Paquette c. Commission de la fonction publique |
2015 QCCS 6227 |
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COUR SUPÉRIEURE (Chambre administrative) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT |
DE QUÉBEC |
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N° : |
200-17-022660-153 |
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DATE : |
17 DÉCEMBRE 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CLÉMENT SAMSON, j.c.s. |
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ÉLISE PAQUETTE |
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Demanderesse |
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c. |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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Défenderesse |
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et |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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Mise en cause |
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JUGEMENT EN RÉVISION JUDICIAIRE |
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[1] La décision rendue le 15 janvier 2015 par la défenderesse, la Commission de la fonction publique (CFP) siégeant en révision, cassant une décision qu’elle a rendue en première instance en octobre 2013 doit-elle faire l’objet d’une révision judiciaire par ce Tribunal?
[2] Après plusieurs années de services rendus dans la fonction publique québécoise, dont les dernières à titre de cadre, la demanderesse, Madame Élise Paquette, se voit imposer le 23 septembre 2013 par sa supérieure immédiate un changement de poste ou relocalisation.
[3] Le 17 octobre 2013, elle conteste auprès de la CFP cette décision de relocalisation[1] : elle considère cette décision abusive puisqu’elle constituerait une mesure disciplinaire déguisée. De plus, autre motif d’appel, elle considère que sa réputation est entachée par la façon dont la décision lui a été communiquée; le ton et la manière constitueraient une réprimande.
[4] Le 10 décembre 2014, suite à une audition de 5 jours, le commissaire Me Robert Hardy, conclut que « l’affectation, par le Ministère de la Santé et des Services sociaux, de Mme Paquette à un nouvel emploi au ministère n’a pas été en soi une mesure disciplinaire déguisée », mais «DÉCIDE que la façon dont le MSSS a retiré Mme Paquette de son emploi de directrice au Secrétariat aux aînés constitue une mesure disciplinaire déguisée, de la nature d’une réprimande administrée de façon non conforme au droit applicable ». À ce dernier égard, le commissaire réserve le droit de la demanderesse de s’adresser à la CFP pour des mesures correctrices.
[5] Le 15 janvier 2015, avant même que ce dossier, en regard de ce dernier aspect, ne revienne auprès de la CFP, le ministère de la Santé et des Services sociaux demande la révision de cette décision auprès de la CFP siégeant en révision.
[6] Le 9 juillet 2015, la CFP, sous la plume de la commissaire Me Nour Salah, annule la conclusion que « l’annonce de l’affectation à Mme Paquette à une autre direction (…) constitue une mesure disciplinaire déguisée ».
[7] La demande de révision judiciaire formulée à ce Tribunal vise à réviser cette dernière décision et rétablir la deuxième conclusion du commissaire Hardy.
[8] Les faits ne sont pas contestés et l’interprétation de ceux-ci fait largement l’objet de la décision du commissaire Hardy.
[9] L’application de la norme de la décision raisonnable est admise par les parties; elle doit diriger le Tribunal dans son analyse.
[10] La demanderesse soutient que la commissaire Salah n’a pas fait preuve de retenue en regard de la décision du commissaire Hardy et que son raisonnement n’est pas respectueux du droit applicable. La Procureure générale du Québec, au nom du ministère de la Santé et des Services sociaux, conteste.
[11] Avant d’analyser plus en détails la décision de la commissaire Salah, il convient de prendre un peu de recul pour rappeler d’abord le rôle de cette Cour et ensuite rappeler ceux de la CFP, en première instance et en révision.
[12] L’étroit canal d’une révision judiciaire a été tracé par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir[2]. Le Tribunal doit faire preuve de déférence, savoir « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l'appui d'une décision » :
« [47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »
[13] S'il est vrai que la déférence est de mise en présence d'une clause privative[3], cela est encore plus vrai lorsque le Tribunal est spécifiquement confronté à une décision en droit du travail[4].
[14] Avant de discuter du rôle de révision d’un tribunal administratif, il convient de visiter le pouvoir de la CFP.
[15] Le rôle de la CFP est notamment de contrôler le caractère impartial et équitable de décisions prises en droit du travail en regard des fonctionnaires de l’état québécois. Aux fins de remplir sa mission, la CFP bénéficie de larges pouvoirs[5], dont celui notamment d’annuler une mesure disciplinaire imposée à un fonctionnaire.
[16] Il survient des événements qui n’ont pas la forme d’une mesure disciplinaire, mais qui, cachés sous le couvert d’une mesure administrative, n’en ont pas moins les attributs, auquel cas la CFP a juridiction. Puis, comme le rappelle la jurisprudence, il n’est pas toujours évident de départager la mesure administrative de la mesure disciplinaire[6], d’où une raison supplémentaire du Tribunal de faire preuve de déférence.
[17] Une mesure disciplinaire peut être soit une réprimande, une suspension ou un congédiement[7]. Règle générale, l’imposition d’une mesure disciplinaire, lorsqu’elle est reconnue comme telle par l’employeur, se fait à travers des écrits qui laissent des traces au dossier du commis de l’état. À l’inverse, lorsque la mesure disciplinaire se cache sous les traits d’une mesure administrative, il n’y a évidemment pas de trace écrite à cet égard.
[18] Ainsi donc, le commissaire qui entend les témoins et étudie la preuve documen-taire a un rôle primordial : celui d’établir s’il y a ou non mesure disciplinaire et si oui, à la lumière des faits reprochés, de s’assurer que la mesure est fondée ou qu’elle respecte le processus qui aurait permis au fonctionnaire de faire valoir son point de vue.
[19] Par la suite, à l’instar des tribunaux de droit commun d’appel, les tribunaux d’appel administratifs ou de révision doivent bien souvent faire preuve de réserve plus ou moins importante. Le décideur doit alors préférer l’appréciation des faits par celui ou celle qui a pu directement entendre la preuve. Puisque la CFP a pour mission de réviser ses propres décisions, son pouvoir de révision est donc encadré et limité.
[20]
Pour les fins de ce dossier, les parties identifient le pouvoir de
révision de la CFP attribué par l’alinéa 3 de l’article
« 123. Une décision de la Commission doit être rendue par écrit et motivée. Elle fait partie des archives de la Commission.
La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu'elle a rendue:
(…)
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3° du deuxième alinéa, la décision ne peut être révisée ou révoquée par le membre qui l'a rendue. »
[21] La notion de « vice de fond ou de procédure » sur laquelle se fonde la révision devant la commissaire Salah a été circonscrite par la jurisprudence comme un vice devant être « sérieux et fondamental »[8], au point de rendre la décision invalide[9]. Plus récemment, les tribunaux ont estimé que pareille faiblesse doit correspondre à la notion de « entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige »[10].
[22] C’est dire que, dans la présente affaire, la commissaire Salah devait même faire preuve de réserve en regard de l’interprétation de la loi que fait le commissaire Hardy. Sur cet aspect, il est utile de rappeler que :
« L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique» mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter» un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. »[11]
(références omises)
[23] Le rôle réservé au décideur de première instance d’interpréter la preuve et de conclure suivant la loi est même admis par la CFP qui, en révision en 2014, a elle-même formulé cette réserve :
« [7] Au sujet du vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision, les tribunaux supérieurs ont établi que le pouvoir du tribunal à cet égard n’équivaut pas à un droit d’appel et qu’il ne saurait être une invitation à substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle du premier décideur, ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments. Le pouvoir de révision interne est un pouvoir de redressement ou de réparations de certaines irrégularités ou d’erreurs commises à l’égard d’une première décision afin qu’elle soit conforme à la loi. L’erreur identifiée dans la première décision doit être suffisamment fondamentale et sérieuse pour invalider la décision. »[12]
[24] À la lumière de ces précisions, examinons d’abord le raisonnement du commissaire Hardy.
[25] Au terme d’une analyse présentée en 270 paragraphes, le commissaire Hardy livre sa première des deux conclusions : il décide que la relocalisation de la demanderesse est de nature administrative :
« [271] En conclusion, le procureur du MSSS évoque l’intérêt supérieur de l’État, qu’il fallait que le SA[13] poursuive ses activités dans un climat de confiance. Mme Paquette n’a pas pris l’ultime chance de le rétablir et d’adhérer à ce qui lui était proposé. La preuve a démontré que la décision de relocaliser Mme Paquette était celle qu’il fallait prendre. Il s’est agi d’une mesure administrative qui échappe à la compétence de la Commission et celle-ci doit rejeter l’appel. »
[26] La deuxième section de cette décision porte sur la deuxième partie de la plainte formulée, savoir la forme utilisée par la supérieure immédiate de la demanderesse qui l’a informée de sa relocalisation. Pour saisir la portée de cette seconde décision faisant l’objet du présent jugement, il convient de reproduire certains passages qui mènent à cette conclusion :
« [304] La Commission est d’avis que les événements survenus le 23 septembre 2013, comportent suffisamment d’éléments pour conclure que la rencontre, à laquelle Mme Paquette a été conviée en fin d’après-midi ce jour-là, a été l’occasion de lui administrer une mesure disciplinaire déguisée, de la nature d’une réprimande, servie à l’occasion de l’annonce qu’elle allait être affectée à un nouvel emploi. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission retient les facteurs suivants.
[305] Tout au long de son témoignage, Mme Ferembach a ponctué ses réponses de références à des consultations de la DRH qui précédaient les décisions qu’elle prenait par rapport à Mme Paquette. À au moins huit reprises, elle les a justifiées de cette manière, alors que pour la plus importante, celle qui devait mettre un point final à sa relation de bureau avec sa directrice, elle ne s’est pas enquise de la manière qui serait la plus appropriée de procéder.
[306] La Commission ne comprend pas que la prudence habituelle aussi marquée ait laissé place à une attitude incompatible avec ce qui aurait dû être une mesure administrative.
[307] L’analyse par la Commission des faits mis en preuve et son interprétation des gestes posés à l’endroit de Mme Paquette mènent à conclure que l’annonce qu’elle était déplacée de son poste et qu’elle devait quitter son emploi sur le champ, telle qu’elle lui a été présentée, comportait quelque chose de malvenu dans la façon d’exécuter l’intention première du ministère qui devait être simplement de l’affecter à d’autres fonctions.
[308] Le droit d’affecter des cadres selon les besoins du service est total, mais les cadres ne sont pas des pièces qu’on peut déplacer sans aucun ménagement ou sans explications fournies de manière raisonnable. La façon de le faire ne doit pas laisser place à des actions comportant des aspects jusqu’à un certain point infamants, susceptibles de laisser croire, à la principale intéressée ou aux personnes témoins ou informées de ce qui lui arrive, qu’elle a dû poser des gestes condamnables, à « blâmer avec rigueur » comme nous dit le dictionnaire.
[309] Cela a été malheureusement le cas dans cette affaire.
(…)
[311] Pourquoi Mme Paquette devait-elle quitter le SA sur le champ, vider son bureau le soir-même, remettre son téléphone et sa carte d’accès avant de quitter la place, sans avoir l’occasion de rencontrer son personnel ou d’annuler ses rendez-vous des prochains jours? Il n’était pas nécessaire que le déplacement des affaires personnelles de Mme Paquette, sur une chaise à roulettes, soit constaté par plus d’une ou quelques personnes pour que la première intéressée se sente atteinte dans sa dignité par la manière qu’elle était tenue de quitter les lieux. Ce qui a été le cas.
(…)
[321] Dans ce cas-ci, ce qui a entouré l’administration de ce qui devait être une simple mesure administrative a constitué globalement un acte excessif et déraisonnable.
[322] Le MSSS considère que ce qui s’est produit à l’occasion de l’annonce à Mme Paquette qu’elle allait être affectée à un nouvel emploi, ne devait pas entrer dans le prisme de la décision de la Commission, car cela ne faisait pas partie de ce qui lui était demandé d’analyser. La Commission n’est pas d’accord. Des trois paragraphes de l’appel qui décrivent les faits reprochés, un s’en prend à la nouvelle affectation, soit lorsque Mme Paquette dit qu’elle a été évincée de ses fonctions. Mais les deux paragraphes suivants dénoncent les conditions dans lesquelles cette annonce lui a été faite.
[323] Mme Paquette ne conteste pas le droit du MSSS d’affecter un cadre à un emploi différent, mais bien davantage la façon dont on l’a déplacée de son poste.
(…)
[330] De plus, la Commission considère que Mme Paquette a repoussé le fardeau de la preuve qui lui revenait : elle a démontré que les conditions dans lesquelles elle a été placée, lors de l’annonce qu’elle serait affectée ailleurs, dépassaient largement le seuil du raisonnable, signifiaient des reproches et visaient à la punir. D’où la conclusion de la Commission qu’il s’est agi d’une mesure disciplinaire déguisée, qui doit être annulée pour la forme puisqu’aucune pièce en témoignant n’a, il va de soi, été versée dans son dossier d’employée.
[331] Par ailleurs, relativement aux suites de cette conclusion, la Commission retient aussi de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Standard Broadcasting, qu’elle y précise, en citant un autre de ses arrêts, que tout préjudice résultant d’un congédiement n’est pas indemnisable, car une telle mesure provoque des effets traumatisant, inquiétude, anxiété, stress, qui découle de la mesure elle-même, « nécessairement de l’exercice d’un droit ». Pour être indemnisé, un préjudice doit être « la conséquence d’un acte fautif de l’employeur et non l’effet courant et ordinaire du congédiement lui-même ».
[332] Toutefois, il ne convient pas de pousser plus loin immédiatement l’analyse de la portée des différents gestes posés à l’endroit de Mme Paquette pour déterminer l’ampleur du préjudice qu’elle estime avoir subi. La Commission n’oublie pas, par exemple, l’attention qui a été portée, postérieurement au 23 septembre, au règlement de la situation difficile vécue par Mme Paquette. Cela est du domaine de l’évaluation du préjudice sur laquelle les parties présenteront leur position respective au moment des suites, le cas échéant, à donner à cette affaire. Il suffit pour l’instant de constater qu’une mesure disciplinaire déguisée a été administrée à Mme Paquette, tel qu’exposé précédemment. »
[27] Par conséquent, deuxième conclusion : seule « la façon dont le MSSS a retiré Mme Paquette de son emploi de directrice au Secrétariat aux aînés constitue une mesure disciplinaire déguisée, de la nature d’une réprimande administrée de façon non conforme au droit applicable ».
[28] En révision de la deuxième conclusion de la décision du commissaire Hardy, la commissaire Salah résume correctement les faits à la base de sa décision pour ensuite établir qu’elle doit répondre à trois questions.
[29] Premièrement, elle se demande si la décision de relocaliser la demanderesse peut être dissociée de l’annonce qui lui en est faite. Répondant négativement à ce questionnement, la commissaire Salah conclut que le commissaire Hardy a perdu juridiction en affirmant que la relocalisation est une mesure administrative. Partant, il ne pouvait statuer sur l’abus de droit dont avait été victime la demanderesse. Toutes ces questions sont interreliées et ont trait à l’inclusion de la façon d’annoncer la décision à la décision elle-même.
[30] La commissaire Salah résume ainsi sa décision en regard de celle de son collègue Hardy : « le commissaire Hardy ne peut alors déterminer que l’annonce de l’affectation était de la nature d’une mesure disciplinaire du type d’une réprimande administrée de façon non conforme ».
[31] Pour en venir à cette conclusion, la commissaire Salah écrit :
« Il ne base ses affirmations sur aucun fondement juridique et n’explique nullement l’étonnante logique d’un tel raisonnement. Cette qualification apparaît à la Commission en révision totalement arbitraire et déraisonnable. »
[32] Or, pour être exact, le commissaire Hardy se fonde sur l’arrêt Banque nationale c. Soucisse [14] de la Cour suprême et Standard Broadcasting[15] de la Cour d’appel : on peut exercer un droit, mais le faire d’une manière excessive peut entraîner la responsabilité de celui qui l’exerce.
[33] Alors que le commissaire Hardy condamne la façon avec laquelle s’est prise la supérieure immédiate, la commissaire Salah prétend que son collègue annule pour la « forme » la mesure disciplinaire ainsi déguisée :
« En effet, le commissaire Hardy va jusqu’à annuler pour la forme la mesure disciplinaire déguisée, puisqu’aucune pièce en témoignant n’a été versée dans le dossier d’employée de Mme Paquette.»
[34] Avec égards, le Tribunal est d’avis que le commissaire Hardy n’a pas annulé pour la forme la mesure disciplinaire déguisée; tout en maintenant la décision de la relocalisation, il a condamné la forme de son annonce.
[35] Quant au fait qu’il n’y a pas de trace laissée au dossier de la demanderesse, ce qui est vrai, il n’en demeure pas moins dans l’esprit du commissaire Hardy que la façon de faire constitue un « acte excessif et déraisonnable ».
[36] Le raisonnement de la commissaire Salah l’amène à souscrire à la position de l’employeur :
« [26] Aussi, la Commission en révision abonde dans le même sens que le requérant et se demande pourquoi le MSSS aurait voulu réprimander verbalement l’intimée si l’affectation n’a pas été jugée comme étant une punition ou une mesure disciplinaire déguisée. De ce fait, il ne fait aucun doute pour la Commission en révision, que le commissaire Hardy a commis une erreur manifeste et déterminante qui est de nature à invalider en partie sa décision. »
[37] Sous cet aspect, la commissaire Salah a en partie raison de résumer ainsi cette question. On peut se demander pourquoi, de fait, l’employeur a réprimandé la demanderesse lors de l’annonce de sa relocalisation. Le commissaire Hardy n’a pas commis d’erreur de fait en concluant que ce comportement de l’employeur est à ses yeux répréhensible.
[38] Ne reconnaissant pas que l’annonce puisse être en soi un acte autonome répréhensible perçue comme « une réprimande » par le commissaire Hardy, la commissaire Salah estime que l’annonce d’une relocalisation entraîne des conséquences inhérentes. Pour elle, la décision de la relocalisation et son annonce forment donc un tout.
[39] Cela amène la commissaire Salah à conclure ainsi :
« [33] Ainsi, le commissaire Hardy, dans une logique que la Commission en révision ne peut approuver, a erré en distinguant les deux mesures et commet donc une erreur manifeste et déterminante de nature à invalider sa décision à cet égard. »
[40] Considérant que le commissaire Hardy avait épuisé sa compétence en concluant à la mesure administrative, la commissaire Salah est d’avis que son collègue ne pouvait se prononcer sur la « forme » de cette annonce.
[41] Pour le Tribunal, si tant est que le commissaire Hardy a commis une erreur de droit, elle n’est pas manifeste au point où la commissaire Salah devait intervenir.
[42] Premièrement, l’appréciation des faits par le commissaire Hardy n’est pas remise en cause en révision. Il conclut que, bien que la décision administrative de relocaliser la demanderesse ne soit pas une décision qui peut faire l’objet d’un appel devant la CFP, la façon avec laquelle la demanderesse a été traitée est de la nature d’une réprimande, donc de la juridiction de la CFP, comme si l’annonce d’une mesure simplement administrative avait constitué le moment propice ou le prétexte pour servir une solide réprimande à la demanderesse.
[43] Il est vrai que toute annonce de cette nature emporte des inconvénients normaux pour la personne visée par la mesure administrative. Règle générale, la relocalisation et son annonce constituent un seul et même événement car le Tribunal reconnaît l’effet « traumatisant, souvent marqué par l’inquiétude, l’anxiété et le stress »[16] d’un congédiement. Or, le commissaire Hardy a en quelque sorte considéré que, bien qu’il n’était pas en présence d’un congédiement, la méthode utilisée ressemblait à celle utilisée lors d’un congédiement brutal, ce qui semblait exagéré dans les circonstances.
[44] Comme le rappelle le commissaire Hardy qui se fonde sur la Cour d’appel, « Congédier n’est pas une faute, congédier de façon humiliante, dégradante, blessante ou mortifiante, peut l’être! »[17]. Le Tribunal ajoute que se comporter ainsi quand on ne fait que relocaliser une personne peut paraître encore plus injuste.
[45] La jurisprudence citée par le commissaire Hardy a trait à l’abus de droit, alors que toute personne doit en principe se comporter de bonne foi, tant avant la conclusion d’une entente, que lors de son exécution ou de son extinction[18]. Ce n’est pas, parce qu’une mesure administrative est prise que son annonce peut se dérouler sans le respect dû aux personnes impliquées.
[46] Le raisonnement du commissaire Hardy faisait donc partie des solutions rationnelles acceptables.
[47] Deuxièmement, par sa décision, la commissaire Salah semble écarter que deux plaintes ont été portées. Elle fait en sorte que, nonobstant la décision du commissaire Hardy qui agit à l’intérieur de sa juridiction, elle associe les deux plaintes pour n’en faire qu’une seule. Ce faisant, elle banalise la forme avec laquelle un employé de l’état peut faire l’objet d’une décision administrative et comme l’écrit si bien le commissaire Hardy, « les cadres ne sont pas des pièces qu’on peut déplacer sans aucun ménagement ».
[48] Le commissaire Hardy, à tort ou à raison, a jugé que le comportement de la supérieure immédiate de la demanderesse était déplacé. Chose certaine, l’appréciation qu’il fait de la preuve lui permet de le conclure et aucune partie ne remet en cause son jugement. Saisi de deux plaintes, il décide à l’égard de chacune. Chaque plainte mérite un traitement différent. Le rejet de l’une n’entraîne pas automatiquement le rejet de l’autre et le maintien de la première n’aurait pas pour autant justifié la seconde.
[49]
Troisièmement, la qualification de mesure disciplinaire revient d’abord
au com-missaire Hardy. Le Tribunal est d’avis que la commissaire Salah n’était
pas autorisée à écarter l’opinion du commissaire Hardy puisque la conclusion à
laquelle en est venu ce dernier assimilait la façon de faire de la supérieure
immédiate à une forme de réprimande, laquelle est incluse dans la définition de
« mesures disciplinaires » de l’article
[50] Pourtant, dans sa décision, la commissaire Salah reconnait le droit de la CFP de juger de toutes les sanctions disciplinaires « autre que la destitution ou la suspension », peu importe la forme qu’elles prennent :
« [39] La Commission en révision ajoute que c’est la Cour suprême du Canada dans sa décision Langlois c. Ministère de la Justice du Québec qui a décrété que la Commission a compétence pour entendre et décider d’un recours exercé par un fonctionnaire à qui est imposée une sanction disciplinaire autre que la destitution ou la suspension. L’expression «sanction disciplinaire» est large, aucunement limitée et doit s’entendre de toute mesure qui constitue une véritable sanction disciplinaire, quelle qu’elle soit. »
(référence omise et notre soulignement)
[51] Considérant que le commissaire Hardy a qualifié de mesure disciplinaire le comportement déraisonnable de la supérieure immédiate de la demanderesse, seule l’ «erreur manifeste de droit ou de fait [du commissaire Hardy] qui a un effet déterminant sur le litige » pouvait justifier la commissaire Salah d’intervenir. Or, le Tribunal n’est pas convaincu qu’elle ait été en présence d’une erreur manifeste de droit.
[52] La commissaire Salah ne pouvait donc pas en venir à qualifier la « façon de faire » de mesure disciplinaire dépendante de la première conclusion.
[53] La commissaire Salah n’était pas en présence d’« un vice de fond ou de procédure […] de nature à invalider la décision ». Elle devait respecter la juridiction, l’appréciation de la preuve et l’opinion en droit du commissaire Hardy.
[54] Par conséquent, en concluant en faveur de la demanderesse sur la deuxième plainte, le commissaire Hardy n’avait pas perdu juridiction et la CFP pouvait poursuivre l’enquête sur cette question.
[55] Incidemment, la commissaire Salah ajoute que la demanderesse n’a pas été l’objet d’une réprimande puisque rien n’apparaît à son dossier. Or, la CFP a le pouvoir de qualifier une mesure administrative de « disciplinaire » lorsque la mesure en a toutes les apparences. Qualifiant de « réprimande » le comportement de la supérieure immédiate, le commissaire Hardy est saisi d’une mesure disciplinaire pour laquelle il avait juridiction.
[56] Cela dit, en regard du Tribunal devant appliquer la norme de la décision raisonnable quant à la décision de la commissaire Salah, il convient de reconnaître que la décision rendue par cette dernière contient une conclusion pouvant faire partie des issues possibles, sauf que les motifs de sa décision dépassent les limites juridiques de la réserve imposées à une commissaire chargée de la révision d’un de ses collègues.
[57] N’ayant pas respecté les pouvoirs qui sont siens, la commissaire Salah a outrepassé sa juridiction et la décision du commissaire Hardy doit être maintenue.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[58] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire de la demanderesse;
[59] CASSE la décision rendue par la Commission de la fonction publique le 9 juillet 2015;
[60] ORDONNE à la Commission de la fonction publique de poursuivre l’audition sur les mesures de réparations conformément à la dernière conclusion de la décision du 10 décembre 2014;
[61] AVEC DÉPENS.
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CLÉMENT SAMSON, j.c.s. |
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Poudrier Bradet |
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Me Pascale Racicot |
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70, rue Dalhousie, bureau 100 |
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Québec (Québec) G1R 4B2 |
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Procureurs de la demanderesse |
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Chamberland Gagnon, Casier # 134 |
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Me France Bonsaint |
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Procureurs de la mise en cause |
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Date d’audience : |
2 décembre 2015 |
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[1] Pièce P-1.
[2] [2008] 1 R.C.S. 190.
[3] Article
[4] Ivanhoe inc. c. TUAC, section locale 500,
[5] Société de l’assurance automobile du Québec c.
Commission de la fonction publique,
[6] Syndicat des employés de Molson c. Brasserie Molson O’Keefe, 1998 CanLII 12758 (QCCA).
[7] Article
[8] [1996] R.J.Q. 608, motifs du juge Rothman.
[9] Tribunal administratif du Québec Godin,
[10] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles,
[11] Commission de la santé et de la sécurité du travail c.
Fontaine,
[12] Brodeur c. Centre de services partagés du Québec,
[13] « SA » signifie « Secrétariat aux aînés ».
[14]
[15] 1994 CanLII 5837 (QCCA).
[16] Précitée, note 15, p. 15.
[17] Précitée, note 15, p. 12
[18] Article
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.