magistrature
53 L’appelant prétend que le Conseil de la magistrature n’a pas compétence pour examiner sa conduite étant donné que le manquement déontologique est survenu avant sa nomination. En conséquence, il est d’avis que l’inconduite qui lui est reprochée relève exclusivement du comité de discipline du Barreau du Québec. Je ne peux accepter ce raisonnement pour plusieurs raisons.
54
La Loi sur les tribunaux judiciaires pose
une double condition à la compétence du Conseil. Celui-ci doit d’abord avoir
compétence sur la personne visée par la plainte. L’alinéa 256c) L.T.J.
indique que le Conseil a pour fonctions « de recevoir et d’examiner toute
plainte formulée contre un juge auquel s’applique le chapitre III de la
présente partie ». Puis, l’art.
2. Le juge doit remplir son rôle avec intégrité, dignité et honneur.
4. Le juge doit prévenir tout conflit d’intérêt et éviter de se placer dans une situation telle qu’il ne peut remplir utilement ses fonctions.
5. Le juge doit de façon manifeste être impartial et objectif.
10. Le juge doit préserver l’intégrité et défendre l’indépendance de la magistrature, dans l’intérêt supérieur de la justice et de la société.
Le Conseil de la magistrature avait donc compétence sur la personne et sur l’objet de la plainte. Que les gestes soient antérieurs à la nomination de l’appelant ou non n’est pas un critère pertinent au sens de la loi.
55
Par ailleurs, le Barreau du Québec n’a aucune
compétence sur les actions reprochées. Dans l’affaire Maurice c. Priel,
La présente affaire porte plutôt sur la question limitée de savoir si, selon The Legal Profession Act de la Saskatchewan, la Law Society de cette province peut engager des procédures disciplinaires contre un juge pour l’inconduite dont il aurait fait preuve pendant qu’il était encore avocat. La réponse à cette question dépend uniquement du texte de The Legal Profession Act et de la Loi sur les juges. [Je souligne.]
56
Au Québec, l’art.
116. Un comité de discipline est constitué au sein de chacun des ordres.
Le comité est saisi de toute plainte formulée contre un professionnel pour une infraction aux dispositions du présent code, de la loi constituant l’ordre dont il est membre ou des règlements adoptés conformément au présent code ou à ladite loi.
Le comité est saisi également de toute plainte formulée contre une personne qui a été membre d’un ordre pour une infraction visée au deuxième alinéa, commise alors qu’elle était membre de l’ordre. Dans ce cas, une référence au professionnel ou au membre de l’ordre, dans les dispositions du présent code, de la loi constituant l’ordre dont elle était membre ou d’un règlement adopté conformément au présent code ou à ladite loi, est une référence à cette personne. [Je souligne.]
Si la plainte formulée contre le juge Therrien concerne des allégations d’inconduite commises alors qu’il était avocat, ce qui est expressément prévu par le troisième alinéa de l’art. 116, celle-ci ne vise aucune « infraction aux dispositions du présent code, de la loi constituant l’ordre dont il [était] membre ou des règlements adoptés conformément au présent code ou à ladite loi ».
57
Au-delà des textes de loi, plusieurs autres
raisons soulevées tant par le comité d’enquête du Conseil de la magistrature
que par la Cour d’appel peuvent être invoquées. Ainsi, au nom de
l’indépendance de la magistrature, il importe que la discipline relève au
premier chef des pairs. Je partage les propos suivants du professeur H. P.
Glenn, dans son article « Indépendance et déontologie judiciaires »
Si l’on part du principe de l’indépendance judiciaire - et j’insiste sur la nécessité de ce point de départ dans notre contexte historique, culturel et institutionnel - je crois qu’il faut conclure que la première responsabilité pour l’exercice du pouvoir disciplinaire repose sur les juges d’un même ordre. Situer le véritable pouvoir disciplinaire à l’extérieur de cet ordre serait mettre en question l’indépendance judiciaire.
58 De plus, comme je l’affirmais dans l’arrêt Ruffo, précité, p. 309, le comité d’enquête a la responsabilité de veiller à l’intégrité de l’ensemble de la magistrature. En ce sens, il doit pouvoir examiner la conduite passée d’un juge si celle-ci est pertinente à l’appréciation de sa candidature, eu égard à sa capacité d’exercer ses fonctions judiciaires et pour décider si, en conséquence, elle peut raisonnablement porter atteinte à la confiance du public envers le titulaire de la charge. En l’espèce, les gestes posés par l’appelant, bien qu’antérieurs à sa nomination, lui sont reprochés comme ayant une telle incidence sur l’exécution de ses fonctions. Finalement, je partage le point de vue exprimé par le juge LeBel de la Cour d’appel selon lequel le processus de sélection des personnes aptes à être nommées juges est si intimement lié à l’exercice même de la fonction judiciaire qu’il ne saurait en être dissocié.
B. Les questions constitutionnelles
1. Les dispositions législatives pertinentes
59 Loi constitutionnelle de 1867
[Préambule]
Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni:
. . .
96. Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
(2) Un juge d’une cour supérieure, nommé avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, cessera d’occuper sa charge lorsqu’il aura atteint l’âge de soixante-quinze ans, ou à l’entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a déjà atteint ledit âge.
Charte canadienne des droits et libertés
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
11. Tout inculpé a le droit :
. . .
d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;
2. Les questions en litige et les prétentions de l’appelant
60
Impartialité et indépendance, tant individuelles
qu’institutionnelles, sont des éléments essentiels à la fonction du juge,
tiennent de sa définition même et font partie intégrante de la structure
constitutionnelle de la démocratie parlementaire de la Grande-Bretagne dont le
préambule de notre Constitution nous fait les héritiers : Beauregard
c. Canada,
61
Dans un premier temps, l’appelant soutient que
la règle de droit prévue à l’art.
62
Dans un deuxième temps, l’appelant prétend que
l’art.
3. L’exigence de l’adresse parlementaire
63
D’entrée de jeu, il n’est pas inutile de
rappeler que la Cour du Québec, comme c’est le cas de la Cour provinciale de
l’Ontario ou de celles de même niveau des autres provinces, n’est pas une cour
supérieure visée par l’art.
64
L’affaire Valente soulevait la question
de savoir si un juge de la Cour provinciale de l’Ontario siégeant en matière
pénale, dont l’indépendance et l’impartialité sont garanties de façon expresse
par l’al. 11d) de la Charte canadienne, constituait un
tribunal indépendant au sens de cette disposition. Le juge Le Dain écrit le
jugement au nom de la Cour. D’abord, il détermine les trois conditions
essentielles de l’indépendance judiciaire au sens de l’al. 11d),
soit l’inamovibilité, la sécurité financière et l’autonomie administrative
relativement aux questions qui ont un effet direct sur l’exercice des fonctions
judiciaires : Valente, précité, p. 694, 704 et 708 (voir
aussi les arrêts R. c. Lippé,
65 Le juge Le Dain mentionne ensuite que, bien que ce puisse être souhaitable, il n’est pas raisonnable de poser comme exigences constitutionnelles les conditions les plus rigoureuses et élaborées de l’indépendance judiciaire parce que l’al. 11d) de la Charte canadienne est susceptible de s’appliquer à une grande diversité de tribunaux. Ces conditions essentielles devront plutôt respecter cette diversité et être interprétées de façon souple. Ainsi, il ne saurait être question d’imposer une norme uniforme ou de dicter une formule législative particulière qui devrait prévaloir. Il suffira que l’essence de ces conditions soit respectée : Valente, précité, p. 692-693 (voir aussi les arrêts Lippé, précité, p. 142; Généreux, précité, p. 284-286 et 304; et le Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 167).
66 À son avis, l’essence de la garantie d’inamovibilité aux fins de l’al. 11d) de la Charte canadienne est que la nomination soit faite jusqu’à l’âge de la retraite, pour une durée fixe ou pour une charge ad hoc, et que cette fonction soit à l’abri de toute intervention discrétionnaire de la part de l’exécutif ou de l’autorité responsable des nominations : Valente, précité, p. 698 (voir aussi l’arrêt Généreux, précité, p. 285). Plus spécifiquement, en matière de révocation des juges des cours provinciales, il suffira de répondre aux deux critères suivants : (1) le juge ne peut être révoqué que pour un motif déterminé lié à sa capacité d’exercer ses fonctions judiciaires et (2) une enquête judiciaire doit être prévue pour établir l’existence de ce motif dans le cadre de laquelle le juge doit avoir l’occasion de se faire entendre : Valente, précité, p. 697-698 (voir aussi le Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 115).
67
En ce sens, il n’est pas nécessaire, aux fins de
l’al. 11d) de la Charte canadienne, que la procédure de
révocation d’un juge d’une cour provinciale, lorsqu’il siège en matière pénale,
comprenne une adresse parlementaire. Bien qu’à cet égard, les juges des cours
supérieures bénéficient du plus haut degré de garantie constitutionnelle
inspiré de l’Act of Settlement de 1701 (12 & 13 Will. 3, ch. 2) et
prévu à l’art.
De même, il est peut-être souhaitable, comme le prévoit maintenant le par. 56(1), qu’un juge ne puisse être révoqué que sur adresse du corps législatif mais, ici encore, je ne pense pas qu’il soit raisonnable d’exiger cela comme étant essentiel à l’inamovibilité pour les fins de l’al. 11d) de la Charte. Il se peut que la nécessité d’une adresse du corps législatif rende la révocation d’un juge plus difficile en pratique à cause de la solennité, de la lourdeur et de la visibilité de la procédure, mais qu’un motif soit nécessaire, comme le définit la loi, et qu’une enquête judiciaire soit prévue au cours de laquelle le juge visé a pleinement l’occasion de se faire entendre, constituent à mon avis, une restriction suffisante du pouvoir de révocation pour les fins de l’al. 11d). [Je souligne.]
68
Je suis d’avis qu’il doit en être également
ainsi pour les cours provinciales et leurs juges lorsqu’ils siègent dans des
matières autres que pénales et que leur indépendance est protégée par le
préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. D’abord, on ne saurait
exiger à leur égard des mesures procédurales qui soient plus strictes en
matière de destitution que celles requises pour le juge lorsqu’il exerce sa
compétence en matière pénale. Leurs fonctions sont essentiellement les mêmes
et ne se distinguent de celles d’un juge en matière pénale qu’en autant que
leur objet est moins susceptible de toucher directement la liberté d’un
justiciable et de porter atteinte aux garanties des art.
69 L’appelant soutient par ailleurs que notre Cour devrait revenir sur cette conclusion retenue dans l’arrêt Valente à la lumière de son récent jugement dans le Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité. Il s’appuie sur certains propos tenus par le juge en chef Lamer, au nom de la majorité, au par. 162 du jugement :
Au contraire, cet arrêt [Valente] a tout au plus établi que, en principe, l’al. 11d) ne garantit pas automatiquement aux cours provinciales le même degré de protection que celui accordé aux juges des cours supérieures par l’art. 100 et les autres dispositions relatives à la magistrature. Dans les circonstances de l’espèce, toutefois, l’al. 11d) peut en fait accorder aux juges des cours provinciales le même degré de protection que celui garanti aux juges des cours supérieures par les dispositions relatives à la magistrature. [Soulignement dans l’original; italiques ajoutés.]
70
Pris isolément, ce passage ne saurait venir
appuyer les prétentions de l’appelant. Mieux encore, replacé dans son
contexte, il ne saurait que renforcer les conclusions de notre Cour dans
l’arrêt Valente. Le Renvoi sur la rémunération des juges de cours
provinciales, précité, soulevait la question précise de savoir si la
garantie d’indépendance de la magistrature, et principalement le volet de la
sécurité financière, avait pour effet de restreindre les moyens par lesquels le
gouvernement et les assemblées législatives des provinces peuvent réduire les
traitements des juges des cours provinciales et, le cas échéant, de limiter
l’ampleur de ces réductions. La Cour, à la majorité, conclut, qu’aux fins de
l’al. 11d) de la Charte canadienne, les traitements des
juges peuvent être réduits, haussés ou bloqués en autant que le gouvernement
ait recours à une commission indépendante pour examiner la mesure proposée.
Pour parvenir à cette conclusion, le juge en chef Lamer s’appuie sur l’arrêt Beauregard,
précité, qui portait sur le niveau de protection accordé aux juges des cours
supérieures en vertu de l’art.
Puisque l’arrêt Beauregard définit l’étendue des pouvoirs du Parlement relativement à la rémunération des juges des cours supérieures, il a été plaidé devant notre Cour qu’il était inapplicable en l’espèce.
Dans une certaine mesure, cette question a été tranchée dans l’arrêt Valente, où notre Cour a statué que l’al. 11d) n’accorde pas aux juges des cours provinciales un certain nombre des protections garanties par la Constitution aux juges des cours supérieures. Par exemple, alors que ces derniers ne peuvent être révoqués que par suite d’une résolution des deux chambres du Parlement, notre Cour a expressément écarté la nécessité que les juges des cours provinciales soient révoqués par les assemblées législatives provinciales. [Je souligne.]
Je ne vois pas là une remise en question des conclusions de l’arrêt Valente, mais, bien au contraire, leur consécration. À l’instar du juge Le Dain, je conclus donc qu’il n’est pas nécessaire que la procédure de révocation d’un juge d’une cour provinciale comprenne une adresse parlementaire aux fins du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867.
71 L’appelant soutient finalement que l’Assemblée nationale du Québec n’avait pas la compétence législative requise pour abroger l’exigence de l’adresse parlementaire pour les juges des cours provinciales. D’abord, j’ai démontré qu’une telle exigence n’existe pas. Elle peut certes constituer un idéal, mais elle n’est pas nécessaire pour se conformer à la Constitution. Par ailleurs, la compétence des législatures provinciales sur les cours provinciales découle expressément des par. 92(14) et (4) de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant respectivement « [l’]administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l’organisation de tribunaux de justice pour la province » et « [l]a création et la tenure des charges provinciales ». Dans l’exercice de leurs compétences et dans les limites des exigences constitutionnelles, les législatures provinciales sont autorisées à établir des règles de fonctionnement distinctes pour les différents conseils de la magistrature qu’elles mettent sur pied : Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 167.
4. L’exigence que le pouvoir exécutif soit lié par le rapport de la Cour d’appel
72 J’estime que le second argument soulevé par l’appelant a des implications plus importantes en matière d’indépendance judiciaire. En effet, il y a lieu de se demander si la fonction judiciaire est véritablement à l’abri de toute intervention discrétionnaire de la part de l’exécutif ou de l’autorité responsable des nominations, comme l’exige l’arrêt Valente, précité, p. 698, lorsqu’un gouvernement n’est pas lié par les conclusions et recommandations d’un organisme d’enquête judiciaire concernant la destitution d’un juge de cour provinciale.
73 Le juge Le Dain a examiné la question dans l’arrêt Valente. Il s’exprimait ainsi, aux p. 697-698 :
J’estime qu’il est plus difficile de déterminer si l’exécutif doit ou non être lié par le rapport de l’enquête judiciaire, c.-à-d. si le pouvoir de révocation doit être assujetti à la condition que l’enquête judiciaire ait constaté l’existence d’un motif, comme le prévoit maintenant le par. 56(1) de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires. Cela est certainement préférable, mais je ne pense pas que cela puisse être posé comme essentiel à l’inamovibilité pour les fins de l’al. 11d). L’existence du rapport d’enquête judiciaire constitue une restriction suffisante du pouvoir de révocation, particulièrement lorsque, comme le prévoit l’art. 4 de la Loi sur les cours provinciales, le rapport doit être déposé devant le corps législatif.
74 Cette affirmation doit être nuancée et replacée dans son contexte. D’abord, je note que le juge Le Dain émettait de sérieuses réserves à conclure que le pouvoir exécutif ne devait pas nécessairement être lié par les conclusions d’exonération de l’organisme d’enquête judiciaire pour se conformer aux exigences de l’indépendance judiciaire; il ne manquait pas de souligner que cette question était « plus difficile » à trancher, qu’il serait certes « préférable » de conclure autrement, mais qu’il n’était pas nécessaire « particulièrement lorsque [. . .] le rapport doit être déposé devant le corps législatif ». De plus, bien que notre Cour ait conclu en ce sens, elle n’était pas non plus sans ignorer que cet aspect de la législation ontarienne avait été modifié en cours d’instance. En effet, la nouvelle Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, ch. 11, prévoyait précisément à son par. 56(1) que l’exécutif serait tenu d’accepter une conclusion d’exonération formulée par l’organisme d’enquête judiciaire. Le juge Le Dain reconnaissait expressément, dans un paragraphe introductif de ses motifs, que « [l]es changements subséquents apportés au droit régissant la Cour provinciale (Division criminelle) et ses juges [étaient] pertinents en ce qui concerne la question de l’indépendance permanente du tribunal auquel l’affaire [pourrait] être renvoyée » : Valente, p. 683-684. Par ailleurs, il importe de souligner que la question de la déférence que doit manifester le pouvoir exécutif à l’endroit de la décision de l’organisme d’enquête judiciaire ne faisait pas partie de la liste de moyens soulevés par l’appelant devant notre Cour : Valente, p. 680-682. En ce sens, les commentaires formulés par le juge Le Dain ne sont qu’une opinion incidente qui ne saurait lier les juridictions inférieures et que notre Cour n’a pas à renverser aujourd’hui : Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 168.
75 À ces motifs, j’ajouterai finalement que la décision de notre Cour reposait sur une étude de l’ensemble des dispositions pertinentes des lois provinciales en matière d’inamovibilité des juges qui étaient alors en vigueur. Cette analyse révélait que « [d]ans certains cas, le pouvoir exécutif était lié par le rapport d’enquête; dans la plupart des cas, le gouvernement ne l’est pas » : Valente, p. 696. La situation est bien différente aujourd’hui.
76
En effet, le présent recensement des lois
provinciales révèle plutôt les faits suivants. En Colombie-Britannique et à
Terre-Neuve, le Conseil de la magistrature (ou en Colombie-Britannique, un juge
de la Cour suprême de la province) peut directement recommander de démettre un
juge de ses fonctions sans qu’aucune intervention du gouvernement ne soit
nécessaire, sujet toutefois à un appel à la Cour d’appel de la province :
voir le par. 28(1) et l’art. 29 de la Provincial Court Act,
R.S.B.C. 1996, ch. 379, et les art. 22 et 23 de la Provincial
Court Act, 1991, S.N. 1991, ch. 15. En Ontario, dans les Territoires
du Nord-Ouest ainsi qu’au Nunavut, une fois que le Conseil de la magistrature a
recommandé la destitution d’un juge, il fournit une copie de sa recommandation
au ministre qui doit la déposer devant l’Assemblée législative. Cette dernière
peut ensuite formuler une recommandation à cet effet sans aucune intervention
du gouvernement : voir l’art.
77
À mon avis, le Québec ne fait pas figure
d’exception à ce chapitre. Bien que le gouvernement soit le titulaire de la
décision finale en matière de destitution, comme je l’affirmais dans l’affaire Ruffo,
précité, par. 67 et 89, il demeure que celui-ci, selon les termes mêmes de
l’art.
78 En terminant, je soulignerai que bien que cette question fut soulevée par les parties à l’instance, en l’espèce, la Cour d’appel a effectivement conclu dans son rapport à l’existence d’un motif justifiant la révocation de la commission de l’appelant. Ainsi, l’hypothèse suivant laquelle le gouvernement ne serait pas lié par la conclusion d’exonération prononcée par la Cour d’appel ne risque pas de se présenter.
5. Les réponses aux questions constitutionnelles
79 Je réponds donc aux questions constitutionnelles de la façon suivante :
1. La règle de droit - adoptée
en 1941 (Loi modifiant la Loi des tribunaux judiciaires, S.Q. 1941,
ch. 50, art. 2, sanctionnée le 17 mai 1941) et actualisée par
l’art.
Non.
2. S’il doit être répondu
négativement à la première question, la règle de droit contenue à
l’art.
Non.
C. Les règles d’équité procédurale
1. Les dispositions législatives pertinentes
80 Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T-16
268. Le conseil peut, après l’examen d’une plainte, décider de faire enquête. Il est tenu cependant de faire enquête si la plainte est portée par le ministre de la Justice ou si ce dernier lui fait une demande en vertu du troisième alinéa de l’article 93.1.
269. Pour mener l’enquête sur une plainte, le conseil établit un comité formé de cinq personnes choisies parmi ses membres et il désigne parmi elles un président.
Le quorum du comité est de trois personnes.
272. Le comité entend les parties, leur procureur ainsi que leurs témoins.
Il peut s’enquérir des faits pertinents et convoquer toute personne apte à témoigner sur ces faits.
Les témoins peuvent être interrogés ou contre-interrogés par les parties.
275. Le comité peut adopter des règles de procédure ou de pratique pour la conduite d’une enquête.
S’il est nécessaire, le comité ou l’un de ses membres rend, en s’inspirant du Code de procédure civile (chapitre C-25), les ordonnances de procédure nécessaires à l’exercice de ses fonctions.
277. Le comité soumet son rapport d’enquête et ses recommandations au conseil. Il transmet au ministre de la Justice ce rapport; de plus, il lui transmet copie de son dossier d’enquête dans le cas où le conseil fait la recommandation prévue par le paragraphe b de l’article 279.
278. Si le rapport d’enquête établit que la plainte n’est pas fondée, le conseil en avise le juge concerné, le ministre de la Justice et le plaignant. Cet avis est motivé.
279. Si le rapport d’enquête établit que la plainte est fondée, le conseil, suivant les recommandations du rapport d’enquête,
a) réprimande le juge; ou
b) recommande au ministre de la Justice et procureur général de présenter une requête à la Cour d’appel conformément à l’article 95.
281. Le conseil peut retenir les services d’un avocat ou d’un autre expert pour assister le comité dans la conduite de son enquête.
2. L’obligation d’agir équitablement
81
Depuis l’arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk
Regional Board of Commissioners of Police,
Chaque système, en somme, est pourvu de règles qui lui sont propres, mais qui n’en sont pas moins l’expression du même principe directeur : veiller au respect de la déontologie judiciaire au moyen de procédures qui soient les plus harmonieuses avec l’obligation d’agir équitablement.
82
L’obligation d’agir équitablement comporte
essentiellement deux volets, soit le droit d’être entendu (règle audi
alteram partem) et le droit à une audition impartiale (règle nemo judex
in sua causa). La nature et la portée de cette obligation peuvent varier
en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles
l’organisme administratif est confronté ainsi que de la nature des litiges
qu’il est appelé à trancher : Syndicat des employés de production du
Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la
personne),
a) Le droit d’être entendu
83 L’appelant prétend d’abord qu’il n’a pas bénéficié d’un préavis suffisant quant aux conclusions susceptibles d’être tirées par le comité d’enquête et qu’il n’a pas obtenu une audition supplémentaire et distincte de la première afin d’exprimer son point de vue sur les sanctions appropriées à sa conduite.
84 Il fait valoir que, lors de la séance de plaidoiries tenue le 26 mars 1997 devant le comité d’enquête, son procureur a exprimé le souhait de faire des représentations sur les sanctions applicables aux manquements déontologiques de l’appelant si le comité en arrivait à la conclusion que la plainte était fondée. Il mentionnait alors qu’il préférait connaître l’ampleur et la gravité des manquements retenus avant de se prononcer. En réponse à cette préoccupation, le comité d’enquête envoyait le 30 mai 1997 une lettre au procureur de l’appelant dans laquelle il disait souhaiter ne pas communiquer de façon préliminaire une partie de son rapport d’enquête puisque celui-ci constituait un tout qu’il n’était pas opportun de scinder, et qu’en conséquence, il l’invitait à lui faire part de « toutes les représentations pertinentes relatives à la sanction à recommander, advenant que le rapport du Comité établisse que la plainte est fondée ». Le plaignant, le ministre de la Justice du Québec, avait, quant à lui, déjà fait part de son intention de s’en remettre à la discrétion du comité. Devant un premier refus du procureur de l’appelant de présenter son point de vue, le comité réitère son invitation. Finalement, le comité soumet son rapport le 11 juillet 1997 sans avoir reçu de représentations de la part de l’appelant ou encore du ministre.
(i) L’existence d’un préavis
85
D’abord, l’appelant invoque l’arrêt de notre
Cour dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête
sur le système d’approvisionnement en sang au Canada),
86
En l’espèce, le comité d’enquête du Conseil de
la magistrature ne tient pas une enquête en général, il étudie une plainte
précise portée à l’encontre d’un juge en particulier. Ce juge est partie
prenante dès le début des procédures et est, en conséquence, informé de ce qui
lui est reproché. De toute façon, j’estime que l’appelant a bénéficié d’un
préavis suffisant dans les circonstances de cette affaire. Conformément à
l’art.
(ii) L’audition supplémentaire et distincte
87
L’appelant prétend aussi avoir droit à une
audition distincte sur les sanctions. Il s’appuie sur la procédure utilisée
par la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique et examinée
par notre Cour dans l’arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of
Brokers),
88
Au même titre, le comité d’enquête du Conseil de
la magistrature était-il maître de sa procédure en l’espèce. Le professeur Y.
Ouellette, dans son ouvrage
Dès l’apparition des premiers tribunaux administratifs d’appel au Royaume-Uni au début du siècle, les partisans de la judiciarisation et ceux de l’autonomie de la procédure se sont affrontés et l’on s’est alors demandé si la procédure judiciaire devait ou non servir de source supplétive ou de modèle à imiter. L’affaire Local Government Board c. Arlidge [[1915] A.C. 120 (H.L.)] peut être considérée comme l’arrêt de principe, orientant résolument la procédure vers l’autonomie et la déjudiciarisation . . .
D’abord, Lord Haldane explique que l’octroi d’une compétence d’appel à un organisme administratif plutôt qu’à un tribunal judiciaire exprime un changement de politique du législateur et qu’il faut accepter les conséquences de ce choix politique. L’organisme doit certes agir judiciairement, mais on doit considérer que le législateur, en l’absence d’indication contraire, a voulu laisser l’organisme décider de sa procédure pour pouvoir agir efficacement. Lord Shaw va même jusqu’à mettre en garde le pouvoir judiciaire contre la tentation d’imposer ses propres méthodes aux tribunaux administratifs. C’est à lui que l’on doit la célèbre proposition : le tribunal est maître de sa procédure.
89
Le législateur québécois a consacré cette
autonomie dans le cas particulier du comité d’enquête du Conseil de la
magistrature par l’adoption de l’art.
90 Par ailleurs, il ressort des faits de cette affaire que le comité d’enquête a fait un effort réel pour permettre à l’appelant de présenter son point de vue. Tout en l’informant que le rapport à déposer au Conseil de la magistrature ne pouvait être scindé afin d’en faire connaître un aspect de façon préliminaire, il a fourni à l’appelant, et ce, à deux reprises, l’occasion de se faire entendre, par écrit et même verbalement, sur les différentes sanctions applicables.
91 Je conclus donc que le droit de l’appelant d’être entendu a été pleinement respecté dans les circonstances et je rejette ce moyen d’appel. Reste à examiner le second volet que comporte l’obligation d’agir équitablement, soit le droit à une audition impartiale.
b) Le droit à une audition impartiale
92 L’appelant prétend que la structure décisionnelle du Conseil de la magistrature est également contraire aux règles de l’équité procédurale, en ce que le Conseil est contraint de suivre les recommandations de son comité d’enquête. Il précise que s’il est possible pour le Conseil de déléguer son pouvoir d’enquête, il doit demeurer l’ultime décideur. Subsidiairement, si le comité est valablement investi du pouvoir décisionnel, il y a un accroc à l’indépendance judiciaire puisque ce comité peut être composé de personnes qui ne sont pas les pairs de l’appelant. Finalement, l’appelant est d’avis que le fonctionnement du comité d’enquête soulève une crainte raisonnable de partialité institutionnelle, en ce qu’un procureur indépendant joue le rôle de juge et partie.
(i) La structure décisionnelle du Conseil et de son comité
Le Conseil n’exerce pas lui-même son pouvoir décisionnel
93
Il est bien connu que l’organisme qui se voit
attribuer l’exercice d’un pouvoir en vertu de sa loi habilitante doit l’exercer
lui-même et ne peut le déléguer à l’un de ses membres ou à une minorité de
ceux-ci sans l’autorisation expresse ou implicite de la loi et ce, conformément
à la maxime consacrée par la jurisprudence delegatus non potest
delegare : Peralta c. Ontario,
94
D’abord, l’art.
95
Par ailleurs, le législateur a doté le Conseil
de la magistrature de ce mode particulier de fonctionnement pour des raisons
évidentes d’efficacité administrative. Il tient compte des réalités qui sont
propres aux organismes disciplinaires, notamment des ressources financières qui
lui sont attribuées et de la disponibilité souvent variable de chacun de ses
membres. Tout en gagnant en efficacité, ce processus ne compromet aucunement
l’équité procédurale. Le comité poursuit son enquête dans le respect des
droits de chacune des parties intéressées. En effet, il entend les parties, leur
procureur et leurs témoins qui pourront être interrogés ou contre-interrogés
par les parties (art.
96 Finalement et comme je le soulignais plus tôt dans les présents motifs, les législatures provinciales ont toute la compétence nécessaire pour décider des procédures destinées à assurer l’inamovibilité des juges des cours provinciales dans le respect des règles de l’équité procédurale dans la mesure où celles-ci respectent les exigences de l’indépendance judiciaire : Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 167. Cet autre moyen d’appel doit donc être rejeté.
La composition du Conseil
97
Rappelons d’abord qu’en vertu de l’art.
98 L’appelant prétend que la participation de l’une de ces quatre personnes non membres de la magistrature au processus décisionnel porte atteinte à la dimension collective ou institutionnelle du principe structurel de l’indépendance judiciaire, en ce que seul un organisme composé de juges peut recommander la révocation d’un juge. Il s’appuie sur certains propos du juge en chef Lamer dans le Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 120 :
Par exemple, l’inamovibilité peut avoir une dimension collective ou institutionnelle, en ce que seul un organisme composé de juges peut recommander la révocation d’un juge. Cependant, je n’ai pas à trancher ce point en l’espèce. [Je souligne.]
Ce passage parle de lui-même et ne saurait servir de fondement à la prétention de l’appelant. Il s’agit d’une question sur laquelle notre Cour n’a pas encore exprimé d’opinion.
99 Sans arrêter lui non plus d’opinion tranchée, le professeur Friedland, dans son rapport préparé pour le Conseil canadien de la magistrature, op. cit., évoque tout de même cette possibilité, à la p. 154 :
(La question de savoir s’il conviendrait d’assurer une participation du public au sein du Conseil canadien de la magistrature n’a pas été abordée dans le présent rapport).
. . .
Enfin, nous traiterons de la participation aux enquêtes formelles de personnes qui ne sont ni juges ni avocats. La loi précise que le comité d’enquête peut comprendre un avocat ou plus. Les récents comités d’enquête officielle (Gratton et Marshall) comprenaient deux avocats nommés par le ministre de la Justice. Il vaudrait mieux prévoir que le Comité comprenne, outre les juges, à la fois un avocat et un représentant du public. Encore une fois, le choix de ces personnes ne devrait pas relever du gouvernement, mais s’effectuer selon une méthode objective parmi un groupe de personnes . . .
100
Le processus disciplinaire québécois comporte
plusieurs particularités. D’abord, il faut rappeler que le rapport ainsi que
les recommandations formulées par le comité d’enquête du Conseil de la
magistrature ne constituent que la première étape dans un processus mis en
place par la Loi sur les tribunaux judiciaires, lequel peut ultimement
en comporter trois. Ainsi, dans un deuxième temps, la Cour d’appel intervient
et mène une seconde enquête sur la conduite du juge concerné et produit son
propre rapport. En l’espèce, une formation de cinq juges de la Cour d’appel a
été constituée. De plus, les pouvoirs attribués au Conseil sont limités.
Conformément à l’art.
101 Dans ce contexte, la présence de personnes non membres de la magistrature à un stade préliminaire peut apparaître utile en ce qu’elle peut alimenter la réflexion des membres du comité et apporter un autre regard sur la perception qu’ont les membres de la profession juridique (dans le cas des avocats) et le public en général (dans le cas des autres membres) de la magistrature. À mon sens, et dans les circonstances particulières de l’espèce, je suis d’avis que la composition du comité d’enquête du Conseil de la magistrature est conforme au principe structurel de l’indépendance judiciaire et aux règles de l’équité procédurale.
(ii) L’apparence de partialité institutionnelle
102 L’appelant prétend finalement qu’il y a apparence de partialité institutionnelle, car le comité d’enquête utilise les services d’un procureur qui agit à la fois en tant que juge et partie. Ce concept d’impartialité institutionnelle a été reconnu et consacré pour la première fois par notre Cour dans l’arrêt Lippé, précité, p. 140. Il convient de rappeler le critère élaboré par la jurisprudence pour déceler cet état : une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, aurait-elle une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas? J’examinerai maintenant la situation soulevée par l’appelant.
103
En vertu de l’art.
Aussi, comme le révèlent les dispositions législatives précitées, le débat qui prend place devant lui n’est-il pas de l’essence d’un litige dominé par une procédure contradictoire mais se veut plutôt l’expression de fonctions purement investigatrices, marquées par la recherche active de la vérité.
Dans cette perspective, la véritable conduite de l’affaire n’est pas du ressort des parties, mais bien du Comité lui-même, à qui la LTJ confie un rôle prééminent dans l’établissement de règles de procédure, de recherche des faits et de convocation de témoins. Toute idée de poursuite se trouve donc écartée sur le plan structurel. La plainte, à cet égard, n’est qu’un mécanisme de déclenchement. Elle n’a pas pour effet d’initier une procédure litigieuse entre deux parties. Vu cette absence de contentieux, si le Conseil décide de faire enquête après l’examen d’une plainte portée par un de ses membres, le Comité ne devient pas de ce fait juge et partie: comme je l’ai souligné plus haut, la fonction première du Comité est la recherche de la vérité; or celle-ci n’emprunte pas la voie d’un lis inter partes mais celle d’une véritable enquête où le Comité, par ses propres recherches, celles du plaignant et du juge qui fait l’objet de la plainte, s’informe de la situation en vue de décider de la recommandation qui soit la plus adéquate, au regard des circonstances de l’affaire qui lui est soumise.
C’est d’ailleurs dans la
perspective qui précède et pour tenir l’enquête dont la responsabilité lui
incombe que le Conseil peut retenir les services d’un avocat, comme le prévoit
l’art.
Ce passage reflète bien que le but recherché par le comité n’est pas d’agir en tant que juge ou même en tant que décideur chargé de trancher un litige, mais au contraire, de recueillir les faits et les éléments de preuve afin de formuler ultimement une recommandation au Conseil de la magistrature. Il illustre également cette volonté de ne pas créer un climat contentieux où s’affronteraient deux opposants à la recherche d’une victoire. En l’absence de juge et de parties, le procureur du comité ne pouvait être en situation de conflit d’intérêts. Ainsi, en interrogeant et contre-interrogeant les témoins, il n’a pas agi comme un poursuivant, mais a fourni une aide et assistance au comité dans l’accomplissement du mandat qui lui était confié par la loi.
104 J’ajouterais également que la recommandation du comité n’est pas définitive quant à l’issue du processus disciplinaire. Celui-ci relève ensuite de la Cour d’appel, puis, le cas échéant, du ministre de la Justice : Ruffo, précité, par. 89. En conséquence, le rôle joué par le procureur indépendant ne saurait porter atteinte à l’équité procédurale, ni soulever une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas chez une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique.
D. La conduite de l’appelant
1. Les dispositions législatives pertinentes
105 Charte canadienne des droits et libertés
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
18.1 Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande.
18.2 Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.
20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique est réputée non discriminatoire.
Loi sur le casier judiciaire, S.R.C. 1970, ch. 12 (1er suppl.)
5. L’octroi d’un pardon
a) est la preuve du fait que la Commission, après avoir effectué une enquête suffisante, est convaincue que le requérant a eu une bonne conduite et que la condamnation à l’égard de laquelle le pardon est accordé ne devrait plus nuire à sa réputation; et
b) à moins que le pardon ne soit révoqué par la suite, annule la condamnation pour laquelle il est accordé et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, élimine toute déchéance que cette condamnation entraîne, pour la personne ainsi déclarée coupable, en vertu de toute loi du Parlement du Canada ou d’un règlement établi sous son régime.
Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C-47
5. La réhabilitation a les effets suivants :
a) d'une part, elle sert de preuve du fait que la Commission, après avoir mené les enquêtes appropriées, a été convaincue que le demandeur s’est bien conduit et que la condamnation en cause ne devrait plus ternir sa réputation;
b) d'autre part, sauf révocation ultérieure, elle efface les conséquences de la condamnation et, notamment, fait cesser toute incapacité que celle-ci pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements.
6. (1) Le ministre peut, par écrit, ordonner à toute personne ayant la garde ou la responsabilité du dossier judiciaire relatif à la condamnation visée par la réhabilitation de le remettre au commissaire.
(2) Tout dossier ou relevé de la condamnation visée par la réhabilitation que garde le commissaire ou un ministère ou organisme fédéral doit être classé à part des autres dossiers ou relevés relatifs à des affaires pénales et il est interdit de le communiquer, d’en révéler l’existence ou de révéler le fait de la condamnation sans l’autorisation préalable du ministre.
(3) Pour donner l’autorisation prévue au paragraphe (2), le ministre doit être convaincu que la communication sert l’administration de la justice ou est souhaitable pour la sûreté ou sécurité du Canada ou d’un État allié ou associé au Canada.
7. La Commission peut révoquer la réhabilitation dans l’un ou l’autre des cas suivants :
a) le réhabilité est condamné pour une nouvelle infraction à une loi fédérale ou à ses règlements punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire;
b) il existe des preuves convaincantes, selon elle, du fait que le réhabilité a cessé de bien se conduire;
c) il existe des preuves convaincantes, selon elle, que le réhabilité avait délibérément, à l’occasion de sa demande de réhabilitation, fait une déclaration inexacte ou trompeuse, ou dissimulé un point important.
8. Nul ne peut utiliser ou permettre d’utiliser une demande d’emploi comportant une question qui, par sa teneur, obligerait un réhabilité à révéler une condamnation visée par une réhabilitation qui n’a pas été révoquée ou annulée contenue dans un formulaire ayant trait à :
a) l’emploi dans un
ministère, au sens de l’article
b) l’emploi auprès
d’une société d’État, au sens de l’article
c) l’enrôlement dans les Forces canadiennes;
d) l’emploi dans une entreprise qui relève de la compétence législative du Parlement ou en rapport avec un ouvrage qui relève d’une telle compétence.
Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C-47 (dans la version en vigueur le 1er août 2000)
5. La réhabilitation a les effets suivants :
a) d’une part, elle sert de preuve des faits suivants :
(i) dans le cas d’une réhabilitation octroyée pour une infraction visée à l’alinéa 4a), la Commission, après avoir mené les enquêtes, a été convaincue que le demandeur s’est bien conduit,
(ii) dans le cas de toute réhabilitation, la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur;
b) d’autre part, sauf
cas de révocation ultérieure ou de nullité, elle entraîne le classement du
dossier ou du relevé de la condamnation à part des autres dossiers judiciaires
et fait cesser toute incapacité - autre que celles imposées au titre des
articles
Code des professions, L.R.Q., ch. C-26
45. Le Bureau peut refuser la délivrance d’un permis ou l’inscription au tableau lorsque la personne qui en fait la demande:
1< a fait l’objet d’une décision d’un tribunal canadien la déclarant coupable d’une infraction criminelle qui, de l’avis motivé du Bureau, a un lien avec l’exercice de la profession, sauf si elle a obtenu le pardon;
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., ch. T-16
262. Le code de déontologie détermine les règles de conduite et les devoirs des juges envers le public, les parties à une instance et les avocats et il indique notamment les actes ou les omissions dérogatoires à l’honneur, à la dignité ou à l’intégrité de la magistrature et les fonctions ou les activités qu’un juge peut exercer à titre gratuit malgré l’article 129.
263. Le conseil reçoit et examine une plainte portée par toute personne contre un juge et lui reprochant un manquement au code de déontologie.
279. Si le rapport d’enquête établit que la plainte est fondée, le conseil, suivant les recommandations du rapport d’enquête,
a) réprimande le juge; ou
b) recommande au ministre de la Justice et procureur général de présenter une requête à la Cour d’appel conformément à l’article 95.
S’il fait la recommandation prévue par le paragraphe b, le conseil suspend le juge pour une période de trente jours.
Code de déontologie de la magistrature, R.R.Q. 1981, ch. T-16, r. 4.1
2. Le juge doit remplir son rôle avec intégrité, dignité et honneur.
4. Le juge doit prévenir tout conflit d’intérêt et éviter de se placer dans une situation telle qu’il ne peut remplir utilement ses fonctions.
5. Le juge doit de façon manifeste être impartial et objectif.
10. Le juge doit préserver l’intégrité et défendre l’indépendance de la magistrature, dans l’intérêt supérieur de la justice et de la société.
Règlement sur la procédure de sélection des personnes aptes à être nommées juges, R.R.Q. 1981, ch. T-16, r. 5
7. Un candidat est réputé accepter qu’une vérification soit faite à son sujet auprès du Barreau et des autorités policières.
18. Le comité détermine l’aptitude du candidat à être nommé juge. À cette fin, il évalue les qualités personnelles et intellectuelles du candidat ainsi que son expérience.
Il évalue notamment le degré de connaissance juridique de cette personne dans les domaines du droit dans lesquels le juge exercera ses fonctions, sa capacité de jugement, sa perspicacité, sa pondération, son esprit de décision et la conception qu’elle se fait de la fonction de juge.
2. Les prétentions de l’appelant
106
L’appelant prétend d’abord que le pardon qu’il a
obtenu en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985,
ch. C-47 (« L.C.J. ») (auparavant S.R.C. 1970, ch. 12 (1er
suppl.)), a annulé rétroactivement sa condamnation et lui permet de nier son
existence lorsqu’on lui demande s’il a eu « des démêlés avec la
justice ». Il invoque ensuite la protection des chartes canadienne et
québécoise. Plus particulièrement, il estime avoir été victime de
discrimination fondée sur l’existence d’antécédents judiciaires, contrairement
à l’art.
107 En soulevant de tels arguments, l’appelant demande que notre Cour se penche sur les fondements mêmes de notre système de justice. La décision est, avant toute chose, intimement liée au rôle que le juge est appelé à y jouer et à l’image d’impartialité, d’indépendance et d’intégrité qu’il doit dégager et s’efforcer de préserver.
3. Le rôle du juge : « une place à part »
108 La fonction judiciaire est tout à fait unique. Notre société confie d’importants pouvoirs et responsabilités aux membres de sa magistrature. Mis à part l’exercice de ce rôle traditionnel d’arbitre chargé de trancher les litiges et de départager les droits de chacune des parties, le juge est aussi responsable de protéger l’équilibre des compétences constitutionnelles entre les deux paliers de gouvernement, propres à notre État fédéral. En outre, depuis l’adoption de la Charte canadienne, il est devenu un défenseur de premier plan des libertés individuelles et des droits de la personne et le gardien des valeurs qui y sont enchâssées : Beauregard, précité, p. 70, et Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 123. En ce sens, aux yeux du justiciable qui se présente devant lui, le juge est d’abord celui qui dit la loi, qui lui reconnaît des droits ou lui impose des obligations.
109 Puis, au-delà du juriste chargé de résoudre les conflits entre les parties, le juge joue également un rôle fondamental pour l’observateur externe du système judiciaire. Le juge constitue le pilier de l’ensemble du système de justice et des droits et libertés que celui-ci tend à promouvoir et à protéger. Ainsi, pour les citoyens, non seulement le juge promet-il, par son serment, de servir les idéaux de Justice et de Vérité sur lesquels reposent la primauté du droit au Canada et le fondement de notre démocratie, mais il est appelé à les incarner (le juge Jean Beetz, Présentation du premier conférencier de la Conférence du 10e anniversaire de l’Institut canadien d’administration de la justice, propos recueillis dans Mélanges Jean Beetz (1995), p. 70-71).
110 En ce sens, les qualités personnelles, la conduite et l’image que le juge projette sont tributaires de celles de l’ensemble du système judiciaire et, par le fait même, de la confiance que le public place en celui-ci. Le maintien de cette confiance du public en son système de justice est garant de son efficacité et de son bon fonctionnement. Bien plus, la confiance du public assure le bien-être général et la paix sociale en maintenant un État de droit. Dans un ouvrage destiné à ses membres, le Conseil canadien de la magistrature explique :
La confiance et le respect que le public porte à la magistrature sont essentiels à l’efficacité de notre système de justice et, ultimement, à l’existence d’une démocratie fondée sur la primauté du droit. De nombreux facteurs peuvent ébranler la confiance et le respect du public à l’égard de la magistrature, notamment : des critiques injustifiées ou malavisées; de simples malentendus sur le rôle de la magistrature; ou encore toute conduite de juges, en cour ou hors cour, démontrant un manque d’intégrité. Par conséquent, les juges doivent s’efforcer d’avoir une conduite qui leur mérite le respect du public et ils doivent cultiver une image d’intégrité, d’impartialité et de bon jugement.
(Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 14)
111 La population exigera donc de celui qui exerce une fonction judiciaire une conduite quasi irréprochable. À tout le moins exigera-t-on qu’il paraisse avoir un tel comportement. Il devra être et donner l’apparence d’être un exemple d’impartialité, d’indépendance et d’intégrité. Les exigences à son endroit se situent à un niveau bien supérieur à celui de ses concitoyens. Le professeur Y.-M. Morissette exprime bien ce propos :
[L]a vulnérabilité du juge est nettement plus grande que celle du commun des mortels, ou des «élites» en général : c’est un peu comme si sa fonction, qui consiste à juger autrui, lui imposait de se placer hors de portée du jugement d’autrui.
(« Figure actuelle du juge dans la cité » (1999), 30 R.D.U.S. 1, p. 11-12)
Le professeur G. Gall, dans son ouvrage The Canadian Legal System (1977), va encore plus loin à la p. 167 :
[traduction] Les membres de notre magistrature sont, par tradition, astreints aux normes de retenue, de rectitude et de dignité les plus strictes. La population attend des juges qu’ils fassent preuve d’une sagesse, d’une rectitude, d’une dignité et d’une sensibilité quasi-surhumaines. Sans doute aucun autre groupe de la société n’est-il soumis à des attentes aussi élevées, tout en étant tenu d’accepter nombre de contraintes. De toute façon, il est indubitable que la nomination à un poste de juge entraîne une certaine perte de liberté pour la personne qui l’accepte.
112
Les motifs qui suivent ne sauraient donc faire
abstraction de deux prémisses fondamentales. D’abord et dans la lignée de ce
qui précède, ils ne sauraient être dissociés du contexte très particulier dans
lequel la fonction judiciaire s’inscrit. La magistrature occupe une
« place à part » dans notre société et elle doit se conformer aux
exigences requises par ce statut exceptionnel (Friedland, op. cit.).
Par ailleurs, nous ne saurions également perdre de vue que notre Cour siège en
appel du rapport de la formation d’enquête de la Cour d’appel du Québec,
laquelle est dépositaire d’une fonction particulière qui lui est confiée par
l’art.
4. Le sens et la portée du pardon
113
En common law, le pardon est l’expression de la
souveraineté du Roi, le résultat de l’exercice unilatéral et discrétionnaire de
sa prérogative royale de grâce ou de clémence. Au Canada, le pardon tire
également son origine des pouvoirs de la Couronne. Les textes législatifs
canadiens, dont le Code criminel, ne font que prescrire différentes
façons de l’exercer, sans pour autant en limiter la portée : art.
114
Le professeur Dumont regroupe les différentes
formes de pardon que l’on retrouve au Code criminel dans les catégories
suivantes : (1) le pardon ordinaire et partiel prévu aux par. 748(1)
et 748.1(1) du Code qui comporte la remise d’une sentence ou d’une
partie de celle-ci sans remettre en question la culpabilité de la personne; (2)
le pardon conditionnel obtenu en vertu du par. 748(2) du Code qui
permet de modifier la peine initialement imposée par le tribunal et de
l’assortir de certaines conditions; (3) le pardon absolu aussi obtenu en vertu
des par. 748(2) et (3) du Code selon lesquels une personne est
réputée n’avoir jamais commis l’infraction à l’égard de laquelle il est accordé
et (4) le pardon obtenu après le renvoi à procès ou le renvoi à une cour
d’appel conformément à l’art. 690 du Code ou à l’art.
115 Par ailleurs, le législateur fédéral peut également légiférer en matière de pardon dans l’exercice de sa compétence en droit criminel. Il a ainsi créé une procédure de réhabilitation administrative, sous la responsabilité exclusive de la Commission nationale des libérations conditionnelles, et prévue à la Loi sur le casier judiciaire. Cette réhabilitation peut être accordée, après enquête, à toute personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements qui en fait la demande. C’est en vertu de cette procédure que le 20 août 1987, le gouverneur général en conseil a accordé un pardon à Richard Therrien. Quel est donc l’effet d’une telle réhabilitation? Plus précisément, permettait-elle à l’appelant de nier complètement l’existence de la condamnation pour laquelle elle lui avait été accordée et de répondre « non » à la question soulevée par le comité de sélection des personnes aptes à être nommées juges? La Cour d’appel a fait une étude exhaustive de cette question. Elle conclut que la réhabilitation obtenue par l’appelant ne remet pas en question sa culpabilité, mais entraîne la remise totale de sa condamnation et des effets juridiques pour l’avenir. Il importe de revenir sur certains éléments de son analyse.
116 L’article 5 et le par. 6(2) L.C.J. énoncent les effets de l’octroi d’une réhabilitation : (1) elle sert de preuve que la Commission nationale des libérations conditionnelles, après avoir mené les enquêtes prévues par la loi, est convaincue que le demandeur s’est bien conduit et que la condamnation pour laquelle elle est accordée ne devrait plus ternir sa réputation; (2) elle efface les conséquences de la condamnation et fait cesser les incapacités qu’elle pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements; et (3) elle entraîne la mise à l’écart de tout dossier portant sur la condamnation, soit la radiation du casier judiciaire. En elles-mêmes, ces dispositions ne me convainquent pas que la réhabilitation puisse avoir pour effet d’anéantir rétroactivement la condamnation. Elles sont davantage l’expression du maintien de son existence, jumelée à une volonté d’en minimiser les conséquences à l’avenir. En effet, le sous-al. 5a)(ii) L.C.J. précise que la réhabilitation sert de preuve que « la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur » (je souligne), sous-entendant qu’elle existe toujours et qu’elle pourrait le faire. Ensuite, les effets de la réhabilitation sont limités aux incapacités juridiques créées par la loi fédérale ou ses règlements et excluent donc l’ensemble des conséquences postpénales prévues aux lois provinciales, ce qui laisse également croire que la réhabilitation n’a qu’une portée limitée. Finalement, les renseignements contenus au casier judiciaire ne sont pas détruits, mais mis à l’écart d’où ils risquent de ressurgir advenant une nouvelle inconduite de la personne réhabilitée.
117 Pour appuyer l’argument contraire, l’appelant nous renvoie à la version anglaise de l’art. 5 L.C.J. qui, à première vue, peut sembler retenir un autre sens. Lors de son adoption, en 1970, il se lisait ainsi dans ses versions anglaise et française :
5. The grant of a pardon
(a) is evidence of the fact that the Board, after making proper inquiries, was satisfied that an applicant was of good behaviour and that the conviction in respect of which the pardon is granted should no longer reflect adversely on his character; and
(b) unless the pardon is subsequently revoked, vacates the conviction in respect of which it is granted and, without restricting the generality of the foregoing, removes any disqualification to which the person so convicted is, by reason of such conviction, subject by virtue of any Act of the Parliament of Canada or a regulation made thereunder.
5. L’octroi d’un pardon
a) est la preuve du fait que la Commission, après avoir effectué une enquête suffisante, est convaincue que le requérant a eu une bonne conduite et que la condamnation à l’égard de laquelle le pardon est accordé ne devrait plus nuire à sa réputation; et
b) à moins que le pardon ne soit révoqué par la suite, annule la condamnation pour laquelle il est accordé et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, élimine toute déchéance que cette condamnation entraîne, pour la personne ainsi déclarée coupable, en vertu de toute loi du Parlement du Canada ou d’un règlement établi sous son régime. [Je souligne.]
Lors de la révision de 1985, la version française a été modifiée pour inclure les mots « efface les conséquences de la condamnation » en lieu et place de « annule la condamnation ». Toutefois, la version anglaise est demeurée, à peu de choses près, la même au fil des ans conservant l’emploi des mots « vacates the conviction », ce qui a contribué à susciter une certaine controverse. L’absence de changements apportés à la version anglaise relevait-elle de la simple omission ou la modification de la version française traduisait-elle une volonté législative d’harmoniser cette dernière avec le texte anglais? La consultation du Oxford English Dictionary (2e éd. 1989), vol. XIX, p. 385, nous apprend que le terme « vacate » signifie [traduction] « rendre nul et sans effet en droit, dépouiller de toute autorité, validité, force, efficacité ou valeur sur le plan juridique, rendre inopérant ou frapper de nullité », ce qui n’emporte pas nécessairement la rétroactivité de ses effets. Aussi est-il possible de rendre nul, de priver de tout effet ou autorité ou d’annuler une chose pour l’avenir seulement. Il est donc fort probable que les modifications apportées au texte français ne l’ont été qu’afin de mieux exprimer le sens véhiculé par la version anglaise.
118
Le législateur fédéral s’est d’ailleurs penché
sur l’opportunité d’ajouter une disposition permettant à la personne
réhabilitée de nier l’existence de sa condamnation dans le cadre d’un projet de
réforme de la Loi sur le casier judiciaire en 1992 (« deeming
provision »). Le comité interministériel chargé d’étudier les
différentes avenues recommandait plutôt le maintien du statu quo en la
matière. Il était d’avis que la loi ne devait pas être modifiée pour y inclure
une telle disposition manifestant ainsi son opposition à ce que d’aucuns
appelaient un « mensonge autorisé par la loi ». En échange, il
proposait la publication de bulletins d’information afin d’expliquer les effets
de la mise à l’écart d’un dossier à la suite de l’obtention d’une
réhabilitation, notamment du fait que l’information qu’il contient ne puisse plus
être révélée : Proposition de réforme de la Loi sur le casier
judiciaire (20 juillet 1991), Document explicatif du Solliciteur général du
Canada, p. 10-11, Recommandation no 7. Voir aussi T. J.
Singleton, « La discrimination fondée sur le motif des antécédents
judiciaires et les instruments anti-discriminatoires canadiens »
119 Je note en passant que l’interprétation selon laquelle la loi ne permet pas de nier l’existence de la condamnation s’inscrit également dans la lignée des dernières modifications apportées à la loi en 2000, bien que celles-ci ne soient pas opposables à l’appelant en l’espèce. La Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et une autre loi en conséquence, L.C. 2000, ch. 1, art. 4 (entrée en vigueur le 1er août 2000 par décret TR/2000-73, vol. 134, p. 2033), modifie les versions française et anglaise. Ainsi, les mots « efface les conséquences de la condamnation » à l’art. 5 sont remplacés par « entraîne le classement du dossier ou du relevé de la condamnation à part des autres dossiers judiciaires ». À mon avis, ces changements viennent consacrer le sens que le Parlement a toujours voulu conférer à la loi. Outre les différentes incapacités que la condamnation pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements dont l’art. 5 fait mention, les autres « conséquences » associées à l’existence d’antécédents judiciaires que la réhabilitation visait à éliminer pour l’avenir se résument à la mise à l’écart des informations entourant la condamnation. Celles-ci font désormais partie de la vie privée de l’individu et ne sauraient être divulguées sans l’autorisation préalable du ministre. Le professeur Dumont partage cette opinion :
Cette construction juridique de la stigmatisation ou la reconnaissance juridique de la fiction du déshonneur est si évidente que le mécanisme de réhabilitation prévu dans la Loi sur le casier judiciaire consiste d’abord et avant tout à mettre fin à l’utilisation et à la diffusion de l’information consignée dans le casier judiciaire, à redonner un statut confidentiel aux renseignements sur le passé pénal d’une personne et à les remettre dans le domaine de la vie privée. De ce point de vue, la loi crée moins une procédure visant à obtenir un pardon qu’un mécanisme consistant à retirer de la circulation les informations concernant le passé judiciaire pénal d’une personne. [Je souligne.]
(« Le casier judiciaire : criminel un jour, criminel toujours? », dans Le respect de la vie privée dans l’entreprise : de l’affirmation à l’exercice d’un droit (1995), p. 115)
120
En l’espèce, la Cour d’appel arrive à cette même
conclusion en se référant aux autres dispositions de la loi. En effet,
« chaque élément [d’une loi] contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble,
au sens de chacun des éléments » : P.-A. Côté, Interprétation des
lois (3e éd. 1999), p. 388; voir aussi Dubois c. La Reine,
121
Il est également utile d’établir une comparaison
avec certaines lois fédérales. L’interprète des lois doit en effet favoriser
l’harmonie des divers textes législatifs qui émanent d’une même autorité.
Cette présomption se trouve renforcée lorsqu’on est en présence de lois qui
portent sur la même matière : Côté, op. cit., p. 433 et
suiv. Ainsi, comme je le soulignais précédemment, le par.
122 À l’instar de la Cour d’appel, je conclus donc qu’une analyse objective de la loi ne permet pas de soutenir, comme le fait l’appelant, que le pardon anéantit rétroactivement sa condamnation. Le professeur Dumont résume bien l’esprit de mon propos :
Il nous paraît clair que la Loi sur le casier judiciaire octroie un pardon qui vise seulement à faire cesser les effets négatifs d’une condamnation. Empruntant les caractéristiques d’un pardon partiel et conditionnel, la réhabilitation administrative n’est pas assimilable à une déclaration d’innocence à rebours, comme peut l’être le pardon absolu en vertu de la prérogative royale ou du Code criminel; par conséquent, la réhabilitation administrative n’entraîne pas logiquement la négation ou la neutralisation rétroactive de la condamnation. [Italiques dans l’original.]
(« Le casier judiciaire : criminel un jour, criminel toujours? », loc. cit., p. 132)
123 En terminant, je dirai quelques mots de l’argument soumis par l’appelant selon lequel, pour déterminer la portée de la réhabilitation qu’il a obtenue conformément à la Loi sur le casier judiciaire, la Cour doit retenir une « approche objective-subjective » selon laquelle il faut, à la fois, faire une analyse objective de la loi et considérer l’opinion que s’est subjectivement formée à l’appelant à l’égard de son pardon. Je ne crois pas que l’interprétation de la loi soit susceptible de varier selon l’opinion que s’en fait le justiciable et, particulièrement, lorsque ce justiciable est lui-même un juriste.
124 Par ailleurs, même si l’on devait se placer dans la position de l’appelant, je tiens à rappeler que la question posée par le comité de sélection ne visait pas directement le casier judiciaire de l’appelant, mais avait une portée beaucoup plus générale, soit ses « démêlés avec la justice ». L’expression « démêlés avec la justice » peut inclure bon nombre de situations, de la simple arrestation au fait d’être inculpé pour une infraction et dans l’attente d’un procès ou au fait d’être inculpé et, par la suite, acquitté à l’issue de ce procès. Elle peut aussi faire référence à des instances disciplinaires entamées par l’ordre professionnel auquel on appartient. À la limite, elle peut inclure le fait d’être partie à une cause civile ou familiale. En ce sens, elle inclut également le fait même du pardon obtenu par l’appelant.
125
En outre, la Cour d’appel a jugé que le dossier
de l’appelant contenait suffisamment d’éléments de preuve tendant à démontrer
que Me Therrien connaissait le sens et la portée de la Loi
sur le casier judiciaire et qu’il les a subjectivement et volontairement
ignorés. Dans son rapport, elle mentionne que la décision de l’appelant de
taire ses condamnations ne résulte pas d’une interprétation erronée faite de
bonne foi des lois applicables (
Il a compris l’importance et la gravité de cette obligation de transparence lors du premier concours; il était pour lui évident, « naturel », dit-il, il devait répondre à la question.
Après son échec lors du deuxième comité de sélection, il se satisfait de recherches extrêmement sommaires sur les conséquences du pardon. Une étude le moindrement plus poussée l’aurait facilement amené à une autre conclusion.
Sans égard pour l’importance de la fonction qu’il postule, il décide lui-même de minimiser les conséquences de ses actes. Il prend en main la loi, l’interprète selon ses fins. Il rationalise le tout, fait une restriction mentale: se forge une opinion contraire à la réalité en utilisant des arguments dont la présentation formelle ne constitue pas un mensonge. Il omet volontairement de dévoiler un fait que le comité devait connaître. Il substitue son propre jugement à celui du comité de sélection. [Souligné dans l’original.]
126 Lorsque l’appelant se présente devant le comité de sélection en 1996, il n’est pas là pour faire valoir son droit à être nommé juge. Une nomination à la magistrature relève davantage d’un « privilège » accordé à une personne qui réunit les qualités jugées nécessaires pour occuper la fonction. Si, comme le prétend l’appelant, la Loi sur le casier judiciaire laissait place au doute ou à plus d’une interprétation, il se devait de laisser au comité de sélection le soin d’en juger.
127 Je conclus donc que, sans faire disparaître le passé, le pardon efface les conséquences pour l’avenir. L’intégrité de la personne réhabilitée est rétablie et elle ne doit pas subir les effets liés à sa condamnation de façon arbitraire ou discriminatoire, ce que tendent à protéger les chartes canadienne et québécoise. C’est vers ces dispositions que je me pencherai maintenant.
5. La protection des chartes canadienne et québécoise
a) L’article
128
L’appelant reconnaît qu’il est possible
d’interpréter les dispositions du Code de déontologie de la magistrature
ainsi que celles du Règlement sur la procédure de sélection des personnes
aptes à être nommées juges, de façon conforme à l’art.
129 D’abord, il estime avoir fait l’objet de discrimination fondée sur ses antécédents judiciaires de la part des membres des trois premiers comités de sélection. Il réfère aux témoignages de certains d’entre eux, le juge Jean-Pierre Bonin et Me Nicole Gibeau, selon lesquels l’existence d’un antécédent judiciaire le disqualifiait pour occuper un poste de juge. De deux choses l’une : ou bien l’appelant fait état de cette situation afin de démontrer la gravité du préjudice qu’il a subi, ou bien il le fait pour contester la pertinence de cette question dans le cadre d’une entrevue ayant pour objectif de recommander des personnes aptes à être nommées juges. Dans la première hypothèse, je souligne que la présente affaire ne constitue pas un procès d’intentions des membres du comité de sélection et que, le cas échéant, notre Cour n’est pas le forum approprié pour se prononcer sur cette question. Dans la seconde, et comme je le mentionnerai dans le cadre de l’analyse du second argument, l’existence d’antécédents judiciaires est un critère pertinent pour déterminer la capacité d’une personne à être nommée juge. Je rejetterais donc ce premier moyen.
130
Dans un deuxième temps, l’appelant prétend que
la décision du ministre de la Justice d’entamer le processus de destitution
conformément à l’art.
131
Dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de
l’Emploi et de l’Immigration),
132
En l’espèce, si la décision du ministre de
déposer une plainte déontologique contre l’appelant est fondée sur la présence
d’antécédents judiciaires, je reconnais que l’appelant a subi une différence de
traitement par rapport à d’autres personnes qui ne présentent pas un tel passé
pénal. Je prends également pour acquis, à nos fins, mais sans toutefois en
décider, que les antécédents judiciaires constituent un motif de discrimination
analogue au sens du par.
b) La Charte québécoise
(i) Le droit à la dignité, à l’honneur et au respect de la réputation, et à la vie privée
133
L’appelant prétend que ses droits à la dignité,
à l’honneur et la réputation et à la vie privée, protégés par les art.
(ii) La protection à l’encontre de la discrimination
134
L’appelant prétend que le dépôt de la plainte
par le ministre de la Justice est fondé sur l’existence de son antécédent
judiciaire alors que l’omission de le révéler n’en a constitué que le
prétexte. Ainsi, il soutient qu’il a été pénalisé dans le cadre de son emploi
du seul fait qu’il a été déclaré coupable d’une infraction criminelle et ce,
même s’il en a obtenu le pardon, le tout contrairement à l’art.
135 Comme le mentionnent les intimées dans leur mémoire, je tiens à souligner d’entrée de jeu que le dépôt de la plainte ne constitue que le déclenchement du processus disciplinaire dont l’appelant fut l’objet en l’espèce. Depuis celle-ci, le comité d’enquête du Conseil de la magistrature ainsi que la Cour d’appel du Québec se sont penchés sur la conduite de l’appelant. Notre Cour, faut-il le rappeler, siège en appel du rapport de la Cour d’appel; il convient donc plutôt d’examiner ces questions sous l’angle des motifs retenus par la Cour d’appel pour justifier sa recommandation de révocation que sous celui de la plainte du ministre de la Justice.
136 D’abord, il s’agit de déterminer si le comité de sélection des personnes aptes à être nommées juges pouvait légalement et sans discrimination poser une question portant sur les démêlés avec la justice de l’appelant. Je suis d’avis que les dispositions de la Charte québécoise ne sont d’aucun secours pour empêcher un employeur, le comité de sélection en fut-il un, de lui poser une telle question au cours d’une entrevue. Comme le souligne la Cour d’appel, la Charte québécoise fait clairement une distinction entre la protection qu’elle confère à l’encontre de la cueillette discriminatoire d’informations et celle à l’encontre de l’utilisation discriminatoire de ces informations.
137
L’article 18.1 prévoit que nul ne peut, lors d’une
entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur
les motifs visés dans l’art. 10 sauf si ces renseignements sont utiles à
l’application de l’art. 20. Premièrement, comme je l’expliquerai plus
loin, il n’est pas certain que la fonction judiciaire soit visée par le terme
« emploi » prévu aux art. 18.1 et 18.2, auquel cas l’appelant ne
bénéficierait d’aucune protection à l’encontre d’une question portant sur ses
antécédents judiciaires dans la Charte québécoise. Puis, si tel était
le cas, les antécédents judiciaires, même pardonnés, ne font pas partie des
motifs énumérés à l’art. 10. Ils ne sont pas non plus compris dans la
notion de condition sociale qui, elle, y figure : voir notamment Commission
des droits de la personne du Québec c. Cie Price Ltée,
138
L’appelant se fonde sur l’existence d’un pardon
pour justifier la réponse négative qu’il a donnée au comité de sélection. Or,
comme je l’expliquais précédemment, le pardon de l’appelant ne lui permettait
pas de nier l’existence de sa condamnation ou encore, de façon plus générale,
ses démêlés avec la justice. Ainsi, ce pardon ne dispensait pas l’appelant de
répondre à la question posée par le comité puisque celui-ci ne rendait pas la
chose non pertinente à l’égard de l’art.
139
À l’audience, le procureur de l’appelant
suggérait également à cette Cour que puisque le ministre de la Justice pouvait
être informé des antécédents judiciaires de l’appelant en faisant appel au
dossier constitué par les forces policières conformément à l’art.
140
Une question demeure : les dispositions de
la Charte québécoise peuvent-elles empêcher la révocation de
l’appelant? L’article 18.2 prévoit que nul ne peut congédier, refuser
d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du
seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou
criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette
personne en a obtenu le pardon. L’application de cet article dépend de la mise
en œuvre de quatre conditions essentielles : (1) un congédiement, un
refus d’embauche ou une pénalité quelconque; (2) dans le cadre d’un emploi; (3)
du seul fait qu’une personne a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou
criminelle; (4) si l’infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si elle en a
obtenu le pardon. Elle dépend également, et avant toute chose, de
l’applicabilité de cette disposition à la fonction judiciaire. À cet égard, la
Cour d’appel soulignait qu’il serait plutôt étonnant que l’interdiction prévue
à l’art.
141
D’abord, dans la mesure où la fonction de juge
constitue un emploi et que l’on puisse en être congédié, il ne fait aucun doute
que l’appelant encourt le risque d’être congédié ou du moins fortement pénalisé
par les recommandations formulées par le Conseil de la magistrature et la Cour
d’appel, de sorte que la première condition est remplie. Cependant, la Cour
d’appel a jugé que la fonction de juge ne constituait pas un emploi au sens où
l’entend l’art. 18.2 et ce, en raison de l’histoire de la magistrature, la
nature, les caractéristiques et les exigences de la fonction. Ces conclusions
sont, en effet, le reflet d’une réalité constitutionnelle propre à la fonction
judiciaire. Celle-ci exige que le juge ne soit soumis à aucune autorité
hiérarchiquement supérieure ou qu’il ne soit lié par aucune relation de
subordination qui caractérise traditionnellement la relation employeur-employé,
mis à part certains aspects administratifs de sa charge comme la répartition du
travail et la fixation des séances de la cour, ainsi que certaines tâches liées
à l’application de la déontologie judiciaire, qui relèvent du juge en
chef : voir art.
142
Le caractère restrictif de l’art.
143 Il s’agit maintenant de déterminer si l’appelant a été congédié du seul fait qu’il a été déclaré coupable d’une infraction criminelle. La plainte déposée par le ministre de la Justice à l’endroit de l’appelant fait état d’une omission de révéler des informations importantes concernant ses démêlés avec la justice et non de l’existence de la condamnation. Le ministre allègue que « le juge Therrien aurait eu des démêlés avec la justice criminelle au début des années 1970 » et « aurait omis de révéler ces informations suite aux questions posées à cet effet par les membres du comité de sélection ». Les membres majoritaires du comité d’enquête, sans qu’ils aient directement abordé la question sous l’angle de l’art. 18.2, ont insisté sur l’obligation de transparence qui incombait à l’appelant lors des entrevues de sélection et ont conclu que cette « réticence, restriction mentale, [ou] rationalisation » minait la confiance du public envers lui. Il ressort finalement de la lecture du rapport de la Cour d’appel que l’omission de l’appelant de révéler l’existence de son antécédent judiciaire ait constitué le seul motif susceptible d’être jugé comme justifiant sa recommandation de destitution. Je partage cette évaluation de la situation; l’omission de l’appelant de révéler l’existence de ses démêlés avec la justice est certes révélatrice pour un comité de sélection appelé à évaluer les qualités et les aptitudes d’un candidat à être nommé juge. Je ne vois aucun autre argument qui ne fut pas examiné par la Cour d’appel et qui me convainc de m’écarter des conclusions tirées par celle-ci. Je conclus donc que les recommandations formulées par le Conseil de la magistrature et la Cour d’appel ne l’ont pas été du seul fait que l’appelant a été déclaré coupable d’une infraction criminelle, mais exclusivement parce que celui-ci a omis de révéler ses antécédents judiciaires au comité de sélection.
144 Finalement, une analyse de la dernière condition me convainc qu’il n’était pas de l’intention du législateur que l’art. 18.2 soit applicable aux juges. Cette condition en comporte en fait deux, distinctes : (a) l’infraction commise n’a aucun lien avec l’emploi ou (b) sans égard à tout lien avec l’emploi, la personne condamnée pour cette infraction en a obtenu le pardon. L’appelant est visé par la seconde situation puisque, le 20 août 1987, le gouverneur général lui a accordé une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire et que la Charte québécoise ne fait aucune distinction entre les différents types de pardons obtenus.
145
La seconde situation semble d’application
absolue. L’obtention d’un pardon, une fois les trois autres conditions
également rencontrées, emporte vraisemblablement une conclusion de
discrimination à l’endroit de son bénéficiaire. En effet, il convient de noter
que l’art. 20, selon lequel une distinction fondée sur les aptitudes ou
qualités requises par un emploi est réputée non discriminatoire, n’est d’aucune
application à l’égard de l’art. 18.2. Disposition à circuit fermé,
l’art. 18.2 contient son propre régime d’exception. Ce mécanisme interne
de justification ferait double emploi avec celui contenu à l’art.
20
.
Voir C. Brunelle, « La Charte québécoise et les sanctions de l’employeur
contre les auteurs d’actes criminels œuvrant en milieu éducatif »
6. Le choix de la sanction appropriée
146
La plainte déposée à l’encontre de l’appelant
lui reproche d’avoir omis de révéler qu’il avait eu des démêlés avec la justice
dans les années 70 à la suite de questions posées à cet effet par les membres
du comité de sélection des personnes aptes à être nommées juges. Ce faisant,
il aurait manqué à son devoir de préserver l’intégrité et l’indépendance de la
magistrature ainsi qu’à celui de remplir son rôle avec dignité et honneur
conformément à l’art.
147 La précieuse confiance que porte le public envers son système de justice et que chaque juge doit s’efforcer de préserver est au cœur du présent litige. Elle en délimite les moindres contours et en dicte l’ultime conclusion. Aussi, avant de formuler une recommandation de destitution à l’endroit d’un juge, doit-on se demander si la conduite qui lui est reprochée porte si manifestement et si totalement atteinte à l’impartialité, à l’intégrité et à l’indépendance de la magistrature qu’elle ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice et rend le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge (Friedland, op. cit., p. 89-91).
148
Dans l’application de ce critère à la situation
de l’appelant, on ne saurait ignorer le contexte dans lequel cette procédure
disciplinaire s’inscrit. D’abord, et comme je le mentionnais en introduction à
cette partie des motifs, le législateur a choisi de confier l’importante
responsabilité de déterminer si la conduite d’un juge de cour provinciale
justifiait une recommandation de révocation de ses fonctions en exclusivité à
la Cour d’appel en vertu de l’art.
149 Par ailleurs, on ne saurait passer sous silence le fait que la situation de l’appelant constitue une affaire sans précédent à plusieurs égards. Non seulement la fréquence avec laquelle des procédures pouvant ultimement mener à la destitution d’un juge sont engagées est-elle tout à fait exceptionnelle, mais également les gestes qui lui sont reprochés ont été posés dans un contexte très particulier. En effet, l’omission de l’appelant de révéler l’existence de sa condamnation a eu lieu dans le cadre du processus de sélection des personnes aptes à être nommées juges et non dans l’exercice de ses fonctions en tant que juge. Cette distinction n’est pas sans importance en regard de l’application de principes fondamentaux en matière d’indépendance judiciaire. Comme je le mentionnais précédemment, la Constitution canadienne protège l’inamovibilité de fonction des membres de la magistrature en s’assurant qu’ils demeurent à l’abri de toute intervention arbitraire de l’exécutif. Alors qu’un examen des gestes posés par le juge, en tant que juge, comporte un risque élevé d’intervention de l’exécutif dans l’accomplissement de la fonction judiciaire et peut mettre en cause l’indépendance de la magistrature, une étude des circonstances entourant sa nomination et plus particulièrement des déclarations de ce juge alors qu’il n’était encore qu’un candidat, suscite moins d’inquiétudes à cet égard. En l’espèce, au-delà de sa compétence à exercer la fonction, ce sont les qualifications de l’appelant à être nommé juge qui sont remises en question. Or, la nomination d’un juge témoigne de la confiance mise en sa personne : Ruffo, précité, par. 106. Il s’agissait ainsi pour la Cour d’appel de déterminer si le fait que l’appelant ait manqué de transparence et omis de révéler des informations pertinentes, alors qu’il était candidat au poste de juge a porté atteinte à cette marque de confiance.
150 Il ressort clairement de la lecture du rapport de la Cour d’appel que celle-ci a fait une étude approfondie et une appréciation nuancée de la situation de l’appelant. Elle a centré sa décision sur le maintien de l’intégrité de la fonction judiciaire dont nous ne pouvons que convenir. Dans ces circonstances, et eu égard aux faits qu’elle constitue le forum judiciaire désigné par le législateur pour se prononcer sur la conduite d’un juge et qu’une recommandation de destitution en l’espèce ne saurait équivaloir à une intervention arbitraire de l’exécutif dans l’exercice de la fonction judiciaire, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de revenir sur le choix de la sanction imposée par la Cour d’appel. La conduite de l’appelant a suffisamment ébranlé la confiance de la population pour le rendre incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge. Ainsi, la recommandation de révocation de la commission de l’appelant est la conclusion qui s’impose.
151 En terminant, je dirai que je n’arrive pas à cette conclusion sans avoir pris conscience du fait que cette affaire représentait, en quelque sorte, une invitation pour la société à se dépasser. La réhabilitation accordée à l’appelant constitue un geste de générosité, de fraternité, mais aussi de justice posé par la société. Il est certes souhaitable que de tels gestes soient valorisés et encouragés. Par ailleurs, on ne saurait ignorer le rôle unique incarné par le juge dans cette même société, ainsi que l’extraordinaire vulnérabilité du justiciable qui se présente devant lui, alors qu’il cherche à faire déterminer ses droits ou encore, alors que sa vie ou sa liberté est en jeu. Ce justiciable a, avant toute chose, le droit à ce que justice soit rendue à son égard et que se dégage une perception à cet effet dans la population en général, de telle sorte que l’on ne saurait lui imposer un tel acte de générosité. Dans les circonstances particulières de cette affaire, les valeurs de pardon et de dépassement de soi doivent donc céder le pas à celles de la justice et de son importante intégrité.
VI. Dispositif
152 Les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes :
1. La règle de droit - adoptée
en 1941 (Loi modifiant la Loi des tribunaux judiciaires, S.Q. 1941,
ch. 50, art. 2, sanctionnée le 17 mai 1941) et actualisée par
l’art.
Réponse : Non.
2. S’il doit être répondu
négativement à la première question, la règle de droit contenue à
l’art.
Réponse : Non.
153 Pour les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis de rejeter le présent pourvoi, de confirmer les décisions de la Cour d’appel ayant statué sur les requêtes en irrecevabilité ainsi que le rapport de la formation d’enquête de la Cour d’appel, le tout sans frais.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelant : Hébert, Bourque & Downs, Montréal.
Procureurs de l’intimée la ministre de la Justice : Goodman, Phillips & Vineberg, Montréal.
Procureurs de l’intimée la procureure générale du Québec : Bernard, Roy & Associés, Montréal.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Le procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau-Brunswick : Le procureur général du Nouveau-Brunswick, Fredericton.
Procureurs des intervenants l’Office des droits des détenus et l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec : Grey Casgrain, Montréal.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.