Autobus Idéal inc. |
2014 QCCLP 1855 |
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[1] Le 16 juillet 2013, la compagnie Autobus Idéal inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 13 juin 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 15 avril 2013 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 30 septembre 2011.
[3] À l’audience tenue le 14 février 2014, l’employeur était présent et dûment représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit à un transfert du coût des prestations pour la période débutant le 22 février 2012 ou au plus tard le 15 mars 2012 jusqu’au 14 mai 2012, période qui doit être imputée aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert des coûts demandé.
[6] Le travailleur occupe le poste de chauffeur lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 30 septembre 2011. À cette date, il glisse dans l’escalier de l’autobus et fait une chute sur le dos. Sa réclamation est acceptée en raison des diagnostics d’entorse cervicale et d’entorse lombaire. Le travailleur est dirigé pour des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie avec un arrêt de travail complet.
[7] Selon les notes évolutives et les documents au dossier, plusieurs tentatives d’assignation temporaire ont été effectuées par l’employeur, mais toujours refusées par le médecin traitant.
[8] Alors qu’il est toujours en arrêt de travail, en suivi médical, et que les traitements de physiothérapie se poursuivent, le travailleur subit une intervention chirurgicale à l’œil gauche pour une cataracte et un glaucome le 15 mars 2012. À la suite de cette intervention, il consulte son médecin chaque semaine pour le suivi post-opératoire. L’arrêt de travail complet est maintenu et le travailleur ne peut effectuer ses traitements. Selon l’ophtalmologiste, il doit être au repos complet. Il ne peut, par ailleurs, conduire son automobile et c’est la raison pour laquelle il a dû annuler la visite médicale du 21 mars 2012 qui était en lien avec sa lésion professionnelle. Durant la période post-chirurgie à l’œil gauche et alors qu’il est sans traitements de physiothérapie et d’ergothérapie, soit du 15 mars 2012 au 15 avril 2012, les documents au dossier nous informent que le travailleur est toujours souffrant et symptomatique en raison de sa lésion professionnelle.
[9] Les traitements de physiothérapie ont repris le 26 avril 2012.
[10] Le 14 mai 2012, le médecin du travailleur précise que le diagnostic est celui d’entorse cervicale sur discopathie et d’entorse lombaire. Il poursuit la physiothérapie et l’ergothérapie. Le 13 août 2012, le même médecin reprend les diagnostics initialement retenus et constate que le travailleur manque de tolérance à l’effort et de force. Il cesse la physiothérapie et l’ergothérapie. Il dirige le travailleur en réadaptation et demande une évaluation par le Bureau d’évaluation médicale.
[11] Le 5 octobre 2012, le médecin du travailleur autorise une assignation temporaire à compter du 4 octobre 2012.
[12]
Le 8 novembre 2012, le travailleur est expertisé, à la demande de la
CSST, en vertu de l’article
[13] Le dossier est dirigé au Bureau d’évaluation médicale et c’est le docteur Daniel Shedid qui examine le travailleur le 17 janvier 2013 et qui signe un avis le 6 février 2013. Il précise que le travailleur a été opéré en 1995 pour une hernie discale et qu’il a eu une entorse et une contusion lombaires en 2004. Depuis ces deux événements, il est porteur d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. Il consolide la lésion professionnelle, soit l’entorse cervicale et l’entorse lombaire, le 8 novembre 2012 avec suffisance de traitements à cette date. Il maintient l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles antérieures au niveau lombaire.
[14]
Le tribunal doit donc déterminer si l’employeur a droit, pour la période
débutant le 22 février 2012 ou le 15 mars 2012 jusqu’au 14 mai 2012, à un
transfert du coût des prestations, selon l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[15] L’employeur ne demande pas un transfert total du coût, mais un transfert partiel au motif que les coûts dont il demande le transfert ne sont pas dus « en raison » de l’accident du travail.
[16]
Récemment, la Commission des lésions professionnelles a fait une revue
de l’évolution de la jurisprudence concernant l’article
[97] À la lumière de cette revue jurisprudentielle, dans un souci de cohérence et de respect de l’objet même de la loi et des différentes dispositions qui la composent, la Commission des lésions professionnelles s’interroge sur la voie majoritairement retenue jusqu’à maintenant, dans l’analyse des demandes de transfert partiel d’imputation déposées par les employeurs, notamment en vertu de l’émergence de décisions récentes considérant le régime de financement auquel est assujetti un employeur pour déterminer si un employeur est obéré injustement.
[98] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal considère qu’une telle façon de faire semble s’éloigner de l’intention du législateur et comporte plusieurs variables peu définies qui influent directement sur l’issue du litige.
[99] Par conséquent, il apparaît nécessaire de
s’interroger sur l’intention réelle du législateur lorsqu’il a édicté le
principe général d’imputation au premier alinéa de l’article
[100] Pour y parvenir, il est essentiel de revenir à
l’analyse contextuelle globale de la loi qui fait ressortir que le principe
général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article
[101] Cependant, lorsqu’une partie de ces coûts est générée par une situation étrangère n’ayant pas de lien direct avec la lésion professionnelle, comme c’est notamment le cas du congédiement ou encore de la condition intercurrente ou personnelle interrompant une assignation temporaire, est-il justifiable que ces sommes demeurent imputées au dossier de l'employeur?
[102] Dans de telles circonstances, ne serait-ce pas le
premier alinéa de l’article
[103] En vue de se prononcer à cet égard, le tribunal a
analysé le libellé même de l’article
[104] Le deuxième alinéa de l’article
[105] Or, si l’on compare le libellé de cet alinéa à celui
de l’article
[106] D’ailleurs, dans
l’affaire Les Systèmes Erin ltée27, la Commission des lésions professionnelles s’est penchée sur la portée du deuxième alinéa de
l’article
[26] Finalement,
il importe de souligner que l’article
[27] Cela implique, comme dans le cas de l’article 327, qu’il y a transfert de coût et non partage, comme c’est le cas en application des articles 328 et 329. Cette dernière disposition prévoit que la CSST « peut [...] imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités » alors que l’article 326 prévoit que la CSST « peut [...] imputer le coût des prestations [...] aux employeurs [...] ». Ainsi, lorsqu’il y a matière à application de l’article 326 alinéa 2, la totalité du coût des prestations ne doit plus être imputée à l’employeur, un transfert devant être fait : il ne saurait être question de ne l’imputer que d’une partie du coût. C’est, en quelque sorte, tout ou rien.
[28] D’ailleurs, lorsqu’il est question d’un accident du travail attribuable à un tiers, la totalité du coût des prestations est toujours transférée ; il n’est jamais question de partage ou de transfert du coût pour une période donnée.9 Il a d’ailleurs déjà été décidé à plusieurs reprises qu’il devait obligatoirement en être ainsi.
[29] Étonnamment, lorsqu’il est question d’éviter que l’employeur soit obéré injustement, un transfert du coût des prestations pour une période donnée, soit un transfert d’une partie seulement du coût total, a régulièrement été accordé, sans, par contre, qu’il semble y avoir eu discussion sur cette question.10
[30] Avec respect pour cette position, la commissaire soussignée ne peut la partager, pour les motifs exprimés précédemment. Il en va des cas où l’on conclut que l’employeur serait obéré injustement comme de ceux où l’on conclut à un accident attribuable à un tiers : l’employeur ne saurait alors être imputé ne serait-ce que d’une partie du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail.
[31] Il importe cependant de préciser qu’il est possible, en application de l’article 326 (mais alinéa 1), de ne pas imputer à l’employeur une partie du coût des prestations versées au travailleur, pour autant que cette partie du coût ne soit pas due en raison de l’accident du travail. Un bon exemple de cette situation est la survenance d’une maladie personnelle intercurrente (par exemple, le travailleur fait un infarctus, ce qui retarde la consolidation ou la réadaptation liée à la lésion professionnelle) : les prestations sont alors versées par la CSST, mais comme elles ne sont pas directement attribuables à l’accident du travail elles ne doivent, par conséquent, pas être imputées à l’employeur. L’article 326, 1er alinéa prévoit en effet que c’est le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail qui est imputé à l’employeur.
9 Voir notamment : General Motors du Canada ltée
et C.S.S.T.
10 Ville de St-Léonard et C.S.S.T. C.A.L.P.
[nos soulignements]
[107] La soussignée souscrit au raisonnement et aux motifs
retenus dans cette décision de même qu’à l’interprétation qui en est faite du
second alinéa de l’article
[108] De plus, un autre élément permet au tribunal de
conclure que le deuxième alinéa de l’article
[109] En effet, le législateur a spécifiquement prévu que l'employeur doit présenter sa demande dans l’année suivant la date de l’accident. Ceci s’explique, de l’avis du tribunal, par le fait que les demandes de transfert total de coûts visent généralement des motifs liés à l’admissibilité même de la lésion professionnelle. C’est clairement le cas à l’égard des accidents attribuables à un tiers et le libellé même de cet alinéa ne permet pas de croire qu’il en va autrement à l’égard de la notion d’obérer injustement. D’autant plus que l’application de ce deuxième alinéa à des demandes de transfert partiel a donné lieu à des interprétations variées de cette notion « d’obérer injustement » et mené à une certaine « incohérence » relativement à l’interprétation à donner à cette notion et à la portée réelle de l’intention du législateur.
[110] La soussignée est d’opinion que le législateur
visait clairement, par les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de
l’article
[111] Ceci semble d’autant plus vrai que la plupart des
demandes de transfert total de coûts, liées principalement à l’interruption de
l’assignation temporaire ou à la prolongation de la période de consolidation en
raison d’une situation étrangère à l’accident du travail, surviennent
fréquemment à l’extérieur de cette période d’un an puisqu’elles s’inscrivent au
cours de la période d’incapacité liée à la lésion professionnelle. Il s’agit
donc là d’un autre élément militant en faveur d’une interprétation selon
laquelle les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article
[…]
[122] À la lumière des définitions énoncées plus haut et
des décisions auxquelles il est fait référence, le tribunal est d’avis que
l’utilisation du terme « due en raison d’un accident du travail » que
l’on retrouve au premier alinéa de l’article
[123] Ainsi, toute prestation imputée qui n’est pas due en raison d’un accident du travail devrait être retirée du dossier financier de l’employeur.
[…]
[131] En résumé, le tribunal retient de son analyse que
l’exception au principe général d’imputation prévue au deuxième alinéa de
l’article
[132] Par ailleurs, les demandes de transfert partiel de
coûts doivent plutôt être analysées en vertu du premier alinéa de
l’article
[…]
27 Précitée, note 26.
[17] L’approche adoptée par le tribunal dans l’affaire Supervac 2000[3] est de plus en plus suivie et apparaît être le courant majoritaire au sein du tribunal[4].
[18] Le représentant de l’employeur soumet que l’arrêt des traitements et du suivi médical, en raison de l’intervention chirurgicale à l’œil gauche, a eu pour effet de prolonger la période de consolidation.
[19] La Commission des lésions professionnelles ne peut, avec respect, retenir l’argument de l’employeur et faire droit à sa requête.
[20] D’abord, il n’y a aucun élément qui démontre que les prestations sont dues à une raison personnelle à compter du 22 février 2012. L’intervention chirurgicale est survenue le 15 mars 2012. Ce n’est pas parce que le travailleur a été sans suivi médical depuis le 23 février 2012 que les prestations n’étaient pas, entre le 22 février 2012 et le 15 mars 2012, dues en raison de la lésion professionnelle.
[21] La Commission des lésions professionnelles est aussi d’avis qu’il n’est pas démontré que les prestations, que ce soit les indemnités de remplacement du revenu ou les frais découlant de la lésion professionnelle, n’étaient pas dus en raison de cette lésion professionnelle du 15 mars 2012 au 14 mai 2012.
[22] Durant la période pertinente, le travailleur était toujours souffrant, symptomatique, non consolidé et sans autorisation de travaux légers ou d’assignation temporaire par ses médecins traitants. Il était en arrêt de travail complet.
[23] Par ailleurs il n’y a, dans les documents médicaux au dossier, aucune référence ou mention justifiant la requête de l’employeur. Aucune explication de nature médicale n’est fournie pour démontrer que l’arrêt des traitements, jusqu’au 26 avril 2012, a eu pour effet de prolonger la période de consolidation de la lésion professionnelle. La lésion professionnelle n’a pas été consolidée avant le 8 novembre 2012.
[24] Avec respect pour les représentations faites à l’audience, il n’est pas suffisant d’alléguer qu’il y a eu impact. Cet impact doit être démontré, soit que les prestations ne sont pas dues en raison de la lésion professionnelle. Il n’y a aucune telle preuve en l’espèce.
[25]
La Commission des lésions professionnelles a bien pris connaissance de
la jurisprudence produite par l’employeur[5]. Chaque cas est un cas
d’espèce, et en plus, la jurisprudence ne s’apparente pas aux circonstances du
présent dossier. En l’espèce, la demande doit être analysée en vertu du premier
alinéa de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Autobus Idéal inc., l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 13 juin 2013 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que Autobus Idéal inc. doit être imputé du coût des prestations pour l’accident du travail survenu le 30 septembre 2011, incluant le coût des prestations du 15 mars 2012 au 14 mai 2012.
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Sylvie Arcand |
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M. Yves Brassard |
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ASSOCIATION DU TRANSPORT ÉCOLIER DU QUÉBEC |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] 2013 QCCLP 6341, révision pendante.
[3] Précitée, note 2.
[4] Provigo Distribution
(Division Maxi),
[5] Les viandes du Breton inc. et Commission de la
santé et de la sécurité du travail - Bas St-Laurent C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.