Section des affaires sociales
En matière de régime des rentes
Référence neutre : 2015 QCTAQ 02627
Dossier : SAS-Q-201897-1406
LINA BISSON-JOLIN
c.
[1] Le requérant conteste une décision rendue en révision par l’intimée, la Régie des rentes du Québec, le 13 mai 2014, refusant sa demande de rente de conjoint survivant suite au décès de madame M... D...
[2] Le requérant n’était pas marié avec la défunte, mais suivant ses prétentions, il vivait en couple au moment du décès le 23 août 2013 depuis huit ans et demi.
[3] Il se qualifiait donc, soumet-il, à la rente de conjoint survivant, répondant aux critères d'admissibilité prévus pour les conjoints de fait, soit une vie maritale de trois ans précédant immédiatement le décès.
[4] La Régie a conclu à l’absence de vie maritale au cours de ces années pour les motifs ci-après détaillés dans la décision en litige :
« […]
Exceptionnellement, nous pouvons reconnaître que des conjoints soient obligés d'avoir deux domiciles, du moins temporairement, si des motifs tels que des raisons impératives de santé ou l'obligation pour l'un des conjoints d'aller travailler en région éloignée, tes ont empêchés de résider ensemble.
Dans votre déclaration du 6 septembre 2013, vous avez affirmé que vous viviez avec Mme M... D... en tant que conjoint de fait depuis juillet 2005, excepté pour les 10 derniers jours avant son décès, alors qu'elle était hospitalisée. Par la suite, le 16 septembre 2013, vous avez ajouté que vous aviez eu des périodes de séparation, que vous expliquez par votre tentative de retour au travail.
Les témoignages au dossier décrivent plutôt votre relation avec Mme M... D... comme étant son colocataire et non son conjoint. On précise que vous avez également eu d'autres adresses durant les trois années précédant le décès.
Selon les notes médicales à votre dossier de demande de rente d'invalidité de la Régie des rentes, vous auriez emménagé avec Mme D..., identifiée comme étant votre amie, en 2007 à la suite d'une rupture avec votre conjointe de cette époque, alors que vous avez inscrit dans votre demande de rente de conjoint survivant que vous viviez avec elle depuis 2005. Par la suite, on réfère à Mme D... comme à votre colocataire et amie. Dans les notes du service social de mai 2010, on précise « Vit avec coloc (dame retraitée à mobilité réduite) ». Dans la même note, on précise que vous avez des problèmes avec votre agente d'aide sociale, laquelle soupçonne une relation de couple avec Mme D... On peut lire dans la note de l'intervenant : « M. affirme qu'il n'est pas en couple avec cette personne, mais qu'ils ont choisi de partager un appartement dans un but d'entraide ». Par la suite, en mai 2011, il est mentionné « Préoccupations surtout en lien avec sa relation avec M..., qu'il trouve difficile. Songe à déménager seul. », puis en juin 2011, « Plusieurs stresseurs et questionnements : relation avec colocataire $, ... ».
Le fichier d'adresses de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) ainsi que celui de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) démontrent que vous et Mme M... D... avez déclaré des adresses différentes de novembre 2011 à février 2012, puis d'août 2012 à février 2013. La preuve démontre également que vous avez reçu des prestations d'aide sociale comme personne vivant seule pour toute la période visée par la demande de rente de conjoint survivant, soit d'août 2010 à août 2013.
Enfin, les témoins inscrits sur la déclaration de conjoint de fait que vous avez complétée n'ont pu donner aucune information, car ils n'avaient aucun contact avec Mme D... L'ensemble des informations recueillies au dossier ne permettent pas de conclure à une vie maritale entre vous et Mme M... D..., ni que la maladie était la cause des périodes où vous viviez à des adresses différentes.
[…] »
[5] Le requérant reconnait avoir déclaré la défunte comme sa colocataire, s’excusant en disant qu’il était poursuivi par l’aide sociale, ce qui l’affectait compte tenu qu’il est bipolaire et qu’il avait fait une tentative de suicide à l’époque.
[6] Il est vrai qu’il a toujours apporté aide et secours à la défunte, mais dans le cadre d’une vie maritale.
[7] Ils se sont connus en 2005, et ont toujours cohabité depuis, sauf de novembre 2011 à février 2012, puis d’aout 2012 à février 2013, mais pour des raisons médicales.
[8] Sa conjointe avait dix ans de plus que lui et était très hypothéqué sur le plan médical.
[9] Elle était greffée rénale depuis l’âge de 17 ans et sa condition nécessitait beaucoup de soins et de nombreuses hospitalisations.
[10] Lui-même a eu un cancer de la gorge en 2009, pour lequel il a été opéré en 2011 et qui a nécessité des traitements en chimiothérapie et trente traitements de radiothérapie, lesquels ont pris fin en 2012.
[11] À la suggestion de son médecin, il a été convenu qu’il s’installe seul compte tenu de son état de santé, soit le temps des traitements, de novembre 2011 à février 2012.
[12] Il s’est alors loué un studio près du Centre hospitalier A.
[13] Ses traitements l’affaiblissaient beaucoup et il n’avait plus la santé et la capacité d’alors pour prendre soin de la requérante, qui elle-même était aux prises avec des problèmes sérieux de santé.
[14] En février 2012, il a réintégré le domicile, mais de nouveau, d’août 2012 à février 2013, à la suggestion de son médecin et de son psychiatre, il a dû, pour des raisons de santé, prendre un domicile distinct.
[15] Cela n’affectait en rien leur complicité et leur affection.
[16] Au cours de ces absences forcées, il lui avait acheté un cellulaire pour qu’elle puisse le rejoindre en tout temps et ils se voyaient presque tous les jours et s’appelaient quotidiennement, sinon plus.
[17] Ils avaient les clés respectives de chacun de leur domicile.
[18] En janvier 2013, la défunte a été hospitalisée pour une pneumonie et il venait de terminer ses traitements.
[19] Sa santé à elle déclinait et la sienne s’améliorait.
[20] Elle lui a alors verbalisé qu’elle souhaitait une mort assistée afin de mourir dans la dignité.
[21] Il n’a pas remis en cause sa décision et il a choisi de l'accompagner et de lui prodiguer les soins requis.
[22] À sa demande, les médecins ont réduit sa médication et lui ont dit à lui : « Quand elle n’aura plus de qualité de vie, envoyez-la à l’hôpital », ce qu’il a dû faire pour les douze derniers jours.
[23] Au cours des derniers mois de sa vie, il s’est occupé d’elle comme il l’avait toujours fait, soit la gestion du quotidien, le partage des tâches et l’accompagnement lors des visites médicales requises. Il assumait toutes les tâches, incluant la cuisine, ce qui était nouveau pour lui.
[24] Comme elle ne pouvait pas vivre sans son chat, il l’a gardé et s’en occupait.
[25] Il allait régulièrement chercher ses amies de filles pour les amener la voir, ce qui lui faisait plaisir.
[26] Quand elle était en meilleure forme, ils ont toujours partagé leurs activités et affec-tionnaient particulièrement des promenades à la place Jacques Cartier, des spectacles à la Salle Albert-Rousseau, des conférences, le cinéma et les repas aux restaurants.
[27] Les derniers temps, il ne pouvait plus partager la même chambre compte tenu des douleurs intenses éprouvées par la défunte.
[28] Au décès, il s’est occupé de tous les arrangements funéraires.
[29] Suivant le testament de la défunte daté du 21 octobre 2009, il a été nommé liquidateur de la succession et désigné comme seul héritier.
[30] Il a agi suivant ses volontés, soit l’absence de publication de son décès, absence de funérailles et l’incinération.
[31] La sœur du requérant a témoigné et confirmé avoir reçu chez elle le couple deux fois et être allée chez eux à cinq ou six reprises.
[32] Elle demeure à l’extérieur de Québec et les contacts se faisaient lors de visites de l’un ou de l’autre.
[33] La deuxième fois que la défunte est allée en vacances chez elle, elle a dû être hospitalisée.
[34] Elle se rappelle que le couple a dû se séparer pour cause de maladie à deux reprises, compte tenu de la lourdeur de la responsabilité pour son frère alors que lui-même luttait contre le cancer.
[35] Elle a toujours considéré qu’elle et son frère formaient un couple et les a toujours vus ensemble au cours des sept à huit années précédent le décès, à Noël ou au Jour de l’An, lorsqu’elle venait en visite à Québec.
[36] Aux Fêtes de 2011, elle était absente, mais à sa connaissance, la vie commune a repris peu après.
[37] Après avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve soumise, et sur le tout délibéré, le Tribunal dispose ainsi du litige.
[38] L’article 91 de la Loi sur le régime de rentes du Québec[1] applicable en l’espèce se lit comme suit :
« 91. Se qualifie comme conjoint survivant, sous réserve de l'article 91.1, la personne qui, au jour du décès du cotisant :
a) est mariée avec le cotisant et n'en est pas judiciairement séparée de corps;
a.1) est liée par une union civile au cotisant;
b) vit maritalement avec le cotisant, qu'elle soit de sexe différent ou de même sexe, pourvu que ce dernier soit judiciairement séparé de corps ou non lié par un mariage ou une union civile au jour de son décès, depuis au moins trois ans ou, dans les cas suivants, depuis au moins un an:
— un enfant est né ou à naître de leur union,
— ils ont conjointement adopté un enfant,
— l'un d'eux a adopté un enfant de l'autre.
Pour l'application du paragraphe b du premier alinéa, la naissance ou l'adoption d'un enfant avant la période de vie maritale en cours au jour du décès du cotisant peut permettre de qualifier une personne comme conjoint survivant.
[39] Le requérant, considérant qu’il allègue vie maritale avec la défunte, devait démontrer qu’au jour du décès il vivait avec cette dernière depuis au moins trois ans, ce dont il s’est acquitté à la satisfaction du Tribunal pour les motifs suivants.
[40] Certes, le requérant a reçu des prestations d’aide sociale à titre de personne seule, du moins d’août 2010 à août 2013, et qu’il a alors déclaré, comme le soulignait l’agente de révision des adresses différentes.
[41] Il s’agit d’un élément important, mais non déterminant dans la résolution du présent dossier.
[42] Si tel est le cas, il est déplorable que le requérant ait voulu tromper l’aide sociale pour en tirer bénéfice, ce qui semble plausible dans les circonstances, mais il n’en demeu-re pas moins, pour les motifs ci-haut exposés, qu’il répond au critère de conjoint survivant.
[43] Le témoignage du requérant a convaincu le Tribunal d’une situation de couple prévalant au cours des dernières années précédant le décès.
[44] Il ne peut certes pas s’agir d’une relation de colocataire considérant que l’aide et le support dispensés par le requérant dépassaient, de l’avis du Tribunal, l’assistance prévalant généralement entre colocataire.
[45] Par ailleurs, les explications du requérant quant à l’impact de leur maladie respec-tive attestent de l’obligation de séparation temporaire pour préserver leur état de santé.
[46] Le requérant, convient-il de rappeler, a souffert au cours de la période en litige d’un cancer sérieux nécessitant de la chimiothérapie, condition physique superposée à une condition psychique fragile.
[47] Considérant qu’il partageait la vie d’une femme qui elle-même éprouvait des problèmes de santé sérieux, il était tout à fait justifié et même recommandable qu’il bénéficie de périodes de retrait pour se soigner adéquatement.
[48] Outre ces séparations nécessaires et temporaires, il appert qu’ils ont toujours fait vie commune comme conjoints.
[49] L’hospitalisation de la requérante lors des derniers jours n’affecte en rien la notion de résidence au sens de la disposition précitée.
[50] Le témoignage du requérant atteste de plus d’une relation empreinte de complicité et d’affection, preuve qui n’a pas été contredite.
[51] La sœur du requérant a corroboré leur type de relation.
[52] La preuve documentaire additionnelle produite par le représentant de l’intimée postérieurement à l’audience n’affecte en rien cette preuve.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, EN CONSÉQUENCE :
ACCUEILE le recours.
Herman Bédard, Avocat
Me Alexandre Turcotte
Procureur de la partie requérante
Lafond Robillard & Laniel
Me Michel Bélanger
Procureur de la partie intimée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.