Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Unidindon inc. et Djuma

2015 QCCLP 745

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

Le 10 février 2015

 

Région :

Montérégie

 

Dossiers :

449791-62-1109      482800-62-1209      483150-62-1209

 

Dossier CSST :

137006607

 

Commissaire :

Jacques David, juge administratif

 

Membres :

Viateur Camiré, associations d’employeurs

 

Robert Légaré, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

449791          482800

483150

 

 

Unidindon inc.

Omar Djuma

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Omar Djuma

Unidindon inc.

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Partie intervenante

Partie intervenante

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 1er mai 2013, Unidindon inc. (l’employeur) dépose une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle il demande la révocation ou la révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 4 mars 2013.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles traite de trois contestations. Elle suspend sa décision dans le dossier 449791-62-1109 portant sur la contestation de l’employeur au sujet de l’admissibilité d’un diagnostic de hernie discale, reconnu par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 19 septembre 2011 à la suite d’une révision administrative; accueille la contestation produite par monsieur Omar Djuma (le travailleur), dans le dossier 483150-62-1209 et rejette celle produite par l’employeur dans le dossier 482800-62-1209.

[3]           Elle infirme la décision rendue par la CSST le 24 août 2012 à la suite d’une révision administrative; déclare nulle la décision rendue par la CSST le 28 mai 2012; rétablit la décision rendue par la CSST le 14 juin 2012 et déclare qu’au 28 mai 2012, le travailleur a toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu, mais que la CSST était justifiée de suspendre le paiement de cette indemnité le 25 juillet 2012. Elle déclare toutefois que la CSST doit reprendre le versement de l’indemnité à compter du 9 août 2012.

[4]           Enfin, elle retourne le dossier du travailleur à la CSST afin qu’elle rende une décision à la suite de l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale le 20 septembre 2012.

[5]           Le procureur de l’employeur ainsi que le procureur du travailleur sont présents à l’audience tenue à Longueuil le 17 avril 2014.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[6]           L’employeur demande la révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 4 mars 2013 et la tenue d’une nouvelle audition sur l’ensemble des trois dossiers. De façon subsidiaire, il demande la révision de cette décision de façon à déclarer en bout de piste que le travailleur était capable d’exercer son emploi à compter du 13 juillet 2011 et qu’il n’avait plus droit aux prestations prévues par la loi.

[7]           De façon subsidiaire aussi, il demande de déclarer que le travailleur était capable d’exercer son emploi à compter du 1er mars 2012 et de déclarer nulle la conclusion de la décision du 4 mars 2013 ordonnant la reprise de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 9 août 2012.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]           Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis d’accueillir la requête en révocation de l’employeur puisque la décision du 4 mars 2013 n’est pas suffisamment motivée eu égard à la preuve testimoniale produite par l’employeur à l’audience. Le premier juge administratif écarte la preuve de l’employeur sans s’expliquer de façon intelligible.

[9]           Le membre issu des associations de travailleurs est d’avis contraire. Il considère que le premier juge administratif a bel et bien écarté la preuve de l’employeur de façon intelligible en se basant sur son appréciation de la preuve disponible, soit la filature. Il s’en explique. Les autres aspects de la décision ne contiennent aucune erreur manifeste et déterminante.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si elle doit réviser ou révoquer la décision du 4 mars 2013.

[11]        L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.

____________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]        Le recours en révision et en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[13]        Compte tenu de l’article 429.49 de la loi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que s’il est établi un motif prévu à l’article 429.56.

[14]        La Commission des lésions professionnelles a jugé à de nombreuses reprises que les termes de l’article 429.56 de la loi font référence à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation[2]. Ce principe a été retenu maintes fois. Il a été décidé également que le recours en révision ou en révocation ne peut être assimilé à un appel ni ne doit constituer un appel déguisé.

[15]        Dans le présent cas, l’employeur invoque que la décision comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider. Cette expression a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[3] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.

[16]       Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[4], la Cour d'appel du Québec fait état des mêmes règles :

[21]      La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.

____________

1.             Voir : Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

[Notre soulignement]

 

 

[17]        La Cour d'appel reprend les mêmes règles dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[5]. Elle ajoute que le vice de fond prévu à l’article 429.56 de la loi est assimilable à une « faille » dans la première décision, laquelle sous-tend une « erreur manifeste », donc voisine d’une forme d’incompétence.

[18]        Dans l’affaire Guénette et Commission scolaire des Hautes-Rivières[6], la Commission des lésions professionnelles a bien résumé la notion de vice de fond :

[16]      Le vice de fond de nature à invalider une décision a été interprété par la Commission des lésions professionnelles comme étant une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation. Il peut s’agir, entre autres, d’une absence de motivation, d’une erreur manifeste dans l’interprétation des faits lorsque cette erreur constitue le motif de la décision ou qu’elle joue un rôle déterminant, du fait d’écarter une règle de droit qui est claire, du fait de ne pas tenir compte d’une preuve pertinente5 ou de tirer une conclusion en l’absence totale de preuve6.

__________

5                      Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733.

6           General Motors du Canada ltée et Ouellet, C.L.P. 94174-64-9802, 11 janvier 2000, S. Mathieu; Montambeault et Hydro-Québec (Prod. therm. et nucléaire), C.L.P. 136996-04B-0004, 12 juillet 2001, M. Allard; Carter et Primeteck électroniques inc., C.L.P. 140851-62-0006, 6 mars 2003, M. Zigby; Desbiens et Produits forestiers Domtar inc., C.LP. 155003-08-0101, 7 avril 2003, P. Simard, (03LP-26); Poulin et Métro Ste-Marthe, C.L.P. 182842-64-0204, 20 octobre 2003, L. Nadeau, (03LP - 190); Patenaude et Hôtel Vallée des Forts, C.L.P. 288234-62A-0604, 6 février 2008, S. Di Pasquale, (07LP-293); Caron et Planures Nord-Ouest inc., C.L.P. 364232-08-0811, 19 mars 2010, C.-A. Ducharme; Société de Transport de Montréal et Carrière, 2011 QCCLP 1000.

 

 

[19]        La jurisprudence reconnaît que de façon générale, un juge administratif n’a pas à traiter de tous les arguments qui lui sont soumis[7]. Toutefois, il doit motiver sa décision de façon intelligible et donc, considérer les éléments pertinents à la prise de décision dans le contexte des litiges dont il est saisi[8].

[20]        De même, en matière d’appréciation de la preuve, la jurisprudence considère qu’il y a erreur manifeste lorsqu’une décision est fondée sur de simples hypothèses non supportées par la preuve[9]. Il en est de même lorsqu’il n’existe aucun lien rationnel entre la preuve et les conclusions factuelles tirées[10]. Bien qu’il ne soit pas requis de rapporter toute la preuve, l’omission de rapporter une preuve ou un témoignage significatif peut amener à conclure que le tribunal n’a pas considéré toute la preuve[11].

[21]        Le tribunal doit déterminer si la décision du premier juge administratif comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider. Pour les motifs qui suivent, il conclut à l’absence d’erreurs révisables au sens de la loi.

[22]        Pour ce faire, il convient de situer convenablement les contestations dont était saisi le premier juge administratif, la preuve portée à sa connaissance et le traitement qu’il a accordé à celles-ci.

[23]        Le premier juge administratif était devant trois contestations entrecroisées et complexes dans le cadre du dossier de lésion professionnelle du travailleur.

[24]        La première contestation, émanant de l’employeur vise une décision rendue le 19 septembre 2011 par la CSST à la suite d’une révision administrative déclarant que le diagnostic de hernie discale L4-L5 est en relation avec l’événement du 2 novembre 2010 pour lequel la CSST avait d’abord reconnu un diagnostic d’entorse lombaire. Il s’agit du dossier 449791.

[25]        Dans ce dossier, l’employeur demandait de déclarer que le rapport complémentaire du docteur Sader daté du 30 avril 2012 liait la CSST et de déclarer que le diagnostic de hernie discale n’était pas en relation avec l’événement. De façon subsidiaire, si le premier juge administratif arrivait à la conclusion que ce rapport n’était pas liant, il demandait alors de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle entérine l’avis du docteur Daniel Shedid, neurochirurgien, membre du Bureau d'évaluation médicale émis le 20 septembre 2012, bien qu’il considère que la preuve prépondérante démontre que le travailleur n’a pas subi une hernie discale le 2 novembre 2010.

[26]        La seconde contestation, à l’initiative de l’employeur également, porte sur une décision rendue le 24 août 2012 à la suite d’une révision administrative. La CSST annule alors une décision rendue le 14 juin 2012 au motif qu’il s’agit d’une reconsidération irrégulière. Elle rétablit une décision antérieure, du 28 mai 2012, qui concluait que le travailleur était capable d’exercer son emploi de préposé aux réfrigérateurs depuis le 13 juillet 2011. Cette décision confirme également une décision qu’elle a rendue le 26 juillet 2012 et déclare qu’elle était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 25 juillet 2012. Il s’agit du dossier 482800.

[27]        La troisième contestation, provenant du travailleur, vise également la décision du 24 août 2012. Il s’agit du dossier 483150. Le travailleur demande de rétablir la décision du 14 juin 2012 et de déclarer qu’il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité de travail, qu’elle n’avait pas le droit de suspendre le versement de cette indemnité.

[28]        De son côté l’employeur demandait de confirmer plutôt la décision du 24 août 2012 annulant celle du 14 juin 2012 et rétablissant celle du 28 mai 2012. Il demandait de déclarer que le travailleur était redevenu capable d’exercer son emploi au plus tard le 1er mars 2012.

[29]        Le travailleur est préposé aux réfrigérateurs. Le 2 novembre 2010, il subit un accident du travail dont le diagnostic, reconnu d’abord par la CSST le 2 décembre 2010, est une entorse lombaire.

[30]        Le 14 décembre 2010, le docteur Maynard examine le travailleur qui lui déclare des symptômes neurologiques. Il conclut à des symptômes sensitivomoteurs aux racines L4-L5-S1, sans évidence clinique de syndrome de queue de cheval. Il prescrit toutefois un examen par tomodensitométrie.

[31]        Cet examen pratiqué le 17 décembre 2011 révèle un complexe disco-ostéophytique aux niveaux L4-L5 et L5-S1 entraînant un léger effet de sténose spinale en L4-L5 potentiellement en contact avec les racines S1 droite et gauche.

[32]        Un examen par résonance magnétique est pratiqué le 28 décembre 2010 révélant une discopathie L4-L5 avec des hernies discales à larges courbures, mais ne créant pas de sténose spinale ni foraminale. Le radiologiste recommande de corréler le tout avec les données cliniques.

[33]        Le 4 janvier 2011, le travailleur consulte le docteur Mario Séguin, neurochirurgien. Il note que les myotomes sont discordants avec l’imagerie et l’examen sensitif. Il retient qu’il n’y a pas d’évidence de syndrome de la queue de cheval, mais une discordance clinico-radiologique et prescrit un électromyogramme.

[34]        Le 27 janvier 2011, la CSST refuse le diagnostic de sténose spinale.

[35]        Le 15 avril l’électromyogramme demandé est pratiqué. Le neurologue note à l’examen physique que le travailleur n’a plus de symptômes paresthésiques aux membres inférieurs à la suite des traitements de physiothérapie. Il a toujours des douleurs lombaires. L’examen électrodiagnostique est toutefois normal, sans évidence de radiculopathie aux membres inférieurs.

[36]        Néanmoins, le 30 juin, le docteur Séguin diagnostique une hernie discale L4-L5 médiane et une compression durale, mais sans indication chirurgicale. Il donne congé au travailleur, mais lui prescrit une infiltration épidurale. Il prévoit des limitations fonctionnelles.

[37]        Le 13 juillet 2011, le travailleur est examiné par le docteur Jules Boivin, orthopédiste à la demande de l’employeur. Le médecin conclut à l’absence de pathologie identifiable. Le travailleur ne présente plus de signe d’entorse lombaire et en l’absence de signes cliniques évocateurs de hernie discale, il ne peut non plus soutenir ce diagnostic. Il fait état d’éléments discordants et incohérents qui le conduisent à consolider la lésion au jour de son examen sans traitement supplémentaire, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.

[38]        Le 19 juillet 2011, la CSST reconnaît le diagnostic de hernie discale L4-L5 en relation avec le fait accidentel. Cette décision est confirmée à la suite d’une révision administrative le 19 septembre 2011, d’où la contestation de l’employeur dans le dossier 449791.

[39]        Le 15 août 2011, le docteur Séguin complète un rapport complémentaire où il maintient le diagnostic de hernie discale avec contact dural. Il mentionne que la lésion sera consolidée après que le travailleur ait reçu une infiltration épidurale.

[40]        Le travailleur est pris en charge par la suite par le docteur Paul Sader.

[41]        Le 2 septembre 2011, l’infiltration épidurale provoque une réaction toxique causant une paresthésie aux membres inférieurs et le travailleur est hospitalisé.

[42]        Un second examen par résonance magnétique est pratiqué le 30 septembre 2011. Le radiologiste note, entre autres, une hernie discale L4-L5 déjà connue qui pourrait expliquer les symptômes radiculaires sur les territoires L5 ou S1 droit et gauche.

[43]        Le 26 janvier 2012, le docteur Sader pose le diagnostic de hernie discale L4-L5 et de trouble d’adaptation et mentionne que la physiothérapie se poursuit.

[44]        Toutefois, le 12 mars 2012, une psychologue ne retient aucun symptôme psychologique significatif. Elle note néanmoins que la symptomatologie du travailleur fluctue de manière « dramatique » en fonction de ses besoins psychosociaux. Elle mentionne que le travailleur tient des propos incohérents au sujet de ses absences et retards.

[45]        Le 21 mars 2012, le docteur Boivin revoit le travailleur. Il conclut que sur le plan clinique, son examen montre une fois de plus certaines discordances et incohérences qui rendent impossible l’interprétation de la réalité clinique. Il ne peut mettre en évidence une réalité pathologique identifiable. Il consolide donc la lésion rétrospectivement à la date de son examen précédent, soit au 11 juillet 2011, sans nécessité de traitement supplémentaire, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Il considère que les plaintes subjectives du travailleur débordent le cadre objectif, « tout comme les résultats de l’investigation ».

[46]        Le 29 mars 2012, le docteur Séguin complète un rapport final où il consolide la lésion le jour même avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[47]        Le 2 avril, le docteur Sader note que le travailleur a été évalué en neurochirurgie, que la lésion est consolidée et que les traitements de physiothérapie ont cessé.

[48]        Le 16 avril, le docteur Boivin rédige un complément d’expertise à la suite d’informations additionnelles que lui a fournies l’employeur, à savoir des enregistrements d’une filature. Il note que cela confirme son impression clinique au sujet de la nette discordance entre les plaintes du travailleur, les observations d’une représentante de l’employeur et les activités auxquelles il s’adonne.

[49]        Le 26 avril 2012, le travailleur est congédié par l’employeur.

[50]        Le 30 avril 2012, le docteur Sader qui complète un rapport complémentaire à la suite de la réception du rapport du docteur Blouin. Il note que « la clinique semble être parfois très discordante à ce qu’exprime » le travailleur. Il se dit d’accord avec le docteur Boivin au plan physique.

[51]        Le 25 mai 2012, la CSST informe le travailleur que le docteur Sader est en accord avec le docteur Boivin, que sa lésion est consolidée, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles et que l’indemnité de remplacement du revenu prend fin.

[52]        Le lendemain, le travailleur revoit le docteur Sader qui pose le diagnostic de lombalgie avec une dépression secondaire. Il considère que le travailleur est apte à un travail léger. Il note qu’il va discuter avec la CSST afin d’évaluer les limitations du travailleur.

[53]        Le 28 mai 2012, la CSST rend une décision dans laquelle elle déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi rétrospectivement au 13 juillet 2011. Les indemnités versées ne lui seront pas réclamées puisqu’il n’avait pas été informé de cette capacité.

[54]        Le 4 juin 2012, le docteur Sader discute avec un médecin de la CSST. Il ressort de la conversation que le suivi du travailleur est difficile, car il n’a pas toutes les informations en main, notamment les rapports du docteur Séguin, que le travailleur a un problème psychique difficile à cerner. Il demande enfin au médecin de la CSST s’il peut reconsidérer son rapport complémentaire du 30 avril 2012, car il « croit que le travailleur aurait à tout le moins des limitations fonctionnelles ». Il se dit toutefois d’accord avec la consolidation de la lésion. Le médecin de la CSST note qu’il enverra les documents au docteur Sader afin qu’il « rende une opinion éclairée » sur le diagnostic, la consolidation, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

[55]        À la suite de cette conversation, la CSST avise le travailleur que l’indemnité de remplacement du revenu est de nouveau versée à compter du 26 mai 2012.

[56]        Le 12 juin 2012, le docteur Sader produit un rapport final. Il maintient la consolidation de la lésion au 29 mars 2012, mais avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il ajoute qu’après révision du dossier « dont il [lui] manquait une bonne partie », il maintient le diagnostic de hernie discale L4-L5.

[57]        Le 14 juin 2012, la CSST rend une décision dans laquelle elle reconsidère la décision du 28 mai 2012 concernant la capacité de travail du travailleur. Elle déclare que le travailleur conserve le droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur sa capacité.

[58]        Le 15 juillet 2012, le docteur Sader produit un second rapport complémentaire réitérant la révision du dossier du travailleur dont il lui manquait une grande partie au moment de la rédaction du premier rapport. Il rappelle la «discordance importante et variable entre la clinique et la radiologie. Comparant la présentation initiale du travailleur, l’imagerie médicale et les évaluations du docteur Séguin, il est d’avis de conserver le diagnostic de hernie discale tout en mentionnant la possibilité d’une pathologie psychologique sous-jacente. Il croit que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles.

[59]        Le 25 juillet 2012, la CSST suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la suite du visionnement de l’enregistrement vidéo de la filature dont a été l’objet le travailleur au motif que le travailleur a fourni des renseignements inexacts à la CSST.

[60]        Une révision administrative du 24 août 2012 a annulé la décision du 14 juin 2012 et confirmé la décision du 25 juillet 2012. L’employeur (dossier 482800) et le travailleur (dossier 483150) ont contesté cette décision.

[61]        Entretemps, les vidéos de la filature du travailleur ont été envoyées au docteur Sader. Les notes évolutives du 9 août 2012 relatent, ce que le médecin de la CSST retient d’une conversation avec lui, que ce dernier n’est pas prêt à dire que le travailleur n’a pas de limitations fonctionnelles en raison de sa lésion, d’autant qu’il n’est pas filmé en soulevant des poids. Cela ne démontre pas sa capacité à le faire. Le docteur Sader convient qu’il y a exagération de la part du travailleur et il s’en déclare déçu. Les limitations fonctionnelles seraient de classe 1.

[62]        Le travailleur est néanmoins dirigé vers le Bureau d'évaluation médicale où le docteur Shedid l’examine le 31 août 2012. Ce médecin pose le diagnostic de hernie discale L4-L5 avec une atteinte permanente de 2 % et des limitations fonctionnelles de classe 1.

[63]        Le dossier du travailleur est volumineux. Il est parsemé de nombreux rapports médicaux sommaires et détaillés, des notes évolutives et cliniques, des résultats d’examens, des rapports de rencontre du travailleur chez l’employeur, de même que des enregistrements vidéo de filature et chez l’employeur.

[64]        L’audience tenue devant le premier juge administratif le 30 janvier 2013 a duré une journée entière. Outre le travailleur, mesdames Stéphanie Paré et Sophie Benoît du service des Ressources humaines de l’employeur et le docteur Jules Boivin ont témoigné.

Décision du premier juge administratif

[65]        Dans sa décision, le premier juge administratif a d’abord constaté que la CSST n’a pas donné suite à l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale émis en septembre 2012 compte tenu des décisions qu’elle a rendues au sujet de la capacité du travailleur notamment en août 2012.

[66]        La CSST s‘est appuyée sur le premier rapport complémentaire du docteur Sader émis le 30 avril 2012 dans lequel il se déclarait d’accord avec le rapport du docteur Boivin du 21 mars 2012 faisant état notamment de l’absence de pathologie, d’incapacité fonctionnelle et d’atteinte permanente pour le travailleur.

[67]        Ainsi, le 28 mai 2012, la CSST a déclaré rétrospectivement que le travailleur était capable de reprendre son travail depuis le 13 juillet 2011.

[68]        Toutefois, à la suite d’une conversation d’un médecin de la CSST avec le docteur Sader le 4 juin et surtout un rapport final de ce médecin émis le 12 juin, la CSST a reconsidéré le 14 juin la décision du 28 mai et a accordé au travailleur le droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur sa capacité de travailler.

[69]        Ainsi, afin de déterminer si la CSST pouvait ou non reconsidérer la décision du 28 mai portant sur la capacité du travailleur et si elle devait donner suite à l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale, le premier juge administratif a considéré qu’il lui fallait déterminer si le premier rapport complémentaire du docteur Sader liait ou non la CSST.

[70]        Dans l’affirmative, la reconsidération était irrégulière, la décision du 28 mai devait être rétablie et il était inutile de donner suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale. Ainsi la contestation du travailleur devait être rejetée tant quant à la reconsidération que sur la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 25 juillet.

[71]        Dans la négative, la reconsidération pouvait être régulière, car la CSST était liée par le rapport final du docteur Sader et éventuellement par son second rapport complémentaire. De même, le processus d’évaluation médicale devait suivre son cours et la CSST devait donner suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale. Enfin, la contestation du travailleur au sujet de la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu devait être tranchée.

[72]        Dans ce cas également, le premier juge administratif devait se prononcer sur la capacité du travailleur à exercer son travail compte tenu de la filature et de ses conséquences sur les décisions de la CSST quant à l’indemnité de remplacement du revenu.

[73]        Le premier juge administratif s’est donc bien dirigé en droit lorsqu’il a considéré qu’il devait d’abord se prononcer sur le caractère liant du premier rapport complémentaire. Cela n’est pas remis en cause en révision.

[74]        Pour ce faire, il s’est instruit de nombreuses décisions de la Commission des lésions professionnelles qu’il cite abondamment, notamment celle rendue dans l’affaire Guitard et Peinture G & R Lachance inc.[12].

[75]        Bien que la jurisprudence offre plusieurs nuances, il résume que le médecin qui a charge du travailleur doit avoir une connaissance suffisante de l’état du travailleur récente et complète lorsqu’il remplit un rapport complémentaire afin que celui-ci ait un effet liant pour la CSST, l’employeur et le travailleur. Son jugement professionnel doit être exercé de façon responsable, sans être indûment influencé par le rapport d’un autre médecin ou par les pressions d’un travailleur.

[76]        Le premier juge administratif conclut que le rapport complémentaire du 30 avril n’est pas liant. Il s’explique longuement :

[87]      Or, la preuve révèle que le docteur Sader n’a pris connaissance des rapports du neurochirurgien Séguin qu’après le 30 avril 2012, soit le 4 juin 2012 selon la preuve. Il savait que le médecin avait consolidé la lésion et mis fin aux traitements de physiothérapie, mais il ignorait que le docteur Séguin était d’avis, le 29 mars 2012, que le travailleur conservait une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles. Ce rapport datait de moins d’un mois et il était postérieur à celui du médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin.

 

[88]      Ainsi, de l’avis du tribunal, il manquait un élément important au docteur Sader lorsqu’il a remplit [sic] son premier rapport complémentaire et cet élément était susceptible d’influencer ses conclusions. Le docteur Sader s’est d’ailleurs rangé aux conclusions du docteur Séguin par la suite.

 

[89]      Compte tenu que les conclusions du médecin qui a charge sont liantes et ne peuvent être contestées par le travailleur, il est important que le médecin ait pris connaissance des conclusions des spécialistes avant de se prononcer.

 

[90]      Dans le présent cas, le tribunal est d’avis que le docteur Sader, même s’il était au dossier depuis un certain temps, n’avait pas une connaissance complète lorsqu’il a rempli son rapport premier rapport complémentaire du 30 avril 2012 de sorte que ce premier rapport complémentaire n’avait pas un caractère liant.

 

[91]      Il y a plus, le tribunal apprécie que l’avis du docteur Sader n'est pas motivé et que le médecin n’a pas exercé de façon responsable son jugement professionnel lequel a alors, selon toute vraisemblance, été indûment influencé par le rapport du médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin.

 

[92]      En effet, le docteur Sader n’explique pas pourquoi il renonce au diagnostic de hernie discale L4-L5, il entérine même une date de consolidation antérieure au premier examen qu’il a lui-même réalisé alors que le travailleur est sous ses soins depuis huit mois et il conclut à l’absence de séquelles sans avoir examiné récemment le travailleur.

 

[93]      Il est patent que le docteur Sader était d’avis qu’au 30 avril 2012 la lésion était consolidée mais il est peu probable, qu’en faisant siennes les conclusions du médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin, il considérait que la lésion était consolidée avant même que le travailleur ne soit son patient.

 

[94]      Il s’agit d’un élément supplémentaire permettant de conclure que le premier rapport complémentaire complété par le docteur Sader le 30 avril 2012 n’était pas liant pour la CSST.

 

[95]      Le tribunal convient avec le représentant de l’employeur qu’il n’y a pas eu d’évolution inattendue de l’état du travailleur, mais simplement un changement de position du médecin après qu’il eut pris connaissance de rapports importants dont il aurait dû connaître le contenu avant de donner son avis, ce qui est suffisant dans les circonstances du présent dossier pour conclure que le rapport complémentaire du 30 avril n'est pas liant.

 

[96]      Le tribunal n’est pas sans constater que le travailleur a fait pression sur son médecin pour qu’il remplisse des rapports médicaux, mais dans la mesure où le médecin fait siennes les conclusions du docteur Séguin dont il n’avait pas les rapports, le tribunal ne peut conclure que ce sont les pressions du travailleur qui justifient le changement de position du médecin.

 

[nos soulignements]

 

 

[77]        Ayant statué ainsi, le premier juge administratif a considéré que la CSST devait reconsidérer sa décision du 28 mai 2012. Il rétablit donc la décision du 14 juin 2012 sur cette base.

[78]        S’attardant pas la suite à déterminer si cette décision est bien fondée, à savoir si le travailleur était capable d’exercer son emploi à cette date ou avant, il conclut que non dans les termes suivants :

[99]      L’employeur n’a pas démontré que cette dernière décision n’était pas bien fondée au fond. La preuve soumise n’a pas convaincu le tribunal que le travailleur était redevenu capable d’exercer son emploi à cette date-là ou même avant.

 

[100]    En effet, le tribunal ne peut conclure que les activités observées sur les vidéos de filature, des déplacements à pied et en automobile, sont telles que l’on puisse conclure que le travailleur était redevenu capable, par exemple, d’exercer son emploi prélésionnel le 1er mars 2012, date de la première vidéo de filature.

 

[nos soulignements]

 

 

[79]        Dans le contexte où le premier juge administratif a considéré que le travailleur avait droit à l’indemnité de remplacement du revenu depuis le 26 mai 2012, il devait décider si la CSST était justifiée de suspendre cette indemnité à compter du 25 juillet 2012 en suivant les termes de l’article 142 de la loi. Il conclut par l’affirmative en des termes non équivoques :

[106]    Le tribunal a pu voir lors de l’audience les vidéos de filature et celles qui ont été tournées par les caméras de surveillance chez l’employeur. Le tribunal conclut qu’ils révèlent que le travailleur a fourni des renseignements inexacts à la CSST, à son employeur et aux médecins qui l’ont examiné quant à sa capacité physique et à son emploi du temps.

 

[107]    La démarche du travailleur est nettement différente lorsqu’il est chez son employeur par rapport à celle qu’il a lorsqu’il se déplace pour ses activités personnelles. Chez son employeur il utilise une canne, il marche très lentement, il met les deux pieds sur chaque marche pour monter l’escalier intérieur de l’usine alors qu’en d’autre [sic] temps il n’utilise pas de canne, le rythme est nettement meilleur et il monte les escaliers de façon normale sans même tenir la rampe et ce, l’hiver.

 

[108]    Le travailleur explique les différences par le fait que sa condition varie d’une journée à l’autre, qu’il a des bonnes et des mauvaises journées.

 

[109]    De l’avis du tribunal cette explication est peu crédible et elle ne tient pas la route. Le travailleur a de toute évidence fourni de fausses informations de façon à bénéficier d’indemnités auxquelles il n'aurait peut-être pas eu droit. La CSST était justifiée de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur.

 

[nos soulignements]

 

 

[80]        Par la suite, le premier juge administratif considère l’argument du travailleur voulant que la CSST aurait dû reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du moment où le motif de suspension n’existe plus, soit qu’il est toujours incapable d’exercer son emploi. Il s’agit de l’application de l’article 143 de la loi.

[81]        Il retient qu’à compter du moment où le docteur Sader considère que malgré les exagérations du travailleur mises en lumière notamment par la preuve vidéographique, il conserve des limitations fonctionnelles, la cause de la suspension n’existe plus. Le versement de l’indemnité de remplacement du revenu devait être repris, cela à compter du 9 août 2012.

[82]        Il s’exprime ainsi :

[110]    Par la suite, la CSST a communiqué avec le médecin qui a charge du travailleur, qui a pris connaissance des vidéos et confirmé, le 9 août 2012, qu’à son avis le travailleur conservait tout de même des limitations fonctionnelles malgré ses exagérations.

 

[111]    Procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, le tribunal considère qu’à compter de cette date-là, le 9 août 2012, le motif qui justifiait la suspension n’existait plus, le médecin qui a charge du travailleur ayant confirmé que malgré la vidéo il était d’avis que le travailleur conservait des limitations fonctionnelles. La CSST aurait alors dû reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

 

 

[83]        Enfin, le premier juge administratif devait décider de la première contestation de l’employeur, soit la relation entre le diagnostic de hernie discale L4-L5 et l’événement accidentel. Toutefois, compte tenu de l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale qui n’a pas été entériné, il a suspendu sa décision sur la question dans l’attente d’une décision de la CSST suite à cet avis.

Analyse

[84]        L’employeur demande la révision ou la révocation de la décision pour plusieurs motifs. Il convient de les analyser tous, mais dans un ordre différent de celui qu’il propose afin de suivre l’ordre logique retenu par le premier juge administratif. La décision sous révision doit être analysée dans son ensemble. Il importe donc de suivre le même déroulement logique pour en saisir convenablement la portée.

[85]        L’employeur soutient que le premier juge administratif a commis un vice de fond en statuant que la CSST devait reconsidérer la décision du 28 mai 2012 au motif que le médecin du travailleur, docteur Sader, n’avait pas une connaissance complète du dossier lorsqu’il a rempli le rapport complémentaire du 30 avril 2012 et que, après qu’il eut pris connaissance des rapports médicaux manquants, il a modifié son opinion.

[86]        De façon plus précise, il soutient que le premier juge administratif s’est mal dirigé en droit en assujettissant le caractère liant du rapport complémentaire du 30 avril à une connaissance «complète » du dossier du travailleur par le médecin. Il considère que, ce faisant, le premier juge administratif ajoute au texte de l’article 212.1 de la loi :

212.1.  Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 5.

 

 

[87]        Une lecture attentive de la décision révèle que le premier juge administratif s’en est remis aux enseignements de la jurisprudence au sujet des critères d’appréciation du caractère liant du rapport du médecin qui a charge d’un travailleur. Il a utilisé l’épithète complète au sujet de la connaissance que doit avoir le médecin des données relatives à la condition du travailleur. La jurisprudence, notamment l’affaire Guitard[13], utilise les termes «toutes les données pertinentes». Le tribunal en révision considère que s’il y a un écart entre les deux notions, il est bien minime dans le contexte que le premier juge administratif devait analyser, soit principalement les données émanant notamment du docteur Séguin.

[88]        Au-delà du vocabulaire utilisé, le premier juge administratif a considéré de toute façon que le docteur Sader n’avait pas une connaissance suffisante de l’état du travailleur à l’époque contemporaine de son rapport complémentaire du 30 avril 2012. Il s’agit là de l’appréciation des faits de sa part, laquelle n’est pas dénuée de fondement ni de logique.

[89]        Les arguments de fait, habiles certes, présentés dans la requête de l’employeur et à l’audience en révision au sujet du caractère liant de ce rapport cherchent à faire échec à l’appréciation de la preuve de la part du premier juge administratif. D’ailleurs la plupart de ces arguments avaient été soulevés devant le premier juge administratif. Au fond, le procureur de l’employeur invite sur ce sujet précis le tribunal en révision à substituer son appréciation de la preuve à celle du premier juge administratif. Cela n’est pas permis en matière de révision.

[90]        Le raisonnement suivi par le premier juge administratif est cohérent et logique et fait partie des issues possibles, voire probables. Il a considéré qu’au moment de remplir le rapport complémentaire du 30 avril 2012, le docteur Sader n’avait pas l’information suffisante soit les rapports du docteur Séguin. Il n’a pas uniquement à déterminer si le docteur Sader avait une connaissance complète du dossier. Il analyse aussi le caractère responsable du rapport et l’importance relative des pressions du travailleur sur son médecin. Il retient également le changement d’opinion du Docteur Sader justifié par les éléments qu’il a appris postérieurement et non une nouvelle appréciation de la condition du travailleur. La date exacte de la connaissance dont fait grand état l’employeur, n’a pas l’importance que ce dernier lui accorde. C’est la valeur du rapport complémentaire du 30 avril qui est en cause et non pas le second ou la validité du rapport final. Même s’il y avait eu méprise sur la date de connaissance, soit le 4 juin ou après, cela n’est pas déterminant.

[91]        Ce motif de révision n’est pas fondé.

[92]        Dans ce contexte, une fois déterminé que le rapport complémentaire du 30 avril 2012 n’est pas liant, le premier juge administratif a considéré que la CSST pouvait reconsidérer la décision du 28 mai 2012, ce qu’elle a fait le 14 juin. Il convient de noter que la reconsidération, bien qu’anticipée par les conversations relatées aux notes évolutives, survient le 14 juin 2012, soit après que le docteur Sader ait complété un rapport final le 12 juin.

[93]        Dans ce rapport, bien qu’il consolide la lésion du travailleur au 29 mars 2012, le docteur Sader considère qu’il conserve des limitations fonctionnelles.

[94]        Ainsi la décision de la CSST est conforme à ce rapport final. Elle maintient le droit à l’indemnité de remplacement du revenu dans l’attente de sa décision sur la capacité du travailleur. Il s’agit d’une situation classique, puisque sans l’analyse des limitations fonctionnelles, il est difficile de se prononcer sur la capacité. Du coup, le droit à l’indemnité de remplacement du revenu doit être maintenu compte tenu des articles 44 et 57 de la loi.

[95]        L’employeur soutient avoir fait la preuve de la capacité du travailleur au moins à compter du 1er mars 2012, compte tenu de la filature et des témoignages du Docteur Boivin et de mesdames Paré et Benoît.

[96]        Dans ce contexte, il soutient que le premier juge administratif a commis une seconde erreur capitale en révision, soit d’avoir violé les règles de justice naturelle en n’appréciant pas et en ne référant à aucun élément de la preuve testimoniale présentée par l’employeur. Pour cela, il demande la révocation de la décision.

[97]        Il est exact que le premier juge administratif ne réfère pas explicitement aux témoignages qu’il a entendus, tant de la part des témoins de l’employeur que du travailleur lui-même du reste.

[98]        La jurisprudence enseigne que l’omission de considérer un témoignage significatif ou un élément de preuve important peut constituer, selon les circonstances, une erreur manifeste qui donne ouverture à la révision[14].

[99]        Pour arriver à cette conclusion toutefois, l’omission d’apprécier une preuve ou de motiver de façon rationnelle le rejet d’une preuve doit viser une preuve essentielle, significative ou capitale dans le contexte de la contestation dont est saisi le juge administratif.

[100]     Dans le présent cas, mesdames Paré et Benoît ont témoigné sur les circonstances entourant la décision de l’employeur de procéder à une filature en mars 2012 et de congédier le travailleur en avril suivant. Elles ont témoigné de leurs observations du comportement du travailleur lors de rencontres avec lui.

[101]     Le docteur Boivin a témoigné sur l’absence de relation entre la hernie discale L4-L5 et la lésion, sur l’absence de pathologie organique identifiable, les éléments discordants qui rendent impossibles l’interprétation de la réalité clinique, les incohérences révélées par la filature et les observations de mesdames Paré et Benoît.

[102]     De façon plus particulière, le médecin a repris en détail ses façons de faire lors d’examens, le contenu des rapports qu’il a complétés à la suite de ses rencontres avec le travailleur, les rapports des docteurs Séguin, Shedid (membre du Bureau d'évaluation médicale), Gauthier et d’un autre.

[103]     Il conclut à l’absence de hernie discale, mais aussi de toute autre pathologie chez le travailleur.

[104]     Certes, la décision ne fait pas état des témoignages. Toutefois, le premier juge administratif expose dans les faits l’essentiel du contenu du témoignage du docteur Boivin puisqu’il reprend les rapports du médecin qu’il n’a, en somme, que décrits à l’audience.

[105]     Le premier juge administratif saisi au départ du diagnostic de hernie discale conclut que la CSST devait donner suite à l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale avant qu’il se prononce lui-même. Il suspend ainsi sa décision sur la question.

[106]     Dans ces circonstances précises, l’essentiel des témoignages entendus devenait secondaire. Bien qu’il ait été grandement préférable que le premier juge administratif explique, même sommairement, pourquoi il ne retient pas les témoignages, notamment du médecin sur ces aspects, cette omission ne constitue pas une erreur révisable.

[107]     Le premier juge administratif a statué sur la capacité du travailleur uniquement dans le contexte de la contestation de la décision du 24 août 2012 rendue à la suite d’une révision administrative (dossiers 482800 et 483150). Il a, de fait, uniquement statué sur le droit à l’indemnité de remplacement du revenu dans l’attente que la CSST se prononce sur cette capacité.

[108]     Sur cette question également, les témoignages de mesdames Paré et Benoît sont secondaires puisque le premier juge administratif a retenu que, malgré les incohérences, voire les mensonges révélés par la filature, le travailleur pouvait avoir des limitations fonctionnelles comme le retiennent les docteurs Séguin, Sader, Shedid et Gauthier. En fait, seul le docteur Boivin n’en retient aucune.

[109]     Sa propre appréciation de la preuve vidéographique l’a poussé à conclure par la négative. Il mentionne ne pouvoir conclure à la capacité du travailleur compte tenu des activités observées sur les vidéos. Là-dessus, la preuve de l’employeur ne l’a pas convaincu. Il est explicite là-dessus. Sa conclusion est logique et intelligible.

[110]     Le docteur Sader, même après avoir consulté les vidéos, a retenu que le travailleur pouvait avoir des limitations fonctionnelles bien qu’il reconnaisse que le travailleur a grandement exagéré et qu’il s’en dit déçu. Tout cela est mentionné dans la décision.

[111]     Somme toute, sur l’appréciation de la preuve et la motivation conséquente, le présent cas est bien différent de ceux analysés dans les affaires précitées notamment Rodrigue[15], Provigo[16] et Veerasamy[17] puisque la preuve testimoniale entendue, produite tant par l’employeur que le travailleur ne pouvait être déterminante sur l’issue des litiges dans le contexte précis des contestations portées devant le premier juge administratif.

[112]     Ce second motif de révision ou de révocation n’est donc pas fondé.

[113]     L’employeur reproche enfin au premier juge administratif d’avoir commis un manquement aux règles de justice naturelle en concluant à la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 9 août 2012 sans que cette question n’ait été communiquée aux parties. Il soutient n’avoir pu ainsi faire valoir ses moyens de preuve et ses arguments à cet égard.

[114]     Le premier juge administratif était saisi de la contestation du travailleur de la décision de la CSST rendue le 22 août 2012 à la suite d’une révision administrative confirmant la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu compte tenu des informations inexactes qu’il a fournies au sujet de sa condition.

[115]     La décision sous révision confirme le bien-fondé de la suspension. Toutefois, elle détermine aussi qu’à compter du 9 août, la cause de la suspension n’existait plus puisque malgré les informations fausses que le travailleur a transmises, malgré les activités révélées par la preuve vidéographique, il a considéré que le travailleur pouvait conserver des limitations fonctionnelles. En conséquence, il avait droit à nouveau au versement de l’indemnité de remplacement du revenu dans l’attente que la CSST se prononce sur sa capacité de travail.

[116]     Ce faisant il a appliqué l’article 143 de la loi :

143.  La Commission peut verser une indemnité rétroactivement à la date où elle a réduit ou suspendu le paiement lorsque le motif qui a justifié sa décision n'existe plus.

__________

1985, c. 6, a. 143.

 

 

[117]     L’employeur ne remet pas en cause le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu conformément à l’article 377 de la loi :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[118]     L’employeur ne conteste pas davantage le pouvoir du tribunal d’actualiser le dossier dans une telle situation.

[119]     Essentiellement, il soutient que cette possibilité devait être soumise explicitement aux parties par le premier juge administratif, sans quoi il y a manquement aux règles de justice naturelle, le droit d’être entendu.

[120]     À l’écoute de l’enregistrement de l’audience devant le premier juge administratif, le tribunal en révision constate que la question de la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu, notamment, a fait l’objet d’arguments de la part des parties lors de l’audience. Les arguments du procureur du travailleur ont porté non seulement sur la portée de l’article 142, mais également sur l’article 143 de la loi et le droit à l’indemnité de remplacement du revenu dans l’attente d’une décision sur la capacité conformément à l’article 47 de la loi. Le travailleur a demandé spécifiquement au premier juge administratif de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Il est spécifiquement mentionné que le docteur Sader maintient des limitations fonctionnelles malgré les vidéos. Un débat entre les procureurs et le juge administratif est tenu sur les conclusions de ce médecin et les dates pertinentes. Il est aussi question de la date du 9 août, soit de l’échange entre le médecin de la CSST et le docteur Sader.

[121]     Dans ce contexte, l’employeur ne peut prétendre ne pas avoir eu la possibilité de présenter une preuve spécifique et d’argumenter tant sur la suspension que sur la reprise de l’indemnité de remplacement du revenu. L’employeur ne peut prétendre être surpris par la portée de la décision du premier juge administratif à ce sujet. S’il a pu se méprendre sur la portée de la contestation, cela ne peut constituer un manquement aux règles de justice naturelle.

[122]     Ce dernier reproche n’est donc pas fondé.

[123]     L’employeur n’a donc pas démontré que la décision sous révision contient un vice de fond de nature à l’invalider.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Unidindon inc., l’employeur.

 

 

 

__________________________________

 

Jacques David

 

 

 

 

Me Louis Ste-Marie

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

Représentant de l’employeur

 

 

Me Roxanne Lavoie

LAROCHE MARTIN

Représentante de la partie intéressée

 

 

Me Lucie Rouleau

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[3]           Id.

[4]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[5]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.); également dans CSST et Toulimi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.

[6]           2012, QCCLP 6414.

[7]           Manufacture Lingerie Château inc. c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Montréal, 500-05-065039-016, 1er octobre 2001, j. Poulin; voir plus récemment Légaré et Signalisation SMB inc., 2013 QCCLP 6231.

[8]           Rodrigue c. Commission des lésions professionnelles, 2007 QCCS 6010 et CSSS du Nord de Lanaudière, C.L.P. 346091-63-0804, 2 novembre 2009, C.-A. Ducharme.

[9]           Peris et Casino du Lac-Leamy, 2009, QCCLP 3915.

[10]         Maltais et Atelier de meubles, 2008, QCCLP 2988.

[11]         Laplante et Provigo Distribution inc., 172762-62A-0111, le 18 mars 2005, D. Lévesque; Deraiche et Tro Chaînes inc., 2007 QCCLP 7082; Guitard et Corporation Voyageur, 2008 QCCLP 676.

[12]         2011 QCCLP 2731.

[13]         Précitée note 12.

[14]         Guitard et Corporation Voyageur, 2008 QCCLP 676; Veersasamy et Olymel St-Esprit (Viandes Ultra), 2014 QCCLP 2316 cités par l’employeur. Voir aussi les décisions cites aux notes 8 et 11.

[15]         Précité note 8.

[16]         Précité note 11.

[17]         Précité note 14.

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